Marbrume


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 Les absents ont toujours tort. ~ Tristan

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MessageSujet: Les absents ont toujours tort. ~ Tristan   Les absents ont toujours tort. ~ Tristan EmptyJeu 21 Avr - 3:04
Assise en tailleur sur la paillasse crasseuse qui lui servait de lit ces derniers jours, la chemise qu'elle portait relevée pour lui permettre cette position, elle démêlait sa chevelure avec ses doigts, pestant contre elle-même d'avoir oublié de prendre l'un des jolis peignes d'Elia.

Franchement tout allait mal. Déjà, malgré le fait qu'elle avait choisi l'auberge la plus pourrie à sa connaissance pour y trouver refuge, elle n'avait plus beaucoup d'argent. Au mieux, elle pouvait tenir cinq jours de plus, mais pas davantage, même en ne faisant qu'un repas par jour. Malheureusement et elle le savait, ce laps de temps ne serait jamais suffisant pour faire plier le châtelain qui l'emmerdait tant et elle ne trouvait pas que faire pour remédier à ce tracas-là.
Ensuite elle savait aussi louper en ce moment des choses importantes : des discussions entre marchands où elle aurait pu glaner une commande, peut-être deux. Acheter des tonneaux de vin pour les revendre plus cher avait toujours été son gagne-pain depuis le début de son mariage. Si négocier avec les créateurs de ces sublimes liquides n'était plus vraiment une chose d'actualité puisque les champs étaient envahis par les monstres nommés Fangeux, faire changer de main ce soyeux liquide était toujours possible.
Elle doutait de pouvoir remettre la main sur des crus entiers, amples ou harmonieux et comptait depuis qu'elles avaient débarqué à Marbrume se spécialiser surtout en piquets pour ne guère être trop déçue ou à court de marchandises trop vite. Et puis... Outre que cela lui demanderait un capital de départ moins important, il était plus facile de magouiller avec les fûts de bas-étage. Les rendre bien plus aqueux en les coupant à l'eau n'était pas bien difficile et ne changeait pas grand chose au goût amaigri et bâtard de base. Si elle avait un tant soit peu de chance, elle réussirait en plus à en obtenir un très ardent qui pourrait augmenter, une fois mélangé aux autres, la valeur des dites associations. Les gens aimaient parfois quand leur boisson leur décapait la gorge.
Elle même n'aurait pas dit non là tout de suite à une chope de ce genre, bien brûlante et enivrante, pour faire passer l'amertume aigre qui lui noyait le bout de la langue. Malheureusement tout au plus, elle savait ne pouvoir trouver dans le coin que de la pisse à peine rougie par des raisons moisis et ce pour un prix défiant celui de l'ambroisie.

Un petit cri désagréable lui échappa soudainement quand sa paume rencontra un nœud plus gros que les autres. Foutus cheveux, même eux faisaient de la résistance. Elle n'étouffa pas le juron très peu féminin qui lui monta aux lèvres et s'ouïr parler fit perler deux trois notes de son rire cyniquement. Elle allait finir par devenir folle : vivre seule n'avait jamais été son truc et chaque journée qui s'égrainait lentement le lui rappelait.
Les murs d'ici étaient loin d'être étoupés et elle entendait chaque gémissement, chaque frémissement de plaisir ou de douleur de ses voisins. Quant à leurs hurlements, c'était comme s'ils les dégueulaient directement dans son oreille tellement elle percevait chaque mot à la perfection. Malgré tout, elle se sentait bien plus seule que dans sa chambre dans la maison de sa belle-mère. Elle ne pouvait pas sortir pour aller râler longuement avec quelqu'un qui la comprendrait. Il n'y avait que des inconnus, ici, à la gueule plus désastreuse que celle de Malek et c'était bien peu dire. Leurs nombreux visages défigurés par les ans et les coups tordus n'attiraient pas franchement sa sympathie, pas davantage que leurs sourires édentés. Certains présentaient mieux, soit, mais la lueur au fond de leurs yeux avait un je-ne-sais-quoi de troublant et de nocif qui rebutait la gueuse. Aucun de ces gens, pensait-elle, ne pouvait se targuer d'être un réel marchand, tout au mieux un charlatan. Elle n'avait donc rien à faire avec eux réellement.
Elle s'imagina cependant descendre de son nid et se prendre la tête avec l'un d'eux, songeant que cela lui ferait tout de même le plus grand bien tant que la situation ne tournait pas à l'affrontement. Mais tout au plus la rabrouerait-on, tout au moins l'ignorerait-on ; dans tous les cas, cela finirait mal encore.

La tête de mule eut un mouvement d'humeur : ses mains lâchèrent sa crinière sans attaches pour venir rebondir contre la paille de sa couche. Quand par tous les dieux serait-elle enfin libre de faire ce qu'elle voulait ? Ses buts étaient pourtant simples comme bonjour et se résumaient aisément en peu de palabres pas bien difficiles à comprendre : continuer sur sa lancée. Elle voulait assurer une vie calme et tranquille à Elia et à elle, grâce à tout ce qu'elle avait appris, puis se rendre utile, peut-être en s'engageant dans la milice une fois formée aux armes.
Il n'y avait pas de place pour un mari ou un amant dans son idée de futur, surtout si elle ne le choisissait pas elle-même. Et surtout s'il se nommait Tris... Personne.

Elle se redressa pour essayer de faire disparaitre ses pensées néfastes. Elle ne voulait pas même prononcer sans le dire le prénom de Personne. Elle avait soif de l'alternative que lui refusaient une ancienne promesse et la menace du vieux du Val du Lys. Peut-être devrait-elle cependant réfléchir à une autre vie et fuir hors de Marbrume pour trouver un petit village abandonné où deux ou trois pécores subsistaient ? Le Labret serait-il une solution ?
La vue de ses cicatrices la fit revenir dans le réel. Niet. Cette fois-ci, elle n'aurait sans doute pas de garde pour la protéger, aussi autant utiliser sa dague et s'ouvrir le cou si elle voulait vraiment tenter l'expérience. La mort serait ainsi plus rapide et moins atroce.
" Personne pourrait te guider si tu lui demandais. " Susurra sa perfide, sirupeuse et silencieuse petite voix intérieure. Elle serra les poings. Il était hors de question de songer à Personne, ne se l'était-elle pas assez répété ces derniers temps ? Et pourtant, il revenait en force dans sa tête, à l'instar de l'ennui flagrant qui était le sien. Que les absents étaient chiants d'être si présents. Surtout lui et Elia.
Elle ne voulait pas se souvenir de sa grande taille. Il était si haut qu'à son contact, elle se sentait parfois petite souris, presque comme une fille normale. Oh elle ne craquait pas sur le gâteau à la crème qu'il paraissait être pour bien des donzelles ; même si elle était gourmande, lui... Lui il était Personne. Interdit quoi, malgré sa chevelure presque grise, sa voix qui ne pouvait la laisser indifférente en bien comme en mal. Ils étaient tous deux responsables de trop de conneries pour qu'elle se relaisse prendre au jeu de leur amitié haineuse et aimante. Et puis surtout, rien ne lui disait qu'il ne faisait pas partie de cet infâme complot visant à la priver de sa liberté : cela lui ressemblait bien trop d'un coté et en même temps pas du tout.
Bref, Personne avait le don de lui faire sortir ses griffes, même maintenant. Même après un an sans se voir ou se croiser.

Elle s'approcha telle une louve en cage du pertuis tenant lieu de fenêtre à son logement trop sale. La chose était vraiment trop mal nettoyée pour qu'elle puisse mirer l'extérieur, mais elle se contenta de s'y adosser souverainement. Son regard dériva le long du peu de meubles que contenait la salle et s'arrêta sur son sac de fripes. Demain il faudrait qu'elle demande au tavernier où trouver un puits pour faire la lavandière : elle n'avait pas même assez pour s'en payer une et toutes ses tenues allaient bientôt être immettables.
La chambre était en tout cas minuscule et pas vraiment très propre, mais au moins avait-elle un espèce de verrou de bois qui lui permettait de se barricader de l'intérieur et d'éviter voleurs et mauvaises personnes. Sur les murs jaunis par les ans et antan blanchis à la chaux, d'anciens pensionnaires avaient laissé des cadeaux peu ragoûtants. Là des trous témoignaient de violences mal gérées. Ici des tâches dont il valait mieux ne pas tenter d'imaginer la conception avalaient une bonne partie d'un angle et rognaient même le sol. Le parquet craquelait à chacun de ses mouvements et émettait un gémissement bien plus plaintif quand elle tournait en rond.
Il y avait en tout et pour tout la place pour une paillasse, un petit plan de travail en bois gonflé par l'humidité ambiante qui soutenait un broc d'eau peu fraiche et à peine assez d'espace pour naviguer entre. Ses fringues étaient posées près de l'oreiller en un foutras total.

Par les cornes et les couilles de Serus, qu'elle s'ennuyait terriblement et qu'avoir des dilemmes à résoudre était épuisant.
Elle s'étira, noua ses cheveux rapidement avant de jeter un nouveau coup d’œil vers son sac. Recompter sa monnaie l'occuperait peut-être assez pour la distraire. Ou lui permettrait au moins de choisir en fonction du résultat qu'elle connaissait déjà si elle se payait un bol de soupe ou pas pour déjeuner, vu que ce n'était pas compris dans le prix du logement. On devait être aux alentours de midi si elle se fiait au boucan qu'elle entendait et son estomac le lui rappelait. Malgré tout, elle hésita à jeûner.
C'était qu'elle n'avait aucune envie de devoir s'habiller...
Les habitudes qu'elle avait pris avec Elia depuis leur arrivée à Marbrume lui permettaient généralement de rester en chemise toute la journée quand elles ne recevaient pas de visites ou ne sortaient pas.
Ici, elle n'avait même pas osé dormir nue à l'idée qu'une saleté de mite ou qu'un horrible cafard pouvait venir se loger et s'écraser sur sa peau durant la nuit. Ça la dégoutait. Elle n'était en effet pas autant un homme en robe que le prétendait parfois sa belle-mère pour la taquiner et avait en horreur la plupart de ces petites créatures menues et affreuses qui se baladaient dans les endroits aussi sordides qu'ici-bas. Au moins n'en n'avait-elle pas croisé encore de jour, même si elle redoutait de plus en plus cet instant. Elle savait qu'elle ferait une grimace dégoutée avant de l'écraser en frissonnant telle une sale gosse apeurée qui n'arrive pas à surmonter une crainte déraisonnable pour son âge.

Penser à ce moment dégueulasse qui ne manquerait pas de lui arriver la poussa finalement à se diriger vers ses fringues. Même si elle ne pouvait pas se permettre de se nourrir correctement, au moins pouvait-elle sortir prendre l'air et ça, même Luderik ne pourrait jamais lui enlever tant qu'elle se trouvait dans ce quartier. D'abord parce qu'il n'avait sans doute pas songé à la chercher au milieu des brigands et des filles de petite vertu. Et puis aussi parce qu'il ne devait plus avoir assez de thunes pour tenter de l'enlever en plein jour, n'est-ce pas ?
Ce n'était pas de plus comme si elle était un parti si intéressant que cela.

Elle choisit une robe au pif et commença à l'enfiler en se demandant comment elle pourrait mieux faire payer encore à ce renard les plans sur la comète qu'il avait créé à son égard. Par sa faute, elle se retrouvait séparée de sa belle-mère qu'elle avait pris en affection et la délicieuse Elia lui manquait. Sa joie de vivre et sa manière de répondre à tous les dires même les plus violents lui faisaient généralement l'effet d'un calmant drogué auquel ici elle n'avait pas accès.

... Nysa râla on ne peut plus fort quand un des rubans de son corsage s’emmêla dans sa chevelure qui avait décidé soudainement de retomber sur son dos après s'être délivrée du galant qui la retenait.


Dernière édition par Nysa Calirrhoé le Ven 22 Avr - 1:26, édité 1 fois (Raison : Vilaine et fourbe faute)
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Tristan du Val de LysChevalier
Tristan du Val de Lys



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MessageSujet: Re: Les absents ont toujours tort. ~ Tristan   Les absents ont toujours tort. ~ Tristan EmptyJeu 21 Avr - 9:04
Tristan ne savait pas lire, mais savait reconnaître - entre mille - les boucles manuscrites que couchait son géniteur sur le parchemin d'une missive. Ouvrant son enveloppe marquée d'un Lys oblitérant un cachet de cire, broyant ensuite l'épicarpe de papier dans un poing avant de la livrer au brasier flamboyant à ses pieds. Là où les cadavres fangeux crépitaient encore, chair fondant en cloques et fluides clapant en gerbe de graisse, élevant dans les cieux une épaisses fumées noires, lorsque son regard parcourait ces foutues lignes qu'il ne pouvait déchiffrer. Voyons quel genre d'humiliation s'ajoute à mon palmarès, anticipant déjà le regard éberlué de celui à qui il mendierait la traduction... Il leva tout d'abord la lettre à son regard, son heaume pour une fois sous son bras, ses mèches cendrées retombant devant son regard, étudiant l'objet un instant. Verso, puis recto, cherchant à quoi il devait s'attendre, comme un enfant découvrait un jeu de cubes marqués des lettres de l'alphabet. Celui-ci révélant alors ses écrits, les flammes du bûcher lui apparaissant à travers le translucide du feuillet parcouru de ses lignes noircies d'encre, comme à l’accoutumée, exposant un véritable charabia pour ses yeux mal instruits. Bien qu'il pu remarquer que Luderik y avait mit de son énergie dans un maigre paragraphe ; sans y mettre un seul plan, ni dessin, ni flèches, comment veut-il que je comprenne ? Si ce n'était y percevoir des formes courbées sur la gauche, bien plus que de coutume, et bien trop géométriques pour s'y être appliqué, ni même les avoir posées avec sérénité...

- « Toi, soufflait-il à l'attention du jeune messager qui s’apprêtait à partir, ne détachant pas son regard de la lettre tandis que Tristan l'attrapait doucement par le col de la nuque, puis de l'attirer irrésistiblement à lui. Tu sais lire ? poursuivait-il, levant un sourcil dans sa direction.
- Heu.. Oui, Messire, répondit l'adolescent, s'avérant érudit.
- Alors traduis. A faible voix... s'il te plait. »

L'adolescent s’exécuta alors, commençant à parcourir silencieusement la missive dont il prit possession. C'est après s'être éclaircit la voix d'un petit toussotement, une seconde d'hésitation seulement, qu'il en fit enfin la lecture :

----------

Crétin,

Puisse Adelheid surgir d'outre-tombe et te pulvériser les bourses entre ses griffes. Tu t'es encore couvert de ridicule en quittant la Cité Franche, fils, nos rares sympathisants se sont détournés de toi. Et c'est à moi, une nouvelle fois encore, qu'il revient de réparer les pots cassés. Je n'ai jamais demandé à ce que tu te comporte en clébard, mais si tu tiens tant à remuer la queue devant la Puterelle de Corbeval, je préfère encore que ce soit moi qui te dresse et te mette au pas. Personnellement.
Par conséquent, ne t'inquiète pas, tu continueras à te comporter tel un chien. Au pieds Tristan ! Assis, debout, couché ! Tu vas rentrer à Marbrume prestement car, et incruste-le dans ta méprisable cervelle de cabotin, il est grand temps pour toi de te mettre la laisse au cou. Comprends par là, et sans plus de détour, que tu passeras la bague au doigt de Nysa Calirrhoé. Tu t'en souviens, je m'en doute. Je le suppose, je sais ton goût pour cette guenaude des champs. Va donc t'en quérir de ta dulcinée à l'adresse ci-jointe, ou j'irais te l'accrocher moi-même à croc de boucher.
Prends note et sache que la demoiselle traine ses casseroles, même si elle ne semble pas mesurer la gravité de la situation. Je te rappelle au bon souvenir de son défunt mari et les étranges et éventuelles conditions qui englobent sa mort. Il serait dès lors regrettable, pour elle, de trouver en sa défaveur quelques indices suspects ; ce qui lui vaudrait qu'on lui passe les fers à l'ombre des geôles les plus sordides. Ce à quoi je m'emploierai, tu t'en doutes. Retrouve-moi en notre demeure dans les plus brefs délais ; avec elle à ton bras. Nous discuterons des préparatifs. Surtout, ne me faites pas perdre patience. A bon entendeur.

Signé : Ton père.

Post-scriptum : Si Nysa grogne, merci de lui transmettre mes plus sincères amitiés en souvenir de son bon père. Qui lui, au moins, connaissait le sens des mots Loyauté et Sacrifice. Et tant que tu y seras, rappelle donc à cette ingrate qu'il est vain de me fuir.


----------

Ah. C'est inhabituel. Je rêve ; je couve une fièvre, une tension soudaine. Mes pupilles se dilatent, mes sourcils se morfondent en une courbe d'inquiétude, mon souffle se faisant plus court. Un cœur douloureux ; il se comprime tandis que ma poitrine semble vibrer. Elle me prouve que je suis encore vivant, mais mes yeux soudain se tétanisent, puis bondissent en quête du bruissement des flammes, comme si le bûcher allait me procurer des réponses.
Feu, qu'est-ce qui m'arrive ? Le temps se soulève en trois points de suspension, ses grains de sable ne s'écoulent plus. Je me sens... Remué. Ébranlé par quatre lettres. Quatre petites lettres dont j'ignore l’appellation, mais que je peux toutefois tracer de l'index. Elles forment une sinueuse anfractuosité, un tracé, suivis d'une circonvolution finissant en boucle ; elle s'appelle Nysa. C'est elle qui m'a apprit à dessiner son prénom.
Ca fait plus d'un an maintenant que nous ne nous sommes pas revu. Depuis la mort de son mari, elle avait une dent contre moi. J'ignore pourquoi... Comme toujours. Nysa est une femme compliquée. Casse-burettes. Une rousse orchidoclaste qui vaut bien qu'on crève pour elle. Vrai fauve aux dents longues, trop occupée à m'entrainer dans un gouffre aux cloisons de rancœurs pour m'apaiser. Toujours à raconter, toujours à critiquer ; belle et révoltée, je succombais silencieusement à ses yeux de sorcière, fatale et envoutante comme prête à me foudroyer de sortilèges. Son regard, sa peau, son parfum,... sa bouche.

Nysa me rend faible.

Je dois vomir ses effluves, ce chaos infernal qui soudain me martèle le crâne. Cet enfer est inutile... Il n'est pas juste... Ils devraient être tous morts, ceux qui me sont proches, après tout ça les arrangeraient. Ils connaitraient ainsi l'éternelle plénitude. Non ?
A vomir, plutôt. Ce que je fis, arrosant le bûcher d'une saillie de fluides gastriques, puis reposant mes mains sur mes genouillères, soudain déforcé, fébrile, mes paumes chutant sur mes rotules en guise de reposoir... Je ne me sens pas très bien.
Ce n'est pas le souvenir de Nysa que je viens de dégorger. Elle, elle est toujours là, quelque part. Mais c'est le coup de trop. Mon corps sature. Et tandis que je me redresse, droit et jouant des épaules comme pour me remettre d'aplomb, son fantasme me laisse plutôt soupirer, acariâtre tant cette peste me manque.
Des restes luisant aux lèvres, que j'éponge alors du revers de ma main, je me dis que non ; c'est bel et bien ce que veut en faire mon père qui m'est indigeste. Son esprit est lourd. Simplement lourd. Je ne lui dois rien, au contraire... Mais si lourd tout de même. Extraordinaire de lourdeur. Et puis le mariage, le sexe, l'ambition, l'art, la politique, le rendent lourd, encore plus lourd. A l'image du monde qui m'entoure, il est infirme... Infirme parce qu'il pèse. Peut-être verrais-je un jour une révolte d'esprit se soulever contre son poids ? ... Mais ce n'est pas pour demain. Il est comme du poison dans mes veines, acidifiant ma chair ; il m'est devenu toxique.


Très loin de lui l'objectif de satisfaire son père, et d'ailleurs bien incapable de s'y soumettre, Tristan n'avait pourtant mit qu'une poignées de minutes pour se préparer. Se rinçant la bouche, recrachant une gerbe de flotte dans la rigole, passant un doigt sur ses dents, se rinçant négligemment le visage en s’aspergeant d'un sceau d'eau (qu'il espérait propre). Sans pour autant manquer d'hygiène, l'homme était sale et n'avait pas... D'écuyer. Peut-être que Nysa pourrait me cirer les pompes...? Songeait-il, perdu dans ses pensées, esquissant un mystérieux discret sourire taquin, encore trop imperceptible pour que le passé qu'ils partageaient tout deux puisse être relaté... Si ce n'était qu'elle lui manquait encore plus, un instant où, prenant conscience qu'il ferait bientôt route vers les quartiers de Labourg, ils se confronteraient l'un à l'autre. Tôt ou tard.
Mais soit. A Traquemont on faisait avec les moyens du bord. Si bien qu'on aurait dit qu'il était chemineau, comme recouvert de suie ci et là ; un énième témoignage des bûchers ponctuant les alentours du fort.

Une portion du menton encore sale, une arcade à demi poussiéreuse de cendres, ce fut dans cet état qu'il fit route. Drapé de cape ondulant bruyamment au gré de la bourrasque sifflant le long de tout son être, le Lys noir à la chevelure cendrée s'élançait au grand galop ; quittant Traquemont à vive allure sous le tonnerre du fer de ses sabots. Je serais de retour avant que le soleil n'ait fait deux tours de cadrant. Si on me demande d'ici là, tu diras que je suis partit dans l'urgence m'enquérir d'une potentielle recrue, avait-il déclaré à la tête du messager en guise d’adieu, pragmatique et sans plus de cérémonie. Chevauchant une monture massive, aussi robuste qu'un cheval de trait puisqu'il s'agissait d'un destrier. L'animal était caparaçonné, affublé de plates et d'une robe encrassée - si ce n'était de nuances grises, brunes et vertes - d'une bouse sèche sous laquelle se dissimulaient les couleurs du Val de Lys. On devinait du rouge, du noir, du doré. Un bel étalon surgissant de la crasse, capable de déplacer la figure massive de son armure, labourant ainsi terre et gadoue sous ses quatre jambes, n'éprouvant que peut de scrupule pour la végétation des marécages.

Le Chevalier ignorait le temps qu'il mit pour atteindre Marbrume, la tête emplie de songes quand les fangeux n'avaient pas à lui donner de quoi courser pour les distancer. Des songes emplis d’appréhensions surtout, ignorant totalement comment réagirait son amie, dont il savait qu'elle ne voulait plus le voir. Elle ne se jetterait pas dans ses bras, c'était certain ; peut-être aurait-il droit à une bonne gifle. Méritée ou non. C'était Nysa après tout, une femme qu'on ne pouvait saisir qu'à force de fréquenter. Comme Malek, peut-être. Ou Cyrian, qui sait. Enfin, la vieille Elia savait de quoi il parlait ; car Demoiselle Calirrhoé était un dragon, et le Chevalier Tristan partait à sa quête. Non pour les écailles, mais bien pour veiller à la mettre en sécurité, la cacher, la placer à bonne distance du carcan de Luderik. De cette façon, et il l'espérait, tout deux ne se marieront jamais.

Jamais.

Le quartier de Labourg. Enfin. Le cataclop des sabots résonnèrent dans les ruelles, slalomant entre les ternes silhouettes, les mauvaises mines des pouilleux, des mort-de-faim et autres réfugiés de Marbrume. Chevalier ! Chevalier ! Firent soudain des voix juvéniles, cristallines. Parmi cet amas noir de monde, de jeunes clochards - ceux trop pauvres, que l'on payait d'une pièce pour sonner les cloches de la cité - trottinaient à ses côtés ou derrière son cheval déambulant au pas. Ils semblaient heureux de le voir, mais Tristan leur adressait un regard totalement neutre pour des raisons évidentes. Val du Lys n'était pas un nom méconnu des miséreux dans les bas quartiers, certains lui étant reconnaissant, celui-ci escortant parfois la douce Aelys De Beauval fut un temps plus clément ; lors de ses charitables bonnes œuvres parmi les plus démunis. La raison pour laquelle il semblait détaché ? C'était encore une lubie de Luderik, une fois de plus, cherchant à s'en faire bonne publicité aux yeux du bon peuple. Ce diable était omniprésent dans la vie de Tristan.

Mais il avait autre chose en tête. Le Cendré quitta donc son cheval, le confiant à l'écurie - l'une de celle où l'on abattait pas encore les chevaux - une fois qu'il fit halte non loin d'une auberge, ainsi baptisée Au Phoque Équestre... A dire vrai, Tristan semblait imperturbable, mais émit tout de même une pause. Là, si prêt du but. Derrière cette porte de bois, de cette bâtisse résonnant du son étouffé de la musique, du brouhaha vrombissant de l'intérieur, c'était là que résidait... Nysa. La réponse au pourquoi il s'immobilisa devant un réservoir fait de bric et de broc, à moins qu'il s'agissait d'un abreuvoir de fortune, reposant ses mains sur ce qui devait être les rebords d'un tonneau débordant d'eau de pluie. Il s'y appuya, y soupira longuement, tout en observant un instant son reflet. Le remarquant, il en leva un sourcil, inclinant son visage sur le côté. Mèches mortes se balançant avec souplesse devant ses yeux, il en conclu que son voyage ne l'avait pas rendu plus reluisant, passant donc un revers de poignet sur son front, mais étala plus encore une trainée de cendres sur sa tempe...

Soit...

Il plongea ensuite le creux de son autre main sous la surface de l'abreuvoir, humectant son visage comme pour se donner un semblant de fraicheur, puis la passa dans sa chevelure, comme si à l'aide de ses doigts il se donnait un coup de peigne. Soucis de faire bonne impression, sans doute. Du moins, autant que faire se peut ; c'est à dire pas du tout.

Voila un an, déjà. Elle ne pouvait plus me voir en peinture... Soit, une fois encore. Alea Jacta Est, Tristan se redressant brutalement, faisant osciller la surface du tonneau, puis marcha d'un pas plus déterminé, poussant fermement la porte de l'auberge, pour alors attirer moult regards suspicieux sur lui et sa grande taille - très discrète, ou pas - et pour lesquels il ne jeta que des yeux froids, des sourcils légèrement crispés, l'air de dire Oyez. Je viens pour Nysa. Quiconque cherchera à m'en empêcher sera écrasé.

Simple déformation professionnelle.

Il parvint ainsi au comptoir. Là où, après une brève consultation à son sujet, l'aubergiste lui dit que Nysa ne voulait pas être dérangée. Sous aucun prétexte. Des mesures qui pouvaient se comprendre, au cas où Luderik tentait à venir la chercher, il fallait sans doute le retarder. Mais un bien trop maigre obstacle pour un Val de Lys pourvu d'une volonté qui se voulait écrasante. Ainsi Tristan s'en détourna, prenant la tangente, s'esquivant en s'engouffrant dans le couloir, puis s'engageant dans les escaliers.
- « Monseigneur, je vous en prie, arrêtez-vous ! Et ça y était, le chaos qui revenait, encore, toujours, les gens ne se tenaient décidément jamais tranquille. Tristan bousculant d'une brassée quelques personnes qui s'entassaient là comme des sardines, enjambant dans sa démarche quelques corps assoupis. Puis vint un véritable capharnaüm dans l'étroit corridor ; il lui fallait faire place, ouvrant les portes une à une, poussant, ou repoussant de son pieds les guéridons et autres meubles, les faisant grincer sur le plancher pour se faire de l'espace. Un vase qui se brise. Un cri ; il marchait sur quelques orteils. Un cadre qui s'écrase, suivit d'un dos heurtant brutalement un mur, ayant préalablement rencontré la marche inexorable du Chevalier. Jusqu'à ce qu'il croise un vieux sir à la longue barbe grise... Apparemment ivre et habitué des lieux, un peu trop attaché, voir zélé, quand il se ralliait aux suppliques de l'aubergiste.
- Vouuus ne passereeez pas ! Dit alors le vieux barbu en écartant ses bras, comme pour lui faire obstacle. Mais c'était mal connaître Tristan.
- Fais place. Impassible. Implacable. Le chevalier se courba pour s'enfoncer dans le ventre du vieillard, jouant de son épaule pour le faire rouler sur son dos, se redressant pour le faire culbuter par-dessus sa personne en un ultime revers du bras, pour alors terminer sa roulade les quatre fers en l'air. »

Et ce fut là, enfin, après tout ce remue ménage, que Tristan se planta devant la seule porte qui lui restait à ouvrir. Se saisissant alors de sa poignée, malheureusement celle-ci lui résista. Puis il marqua un soupçon d'hésitation ; que dire à la femme qui ne souhaite plus me voir ? Se demandant s'il devait au préalable se munir de son bouclier, il se décida finalement à frapper à la porte, ouvrant la bouche sur quelques mots :
- « Nysa ? ... Nysa ?! ... C'est... hum. C'est Tristan. Le tout accompagné des plaintes de l'aubergiste qui pleurnichait encore à ses côtés, le priant les mains jointes comme si ce devait être nécessaire ; Ô Messire je vous en prie, pas de scandale, elle n'est peut-être pas là, s'il vous plait, et bla-bla-bla.
Tu n'as pas besoin de geindre, paillard. Ce n'est pas toi que je suis venu voir, lui répondit-il froidement. Puis se tournant à nouveau face à la chambre au demeurant close, sortant la lettre de son père d'une faille de son armure, puis cogna doucement son front sur le bois de la porte. Imagine un peu, le grand Tristan tout penaud, piteux... Impensable, cependant elle seule devait l'entendre et non pas tout le couloir : Nys'... sale gosse... ouvre, tu sais que je vais défoncer cette porte, un timbre dans sa voix qui le ramena à une douloureuse mélancolie ; un passé où il s'exprimait encore de cette façon. J'ai en ma possession une lettre qu'il te faut lire. Prends-là, et je m'en irai. »
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Les absents ont toujours tort. ~ Tristan Empty
MessageSujet: Re: Les absents ont toujours tort. ~ Tristan   Les absents ont toujours tort. ~ Tristan EmptyVen 22 Avr - 12:40
Ah le traitre, le fourbe, le vil, l'infâme félon qu'était son esprit lui jouait des tours. Il la narguait sans bravoure en lui faisant entendre une voix qu'elle n'espérait pas et lui rappelait une chose futile que lui avait soufflé sa mère alors qu'elle atteignait la hauteur de vingt pommes et ce quand les donzelles de son âge n'en faisaient que quinze.
" Si tu veux très fort qu'un fait se produise, cela arrivera. "
C'était un pieux mensonge à l'époque, pour sûr, mais l'on est bien ignorant quand on a sept ans. Nysa l'avait cependant confirmée vite, cette impression qu'on se foutait de sa gueule pour la lui faire fermer au moins cinq minutes. Elle avait eu beau prier tous les dieux, sautiller à cloche-pied et courbée en retenant son souffle, jeûner, se tenir voûtée le tout en espérant de toute son âme un changement, elle n'avait jamais pris taille humaine - toute menue -. Seulement celle de géante qu'elle se connaissait depuis toujours.
Aussi, en se basant sur cette réminiscence, cela n'aurait pas dû l'étonner d'ouïr là, maintenant, tout de suite, les quelques palabres non dénudées de menaces mélancoliques qu'on lui envoyait au travers du trou de la serrure vermoulue de son refuge. Les désirs ne devenaient jamais réalité. Ou peut-être que si, finalement.

N'avait-elle pas trop de tendresse pour le fantôme responsable du vacarme qui doublait les battements de son cœur et lui en faisait rater un de temps en temps ? Si. Non. Peut-être. L'avis de l'organe qui pompait son sang ne confirmait ni celui trop nébuleux de sa tête, ni celui indécis de sa langue. Elle l'aimait fortement. Elle ne l'aimait pas gentiment. Elle ne savait pas. Plus.
Elle lui en voulait donc autant qu'il comptait, se décida-t-elle enfin pour mettre chaque partie d'accord. Il était un bout essentiel de son passé, mais jamais, au grand jamais de son futur se promit-elle nonobstant sa gourmandise trop sage et particulière pour le biscuit empoisonné qu'il avait été...

L'intonation trop connue et trop souvent présente dans ses songes la fit en tout cas se tenir coite quelques secondes quand elle compris que tout était vrai et bel et bien en train de se dérouler grâce au stupide larron qui gémissait. La chimère trop vivante, celle qui menaçait de passer le seuil de sa cachette n'aurait pas dit son nom que Nysa l'aurait de toute façon identifiée entre mille, même dans une hallucination. Personne. Personne était là, en chair et en os. A quelques pas, telle une apparition née de ses rêves les plus fous et de ses cauchemars les plus troublants mêlés. Avait-il débarqué en se reconstituant dans une ombre oubliée ou était-il arrivé à pieds ?
Son cou se tordit, raide, droit, afin qu'elle puisse mirer de tout son saoul le bout de bois qui les séparait l'un de l'autre, tentant de percevoir au travers des échardes les formes de son corps à lui. Ses doigts sur son corsage enfin mis à sa bonne place, mais point encore convenable, arrêtèrent leur travail un instant. Tel un animal aux abois, son corps entier se tendit... Jusqu'à ce que Nysa se mette à tituber sans bouger, les yeux grands ouverts. Merde. Il avait dit qu'il allait fracasser sa porte. Non ? Flûte, elle ne se souvenait déjà plus tant que rien que l'entendre avait prôné sur tout.
Peut-être parce qu'il était simplement lui, à moins que ce ne fut parce qu'il avait utilisé le ton qu'il fallait - celui-là là, si bas, si doucement repentant et si vide de moqueries - elle faillit se laisser convaincre de lui ouvrir pour éviter qu'il ait à péter le mobilier qui ne leur appartenait pas. Juste pour rafraichir ses souvenirs, se jura-t-elle silencieusement, pour graver dans sa caboche les changements de ses traits et prendre connaissance de son message. En un an tant de choses pouvaient s'être passé et les avoir défigurés...
Mais, aussi vite que cette pensée lui vint, elle fut refoulée par la tornade de ses sentiments. S'il entrait, il ne repartirait pas. Ou alors, il lui ferait mal en se barrant. Elle ne souhaitait pas retomber dans les travers de leur ancienne relation.

Bordel de nom d'un glaoui de Serus bouffé par Rikni. Pourquoi fallait-il en premier lieu que l'on ait retrouvé ses traces ? Ses bras se firent soudainement ballants, comme si le bout de ses mains se retrouvait alourdi par le poids de la vérité qui se dressait là tandis qu'elle expirait tout l'air qui s'était arrêté dans ses poumons.
Personne venait de mettre à mal son plan boiteux créé pour survivre. S'il était au courant de sa présence ici, Luderik le serait aussi sous peu si ce n'était pas déjà le cas.

" Va-t'en. "

La réponse lui échappa, comme tous les dires qu'elle ne voulait pas prononcer, mais qui jaillissaient de ses lèvres quand même puisqu'elle ne réfléchissait souvent qu'après avoir causé.
Elle se rapprocha de lui, posa avec une délicatesse insoupçonnée une paume caleuse sur le bois usé et répéta tel un mantra sa prière. Sa gorge se desserrant totalement, sa voix rauque se fit plus rude, plus claire et plus forte comme si son envie de baston vocale se dévoilait enfin au grand jour. Elle avait un adversaire là, à sa hauteur et qui la connaissait bien. Trop sans doute, mais s'il ne s'était pas transformé en ordure dégueulasse, s'il n'était point devenu un clone de son géniteur, elle ne craignait rien de plus de lui qu'avant à part de simples regrets. Enfin, tant qu'il ne forçait pas le passage.

" Fous le camp, Tris..."


Elle l'appela donc cette fois. Presque en entier. A haute voix. Elle osa, malgré tout ce qu'elle s'était juré et le regretta dès la première syllabe. Tristan. Elle se détesta, même si elle ne l'avait fait que pour qu'il comprenne que c'était à lui et lui seul qu'elle parlait et non au trublion désespéré à ses cotés. Que par mauvaise habitude qui revenait trop vite.
Le i roula sur sa langue, tout comme à dire vrai le reste de ce prénom honni et tant apprécié mentalement. Tristan. Personne. Lui redonner sa véritable identité au lieu de ce surnom qui lui permettait de ne pas trop voir mentalement - bien qu'à grande peine - ses linéaments lui rappela tout ce qu'elle aurait aimé oublier. Son sourire pétillant quand il ne faisait pas une gueule d'enterrement notamment. L'avait-il, là, derrière cette si faible muraille qui pourtant la protégeait ? Devait-il s'avachir et donc plisser son front involontairement pour ne point toucher le plafond ? Non. Elle ne pouvait pas se laisser attendrir par quelques détails, son avenir en dépendait.
De plus, vu comment l'aubergiste gémissait, son ancien compagnon de jeu devait avoir sa tête des mauvais jours, celle qu'il réservait normalement à quand l'un d'eux allait trop loin ou quand qu'il devait avoir une discussion avec son paternel. Mais ça, n'était-ce pas antan ? Si, sans doute puisqu'elle n'avait rien fait cette fois pour mériter son courroux, outre refuser le destin qu'on voulait tracer pour sa pomme. Il n'avait donc pas de raison compréhensible pour se montrer fermé, ombrageux et terrorisant, presque insensible à ce qui l'entourait. A part si...

Elle recula comme si l'arbre mort et découpé avait décidé de revivre et l'avait brûlée ou piquée sans préavis et ce avec une violence inouïe. Forte de sa décision prise ce qui lui semblait des siècles auparavant, elle serra les poings. Elle ne l'entretiendrait pas en face à face et ce même s'il s'imposait. Il se présentait devant chez elle tel un chevalier en armure, mais peut-être à la solde de son cloporte de maître ; de ce renard de Luderik qui ne méritait en rien l’appellation d'être humain et avec qui elle ne voulait pas négocier, même au travers d'un sbire aussi charmant que son enfant.
" Surtout pas avec lui. " s'ordonna-t-elle. Car, quand il le souhaitait il était fort bien capable de la faire plier, tout comme Elia, même si différemment. Lui avait de plus bien d'autres arguments parfois terriblement plus convaincants. Elle secoua la tête pour chasser tous les souvenirs qui refluaient à ce sujet et formaient en s'agglutinant une vague trop haute qu'elle n'avait pas perçue avant son arrivée dans ses pensées les plus conscientes. Elle n'avait pas le temps de se perdre dans un moment qui n'était pas le présent. Alors dans dix, vingt ou cent...
Adonc si Tris' osait violer son sanctuaire, elle se ferait cette fois encore un plaisir de gueuler plus fort qu'une tempête, d'attirer chaque regard sur son comportement peu exemplaire avant de chercher une autre taverne où se réfugier. Cela lui manquait bien trop, la possibilité de l'abreuver de piques, pour ne pas le faire s'il lui offrait même une minuscule excuse pour commencer. Et puis de toute manière, il le méritait. Pour Tamien, pour elle, pour leur passé. Que cherchait-il en venant là, à part potentiellement lui foutre un ruban au poignet qu'elle ne souhaitait pas - bien entendu - ? Ne l'avait-elle pas assez évité pour qu'il comprenne qu'elle ne voulait plus le voir ? Ou alors avait-il perdu trop de neurones à force de se faire taper dessus par quelques chétifs écuyers ?
Avait-il pu d'ailleurs continuer son entrainement aux armes après l'arrivée de la fange ? Elle ne se posa pas la question, même si avant, elle savait que oui, même quand elle n'était plus dans le coin pour le surveil... Lui dire bonjour. Il était capable de se blesser bêtement le Tristan, il fallait faire attention à lui. Les filles de cuisine quand elle passait saluer ses parents lui rapportaient en tout cas tous ses faits et gestes, au temps où la ville qui était la leur était toujours paisible. Et qu'elle ne désirait plus en entendre parler n'y changeait rien. Avec sa stature et sa jeunesse, son air de vilain garçon cendreux et son rare rire trop angélique, il attirait beaucoup trop l’œil intéressé pour ne pas être un sujet de discussion important et surtout fréquent.
C'était qu'il ne se passait pas grand chose dans leur domaine... Donc voir le jeune seigneur faire ses exercices et offrir ensuite une vue parfaite sur les muscles couverts de sueur de son dos faisait la fierté de bien des donzelles qui s'empressaient alors autour de lui avant de courir raconter les pseudos exploits de leur héros à qui voulait bien prêter une oreille ou ne souhaitait pas en connaitre les détails. Elles en rajoutaient des tas sur comment son épée fendait l'air ou sur combien il ressemblait à un félin gigantesque. Les sous-entendus pleuvaient parfois ensuite sur ses hypothétiques savoirs au lit liés à son agilité et sa dextérité et ramenaient bien des étincelles dans les iris des jouvencelles plus ou moins vieilles qui soupiraient après lui. Combien de fois s'était-elle moquée de Tristan à ce sujet en faisant semblant de glousser cyniquement et de papillonner théâtralement devant lui pour lui montrer tous les propos ineptes que son comportement lui faisait subir ? Cela ne se comptait plus.
Au moins n'étaient-ce que des allégations dont tous deux pouvaient rire en ces années où ils se voyaient trop et pas assez. Il n'était pas un moine, de cela elle n'en doutait pas, mais il avait la décence, lui, de ne pas lui faire de rapport complet sur ses relations sexuelles plus ou moins longues ou de lui présenter telle ou telle hypothèse sur les capacités d'une damoiselle ou d'un homme dans le feu de l'action. Elle ne voulait rien savoir, parce qu'elle n'était pas sûre de se retenir de planter ses griffes dans les yeux de ses véritables ou potentielles amantes si celles-ci osaient bien trop se vanter ensuite du bon coup qu'il était. Ou dans les siens à lui s'il avait fait de même. Pas par jalousie, non, non, juste dirons-nous par respect pour lui. C'était un si bon ami.

Elle alla pour rajouter qu'il pouvait glisser sa lettre sur le sol pour qu'elle la lise plus tard et en paix, mais un pas de trop en arrière lui fit bousculer le plan de travail qu'elle avait complètement zappé.
Ce fut donc un juron on ne peut plus masculin et traitant des sous-vêtements d'Anür et de Rikni qui finalement remonta de sa gorge accompagné par le bruit d'un broc qui s'éclata avec vigueur sur un sol pourri et d'eau qui éclaboussa partout. Surtout le bas de sa robe. Bien entendu, même l'espèce d'étagère ici était de mauvaise facture, elle aurait dû s'en douter, mais n'avait jamais vraiment testé sa fiabilité jusque maintenant. Foutue auberge. Franchement, tout allait de mal en pis.

Elle eut un énième soupir on ne pouvait plus excédé lorsqu'elle se rendit compte que ses pieds nus laissaient à présent ici et là en plus des empreintes spongieuses dès qu'elle les mouvait à peine et se redirigera vers l'unique passage trop bien gardé. La prochaine fois qu'elle choisirait une taverne, elle s'assurerait de la possibilité de fuite par une seconde entrée se promit-elle en pestant à voix haute à propos de choses qui se cassaient la tronche sans avoir besoin d'aide.
Elle n'avait plus le choix au final et cela la rendait un peu plus dingue. Si Tristan faisait passer la missive par le parquet, celle-ci risquait de vite se noyer et de finir illisible. Elle avait beau être butée, parfois, pas souvent, son bon-sens l'emportait, même quand Personne se tenait pas très très loin. Et puis elle voulait savoir, maintenant, de quoi traitait ce courrier qui apparaissait si important pour son anciennement délicieux chevalier. Était-ce par hasard des nouvelles inquiétantes d'Elia ? Si tel était le cas, elle s'en voudrait à jamais de ne pas les avoir lues quand elle en avait l'occasion. Et si cela venait d'un autre ? Et bien au moins cela la distrairait un peu, quitte à ce que cela n'ait pas plus d'intérêt et elle aurait là l'excuse toute trouvée pour râler un bon coup.

Elle ouvrit le battant à la volée après l'avoir tout aussi rapidement déverrouillé, sans se préoccuper de sa mise qui aurait bien eu besoin d'être changée entre les galants d'un vert prasin point totalement fermés et laissant voir plus que deviner une chemise ocre, sa chevelure lâche vadrouillant même sous le précédent sous-vêtement cité juste auparavant suite à ses mouvements très peu délicats et les taches d'eau qui maculaient ses jupes.
Son regard fut automatiquement attiré par l'échalas trop costaud pour être maigre qu'elle ne pouvait confondre avec un autre et un demi-sourire acidulé, malgré sa furie, pointa le bout de son nez sur ses lèvres. Sans perdre plus de temps que deux ou trois trop rapides battements de cœur et pour ne surtout pas qu'il comprenne que malgré toute sa volonté elle avait toujours plaisir à le voir - c'était qu'il lui manquait, malgré ses reproches. -, elle se saisit dignement du papier qu'il tenait et referma derrière elle sans y mettre cette fois une quelconque classe ou écouter les prières pleurnicheuses de son propriétaire.

" Merci. Ta mission est finie, mon seigneur, tu peux partir si tu veux. "

Lâcha-t-elle ironiquement en s'appuyant contre la planche qui rendait clôt son habitat temporaire. Elle fit tourner deux trois fois le parchemin froissé entre ses doigts, cherchant un sceau trop bien arraché puis l'ouvrit...

" Il a changé. "

Murmura-t-elle alors pour elle-même dans un soupir pensif, oubliant déjà que ce il pouvait totalement l'entendre simplement respirer de sa position, tant son attention à elle était focalisée sur les caractères si difficiles à déchiffrer pour l'élève médiocre qu'elle était.
Le fils prodigue ne lui paraissait plus être en effet le même qu'avant. Plus grand, peut-être ? Non, leur croissance était finie depuis très longtemps. Plus sombre alors ? L'obscure clarté du couloir ne devait pas aider à le rendre moins ténébreux, mais n'expliquait pas tout, pas plus que le fait qu'il lui avait semblé aussi sale qu'elle. Enfin, ce n'était guère comme si elle avait eu le temps de le mater convenablement, aussi peut-être n'avait-elle là qu'une impression erronée.
Elle se plongea finalement totalement dans la lecture qu'on lui avait donné si aimablement avant d'avoir un hoquet de surprise qui se transforma en rire peu agréable, étrangement dépité.

" Dis au tien d'aller se faire bouffer par mon père s'il retrouve son cadavre. Après tout, ils s'entendaient si bien qu'ils seront heureux de revivre ensemble. "

Un son de feuille qui se faisait violemment froisser ou déchiqueter interrompit ses dires, faisant clairement comprendre à ceux qui écoutaient qu'elle maltraitait grossièrement le don de Tristan.
Elle laissa passer un petit silence venimeux, lança la boulette dégommée contre le mur en face avec toute sa hargne et prit une profonde inspiration avant de s'écarter de la porte pour s'adresser à elle. Son public était là. Toujours. Elle le savait, elle le sentait, elle entendait ses gestes sans les ressentir, aussi continua-t-elle pour lui. Il n'était pas parti.

" Ton paternel n'est qu'un pauvre faquin arrogant ! Un stupide parasite ambulant ! Même les fangeux n'en voudraient pas finalement dans leurs rangs s'ils le trouvaient tellement il est chiant et imbu de lui même ! Son goût doit être aussi rance que sa plume et son verbe sont haïssables ! "

N'y tenant plus, elle commença à tourner en rond en bon animal affamé qui attend son repas préféré : utiliser davantage sa verve et tout ce qui trainait devant elle.
Son ventre gargouilla, lui, appelant une autre nourriture plus consistante, mais elle ne se préoccupa que de son envie trop pressante de cracher son fiel contre l'ordure de bas-étage qui avait osé signer la missive qu'elle avait tenu. Et bien entendu cela atteindrait aussi le messager, innocent ou non ; elle ne pouvait de toute manière retenir les dires qu'elle vomissait presque sans souffler tellement ils se pressaient sur sa bouche.

" Si ce paltoquet avait réfléchi par deux fois il aurait convenu que celui qu'il nomme son chien d'héritier était avec moi la soirée durant laquelle il veut me rendre coupable d'horreurs nées de son esprit complètement détraqué !
Il veut me faire emprisonner ou du moins m'emmerder ? Bien, mais il ne pourra pas me lancer là-bas seule et je doute qu'il veuille perdre son animal de compagnie souffre-douleur préféré sauf s'il t'a déjà remplacé ! "


Le nom de feu son époux ne passa pas les barrières qu'elle s'était fixée. Pas encore assez lancée ou peut-être déjà trop, elle ne parvint en tout cas pas à évoquer davantage sa mort. Sans doute à cause de toutes ses conséquences, de tout ce qu'elle avait perdu, il lui était plus difficile d'expliquer même en se lâchant ce qui s'était passé par le menu en ce jour funeste que de causer de ses parents et de leur fin stupide. Elle inclina la tête sur le coté, loin d'en avoir fini, s'échauffant à peine.
Pouvoir enfin laisser éclater toute sa colère et sa frustration lui faisait un bien fou. Elle se sentait revivre ; s'animer. Même si elle regretterait certains de ses termes plus tard, cela faisait des jours qu'elle n'avait pas eu de cible directe ou indirecte et s'engueuler avec un lit ou une fenêtre ne la motivait guère plus que ça. A chaque fois qu'elle avait tenté, sa rage s'était mise en sourdine trop rapidement pour être apaisée. Par manque de réponse de la part de ces bidules sans vie, sans doute.
Comme d'habitude dès qu'elle s'emballait, cependant, ses palabres dépassèrent bien trop rapidement ses pensées lorsqu'elle reprit d'un ton beaucoup trop velouté pour la première phrase. Ce qui n'était juste que des hypothèses qu'elle ne comptait à la base pas exprimer fut déblatéré.

" A moins que tu ne fasses coursier pour ce... Ce gougnafier pourri jusque dans l'âme justement pour éviter une énième baisse de son amour pour toi ? T'a-t-il vraiment écrit cette lettre ou te l'a-t-il donnée pour que tu me la fasses lire ? Au fond ce n'est pas important. Qu'il aille se faire une petite famille de poupées de son ailleurs, je refuse de rentrer dans vos jeux d'enfants frustrés ! Et si l'un de vous ose seulement essayer de m'y mêler, je pars pour le Labret ! "

Outch, merde, ne venait-elle pas aussi de décider un truc totalement con là ? Si. Cela allait même à l'encontre de tous ses souhaits et ses espérances, mais quelle importance ? Elle y réfléchirait plus tard. Là c'était tout sauf le bon moment.
Luderik songeait qu'elle ne pouvait pas s'échapper n'est-ce-pas ? Il allait voir ce qu'il allait voir, ce vieux grigous têtu ! Elle trouverait une méthode pour lui faire avoir tort quitte à passer les nuits à venir sous des ponts.

" Loyauté envers mon cul, oui, plutôt que le sien ! Je ne suis pas mes parents et je ne le serai jamais. "

Les joues rougies, furibonde, elle finit par se positionner à coté de son lit, se blessant sans le remarquer sur les éclats du pot au sol. Il n'était plus question de sortie, tant que Tristan était dans le coin, mais elle avait besoin de s'occuper.
A coups de gestes véhéments, elle entreprit alors de ranger mieux ses robes, ce qui donna bien entendu une encore plus grosse bouillie infâme de tissus froissés et disparates en moins de temps qu'il ne faudrait pour l’épeler.

D'un autre coté, la pauvre Nysa n'avait plus grand chose de dur à péter ou jeter sous la main... Oh si, son sac de piécettes. Quel dommage, vraiment, pour son loyer.
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Tristan du Val de Lys



Les absents ont toujours tort. ~ Tristan Empty
MessageSujet: Re: Les absents ont toujours tort. ~ Tristan   Les absents ont toujours tort. ~ Tristan EmptyDim 24 Avr - 22:24
Va-t-en, fous le camp ; elle s'était approchée de la porte, le Chevalier soulevant un regard à ces mots, les sourcils arqués non par l'étonnement mais... Comment le définir ? Pour Tristan les choses commençaient normalement mal, et là, derrière le bois portant qui se fit plus bavard, il reconnaissait tout simplement la voix de Nysa. Peut-être était-ce un mélange de joie et de surprise ; celle de pouvoir enfin en entendre l'accent - le leur - sans qu'il n'ait eut, jusqu'ici, la certitude qu'elle lui répondrait. Mais c'est son regard qui était plus parlant que ses sourcils hébétés, tout simplement parce que ses yeux pétillaient de mille feux, les laissant naïvement s’approfondir... Oui. C'est cela. Nysa l'envoyait se faire voir et, lui, semblait connaître l'allégresse et ses défauts - comme celui d'avoir l'air bête, - tout en se fichant d'elle-même. Parce qu'elle ne le détestait pas trop haut. Lui de l'aimer quand elle l’enchantait tout bas. Elle qui pouvait y mettre toute son énergie à marquer la distance, une année durant, lui révélait qu'elle était incapable d'user ce désir le plus tenace et le plus fort. La voir ; ne serait-ce qu'une seconde...

Le front toujours posé sur la porte, Tristan pivota lentement son visage en direction de l'aubergiste, changeant son regard contre celui bien plus morbide que tous les autres. Car, si on replaçait les choses dans leur contexte, la Fange pouvait se traduire et rimer avec bien des mots ; tels que la violence et le désespoir, celui de ceux qui n'avait plus rien à perdre, sombrant volontiers dans la démesure. Et plus encore lorsque qu'ils redécouvraient un bien - sans doute le plus précieux, sans doute tout ce qui lui reste - dont ils ne demandaient qu'à ce qu'on les laisse en profiter. Il n'avait rien de sévère, il n'avait rien d'agressif. C'était un félin trop longtemps acculé pour discerner ce qui lui était passif ou ce qui ne l'était pas. C'était aussi ça de lutter, de prendre les armes contre la Fange. Elle qui transcendait, tout comme Traquemont transformait sa gente par la verve et l'épée de sa Dame. C'était la différence qu'il y avait entre un réfugié mandant la sécurité de Marbrume et celle d'un chevalier qui se jetait à corps perdu dans la fosse à fangeux. Les yeux de Tristan pouvait alors témoigner leur absence de scrupule ; le Cendré semblait névrotique quand il se mettait à fixer ce qui le perturbait. La cible de ce regard-là, insouciante, s'imposait dans une conversation qui ne concernait que Nysa. Telle une chasse gardée, l'aubergiste devait comprendre qu'était venu le temps de leur foutre la paix.

- « Je... Pardonnez-moi monseigneur - ce qu'il n'a jamais cessé de dire n'avait rien de nouveau - Je... vais vous laisser. »

L'homme se détourna en levant pour le plafond une prière qu'il adressait aux Trois, aidant alors son barbu de comparse dont les vieux os éprouvaient quelques difficultés à le rétablir sur ses jambes... A dire vrai l'air était vicié dans l'étroit corridor. Miteux, ses parois écailleuses, ses poutres et recoins décorés de quelques toiles d'araignées, Nysa devait être aux anges, pensait-il ironiquement. L'endroit était éclairé par le soleil au-dehors, mais laissant transparaître sur les fenêtres une condensation grasse. Observant donc, sans réellement les observer, ce banc de sardines compactées, rendues poisseuses par des haillons jaunis, auréolés de sueurs, étouffant tandis qu'elles reprenaient mollement le cours de leur non-vie. Nysa ne mérite pas cet endroit. Elle l'avait choisit pour se préserver des desseins du patriarche, mais devait dès à présent quitter les bas quartiers ; peu reluisants, trop bruyants certes, mais surtout peu sûrs.

Tristan voyait pour elle la nature, et s'y perdre. Mais ne se permettrait pas de l'y pousser ; seulement de l'y contraindre s'il en dépendait de sa vie. Était-ce le cas ? Oui et non. S'il partait du principe que Luderik mettait ses menaces à exécution, qu'il y parvenait, - et Rikni savait qu'il en était capable, - alors est-ce qu'une vie tourmentée dans les souterrains d'un donjon était égale à une agonie lente et douloureuse ?
La nature, quant à elle, était plus clémente. Elle pouvait être sauvage et s'ouvrir aux âmes aventureuses. Elle pouvait rendre Nysa plus heureuse, épanouie, comme dans un paysage bucolique. Une fresque où elle se laisserait tituber en avant, ivre de son propre vin, mais pleine de défiance, le poing levé à défaut d'un broc qu'elle aurait égaré sous les plants de blés, jurant face à des moulins comme s'il s'agissait de guerroyer des géants... Avec cette robe fendue qu'elle portait cette nuit-là ; ils avaient vingt-deux ans. Laissant transparaître le galbe d'une cuisse et ses pieds nus. Un décolleté décousu sur la courbe d'une épaule. Haillons meurtris et déchirés sur sa peau satinée par la rosée naissante, lors d'une nuit désinvolte à jouer au loup ; ou comment se moquer des jeux de cour. C'était une soirée trop arrosée, comme beaucoup d'autres, dans une vallée fleurie de lys où gisait en panorama les hautes tours d'un morne fort bien trop éloigné pour s'en sentir accablé... Un instant où il parvint à l'attraper, à s'en saisir par la taille. Tristan espérant que ça vrille à l'échec, que ça dérape, qu'il ou elle succombe à l'autre jusqu'à épuisement. Mais ça aurait été un coup de poignard porté dans le dos du vieux Tamien, d'où le fiasco. Nysa, elle, peut-être ne se doutait-elle pas que son ami cendré pouvait ne serait-ce qu'envisager ces galanteries que la bienséance sommait de taire, mais il n'avait jamais dit être un ange. Comme dans ces romans préférés que la cuisinière du château contait autrefois, un souvenir entremêlé de chimères qu'il baptiserait "Nys' et le chant du Lys", "Le mensonge du Lys", et "Nys', reviens !" Trois tomes dans lequel il jurerait qu'elle n'était pas qu'un rêve, ou qu'une banale envie de la voir engouffrer un bras sous ses draps. C'était plus que ça ; Tristan l'aimait. Mais il ne savait pas. Il ne savait plus. Il était égaré dans un songe de mioche où n'existait ni énarques, ni fangeux, voyant un décors dans lequel il pouvait s'inclure, mais seulement s'il tenait une place à ses côtés... Hors ça ne l'était plus. Et la Fange qui s'en mêlait. Et Luderik pour tout compliquer. Et la rage. Et la fureur. Peut-être qu'à cet instant où elle lui disait de s'en aller, il avait envie d'ouvrir la bouche pour se dévoiler ; de lui dire la vérité en un torrent de paroles délirantes à son égard. Là. Maintenant. Tout de suite. Ah, et puis même si l'utopie était partagée, les leurs étaient trop souvent le ressort de ses catastrophes. A elle, forcément. C'était toujours de sa faute, non ?

Tristan s'écarta, son front quittant la porte tandis qu'il se reculait d'un pas. Il avait entendu le bruit d'une vaisselle qui se brise... Est-ce que je dois enfiler mon heaume ? Avait-il besoin d'une tranchée, contre elle qui envisageait sans doute de lui tirer une salve de brocs au visage ? Mais la dite porte se fit aussitôt plus sèche, plus bruyante lorsque ses loquets s'ouvraient successivement, pour enfin s'ouvrir avec brutalité. Sur elle. Sur Nysa qui lui aspirait des mains la missive, avec un sourire acidulé par dessus le marcher. Ah, la garce !

- « Nys' attends ! »

Trop tard, elle lui refermait la porte au nez, déversant sur le chevalier la tiédeur d'un courant d'air, inondant son visage de la fraicheur relativement nauséeuse de sa chambre. Elle disait qu'il avait changé, visiblement sans s’apercevoir qu'il pouvait l'entendre... A l'inverse, le temps ne semblait pas l'avoir altérée, ou peut-être que si ; Nysa semblait plus épuisée que de coutume, comme ces jours où elle travaillait comme une forcenée pour se vider l'esprit. Avec la Fange, et Luderik sur le dos, il pouvait le comprendre. Enfin, l'instant fut si rapide qu'il n'en avait plus que l'image d'un flou gaussien. Un flou pourvu d'une longue chevelure rousse, asymétrique et ondulant sous l'encolure de sa robe. Celle-ci tâchée, la gourde était maladroite. Mal ajustée, tant elle semblait s'être précipitée pour l'enfiler. Le tout dans un décors qui semblait sans dessus-dessous ; il la savait bordélique, et désormais sur les nerfs.
Sans doute qu'Elia avait raison de dire que Nysa pourrait être si belle si elle prenait soin d'elle. Mais la jeune femme était un dragon. Ne cherchant pas même à la changer, à la sermonner, ou enfoncer son antre, ou à la dompter - elle était indomptable de toute façon. Qu'elle crache le feu ou que ses crocs soient acérés, Nysa était la plus belle quand elle était débridée.

- « Tu m'as manqué... »

Répondit-il à son tour. Et puis poc, le bruit que fit son front qui s'affalait à nouveau sur la porte avec, cependant, les lèvres pourvues d'un sourire discret. Pourquoi ? Parce qu'il anticipait la suite, parce qu'en vérité qui d'autre Nysa avait-elle sous la main pour se défouler, si ce n'était le chevalier ? Naïvement, la rousse valait qu'il crève. Alors il pouvait bien se faire quintaine de joute. Rien n'était gratuit en ce bas monde, après tout. Tout s'expiait ; le bien comme le mal se payait tôt ou tard. Le bien, c'était beaucoup plus cher, forcément. L'innocence aussi. Un instant où il se tint prêt, tête légèrement baissée il se redressait en posant un coude sur l'encadrement de la porte, en appui sur ce dernier. Car le temps était venu de compter les claquements de sa langue, comme le cuir d'un fouet qui lui fouaillerait la chair et l'arrachaient enfin à sa non existence.

Tu l'aime trop, et elle va te punir pour ça.

Ce qu'elle fit. Excédée, Nysa se livra à l'expression de sa colère, et Tristan pour s'y rallier en silence. Il comprenait sa rancœur ; un arrière goût désagréable qu'avait toujours laissé son père auprès de son entourage. C'était un boulet. Réellement. Un poids castrateur qu'il traine à son tibia depuis ses vingts ans ; pire qu'un môme qui s'accrochait à sa jambe comme une sangsue, sans jamais se décider à le lâcher. Les enfants, au moins, n'avaient pas pour idée de le museler, s'étant plutôt attachés à lui. Contrairement au châtelain, se situant à l'extrême opposé, lui qui n'avait de cesse de l'accabler d'une patte griffue et écrasante le ramenant bien docile dans ses rangs. Peut-être était-ce le rôle d'un père que de veiller à l'héritage qu'il laissait pour sa descendance, mais personne ne lui avait jamais envié celui-là. Luderik n'était que pragmatisme, un calculateur froidement raisonné, le tout saupoudré d'envie et d’orgueil, ne voyant en son bâtard qu'un outil qui l'aiderait à élever son lignage, son prestige, sa mémoire. Val de Lys était un nom qu'il voulait élever au panthéon de la noblesse... Et leur relation s'arrêtait là. Sans qu'il n'éprouve de fierté ou de pitié pour son enfant adultérin, et ce serait trop demandé qu'il lui témoigne un amour sincère et paternel. Rien que du mépris. Et s'il n'y avait pas de mépris, alors il y avait du dégout. Du dégout, de la déception et des ordres. C'était un poison, et Nysa le lui confirmait une fois encore, faisant les cent pas tel un animal en cage, fourrageant à son encontre.
Jusqu'à encaisser ses hypothèses à son sujet. Il pardonnait sa maladresse, mais Nysa commençait à s'égarer ; elle allait trop loin. Tristan restant un temps inerte cependant, recouvrant son visage du masque de l'Impassible alors qu'il se redressait doucement, en un soupir, quittant son appui alors qu'elle pestait encore en lui confiant ne faire allégeance qu'à son postérieur. Une chose à laquelle il pouvait adhérer, le fessier de Nysa avait tout de divin en comparaison, mais ce n'était pas le sujet, Tristan posant furtivement une main sur la poignée de la porte ; le dragon ne l'avait pas verrouillée, du moins il n'en avait pas entendu le verrou loqueter.

Dans le long grincement des charnières rubigineuses qui accompagnaient le mouvement de son battant, la porte sembla bailler len-te-ment, dévoilant l'imposante silhouette en armure qui se cachait derrière elle. Son ombre projetée dans la chambre jusqu'à occulter le corps de la jeune Calirrhoé, pour qu'enfin Tristan puisse y poser un premier pas, sa jambière de plates finissant de broyer, amabile, les éclats d'argile qu'elle avait laissé échapper au sol. Un encadrement qui, comme prévu, le forçait à se courber légèrement, comme s'il encornait la porte, le drapé de sa cape imprégnée de boue sèche ondulant sur le sol détrempé. Et le voila qui entrait, se tenant plus droit, mais sale et épuisé par son voyage, sans toutefois qu'aucun rayon ne vienne auréoler son être. Cet homme-là était sombre, se permettant de détailler plus longuement son amie assise au milieu de ses jupons. Posant un regard sur la plante de ses pieds, qu'elle avait maladroitement blessés dans les fragments du broc, remontant le long de sa peau où se traçaient de nombreuses coupures sur ses avants bras ; Tristan y voyant une femme qui souffrait, alors qu'il savait Nysa invincible. Il ne saurait dire de quoi d'ailleurs, l'épuisement moral peut-être, dans tous les cas le soutien d'Elia ne lui suffisait clairement pas.

- « Damoiselle...
Fit-il pour la saluer, plus ironique, avant de refermer doucement la porte derrière lui. Le coin des lèvres légèrement ridé par un sourire de goguenard, ses yeux de givre plongé dans l'océan gris-vert de ses iris, dans lesquels il sembla s'y noyer un moment. Il préparait quelque chose, oui. En fait, il avait tout du chat qui se savait supérieur, toisant et tenant en respect cette petite, toute petite souris avec qui il pouvait désormais prendre son temps pour en apprécier les saveurs. Mais...
- Oh ? ... Tu avais fini ? Dommage, j'appréciais justement le couplet où tu me comparais à... une poupée, mh ? Il marqua une pause, soulignant l'insulte venant de celle à qui il s'était autrefois confié. Complètement grisé par l'alcool ces nuits là certes, mais le cœur à vif. Si bien que, sans qu'il ne semble y avoir de rapport avec ses dires, et aussi étrange que cela puisse paraître, le Cendré joignait ses bras au niveau de son flanc, commençant alors à déficeler l'une des attaches de son harnois.
Tu devrais me planter une dague entre les côtes ; ça me ferait le même effet. Ça résoudrait tous tes problèmes, d'ailleurs. D'une pierre, trois coups : plus de coursier, plus de mariage, plus de Luderik... Vas-y, je suis à peu prêt sur que personne ici ne t'en voudra. Peut-être même que tu rendrais service à ton voisinage en faisant commerce de mon cadavre. Imagine les commentaires, le tout Marbrume te remerciant : ah, ce pauvre bâtard, qu'est-ce qu'on s'en est foutu plein la panse... Mais au fait, pourquoi ne pas l'avoir bouffé plus tôt ? Pantin de son paternel, à balancer son vitriol au visage des veuves ; juste un rustre bon à vampiriser leur FOUTUE dot.
Le ton devint cynique, plus dur tandis qu'il versait ses dernières paroles dans la pièce. C'était donnant-donnant, toisant Nysa d'un regard plus sévère, laissant un geste de sa main lâcher au sol l'une des premières plates de son harnois en un tintement sonore.
Tu sais ce que tu mériterais ? ... Tu mériterais ce mariage. Que je te soulève sur une épaule et t’emmène de force au temple. Que les Trois bénissent notre union. Ensuite, nous copulerons dans le lit d'une chambre funéraire sous l’œil pervers de Luderik, là où tu me donneras une descendance. Le coquebert sera satisfait, il te tapotera gentiment la tête en guise de remerciement. Crevard comme il est, il te dira surement que tu es une brave fille ; le portrait craché de son père. Avant de refermer le couvercle de ton cercueil, puis de t'enterrer vive parce qu'il ne supporte pas les gueuses.
Mais il n'en pensait pas un mot. Se mettant simplement dans la tête de son géniteur pour illustrer ses propos quitte à secouer Nysa. Puis de soupirer longuement, les traits de son visage se faisant petit à petit plus lisses alors qu'une seconde plate ponctuait sa tirade, celle-ci chutant lourdement à ses pieds lorsqu'il la relâcha.
Nys'... Ce n'est que moi... Tristan. Je me fout de ce que désir ce vieillard, ça n'a toujours été qu'un étranger, et tu le sais... Je suis là parce que je ne veux pas lui donner satisfaction. Tu n'as pas à être un pion sur son échiquier. Je viens t'emmener loin de Luderik, loin du mariage, loin de toutes ces contraintes. Un endroit où il y en aurait beaucoup d'autres au détour, c'est certain, mais tu aurais tout le loisir de me détester au long du voyage, et au-delà si ça te chante... En me disant que ce sera moins drôle pour toi si je l'accepte, et que tu m'en épargneras peut-être...
Complice ; il sourit, plus doux. Un instant où son plastron accompagnés de ses brassards dégringolèrent sur le plancher en un fracas métallique ; il se découvrait.
Tu as toujours eu le choix... Je peux tout aussi bien te laisser en paix, de repartir d'où je suis venu, mais... avant... Depuis que je suis devant ta porte, je ne désire qu'une chose...
Dessanglant l'ultime attache qui fit cascader de tout leur poids ses jambières au sol, il se retrouvait alors habillé d'une chemise autrefois blanche et de pantalons noirs, tout aussi crasseux et inconvenables, mais bien plus confortables. S'approchant alors de quelques pas car la chambre était petite, il joignit son index à son majeur pour décrire un arc de cercle sur la joue de Nysa, faisant alors glisser doucement ses doigts sous son menton, une caresse qui l'invitait tendrement à ce qu'elle lève un regard sur lui.
...Que tu te calme, que tu délaisse ces jupons et ton bardas. Que tu te lève et que tu viennes te serrer dans mes bras. Je voudrais t'étreindre une dernière fois avant de repartir pour Traquemont. »
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MessageSujet: Re: Les absents ont toujours tort. ~ Tristan   Les absents ont toujours tort. ~ Tristan EmptyMar 26 Avr - 22:16
Il était là. Le cœur de Nys' rata un battement tandis qu'elle se dépêtrait dans les étoffes pour les emmêler encore, tentant de cacher très maladroitement dans ses gestes fort chaotiques tout son trouble. Il était entré puisqu'elle avait oublié de reverrouiller le loquet et elle maudit et bénit son oubli à la fois alors qu'il la traitait de donzelle. Il était là et elle ne se remémorait plus déjà aucune des promesses qu'elle s'était faite.
A présent, il s'approchait, son ombre si imposante le lui signalait après que la porte ait été lentement refermée. Il fit un pas. Il ne fallait pas le regarder. Deux. Elle se sentit relever la tête, malgré elle. Par envie, par habitude, parce qu'elle menaçait de s'étouffer de trop de plaisir, de colère et de craintes futiles mêlés en le sentant s'approcher sans le mirer. Trois pas. Elle ne se surprit pas à le dévorer du regard ; elle le fit, simplement. Ses lèvres s'entrouvrirent tandis qu'il continuait sur sa tirade et elle fixa les siennes, si étirées en un sourire mesquin.
Tristan était là et elle n'avait plus de volonté.
" Il me rend faible. "

" Qui t'a dit que j'avais terminé ? "

Ronchonna-t-elle enfin, finalement, comme pour le repousser lorsqu'il parla de poupées avant de refermer sa bouche. Chut. Elle ne devait pas lui répondre, ne se l'était-elle pas promis ? Si, peut-être, mais n'était-ce pas il y avait une éternité ? Était-ce toujours valable alors qu'il était juste devant, là, vraiment ? Alors qu'il n'était plus juste une chimère rassurante dans son esprit égaré ? Tout son fiel commençait à disparaitre de sa mémoire, rien qu'en percevant sa présence et ce au rythme de ses pulsations. Il... Lui enchaina sans écouter le second sifflement râleur qui lui vint et lui proposa de lui percer le cœur. De le rendre à l'état de viande froide. Alors, elle trouva la force de rebaisser la tête et ses doigts se crispèrent sur ses jupons froissés. " Il ne faut pas qu'il voit. ".
Elle abhorrait quand il s'auto-dénigrait. Elle le lui avait répété, souvent, antan, quand il prenait ce malin plaisir juste pour la tourmenter et pourtant il le faisait toujours. Cyniquement. Il se descendait toujours plus bas que terre, avec des arguments presque lassants tant ils étaient faux. Même si elle avait douté parfois de leur véracité, Nysa ne le pouvait plus à présent tant ses propos à lui lui faisaient l'effet d'une lame. Il était Tristan, bordel et elle tenait à lui, même si elle voulait l'inverse. Même si elle l'avait suspecté de choses infâmes. Même si elle lui en voulait. Elle haïssait qu'on le sous-estime tout comme elle ne supportait pas qu'on l'admire plus qu'elle le faisait. Elle avait l'impression qu'on lui enlevait son seul droit sur lui. Celui d'amie. Qu'il soit bâtard, grande gueule, vieux, l'archétype même à première vue de l'éphèbe des contes érotiques n'avait pas d'importance.
N'était-il revenu au final dans sa vie que pour la blesser ? Il ne se mourrait pas. Jamais. Il n'en n'avait plus l'autorisation, maintenant qu'il était là. Ne le savait-il pas ? Il ne périrait pas de sa main en tout cas, même si un temps, dans sa douleur, elle avait tout de même réfléchi à les tuer tous deux. Il n'en doutait pas vraiment, n'est-ce pas ? Il ne pouvait pas réellement penser qu'elle le meurtrirait plus que de raison de sa propre volonté, lui frappant de ses poings sa poitrine jusqu'à ce qu'elle cesse de se soulever. Elle n'était pas capable de le faire sans dépérir aussi : un décès autour d'elle risquait de finir de briser le reste de son mental. Et puis la mort était devenue bien trop permanente pour y faire plus qu'y songer.

Sa colère refluait à peine, légèrement, sous les piques qu'il lui envoyait, parce qu'elle ne pouvait décidément rester longuement et fortement fâchée quand il était là.
Elle avait beau vouloir le haïr désespérément, elle n'y parvenait pas. Il la faisait souffrir, cruellement, rien qu'en étant là ou trop absent, mais elle ne pouvait qu'apprécier sa chaleur, ses mots assassins, son sourire moqueur et les souvenirs qu'il lui avait laissé et lui donnait encore. Perdue. Elle était perdue et se souvenait à présent pourquoi elle l'avait fui comme la peste un an auparavant sans succès.
Une moue boudeuse de sa part vue en direct brisait trop de défenses pour qu'elle puisse résister à l'attirance qu'il causait. Un sourire en enlevait d'autres encore. Un geste lui donnait l'impression de pouvoir soulever des montagnes et en même temps d'être tétanisée devant. Dans ses bras, si possible, ou du moins à son coté. Quant à ses propos, ils... Non. Il ne fallait pas y songer. Pas plus qu'au fait qu'il faisait des bruits bizarres... Ses yeux se portèrent sur les pièces d'armures qui tintinnabulaient toujours au sol et s’agrandirent de surprise. Quoi ? Il se déshabillait ?

Elle s'agaça à nouveau sur ses robes en étouffant un hoquet, couvrit ses dires froids de froufrous désagréables, refusant fort difficilement de leur faire l'aumône d'un coup d’œil de plus. Énervée, autant par ce qui l'avait mené ici que par tout ce qu'ils partageaient maintenant, échauffée de n'arriver à rien, pas même de contrôler son propre souffle qui s'était accéléré ou ses pensées, elle finit par se saisir de son sac de monnaie et, d'un bond, se redressa totalement. Elle allait manquer d'air avant qu'il ne la quitte, sans doute, à force d'essayer de deviner ses gestes sans les fixer. Parce que son imagination allait trop loin, il fallait qu'elle réagisse, maintenant, pour ne pas redessiner totalement les lignes de son torse dans sa tête, pour ne pas devenir toute guimauve.
La bourse pleine fusa donc dans l'air, estourbissant de menus grains de poussière quand il osa sous-entendre qu'elle avait nécessité de ce mariage. Oh, le traitre. Voilà en tout cas de quoi faire disparaitre ses rêveries parasites.
" Il m'a manqué. "

Puis vinrent ces dires, des similis d'excuses trop douces tandis qu'elle détournait la tête avec une moue on ne pouvait plus frustrée de lui. Il avait toujours ce qu'il fallait en bouche pour rafraichir la tête de la fulminante rousse qui tentait de se concentrer sur le son des piécettes qui s'étaient arrêtées de rouler. Nonobstant cela, elle ne voulait pas se calmer ou elle allait finir par être dégoulinante de tendresse. Elle. A cause de lui qui n'avait pas été là un an et parce qu'elle était bien trop heureuse de le revoir. En plus, elle avait foiré sa cible ; la poignée de la porte et n'avait plus d'objet à balancer pour tenter de ré-ouvrir le battant noueux afin de faire rentrer de l'air dans sa prison si attendrissante.
Alors elle se focalisa sur sa respiration lorsqu'il lui remonta le menton en une caresse digne d'un songe éveillé. Il ne fallait vraiment plus le mirer ou elle oublierait tout ce qu'elle avait à lui reprocher. Elle réussit à prendre une inspiration sans faillir, mais, en relâchant son souffle, remarqua qu'elle ne pouvait pas s'empêcher de le mater. Trop tard...

Puis, il osa dire qu'il allait repartir, déjà, à peine arrivé et le retour à la réalité fut brutal pour la marchande. Comme s'il n'était qu'un cauchemar trop délicieux, il n'était revenu que pour la hanter cinq minutes. Le fourbe, ne s'approchait-il pas assez ainsi quand elle dormait ? Ne la martyrisait-il pas déjà de cette manière dès qu'elle fermait les yeux et ronflait ? Si. Il arrivait et s'esquivait sans crier gare dans ses songes de femme, lui laissant au réveil un goût amer qu'elle mettait par mauvaise foi sur le fait qu'elle ne souhaitait pas le revoir et qu'il la troublait trop. Ce qu'ils faisaient ensemble durant le laps de temps où ils étaient tous deux perdus dans la partie nébuleuse de son esprit ne regardait qu'elle, même s'il fallait qu'elle soit en duo avec lui pour ce.

Ne comprenait-il pas en tout cas que ces quelques instants, comme ceux dans ses nuits, étaient trop et pas assez ? Comment osait-il ? Elle avait besoin de plus de temps maintenant. Au moins pour vérifier tout ce qu'elle n'avait pas pu percevoir jusque présent et pour s'assurer qu'il allait bien. Qu'il était toujours aussi beau que dans ses souvenirs et imposant même sans armure. Qu'il lui jure tout et n'importe quoi.
Le dévorant du regard une énième fois, elle songea à nouveau qu'il avait changé. Mais qu'il était merveilleux, toujours, en chemise et pantalon... L'année passée, l'an de tortures qu'elle leur avait infligé et qu'elle souhaitait réitérer avait rajouté à ses traits à lui quelque noirceur qu'elle aurait voulu effacer d'un geste bien plus tendre et aimant que ses doigts sur sa joue. Mais elle était Nysa et Nysa n'avait pas ce droit ; Personne n'était pas pour elle. JA-MAIS.
Elle eut un frémissement tandis que ses yeux encore trop noircis se plantaient dans les siens, cherchant à y trouver tout ce qu'il ne lui disait pas au milieu de ses propos si emplis de venin et de miel. Quel coup pendable son ancien allié lui préparait-il ? Elle ne le sut jamais. Puisqu'il pensait vraiment pouvoir revenir dans sa vie et en repartir sans qu'elle lui en donne l'ordre, il allait le payer, ça et le fait de ne pas s'être tenu éloigné quand elle l'avait souhaité.

Se libérant de la douce menace que représentaient les doigts mâles, elle contourna le bon vieux géant rapidement et se plaça contre le mur. Les yeux dardant sempiternellement des éclairs de plus en plus mutins, elle attendit qu'il se tourne vers elle pour tendre un bras.
Un index vengeur vint finalement toucher la poitrine masculine sans douceur une première fois, dans un silence total. Il osait de plus lui demander un câlin ? Avant, pourtant, il les prenait sans l'interroger. Oubliait-il combien elle se débattait peu ? Elle n'avait pas changé, elle.

" Tu as oublié bien des choses, mon vieux. "

Gronda-t-elle alors, sans cependant hurler. Lui rappeler qu'il était plus âgé qu'elle que de quelques heures de plus était une boutade fréquente entre eux depuis qu'ils l'avaient découvert.

" D'abord, que je suis trop grande et forte pour que tu me considères comme une pucelle naïve que tu pourrais foutre sur ton épaule. A ce petit jeu, il n'est pas dit que je perde. Et je serais bien capable de te prendre par la peau des fesses pour te jeter hors du temple avant que nous ayons prononcé les moindres vœux. Ensuite... "

Un nouveau coup de doigt, là, sur son cœur, se transforma rapidement en coup de paume pour le forcer à reculer d'un pas.
Elle s'approcha ensuite de lui plus qu'il n'en fallait pour donner toute la puissance nécessaire à ses actes, l'effleurant bien trop pour sa santé mentale tout en continuant de le diriger dans la direction qu'elle souhaitait. Il allait obéir, oui et se laisser faire.

" Ton père me tuera avant que tu ne m'aies touchée. L'idée de noyer son sang davantage en le mêlant avec celui d'une gueuse lui fera oublier tous les serments que nous aurons prononcé. Il n'y aura donc pas de descendance à notre union, outre une dot. Mais ne t'inquiètes pas. "

Elle le poussa encore. Un essoufflement étrange apparut la gagner au fur et à mesure de son discours. Il fallait dire qu'elle oubliait un peu trop de reprendre son souffle, toute à la situation. Toute à leurs habitudes. Toute à son envie de lui faire des choses politiquement incorrectes. Il lui avait vraiment manqué.
Leur amitié résistait à tout, n'est-ce pas ? Hélas et tant mieux à la fois. Au temps, à la rouille, à l'absence, aux fuites et aux coups tordus et condamnables de l'un ou l'autre. Aux remords. Le premier aurait pu réellement causer la mort du second qu'ils se seraient sans doute déjà pardonnés, avant même que la corde ne soit au cou du condamné, avant même que le couteau de l'une ne se soit planté dans le torse du deuxième. Ce qui n'arriverait pas, jamais, quoi qu'il pouvait en dire de son ton si sec et si froid.
Bref? Elle ne pouvait vraiment pas s'empêcher de ressentir cette camaraderie qui antan les liaient, même si elle lui en voulait. Toujours.

" Il te réutilisera juste après en te liant à quelque coureuse de rempart aux veines plus bleues que les miennes. Juste pour pouvoir coucher avec et te faire adopter ses bâtards puisque tu es son héritier. Toi tu n'auras rien à dire, sous peine de crever vu que tu ne vaudras plus grand chose de son point de vue une fois la marmaille grandie. "

Les jambes de Tristan cognèrent finalement contre la paillasse et elle les fit chuter tous deux sur l'amas de jupes et de paille, utilisant à la dernière minute ses bras à elle pour ne pas tomber sur son front trop proche et l'abimer. Là. Il était en son pouvoir. Il ne pouvait plus s'échapper. Encore moins depuis qu'elle s'était vautrée aussi sans le vouloir sur lui.
Ainsi, leurs visages écartés, sa bouche à elle à la hauteur de son nez, ses mains encadrant son faciès à lui un peu trop angélique elle se tint étrangement muette. Deux secondes. Le corps de Tristan sous le sien méritait bien cette pause troublée et plus encore semblait-il, puisqu'elle bafouilla ensuite. Bizarrement, tandis que deux de ses doigts venaient effleurer son cou pour le faire fort vilainement frissonner. Vengeance. Mais pour qui ?

" Tu... Tu vois. Je n'aurais pas à te tuer, ainsi, ton père s'en chargerait. "

Sa voix se fit plus basse, un chuchotement rauque et mauvais qu'elle murmura en déplaçant ses lèvres vers son oreille droite tout en repliant ses coudes. Ne pas le voir dans les yeux, ne pas avoir à le regarder lui rendit de sa verve.
Elle retint cependant gracieusement un commentaire sur ses effluves carbonisées, continuant sur sa lancée précédente.

" Moi, il me suffirait de t'attendre dans le jardin d'Anür pour te faire regretter de m'avoir donné un mariage que je méritais, selon tes dires. Entourée par tous ceux que l'on a abandonné derrière."

Ses jupes trop entortillées autour de ses jambes et à présent plus ou moins bloquées par Tristan l’empêchèrent de se redresser autant qu'elle l'aurait voulu lorsqu'elle entreprit de le faire. Gigotant, grommelant, oubliant son décolleté plus ou moins baillant et sa chevelure lâchée qui devait chatouiller sa trop adorable victime comme elle le faisait dans son cou à elle, elle revint donc en appui simplement sur ses paumes.
Il sembla cependant que sa colère s'éteignit soudainement, ne lui laissant qu'un visage aussi fermé que le sien quand elle susurra :

" Une éternité d'engueulades. Le plan te plait, mon guerrier ? Tu veux qu'on le lance pour cracher un peu plus sur la tombe de Tamien ? "

Quel était son but encore, avant qu'il ne fasse irruption dans sa nouvelle vie ? Ah oui, elle ne voulait pas déchirer le lien - ce fil doré - qui les unissaient en risquant de le revoir, mais le découdre. Garder simplement en mémoire leur relation garçonne, chaste, belle, trop merveilleuse et destructrice. Ne surtout pas jeter d'autres voiles d'emmerdes par dessus, pour ne pas gâcher ces réminiscences qui lui serraient le cœur autant qu'elles l'affolaient. Ne pas créer de nouveaux souvenirs pour ne pas dénaturer les anciens et les rendre fades. Ne pas laisser crever quelqu'un parce qu'elle n'avait pas été là. Jamais plus.
C'était... Un peu mal barré à présent. Elle ne pouvait pas, ou plutôt plus se tenir à son idée - elle l'avait revu. Mais au moins pouvait-elle tenter de fixer d'autres règles ; des à ne jamais transgresser, pour Tamien et sa mémoire. Pour Elia.

Essayant d'oublier tout ce que le contact du corps mâle à peine vêtu pouvait lui provoquer au niveau de ses sentiments, elle réussit finalement à se faire rouler sur le coté, effleurant au passage son front d'un baiser. Il l'avait écoutée, elle n'avait plus besoin d'ainsi le bâillonner. N'est-ce pas ? Elle pouvait juste rester à son coté sur le lit. Chastement, comme sur les bottes de foin de leur lieu de vie d'avant. Prestement, elle se redressa faussement nonchalamment sur ses coudes en songeant à sa belle-mère.
L'éclat de culpabilité qui se lut dans son regard gris fut sans doute lié à elle, ou au fait que leur pose n'était plus, ou encore à son changement d'émotions qui annonçait la fin de l'engueulade. Ou aux trois. Sans doute regrettait-elle aussi déjà certains de ses mots. La grimace furtive qui naquit sur ses joues fut elle à mettre sur le compte de l'état de ses pieds.

" Tout ça pour dire que je ne te suivrai pas, Tristan. "

Expliqua-t-elle plus posément une fois bien assise, malgré sa respiration toujours chaotique. Elle fixa sa bouche un instant - très court - qui lui parut une éternité. L'excuse qu'elle lui servit ensuite pouvait paraitre fort minable, mais ne connaissant pas assez le lieu où son pseudo fiancé voulait l'attirer, elle lui sembla au contraire très crédible, vu qu'elle réfléchissait aussi à autre chose. Si elle y avait songé davantage, sans doute se serait-elle rappelé qu'il voulait la protéger.

" Je ne peux pas laisser totalement Elia en allant me mettre toute seule en sécurité. Ton faquin de père s'est arrangé pour qu'elle paie pour moi si je disais non et il est hors de question que je la laisse finir à la rue. Ou morte à l'extérieur. "

Une dernière provocation lui vint tandis qu'elle remarquait enfin l'état de son corsage et entreprenait de le nouer pour de bon en se redressant davantage encore. La pique était toute petite, mais si vraie. Elle ne pouvait après tout regarder la seule famille qui lui restait devoir aller mendier dans les caniveaux parce qu'elle avait fait une connerie, même si cette connerie était juste.
Cela n'avait rien à voir avec Tristan et en même temps tout à la fois, puisqu'il était aussi victime qu'un autre dans cette histoire.

" Je préfère encore devenir putain dans une maison de bas-étage que de la laisser subir les conséquences de mon refus seule. "

Elle ne lui parlerait en tout cas pas de ses difficultés à se refaire un nom ou de l'état de leurs finances. Il n'avait pas à savoir que cette solution serait réellement bientôt la seule qu'il lui restait vraiment. Fuir au Labret ou à Traquemont dont elle ne savait pas grand chose sans Elia n'était pas envisageable, malgré tous ses espoirs et fuir avec, la mettre davantage en danger hors de Marbrume, lui apparaissait de plus en plus pour une mauvaise idée. Du moins tant que personne ne veillait sur elles qui ne savaient pas se battre.

Nysa grommela tandis qu'un trou dans lequel son galant devant passer lui résista et elle jeta un nouveau coup d’œil à son chevalier-servant. Un sourire trop tendre, malgré ses ronchonnements, pointa le bout de son nez à son tour sur ses joues. Il lui offrait une telle scène, là, maintenant, tout de suite. Elle ne savait pas lui résister. Pas assez, pour son propre malheur.

" Et puis de toute manière, tu ne me supporterais pas plus de deux jours. Regardes déjà dans quel état nous avons mis ton armure, mon chevalier. "

Sa joie de le revoir se teinta de tristesse, lorsque sa conscience lui murmura qu'elle allait avoir mal quand il la laisserait. Encore. Elle aurait dû le quitter dès qu'il était entré, car il allait filer, maintenant, n'est-ce pas ?

" Ne t'inquiètes donc pas pour moi, Tris'. Je vais changer d'auberge pour que ton paternel ne me retrouve pas. A force, il finira bien par se lasser et par donner mon argent à ma belle-mère. Avec un peu de chance et ce si il lui reste la moindre parcelle d'honneur. "

D'un coté, le bonheur, elle le savait, n'était jamais gratuit. Le fait de l'avoir revu enfin et celui de le savoir en bonne santé ne valaient-ils pas tous les sacrifices imaginables ? Enfin, à part le mariage sur ordre de Luderik, bien entendu.
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Tristan du Val de LysChevalier
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MessageSujet: Re: Les absents ont toujours tort. ~ Tristan   Les absents ont toujours tort. ~ Tristan EmptySam 14 Mai - 16:40
Un temps mort.

Il en fallait un, au moins, pour celui qui n'avait pas envie de combattre, précisément où Nysa usait de son doigt, puis de sa paume pour le repousser sur le lit. Un instant où elle parvint à le séparer de son ombre, oui, elle partait en fumée, Tristan l'accompagnant dans leur chute parmi les draps, la paille et les robes, dérangeant un amas de vêtements froissés, se soulevant avec allégresse comme pour mieux former un nid amorphe, mais douillet...

Un temps mort, encore. Comme s'il en fallait un autre pour s'attarder sur chaque note. De battre des paupières, éclipsant la partition de cette scène d'un voile noire, pour mieux les ouvrir et en imprimer chaque mesure. La mesure de simples gestes qui sembla le purifier de cette pesanteur l'accablant antan. Comme projeté dans un passé qu'il pensait révolu ; un endroit où les ombrages n'existaient pas, ou si peu, lors de toutes ces nuits passées au fort. L'endroit était miteux et tombait en ruines, pour sûr, mais son intérieur et ses foyers nourris par l'embrasement du bois crépitant avait quelque chose de chaleureux... Enfin, seulement lorsque la Mégère n'y pointait pas le crochet de son nez. Tristan et Nysa, alors tout deux séparés à l'heure où il fallait se coucher, mais où le souvenir de la rousse subsistait quand elle n'était encore, et rien de plus, que la fille d'à côté...
Cette peste... Ou non, celle pour qui il avait eut des mots peu doux ? Ah, qu'importe à qui revenait la faute, c'était un lieu où le temps n'existait plus, là où Cassis, Cerise et Prune - ses trois petites sœurs - étaient encore vivantes et courraient partout. Mais c'était là souvenir plus ancien encore, au moment où tout deux retombaient enfin sur la paillasse, Tristan amortissant la cascade de la jeune femme qui fondait à califourchon sur lui. Juste un temps mort, où il revenait neuf ans en arrière, l'Armure laissant place à l'Homme, le Cendré recouvrant son Feu, et avec lui, la saveur d'un millésime daté 1156... Celui de ses lèvres posées sur les siennes.

Un frisson lui hérissa le poil à ces songes tandis qu'elle fit glisser doucement ses mains dans sa nuque, il se tendit légèrement mais ça ne lui était pas désagréable, un frémissement galopant le long de son échine ; comme si elle y pianotait du bout des doigts. Elle prononçait alors quelques paroles... Ces mots qu'il ne percevait pourtant plus, si ce n'était les bribes de sa voix claires émergeant du lointain... Oh, oui Tristan se trouvait déjà loin. Submergé dans les méandres grises et vertes de son regard, glissant dans son cou, puis tendrement, effleura du givre de ses iris le dévolu de son décolleté, comme un fin connaisseur pouvait apprécier le coloris d'un vin précieux, avant de reposer ses yeux dans les siens en un regard qui étouffait ce secret qu'il écrasait sous leurs corps incrédules : Il l'aime et la désir. Il le sait à présent, bien que le secret s’évaporait déjà sous la chaleur des fines caresses de la jeune femme ; il le sait, mais il le cache.

- « Tu... Tu vois. Je n'aurais pas à te tuer. »

C'est pourtant ce que tu fais, aurait-il dit s'il pouvait articuler, se laissant aller en un soupire situé entre l'homme mi contenté, mi blasé car elle le rendait chèvre lorsqu'il sentit ses longues mèches lécher doucement sa peau.
Nysa le neutralisait en moins de temps qu'il n'en fallait pour qu'une flèche trace l'air et lui transperce le cœur. Et puis cette voix. Elle approchait encore, roulant en plusieurs syllabes et paroles de son timbre émergeant quand elle susurrait ; Il me suffirait de t'attendre dans le jardin d'Anür. Et lui d’acquiescer mentalement, sa respiration plus intense ; - Et moi de t'y rejoindre - Une éternité d'engueulades. Le plan te plait, mon guerrier ? - C'est quand tu veux, ma belle.
Au delà d'une armure, le sang de chaque humain jouait la même mélodie ; le Cendré, en bonne tête de mule, ne voulait tout simplement pas comprendre ce qu'elle lui disait vraiment, forcément, mouvant ses doigts sur le vert prasin de sa robe en une fine caresse se faufilant entre les vagues que formaient ses fibres tissulaires. Le bâtard se faisait gourmand, mais...

« Tout ça pour dire que je ne te suivrai pas, Tristan. »

Mh ? Nysa en stoppa les ardeurs, celui-ci aussitôt réveillé... Ses yeux verts trop rarement posés sur sa personne n'attendrissaient que peu l'affirmation. Tête de cendres n'était pas viande pour elle, adorable, tandis qu'elle offrait un baiser pour son front. Ce dernier qui l'achevait, et ne fit que l'alarmer, ouvrant plus grand les yeux tandis qu'elle le quittait, le faisant brutalement émerger de ses songes ridicules, trop aimable alors qu'il craignait trop l'aimer... Son cœur était facile à prendre et ses vœux des plus constants depuis leur vingt ans, et si l'armure n'était pas complète, et si tout partait une fois encore en fumée, peut-être valait-il mieux faire retraite que d'entreprendre l'assaut ? C'est que l'amour pouvait être cruel pour de mauvais combattants, et riait de la vaine audace d'un galant de trente ans...? Peut-être pas, Tristan était venu ici avec une raison ; une intention. Il voulait voir Nysa, en chair, en os, et s'il n'avait pas défoncé sa porte c'était uniquement parce que celle-ci fut laissée ouverte... L'intention quant à elle était la même ; emmener la rousse avec lui, direction Traquemont.
Il se redressa donc pour s'installer à ses côtés de son amie, l'écoutant alors lui confier ses inquiétudes au sujet d'Elia, observant ses doigts galérer avec les lacets de son décolleté... Le chevalier étant ce qu'il était, il fit mine, tout en l'écoutant attentivement, de l'aider à ajuster l'entrebâillement de celui-ci. Mais en définitive, l'air de rien, sa main nonchalante faisait tout le contraire ; allant au hasard, sans desseins, dénouant tranquillement ce qu'elle peinait à refaire, tirant tendrement sur un fil, puis à elle d'entreprendre une nouvelle tentative, machinalement pour, à nouveau, défaire une fois de plus ce qu'elle parvenait à refermer, formant ainsi de leurs gestes une boucle perpétuelle qui ne semblait jamais venir à bout de l'échancrure... Vengeance, celle-ci plus amicale que perverse. D'ailleurs, Tristan acquiesça, l'air persifleur, deux ou trois mèches se balançant lorsqu'il leva les yeux au plafond en opinant du menton, quand elle lui dit qu'il ne la supporterait pas plus de deux jours. Oh oui, sa pauvre et si contraignante armure, quelle pitié, heureusement qu'une fois à Traquemont elle s'en chargerait... Non ?
Ah, peut-être valait-il mieux ne pas aborder les choses sous cet angle, la connaissant, profitant donc de cette instant où le dragon se détournait sur ses nœuds de ralingues, il répondit :

- « Ça ne m'étonnerait pas que Luderik ait déjà placé Elia sous bonne garde, tout comme je suis persuadé qu'il t'a déjà envoyé l'un de ses limiers. Leurs regards étaient étranges au rez-de-chaussée... A moins que Marbrume ne me soit plus familière, j'ai cru pénétrer au cœur d'un camp de bannis... »

Tandis qu'il parlait, délicatement Tristan lui prit la main pour qu'elle délaisse un temps son décolleté, et qu'elle puisse se concentrer. De toute façon et à bien y réfléchir il lui allait très bien comme ça et ne l’embarrassait pas ; lui... Enfin. Dans cette main, donc, il y joua de son pouce caressant tendrement sa paume, l'invitant à ses côtés, dangereusement, un peu plus prêt, encore et toujours un peu plus, le chevalier passant alors un bras effleurant le bas de son dos, se tenant alors en appui sur la paillasse. Côte à côte. Peut-être que cela devait être suffisant, que mieux valait pour lui de ne pas tenter le diable ? Peut-être... Pourtant Tristan leva un doigt, son bras longeant la colonne de Nysa pour le reposer sur son épaule et le pointer en direction du plafond, désignant un monstre imaginaire qu'elle devait observer. Si bien que lorsqu'il termina son phrasé, il se mis à chuchoter car ces murmures devaient être mis entre parenthèses : « Oh tiens, un cafard... »
C'est qu'elle détestait les insectes et autres blattes aux téguments huileux, aux pattes bactériennes, alors peut-être, qui sait, viendrait-elle se blottir un peu plus prêt, finissant par s'amuser d'une énième farce en acceptant la désinvolture de son bras désormais enlacé autour d'elle ? En tous les cas il lui sourit en coin, ou la joie d'un cœur pincé de tendresse. Pour elle. Pour Nysa...

« Tu me demande de laisser derrière moi une amie. Et moi... Et moi, je n'aie pas envie de te laisser derrière moi... Surtout pas dans le Labourg, où je n'aie pas le moindre allié si ce n'est quelques mendiants loin de faire le poids... Et puis, tu n'es pas plus éloignée de lui ici que dans une autre auberge, et encore moins dans un lupanar. Tout ce que tu parviendrais à faire, c'est m'obliger à secouer chaque maquereaux, quitte à les défenestrer jusqu'au dernier pour te sortir de leur traquenard. C'est ça ou... Je te rachète et deviens ton bienfaiteur... Mmh oui, Nys, Mmh. Fit-il en singeant l'orgasme. Une éternité au lit, notre peau embuée sous les draps, le plan te plait ma Damoiselle ? »

Il n'y avait pas d'arrière pensée, pas plus de perversité. Bien au contraire, comme autrefois Tristan et sa gueule de goguenard, une chose à laquelle il n'était plus habitué, se redécouvrant lui-même au point que son visage se fit plus lisse, ses yeux plus doux, comme si intérieurement certaines choses et d'autres, ces souvenirs, refaisaient surface les uns après les autres pour mieux en voiler son regard. Percevant, ou savourant ces instants de calmes à ses côtés, à raconter n'importe quoi ; ou du moins ce qui leur passait par la tête.

« A Traquemont, les douleurs fuient au ciel avec la fumée que font les bûchers. Il n'y aurait plus que Dame Yseult, la châtelaine, les Chevaliers de Nouet et de Rivenoire pour te rappeler à l'ordre parce qu'ainsi fonctionne une armée, mais l'amertume et l'affliction finissent par s'envoler avec les flammes. Alors... En attendant que Sérus se décide enfin à préparer le printemps... Et sans pour autant pouvoir te promettre le soleil... Je préfère que tu m'accompagne, ne serait-ce que pour un temps. Que tu puisses troquer toutes ces contraintes contre le semblant d'une vie nouvelle... Et si tu l'acceptes, peut-être qu'un jour on rejoindra Labret ? »

Il parlait tandis que le bout de son nez lui caressait tendrement le front, glissant sur sa tempe, en un instant où son index s'insinua sous sa chevelure rousse, dans sa nuque, comme pour lui rendre la pareil, égrenant sur sa peau quelques notes qui commençaient en contre ut, au plus aigu ; lui parcourant l'échine. Il émit donc une pause, ses doigts traçant une portée sur sa colonne, gondolant la courbe d'une clef de sol qui finissait par l'arrondie d'une ronde : sur son épiderme il traçait son prénom, Nysa, comme elle lui avait apprit, ivre morte... Un instant, énième temps mort, peut-être, où la pointe de son museau l'amena dangereusement à effleurer son nez, comme tiré par une force, irrésistible, puis de s'en mordre doucement la lèvre inférieure, prudente mais impatiente, lorsqu'il rencontra la chaleur de son souffle ambroisien. Gourmandise revenait, le bâtard cherchant ses mots, sentant son âme fondre par ces désirs que tout son être voulait hurler.

« Nys, je... »
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MessageSujet: Re: Les absents ont toujours tort. ~ Tristan   Les absents ont toujours tort. ~ Tristan EmptyLun 16 Mai - 21:48
" Où tu veux, mon guerrier. J'irai où tu voudras, même sur le rebord d'une lune aussi mordue que moi et qui ne nous acceptera que pour toi. "

Dans le meilleur des mondes, cela aurait été sans doute ce qu'elle aurait prononcé d'un ton un peu ironique, mais sincère tandis que la voix trop douce de son compagnon fondait dans son souffle, là, à de menus centimètres de ses lèvres. Si elle ne s'était pas refusé le droit à la tendresse. Si elle ne savait pas, de source sûre puisque de sa bouche, qu'il la considérait seulement comme une partenaire non particulière. Une amie ou plutôt un. N'était-ce pas ce qu'il avait dit ?
Car il ne la voyait pas vraiment n'est-ce pas ? Le dessin de sa poitrine recouverte de manière indécente ne l'attirait pas, pas davantage que ce que camouflaient ses jupes. Elle aurait été un homme qu'elle n'aurait pas eu une autre relation avec lui. Pour lui, elle était Nysa. Simplement Nysa qui n'avait pas le cœur qui se serrait quand il se faisait mal. Qui battait plus vite quand il s'approchait. Nysa qui ne pleurait pas, parce que les mâles n'en n'avaient pas le droit. Nysa qui tombait avec lui, dans le foin et rêvait en mirait les étoiles en riant aussi fort que lui. Nysa qui ne redevenait qu'une demoiselle uniquement quand il voulait lui prouver qu'elle avait tort d'une quelconque manière. Comme maintenant. Nysa qui refusait ce mariage, parce qu'elle ne l'aimait pas et refusait d'obéir à son papa. Et pourtant...

Elle posa son front contre celui du chevalier, lâcha à son tour un soupir aussi divisé que le sien en fermant les yeux. Le changement d'atmosphère l'avait touchée elle aussi. Elle ne voulait plus l'entendre. Plus les sentir, cette impression terrible que l'organe qui se trouvait dans sa poitrine allait en jaillir pour tomber misérablement dans ses bras à lui et l'odeur de son bourreau chargée de souvenirs, de morts et de cendres. Et en même temps, elle ne voulait plus qu'il parte. Il se devait de continuer ses caresses, celles-là mêmes qui la rendaient toute molle. Trop calme et trop en attente. Mais qu'il l'embrasse n'était qu'un rêve qui ne se ferait jamais... Parce qu'une amie n'avait pas ce privilège et que son ami n'était pas pour elle. Alors, il avait intérêt à râler, bouder et tempêter.
Si il continuait comme il le faisait pour le moment dans tous les cas, elle allait lui montrer que sous Nysa la râleuse se cachait une deuxième femme qu'il ne connaissait pas. Une garce guimauve. La fille qui sortait des griffes empoisonnées quand ceux qu'elle aimait ne la regardaient pas. Celle-là même qui emprunta sa bouche pour chuchoter quelques palabres, rauques et trop brusques, après un silence trop lourd de sens différents.

" Je voudrais savoir t'abhorrer Tristan. "

Sa seconde main quitta le refuge de ses jupes. Elle était partie s'y camoufler, inerte, quand son corps entier s'était blotti dans les bras de son chevalier lorsqu'elle avait cru voir le cafard qu'il lui montrait. Échanger la peur d'une potentielle vilaine bestiole contre la protection d'une réelle et trop douce bête cendrée n'avait pas été un choix difficile à faire.
La paume vient effleurer à son tour en autant d'arabesques non voulues la peau du cou de l'homme, remonta délicatement sur la mâchoire pour s'arrêter juste sous son oreille. Pour l'empêcher de fuir encore. Les frissons qu'elle déclencha, sa propriétaire ne les perçut pas, même si il y en eut sans doute. Trop préoccupée par ce souffle si chaud qui se mêlait au sien, elle faisait tout pour ne pas s'approcher davantage de ce bonbon craquant. Pour y résister.

" J'ai essayé. Un an. Mais je n'y suis pas parvenue. "

La voix se fit plus basse encore, devint un murmure trop faible, trop difficile à avouer. Elle devait s'arrêter. Nysa ne parlait pas de sentiments. Jamais. Ou alors seulement pour râler ; les hommes ne disaient rien non plus à ce sujet sans bougonner. Pourtant, son son s'éleva à nouveau, continuant à dégringoler en rajoutant encore quelques termes maladroits, une exception vraie depuis trop longtemps. Dix ans exactement. Bordel. Pourquoi était-elle trop heureuse de le voir et de l'ouïr dire qu'il n'allait pas l'abandonner ?

" Je ne te hais point, tu sais. "

Il ne fallait pas qu'il parle. Un doigt fut trop rapide pour lui. Son pouce lié au poignet numéro deux vient l'empêcher d'articuler quoi que ce soit en réponse, se posant sur sa bouche à lui, en un "chut" enfantin. De ceux qu'ils se faisaient parfois, terriblement innocents, quand à bout d'arguments et totalement saouls, ils ne voulaient plus se battre avec l'autre. Alors ils accordaient la victoire à celui qui criait grâce ainsi, après une autre pique ou deux et tombaient au sol pour observer les nuages. En paix. Ensemble. Comme les deux grands idiots qu'ils étaient. " Il ne faut rien qu'il dise ou je vais fondre comme un glaçon. "
Elle ne lui mentait en tout cas pas. Elle le détestait vraiment pas, elle. Quant à l'aimer tout court, elle n'était pas sûre que ses mots n'avaient pas une fois encore dépassé ses pensées. Elle n'avait pas voulu y réfléchir, avant et ne le voulait toujours pas. Mais bon. Il ne verrait pas sa déclaration comme un acte d'amour, n'est-ce pas ? Il n'y avait aucune chance, puisqu'il ne la comprenait pas tout court.
Ne souhaitant donc pas du tout approfondir la question, elle enchaina sur le premier sujet qu'elle trouva. Sans doute pas le bon, mais sa caboche se faisait trop vide. Elle rajouta une note enjouée à ses propos qui jusque là en manquaient.

" Tu m'as manqué. "

La rousse appuya, à peine plus, le bout de son doigt sur les lèvres trop fines de son chevalier et un sourire moins ému, mais toujours tendre apparut sur ses joues.
Sa première menotte chercha à retenir le pouce qui ne l'effleurait plus, mais y avait laissé sa marque. Elle se referma en un poing, obligeant la chaleur qu'il avait tracé en son sein à y rester. Là, posé sur l'amas de vêtements oubliés.

" Cependant, je ne viendrai toujours pas avec toi. Surtout si ton père surveille Elia, je ne peux pas la laisser derrière pour aller ailleurs. Je ne peux pas l'abandonner, une fois encore. Je te l'ai déjà dis. "

Elle se détacha à peine de lui en bavardant et lentement remonta son menton à elle. Sa bouche effleura l'arête de son nez, le début de ses sourcils avant de se poser sur son front, suivant un cheminement inverse au sien. Là, délicatement, elle s'arrêta sans forcer.

" En plus si je te suis sans me préoccuper d'elle... Quand l'hiver viendra et que la guerre contre la fange sera alentie par le froid, quand on aura trop de temps pour ruminer nos fautes, je t'en voudrai. Et je te honnirai sans doute, cette fois, de m'avoir privée de la dernière membre de ma famille en vie ; de l'avoir laissée à la merci de ton père sans possibilité de fuite. "

Un baiser sonore fut déposé sur la peau tendre là où peu avant elle en avait déjà mis un pour faire pardonner la rudesse de ses mots. Ses deux mains cette fois vinrent caresser les joues à peine piquantes de son si délicieux chevalier.

" Et tu m'en voudras aussi d'être si mauvaise à ton égard. Enfin, heureusement, je suis sinon assez grande pour veiller sur moi ici toute seule tu sais. Aussi pourquoi tu ne resterais pas, toi si tu crains tant pour moi ? "

Elle recula sans bouger ses doigts et sans attendre sa réponse. Millimètre par millimètre, elle laissa l'air créer un nouveau courant entre eux. Ses yeux mi-clos en profitèrent pour chercher les siens et se perdirent dedans. Un temps. Les paupières s'ouvrirent en grand tout comme les battements du cœur s'affolèrent. Elle était perdue. Encore.
Alors, pour retrouver son chemin et ne pas se laisser aller à répéter ces gestes datant de neuf ans qui lui revenaient en mémoire, elle eut un mouvement incongru, de ceux réservés à l'extérieur. Un peu violemment, peut-être, elle le libéra de ses paumes et se relaissa tomber en arrière, là, sur le matelas et ce bras qui ne lui appartenait pas.
Comme si le plafond était un ciel ouvert et qu'ils se trouvaient sur de la paille fraiche, elle força Tristan à la suivre dans sa chute et à lui servir d'oreiller. Puis, avec regrets, elle tendit un coude pour désigner une tache en l'air.

" Une cruche de vin. "

Murmura-t-elle, trop joviale pour que cela soit vrai. En effet, la forme montrée était difforme.

" Renversée, bien évidemment. "

Expliqua-t-elle après un énième temps sur le ton d'un complot sans oser le mirer lui. Elle ne bénéficiait pas des ténèbres de la nuit pour dévorer du regard Personne sans qu'il s'en aperçoive et il la connaissait trop. Si il n'avait pas tout oublié, il pourrait bien trop lire tout ce qui n'allait pas dans ses yeux en la percevant de face. Tout ce qu'elle ne disait pas.

"Dommage que nous ne puissions pas nous y servir."

Les palabres emplies de rêveries lui échappèrent, tout comme bien des précédentes. Devant ses yeux, se rejoua une scènette. Ils avaient vingt-cinq ans et l'avenir devant eux. Tamien était fiévreux, mais elle était sortie. Pour être avec lui.
Ils avaient bu, comme d'habitude, de ce vin ambroisien qui n'appartenaient à ce moment précis qu'à eux deux et elle lui avait servi de sommier. A moins que ce ne fut lui ; sa mémoire n'était plus très précise. Dans tous les cas, cela avait été de sa faute à lui, elle en était sûre : il avait trébuché. Mais tout ce qui importait vraiment était qu'une fois ainsi couchés un rire leur avait secoué les lèvres sans cependant atteindre ses oreilles. Le son du sang qui coulait dans leurs veines et pulsait sur un tempo violent avait surplombé tout le reste et même leurs propos malhabiles et trop forts n'avaient pas eu la prétention de l'égaler.
Elle avait vécu tout le reste de la soirée en se basant sur ce rythme insensé et effréné, souriant davantage en croyant, grâce à quelques mirages, voir les étoiles danser sur ce même chant.
Qu'il était doux d'avoir vingt-cinq ans.

Elle désigna deux autres flaques bien moins diaphanes que les lueurs de la fin du jour, chuchota des explications rocambolesques liées à ce qu'elles représentaient. " Une fleur oubliée et fanée. Un fangeux découpé en rondelles disparates par une épée émoussée. "
La seconde, bien que fort héroïque parut lui rappeler le présent en plus du passé et Nysa laissa finalement un silence s'installer. Les temps heureux et ingénus n'étaient plus depuis des mois ; ils ne pouvaient pas revenir sans être changés. La preuve était là, sous son nez. Au lieu de l'odeur du foin, c'était celui aigre de la vie de pauvre gens qui les entouraient. Ils ne pouvaient plus s'y perdre, dans leur campagne, ni s'y réfugier pour échapper à leurs responsabilités : la mort à laquelle ils s'étaient efforcés de ne jamais pensé les y rattraperaient. Quant à l'alcool il avait disparu, ce qui les forçaient en partie à se comporter en ces adultes qu'ils ne voulaient pas être. Son petit jeu était ridicule aujourd'hui. Plus qu'hier en tout cas.

Fixant toujours le parquet au dessus, elle demeura muette et finit par soupirer à nouveau. Ses mains revinrent se croiser sur son torse, en croix tandis qu'elle finissait de rendre à la réalité sa place.

" Tris ? "

Finit-elle par grommeler d'une voix plus neutre.

" Ne remets pas un an, pour venir me retrouver. S'il te plait. J' voudrais bien finir de compter tes dernières cicatrices avant que tu t'en fasses d'autres. A force, tu risques d'oublier où tu les as obtenues et tu ne pourras plus me l'expliquer. "

Tout était toujours de sa faute. Surtout le fait qu'ils avaient été séparés une année, pour sûr. Alors il fallait espérer qu'il se ferait pardonner, au moins en lui décrivant tout ce qu'il avait vécu et qu'elle ne savait pas. Maintenant.
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