Fragment de passé [Barral - Début février 1165 - Terminé]

La rue était calme, du moins, la ruelle sur laquelle donnait l’entée de service du bordel. On entendait bien l’agitation de la venelle attenante

« Alberick boucle là, t’es qu’un oiseau de mauvais augure, à chaque fois qu’tu viens j’ai une ou plusieurs filles qui peuvent plus tapiner ! »

La voix tonna, résonnant sur les murs proches et crasseux pour aller s’évanouir plus loin entre les passants qui, pour les plus curieux ne tournèrent à peine la tête en direction du bruit. Cependant, la plupart ne dévièrent même pas de leur chemin, ne ralentissant pas, ne s’arrêtant nullement.
Pourtant, pour ceux qui se seraient stoppés aurait pu voir ce spectacle d’une certaine banalité.

« - Bah si tu les traitais mieux tes filles, elles me feraient pas venir aussi souvent, hein M’sieur Acade. On a un peu la main leste à ce que j’ai pu constater.

- Tu m’accuses de cogner mes gagneuses ?!

- Parfaitement, en plus de leur pomper une trop grosse de leurs argents. S’doit être facile pour toi d’leur imposer tes conditions avec toutes les nécessiteuses qui traînent dans les rues. Des remplaçantes désespérées… »

La frêle silhouette d’une jeune fille drapée dans des vêtements d’homme qui commençait à s’empâter au niveau du ventre, assurément pas à cause d’une abondance de nourriture, tenait bon face à un homme d’une bonne tête de plus qu’elle et d’au moins deux fois son gabarit. Denea ne semblait pas avoir peur de lui, ou du moins ne le montrait-elle pas.
Le dénommé Acade, lui était rouge de colère qu’on ose sous-entendre si publiquement qu’il ne gérait pas si bien ses affaires, surtout par une petite herboriste de quartier, qu’on savait du genre plutôt de mèche avec les catins du coin.

Il la surplombait, faisant montre de toute l’intimidation que son physique pouvait lui permettre. La jeune femme face à lui n’en menait pas large intérieurement, se disant qu’elle avait raté une occasion de la boucler. Mais surtout mine mal rasée du tenancier de maison close, déformée par la colère n’était pas sans lui rappeler celle du milicien, faisant remonter de douloureux souvenirs.

« Un jour toi aussi tu d’viendra une nécessiteuse, et j’me ferais une joie d’te laisser les plus bourrés, les plus dégueux et les plus brutaux. Ils te sauteront pour une misère.
D’ailleurs, nécessiteuse, tu l’es ptètre déjà, hein l’Alberick. Les filles cause que t’as une sale mine depuis quelques mois. T’vois, j’les écoute mes catins. »

La menace n’était même pas voilée. Joignant le geste à la parole, Acade se saisit du poignet de Denea sans délicatesse aucune, l’approchant de lui.

« Lâche-moi. »

Panique, l’espace d’un instant la jeune femme son timbre bien plus aigüe que celui qui avait raisonné quelques instants au part avant, perçant à nouveau la relative quiétude du pâté de maisons.
L’herboriste se débattait, mais l’homme n’avait pas réellement envie de la laisser filer, elle avait été trop insolente cette femme. Pour qui elle se prenait !

[Au port]

Le rafiot se fraya un chemin parmi toutes les embarcations possibles et imaginables qui encombraient le port. Depuis l'apparition des Fangeux et l'arrivée massive des réfugiés, la situation semblait se dégrader à vue d’œil. Barral avait de plus en plus de mal à reconnaître la ville qui l'avait vu naître il y a de ça vingt-cinq ans déjà. Le métier devenait difficile aussi. Il fallait sortir en mer plus souvent et toujours plus loin pour satisfaire les appétits d'une ville prête à dégueuler. Cette fois là, ça n'était pas passé bien loin, sur le chemin du retour, la tempête ne les avait pas loupé, causant de sérieux dommage au navire. On vida les cales de toute la poiscaille amassée en échange d'un bon petit pactole qui fut vite partagé entre les membres d'équipage.

-Te faudra dormir à terre cette fois mon gars. Percé comme il est, on n'est pas prêt de repartir.

Une fois de plus le vieux capitaine avait été franc avec lui. Barral lâcha un léger soupire. Dormir à terre, c'était dormir d'une oreille pour lui. Sa maison c'était le bateau. Autant avant l'apparition des Fangeux, il appréciait de se trouver un bon lit , autant maintenant il préférait rester dans sa couchette étroite. Ce navire l'avait vu grandir, il y était devenu un homme. La frustration passée, il rassembla ses maigres affaires qu'il fourra pêle-mêle dans son sac avant de monter sur le pont.

- A dans trois semaines alors.

[Le Goulot]

Ses pas l'avaient conduit dans son quartier de naissance. Quartier de tout les dangers il le savait parfaitement mais c'était le quartier qu'il connaissait le mieux de Marbrume. Une chose est sûr son allure ne dénotait pas avec le décor. Une barbe de plusieurs jours, des vêtements plus qu'usés et pas très propres, une odeur de sueur et de sel. Ajouté à cela son cache-oeil, il ressemblait à un parfait petit caïd.

Barral arpentait les ruelles étroites à la recherche d'un endroit où il pourrait se poser durant quelques temps. Errant presque. Tournant tantôt à droite, tantôt à gauche. En vérité il se dirigeait vers le bordel où avait officié sa mère. L'établissement ne payait pas de mine, comme à peu près tout ce qui se trouvait dans le quartier, mais il se trouvait dans une partie un peu moins mal famé du Goulot. Les années n'avaient pas arrangé le proprio mais il était toujours là, et contre quelques pièces, Barral trouvait toujours de quoi logé seul ou en bonne compagnie de temps à autre.

Bien que natif, ses sens étaient en alerte. Une mauvaise rencontre était si vite arrivée, aussi se tenait-il sur ses gardes à l’affût du moindre bruit suspect. Un nourrisson qui braillait, un oiseau qui piaillait, un cri....! Cela semblait venir de la prochaine ruelle qu'il devait emprunter. Que faire ? Devait-il ignorer ce qu'il venait d'entendre et passer son chemin ? Ou devait-il se mêler de ce qui ne le regarder peut-être pas ? Trop tard ses pas l'avaient déjà engagé dans la ruelle.

-Elle t'a dit de la lâcher.

Dans quoi mettait-il les pieds il ne le savait pas encore bien mais il savait une chose la fille ne ferait pas le poids face à ce type, ce n'était pas une prostituée et maintenant qu'il était là il ne pouvait pas faire semblant d'ignorer la situation. En quelques enjambées, d'une démarche chaloupée, il atteignit le tenancier et la jeune femme.

- T'es sourd Acade ! Lache-là !

Barral s'était répété , un peu plus fort, d'une voix grave. Acade, ce type n'était pas un tendre, il s'en souvenait maintenant. Plus jeune, il avait vu de quoi il était capable, il en gardait aussi une belle marque. Aujourd'hui la situation était différente. Il attrapa le poignet du tenancier de la main gauche.

- Laisse moi-la j'en fais mon affaire.

Comment faire comprendre à la fille qu'il ne lui voulait pas de mal ? Il aurait pu lui faire un clin d'oeil pour qu'elle joue le jeu mais avec un seul oeil c'était signé son arret de mort. L'observant de plus près, il se dit qu'elle devait quand même être du coin alors il tenta de lui faire comprendre en utilisant les signes que les gamins utilisaient pour communiquer entre eux.

Un homme qui passait par là avait visiblement trouvé un intérêt à venir en aide à Denea. Cette dernière en était presque étonnée. Qui pouvait bien en avoir quelque chose à faire de ses fesses et de ce qui allait leur arriver ? Surtout que l’Acade s’était par un enfant de cœur et que ceux qui traînaient de manière un peu suivie dans le quartier, ils le savaient bien. On n’avait pas trop envie de s’y frotter en générale au costaud de service avec son embonpoint de porc engraissé, même si, à cause de la disette ce dernier détail n’était plus si vrai.

La jeune femme regarda celui qui lui semblait un peu fou, même si elle appréciait le geste. Dans le même âge, pas spécialement étoffé niveau muscle, mais avec du culot, beaucoup de culot, vu qu’il venait d’attraper le poignet de la main qui tenait celle de l’herboriste. Il n’avait pas l’air de présenter, mai le signe qu’il fit de la main la tranquillisa un peu. S’était le code qu’utilisaient les gamins du quartier. Il semblait lui indiquer que tout allait bien se passer.

Malheureusement pour le bon samaritain, le tenancier de bordel aussi avait repérer son petit manège.

« C’est qu’y me prend pour une buse l’joli cœur. J’les vois bien les gamins des rues traîner toute la journée à gêner la clientèle. Pis faut bien les mettre dehors les marmots d’mes filles pour qu’elles bossent. »

Acade ne semblait pas très heureux qu’on lui tienne tête comme ça, surtout un gringalet dont il aurait pu être le père. Lui aussi laissa couleur don regarde sur le visage de celui qui voulait jouer au plus malin avec lui.

« Dégage l’loupiot, s’pas tes oignons. Sinon j’te montre comment qu’on traite les indésirables dans mon établissement. »

A trop reporter son attention sur quelque chose d’autre, la main de l’homme s’était légèrement desserrée autour du poignet de la jeune femme. Cette dernière tira d’un coup sec pour réussir à se dégager. Ça avait légèrement craqué, heureusement pas le même craquement qu’un os brisé, plus celui d’une articulation qui n’avait pas aimé qu’on la malmène.

N’attendant pas de se faire chopper à nouveau Denea se sauva disparaissant à toute vitesse au coin de la ruelle. En fond elle entendit Acade fulminer.

« C’est ça là, la Denea , sauve-toi, t’as d’la chance qu’j’ai mieux à foutre qu’te courir après. Tu finiras comme ta mère un jour. Poussée par la faim tu viendras ramper pour d’venir ma pute ! »

Le gérant était resté planter à sa porte de service. Il avait joué au gros dur, il avait fait une frayeur à une emmerdeuse, il était plutôt satisfait de sa matinée, si on oubliait ces filles qui pouvaient pas bosser. Le sauveur était toujours planté là. Il le regarda de bas haut et de haut en bas l’air aussi avenant qu’un molosse à qui on aurait pris sa gamelle.

« Qu’est-ce tu fous là encore toi. T’la veux ? Bah vas l’a cherché. »

Grommela-t-il en rentrant dans son bouge, la porte se refermant dans un désagréable fracas.

Plus loin dans la rue, l’herboriste marchait d’un pas légèrement rapide, regardant d’un air dépiter la grosse marque rouge de paluche qui entourait son poignet.

Mentalement Barral s'était préparé bandant ses muscles en prévisions du coup qui allait suivre. Parait que ça fait moins mal comme ça. Mais voilà le coup ne venait pas. L'Acade ne semblait pas vouloir en venir aux mains, il parlait ! De fait Barral avait quelque peu réussi son affaire. Détourner son attention de la fille. Lui par contre n'en mener pas bien large, mais qu'est-ce qui avait pu donc passé dans sa tête ?

Dégager ?

Oui il le ferait mais pas tout de suite. Il fallait s'assurer que la fille, Denea qu'il l'avait appelé l'autre puisse partir. Bon pas trop loin non plus parce qu'après dans le dédale il n'arriverait surement pas à la retrouver...Enfin elle saisit sa chance.

Denea ??? Avait-il déjà entendu ce nom là ? Pendant qu'il réfléchissait il n'avait pas bougé de devant la porte et surtout de devant Acade. La voix du tenancier lui rappela où il se trouvait. Cette fois au ton employé, Barral comprit qu'il avait plutôt intérêt à déguerpir. Pas le temps de répondre que l'autre lui avait déjà claqué la porte au nez. Et pour lui répondre quoi de tout façon ?

Calant son sac, il détala dans la direction empruntée par Denea, par chance elle se dirigeait vers un établissement qui lui était très familier. Il la rejoignit.

-Hey !

-Hey ! Attend-moi Denea.

Il savait à présent où il l'avait déjà vu, celui lui était revenu en mémoire. C'était la petite herboriste qui avait aidé sa mère juste avant sa mort. L'épisode remontait à cinq ans déjà.Elle avait bien changé la fillette depuis. Lui aussi.

- Ca va ? On peut faire un bout de chemin ensemble ? Je vais à "La belle rousse".

Même s'il ne savait pas lire, la pancarte parlait d'elle-même sur l'établissement.
Denea ne semblait pas le reconnaître.

- Tu ne me reconnais donc vraiment pas ?

Risquant de rentrer dans un homme, Denea fit un écart avant de jeter un dernier regard dépité à son articulation meurtrie. Elle devrait s’arranger pour faire venir les filles du bordel à la boutique ou dans un endroit neutre. Le temps qu’Acade oublie l’altercation, elle, elle serait sûrement plus en était de se déplacer si facilement, ou peut-être même plus de ce monde si tout se passait mal.

Les idées noires n'eurent pas vraiment le temps de s’installer que quelqu’un l’interpella. A la voie s’était le type qui l’avait aidé en distrayant le gérant de la maison close. Si tout à l’heure, elle était presque heureuse de le voir, tout de suite ce n’était pas réellement le cas.
Qu’est –ce qu’il voulait ? Il voulait de la gratitude ? Quelle sorte de gratitude ?

La belle rousse ?
S’était quoi ça déjà ?

Dans tous les cas, elle n’avait pas réellement envie de l’accompagner là-bas, du moins jusqu’à ce qu’il parle du fait qu’elle aurait dus le reconnaitre. Il était vrai qu’elle ne l’avait pas réellement détaillé, juste regarder sa corpulence générale. A le détail un peu plus, les trais de son visage, le cache œil, l’allure. Elle avait cette impression d’avoir déjà vu tout ça une fois.

« Je vous ai déjà vu. »

Mais elle voyait beaucoup des gens dans son quartier, dans son métier, elle ne pouvait pas se rappeler de tout le monde. Mais lui, elle avait cette impression de vraiment lui avoir déjà parlé plus de cinq minutes au coin d’une rue, sur un comptoir. Elle ne l’avait pas soigné, du moins pas d’une blessure grave, pas récemment.
Qu’est-ce que ça pouvait bien être.

« Mais je sais plus où. »

Une bande de gamins des rues passa en courant pendant que la voix d’une petite vieille retentissait en fond les traitants de sale garnement. Il y a très longtemps elle aussi elle faisait partie de ces mioches qu’on laissait traîner pour qu’ils soient plus dans les pattes de leurs mères.

« Je vous ai pas soigné ? »

Elle était presque sûre que non, mais sa mémoire n’était pas complètement infaillible. Il n’arborait pas de grosses cicatrices visibles en plus, même si ça ne voulait pas dire grand-chose.

Barral hocha la tête à la première affirmation de Denea. Mais elle ne semblait pas se rappelait beaucoup plus de lui. Faut dire aussi qu'il s'était un peu étoffé depuis, il ressemblait moins à un grand échassier haut sur patte. Il n'était pas non plus devenu une armoire à glace mais il avait quand même un corps solide.

- On s'est vu à "La Belle Rousse"...

Il sentit cette boule remonté au fond de sa gorge, c'était il y a cinq ans , mais il s'en rappelait comme si c'était hier. Cette année-là il avait osé retourné voir sa mère, et il l'avait trouvé alité, très affaiblie, à l'agonie et cette petite était là à lui donner un breuvage. Sur le moment il avait cru que c'était pour la tuer avant de finir par comprendre que ce n'était que pour soulager les souffrances de sa mère.

- Non pas directement...mais ma mère oui... "La gazelle" c'était son nom.

Ce nom là, elle devait bien le connaitre, sa mère ayant eu pas mal de succès durant sa jeunesse même après la naissance de Barral jusqu'à ce que ce Trell lui fasse perdre la tête. Malgré la naissance de deux autres garçons, elle avait continué à exercer son métier parce que c'était tout ce qu'elle savait faire.
Barral regarda la bande de gamins passer et un léger sourire apparu sur son visage. Lui aussi avait été comme eux, s'était battu comme un chiffonnier et le plus souvent il avait perdu car à l'époque il n'était pas bien épais. Il se gratta la barbe songeant qu'il faudrait qu'il s'en occupe dès qu'il aurait un moment. Il n'aimait pas la porter aussi fournie.

- Il ne t'a pas fait trop mal l'Acade ?

Barral connaissait la force de l'homme, il portait encore la marque de son ceinturon malgré les années sur le bas des reins.

Tu ne te rappelles vraiment pas de moi alors ?

En entendant le nom de la mère du jeune homme, le visage de Denea afficha une mine contrite.

« Ow … La gazelle … »

Elle, elle s’en souvenait, elle s’en souvenait même plutôt bien. Il fallait dire ça ne remontait pas à si longtemps. Cinq ans ça avait l’air une éternité, mais finalement s’était assez peu. Elle lui restait en mémoire surtout parce que la femme avait été la première personne dans un état grave qu’elle avait soigné entièrement seule, sans personne pour surveiller ce qu’elle faisait. Le vieux était trop âgé, trop malade pour se déplacer avec sa petite apprentie.
De toute façon la jeune herboriste n’avait pas pu faire grand-chose pour elle, à part soulager ses souffrances. Trop malade pour espérer guérir.

« Tu dois être un de ses fils… »

Il était trop vieux pour être un de ceux qu’elle avait vu dès les premières visites chez l’ancienne prostituée. Ça devait être celui qui était arrivé après. Il avait un nom un peu étrange. Dire ça, s’était un peu l’hôpital qui se foutait de la charité, on pouvait pas dire que Denea était un prénom des plus communs dans la ville, qu’elle risquait de se retourner au coin d’une rue par ce qu’on invectivait son prénom pour appeler quelqu’un qui n’était pas elle.

« … Barral ? »

Elle n’était pas du tout sûre de ce qu’elle disait et ça se sentait dans sa voix. S’était un vieux souvenir, elle avait dû l’entendre deux trois fois tout au plus.

« Non, ça va, il à juste un peu malmener mon poignet rien de grave. J’ai vu pire. J’ai une vieille cicatrice sur le côté à cause d’un coup de ceinturon un peu trop zélé que j’ai qu’à moitié esquivé. »

S’était une vieille, une très vieille cicatrice, qui datait d’avant ses dix ans, d’avant la mort de sa propre mère. Elle ne se souvenait même plus ce qu’elle avait fait pour étirer comme ça le courroux de celui qui gérait la maison close. Sûrement avait-elle cassé quelque chose, ou avait-elle bousculé un client, ou simplement elle n’était pas sortie à temps quand il lui avait demandé.

« Mais t’étais pas celui qui était marin ? Enfin ça fait un moment, je me souviens plus très bien… »

Même si, en soit ça collait, il avait plutôt le physique qui allait avec la profession.

- Oui c'est bien ça, Barral, Barral Trell.

Bien que le plus souvent il ne se présentait que sous le nom de Barral. Évoquer le nom de celui qui lui avait servi de père faisait toujours remonter de mauvais souvenirs vu que l'homme n'avait jamais eu le moindre geste tendre envers lui.

- Alors tant mieux si ce n'est pas grave, l'Acade ce n'est pas vraiment un tendre...

La ruelle se divisait en deux.

- Je suis rentré aujourd'hui, le bateau est au port. A voir la tête qui tirait mon capitaine on est pas prêt de repartir remplir nos cales...

Un léger soupire, rester à ne rien faire pendant un certain temps ne l'enchantait guère. Tout au plus il se reposerait pendant quelques jours mais après l'ennui s'installerait. Etre en mer l’apaisait et lui procurait un sentiment de sécurité qu'il ne s'expliquait pas.

- Si on prend la droite "La belle Rousse" se dressera devant nous.

Il doutait que la jeune femme ne l'accompagne. Celle de gauche mener à l'arrière de l'établissement mais aussi à ce qui avait été sa maison jusqu'à ses quinze ans. Il s'en remit à la décision de la jeune femme. Quoi qu'il en soit lui était arrivé mais ça ne le dérangerait pas plus que ça que de l'accompagner plus longtemps comme lorsqu'ils étaient enfants.

Le sort ne semblait pas vouloir que quiconque essaye de quitter Marbrume, trouvant un moyen d’y terrer ceux qui avaient le malheur d’y avoir mis les pieds. Cela pouvait être la fange, cela pouvait être la mauvaise fortune. Mais dans tous les cas cette ville de malheur devenait une cage sale et surpeuplée.

« J’espère que tu trouveras la belle rousse confortable. Mais … »

Un peu gênée, mais pas très à l’aise en même temps. Denea n’avait jamais vraiment aimé être redevable envers quelqu’un, même pour une si petite chose que l’acte qu’avait fait le marin.

« J’ai du travail. J’avais déjà pas vraiment le temps de lambiner avant la fange, mais depuis avec les blessés et la pénurie, j’arrête plus. »

Il fallait bien se nourrir et s’occuper, surtout s’occuper l’esprit pour plus penser à ce qui poussait en elle, qu’elle pourrait bientôt plus cacher avec une chemise trop ample. Oublier, une heure ou deux, malheureusement pas plus.
La vie réservait d’étranges surprises, pour certaines acides, amer, désagréables, comme le milicien et tout ce qu’il avait apporté, d’autres plus douces comme celle de ce jeune homme sorti de quelque part, loin, dans son passé.

« Merci pour Acade, j’aurais sûrement pris une bonne trempe si t’étais pas intervenu. »

Et encore, elle n’était pas certaine qu’il se soit arrêté là, costaud comme il était face à la petite brindille qu’était Denea, il se serait sûrement senti tout-puissant, grisé par la facilité de la rouste.

Un dernier geste de la main, un peu hésitant avant que la jeune fille ne disparaisse entre les passants qui se massaient plus ou moins densément dans la venelle.