Marbrume


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 Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé]

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Valériane BarrowmerCoutilier
Valériane Barrowmer



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MessageSujet: Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé]   Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé] EmptyDim 10 Avr 2016 - 18:41




Valériane Barrowmer




Identité



Nom : Barrowmer
Prénom : Valériane
Âge : 32 ans
Sexe : Féminin
Rang : Milicienne / Coutilière dans la Milice Extérieure
Carrière envisagée & tableau de départ avec les 4 PCs :

Carrière : Carrière du Coutilier
Compétences : +2 FOR | +1 HAB | +1 TIR

Compétences et objets choisis :

- Coups Puissants
- Monte
- Pistage
- Tir en Mouvement

Objets choisis


Capuchon en Cuir
Gants en Cuir
Veste en Cuir
Jambières en Cuir
Ensis
Rondache
Arc Court


Physique



Une beauté froide. Morcelée, fragmentée.

Valériane aurait pu être une femme magnifique, qui aurait fait la fierté de son mari, de ses enfants. Rendre jaloux son entourage, ou s’adonner avec mesquinerie à d’inconvenants jeux de séduction. Son potentiel fut grand. Désormais, empoisonné, atrophié, glacé par l’amertume, la colère, les regrets.

Harmonieuse, douce et sensuelle était la silhouette de Valériane. Tout du moins, elle l’était à une époque. Aujourd’hui, comme le vent érode les monts les plus fiers, l’harmonie et la volupté sont éraflées, ne laissant derrière elles que des vestiges, encore perceptibles mais néanmoins brumeux, remplacés par la dureté d’une époque qui de bien des manières s’avère des plus difficiles.

Des mains calleuses, marquées par les années de travaux, et finalement les combats, qui auraient du manier l’aiguille à coudre plutôt que l’épée. Elles étaient faites pour cajoler, habituées à caresser, finalement elles ne servent qu’à détruire, répandre le sang, rendre la justice. Egratignées, griffées. Précédées bar des bras ayant abandonné la grâce pour la rudesse, la dureté et la nervosité. Fins, amaigris par la faim, endurcis par la guerre incessante que livre l’humanité à ses divers fléaux, il serait étonnamment stupide de penser que parce qu’appartenant à une femme, ils ne sont pas capables de dispenser la mort ou la douleur aussi bien que le feraient les bras d’un homme.

Oui, Valériane est assez petite, fine, frappée, comme tous ceux de basse extraction, par la disette, les régimes frugaux, les interminables missions pendant lesquels les repas ne sont que de rares prises de gibier, des fruits secs et d’infectes racines, choisies pour leur pouvoir nutritif plus que pour leur goût. Désormais forgée pour la guerre, il n’y a place ni pour la douceur de traits, ni pour les démarches chaloupées de ces demoiselles se pavanant dans les cours et dans les sombres ruelles de la ville, à la recherche de l’homme au meilleur parti, meilleur visage. Non, Valériane possède un corps svelte, nerveux, aux formes modestes quoiqu’agréables pour peu qu’un jour quelqu’un la voie sans son armure et sans vêtement. Et malgré tout, ce que l’on verrait alors, c’est un corps délaissé par la grâce d’Anür et touché par la sensualité meurtrière de Rikni. Cicatrices, dessins musculeux impropres à la féminité, hématomes, brûlures. Un corps meurtri, devenu fort par nécessité, se refusant tout de même, par nostalgie ou peut-être plus vraisemblablement par regret, à laisser filer les quelques souvenirs d’élégance et de beauté candide qui avaient un jour marqué le physique de Valériane.

Surmontant ce corps, un visage des plus remarquables. Pas tant par sa beauté, qui bien que présente, est sans vergogne piétinée par le temps et surtout, la vie d’une femme soldat. C’est plus la fierté qui émane des traits finement sculptés, le défi, parfois même la provocation. Venant d’une femme, c’est marquant. Et nombre d’hommes vous répondront que c’est également terriblement agaçant. Souvent marqué par des entailles, des griffures parfois, ou de simples bleus, ses yeux d’azur ne fléchiront jamais sous votre regard. Il en est hors de question. Et quoi que vous disiez, vous ne pourrez lire à l’intérieur qu’une seule phrase : “plus jamais”. Cette fierté ne date pas d’il y a longtemps, mais les rudesses de l’époque ont initié de forts changement en cette petite dame, qui à bien des égards se voudra l’égale d’un homme sinon une personne suffisamment marquante pour les intimider. Pourtant, pour qui voudra observer plus avant, il y lira la lassitude, et une profonde tristesse. Si la dureté de ses traits confond le regard et tend à vous proposer l’image d’une femme forte, guerrière, au charme aussi tranchant que la lame de son épée, il ne s’agit que d’une façade. Soucieuse et brisée à plusieurs reprises, elle en garde de fraîches et douloureuses séquelles. Et les juges les plus fins sauront le voir. Derrière le défi se cache l’amoncellement de regrets et d’inquiétude. Ainsi vous ne verrez pas souvent Valériane sourire. Quelques rictus amusés, tout au plus, des ébauches spectrales, souvent nerveuses, mais la sincérité et la pureté des sourires, qu’elle dispensait si généreusement auparavant, n’est plus réservée qu’à sa soeur, la dernière personne qu’il lui reste.

Ayant laissé choir les charmes propres à la gente féminine, la démarche de Valériane est rude et déterminée. Bien qu’elle soit plus petite que la plupart de ses pairs, à plus forte raison dans la Milice, elle n’en manque pas moins ni de présence, ni de fierté. Adieu la démarche chaloupée si promptes à faire réagir ses pairs masculins, et place au port rigide du soldat, aux postures alertes de celle prête à réagir à tout instant aux déconvenues qui, il faut l’avouer, sont fréquentes, ici bas.

Personnalité



Valériane est une personne simple. La vie s’est toujours résumée pour elle en une succession de choix, parfois difficiles, mais néanmoins devant être faits. Elle n’a que faire des préoccupations religieuses de ses actes, elle n’a pas le temps d’émettre des spéculations métaphysiques sur le sens de la vie, ou de philosopher près d’une cheminée, refaisant le monde par des mots et des pensées. Elle ne peut qu’agir, avancer, et c’est sans rechigner qu’elle se plie à cette loi.

Eduquée dans le respect de la religion et des préceptes des Trois, on peut aisément deviner qu’elle est parfaitement croyante, et si Rikni est sa déesse de prédilection, Anür a une place toute particulière dans son coeur. Elle prie souvent, à l’adresse deux déesses, pour des raisons différentes mais qui lui tiennent à coeur, oubliant un peu Sérus, qui s’il reste un dieu et par voie de conséquence élément important de sa vie, ne revêt pas à ses yeux une aussi grande priorité que les deux autres.

Le reste.. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une personnalité laissée à la dérive. Les changements se sont simplement faits par nécessité, sans que la dame ne prenne le temps d’y réfléchir. Et ainsi, de tout temps, elle n’a jamais, sauf peut-être une fois dans sa vie, honte de ce qu’elle pouvait être. Si on lui demandait de refaire ces choix, elle prendrait les mêmes décisions. Sans hésiter.

En surface, Valériane est une personne dure. Brutale même. Pas par choix, mais parce que c’était la seule option sécurisante. Une femme soldat est à bien des égards méprisée, et détestée. Pour tenir cela, elle dut s’endurcir, aidée par ses pairs (assez violemment avouons le), et par la situation désastreuse dans laquelle plongea la ville et le duché quand la Fange l’envahit. Si ni l’ennemi ni l’allié ne vous offrent de la compassion, ou même seulement du respect, devriez-vous malgré tout essayer de leur en offrir ? La réponse fut découverte par Valériane, et elle était d’une confondante simplicité : non. Il n’y avait aucun retour à espérer, lorsque vous tentiez d’être compréhensive, docile, compatissante. Le retour était peut-être même pire. Cela devenait même une véritable faiblesse, car emportée par vos émotions, vous deveniez même incapable de vous défendre. Et s’il y avait toujours moyen de répliquer envers les hommes de son unité, la Fange, elle, ne faisait aucun cadeau. Alors Valériane laissa tomber ces faiblesses pour se doter d’un mental d’acier où la faute, la faiblesse d’esprit et même la plus élémentaire des gentillesses ne transparaît en aucune manière.

Pourtant, elle n’est pas de ceux qui ont choisi la guerre pour seul art de vivre. La situation a beau être désastreuse, la femme aspire tout de même à des jours meilleurs. Si elle se bat, c’est parce qu’elle ne veut plus jamais voir sa vie gouvernée par le sort, et qu’elle veut assurer un avenir à sa soeur. Ou au moins, mourir en ayant essayé.

Sous la couche de roc et d’acier, l’on retrouvera une femme inquiète pour sa petite soeur, partie pour Traquemont après qu’elle-même se soit engagée dans la milice. Elle possède également un esprit vif, bien que très peu cultivée. Sa vie n’a rien de celle de ces femmes aisées, ou pire, celles des nobles, qui ont suffisamment de temps à perdre pour manier les lettres et la musique, apprendre à danser et à “bien se tenir”. On ne lui a appris que le tir à l’arc, la couture et la cuisine, et les meilleures façons d’être une bonne épouse. Elle sait compter, et tout au plus a-t-elle naturellement une belle voix, qu’elle n’utiliserait jamais pour chanter. De toute façon, l’idée ne lui traverserait pas l’esprit.

Valériane est en outre une personne confiante, mais méfiante. Elle n’accorde que rarement sinon jamais sa confiance. Cependant, dans le cas où cela arriverait, elle serait alors d’une indéfectible loyauté. La duperie et la trahison sont des traits qu’elle abhorre, et elle vous le ferait amèrement regretter si d’aventure, vous vous mettiez en tête de vous servir d’elle. Bien qu’elle l’accepte pour la milice, contrainte d’obéir aux ordres de son sergent, elle est bien différente en dehors de celle-ci.

En dehors de cela… Elle possède un tempérament des plus enflammés, si bien que se retrouver en présence non d’une seule Barrowmer mais des deux, est parfois une épreuve très, très éprouvante. Opinâtre, voire même têtue comme une mule, elle ne démord jamais de ses idées, quand bien même vous lui mettriez les preuves de son tort sous le nez. Associez cela à une mauvaise foi parfois infernale, et une réactivité sanguine, parfois incontrôlable et disproportionnée, et vous avez là la recette d’un cocktail détonnant, à ne surtout pas faire entrer en contact avec un élément de type Ilhanne Barrowmer, si vous tenez vraiment à vos dents ou votre santé mentale.

Histoire



Chapitre Premier


Aujourd’hui, le temps était particulièrement maussade. Au dessus des ruelles de Marbrume, les nuages sombres s’étendaient à l’infini, telle une chape de plomb, déversant un crachin mou, lourd, ininterrompu. Hors de la petite maisonnée, on entendait distinctement le clapotis des gouttes dans la rue. De temps à autres, on percevait un bruit plus net, celui des pas rapides de quelque croquant se dépêchant de rentrer chez lui, avant d’être complètement trempé. Ce temps donnait l’impression que l’univers entier se déclinait en nuance de gris, de vert, et parfois de brun, terni par quelque sombre maléfice. Les dieux en voulaient-ils aux hommes, pour les priver ainsi des rayons solaires depuis des jours ? Impossible à dire. Mais ce temps avait quelques avantages. Celui de pousser les sujets à rester dans leur cocon, chez eux, au coin d’une cheminée, ou à défaut, d’un poêle. C’était très amusant, pour l’enfant qui nettoyait, laborieusement, le sol poussiéreux de la petite maison. A l’extrémité nord est du Labourg, Valériane et ses parents vivaient, sinon aisément, convenablement, dans une bâtisse obtenue à bon prix par leur père, soldat de métier dans l’armée ducale. Il était un bon soldat. Vaillant, fidèle et loyal à ses engagements, son seul défaut était peut-être son manque de présence au nid familial. Mais ni son épouse, couturière de métier, ni sa fille, qui avait à peine plus de la dizaine d’années, auraient été suffisamment bêtes pour le lui reprocher. Il aimait sa fille de tout son coeur, et traitait sa femme avec respect. Etant une famille assez pauvre, ils avaient adopté comme philosophie de simplement se contenter de ce qu’ils avaient, ce qui était déjà une excellente chose. Le solde du paternel et les quelques pièces de tissu, finement cousues d’ailleurs, que vendaient parfois la mère suffisaient largement à leur bonheur. Ils vivaient pieusement et modestement, cela leur convenait tout à fait.

Mais aujourd’hui, c’était un jour particulier, surtout pour la petite Valériane. Le père rentrait de campagne, bientôt. Quelques heures plus tôt, alors qu’elles louvoyaient parmi la foule amassée dans la Hanse pour vendre leurs petites frusques et trouver de quoi manger pour le soir, un héraut était passé pour annoncer la nouvelle d’une campagne réussie et victorieuse pour Morguestanc. L’armée ducale avait une fois de plus démontré sa vaillance, son courage, et ses généraux avaient été, une fois encore, de fantastiques stratèges. Peu de pertes à déplorer, et par dessus tout, un nouveau territoire annexé. Valériane comme sa mère entendirent la nouvelle avec joie, et pour une fois, achetèrent bien plus de denrées que de raison. Il fallait forcément fêter ça. En leur coeur, la femme et sa fille espéraient de tout coeur et priaient les Trois pour que le chef de la petite famille soit indemne. Chaque jour depuis son départ, Valériane prenait quelques minutes pour aller au temple, et adresser offrandes et copieuses prières à Rikni, lui assurant que son père était digne de ses faveurs. Jusqu’à présent, à chaque fois que son père était parti en campagne, cela avait fonctionné. Nul doute que cela marcherait cette fois encore.

Sitôt qu’elles furent rentrées, Valériane et sa mère se mirent au travail. Le petit fût de bière fut déposé à l’étage, sur le rebord de la fenêtre, pour être bien froid. Le vin fut mis au sec, et une fois que le petit salon fut débarrassé des tissus, des poupées de chiffon de Valériane, qui jouait sans grand enthousiasme à reproduire les fantasques combats de son paternel, tels qu’elle se les imaginait, elles s’attelèrent au repas. Pour une fois, et parce que c’était un jour tout à fait spécial, elles auraient de la viande à manger. Et pas n’importe quoi, s’il vous plaît ! Car les rares fois où elles en mangeaient, la viande était de gamme inférieure, comportant autant de muscles que de nerfs, et la plupart du temps, déjà brunie à de nombreux endroits. Cette fois, Valériane elle-même avait pris soin de choisir la plus belle pièce, d’un rouge vif qui ravissait l’oeil, dépourvue du moindre nerfs, épaisse et tendre. Une pièce au dessus de leurs moyens, mais si belle, et pour un jour si particulier, que tant pis s’ils mangeaient des racines pour la semaine qui suivrait. Après tout, la mère finirait bien par vendre quelques robes et napperons.

Valériane ne savait pas grand chose, il fallait bien l’avouer. C’était tout à fait normal remarquez. Sa mère lui avait appris à compter, lui apprenait les choses de la religion qu’elle se devait de connaître, et la couture. A cuisiner, aussi. Plus tard, quand elle aurait saigné pour la première fois, elle devait déjà être prête, tout comme sa mère avant elle, à être une épouse parfaite. En ayant de la chance, elle n’aurait même pas besoin de commercer. Si elle trouvait un assez bon parti, alors elle n’aurait qu’à enfanter, s’occuper du foyer, et rendre son époux heureux et fier. Valériane était vive d’esprit, et savait que sa mère lui parlait là de la meilleure existence possible pour une femme de leur condition. Toujours respecter les nobles, les soldats, et les hommes et femmes des Dieux. Prier souvent, et être prompte à enfanter des enfants vaillants et solides. Sa mère ne lui avait jamais vraiment parlé comme à une enfant à proprement parler. Une chose que la petite appréciait grandement.

Son père quant à lui, était fils de bourgeois, et avait choisi dès son plus jeune âge l’armée au commerce. Sa famille avait toujours contribué activement au commerce de la ville et du duché. Orfèvres de pères en fils, Elbert Barrowmer, car tel était son nom, était cependant le dernier d’une fratrie de quatre mâles. Ainsi, le premier avait hérité des commerces, le second s’était engagé dans la voie religieuse, tandis que les deux autres avaient rejoint l’armée. Inutile de cacher qu’Elbert aurait aimé un fils. Cela étant dit, il ne regrettait pas le moins du monde d’avoir eu la petite Valériane en tant que fille. Et pour preuve, le peu de moments privilégiés qu’ils partageaient, ils le faisaient en dehors des murs de la cité, dans des champs ou à la lisière des marais. Parfois ils pêchaient, mais surtout, au grand dam de sa mère et au bonheur de son père, Val apprenait le tir à l’arc. Nullement dans un but défensif, mais son père était franc-tireur, et ne voyait pas le mal à voir sa fille manier, quand elle le pouvait, un arc. L’on pouvait voir ça comme de simples moments partagés, d’amusement, où la petite tirait tant bien que mal sur la corde raide, usée, de l’arc de son père, au bois raidi par le temps, parvenant à peine à faire tenir la flèche sur ses doigts, et peinant à envoyer le projectile droit, ou à plus d’un ou deux mètres devant elle. Depuis le temps que son père et elle s’amusaient, cependant, elle ne manquait pas d’habileté, et était désormais capable de tirer dans l’arrière-train d’un boeuf en train de tirer une charrue à plus de vingt mètres, sans l’avoir voulu une seule seconde. Ce qui amusait son père à peu près autant que cela l’affligeait. Car le boeuf, terrifié et endolori, transformait les sillons soigneusement tracés par le paysan qui s’en occupait en une espèce de maelström terreux, paysage apocalyptique, présidé par un paysan furieux et un boeuf en furie. Un spectacle des plus hilarants, mais néanmoins ayant coûté quelques piécettes à Elbert, et de sévères réprimandes du paysan outragé sur les risques d’un tir perdu adressées à Valériane. Qui, fatalement, peinait à prendre un air contrit, alors qu’elle ne demandait qu’une chose : éclater de rire.

Des moments privilégiés, et très agréables, car en dehors de ces frasques, la petite était tout à fait adorable, et même le paysan diabolique avait fini par s’adoucir. Et agrémenter le derrière de son boeuf de pièces de cuir destinées à… le protéger du soleil, évidemment.

Alors que la viande cuisait, que le vin avait été débouché et décantait lentement, un cliquetis métallique se fit entendre derrière la porte d’entrée de la maisonnée. Il faisait presque nuit. Ou en tout cas, le ciel s’était plus assombri qu’il ne l’était avant, ce qui indiquait vaguement l’heure qu’il devait être. Probablement une fin de journée plus qu’un début de soirée, à vrai dire, mais le temps maussade était présent depuis tant de jours qu’il était difficile d’évaluer l’heure. Quoi qu’il en soit, l’attente que Valériane qualifiait volontairement d’interminable arrivait enfin à son terme. Et quelle ne fut sa joie en voyant entrer son père, crasseux comme s’il avait pris un bain de boue, boitillant légèrement, accompagné par cette odeur de cuir humide, de fer et de sueur que Valériane lui connaissait si bien, et affectionnait particulièrement. Bien qu’il eut l’air exténué, qu’il fut boueux, puant et probablement légèrement blessé, il accueillit sa fille d’un grand sourire, enfoui au milieu de la touffe de barbe et de moustache, pas entretenue depuis des semaines, quand elle lui sauta dans les bras. Evidemment sa mère ne put retenir un soupir de désespoir et d’exaspération. La robe que portait Valériane avait été lavée la veille, et voilà qu’elle la couvrait de boue… Mais néanmoins heureuse de retrouver son époux, elle ne dit rien, et l’aida à se dévêtir, impatiente de pouvoir passer à table, puis prendre enfin soin de lui. Sa blessure à la jambe ne semblait pas sérieuse, comme il le dit, une flèche l’ayant simplement frôlé alors qu’il se mettant en position de tir. Comme à chaque fois qu’il revenait, sa femme comme sa fille lui contèrent qu’elles avaient prié Rikni chaque jour, et heureuses de voir que leurs suppliques avaient porté leurs fruits, elles prieraient cette fois pour que le Duc calme ses élans de conquête, et ne l’envoie plus jamais en campagne. Ce petit rituel était coutumier, il avait lieu à chaque fois que l’homme de la maison rentrait de campagne ou d’une manoeuvre d’exercice, aussi, il acquiesça, comme toujours, et alla dans leur sens. Il savait très bien que les nobles du royaume, surtout les plus puissants, ne se satisfaisaient jamais des terres qui leur avaient été octroyées, et que d’intenses rivalités territoriales secouaient la cour des sang-bleus. Alors, il était à peu près certain qu’il devrait repartir. Que ce soit pour conquérir ou défendre. Mais l’heure n’était pas aux sombres pensées. Son domicile, aussi exigu soit-il, lui avait manqué, tout comme sa femme et leur progéniture.

--- ### ---


«Tu t’en sors bien. Voilà, comme ça. Il faut que la flèche suive bien le tracé de ton regard, surtout. Et garde les deux yeux ouverts. Voilà. Il faut que le tir soit juste le prolongement de ton regard. Si tu fais comme ça, tu rateras rarement ta cible.»

Elbert avait obtenu l’autorisation d’un ami bûcheron de jouer dans le jardinet de leur maison, dans les faubourgs de Marbrume. Il faisait beau, ce jour là, et Elbert avait décidé d’emmener sa fille, profitant d’une permission, pêcher, et tirer. La mère de la petite avait eu un froncement de sourcil équivoque quand Elbert prit l’arc, mais ne dit rien. Elle avait du travail, et surtout, ne saignait plus depuis quelques temps. En vertu de tout ce que cela impliquait, elle était d’excellente humeur.

La petite, comme son père le soulignait, s’en sortait de mieux en mieux. Placer la flèche et la maintenir en place était devenu instinctif, mais tendre la corde… Voilà qui réclamait quelque chose dont elle manquait cruellement : la force brute. Ainsi, les cibles, de vulgaires bûches de bois mort, des souches pourrissantes, et surtout pas de boeuf en plein travail, n’étaient pas à plus de dix ou quinze mètres. Cela limitait grandement les risques de flèche perdue (encore que, Valériane pouvait se montrer très surprenante, et la trajectoire de ses projectiles encore plus) et facilitait grandement ses tirs, la corde n’ayant pas besoin d’être tendue à son maximum.

Voilà ainsi quelques heures que le père et sa fille s’amusaient dans le jardin, sous le soleil clair de l’hiver. Quelques fois Valériane regrettait de ne pas être le fils que son père avait désiré. Un regret léger, une pensée fugitive, car si elle avait été un homme, alors elle aurait pu suivre les traces de son père chéri. Quelque part, les Trois durent l’entendre.

Une fois rentrés, le repas encore fumant sur la table les attendaient. Frugal, comme toujours, il ne se composait presque exclusivement que de légumes et de fruits de saison. Quelques racines avaient été ajoutées pour rendre le tout copieux, et la mère de Valériane avait pu obtenir à bon prix quelques pavés de fromage en troquant ceux-ci contre des robes qu’elle avait cousu plus tôt. Ces moments étaient, de loin, les préférés de la petite. Le poêle à bois chauffait la maisonnée avec ardeur. Le vent, soufflant maintenant avec rudesse et sans discontinuer, provoquait d’intense craquements de bois tout autour d’eux, et par contraste augmentait encore la sensation de confort que tous ressentaient à cet instant. Après une brève prière adressée à Serus, ils commencèrent leur repas. C’est ce jour là, alors que Valériane se débattait avec les couverts grossiers et sa nourriture, les mains toutes écorchées par les tirs répétés à l’arc de son père, que la petite apprit qu’elle allait être grande soeur.

Si ce moment était pour elle, et pour toute la famille, un intense ravissement, il ne durerait pas. Comme tout élément déclencheur, qu’il soit bon ou mauvais, il allait marquer le début d’une vie terriblement difficile.




Soi réel




Certifiez-vous avoir au moins 18 ans ? Oui. :v
Comment avez-vous trouvé le forum ? (Topsites, bouche à oreille...) :v
Vos premières impressions ? :v
Des questions ou des suggestions ? :v



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Dernière édition par Valériane Barrowmer le Dim 17 Avr 2016 - 0:17, édité 1 fois
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Valériane BarrowmerCoutilier
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MessageSujet: Re: Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé]   Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé] EmptyMar 12 Avr 2016 - 19:45
Chapitre Deux


Amusant de voir comme l’oeil perçoit différemment les choses selon les situations. Auparavant, la maisonnée des Barrowmer était… pleine de vie, haute en couleur, et toujours animée d’une activité vivace, ou d’un calme reposant, mais vibrant d’une présence, peu importe laquelle. Quelques fois, l’on entendait le craquement discret d’une latte de bois, ou simplement, affairée à quelques préparation ou travaux, la respiration, un râle, ou encore les froissements de robe de la mère Barrowmer. Le poêle, presque toujours allumé, craquait gaiement à toute heure. Quand Elbert était éveillé, l’on entendait toujours le bois craquer partout sous son poids, et quand il dormait, ses ronflements s’entendaient d’un bout à l’autre de la maisonnée. Mais surtout, cette ambiance était toujours au beau fixe, malgré les problèmes, soit financiers, soit de santé, ou même tout simplement les affres des guerres qui venaient parfois assombrir le moral de chacun d’entre eux.

Ce n’était plus le cas depuis quelques temps. Le poêle brûlait toujours, mais la chaleur qu’il diffusait semblait factice. La demeure semblait avoir perdu ses couleurs, ou au moins leur intensité. Tout se teintait de gris, comme si le temps mettait un point d’honneur à ne jamais diffuser qu’une lueur fade, maladive. Les craquements chauds du bois étaient devenus sinistres, et n’auguraient jamais rien de bon. Le reste du temps, on n’entendait rien, un silence pesant s’était installé, et ne variait jamais ou presque. Il en était même devenu étouffant. On n’entendait plus les souffles amusés ou exaspérés de la mère de Valériane et d’Ilhanne, sa petite soeur. On n’entendait plus les froissements agréables de sa robe, ni les bruits qu’elle faisait inévitablement en préparant les repas. Elle était morte quelques temps auparavant. Sa seconde grossesse avait été très difficile. Après l’accouchement et la naissance d’Ilhanne, sa santé, déjà fragilisée, ne s’était pas améliorée. Tout l’inverse à vrai dire. Elle finit par succomber à la maladie, emportée par le mal au domaine d’Anür. Valériane, aussi abattue que son paternel lors de ce drame, n’était pourtant pas au bout de ses peines. Elle savait l’amour qui unissait leur petite famille, quand bien même Elbert fut, une fois de plus déçu de ne pas avoir un fils pour perpétuer sa lignée. Il n’en aimait pas moins la petite Ilhanne, et qui sait, peut-être une autre fois auraient-ils un fils. L’espoir demeurait. Jusqu’au départ de leur mère. A partir de ce moment là… La vie des deux jeunes soeurs prit un tournant pour le moins désagréable et décisif. Terminé les séances de tir à l’arc ou de pugilat, plus de pêche. Alors qu’auparavant, Valériane attendait avec impatience le retour du chef de maison, les fins de campagne de l’armée étaient désormais une source d’angoisse et d’appréhension. Et plus le temps passait, plus cette appréhension se muait en terreur.

--- ### ---

Le temps, comme rappel d’une autre ère, d’un autre temps, était maussade. Un crachin poisseux se déversait sur la ville sans discontinuer. L’on entendait, dans les rues, à cette heure tardives, de nombreuses personnes rentrées chez elles, dans un état d’ébriété plus ou moins avancé. Certains hurlaient, mélange entre borborygmes alcoolisés et insanités proférées à l’encontre de qui voulait bien les entendre. Plus loin encore, si l’on tendait l’oreille, on percevait les martèlements métalliques d’un forgeron, assidu, et suffisamment débordé de travail pour exercer aussi tardivement. Non loin du temple, dans cette petite maisonnée qui ne recelait plus en son sein que peur et tristesse, une jeune femme regardait sa petite soeur jouer, avec quelques poupées de chiffon que sa mère avait confectionné, à une époque qui paraissait si loin qu’elle semblait appartenir à une autre vie. Surveillant qu’elle ne s’approche pas du poêle à bois, elle s’occupait de couper quelques légumes, préparant le repas du soir. Son regard recelait un mélange de tendresse, adressé à sa soeur, encore innocente et pleine d’énergie, à une profonde lassitude mêlée de douleur.

Alors qu’elle plongeait les légumes fraîchement coupés dans le bouillon qu’elle avait préparé, à base de racines et de vin de cuisine (elle ne savait plus à quand remontait la dernière fois qu’elle avait mangé de la viande), un raclement sourd se fit entendre, le long du mur qui donnait sur la rue. Quelques secondes plus tard, un battement sourd secoua la porte, accompagné d’un grognement aviné. Le retour du soldat. Instinctivement, l’estomac de Valériane se noua, et c’est les mâchoires serrées, la peur au ventre, qu’elle laissa mijoter le tout sur le poêle, et prit sa soeur dans ses bras pour l’emmener à l’étage, dans la pièce exigüe mais proprette qui leur servait de chambrée. Elle alluma les bougies de la petite pièce, et une fois sortie, calfeutra avec quelques linges les interstices de la porte, espérant que cela suffise à atténuer les bruits qui n’allaient pas tarder à éclater en bas.

«Grmph… J’faim. C’est pas encore prêt ?!»

Valériane supporta sans broncher l’haleine fétide et alcoolisée de son paternel. Il était devenu… méprisable. Affligeant. Il ne rasait plus l’espèce de buisson crasseux, parsemé de miettes et de gras qui entourait le bas de son visage. Son teint, il y a quelques années délicieusement hâlé, buriné par le grand air, s’était creusé de rides aigres. Sa peau, et surtout son nez, étaient constellés de vaisseaux éclatés, violacés, rendant répugnant jusqu’à son simple aspect. Même son regard, autrefois rieur, pétillant d’amusement ou de tendresse, n’était plus qu’un cloaque d’émotions troubles, agressives, s’éveillant avec mollesse dans la marée trouble de mires vitreuses, n’ayant même plus la capacité de regarder les gens en face. Un spectacle horrible et dégoûtant qu’il infligeait à sa famille depuis déjà un petit moment. Il avait grossi, et sa fille ne pouvait s’empêcher de trouver de plus en plus de points communs entre lui et les porcs d’élevage… à l’avantage de ces derniers.

«J’ai du m’occuper d’Ila, elle est un peu fiév...»


Sa phrase ne trouva pas sa fin que sa tête partit brutalement sur le côté, aidée en cela par la main brutale de son père. La douleur éclata dans sa mâchoire et dans son crâne. La force du coup fut telle que sa vision se brouilla un instant, et elle attendit de pouvoir bouger la tête sans subir de vertiges. En sus de la chaleur qui envahit rapidement tout son crâne, un goût métallique et amer emplit sa bouche. Les dents serrées, elle refusa de produire le moindre son, et se contenta de s’incliner en guise d’excuse. Afin de le faire patienter, malgré ses paroles venimeuses ininterrompues, elle déposa devant lui, assis lourdement à table, leur dernière miche de pain. Elle voulait l’utiliser pour rendre le ragoût plus copieux mais… Tant pis.



--- ### ---

Cette période dura longtemps. Trop. Quand Ilhanne eut atteint sa huitième année, et ayant de plus en plus de mal à l’épargner elle aussi des violences de leur paternel, qui se montrait odieux dès qu’il rentrait de campagne, à une intensité croissante, elle décida de l’emmener avec elle hors de la ville, comme son père, son vrai père et non l’immonde primate qui vivait chez elles par intermittence, afin de l’entraîner, par jeu autant que par nécessité préventive, à se battre. Rien d’extrêmement sérieux, seulement des passes à main nues, et du tir à l’arc. Valériane n’était pas quelqu’un d’idiot. Et elle savait pertinemment que sa soeur non plus. Qu’elle soit là ou non, elle savait très bien ce qu’endurait l’aînée de la famille, et la cadette s’était plusieurs fois retrouvée face à un ivrogne animée par une rage sortie du néant. Le bûcheron à qui appartenait le jardin dans lequel elle tirait avant été tout à fait ravi de la revoir, encore plus en voyant la bouille de la petite Ilhanne. Sans entrer dans les détails, Valériane évoqua seulement la vie difficile en ville, et le besoin qu’avaient les deux soeurs de se ressourcer, passer du temps ensemble à jouer et se détendre. Cela étant, les marques violacées, dissimulées tant bien que mal par sa robe et un châle, ne trompaient pas le vieil homme. Et comme cela ne le regardait en rien, il accepta simplement de les laisser utiliser le vieux bois dans son jardin pour tirer dessus.

Cette situation dura longtemps, quelques années encore. Un jour cependant, alors qu’Ilhanne et sa soeur profitaient d’un moment de paix, au calme dans leur petite maisonnée, un battement sourd, sec, se fit entendre contre la porte. L’intrigue était au rendez-vous. Personne ne venait jamais chez eux. De temps en temps, quand Valériane avait un moment de libre, elle cousait un peu, et si elle était loin d’avoir le talent de sa mère, elle arrivait parfois à produire de belles pièces, qu’elle revendait une misère aux marchés pour leur fournir de quoi égayer la table. Il ne fallait pas se leurrer, c’était loin d’être suffisant, et si le père, tout ignoble qu’il était, ne ramenait pas régulièrement de l’argent à la maison, elles n’auraient jamais pu survivre. Alors pendant ses absences, elles ne mangeaient qu’un repas par jour, frugal et pauvre de goût comme de quantité, mais quand il était là… Elles pouvaient presque manger à leur faim. C’est une des raisons qui poussaient Valériane à endurer sans sourciller les supplices et violences qu’il pouvait leur faire subir.

Mort. Elbert Barrowmer, leur père, était mort. En campagne, loin d’ici. Valériane accusa le coup, sans en mesurer encore les conséquences. Elle remercia simplement le soldat qui était venu leur annoncer la nouvelle. Le fait que quelqu’un vienne les voir l’avait tellement étonnée qu’elle n’avait même pas demandé à Ilhanne de sortir de la pièce, comme elle pouvait le faire lors des retours redoutés de leur géniteur. Ainsi, elle aussi avait entendu la nouvelle. Et si elle n’avait pas assez connu le vrai père qu’il avait pu être, Valériane, elle, en gardait de fantastiques souvenirs, les meilleurs de sa vie. Pourtant, au fond d’elle, un indicible soulagement se répandit, mêlé de crainte. Car désormais, elles allaient devoir se débrouiller par elles-même.

Mais c’était sous-estimer les petites Barrowmer que de penser qu’elles n’arriveraient pas à s’en sortir. Ilhanne trouva rapidement un travail dans un bouge certes pourri, où le travail était ingrat et le solde tout à fait insuffisant, mais de son côté, Valériane connaissait très bien les paysans des faubourgs, ceux-là même dont elle avait parfois amoché les bestiaux à l’occasion d’un tir raté. Ces épisodes étant entré dans la catégorie des souvenirs amusants pour les deux parties, et étant une acheteuse assidue de leurs légumes, elle réussit à négocier son aide en échange d’un revenu, pauvre en argent, mais lui permettant de ramener gratuitement quelque récolte à la maison. Quand elles avaient un moment de libre, même si c’était moins fréquent, elles retournaient aux champs s’entraîner. Les effets personnels qui lui avaient été rapportés, malgré les douloureux souvenirs qu’ils évoquaient, leur servaient bien. Ces moments ensembles, devenus une habitude à la fois pour passer du temps ensemble et se sortir du trou dans lequel elles ne faisaient rien d’autre que souffrir de la présence de leur paternel, et à défaut, craindre son retour, renforçaient pas mal leur lien. Valériane, forcée de jouer à la fois le rôle de mère et de soeur, était heureuse de pouvoir passer ce temps, agréable, avec Ilhanne. Qui sait, cela ne leur servirait peut-être à rien, sinon à s’amuser dès qu’elles le pouvaient. Bien sûr, aucune des deux jeunes femmes ne se doutait d’à quel point cet entraînement, aussi basique, amusant ou même frivole soit-il, leur serait précieux.

Plusieurs fois, en travaillant aux champs, Valériane eut l’occasion de voir revenir des convois entiers de soldats, rentrant fièrement ou pitoyablement en ville en fonction du déroulement des combats. Parfois c’était pendant qu’elle entraînait sa soeur. Elle supportait alors, une lueur de défi dans ses prunelles azur, le regard moqueur des hommes d’armes, qui jugeaient d’un air confondant le mépris à la moquerie, les deux femmes qui “jouaient” à tirer des flèches. A plusieurs reprises, la tentation était grande, et il avait fallu à Valériane plusieurs soupirs exaspérés pour se retenir, de leur envoyer une flèche dans le derrière, comme à ce boeuf, mort et mangé depuis longtemps, qui avait conservé un cuisant souvenir sur son arrière train des compétences de tir (déplorables à l’époque, certes), de la jeune blonde.

Surtout à ce jeune soldat, qui avait osé les siffler à quelques reprises, accompagné du rire gras de ses collègues, les moquant ouvertement. Une autre fois, il avait été plus complaisant. A ce moment là, Valériane guidait un boeuf labourant un champ, sans réellement faire attention à ce qui se passait autour. Fier comme un butor, visiblement très confiant, il était venu voir si la demoiselle ne serait pas encore en train d’envoyer des traits à tout va. Profitant visiblement d’une permission, il avait décidé de tromper son ennui en allant ennuyer les honnêtes gens, sans forcément se douter du tempérament de la personne en face. Valériane l’avait jaugé du regard, impassible. Plusieurs fois déjà, sur le lieu de travail de sa soeur, elle était intervenue auprès de clients particulièrement insistants, voire carrément grossiers, qui aguichaient sa soeur avec un peu trop de véhémence. De ce qu’elle en savait, cela avait eu un sacré effet, en plus de donner aux Barrowmer une sacrée réputation de terreurs.

Le soldat était bel homme, assuré. Il lui plaisait. Son impertinence insolente, son côté moqueur et irrévérencieux, accompagné d’un sens de l’humour certain, Valériane fut bien forcée de l’avouer après quelques joutes verbales, finirent par avoir raison d’elle et de sa dureté. Son père lui aurait probablement trouvé un mari, de toute façon, et… Et il aurait été, sûrement comme celui-là, dans l’armée ou titulaire d’un métier plus prestigieux que celui de simple paysan. Quant à l’homme, Alec, le côté farouche et indomptable de Valériane semblait tout à fait à sa convenance.

Quelques mois plus tard, ils étaient mariés. Le seul véritable héritage de Valériane étant sa maison, c’est tout ce qu’elle put offrir à l’homme dont elle était tombée amoureuse. Pauvre également malgré son métier, il ne lui offrit que le bonheur de porter son enfant. Sitôt mariée, Alec s’était mis en tête de lui faire un enfant. Et de fait, lui interdit d’aller travailler à nouveau. Si elle continuait à prendre des moments de solitude pour sa soeur, surtout quand son époux était en campagne ou en manoeuvres, elle avait bien compris ce que sa mère lui avait appris, et montrait, en contraste avec son tempérament, une surprenante docilité. Elle était mariée, avait sa soeur près d’elle, et surtout, au bout de quelques mois, se rendit compte qu’elle était enceinte.


Dernière édition par Valériane Barrowmer le Jeu 14 Avr 2016 - 1:04, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé]   Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé] EmptyJeu 14 Avr 2016 - 1:03
Chapitre Trois


Valériane vérifia que Cyras était bien emmailloté avant de quitter la chambrée. Elle occupait désormais l’ancienne chambre de ses parents, en compagnie de son époux, et de son fils, âgé seulement de quelques mois. Elle avait laissé le maximum d’intimité et d’indépendance à sa soeur. Elle devait sûrement y être, d’ailleurs, mais elle ne la dérangerait pas. Avant cela, elle devait se soumettre à une épreuve devenue quasiment quotidienne depuis des semaines. Et cela ne l’enchantait en aucune manière. Etrangement, la maison semblait avoir retrouvé quelque couleur et une vie intérieure satisfaisante. Quelques années plus tôt, le vide laissé par le départ de ses parents était presque palpable. Fort heureusement, la tranquillité dont bénéficiaient les deux soeurs était appréciable, et leur temps était suffisamment occupé par leurs divers travaux pour qu’elles ne ressentent pas trop ces absences. Depuis l’arrivée d’Alec parmi eux, on retrouvait un peu de cet esprit familial qui avait bercé l’enfance de Valériane. Un temps seulement.

La jeune mère descendit doucement les escaliers, la main dans le dos. Elle avait encore de sévères douleurs post-partum, et ressentait d’intenses vagues de fatigue. Son dos particulièrement, semblait complètement désarticulé, et elle ressentait encore de vives brûlures au bas-ventre. De quoi frustrer son mari, qui ne ratait que peu d’occasion de lui rappeler que le devoir conjugal était très, très important pour lui. Quelques fois, elle se laissait faire et le laissait prendre possession d’elle. Ce qui n’avait rien d’agréable, et semblait même prolonger les douleurs qui avaient accompagné la fin de sa grossesse, et sa suite. Mais il fallait croire que les sentiments de la jeune femme avaient suffisamment gagné en intensité pour ne pas broncher dans ce genre de cas. Et puis n’était-ce pas son rôle en tant qu’épouse de satisfaire son mari à tout point de vue ?

Une fois en bas, elle constata que son époux était toujours en train de manger. Par principe, Valériane cuisinait pour tout le monde, mais emmenait les parts d’Ilhanne dans sa chambre. Alec et elle ne s’entendaient pas du tout. Ilhanne n’était pas une fille qui se laissait faire, mais cela ne venait pas d’elle, malgré son tempérament pas forcément facile à vivre. Alec s’obstinait à la considérer comme un poids, une gêne dans leur maison. Pourtant, Valériane lui avait maintes fois expliqué qu’elle n’allait pas jeter sa soeur dehors pour le simple confort de son mari, et que son travail leur aidait d’une précieuse aide. Sans quoi, la moitié des mets que l’on avait sur la table chaque jour n’y seraient pas. En outre, bien qu’elle eut un travail, ce n’était pas suffisant du tout pour se payer un logement. Marbrume était très peuplée, et se trouver une maison était déjà difficile, même hors des murs, mais les prix étaient bien trop élevés pour des gens comme eux. Pour preuve, même Alec n’avait pu se payer de logement, l’habitation de sa famille étant revenue, comme il convenait, à son frère aîné. Quand il n’était pas là tout était plus simple, mais dès qu’il était de retour, c’était le même cirque, chaque soir ou presque. Pire que cela, elle avait l’impression de revivre avec lui ce qu’elle vivait avec son père. Mépris, ivresse… Il n’était pas violent, en tout cas rien de plus que quelques bousculades, que la jeune femme encaissait tout à fait. Non, le problème se situait ailleurs. Elle se retrouvait dans une position épuisante, obligée de jouer le tampon entre son époux et sa soeur. Elle ne voulait perdre ni l’une ni l’autre, quitte à devoir en souffrir. Valériane avait beau pousser son époux à apprendre à connaître sa soeur, pour se rendre compte par lui même à quel point elle était une fille bien, il ne voulait rien entendre. Ainsi, au bout de seulement quelques mois, alors que Valériane pensait que leur vie à sa soeur et elle avait atteint un niveau de stabilité et de tranquillité acceptable, voire agréable, se surprit, avec autant de stupéfaction que de honte, à se languir des départs de son mari. La période était à la paix, durant ces temps, aussi, il ne partait jamais plus de quelques jours. Cela laissait néanmoins le temps à Valériane de reprendre un peu son souffle.

«Le petit s’est endormi. Le repas est bon ?»

Valériane n’osa même pas soupirer quand son mari ne lui offrit comme toute réponse qu’un haussement d’épaules désabusé, alors même qu’elle avait passé facilement trois heures à lui préparer à manger, tout en gérant le petit.

«Ta soeur, tu comptes la laisser crêcher ici longtemps ? J’m’échine pas au boulot à risquer ma peau pour payer sa pitance hein.

- Sa pitance, elle la paie elle-même je tiens à te rappeler. Elle travaille dur pour participer à la nourriture de la famille, et elle ne s’en est jamais plaint, alors qu’elle pourrait tout garder pour elle. Tu es dur avec elle pour rien.

- Pour rien ?! Attends, ici c’est chez moi, j’entretiens ma bonne femme, mon fils, j’paye tout ce qu’il faut, et faut que j’m’encombre en plus d’une chiarde pas foutue de fermer sa gueule quand il faudrait ? C’est pas un temple ici !

- Elle était là avant toi. Et si quelqu’un doit partir de cette maison, je peux te garantir que c’est pas elle. Maison qui d’ailleurs, n’est pas plus à toi qu’à ces ivrognes avec qui tu passes la moitié de tes soirées. Elle est à ma soeur et moi.»

La réaction d’Alec la laissa sur place, sans mot à dire. Il but d’un coup la coupe de vin que sa femme lui avait servit, repoussa brutalement l’assiette. Quelques légumes se retrouvèrent éparpillés sur le bois vieilli, dans un écho sourd de terre cuite brutalisée, et après avoir marmonné un «j’vais m’coucher» aussi sec que corrosif, il monta dans la chambre conjugale sans un regard en arrière. Celle de Valériane ne se fit pas attendre. Dès qu’elle entendit le claquement sec de la porte de la chambre, l’éclat dur vibrant dans ses yeux glacés se mua rapidement en larmes, et un sanglot silencieux secoua sa poitrine, qu’elle n’eut même pas l’énergie de refouler. Pleurant silencieusement, prostrée sur sa chaise, elle attendit d’avoir récupéré le contrôle de ses gestes. Sans énergie, comme évoluant au milieu d’un songe obscur dont elle ne parvenait, malgré les efforts, à s’éveiller, elle nettoya la table aussi bien qu’elle le put, et alla se rasseoir, seule face à elle-même et aux dilemmes auxquels elle se devait de faire face. Puisque le médecin semblait penser qu’un bon verre de vin par jour serait de bon aloi pour sa récupération, elle s’autorisa la totalité de la cruche. Tout était bon pour gagner du temps. Au moins qu’il s’endorme, et qu’elle n’ait pas à subir ses humeurs. Parfois, d’une gorgée à l’autre, et au fur et à mesure que l’alcool se répandait dans son sang, des souvenirs remontaient. Ses séances de tir à l’arc, de pêche, ou la fois où elle avait amoché le cul du boeuf, en voulant tirer complètement ailleurs… L’intensité à laquelle sa mémoire lui renvoyait ces images suffisait à régulièrement faire monter les larmes, et la chaleur au visage. Seule sa dignité l’empêchait de fondre en larmes. Cette époque lui paraissait désormais si lointaine qu’elle se demandait pas si tout ce dont elle se souvenait n’était, finalement, qu’un gigantesque rêve, et la réalité un simple cauchemar dont elle ne parvenait pas à s’éveiller. Il y avait des bons côtés à sa vie, elle ne le niait pas. La nourriture n’était jamais copieuse mais ne manquait pas, ils avaient un toit, et formaient, après tout, une famille. Mais le sort ne pouvait s’empêcher de les malmener, sa soeur et elle. Les rares moments de bonheur qu’elles avaient connu toutes les deux étaient quasiment tous en dehors de cette fichue maison. Ses prières n’étaient-elles pas assez convaincantes ? Ou les Dieux se jouaient-ils d’elles deux comme l’on jouait avec des poupons, pour tromper leur ennui ? Ces questions restant sans réponses n’étaient posées que pour occuper son esprit, mais ne pouvoir y répondre était… épuisant. Et quelque part, désespérant.

Une fois que l’alcool eut finir d’engourdir ses membres fins, elle jugea qu’il était temps d’aller dormir. Elle priait Rikni d’avoir traîné son mari profondément dans les limbes oniriques dont elle était la déesse, afin de pouvoir laisser sa propre ivresse l’emporter, idéalement, vers des royaumes où elle serait seule, sans le moindre problème, sans ce perpétuel sentiment d’inconfort et de crainte.

Plus obscure qu’un encrier, la petite pièce était silencieuse. Elle se déshabilla sans un son, et se glissa, le plus délicatement possible, sous la couverture mince de sa couche. Un grognement presque inaudible, suivi d’un soupir rauque. Alec ne dormait pas. Rien à voir avec le bruit, mais à peine avait-elle tourné le dos qu’un bras puissant l’avait enlacé par la taille, aussi moite et brûlant que la rigidité qu’elle sentait dans son dos, qu’il avait manifestement pris soin d’entretenir avant qu’elle n’arrive. Elle tenta, vainement, de s’écarter, mais le bras la maintint contre lui, tandis qu’il oscillait lentement dans son dos, frottant pour se stimuler son membre gorgé d’envie contre elle. Cyras dormait, alors elle n’avait pas le droit de faire de bruit. Et son mari comptait là dessus. Ce n’était pas la première fois qu’il utilisait le sommeil de leur fils à son avantage, et ce ne serait sûrement pas la dernière. Si d’habitude la lassitude était son lot dans cette situation, lassitude dont elle avait pris une certaine habitude, elle sentit un haut le coeur et un profond sentiment de dégoût l’envahir. Avait-elle cependant le choix ? Elle pensait que non. Si elle se rebiffait, de toute façon, le petit se réveillerait, et Alec ferait payer à Ilhanne l’insubordination de sa soeur aînée. Alors… Elle écarta légèrement un bras, et vint caresser, lascivement, le sexe de son époux, avide et dressé. Elle ne s’autorisa qu’un seul refus : celui de croiser le regard d’Alec. Elle se contenta de remonter légèrement sa jambe, lui laissant le champ libre, poitrine sortie, afin qu’il puisse s’amuser tout son saoul. Tout ce qu’il aurait, c’était un jouet. Rien de plus. Elle serrerait les dents, pleurerait en silence en son for intérieur.

Elle ressentit néanmoins une douloureuse satisfaction vengeresse, quand son mari voulut la pénétrer, et fut arrêté en plein élan par une intimité aussi sèche qu’un parchemin. Il dut s’y reprendre à trois fois pour l’humidifier de façon acceptable. Et ça n’était pas suffisant. Même si Valériane souffrit cette nuit là, elle avait quand même droit à une petite vengeance. C’était mieux que rien.
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MessageSujet: Re: Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé]   Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé] EmptyVen 15 Avr 2016 - 3:03
Chapitre Quatrième


Une période boueuse. En y repensant, c’est ce que Valériane se dirait. Car à ce moment, sa vie avait toutes les caractéristiques de la boue. Terre arrosée de larmes, un goût immonde, plus bas que terre à certains moments, d’une couleur terne n’évoquant strictement rien de bon, si ce n’est la fange dans laquelle son âme s’aventurait jour après jour, semaine après semaine. Il devenait de plus en plus difficile de servir de tampon entre Alec et Ilhanne. Les deux se détestaient copieusement, et si l’amour qu’elle avait envers sa soeur était inconditionnel et au delà de toute mesure, elle ne pouvait dénigrer la tendresse certaine qu’elle éprouvait envers le père de son enfant. Il était plus aimable quand il partait quelques jours, et à ce moment là, elle ressentait encore les picotements sanguins, le noeud à l’estomac et les légères bouffées de chaleur, presque larmoyantes, qui marquaient si intensément les sentiments que l’on pouvait éprouver pour quelqu’un. Alors elle espérait, et systématiquement, à son retour, était une nouvelle fois déçue. Son ressenti des choses évoluait, sans qu’elle en prenne réellement conscience. Tandis que l’amour qu’elle éprouvait pour son fils allait grandissant (ne pensez pas que l’amour d’une mère peut connaître une intensité infinie dès la naissance de son enfant, c’est sa capacité à croître qui elle, ne souffre pas de limite), celui qu’elle vouait à son mari, lui, se corrompait, s’envenimait. Elle ne lui préparait plus à manger, elle le sustentait. Elle n’attendait plus son retour, elle profitait de ses absences. Elle ne l’aimait plus vraiment, elle l’appréciait. Elle ne faisait plus l’amour, elle se laissait prendre.


Espiègles et néanmoins cruels, détenteurs et connaisseurs d’un vaste plan dont Valériane ne savait rien, mais qui la guidait, petit à petit, vers un point précis, les choses prirent une tournure à laquelle elle ne s’attendait pas, mais qui étrangement, ne la surprit pas.

Alec était peu communicatif sur son travail. Il était soldat, tout le monde connaissait le rôle des soldats. Lui même le disait, que sa maudite soeur et elle se contentent du pécule qu’il ramenait quand il rentrait, le reste lui appartenait. Cet argent aussi, notons, mais c’était à Valériane que revenait la tâche de s’en servir, en partie, pour mettre de la nourriture sur la table, et de temps en temps, quand la cagnotte qu’ils conservaient avait atteint un niveau suffisant, leur acheter de nouveaux habits, reprisés la plupart du temps et issus d’un artisanat tout à fait moyen. Ainsi, si l’épouse demandait parfois à son homme si tout se passait bien, ce qu’elle espérait sincèrement, il restait toujours évasif, quand il n’éludait pas les questions sans subtilité. De fait Valériane était très loin de se douter de la totale incompétence de son mari sur le champ de bataille comme aux exercices d’entraînement programmés par l’armée ducale. Et c’est d’ailleurs à l’occasion de l’un de ces exercices qu’il perdit la vie. Si elle ne comprit qu’un mot sur deux du sous officier venu lui rapporter la nouvelle et les effets de son époux, elle savait cependant que l’histoire avait une tendance cyclique qu’elle commençait à détester somptueusement. Cela étant, il n’était ni bon époux, ni bon père, et particulièrement abject avec sa soeur. La douleur que ressentait Valériane n’était pas feinte, au contraire. Mais aussi curieux que cela puisse paraître, la meurtrissure du décès d’Alec était légèrement anesthésiée par un constat aussi gênant que vrai : c’était mieux ainsi. Voilà déjà presque trois ans que Valériane perdait peu à peu son existence en tant qu’individu. Elle était devenue mère, protectrice de sa soeur, épouse, cuisinière, couturière, entraîneuse de temps en temps, mais plus le temps passait et plus elle perdait son identité, devenant plein de choses, au détriment de Valériane elle même. Oui, elle pleurait la mort de son époux. Mais la seule bonne chose qu’il eut faite pendant ces quelques années passées ensemble, ce fut de lui donner un fils.

Alors oui, elle pleura. Mais pas longtemps.


--- ### ---

Toujours dans l’idée de guider Valériane à un tournant précis de son existence, l’espièglerie des trois, ainsi que leur cruauté, n’était cependant pas d’avoir conduit son époux à l’extinction. Car si Valériane accusa un grand coup, elle reprit, peu de temps après, son nom de jeune fille, auquel elle tenait bien plus que celui de feu son mari. Mais tandis que sa soeur continuait à travailler d’arrache-pieds pour leur fournir de quoi manger et vivre, les deux femmes se rendirent vite compte que cela était particulièrement peu, et totalement insuffisant.

La jeune mère était bloquée. Elle ne pouvait ni travailler, son fils étant bien trop jeune pour être laissé seul, et elle n’avait pas les moyens de payer une tierce personne pour s’occuper de lui, de toute façon. A continuer comme ça, elles allaient finir par devoir recourir à des moyens honteux afin de satisfaire leurs besoins, purement alimentaires. Il était totalement hors de question qu’Ilhanne s’y colle, et elle-même, ayant été à plusieurs reprises rabaissée au rang de catin par son propre époux, refusait que de parfaits inconnus le fassent, même s’ils payaient pour ça. Sa fierté l’en empêchait. Les solutions manquaient. Le temps passait, les économies fuyaient, et trois bouches à nourrir, c’était bien trop par rapport au maigre pécule qu’Ilhanne parvenait à amasser.

Une seule décision fut prise, la seule que Valériane pouvait prendre à ce moment.


--- ### ---

Les affaires étaient prêtes. Dans un sac de jute, elle avait mis tout ce qu’elle pensait être utile. Des vêtements, évidemment, mais aussi un peu de nourriture, à la fois en offrande et en cas de nécessité. Elle avait également pris quelques poupons qu’elle-même avait cousu, et un que sa mère lui avait confectionné quand elle était enfant. Une époque tristement lointaine.

Intrigué, Cyran observait sa mère de ses yeux noisettes. Les yeux de son père, se disait la mère, quoi qu’il eut surtout hérité des traits fins et de la crinière blonde de sa mère. Il avait cependant le même nez et le même menton légèrement fendu que son grand-père. En posant ses prunelles azur sur son fils, Valériane ne put empêcher une nouvelle montée de larmes, et prit son fils dans ses bras, pleurant généreusement, se haïssant profondément, dégoûtée d’elle-même et de ce qu’elle allait faire. Mais il le fallait, aucune autre alternative n’existait. Et ça n’était pas faute d’avoir longuement réfléchi.

Ilhanne travaillait, ce soir. Elle l’avait déjà mise au courant. Plusieurs fois elle avait même failli renoncer, tant l’acte était dur. Elle savait pourtant que cela serait mieux pour tout le monde. Pour sa soeur, pour elle, et surtout, surtout, pour Cyras. Pauvre enfant né d’une famille poursuivie par la malchance, l’abandonner était peut-être le seul moyen de conjurer le mauvais sort.

Il était très tard, ce soir là. Et alors que les évènements tragiques marquant l’histoire des Barrowmer avaient toujours été accompagnés par la pluie et le vent, aujourd’hui, au coeur de l’été, ne soufflait qu’une faible brise bienfaisante. On voyait très distinctement les étoiles qui piquetaient la voûte céleste. Le faible vent frais soufflait comme un murmure d’encouragement, une bénédiction de Serus sur un acte, qui, pour la mère qui s’apprêtait à le perpétrer, allait à l’encontre de tous les enseignements qu’elle avait suivi. Portant son fils, âgé de presque trois ans, et dans son autre main, le sac rempli d’effets divers, elle se dirigea vers le temple. Nul doute que son fils trouverait foyer là bas. Il entrerait sûrement dans les ordres plus tard, et s’il ne serait jamais quelqu’un de très prestigieux, alors peut-être qu’il serait entouré de la grâce des Trois. Et cela suffisait. Qu’il ne manque de rien et qu’il soit bien portant était le seul souci de sa mère. Malheureusement, elle ne pouvait lui offrir cela.

Quelques heures plus tard, elle était rentrée. Et ça avait été une véritable torture. A vrai dire, elle n’avait même pas osé entrer dans le temple. A cette heure ou les seules personnes dehors étaient soit ivres, soit dangereuses, quand ce n’était pas les deux à la fois, elle était pourtant restée longtemps sur les marches du Temple, priant de toute son âme Anür d’accueillir son fils et de lui offrir une vie qu’elle ne pouvait, elle, lui accorder. Son fils regarda sa mère, après qu’elle ait tambouriné à la porte du temple et s’en fut allée sans un regard en arrière, l’incompréhension dans ses yeux. Il ne se souviendrait probablement jamais d’elle, et Valériane le savait. Tentant vainement de se persuader que c’était le mieux pour lui, une fois rentrée, elle but une telle quantité de vin qu’elle n’eut même pas la force de monter les escaliers. Elle finit par s’endormir, entre deux grommellements avinés, dénués du moindre sens, au milieu de tâches de vin poisseuses, le teint rosi par l’ébriété, espérant presque ne pas se réveiller le lendemain.


--- ### ---

Ce choix douloureux, quelques années après, lui avait servi de moteur. Si elle se sentit un moment abattue, elle n’était pas du genre à baisser les bras. Et il fallait impérativement qu’elle donne une valeur et un sens à ses choix. Aussi, une fois que son corps et son esprit se furent remis, elle retourna travailler aux champs, permettant cette fois à sa soeur et elle de vivre, à défaut d’aisément, convenablement.

Elle retrouva rapidement une certaine vigueur et une joie de vivre qu’elle n’avait pas ressenti depuis longtemps. Si elle priait chaque jour Anür de préserver son fils et ses messagers d’en prendre soin, elle n’oubliait pas de vivre. Son fils était ailleurs, mais elle avait toujours sa soeur, et se devait de lui donner le meilleur exemple possible. Hors de question de se laisser abattre ou d’être plus faible qu’elle alors que la petite s’échinait toujours au travail.

Une période calme, intimiste entre elle et Ilhanne s’installa alors, comme après la mort de leur père. Une période que Valériane apprécia grandement. Une femme n’était jamais autant satisfaite de son indépendance qu’après avoir été mariée. Surtout à un homme comme Alec. Et la jeune femme, qui avait déjà passé la trentaine, aurait volontiers vécu comme ça encore une décennie, si un terrible élément n’était pas venu perturber leur train de vie quotidien. La Fange.
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MessageSujet: Re: Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé]   Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé] EmptyDim 17 Avr 2016 - 0:16
Dernière Partie


Que vais-je faire ? Rester prostrée, cachée derrière des murs dont la protection n’’est même plus garantie ? Vivre, une fois de plus, dans la peur ? A attendre, dans la passivité, que les choses bougent toute seule, que le sort va une fois de plus, de la pire des manières, me venir en elle ? Ou mieux, vais-je laisser le sort de mon fils entre les mains d’hommes et de femmes que je ne connais pas ? En priant pour que ces animaux dehors, ces… choses, ne se fraient pas un chemin jusqu’à lui ? Que ceux à qui je l’ai laissé soient capables de le défendre ?

Non. Plus jamais. Plus jamais mon sort dépendra d’un autre. Plus jamais je ne me plierai à des choix ridicules, pour la seule raison que les dieux en ont décidé ainsi. Plus jamais je ne serai la putain de qui que ce soit. Plus jamais je n’abandonnerai mes proches au bon vouloir du destin. Plus jamais je ne me laisserai abattre. Plus jamais la peur me contraindra à l’inaction. Et surtout, plus jamais je ne laisserai la vie dicter mes actions.

Si mon fils a besoin d’une défense, je prendrai les armes. Si j’ai besoin d’argent, je travaillerai. Si ma soeur doit être protégée, je lui servirai de bouclier. Si cette ville doit s’effondrer, je la défendrai corps et âme ou sombrerai avec elle. Mais arme au poing, et sans regrets.

Rikni, envoie moi toutes les épreuves que tu veux. Je les relèverai, et en ton honneur, les réussirai toutes, sans exception. Aussi dures soient-elles, plus jamais, entends-moi, plus jamais je ne te ferai l’affront d’échouer.



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Beaucoup, à Marbrume, pourront vous narrer l’invasion de la fange, ses répercussions, ou encore les faciès immondes et horrifiques de ces créatures de la nuit, venues réduire les hommes à néant. Mais parfois, il est plus terrifiant d’assister à une menace fantôme. Voir les conséquences d’un drame, sans assister à l’évènement en lui-même. Voir l’ordre se muer, petit à petit, en chaos, sans avoir la moindre incidence sur les évènements, en entendant que des bruits épars, des rumeurs, des on dits, tous plus terrifiants et fantasmagoriques les uns que les autres. Au début, ce n’est qu’un ou deux mots, prononcé par un soldat, l’ayant lui-même entendu de la bouche d’un sous officier, le tenant de son supérieur, qui lui même l’aurait entendu de la bouche d’un haut dignitaire de la caserne. Ces mots ne sont rien, mais ils laissent planer un certain doute. Ils inquiètent, au mieux, ils intriguent. Et plus le temps passe, plus le bruit se répand, comme le feu sur une traînée d’huile. Les étrangers, réfugiés, terrifiés, affluent. Ils s’amassent aux temples, dans les bas quartiers, près des maisons, dans des ruelles sombres, abritées, hurlent à la fin du monde. Une nouvelle guerre ? Une invasion barbare ? Non, car des nobles aussi intègrent la cité. Des nobles de comtés ou duchés voisins, et certains même issus de terres très lointaines, à l’autre bout du royaume. Des chanceux, qu’ils disent, chanceux d’avoir échappé à la Fin. On crie au péché, au sacrilège, à la colère des Dieux. Certains deviennent fous de terreurs, d’autres perdent jusqu’à l’usage de la parole et restent prostrés, transis, attendant une horrible fin, promise par le monde extérieur. La cité devient un endroit dangereux. Avec les réfugiés, la maladie arrive. Les réserves de nourritures diminuent aussi. Le marchand nous explique que plus le temps passe, et plus il est difficile de commercer. On n’a plus de nouvelle des fournisseurs de telle ville, ou de telle province. Le roi n’est plus qu’un lointain souvenir. On est isolés. Les prix augmentent. C’est la pénurie, la disette. D’aristocrate, la loi devient martiale. On parle de fusionner l’armée et le service d’ordre public. Une Milice se crée, juge et bourreau. Le crime, comme une traînée de poudre, se répand dans les méandres de la ville, lui aussi. Toutes les nuits apportent leur lot de cadavres. L’incompréhension, la panique. Et tout ceci, sans jamais voir le visage du Mal.

C’est ainsi que Valériane vécut l’arrivée de la Fange au Morguestanc. Pas de face, mais en n’en subissant que les dramatiques conséquences. En voyant les gens qu’elle connaissait, de près ou de loin, être corrompus par la peur, en ne se faisant une image bâtie que sur des rumeurs et des récits, parfois fidèles, parfois enjolivés de moult détails terribles. Peu voire pas du tout au courant des intrigues secouant depuis les castes supérieures de la société, elle n’eut vent de l’exécution atroce de la famille de Sarosse que par des tiers. Elle n’était pas sur les remparts, ce jour là. Elle prenait une décision difficile, mais qu’elle estimait juste.

Depuis que l’armée et les forces de l’ordre avaient fusionné, la Milice recrutait des femmes. Chose qui quelques mois plus tôt aurait outré, fait rire, provoqué des huées. Mais l’urgence de la situation était telle que même les plus conservateurs encourageaient cette décision. Valériane, elle, sentit que l’heure de prendre activement les devants était arrivée. Depuis toujours, elle était une femme très forte moralement, mais qui avait toujours fait passer les intérêts des autres avant les siens, par pure abnégation, et par excès de gentillesse. Et il n’était plus question que cela dure. Si elle voulait offrir l’avenir qu’elle avait promis à son fils, en l’abandonnant seul devant le temple d’Anür, alors prendre les armes était une solution des plus pertinentes. Dangereuse, certes, mais au moins, elle aurait le mérite, se disait-elle, d’avoir tout essayé pour que sa soeur, son fils, et toutes les personnes à qui elle pourrait un jour tenir, aient, sinon la promesse, l’espérance d’un monde futur meilleur. Auquel elle, de sa modeste place, aurait un tant soit peu contribué. Sa passivité la révulsait au plus haut point. Elle avait cessé le travail. Son gentil employeur avait été pris par la Fange. Elle-même n’était pas sûre de savoir ce que cela voulait dire. Mais une chose était certaine : c’était la dernière personne qu’elle aimait qui se ferait tuer ou disparaîtrait alors qu’elle avait la possibilité de l’aider. Et si elle devait mourir… eh bien soit, mais ça ne serait pas sans s’être battue de toutes ses forces. Un serment prononcé à l’adresse de Rikni l’en empêchait. L’amour qu’elle vouait à sa soeur l’en empêchait. Le sacrifice qu’elle avait du consentir pour son fils l’en empêchait.

L’ensis et la rondache de feu son époux, l’arc de son père, leurs tenues respectives, reprisées avec les talents de couture conférés par sa mère. Elle était accompagné par les outils des hommes qu’elle avait profondément aimé, qui lui avaient montré ce que l’homme pouvait avoir de meilleur et de pire en eux. Elle était accompagnée par les souvenirs et les enseignements qu’elle tenait de sa mère, partie trop tôt. Et par les souvenirs qu’elle partageait avec sa soeur, qu’elle avait juré de protéger presque vingt ans auparavant.

Dans cette société, elle avait une place des plus modestes. Négligeable même. Elle n’était pas un soldat renommé, ni un riche marchand. Encore moins un noble dont le sang avait été béni par les dieux. Pieuse, elle n’avait cependant jamais voué sa vie aux ordres, comme ces hommes et femmes de la Trinité. Elle était, pour ainsi dire, presque anonyme. Mais il ne tenait qu’à elle de changer cet état de fait, et c’est en prenant les armes qu’elle le ferait. Anonyme ou non, la détermination qui l’animait était plus solide que le diamant.

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Ilhanne était partie. Le choc avait été dur. Une personne de plus qui la quittait, tout d’abord, mais surtout, le lieu qu’avait choisi Ilhanne était Traquemont. Valériane, dans la Milice depuis quelques temps déjà, avait de nombreuses fois entendu parler de ce fort, un des rares bastions extérieurs à la ville à supporter l’assaut de la Fange, et dont les habitants étaient déterminés à en massacrer le plus possible. Ce qui impliquait clairement d’être au beau milieu de la fange et de risquer presque quotidiennement sa vie. Et ça, Valériane savait très bien ce que c’était. Elle était dans la Milice extérieure et avait eu un certain nombre de fois eu affaire à ces immondices ambulantes. L’idée que sa soeur soient confrontée à eux en permanence, voilà qui avait de quoi la mettre en pétard. La discussion fut assez âpre, voire brutale. Bien qu’il y eut plus d’inquiétude que de colère dans les paroles de l’aînée, la Milice la rendait de plus en plus sèche et agressive, sans qu’elle ne s’en rende compte. Elle y était, pour ainsi dire, forcée par l’environnement dans lequel elle avait choisi de vivre.

D’un autre côté, Ilhanne n’était pas une Barrowmer pour rien, et après tout, elle était adulte. Val savait que son rôle de soeur-mère obscurcissait son jugement, et que la vie d’Ilhanne n’avait jusqu’alors rien d’enviable. Subir les humeurs des ivrognes, éponger leurs frasques, rembarrer sans cesse les insistants, jusqu’à devoir finir par appeler sa soeur comme ce fut arrivé plusieurs fois par le passé… Maintenant que Valériane était une milicienne, elle ne pouvait plus protéger sa soeur comme elle le voulait, et si le danger en dehors des murs était mortel, que dire de celui que représentaient les citoyens et réfugiés de Marbrume ? Il n’était pas moins présent, juste plus difficile à identifier.

Inquiète, à contrecoeur, elle finit par se faire une raison. De toute façon, elle aurait beau dire ce qu’elle voulait, sa soeur et elle étaient pareilles : quand elles avaient une idée en tête, rien ne les en faisaient démordre. Et les absences prolongées de l’aînée étaient tout autant de portes ouvertes à un départ discret. Puisqu’elle avait l’honnêteté et le respect de lui énoncer ses projets, aussi fous soient-ils... Eh bien qu’il en soit ainsi. En gardant tout de même à l’esprit que le fou ou la folle qui se mettrait en tête de faire du mal à Ilhanne à Traquemont tomberait mal, et que Valériane n’hésiterait pas à démolir le fort pierre par pierre si cela s’avérait nécessaire.

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Un claquement sec résonna dans la maisonnée délabrée dans laquelle ils étaient. Ils avaient atteint Ars-en-Re en milieu de journée. Ils avaient pour mission de faire le tour des vieux villages du centre-sud du duché, jusqu’à Lods, afin de vérifier la présence de criminels, bannis, ou tout autre contrevenant ayant choisi l’un des villages désertés pour refuge. C’était assez fréquent, même leur durée de vie était, fatalement, amoindrie. En plus de ça, ils avaient emmené avec eux une charrette, pour leur permettre de ramener des objets pouvant être utiles. Il pouvait s’agir d’armes, comme de richesses diverses ou même d’ouvrages, certains riches habitants des villages en possédant quelques uns. La Fange avait envahi le duché récemment, et dans la précipitation, nombre d’objets avaient été abandonnés sur place. Ainsi la mission de l’escouade était on ne peut plus simple. Traquer et anéantir toute menace potentielle, et explorer les environs à la recherche soit de survivants, soit de places fortes que Marbrume pourrait occuper afin de se créer des avant-postes.

Quant au bruit qui retentit, c’était la main gantée du coutilier, brutale et sans appel, venue corriger d’un revers bien senti Valériane. Sa faute ? Être restée en arrière secourir un camarade, tombé de son cheval lors de l’attaque de quelques fangeux, alors qu’ils galopaient bride abattue vers Ars-en-Ré, pour s’y cacher. Valériane et son camarade avaient vaillamment combattu les trois fangeux qui les avaient assailli, puis s’étaient enfuis, de peur que le bruit en attire d’autres. Un comportement que Valériane avait jugé tout à fait normal, mais qui n’était pas du goût de son supérieur. Par réflexe, en voyant que la femme était revenue en arrière, ils avaient ralenti, et le fait que la source de ce changement d’allure soit des fangeux… De toute façon, le coutilier Embaum détestait Valériane, comme toute son escouade. Elle ne manquait ni de volonté, ni de nerfs, mais malheureusement pour elle, elle était née avec les mauvais attributs.

«Puisque les fangeux t’emmerdent si peu, va donc nous chasser de quoi bouffer. T’as une heure, après on barricade la porte.»


Valériane acquiesça sèchement, et sortit de la maisonnée, arc en main. Ce n’est qu’une fois à l’extérieur qu’elle se permit de grogner légèrement de douleur, et de cracher la gerbe de sang qu’elle contenait dans la bouche. Il ne l’avait pas ratée, le salaud, et ça n’était pas la première fois.

«J’aurai ta peau, enfant d’putain, grommella Val’ en se dirigeant vers le couvert des arbres.»

Il y avait une nette amélioration par rapport à ses premiers jours d’affectation. Ils refusaient toujours de l’appeler par son nom, mais de “catin”, “femelle” et “minette”, ils étaient passés à “la donzelle”. Les coups, eux, continuaient à pleuvoir. De même que les farces puériles, cruelles au demeurant, qu’ils continuaient à lui faire subir. Les premiers jours après son entrée au sein de l’escouade d’Embaum, elle avait passé quelques jours à la caserne. Dès le petit matin, elle avait retrouvé ses habits couverts d’urine. Elle n’avait même pas osé les toucher, car il semblait, vu l’odeur, que certains avaient également vidé leurs instestins dessus. Elle était allée sans plus attendre pousser une gueulante chez Embaum, drapée seulement de sa robe de nuit, qui non seulement l’envoya promener, mais pour s’être promenée en uniforme non réglementaire, lui octroya également le devoir de faire dix tours de la cour intérieure de la caserne, vêtue de son uniforme souillé. Les ordres étant les ordres, elle s’exécuta, jurant la perte de tous ces résidus d’avortement, sous le regard méprisant et moqueur d’un nombre conséquent de ses condisciples masculins. Les quelques rares femmes présentes semblaient ressentir une certaine compassion, mais aucune n’aurait le cran, et surtout la bêtise, de provoquer un officier, au risque de se retrouver dans la même situation que Valériane. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était prier Rikni de leur envoyer des visions horrifiques de leur propre mort pendant leurs nuits, jusqu’à ce qu’ils en perdent le sommeil.

Quoi qu’il en soit… A l’extérieur du village, quelques dizaines de mètres seulement, elle trouva ce qu’elle cherchait. Un terrier de lapins, dont l’entrée était partiellement dissimulée par des branchages. Valériane avait une bonne technique pour les piéger. Elle rassembla un peu de bois mort, qu’elle plaça à l’entrée du terrier. Vu l’heure tardive, il devait être plein. Après avoir fait prendre les broussailles à l’aide de deux pierres, Valériane fit entrer la fumée en ventilant dans le terrier, pour forcer ses proies à en sortir. Leur réaction ne se fit pas attendre. Une petite minute après, en effet, des bruits précipités et paniqués se firent entendre. La femme quand à elle les attendait de pieds fermes, son épée sortie, et en faucha plusieurs d’un coup de garde bien placé sur le crâne. Elle eut pour butin deux lapereaux, et deux lapins adultes. Pas de faisan à l’horizon. Cependant, un bruit derrière elle la fit tiquer. Un léger craquement de brindille. Si cela avait été un fangeux, elle serait déjà morte. Mais on pouvait fort bien imaginer que l’odeur de brûler avait attiré d’éventuelles autres personnes, et c’est arme au poing, pointée vers l’avant, qu’elle se retourna. Pour tomber nez à nez avec une jeune femme, d’une dizaine d’années plus jeune qu’elle. Cela devait faire quelques jours qu’elle traînait dans le coin. Visiblement affamée, terreuse, empestant comme jamais, elle avait les cheveux en bataille, le regard terrorisé, elle tenait en main un couteau à moitié rouillé. La pauvre ne semblait pas avoir toute sa raison, et il était inutile de se demander pourquoi.

«Pose ce truc, tu vas te blesser.

- Je.. qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Pourquoi vous faites du feu, vous allez les attirer !

- Milicienne Barrowmer, de l’escouade Embaum. Ce s’rait plutôt à moi de vous demander c’que vous foutez ici, mad’moiselle.

- Eh bien… je… j’ai perdu mon fils. Nous sommes de Lods, au sud d’ici et… il a franchi la barricade, et depuis, plus aucune nouvelle, alors j-j-je suis partie à sa recherche et j’ai atterri ici.

- … Tsh. Suivez-moi.»

Elle saisit les lapins assommés qu’elle avait attrapés, et soupirant, la guida vers la maisonnée où avait établi leur quartier général temporaire. Etrangement, Valériane sentait qu’elle ne faisait pas un cadeau à cette âme errante. D’un autre côté, il aurait été immoral et contre tous ses principes de la laisser là dehors, elle ne passerait probablement pas la nuit.

«Coutilier Embaum, j’ai trouvé une égarée de Lods en chassant. Quant à la nourriture, la voici.»

Elle déposa les lapins au sol. Et immédiatement, elle sentit que la soirée n’allait pas lui plaire. Les regards des hommes de l’escouade étaient tous fixés sur la nouvelle arrivante, et la lueur lubrique qui dansait au fond de leurs mires souillées par le vice n’annonçaient rien de bon. Aussi se vit confirmée la prédiction de Valériane: elle n’avait pas fait un cadeau à cette femme en l’entraînant dans ce zoo. Enfin, que pouvait-elle faire d’autre, de toute façon ? Le sergent responsable de leur unité avait explicitement signifié que toute personne, bannis exclus, retrouvée dans les marais devait être, si possible, reconduite à Marbrume ou dans un des villages habités. Comme leur point de chute devait être Lods, et que celle-ci en venait, cela tombait pourtant assez bien. C’était sans compter sur l’esprit pourri de l’escouade, dirigée par un pourri suprême.

«Barrowmer, fais ton boulot de femme et prépare la bouffe. On va s’occuper de la charmante jeune demoiselle. Hein les gars ?»

Le rire gras qui s’échappa des gorges de ses collèges à ce moment provoquèrent chez Valériane de puissants frissons de dégoût. Elle les connaissait. Les rares fois où ils bénéficiaient d’une permission, ils écumaient les bordels, les tavernes. Parfois, quand le solde était insuffisant, ils se payaient une fille, qu’ils partageaient. Et il était inutile de compter sur Embaum pour freiner leurs ardeurs perverses : la plupart du temps, il partageait ses soirées avec eux. C’était comme si la fange, par son arrivée au Morguestanc, avait éveillé en chacun les pires pulsions, instincts, et les poussait chaque jour de plus en plus dans les ténèbres qu’elle avait emmenées avec elle sur les terres ducales.

Valériane brisa quelques barreaux de chaise, évacuant sa frustration contre le mobilier abandonné. En utilisant les quelques fioles d’huile qu’ils avaient pris avec eux, elle put bientôt faire naître un feu coquet dans la cheminée à moitié en ruine. Elle espérait juste que l’odeur de viande grillée n’attirerait aucun fangeux. De toute façon, les barricades étaient solides, et une escouade entière était prête à les combattre si besoin était. Une fois les animaux dépecés et vidés, elle les embrocha, et les mit à cuire. Sa concentration allait toute entière sur la cuisson pourtant simple des lapins. Elle prit un petit chaudron, mit quelques légumes emportés par l’escouade, et prépara une soupe pour accompagner la viande. Dans l’autre pièce, elle entendait les rires et plaisanteries atrocement vulgaires de ses camarades, mais également des gémissements plaintifs, qu’elle aurait préféré ne jamais entendre. Un bref instant, Valériane se dit qu’elle aurait mieux fait de laisser cette pauvre femme dehors, quitte à ce que la fange l’engloutisse. C’était un sort horrible, mais au moins, elle n’aurait pas souffert. Un boût bileux envahit sa bouche. Elle pourrait l’aider. Mais elle y passerait elle aussi, quel que soit le jeu sordide auquel ils avaient prévu de se livrer. Et elle se sentait suffisamment salie et humiliée comme ça. Une chose que la vie lui avait apprise, et à plus forte raison la Milice, c’était que la vie n’était pas juste. Loin de là. Et que, la plupart du temps, il valait mieux l’écraser et se concentrer à son avancement, à atteindre ses objectifs. Ceux de Valériane étaient simples : participer activement à la défense de Marbrume, à la reconquête de son domaine, afin d’assurer le meilleur avenir possible à sa famille. Rien n’existait au delà de ces buts, aussi simples qu’irréalisables.

Quand ils revinrent dans la pièce principale, le repas était prêt. Valériane osa à peine regarder la jeune femme. Sa robe déjà abîmée était encore plus déchirée à maints endroits, son regard était parfaitement vide. Quelques bleus commençaient à naître sur sa peau pâle recouverte de terre, et, plus récemment, de sciure. Nul besoin d’avoir été avec elle pour savoir ce qui s’était passé. Et de fait, la femme soldat toucha à peine au repas, l’appétit coupé, une forte envie de rendre tripes et boyaux lui tenaillant la poitrine.

«… C’est quoi ça ? lâcha d’un ton dégoûté le Coutilier Embaum. Je t’ai dit de faire à bouffer, pas de nous empoisonner, femelle.

- Vu les moyens du bord, il aurait été difficile de faire mieux, Coutilier Embaum, répondit l’intéressée d’un ton neutre, sec.

- Ah ouais ? Bah si tu trouves ça bon, reprends-en une dose !»

Histoire d’illustrer à la fois ses propos et le mépris que Valériane lui inspirait, il lui envoya sans concession le contenu de son godet et une des cuisses de lapin à la figure. Fort heureusement la soupe n’était plus brûlante depuis quelques minutes, mais elle ressentit une vive chaleur, alimentée essentiellement par une intense colère. Elle savait que ça lui était interdit, mais par les Trois, elle aurait leur peau, à eux tous.


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Valériane supporta un infâme quotidien pendant des mois. A vrai dire, au bout d’un moment, elle finit par se détacher d’elle-même et des personnes qui l’entouraient. Elle craignait, si elle s’investissait trop, si elle se focalisait trop sur elle-même, de perdre pied, de devenir folle. Car il y avait des raisons pour. Ce qui s’était passé à Ars-en-Ré, ce n’était qu’une anecdote parmi des dizaines d’autres. A la caserne, les humiliations continuaient, presque chaque jour, ou même chaque nuit. Deux des miliciens de l’escouade avaient même tenté de la violer pendant son sommeil. Si elle n’avait eu la présence d’esprit de coller la bougie qu’elle conservait toujours avivée sur l’entrejambe d’un de ses agresseurs, elle n’aurait jamais pu faire face. Et par fierté, heureusement pour elle, aucun des deux hommes ne rapporta les faits à Embaum. Se faire maîtriser par une femme… C’eût été pour eux une honte insupportable.

Avec une certaine indifférence mêlée d’une légère, très légère pointe de surprise, Valériane se rendit cependant compte qu’au fil des missions, elle gagnait, petit à petit, le respect de certains membres de l’escouade. Peut-être cela venait-il du fait que de plus en plus de femmes s’étaient enrôlées dans la milice. Ou alors, la lassitude de Val, qui réagissait de moins en moins aux piques et aux sévices, et qui semblait ne montrer aucune peur au combat, en sus d’une compétence qui dépassait quelques uns des hommes de l’escouade.

Ce qui allait surtout changer la donne, c’était l’opération Labret.

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L’on sait tous comment cela s’est passé. Pour la noblesse, et une grande partie de la population, à qui l’on a offert une épaisse poudre aux yeux, leur clamant la réussite des braves et la colonisation d’une zone supplémentaire du duché, en dépit des menaces extérieures, ce fut une réussite magistrale. Combattre des fangeux isolés, c’était leur lot quotidien, dans la section extérieure de la milice. Quand il ne s’agissait pas de groupes de bannis particulièrement remontés. Mais ils avaient une bonne connaissance du marais, des zones abandonnées dans lesquelles ils pouvaient se réfugier. Ils étaient sous le couvert des arbres, et l’agilité et la vélicoté des Fangeux ne les rendaient pas moins vulnérables à de telles configuration de terrain.

Cette opération donna à ceux qui étaient présents un véritable aperçu de ce que pouvait être l’horreur. L’escouade de Valériane était assignée à poste fixe. C’est à dire que quoi qu’il arrive, le périmètre qu’ils encadraient ne devait jamais échapper à leur surveillance. Etant donné le nombre de miliciens et nobles guerriers qui accompagnaient la procession, il était bien plus pertinent d’affecter des groupes à des zones fixes, s’ignorant les unes les autres, sauf en cas d’urgence. Ainsi, pendant la première partie de la journée, quelques attaques eurent lieu, mais en aucun cas Val et son unité n’eurent à intervenir. Elles furent, pour la plupart, repoussées. C’est cependant, en fin de journée, quand le soleil commença à virer à l’orangé, que le cauchemar débuta.

L’armée des ténèbres frappa sans crier gare. Ils étaient bien moins nombreux que les processionnaires, mais une centaine de fangeux… Jamais encore ils n’avaient eu à faire face à tant d’ennemis d’un coup. En l’espace de quelques secondes, ce fut le chaos. Tout commença par un cri d’alerte. Le son d’alarme d’un cor. Des ordres braillés à tout va. Et en moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, l’horreur. Bondissant, griffant, mordant, égorgeant, les fangeux, mus par un appétit insatiable, se jetaient sans distinctions sur des miliciens comme sur les pauvres hères encadrés, faisant en un laps de temps très bref des ravages parmi les rangs. Au milieu de ce carnage, pendant quelques dizaines de secondes, Valériane se sentit assommée. Tout allait si vite, avec une telle violence, qu’il lui semblait que le temps s’était être arrêtée. Jusqu’à ce qu’un fangeux particulièrement énervé bondisse comme un boulet de canon, et la frôle pour dévorer la face rubiconde d’Embaum, qui tomba de son cheval, hurlant un bref instant avant qu’une mort temporaire ne s’empare de lui. Un sourire nerveux passa sur les lèvres de la jeune femme, quand elle comprit que l’homme qu’elle méprisait le plus au monde venait de s’éteindre. Elle décapita sans merci le fangeux, et pour faire bonne mesure, décapita également Embaum, histoire d’éviter qu’il ne se relève.

Le reste de la bataille, qui ressemblait une guerre entre l’horrifique et le burlesque, mélangeant une lutte forcenée à une course pour la vie, en direction du plateau salvateur, resta longtemps flou dans la mémoire de Valériane. Elle avait tué, tué, et encore tué. Quand tout finit, elle avait mis fin à tellement de vie qu’elle avait l’impression que l’odeur du sang serait à jamais imprégné en elle. La moitié de son escouade avait été massacrée. Et même une fois qu’ils se surent sauvés, la jeune femme resta un moment en état de choc. C’était donc ça qu’ils affrontaient. Et cette centaine n’était qu’une infime partie de ce qui les attendait, là bas dans les marais, tout autour d’eux. Dans tout le royaume, éventuellement. Et curieusement, au lieu de l’abattre, cela la galvanisa. Elle ne manquait pas d’ennemis à découper, et ainsi, aussi longtemps qu’elle vivrait, aurait un motif de se battre. Pour éviter que de telles horreurs se reproduisent, et qu’un jour, peut-être, ils finissent par vaincre.



Ironiquement, le comportement brutal, mais néanmoins héroïque de Valériane lui valut de remplacer Embaum à la tête de l’unité. Leur sergent semblait, à défaut de l’estimer, la respecter. Quant aux survivants de l’ancienne unité que reprenait Val, il semblait qu’elle les terrifiait, ou a minima, les avait impressionnés. C’était, au moins, un premier pas pour leur montrer que les femmes pouvaient être aussi brutales et violentes que les hommes.


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MessageSujet: Re: Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé]   Valériane Barrowmer - Terreur Barrowmer #1 [Terminé] EmptyDim 17 Avr 2016 - 9:24
Eh bien eh bien, on en voit enfin la fin ! =P
Très belle fiche encore une fois, une belle plume, agréable et adulte, et strictement rien à redire ou faire modifier. J'ai vraiment apprécié le fait que tu aies intégré l'opération Labret dans ta fiche, c'est très sympa.

Bon jeu avec ce nouveau DC !
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