Marbrume


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 Cirer le silence.

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MessageSujet: Cirer le silence.    Cirer le silence.  EmptyMar 29 Mar 2016 - 18:26
La bise charriait encore les quelques clameurs restantes du jour passé, plus faiblement que l'aquillon de l'après-midi, qui était sans conteste venu mourir, ici même aux portes de la nécropole diffamée, dès le début du soir. L'agitation de la plèbe au loin chantait dans les allées accidentées de la colline aux sépultures des frémissements, que les arbres engourdis ne pouvaient pas eux-mêmes inventer, qui ajoutaient au lugubre de cryptiques échos. Quelque part, cela appuyait également le calme imperturbable du voisinage et exacerbait l'inébranlable repos des dalles chantournées. Ainsi, ceux qui ne voulaient pas pleurer en ville pouvaient venir se recueillir ici, bien que la véritable intimité appartenait aux pilleurs et à ceux qui recherchaient le secret, entre deux tranchées mal égalées ou derrière les cénotaphes dégondés.

Celui qui se tenait-là, dans l'obscurité naissante de la nuit à venir, devant une pierre funéraire à l'épitaphe qu'il n'arriverait jamais à lire, n'était pas venu pour pleurer ou pour récolter les trésors. Il ne cherchait pas vraiment l'intimité non plus et ne se battrait pas avec les corbeaux entours, oiseaux de malheur plus heureux que bien d'autres, dans une quête du brignolet béni. Pour tout dire vraiment, il portait le même regard intrigué qu'eux sur la scène éclairée qui se jouait plus loin, par-dessus une sape récemment faite par des spoliateurs.

Deux doigts sous le nez, pour atténuer la puissance des odeurs que les exhumations sauvages avaient libéré de leurs tombeaux, il observait l’œuvre d'un croche-mort et d'un luperque, qui s'adonnaient à quelques conséquentes crémations. Leur gestuelle ressemblait à une chorégraphie répétée pour être inconsciemment retenue et prestement expédiée. Pour Ignis, ça n'enlevait rien à la beauté de l'événement. Même quand ils eurent fini, et qu'ils emportèrent avec eux leur flambeau, il continua d'admirer sans scrupule les volutes de fumée qui finissaient de se dissiper dans la nuit. Car il faisait véritablement nuit quand il reprit conscience de ce qu'il faisait, frissonnant sans pouvoir se retenir, une dague de douleur dans le front à cause des émanations putrides.

Pris de court, il jeta un regard autour de lui, soucieux d'avoir pu se faire surprendre en train de fixer aussi intensément le sanctuaire trépané. Il trouvait lui-même sa curiosité morbide et s'étonnait de ne s'être pas encore approché des excavations pour la satisfaire vraiment. Quelque part, cela le rassurait aussi de pouvoir contenir ces absences à l'état d'apathie, car il se savait n'être pas vraiment capable de justifier cette lubie, ni même simplement d'en supporter le résultat. Pour le moment, observer de loin suffisait à lui couper la faim et, se donnant du courage grâce à cette idée, il rebroussa chemin pour rentrer, en réajustant le nœud de ceinture qui contenait son bâton, que le vent par ailleurs faisait frapper le sol à son bon plaisir.

Il marcha sans vraiment avancer, de cette démarche musarde propre aux faméliques. Sa longue veste de cuir ne frottait même plus contre son saroual, si bien qu'il se déplaçait silencieusement, de la même façon qu'un mort aurait pu le faire une fois sorti de terre. Seule sa torche éteinte cognait de temps en temps par terre quand il oubliait de faire l'effort de la maintenir en biais à son côté. Absorbé par les images de ce qu'il allait trouver en rejoignant ses camarades, il déambulait au hasard des pavés, jusqu'à ce que des croassements profanes n'attirent son attention. L'obscurité abusant son oreille, son œil se porta de lui seul sur une source de lumière, plus haut dans le terrain vague, atténuée par les pans d'une structure défoncée.

Sans la quitter des yeux, attiré comme l'insecte par la flamme, il avança encore, jusqu'à ce que l'allée lui permette de contourner carrément le mausolée et de découvrir ce qui se cachait derrière. A ce moment-là, rien d'extraordinaire ne s'offrit à son regard en la demeure de ces deux gens aux apparences des plus dissemblables, qui lui semblaient discuter discrètement d'affaires personnelles. Il pensa un instant reprendre son chemin, soucieux de les laisser à leurs manigances, quand déjà il les surprit à s'échanger le contenu des mains. Il eut un instant l'impression de voir ce qu'ils se donnaient, sans parvenir à le définir correctement néanmoins, et força sur son œil pour ne pas les perdre de vue lorsqu'ils se séparèrent. Immobile, il attendrait à son détriment qu'ils aient disparu pour poursuivre sereinement, ne voulant pas s'attirer leurs intentions, quelle qu'en soit la nature. C'était évidemment sans compter sur les charognards à côté, qui s'acharnaient bruyamment sur une dépouille, au point de le faire sursauter et craindre d'être visible dans le faisceau d'un lumignon brasillant à une branche. Le temps de se reprendre, il avait déjà perdu de vue les deux intrigants.
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Cirer le silence.    Cirer le silence.  EmptyMer 30 Mar 2016 - 21:05
Marbrume était une ville sinistre, accrochée à un morceau de terre avançant dans une mer froide et sombre, cernée par les morts revenus hanter les vivants. Mais depuis que des fangeux avaient décimé des civils dans l'enceinte même de ce qui était supposé être le bastion de l'humanité, une atmosphère délétère et anxiogène semblait s’être insinuée dans les moindres recoins de la cité, en même temps que le brouillard. On pouvait en sentir la putrescence dans chaque quartier, dans chaque ruelle et même dans chaque maison. Qui seraient les prochains à mourir ? Quand verrait-on les lourdes portes de la ville céder sous les assauts d’une horde de monstres affamés ? Y avait-il vraiment des hommes, à Marbrume, qui projetaient de faire entrer délibérément la Fange ? Autant de questions qui empoisonnaient les esprits jour après jour alors que la plupart des habitants tentaient de reprendre leur vie en oubliant ce qui s’était passé pour retrouver la certitude rassurante qu’entre ces murailles, il n’y avait rien à craindre. Pourtant, dès que le jour déclinait, les rues se vidaient anormalement pour laisser la place au froid et à la brume, là où seules les patrouilles de miliciens s’aventuraient, ainsi que les rôdeurs de tous poils.

Cette nuit ne faisait pas exception et dès que la lumière du jour se fit plus terne derrière les épais nuages gris, les mères rappelèrent leurs enfants, les marchands replièrent leurs étales et les badauds prirent la route du logis d’un pas pressé. Le couvre-feu était officiellement levé mais cela ne changeait pas grand-chose tant les habitants semblaient craintifs les soirs de mauvais temps. Pour Elisabeth, tout ce cirque était bon pour les affaires, à défaut d’être bon pour le moral. Les gens cherchaient à s’évader un peu par le biais de philtres et de potions, quand ils ne voulaient pas simplement se soigner, les brigands, les voleurs et les malandrins prospéraient et la milice fermait parfois les yeux. La jeune femme fournissait tout le monde du mieux qu’elle pouvait, négociant sa survie, son pain, sa protection et ses talents. Là où les mailles du filet se relâchaient, elles se faisaient plus étroites ailleurs et la danse n’en finissait jamais. C’était tous les jours magouilles et arrangements pour être certaine de garder sa place dans la chaîne alimentaire, une existence assez peu reposante mais qui lui plaisait, la plupart du temps. La partie qu’elle appréciait le moins dans ce drôle de quotidien, c’était les rencontres hors de sa boutique.
Normalement, toute personne malhonnête souhaitant faire affaire avec l’apothicaire passait par la venelle qui longeait la boutique et toquait à la porte de derrière après que soit passée la patrouille de la milice, mais parfois il était nécessaire de sortir de ses pénates pour aller faire un échange particulier. Dans ces cas-là, il fallait chausser la cape et les mitaines pour jouer les filles de l’ombre jusqu’au point de rendez-vous, une aventure dont la demoiselle ressortait toujours frigorifiée et qui ne manquait pas de lui faire travailler le palpitant lorsqu’une patrouille pointait sa lanterne à une angle de rue. Pourtant elle n’avait pas le choix si elle voulait engranger les bénéfices de ses petites magouilles.

Toutes les bougies éteintes dans la boutique et la porte barricadée pour la nuit, Liz se faufila par la petite porte de son arrière-boutique, encapuchonnée de noir et serrant autour d’elle les pans de sa cape, car sa robe et son surcot ne lui tenaient pas bien chaud. A sa ceinture se trouvait plusieurs bourses dont l’une était destinée à disparaître sous peu, ainsi qu’une petite lanterne éteinte.
À pas de loups, la jeune femme quitta son arrière-cours en passant par le porche et scruta la rue principale à la recherche de la lumière émise par une patrouille mais tout semblait calme. La randonnée nocturne pouvait commencer. Se donner rendez-vous au cimetière l’obligeait à parcourir une bonne distance, il fallait qu’elle descende la Grande Rue avant de bifurquer pour s’enfoncer dans le Labourg et rejoindre les remparts contre lesquels s’étendaient les terres légitimes des défunts. Le chemin n’était pas compliqué et en s’y prenant correctement on pouvait naviguer sans croiser un seul milicien. De plus, la brume qui commençait à ramper au sol promettait d’être épaisse et de couvrir la jeune femme lors de son trajet de retour, même si cela voulait aussi dire perdre beaucoup en visibilité et se retrouver confrontée à tout ce que son imagination pourrait faire surgir de monstrueux dans son esprit inquiet. Mais baste d’angoisse stérile, les grilles du cimetière se dessinaient déjà de l’autre côté de la rue.

Elisabeth attendit de s’être un peu enfoncé dans le domaine des trépassés pour allumer sa lanterne. Elle profita également de cette courte halte avant de rejoindre le mausolée du rendez-vous pour entrer dans son rôle de négociante un peu sorcière. Drapée dans son vêtement sombre, la lanterne à la main et la capuche rabattue sur ses cheveux sombres, elle avait juste à se parer de mystères et d’assurance pour avoir l’ascendant sur son contact. Une fois sa respiration maîtrisée, elle prit le petit sentier qui serpentait entre les vieilles tombes délabrées pour se rendre au cœur du cimetière, là où commençaient à fleurir les plus beaux et les plus grands tombeaux, là où les arbres encore nus offraient une meilleure protection aux regards.
Cette nuit, l’apothicaire rencontrait Ivald dit « Main lourde », le chef d’une belle brochette de ripoux qui sévissait dans l’ouest de la cité franche. Il était déjà sur le lieu du rendez-vous et grommelait à voix basse pour lui-même lorsque Lizzy fit son apparition, silencieuse comme la mort et à peine plus rassurante. Le grand gaillard sursauta en se retournant vers elle, ce qui fit sourire intérieurement l’apothicaire.

« T’en as mis du temps, la Sorcière. »
« Surveille ta langue Ivald. Je suis parfaitement à l’heure et je n’aime pas beaucoup être traitée de sorcière. »

La brunette parlait doucement, laissant ses mots se charger de menace. Elle ne détournait pas le regard, fixant droit dans les yeux le malfrat mais sans chercher à le défier, souhaitant plutôt le mettre mal à l’aise. Ce dernier ronchonna quelque chose et fit rouler ses épaules pour en chasser le mauvais frisson que lui collait cette garce.

« T’as c’qui faut ? »
« Bien sûr. Et toi tu as de quoi me payer. »

Ivald hocha la tête et sortit de son ceinturon usé une petite bourse dont le bruit ne trompait pas sur son contenant. Il la vida dans sa main pour montrer les quinze sous et deux pistoles qu’il lui devait avant de tout remettre dans la bourse. La somme monstrueuse était parfaitement justifiée car le mélange qu’allait lui fournir l’apothicaire demandait des ingrédients difficiles à trouver et pour certains, difficiles à préparer. Mais le résultat en était une pâte grasse et granuleuse, presque inodore et de couleur blanchâtre que l’on pouvait aussi bien dissoudre dans de l’alcool qu’appliquer sur une lame pour empoissonner ses adversaires. L’effet était fulgurant et surtout, le remède était un secret bien gardé par les mêmes qui connaissaient la recette du poison, soit seulement deux ou trois initiés dans toute la ville. Pour une mort aussi efficace, Elisabeth demandait bien sûr beaucoup et c’était normal. D’ailleurs ce n’était pas son produit le plus coûteux.
En échange de la bourse d’argent, elle tendit donc la sienne, ouvrant sous le nez du malfrat pour lui montrer qu’elle ne se moquait pas de lui.

« N’utilisez pas vos doigts pour l’appliquer, vous vous empoisonneriez vous-même. C’est un œil de pigeon pour une coupe pleine de vin et une couche fine sur le tranchant d’une lame. Pas plus. »

Ivald hocha la tête et prit le poison pour le remplacer par l’argent. Cet échange sembla le soulager et il soupira discrètement avant de sourire, dévoilant ainsi quelques chicots pourris.

« V’la l’affaire conclue, magicienne. Une bonne nuit hein ! »
« Amuse-toi bien avec ta pommade, Main Lourde. Et souviens-toi : ceux qui ne connaissent pas le prix du silence reviennent souvent en ces lieux pour ne plus jamais les quitter. » ajouta-t-elle avec un sourire que l’ombre projetée par sa lanterne rendait plus lugubre encore.

Elle appuya son propos en tapotant le mur du tombeau derrière lequel ils se trouvaient, une petite bâtisse de pierre dont chaque angle de toit était soutenu par un squelette grimaçant. Le gaillard jeta un coup d’œil presque apeuré vers le squelette juste à côté de lui, s’attendant presque à le voir bouger, puis s’ébroua et fit un signe d’au revoir à la jeune femme avant de disparaître de son côté. Elisabeth attendit quelques instants pour faire elle aussi demi-tour, le cœur battant à tout rompre. Une fois de plus, la peur et la mystification avaient joué en sa faveur pour la rendre plus imposante qu’elle ne l’était. Aucun de ses clients ne se rendait compte à quel point elle pouvait être vulnérable et oubliait que les animaux les plus menaçants sont souvent ceux qui ont le plus peur. En bonne chatte sauvage, Liz avait de méchantes griffes mais savait qu’elle ne faisait pas le poids si un molosse décidait de s’en prendre à elle. Tant que le molosse la prenait pour un lion des montagnes, elle ne craignait rien et tout se passerait pour le mieux entre elle et ses clients.
Très satisfaite de son affaire, cachant sa nouvelle fortune dans les replis de sa robe, elle prit en sens inverse le chemin qui la mènerait à la sortie du cimetière. Comme prévu, la brume s’était épaissie et la lumière des étoiles avait disparu. La nuit était totale, seulement peuplée les bruissements du vent, les coassements des corbeaux encore éveillés et tous les autres bruits imaginaires qu’une petite apothicaire pas rassurée pouvait s’inventer. En revanche, la silhouette qui se découpa un peu plus en avant sur son chemin, dans la clarté pâle d’un lumignon, elle ne l’imagina pas. Son cœur se serra et elle eut tôt fait de souffler sur sa bougie et de dévier de sa route pour éviter toute rencontre. Mais aucun cri d’alarme, aucun mouvement de masse ne vint étayer sa thèse selon laquelle il s’agissait d’un milicien envoyé en éclaireur d’une patrouille. Le silence revint et alors qu’elle louvoyait entre les tombes en essayant de ne pas se prendre les pieds dans les dalles à moitié enfouies dans la terre, elle en vint à se demander si elle n’avait finalement pas rêvé. Qui pouvait se promener dans le cimetière à une heure pareille ? Et si cette personne l’avait espionnée pendant son échange ?

Elisabeth ralentit encore le pas jusqu’à s’arrêter, en proie au doute. Devait-elle poursuivre son chemin en comptant sur le fait que sa capuche la masquait totalement ou devait-elle s’assurer qu’elle ne risquait rien ? La tentation de quitter le cimetière à toute jambe était grande, mais la jeune femme était trop précautionneuse et décida de revenir vers la lumière faiblarde du petit lampion, là où elle avait cru voir quelqu’un bouger.
Sans oser trop s’approcher de ladite lumière, elle contourna comme elle put l’endroit, sans trouver la moindre trace d’une présence humaine. Perplexe et un peu inquiète, elle poursuivit tout de même son investigation et finit par apercevoir l’intrus. Il s’était écarté de la lumière, cherchant la protection d’une stèle encore debout et semblait chercher quelque chose des yeux. Ou quelqu’un. C’était sa chance, le gaillard lui tournait le dos. Inspirant profondément pour contrôler sa propre frayeur, elle endossa de nouveau son rôle de sorcière inquiétante et s’approcha. La nuit camouflait son visage, c’était parfait. Tout ce qu’elle avait à faire c’était donner à cet espion la peur de sa vie tout en restant anonyme et ainsi elle aurait l’assurance qu’il tiendrait sa langue, si tant est qu’il ait vu quelque chose. Discrète comme une ombre, elle se coula derrière lui, à deux pas de distance par sécurité, et s’adressa à lui dans un chuchotement glacial :

« Qui penses-tu épier, voleur ? »

Le concerné fit un bond, prit de court, et se retourna vers elle. Avec la nuit et le brouillard, la jeune femme ne vit pas ses traits mais il n’était pas bien difficile de deviner qu’elle avait à faire à un homme.

« Quitte cet endroit, misérable, avant que des esprits furieux ne t’emportent avec eux dans un de ces tombeaux. Les mortels ne sont pas les bienvenus ici. »

Voilà, c’était le moment où son plan brillant et parfaitement organisé devait fonctionner et où cet importun partait en hurlant de terreur, persuadé d’avoir croisé la faucheuse elle-même. Du moins c’était ce pour quoi priait l’apothicaire.
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MessageSujet: Re: Cirer le silence.    Cirer le silence.  EmptyLun 4 Avr 2016 - 7:36
Il avait cru bon de s'écarter du chemin et de disparaître lui aussi dans l'obscurité. Il n'avait cependant pas osé trop s'éloigner de l'auréole de la lanterne, soucieux de garder ses repères dans ce funeste endroit. Il connaissait les rumeurs qui courraient sur le cimetière et la négligence de la milice, qui avait totalement désinvesti les lieux, surmenée ailleurs, l'abandonnant à l'état de ce qu'il représentait en cet instant pour Ignis : un péril dont les écueils pouvaient revêtir bien des aspects.

Squelette d'un cimetière, c'est ce qu'était ce charnier, réduit en cloaque malsain, même plus utile pour ce qu'il était vraiment. Quand il avait senti sous ses pieds la terre retournée remonter comme une boursouflure et qu'il avait posé sa main sur la tranche d'un piteux monolithe, il s'était tout simplement arrêté de bouger pour chercher le cadavre susceptible de jaillir des tréfonds, et de rendre bien concrets les on-dit auxquels il ne voulait pas croire. Quelques secondes avaient passé ainsi, alors qu'il regardait le sol sous lui, la malepeur lui dictant que quelque-chose grouillait là-dessous. Il ne savait pas vraiment ce qui méritait ses plus grandes craintes ici, seulement qu'il n'avait pour lui rien qui pût attirer le bon sentiment des bandits ou des morts. Attendre, pour s'assurer que les deux quidams fussent bien partis, puis quitter lui-même cet hypogée ouvert avant de finir dans une fosse restait, pour ce grand séquot, la meilleure des décisions à prendre, et c'est celle qu'il avait pris, les doigts solidement accrochés à la dureté de cette stèle sur laquelle il avait paru miser toute sa sécurité.

Pourtant, il s'était laissé surprendre. L'attention happée par ce qui pouvait surgir devant lui, il avait complètement omis l'étendue plongée dans la nébulosité noire derrière lui, et avait de cette façon totalement offert ses arrières à qui voulait. Un friselis, un murmure qui ne dénotait rien du vent ni des vermines pullulantes entour avait suffit à le faire sursauter. Le coup de sang, qui relevait davantage de la surprise que de la colère, fut fulgurant, à ce point qu'il laissa l'adrénaline prendre pleinement possession de son intégrité. Jusqu'à la moelle des os, il sentit son cœur cogner brutalement, ardent, emballé à en faire un subit acouphène, étouffant sa conscience pour aussitôt exploser ses instincts de survie. Comme cela, il se retrouva nez-à-nez avec une silhouette dont il ne parvint pas à définir les limites, sombre qu'elle était dans la noirceur, ambiguïté dont la présence était à peine explicable.

Son œil chercha malgré tout la couleur des siens, si cette ombre en possédait, quand elle s'exprima encore. Le simple fait qu'elle fût douée de parole calma la fougue débridée qui mugissait dans son poitrail. Spontanément, il leva les bras à hauteur de taille, paumes en avant, exhortant en silence l'accalmie et intimant qu'il ne cherchait pas la bravade. Se terrant dans son mutisme, d'une attitude très prudente, il fit deux enjambées en arrière pour ajouter encore quelques distances entre eux, mais il ne les fit pas pour se rapprocher du chemin ni même de la sortie qu'elle lui enjoignait de gagner.

Pusillanime ou sage, ce fils du vent était déjà convaincu qu'il ne fallait à aucun moment tourner le dos une deuxième fois à cette apparition et que, plutôt que de filer droit sans se retourner comme il avait envie de le faire, il lui valait mieux la certitude de la garder devant lui. Sans parler plus, ramassé sur lui-même, pensant jouer avec la sorgue, il entreprit de la contourner calmement le temps que son propre regard mit à s'habituer à la nuit et à sa broue opaque. Mais, même lorsque ce fut le cas, il ne parvint pas à dire si cette stature correspondait à l'une ou l'autre de ces gens qu'il redoutait, ou si elle était l'incarnation évidente d'un soucis plus grave. La jauger comme il le faisait ne lui donnait aucun signe, pas même un futile détail à mettre à l'épreuve, qu'il put exploiter pour sa bonne fortune : il ne pouvait compter que sur la providence, que les bienfaits avaient depuis trop longtemps tardé à se manifester et devait donc faire avec sa voix, assurément féminine il se le jurait à présent, pour garantir son sort. Dans un même temps, alors que ses pieds butaient sur les mottes humides et odorantes, il chercha à préserver l'angle mort de sa vue d'une autre mauvaise surprise, à l'affût du moindre de ses mouvements qu'il se voulut être.

Finalement, il arrêta de délinéer lorsque ses bottes rencontrèrent plus d'obstacles qu'elles ne pouvaient en enjamber. Il s'interdit de quitter son vis-à-vis de l’œil, peu refait de ses émotions. Il ne fut pas capable de voir qu'il avait les pieds empêtrés dans une glèbe garnie de tessons, de fragments de grès et de caillasses burinées. Au lieu de ça, il se pencha un peu plus en avant, pour appuyer encore son obligeance, et ouvrit la bouche pour répondre avec un calme maîtrisé :

« J'ai des amis. »

Ce fut la seule chose qu'il trouva à dire, et la seule dont il chercha à se persuader lui-même autant que cette femme à qui il le disait. Ignis n'était pas un menteur-né et s'amusait assez peu de ces tromperies, néanmoins il savait quand abuser l'imagination des autres et quand les laisser se créer leurs propres boniments devant son silence. Il s'était suffisamment tu à cette heure pour essayer maintenant la finesse, avant même que les événements ne dégénèrent vraiment. Comme elle paraissait le prendre pour un voleur, il tenterait de feindre de l'être.

« Ils ssont pas loin. Sserait pas bien galant de les abandonner-là, avec tous ces essprits vilains qui rôdent dans le noir. N'est-ce pas, dame ? Alors vous pouvez passer devant, pendant que je vais leur toucher deux mots, à propos des mortels ici-bas, et puis on sse mettra nous-même en route, comme vous voulez, en laissssant aux tombeaux ce qui appartient aux tombeaux. D'accord, la dame ? »
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Cirer le silence.    Cirer le silence.  EmptyLun 4 Avr 2016 - 18:13
Elle s'était attendue à presque tout, sauf à ça. Le bonhomme, plutôt que de couiner son innocence ou de la braver en lui jetant quelques menaces au visage, se contenta de se taire et de s'écarter en la contournant, comme on le fait lorsqu'on se retrouve face à un animal dangereux. Les mains bien en évidence, le pas léger, il avait l'air de redouter que le moindre geste brusque ne déclenche le courroux de puissances obscures et menaçantes. D'un côté, c'était une bonne chose car cela signifiait qu'il avait assez d'appréhension pour la craindre, de l'autre il était très perturbant de se retrouver face à un adversaire muet. La jeune femme se dit que peut-être que cet hurluberlu n'était pas de coin et qu'il ne parlait même pas la langue commune, ce qui l'arrangeait bien puisqu'elle voulait lui ôter toute idée de bavasser devant les gardes. Elle se contenta alors de le suivre du regard, se tournant à demi pour le garder bien en vue, tout comme lui-même était en train de le faire. Ainsi silencieux et scrutateurs, ils ressemblaient à deux chats de gouttière qui se croisent au détour d'une ruelle et qui ne savent pas s'ils doivent se battre ou passer leur chemin.
Le rôdeur, dont elle voyait à présent que la lueur d'un seul œil brillait faiblement, fini pourtant par s'immobiliser. Ne lui avait-elle pas dit de partir ? Préparait-il un mauvais coup ? Deux ou trois stèles délabrées et rongées par la mousse les séparaient, de quoi assurer une distance de sécurité à chacun. Mais elle devait prendre garde à ce qu'il ne lui jette ni couteau ni pierre pour la blesser ou simplement la déstabiliser. Au lieu de projectiles, ce furent des mots qu'il jeta entre eux.

« J'ai des amis. »

Ah. Très bien. Drôle de voix, quoiqu'assez ensorcelante.
Elisabeth ne voyait pas bien en quoi cela pouvait la concerner ni où il voulait en venir. L'intrus ajouta à cela qu'il serait fort aise de quitter les lieux, mais qu'avant il devait prévenir ses compagnons dispersés dans le cimetière et qu'elle n'avait qu'à prendre les devants. Le marché était si ridicule que la jeune femme se demanda s'il ne cherchait pas à l'entourlouper d'une façon plus subtile. Qui serait assez culotté pour proposer ce genre d'arrangement ? Soit il la prenait pour une parfaite idiote, soit il était le plus effroyable menteur qu'elle ait jamais rencontré. Et elle s'y connaissait en mensonges. Cependant, elle de venait pas mettre de côté l’hypothèse qu’il était peut-être vraiment accompagné, ce qui n’arrangeait pas ses affaires. Un papoteur dans la nature, c’était déjà bien assez, pas la peine qu’il aille en plus raconter ce qu’il avait vu à d’autres.

« Non. »

La réponse était tombée comme un couperet, d’une voix un peu plus forte et qui ne souffrait aucune remise en question. Il devait partir, maintenant. Sans parler à personne, sans faire de détour. L’apothicaire chercha frénétiquement dans sa petite tête brune ce qu’elle pourrait dire qui lui fasse faire demi-tour, mais aucun éclair de génie ne semblait vouloir la foudroyer.

« Tu pars, maintenant. Tes amis auront ce qu’ils méritent. Disparais avant que laaaAAAh ! »

Tout en parlant, la jeune femme avait souhaité faire un pas en arrière, mais son talon avait glissé dans la glaise humide qui léchait les bords d’une dalle brisée, lui faisant perdre l’équilibre. Elle tenta de se rétablir mais fini malgré tout par tomber à la renverse. Son dos heurta durement la pierre et sa tête cogna méchamment contre le gré effrité. Elle resta au sol, immobile.
Une explosion de douleur à l’arrière du crâne lui fit voir trente-six chandelles alors qu’un long et désagréable frisson se répandant dans tout son corps pour lui donner la nausée. Tous ses repères furent chamboulés, elle eut l’impression de perdre pied un instant avant de revenir à elle, le souffle court. Le flash blanc qui l’avait aveuglé se dissipa pour que règnent de nouveau les ombres et elle tenta de se relever. Il lui sembla réagir immédiatement après sa chute, mais en réalité il s’était écoulé quelques précieuses secondes. Une amnésie passagère l’obligea à se questionner sur l’endroit où elle se trouvait et ce qu’il se passait, le temps que tous les souvenirs reviennent à la surface et que le ciel ainsi que la terre reprennent leur place respective. Le cimetière, la rencontre, l’intrus, le petit jeu de l’intimidation, la chute accidentelle. Voilà, tout était en place.

Liz se tourna sur le flanc avec une lenteur calculée pour pouvoir appuyer une main sur la dalle contre laquelle elle s’était étalée et se redresser doucement. Elle porta instinctivement l’autre main à son front, d’où sourdait une douleur lancinante. La capuche de sa cape était tombée en arrière elle aussi, dévoilant son visage, mais pour le moment cette considération ne l’atteignait pas, trop occupée qu’elle était à surmonter l’affreuse sensation de tangage qui l’étreignait. Malgré tout, dans ce marasme de sensations incontrôlées, l’idée qu’elle avait perdu de vue son drôle d’interlocuteur lui procura un sentiment de panique suffisant pour qu’elle lève la tête à la recherche de la silhouette concernée. Ses yeux fouillèrent l’obscurité un moment, mélangeant allègrement les lignes et les ombres dans ce décor monochrome avant que la lumière étincelante d’une flamme ne l’éblouisse, l’obligeant à détourner le regard et à lever une main pour se protéger.
Qu’est-ce que… D’où sortait cette lumière ?
Avec précautions, elle releva la tête et laissa ses yeux s’habituer jusqu’à ce que plus rien ne soit flou et que l’éclat du feu s’atténue. La chute avait été plus rude qu’elle ne l’imaginait si même sa vue lui jouait des tours.

La silhouette de l’étranger avait pris forme humaine, devenant un grand échalas un peu malingre, habillé de guenilles qui autrefois devaient être colorées. La lumière provenait d’une torche ouvragée qu’il tenait à la main et les flammes dansantes dessinaient d’inquiétantes ombres tordues sur son visage. Elisabeth se rappela avoir remarqué qu’il n’avait qu’un seul œil visible, et pour cause, l’autre était couvert par un grand bandeau qui lui enserrait la tête. Une vilaine cicatrice en dégoulinait, lui tordant le coin de la bouche, enlaidissant la moitié de son visage qui ne devait pas être si désagréable à regarder avant. L’autre moitié, celle où l’œil était encore intact, ne souffrait d’aucune blessure mais témoignait d’un train de vie assez misérable. Avoir les traits saillants devenait une marque commune à tous ceux qui souffraient de la faim à Marbrume.
La jeune femme ne douta pas un instant qu’à présent, il pouvait constater qu’elle n’avait rien d’une entité surnaturelle. A visage découvert il pouvait voir qu’elle avait deux yeux, un nez et une bouche, comme tout le monde.

Il était trop tard pour jouer encore au petit jeu des faux-semblant, aussi décida-t-elle de simplement se mettre assise, chaque geste étant ralentis par le tournis qui ne la lâchait pas, et de palper l’arrière de sa tête pour vérifier qu’aucune plaie ouverte ne saignait. Ses doigts furent rougis par quelques gouttes d’hémoglobine, mais à peine plus. Au moins une bonne nouvelle après ce ridicule retournement de situation. Sans trop savoir quoi dire pour justifier ce qui venait de se produire et un peu vexée d’avoir ainsi perdu la face, elle se contenta de foudroyer du regard le porteur de lumière.
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MessageSujet: Re: Cirer le silence.    Cirer le silence.  EmptySam 9 Avr 2016 - 9:03
Nourri d'un espoir ingénu, il s'était imaginé qu'un accord tacite se serait conclu entre eux et que, à défaut de l'intimider vraiment, ils ne s'entendissent au moins pour partir chacun de leur côté. Mais l'espoir est une pitance souvent insuffisante et l'imagination une bien piète tisane : ils ne contentent pas les besoins de tous et laissent un arrière goût d'aconitine à celui qui se les fait ôter de la bouche.
Ignis regretta presque aussitôt d'avoir attendu une réponse pour se mettre en route. Péremptoire, l'interdiction lui avait fait l'effet d'une baffe brutale, d'un rappel à l'ordre établi dans lequel il était un élément labile là où elle était infrangible substance, à ceci près qu'une gifle, pensa-t-il, lui aurait semblé plus douce.

Il resta coi, sonné par la prépotence de ce simple « non », dont la froideur et le tranchant renforcèrent ses impressions de menace autant qu'ils finirent d’entamer sa vaillance. Il craignit un instant d'avoir perdu l'opportunité de quitter cet endroit tant la réplique fut sèche ; la mystique, qui prenait de plus en plus les traits d'une personne de taille parfaitement normale nippée d'une capuche à mesure que son œil se faisait à la nuit, lui parut avoir changé d'avis sur l'issue de leur rencontre. Il la soupçonna de prévoir un tout autre destin au larron qu'il se disait être, se tourmentant seul la cervelle au sujet des facultés qu'elle pouvait posséder et des armes contre lesquelles il ne se voyait pas lutter. Il se sentait coincé, peu capable d'argumenter avec cette femme qu'il peinait encore à croire humaine. Les ténèbres avaient cet effet-là de permettre à l'esprit toutes les fredaines et d'exagérer la moindre interprétation ; le bohémien pouvait être aussi vériste qu'il voulait, l'âme du cimetière et les ragots prêtaient à la présence devant lui des origines toutes plus farfelues les unes que les autres, si bien qu'il s'enfonçait dans une foule d'hypothèses sans même avoir de quoi les étoffer, au lieu de se suffire des constats les plus évidents. En fin de compte, il n'avait pour lui que la maîtrise de sa placidité et un certain aplomb face à ces nasses insidieuses de diverses sensations qui parcouraient son être.

Le soudain affaissement et l'exclamation qui suivirent le surprirent toutefois, alors qu'il se rassurait à peine de constater qu'elle était aussi décidée que lui à ce qu'il se débinât.

Les quelques secondes qui passèrent ensuite, il les passa à fouiller l'obscurité où s'était tenu son vis-à-vis, les pieds retournant la bourbe pour s'apprêter à gagner définitivement l'issue la plus proche. Le silence n'était plus l'inestimable objet de la quiétude de fin journée qu'il avait été pour le farouche Ignis, mais cette oppressante angoisse de se retrouver très vite gorge et panse ouvertes sur le ciel. La brume lui permettait à peine de discerner un amas affalé derrière les stèles, lequel il fixa avec la certitude que son immobilité ne serait pas éternelle. Par sécurité, il attrapa sa torche et commença à la tirer hors de son ceinturon d'une main, l'autre cherchant déjà le briquet perdu dans un angle improbable de son escarcelle.
La frénésie lui bouffa les doigts lorsqu'il aperçut un premier mouvement, ou qu'il l'imagina à force de l'attendre, puis lorsqu'un second, plus persuasif, ne le força à précipiter son départ.

Il amorçait à peine un deuxième pas quand il s'immobilisa finalement : l'humaine semblance se dessinait plus nettement, visiblement indisposée ; il la vit s'arracher à l'humidité des pellicules stagnantes, déshabillée de sa sorcellerie, ramassée sur sa propre prestance. Alors qu'il avait rapproché sa mèche de l'allumoir retrouvé, les incertitudes liées aux supputations capiteuses de tout à l'heure avaient retenu son geste quelques secondes de plus.

Et puis il avait fait jaillir la chaleur crépitante, un réconfort dont il ne pouvait pas se passer, qu'importe ce que sa splendeur tirerait d'abjecte hideur hors des ombres.

La stupeur fut sans réserve, d'abord. Puis, il se permit de jeter un regard entours, de chercher derrière lui, la flamme tenue à bout de bras, nonchalamment de biais, pointée vers l'avant alors qu'il avait pensé s'en servir comme d'une arme. Il semblait suspecter la tromperie, peu crédule, le contour de l’œil plissé par l'incompréhension. Se trouvait effectivement devant lui une femme, qui ne partageait en fait pas grand chose avec la monstruosité qu'il s'était imaginé. Le flamboiement accentuait les courbes délicates de son visage, lui-même trop propre, trop raffiné, trop fallacieusement plaisant pour correspondre à l'acrimonieuse abomination qu'il avait craint. Elle lui faisait presque pitié, maintenant, si bien qu'il ne sut pas de suite ce qu'il devait faire ; il ne pensa même plus à s'enfuir, désarçonné par la normalité flagrante de cette jeune femme, simplement assise au milieu de la décrépitude. Il descendit la main, sans cacher son scepticisme, pour se permettre de mieux voir cette Phryné poétisée par la nitescence, triste et apparemment en proie à quelques componctions aussi physique que personnelle.

Ignis n'en joua pourtant pas. Bien qu'il se détendit, obligé de constater qu'aucune force surnaturelle n'était à l’œuvre, il n'osa pas s'approcher. Il se contenta de la garder à l’œil, intrigué, et de la désigner du menton. Il n'était pas un mauvais bougre, dans le fond ; quand bien même elle s'était bien amusée de lui, laisser une demoiselle amochée à la merci du premier écorcheur venu ne lui plaisait pas. Il partirait, c'était indéniable, mais il le ferait une fois délesté ce poids de sa conscience.

« Elle veut toujours que je parte ? » lança-t-il, essayant de jauger en même temps son état. Puis, faisant apparemment fi de l'existence d'une réponse, il poursuivit, une once de sincérité et de soucis devinable dans son effort de parole : «  … Il y a des gens biens vilains qui rôdent ici, qui se cachent derrière les ruines, n'est-ce pas, ce serait pas malin de les laisser vous tomber dessus, ils s'amuseraient bien d'entendre vos prophéties, qu'est-ce que vous en pensez ? … Vous avez une arme sur vous, quelque chose pour vous défendre ? »
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Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



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MessageSujet: Re: Cirer le silence.    Cirer le silence.  EmptyDim 10 Avr 2016 - 0:45
Est-ce qu’il était en train de se moquer d’elle ? Ou peut-être que c’était une façon de l’humilier un peu après le sale tour qu’elle lui avait joué ? À moins qu’elle n’ait à faire à un simplet, ce qui expliquerait qu’il lui ait fait une proposition naïve un peu plus tôt et qu’à présent il se soucis de sa sécurité. C’était bien sa veine… Tomber sur le fou du quartier. Quoi qu’au moins, elle n’avait pas à s’en faire pour la sécurité de son secret.
La mine renfrognée, les lèvres pincées, elle se remit debout en s’aidant de la stèle enfoncée dans la boue et veilla cette fois à mettre les deux pieds sur la dalle de pierre pour éviter de glisser à nouveau. D’un geste agacé elle remit en place ses jupes dont la frange devait être tachée de boue, songeant qu’elle aurait à faire quelques lessives prochainement. Sans lever les yeux vers son interlocuteur, elle maugréa une réponse à sa première question, plus pour elle-même que pour lui :

« C’est ça, maintenant qu’j’ai roulé cul par-dessus tête dans la terre, ça veut bien s’carapater. »

Le vert de ses yeux semblait lancer des éclairs lorsqu’elle posa de nouveau son regard sur le porteur de la torche. À croire qu’elle le tenait pour responsable de cette chute malheureuse.

« Qu’est-ce que ça peut bien te faire que j’ai de quoi me défendre ? La seule personne qui se cache derrière les ruines, par ici, c’est toi ! Alors si c’est une façon de me menacer, tu perds ton temps mon pauvre ami. J’en ai maté des plus gros que toi. »

Un peu à la manière des chats, Elisabeth avait tendance à hérisser le poil pour se rendre plus imposante, mais elle ne mentait pas complètement non plus. Le chevalier de Bale était un sacré morceau et elle l’avait rendu aussi inoffensif qu’un nouveau-né. S’il avait été là pour en parler, il aurait certainement dit que la méthode employée n’était « pas honorable » et qu’elle convenait parfaitement à « une vipère telle que vous », mais en l’occurrence il n’était pas présent pour défendre son cas. L’apothicaire eut une pensée pour ce fascinant personnage qu’elle espérait toujours en vie. Après tout, elle avait un bouclier et une épée à lui rendre.
Croisant les bras sous sa poitrine, elle toisa avec un mélange de colère et d’arrogance le grand échalas qui lui faisait face.

« Bon, puisqu’on en est là, jouons carte sur table : quoi que tu aies vu ou entendu ce soir, tu vas fermer ton clapet et le garder pour toi. Parce que si j’apprends que tu as ouvert le bec, même dans ton sommeil, je te promets que ta fin sera douloureuse et prématurée. Je n’ai aucune pitié pour les bavards, tiens-le-toi pour dit. »

La menace semblait un peu ridicule dans l’état actuel des choses, mais il s’avérait que la jeune femme avait réellement les moyens de savoir si une information compromettante à son sujet parvenait aux oreilles de la milice. Et elle connaissait assez de monde en ville pour repérer les cafteurs et s’en débarrasser. Cela ne résoudrait en rien ses problèmes si la milice s’intéressait de trop près à elle, mais au moins elle aurait la douce satisfaction de la vengeance accomplie.

« Ceci étant dit, j’en ai terminé avec toi et avec cet endroit. Tu as beau te moquer de mes prophéties, comme tu l’dis, il y a deux minutes tu mouillais tes chausses. Alors je vais tenter ma chance, comme une grande, pour traverser la ville avec ma langue comme seule arme. La bonne nuit quand même, l’étranger. »

Et se drapant dans sa cape ainsi que dans sa dignité offensée, la demoiselle fit volte-face pour reprendre son chemin, s’enfonçant dans les ténèbres où elle ne voyait plus grand-chose après avoir été exposée à la lumière. Elle était si contrariée d’avoir complètement loupé son effet et sa sortie, qu’elle ne remarqua même pas que sa lanterne s’était décrochée de sa ceinture et qu’elle gisait au sol, près de la stèle.
La demoiselle attendit d’être de retour sur le sentier principal et assez éloignée de la lumière de la torche pour passer rapidement une main dans ses cheveux noirs et rabattre son capuchon. Ses yeux se réhabituèrent à l’obscurité avant qu’elle n’atteigne les portes du territoire des morts. Les grilles ouvertes grincèrent à peine lorsqu’elle faufila sa silhouette menue entre elles et elle se hâta de rejoindre l’autre côté de la rue pour se cacher dans à l’entrée d’une ruelle. Bien qu’étouffé par le brouillard épais, le fracas métallique des armes et des armures, rythmé par le claquement sourd des bottes, annonçait l’arrivée d’une patrouille. Ils devaient se trouver en haut de la rue, barrant le passage à l’apothicaire. Qu’à cela ne tienne, elle n’avait qu’à attendre sagement qu’ils passent devant elle pour pouvoir continuer sa route.
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