Fixer le prix d'un cadavre [PV Théodemar Ecuviel et Wilhem Terrefière]

Aujourd'hui, il faisait beau. La lumière perçant à travers les branchages poussait le petit gibier à aventurer leurs petits museaux fureteur bien plus loin de leur tanière, les incitant à venir s’empaler sur les flèches de mon carquois. La chasse avait été bonne et c'est avec une sacoche débordante de viande que je me rendit sur la place du marché, certain de faire fureur. J'affichais déjà un sourire triomphant en pensant au poids ma bourse.. Ce soir, je pourrai m'offrir un bon repas dans une auberge ! Et encore, si je gardais quelques pièces, je pourrai les échanger contre le-dit repas, et ainsi garder les précieuses pièces..

Malgré ce qu'on pouvait penser, ces temps misérables et dangereux avait du bon. Jamais ces quelques pièces de petit gibier n'aurait pu rapporter si gros avant. Et puis de toute façon, la chasse était interdite aux gens du peuple, réservé au bon plaisir des nobliaux. J'aurai pu évidemment braconner, mais il m'aurait été difficile de la vendre, à moins d'avoir les bons contacts. Contacts très peu recommandable, près à vous planter un coup dans le dos au moindre désaccord. J'étais trop jeune, trop peu impressionnant, pas assez apte à inspirer le respect ainsi que la crainte..

Je ne peux pas prétendre l'être aujourd'hui, je n'ai rien d'un soldat. Mais les circosntances jouent en ma faveur, me permettant de sortir mon épingle du jeu sans pour autant jouer au gros bras.

C'est sur ses pensées que j'arrivai au marché, anormalement rempli. Il y avait toujours foule évidemment, les denrées se faisant rare, mais aujourd'hui elle paraissait d'une densité particulière. C dernier fait me fit sourire de plus belle. Plus il y avait de monde, plus les enchères montaient rapidement. L'excitation, l'envie de viande et l'envie de prouver au voisin qu'on avait les moyens de la payer faisaient s'envoler les prix très rapidement..

Avisant un creux dans la foule, je m'y installai, serrant ma sacoche contre moi afin de prévenir toute tentative de vol. Profitant du fait que personne ne faisait attention à moi pour le moment, j'en profitai pour préparer mon entrée en scène. Je sortis un lapin de belle taille et le brandis devant moi en lançant d'une voix forte :

« Arrivage de viande, fraîchement chassé ! Ce corps dodu est encore chaud ! »

L'effet fut immédiat. Une grosse partie de la foule se tourna vers moi et s'approcha précipitamment, en criant des prix. Je continuai mon numéro, avec mon sourire le plus convaincant, tout en exhibant une autre pièce de viande.

Rien ne pourrait gâcher cette journée.

 « Euh …. c'est quoi ''ça '' ? Non parce que j'ai beau regarder …. je ne vois que des légumes et euh … c'est quoi ça ? De l'eau ? Vous m'avez fait un bouillon de légumes mais sans bouillon ?

J'étais à table avec mon fidèle ami, Gondemar … certes nous étions doucement en froid mais cela ne nous empêchait pas de nous voir sans avoir à crier partout, nous nous ignorions seulement. Son fils, Anatole. Diana, ma douce femme blonde qui avait de l'appétit en ce moment et ma bâtarde. Liana que j'avais récupéré la semaine dernière … 'fin bref, nous étions à table et … le cuisinier m'avait sorti une blague de repas. Des légumes et de l'eau chaude … sans assaisonnement, rien … mais MERDE QUOI ! J'ai l'air d'un putain de gueux ?! Je suis l'homme le plus riche de cette Cité et on me sert un bouillon de légumes ! C'est une putain de blague ?!

J’envoyai alors mon bol dans la gueule du servant, l'homme fût ébouillanté au visage, le pauvre homme se tordait de douleurs, le pauvre ? Ah mais … mais … c'est pas lui que je devais punir. Je me levais alors de ma chaise prenant le bol d'Anatole, le servant fut aidé par Gondemar et j'allais alors dans les cuisines. Les cuisinières étaient occupées à discutailler … EVIDEMMENT ! Bon dieu … je vais perdre ma patience nouvellement acquis.

 « Où est Jorgan ! Où est-il ?

Un homme massif en vêtement blanc arriva alors le torchon sur l'épaule gauche, cet homme était un métèque que j'avais sauvé des camps de réfugiés … je m'approcha alors de sa tête brune et je lui dis en lui montrant le bol de bouillon.

 « Jorgan. Dîtes moi ce que c'est que ça ! Où est la viande ? Où est la sauce ? Où est l'assaisonnement ?!

L'homme n'avait pas peur bien au contraire puis il dit avec son accent tout en levant une de ses mains.

« Ma ! Ma yé né souis plous rien ! Les réserves sont vides ! On manque du viandés ! Qu'est ce que yé peu ? Yé oublié dou faire les courses au marché !

Je posa alors le bol sur le meuble à côté de nous puis je dis avec un sourire.

 « Eh bien … vous allez faire les commissions mon cher et je viendrais avec vous. Vous vous occuperez des aliments de base et moi de la viande. Donnez moi votre liste de souhait et j'irais.

L'homme me donna alors au bout de dix minutes une liste concernant la viande qu'il fallait. J'allais alors en cette belle journée au Marché avec Jorgan et des servants. Nous nous séparions ensuite, j'étais accompagné de quatre gardes. Lorsque j'entendis de l'agitation vers les étals de viande, je me dirigeais alors vers ces derniers, poussant la gueuserie et un de mes hommes annonça.

 « Le Seigneur Théodemar Ecuviel ! Laissez passer le Seigneur Ecuviel !

J'étais face au jeune homme devant moi avec un sourire carnassier et je regardai alors ce qu'il proposait. Puis je dis avec un sourire.

 « Bonjour mon jeune ami. Alors, combien veux-tu pour toute ta marchandise ? »

La foule s'était peu à peu agglutiné autour de moi, attiré comme des mouches par le mot "viande". En effet, la viande de bonne qualité et les gros morceaux de chair étaient rares et avaient un prix en conséquence, tandis que les petites pièces comme j'en proposais aujourd'hui, faute d'avoir trouvé plus gros, étaient très prisées du peuple.
Ce petit gibier n'était pas bien gros et juteux, mais suffisait à satisfaire les estomacs douloureusement contracté par le manque d'une famille des bas quartiers.

Hommes et femmes s'échinaient à me hurler un prix susceptible de m'intéresser à travers le brouhaha et l'excitation, ainsi que la pression montait peu à peu autour de moi. Mes nombreux passages sur la marché m'avaient appris une chose : une étincelle pouvait embraser la foule, et c'était généralement la nourriture fraiche qui allumait le brasier.
Toute la subtilité était donc de laisser monter le prix et de prendre sa décision avant le point de rupture. Si on laissait l'attente et la nervosité grandir, les personnes civilisés se laissaient très facilement devenir des bêtes enragés et je ne voulais pas perdre de plume..

Sauf qu'un élément nouveau s'invita dans mon numéro habituellement bien huilé : un chuchotement angoissé prit de l'ampleur à l'arrière, calmant la foule et ses ardeurs. Les expressions sauvages laissèrent place à de la résignation, voir même de l'angoisse quand la voix forte d'un garde se fit entendre.

" Le Seigneur Théodemar Ecuviel ! Laissez passer le Seigneur Ecuviel ! "

L'angoisse de la foule avait donc un nom : Ecuviel. Sans le connaître personnellement, qui n'avait jamais entendu parler du plus riche marchand de Marbrume ? Sa réputation, plutôt mauvaise, le précédait partout ou il allait, à en croire le silence quasi-religieux qui s'était crée autour de moi.
J'avais entendu son nom pour la première fois sur le marché, ce qui est tout naturel pour un commerçant, mais chose plus surprenante, murmuré dans les Bas-fonds de Marbrume. Cet homme produisait autant de rancœur que de profit..

Il apparut devant moi, respirant l'assurance, en terrain conquis. Il avait prouvé mainte fois que le Marché était sa place forte et il ne s'en cachait pas, pavanant fier comme un paon devant moi, avec son sourire jovial.

" Bonjour mon jeune ami. Alors, combien veux-tu pour toute ta marchandise ? "

Si tôt sa phrase prononcé qu'une violente colère s'empara de moi, doublé d'une amertume tout aussi puissante. Sans même le connaître, à peine rencontré, je détestais cet homme. Pourquoi ? Car il représentait tout ce que je n'étais pas et ce que j'aurai pu être avant la Fange. Riche marchand, j'aurai pu le devenir en reprenant les rênes de l'affaire déjà florissante de mon père. Mais il était mort. Et avec lui, mes rêves de richesse et de gloire. Il fallait peu de chose pour faire basculer le destin d'un homme..
Cet Ecuviel, lui, avait réussi. Il avait assis sa fortune sur la misère du peuple, malgré la Fange, malgré les obstacles. J'aurai pu..

Mais finalement, il était ici, riche et puissant, devant moi, misérable et insignifiant, me demandant de lui vendre toute ma marchandise, conscient de sa position de force. Cette pensée eut pour effet de remuer la haine qui s'agitait dans mes entrailles. Je ne pouvais obtempérer et rendre les armes devant lui. Il en était même hors de question.

" Cela dépend de combien vous êtes disposé à payer, seigneur. "

J'avais répondu sur le même ton joyeux que celui dont il avait eu usage en s'adressant à moi, mais mes yeux contredisaient totalement cette bonne humeur apparente.

Finalement, quelque chose avait réussi à assombrir ma journée au delà de mes espérances..

Le jeune homme avait un beau visage, un visage de minet … on aurait dit un des nombreux prostitués mâles des Six-Roses. Mais qu'importe, ne nous attardons pas la dessus, haha.

Le jeune homme avait une sacré marchandise sur son étal et je me doutais que cela ne venait pas d'un vulgaire entrepôt où la viande avait été salée avant d'arriver ici.

Sa carcasse était fraiche, tout juste chassée on dirait. Le jeune homme pris son temps avant de me répondre mais il me répondit sur le même ton enjoué que le mien mais son expression laissait entrevoir le contraire de son humeur.

" Cela dépend de combien vous êtes disposé à payer, seigneur. "

Je regardais alors derrière moi avec un léger sourire, la gueuserie était amassée tel du bétail, tous prêts à sauter sur le moindre bout de viande et je savais que ces pauvres bougres avaient la faim au ventre … les paroles de Gondemar me revint à l'esprit

*Ce sont des gars de la rue … comme nous.*

Mon sourire avait disparu puis je soupira.  « Gondemar, je te hais. marmonnais-je puis je retourna mon regard vers le chasseur et je dis.

 « Plutôt la moitié de ton stock, mon ami. Eh bien … je te propose 20 pièces d'or. Des vraies. Pas des vulgaires pièces d'argent. dis-je avec un sourire amusé.

" Plutôt la moitié de ton stock, mon ami. Eh bien … je te propose 20 pièces d'or. Des vraies. Pas des vulgaires pièces d'argent. "

C'était généreux. Bien trop pour ces quelques pièces de viande. Et venant d'un tel commerçant, apparemment si féroce en terme de négociation, c'était étrange. Ma méfiance naturelle reprit le dessus. Que cherchait-il à faire avec une offre aussi alléchante ?

" 20 pièces d'or Seigneur, vraiment ? Au vu de votre réputation de marchand, je pense que vous savez que c'est un prix bien au dessus de la valeur de mon stock. "

Je ne pouvais croire à un pur acte de gentillesse désintéressé de sa part. Pas après tout ce que j'avais entendu. Ne l’appelait-on pas "Ecu rouge" par ailleurs ? Il n'avait pas hérité de ce surnom par hasard. En temps normal, une telle offre ne se refusait pas, et encore moins dans ma position.. Mais comment savoir ce qu'elle cachait ? Je repris, d'une voix que je voulais assurée, mais qui restait cependant douteuse.

" Aussi, je me vois dans l'obligation de vous poser cette question : pourquoi un tel prix, Seigneur ? Chercheriez vous à me proposer quelque chose d'autre ? "

La foule autour de nous retenait son souffle, et devait me trouver bien stupide de ne pas sauter sur une telle offre. Mais prudence est mère de sûreté, et cet antique adage m'a déjà évité bien des problèmes par le passé..

" Je ne cherche pas à vous offenser, rassurez vous. Mais comprenez que je me pose des questions sur les raisons d'une telle gentillesse.. "

Gondemar, je te hais, je te hais, je te hais ! Je suis bien trop généreux pas ta faute, ce minet à raison ! Je suis bien trop généreux … où est passée mon intolérance ? Ma cruauté … mon envie de brider au plus bas les prix ?! Où est passée ma motivation marchande des premiers temps ? Rah … Gondemar, ma conscience … je vais te tuer. Mais … mais, attend. Il n'est pas là le Rosalis … héhéhé, je peux donc tout prendre !

** Non ! Gondemar ne te le pardonnera pas et tu le sais.**

Foutu conscience … bon, allez juste une fois. Je bride un peu les prix et voila, héhéhé. Je regardai alors le stock mimant de l'inspecter, mon sourire carnassier se redessina sur mes lèvres puis je dis.

 « Tu as raison mon minet, je te propose une bourse de 25 pièces d'argent pour tout ton stock en fin de compte, très franchement c'est un bon prix.

Mon minet ? Il venait très sérieusement de m'appeler comme ça ? Mais pour qui il se prenait ce foutu marchand arrogant et arriviste ? 25 pièces d'argent, c'était pas mal. Une bonne moyenne, mais je pouvais espérer plus avec les enchères. Mais quel crétin je faisais. Pourquoi j'avais refusé sa première offre ?!
La prudence, ou plutôt la paranoïa me perdra.. Et ce, plus tôt que je ne le pense si je ne réagis pas, et vite.

Je finis par croiser les bras sur ma poitrine, en toisant cette parodie de marchand. Je m'attendais à.. Je ne sais pas, autre chose au vu de sa réputation. Pour le moment, à défaut d'avoir l'air féroce, il apparait juste comme un homme capricieux.

" A vrai dire, je ne cherchais pas à faire chuter les prix. Simplement à comprendre les raisons d'une telle offre. "

Je laissai échapper un soupir théâtral, pour offrir un spectacle convaincant à notre public. La foule n'avait pas bougé, attendant impatiemment le dénouement de cette affaire, plutôt mal partie.

" Donc si ce n'était qu'une offre sans arrière pensée eh bien.. Je me vois obligé de vous refuser celle-ci. Comprenez bien que la précédente était bien plus alléchante ! "

Le "minet" lui offrit donc un sourire carnassier. Il voulait jouer ? Très bien. Je serai comme à mon habitude : insupportable. Hors de question que je rampe à ses pieds comme les autres.

" Mais je suppose que maintenant que je n'ai pas su la saisir, elle n'est plus valable n'est-ce pas ? C'est bien dommage... Si vous n'êtes pas enclin à quelque chose de plus tentant, je me tournerai vers les autres marchands, après tout, ce serait légitime ils étaient là avant vous ! "

Un murmure excité commençai à prendre de l'ampleur autour de nous, chacun allant de son petit commentaire sur comment finirait cette entrevue. J'essayais d'occulter la présence des gardes, qui n'était pas pour me rassurer..

 « J'étais d'humeur généreuse mon cher, rien de plus. Mais voila, tu la refuse, je baisse les prix.

C'est alors que cet idiot … refusa mon offre, son stock valait même pas 25 pièces d'argent, oh le petit salopiaud ! Il m'imita quand à mon sourire carnassier, on dirait que le petit homme voulait négocier, il voulait jouer ? Eh bien, jouons ! Que le duel commence et je le gagnerai. Personne n'est capable de me résister et ce n'est pas un chasseur au physique d'une princesse orientale qui sera le premier.

Essayait-il de me menacer ? De me menacer avec les marchands derrière ? Ils n'auront jamais assez de couilles pour me berner mais … j'entendis alors des murmures excités derrière moi, c'est qu'ils s'enhardissaient les petits chiots sans défense, je le regardai avec mon plus beau sourire et je me retourna.

 « Ecoutez moi amis marchands, croyez vous que cette viande sera profitable pour vous ? Ne répondez pas, bien sûr que si. Vous allez acheter le stock entier au prix le plus fort et vous allez le revendre à un prix exorbitant, tellement exorbitant que vos clients ne viendront même plus et pourquoi ? Parce que nous sommes en guerre et la majorité de vos clients ne pourront même pas se payer un quartier de viande ! Et cela à qui sera la faute ? La faute au chasseur qui se prend pour un commerçant ! Il se prend pour nous et essaie de nous arnaquer !

Je me retournai alors vers le MINET avec l'assentiment de certains marchands, je lui souris alors et je dis.

 « 30 pièces d'argent, mon jeune ami.