Qui courait dans l'herbe [Gondemar & Grim]

Qui courait dans l'herbe

Au tout premier coup d'oeil, il l'avait reconnu. Sans même avoir à le dévisager plus de trois secondes. En même temps, le bonhomme, il arrivait droit sur Grim alors que ce dernier ne faisait rien de spécial. Pour une fois, même, que le saltimbanque était calme ! Il était assis à même le sol, en tailleur, en train de bidouiller ses bolas pour les rendre plus solide, quand le grand homme s'était dessiné devant lui, à quelques mètres seulement. Autant dire que le petit artiste avait failli faire une syncope en reconnaissant cette gueule atypique. Son cœur avait fais un salto digne de ce nom dans sa poitrine, et il n'avait pas perdu de temps pour sauter sur sur ses jambes et détaler comme un lapin, non sans oublier – bien sûr -, son matériel, lui faisant perdre quelques précieuses secondes.

D'un côté, le Torren, il s'en doutait, qu'un jour, ça allait lui retomber dessus. Il savait qu'il n'allait pas pouvoir continuer sa petite vie tranquillement sans avoir un jour affaire à l'Ecu Rouge. Il était déjà très content d'avoir pu fuir ses hommes pendant aussi longtemps. Espions, chiens de garde, tout ça. Oui, Grim était fier d'être capable de disparaître aussi vite et aussi longtemps. Il était fier de pouvoir mener en bateau ces hommes censés être entraînés et redoutables. C'était une sorte de petite victoire personnelle très agréable à vivre malgré la crainte qu'il avait de se faire attraper.

Enfin, ce qu'il savait, c'était qu'un jour ou l'autre, les molosses d'Ecuviel, ils allaient réussir, à mettre leur grosse patte immonde et poilue sur lui. Il s'était passé beaucoup de choses entre sa rencontre avec Anton, en haut des remparts, et ce jour. Il aurait même espéré – c'est beau de rêver -, que Théodemar ait oublié son existence. Peine perdue.

L'autre était sur ses talons, et c'était pas faute d'emprunter de petits virages au dernier moment, de sauter par-dessus des tonneaux et de ramper sous d’étroits passages. À croire qu'il était relié à lui avec une corde invisible et qu'il ne pouvait donc pas s'éloigner de lui. Au contraire, il prenait de l'avance. Et Grim fatiguait de plus en plus.

Ils se retrouvèrent dans la zone mal-famée de Marbrume. Une fois, il était parvenu à semer deux de ces hommes en entrant dans une boutique au hasard, mais là, il n'avait clairement pas assez de temps pour le faire. Il courait, courait, courait, abîmant plus encore ses vieilles chausses sur le sol humide. Il avait plut une bonne partie de la journée, le soleil commençait tout juste à percer. Et quelle manière de fêter l'apparition de cet Astre réconfortant !

Son regard passa derrière lui pour évaluer la distance qui le séparait de l'autre. Un juron fleuri lui échappa, et, sans crier gare, il sauta sur un petit mur en pierre séparant deux habitations et fit un bond, s'agrippant au mur comme un chat à un fauteuil en tissus, pour ensuite grimper rapidement sur le toit. C'était une vieille bâtisse en bois, sans étage, avec une minuscule grange ouverte sur le côté ayant tout juste la place d'abriter un cheval. En hauteur, Grim se sentait légèrement soulagé. Il décida de se poser un instant au milieu du toit pour récupérer son souffle, là où, techniquement, son poursuivant ne pouvait pas le voir ni l'atteindre. À moins de grimper à son tour. S'il le faisait, et bien … il avisera.

Tous des incapables, avait crié Théodemar, tous des incapables pas foutus d'attraper un sale petit espion à la langue trop bien pendue. Ce n'était pas vraiment la faute des sous-fifres de l’Écu Rouge, car en vérité Marbrume regorgeait de planques et abris en tous genres, d'endroits où si l'on bifurquait assez vite, on pouvait semer la Milice elle-même et la faire se retrouver au beau milieu d'un cul de sac sans celui qu'elle recherchait. Les gens que son ami employait n'étaient pas tous aussi aguerris que des voleurs et on ne pouvait leur reprocher d'être ce pour quoi on les employaient : des gros bras bas de plafond. C'est pourquoi il s'était tourné vers Gondemar, lui demandant, lui ordonnant de lui ramener ce sale petit fouineur qui n'avait pas su garder un simple secret alors même que son intégrité physique n'était, parait-il, même pas en cause. L'ombre de Ecuviel avait promis de s'en charger au plus vite et c'était ce qu'il avait fait, ne mettant pas même une demi-journée à retrouver sa trace dans la cité, s'assurant de le surprendre au meilleur moment. L'homme de haute taille avait opté pour une approche classique : avancer d'un pas déterminé en fixant sa cible et voir comment elle allait réagir. Seuls les coupables s'enfuyaient et Grim ne dérogea pas à cette règle, prenant ses jambes à son cou en embarquant son matériel qui allait, inévitablement, le ralentir dans cette course-poursuite qui s'engagea à travers les rues et ruelles de Marbrume.

- ARRÊTES-TOI GRIM !

Cru bon de crier Gondemar en s'élançant à sa suite sans une seule seconde d'hésitation, ses longues jambes entrainées depuis des années le servant fidèlement une fois encore. L'ancien soldat était un enfant de la rue, un ancien voleur qui avait lui-même du s'enfuir tant de fois qu'il ne les comptaient plus, ce à quoi était venu s'ajouter des années d'armée et une fuite à travers les terres alentours avec des Fangeux à ses trousses. Bien sûr le sol détrempé n'aidait pas et les bottes du Conseiller de Théodemar dérapèrent plus d'une fois sur les pavés ou dans la boue, son agilité compensant heureusement ce que son imposante stature avait de dérangeante. Il sautait plus haut, rampait plus vite, se faufilait presque aussi bien et ce qu'il perdait en agilité, il le compensait par sa vitesse et la rage qu'il avait d'enfin attraper celui qui se jouait de leurs hommes depuis tout ce temps. Combien avaient été punis pour avoir faillit l'avoir et qui avaient finalement échoués ? Mais cette fois ce serait différent. Peu à peu il gagnait du terrain, bientôt il n'aurait plus qu'à tendre le bras, il n'y avait plus que quelques mètres. Dix mètres, huit mètres, sept, cinq... Grim sauta sur un mur et l'escalade avec l'agilité d'un félin, bondissant sur le toit alors même que Gondemar, grognant de protestation, bondissait à sa suite, sautant à son tour contre les tuiles pour trouver l'espion en train de reprendre son souffle. Quoi, sérieusement ?! Ne voulant lui laisser une seconde de répit, l'homme de haute taille se jeta sur lui et le saisit par le col de ses vêtements, le décollant du sol avec une facilité déconcertante qui tenait plus de l'adrénaline et de son entrainement qu'à une force surhumaine quelconque.

- Je te tiens !!! Bouge pas, Grim sinon je te tabasse ici et maintenant sans même écouter ce que tu as à dire.

On ne pouvait être plus clair et Gondemar sentait la sueur ruisseler le long de sa colonne vertébrale et le haut de ses tempes. C'est qu'il l'avait fait courir le bougre et pas qu'un peu ! Pas étonnant que les autres aient eu tant de mal à s'emparer du traitre.

Il s'en doutait, de toute manière. Que cette fois allait être la bonne. Le bonhomme semblait increvable, il semblait ne jamais s'essouffler ni ralentir sa cadence. Grim aurait espéré, malgré tout, qu'il ne puisse pas grimper aussi vite que lui, ou au moins assez lentement pour lui laisser le temps de redescendre de l'autre côté.
C'était à peine s'il l'avait entendu, dans son dos. Le fuyard était tellement à bout de souffle qu'il entendait bourdonner dans ses oreilles et qu'il voyait tout flou. À la base, il était endurant. Mais les quelques jours où il demeura allité chez sa mère paraissait avoir suffit à lui perdre quelques compétences physique. C'était bien sa chance, lui qui n'avait que son agilité et son endurance pour survivre en milieu hostile.

Un cri se bloqua au fond de sa gorge quand les mains de l'homme d'Ecuviel s'agrippèrent à lui. Le saltimbanque se retrouva à une quinzaine de centimètres du sol, le ventre à l'air, immobilisé par la poigne de fer de son adversaire.

- Je te tiens ! Bouge pas, Grim, sinon je te tabasse ici et maintenant sans même écouter ce que tu as à dire.

Respirant comme un lapin apeuré, le petit homme soutint le regard de l'autre, une lueur de désespoir dans les prunelles. Il battait des jambes dans le vide pour essayer de trouver un appui tout en s'agrippant aux bras de son prédateur pour ne pas être étouffé par ses vêtements. Comme il se sentait mal ! Pour un peu, il aurait pu éclater en larmes, juste là, dans les bras de celui qui s'appelait Rosalis Gondemar tant il était mal. Dans sa tête, c'était bien clair : il allait mourir.

- NON !

S'agitant comme une anguille, Grim parvint à s'extirper de son gilet en laine, qui demeura entre les doigts serrés du sous-fifre de l'Ecu Rouge. Il s'écrasa sur les fesses, roula un peu sur le côté, les sens totalement brouillés, et se remit sur ses jambes tremblantes. Il se fit la réflexion idiote qu'il était bien content de l'avoir mis, ce gilet, et de ne pas avoir eu à retirer son chemisier à lacets. Torse nu, il se sentait beaucoup plus vulnérable. Déjà que ce n'était pas la joie …

Tout à sa panique, le jongleur se précipita du côté cour de la maison et, après un regard en bas pour s'assurer qu'il ne risquait pas de mauvaises surprises, sauta.
Sa chute se termina dans une belle flaque de boue, bien épaisse et bien salissante. Au moins, ça avait amorti son arrivée. Il eut un peu de mal à se mettre sur ses jambes et en eut encore plus quand il essaya de s'extirper de là. Il en avait jusqu'aux chevilles.

À présent, son cœur battait si fort qu'il raisonna à l'intérieur de son crâne. Grim fouina à sa ceinture, et sortit de son étui le poignard qu'un milicien, Maroti Asling, lui avait offert il y a longtemps maintenant. Si fuir ne servait plus à rien, et bien, il allait se débarrasser de son poursuivant. Oh, il ne voulait pas s'en servir : jamais il ne pourrait faire du mal, à personne ! Mais il espérait, au moins … l'effrayer, peut-être. Ou juste le tenir un peu loin de lui. Non, honnêtement il se doutait que ça ne servait pas plus que de courir, mais il espérait, c'était tout.

Il avait pourtant été clair, mais il fallait croire que Grim était bien trop effrayé et paniqué pour réaliser la chance que Gondemar venait de lui donner, malgré sa rage évidente. Ne pas bouger lui aurait permit d'éviter d'utiliser la manière forte, mais l'espion cria de peur et se défit de son gilet comme une anguille des mains d'un pêcheur novice, se précipitant déjà vers le rebord de la maison avec l'homme de haute taille sur ses talons. Il n'allait quand même pas sauter ?! Et ben si et l'ancien soldat ne prit pas ce risque, plongeant en avant pour saisir le rebord du toit, se laisser pendre une fraction de seconde et, profitant de l'élan du au poids de son corps, se projeter au sol en roulant dans la boue pour amortir le choc, récupérant ainsi les quelques maigres secondes durant lesquelles sa cible était restée embourbée. Ses fringues allaient avoir besoin d'un bon nettoyage, mais ce n'était pas le moment de penser au personnel chargé de gérer la maison Ecuviel, car à sa grande surprise, ce fut une arme qui apparue dans la main de l'espion.

- ... Grim, je te déconseille fortement d'essayer. Sinon tu m'obligerais.

Gondemar tira de son côté le poignard qu'il emportait toujours avec lui, où qu'il aille, ayant délaissé son épée courte pour cette mission qui allait nécessiter rapidité et efficacité. Faisant miroiter la lame, le Conseiller de Théodemar fixa un regard lourd sur l'homme plus petit qui lui faisait face, passablement embêté malgré son air déterminé.

- Il n'est plus temps de courir et tu le sais. Je ne suis pas venu pour te tuer alors range ça. "Il" veut que tu lui expliques pourquoi tu as raconté certaines choses, mais je peux t'assurer qu'il ne veut pas te faire disparaitre. Cela n'arrangerait pas ses affaires.

Gondemar demeura là où il était, sauf si Grim se mettait à reculer, auquel cas il avancerait alors afin de rester au même niveau que lui.

- Je préfèrerais te ramener sans avoir à te blesser inutilement. Range ton arme et sois raisonnable.

Mais est-ce qu'un homme ayant trahit pouvait vouloir une telle chose ? Probablement pas, sauf qu'ils étaient dans l'arrière-cour d'une bâtisse et qu'on allait pas tarder à les surprendre ici, ce qui entrainerait forcément des appels de détresse à la Milice... et là, ni l'un ni l'autre ne s'en sortirait si aisément.

Sa lame se pointa immédiatement dans la direction de son assaillant qui venait de le rejoindre dans la jolie flaque de boue. Grim tenait son poignard à deux mains pour essayer de moins trembler, en vain. Et cela ne s'arrangea pas quand l'autre dégaina à son tour une arme pratiquement semblable à la sienne.

- … Grim, je te déconseille fortement d'essayer. Sinon tu m'obligerais.

Lentement, le petit homme reculait, espérant créer une distante plus rassurante entre les deux. C'était bien peine perdue, la corde invisible qui les reliait depuis le début semblait s'être resserrée, et le chien d'Ecuviel ne lui laissait pas un petit centimètre de répit.
Il ne savait plus quoi faire. Comme un animal prit au piège, il avait l'impression que tout ce qu'il tenterait serait sans succès. Ses yeux cherchaient une issue tandis que son dos vint se heurter au mur de la baraque.

- Il n'est plus temps de courir et tu le sais. Je ne suis pas venu pour te tuer alors range ça. Il veut que tu lui expliques pourquoi tu as raconté certaines choses, mais je peux t'assurer qu'il ne veut pas te faire disparaître. Cela n'arrangerait pas ses affaires.
- F... foutaises ! Cracha-t-il aussitôt.

À présent, des larmes de panique coulaient sur son visage.

- Je préférerais te ramener sans avoir à te blesser inutilement. Range ton arme et sois raisonnable.
- Je sais très bien ce qu'il va se passer ! Je .. j'le connais, Ecuviel ! Tout le monde sait comment il est, ce qu'il fait à ceux qui le contrarient ! J'veux pas me rendre, vous comprenez ? J'ai pas envie de crever !

Le saltimbanque se déplaça sur le côté pour ne plus avoir le mur de la maison dans le dos. La poigne sur son poignard était beaucoup moins assurée que celle de son adversaire sur la sienne. Il ne cillait même pas. Comme s'il vivait là une situation parfaitement normale. Pour Grim, c'était pire que la fin du monde.
La boue n'aidant pas à se déplacer aisément, le fait que le fuyard tombe en arrière aurait même pu être prémédité. Dans cette terre détrempée, il devait y avoir un caillou plus gros qu'un autre. Caillou qui eut raison de l'équilibre du petit artiste, qui, malgré son désavantage, garda sa lame pointée en hauteur, devant lui. Il avait le visage sale, et les vêtements dans un état bien pittoresque.

- N'approchez pas ! Vous … vous ne m'impressionnez pas ! Et je n'hésiterai pas à me servir de ça !

Comment reprocher à Grim de ne pas se méfier ? Comment ne pas comprendre sa peur quant à son devenir ? Gondemar voyait la lame trembler et le fait que l'espion la tint à deux mains n'aidait même pas à arranger les choses. Le Conseiller tenta bien de le raisonner, mais tout ce qu'il récolta furent des larmes de terreur sur un visage paniqué, alors même qu'il s'avançait en même temps que l'homme reculait. Quand il lui cria qu'il ne voulait pas mourir, l'ex-soldat soupira en sourdine et rangea son poignard, bien décidé à interpeller l'autre à mains nues, quitte à prendre quelques risques.

- Là, tu vois ? Je ne vais pas te tuer alors range ça. S'il avait voulu ta mort, ça serait déjà fait.

Peine perdue, Grim recula encore et son pied trébucha, le faisant basculer à la renverse, pointant son arme en l'air pour se défendre de lui malgré tout. Comme si Gondemar ne valait guère plus qu'un animal prêt à se jeter sur sa proie. Et c'est pourtant ce qu'il fit, à sa façon, se décalant d'un pas de côté pour frapper d'un revers la main tenant l'arme, dans le but de l'envoyer valdinguer et de pouvoir ainsi avoir accès à sa cible. Empoignant Grim par le col, il ne lui laissa pas la chance de s'extirper d'un vêtement et frappa d'un violent coup de poing sa tempe, cherchant à l'assommer sans autre forme de procès. Ainsi il pourrait l'emmener jusqu'à la cave de Ecuviel et faire ce qu'il avait à faire.

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