D'un dresseur à un autre [PV Ivan]

Il avait fallu un certain nombre de semaines pour que l'homme ne se remette de ses blessures, un trop long temps où sa chère sœur voulu qu'il demeura alité, lui qui avait soif du vent soufflant au-dehors et du soleil qui dardait ses rayons lors des journées qui allaient en s'allongeant. La nuit il se réveillait en sursaut, cherchant son épée à tâtons dans l'obscurité, en nage et agité de tremblements nerveux. Après que la chose se soit répété par trois fois, sa cadette avait décidé qu'il dormirait avec une bougie pour lui éviter toute mauvaise chute et, ironiquement, l'excuse fonctionna, lui accordant ainsi dans ses réveils impromptus un semblant d'apaisement en voyant la chambre familière autour de lui. Progressivement, le Banneret avait cessé de cauchemarder et ses plaies avaient enfin pu cicatriser sans qu'il ne tira dessus dans un faux mouvement irrépressible. Refusant de se confier à qui que ce soit et allant même jusqu'à presque s'emporter si la seule membre vivante restante de sa famille osait insister, l'homme d'arme finit par se remettre et, si son humeur demeura maussade et songeuse, l'on vint finalement lui confier une nouvelle qui eut le mérite de le tirer de cet désagréable état. Idalie s'était renseignée durant la convalescence de son frère et lui confia avoir entendu dire que de nombreux oiseaux étaient encore disponibles pour Marbrume et qu'une volière sous bonne garde se trouvait juchée sur les hautes remparts de la Cité. C'est ainsi que tout commença.


Zephyr avait choisit d'attendre une de ces journées où le vent n'est point trop fort et où le soleil brille assez haut dans le ciel pour ne point trop aveugler le dresseur qu'il était. Préférant s'abstenir d'amener son propre animal, il s'était rendu seul sur les remparts, justifiant auprès de la Milice ses qualités en matière de volatiles en tous genres pour rencontrer le Fauconnier en charge des missives de l'un des derniers bastions de l'Humanité. L'air était agréablement plus frais sur les hauteurs et le Banneret se félicita de porter son manteau long à capuche, laquelle était rabattue sur ses épaules pour le moment, laissant ses sombres cheveux mi-longs voleter autour de son visage émacié à l'expression fermée. Il demanda son chemin à quelques gardes en patrouille et parvint finalement à proximité de la volière au bout de brèves minutes, stoppant à une dizaine de mètres pour observer l'édifice et tendre l'oreille aux bruits habituels en de tels lieux.

- Il y a quelqu'un ?

Lança-t-il d'une voix grave et forte par-dessus le souffle du vent, plissant ses yeux gris tout en franchissant la distance qui le séparait d'une ouverture donnant sans doute accès à l'endroit. Qui sait quel genre de personne était ce Fauconnier dont on lui avait parlé ? Une brève enquête ne lui avait pas permis d'apprendre énormément de choses, rien que l'essentiel, seule une rencontre directe permettrait de se forger une opinion solide.

Depuis quelques mois, ma vie se résume à des actes répétitifs et monotones: entraîner les oiseaux, envoyer les missives, en recevoir certaines, parfois voire trop rarement, manger, dormir... et tout recommence. Plus le temps passe et moins j'arrive à me remettre de la perte de ma Lucie. Je songe avec tristesse que ma vie sociale est devenue inexistante. Il y a bien eu la rencontre avec cette herboriste, ou les visites de la petite forgeronne. Mais cela s'est arrêté là, au côté professionnel. La solitude me pèse parfois, mais pourtant je ne fais pas grand chose pour changer. Je me morfond, d'humeur morose la plupart du temps.

Seuls mes oiseaux m'apportent quelques réconforts! Mes majestueux maîtres du ciel. J'aime les contempler, les admirer du haut des remparts tournoyer en de lents ballets aériens.
Voilà au moins quelque chose d'encourageant: ma volière prospère! D'une quinzaine, je suis passé en quelques mois à pas loin d'une trentaine d'individus. Yseult, ma femelle faucon gerfaut a donné naissance à 5 superbes oisillons, tous en bonne santé et en train de grandir. Une autre nichée de corbeaux était aussi venir agrandir la famille.

Je parcours chaque jour plusieurs fois mes volières, guettant le moindre signe d'inconfort de mes petits protégés. J'ai un léger sourire de fierté aux lèvres lorsque mes yeux se posent sur le beau Fragonard. Mon Autour des palombes a grandis et comme je l'espérais, il est attiré vers la mer et le large. Je songe à l'envoyer bientôt en mission. Il m'a été apporté de la ville d'Usson, et j'espère qu'il retrouvera le chemin vers sa ville d'origine en passant par les voies maritimes, là où le danger des Fangeux se fait moins présent. Il pourrait apporter une missive capitale au Maître Fauconnier des lieux.

Un claquement de langue et ma Lady vient finalement se poser sur mon épaule. La dame corbeau espiègle et vive vient affectueusement me picorer les cheveux qui, comme de coutume, sont attachés en queue de cheval à l'arrière de ma tête. Elle ne partira pas en mission, elle est bien trop imprégnée et attachée à moi pour cela.

Mes volières sont un lieu apaisant, malgré tous les petits cris et bruits d'ailes qui se font entendre en permanence telle une symphonie savamment orchestrée. J'ai du mal à entendre la voix qui soudain perturbe la mélodie et se fait entendre depuis les remparts.

Oui? Je suis là.

Je lance d'une voix grave et qui porte dans le vent qui ne s'arrête jamais quand on est sur les remparts. Je me dirige vers l'entrée et les quelques marches qui donnent sur le chemin de ronde, curieux de savoir qui est ce visiteur inattendu.

Malgré les bruits du vent sur les remparts et du ressac se brisant un peu plus loin sur les côtes, l'on avait entendu l'appel et l'on avait répondu d'une voix aussi forte et d'un timbre similaire, de ceux que possèdent les dresseurs de volatiles nécessitant d'avoir des cordes vocales capables d'appeler leurs animaux lorsqu'ils volent haut dans le ciel, là-bas plus près du soleil que n'importe quelle autre créature. Zephyr en fut satisfait et, arrivant sur le perron de pierre, s'arrêta à l'entrée d'une petite pièce comportant un escalier d'où montait un homme dans la force de l'âge, les cheveux blonds noués en catogan et un magnifique oiseau noir sur l'épaule. Irrépressiblement, les yeux gris s'illuminèrent à la vue du corbeau, mais son regard se reporta immédiatement sur celui qui venait l'accueillir, probablement le Maitre des Lieux.

- Maitre Fauconnier, je présume ?

L'homme d'arme ne tendit point la main ni ne chercha à établir le moindre contact physique, non pas tant de par leur différence de statut social, mais parce qu'ici à Marbrume, les gens et leurs mœurs lui étaient inconnus : qui sait quel masque pouvait porter chacun ? Mieux valait apprendre à découvrir autrui plutôt que d'essuyer une mauvaise surprise, n'étant plus sur ses terres en cette cité.

- Je suis Zephyr d'Auvray, Banneret au service du Comte de Ventfroid et de notre Duc.

"Notre Duc", comme il lui avait fallu du temps pour s'habituer à ces deux seuls mots, à ce statut de serviteur envers un homme qu'il n'estimait en aucune façon, si ce n'est peut-être sa propension à conserver encore debout les derniers remparts de l'Humanité contre le Fléau qui les accablaient tous. Point de tergiversation cependant, il n'était pas là pour ça.

- J'ai ouïe dire que vos compagnons à plumes étaient fort précieux. Étant moi-même dresseur, je désirerais que vous me les présentiez, si vous n'êtes point trop affairé.

Si peu de contacts demeuraient à ce jour, en-dehors des rares places fortes isolées dans les marais et du Labret, tout le reste était plongée dans un silence terrifiant, sans que rien ni personne ne puisse savoir ce qu'il était advenu des autres lieux de vie. Est-ce que tout avait été détruit ou bien était-ce seulement les volières qui étaient vides ? Et si oui, pouvait-on espérer les voir un jour se remplir et faire parvenir quelques missives ? Autant de questions qui tournaient dans l'esprit du Noble tandis qu'il scrutait son interlocuteur avec un calme presque sombre.

C'est d'abord avec un soupir que je me dirige vers les escaliers, m'attendant à une énième demande pour envoyer un de mes protégés au casse-pipe. Car je dois bien l'avouer, la plupart des envois de messages n'aboutissaient pas, et l'oiseau ne revenait jamais. Ou alors il revenait amoché et il me fallait des semaines pour le remettre sur pied.
Mais bon, après tout c'était mon devoir que d'essayer sans cesse, d'espérer que les missives les plus capitales parviennent à bon port.
Alors je me plaque un sourire serein sur les lèvres et je vais de bon coeur à l'encontre de celui qui m'a appelé.

Il s'avère être un homme grand et élancé, sans doute assez proche de mon âge, et d'une allure assez austère de prime abord. Pourtant, si l'homme ne semble pas très jovial, je vois ses yeux briller d'une lueur toute émerveillée à ma vue, ou plutôt à celle de Lady restée perchée sur mon épaule. Voilà qui me met tout de suite un peu plus à l'aise.

J’acquiesce à sa question, avant qu'il ne se présente officiellement. Un noble, malgré ses allures d'homme du peuple de par son style vestimentaire. Au service des Ventfroids et du Duc. Bon, tout ça ne me dit pas grand chose, je me tiens en général éloigné de tout ce qui touche aux ragots et à la noblesse, ayant peu l'occasion de les côtoyer. C'est souvent par l'intermédiaire de serviteurs qu'ils font appel à mes services. Du coup, je suis curieux, que vient-il faire ici?

Ivan Volataire, pour vous servir.

Un simple hochement de tête me suffit. Je ne prend pas ombrage d'une poignée de main qui ne vient pas. Je n'ai jamais été très exigent sur les protocoles, tant que nous parvenons à nous comprendre.
Il me parle de mes oiseaux et du fait qu'il souhaiterait visiter mes volières, étant lui-même un dresseur. Je hausse légèrement les sourcils, c'est rare de rencontrer quelqu'un partageant ma passion. C'est donc avec un sourire un peu plus franc sur le visage que je poursuis.

Forts précieux en effet. Et trop peu nombreux malheureusement... Par les temps qui courent, chaque missive envoyée est un risque à prendre de perdre un oiseau..

Machinalement, je porte ma main vers le corbeau qui s'agite doucement sur mon épaule.

Voici déjà Lady, elle est cependant trop apprivoisée pour servir de messager. Les autres sont dans les volières. Suivez-moi, j'ai un peu de temps à vous consacrer.

Je le mène au bas des escaliers, puis vers une série de pièces toutes en longueur où logent mes compagnons. Ce réseau de pièces longe les remparts de la ville, c'est un endroit bien pratique pour faire sortir et entraîner les rapaces de toute sorte.

Je commence par lui présenter Yseult, ma fauconne gerfaut et sa nichée d'oisillons

Yseult:

C'est un oiseau très doué, j'espère que ses petits ont hérités de ses qualités. Je fonde de grands espoirs en eux.
Vous m'avez dit être dresseur, quel sorte d'oiseau avez-vous?

J'ai posé un regard attendris sur Yseult qui s'occupe parfaitement bien de ses petits, avant de me montrer un peu curieux envers mon visiteur.

Les présentations furent formelles, il fallait bien le reconnaitre, mais il n'était point aisé de nouer quelque relation au premier coup d’œil et ceux de cette Cité apparaissaient à Zephyr comme autant d'inconnus dont il ignorait tout, que ce soit leur façon de fonctionner jusqu'aux réactions qu'ils pouvaient avoir selon certaines situations. Ivan confirma son identité et son interlocuteur lui adressa un signe de tête en guise de reconnaissance, portant davantage son attention sur le superbe oiseau posé sur son épaule que sur le visage de l'homme en lui-même. Le sourire qui se fit plus franc ne manqua cependant pas d'être noté mentalement et chaque mot qui fut alors prononcé ne tomba point dans l'oreille d'un sourd. Intéressé, le Banneret plissa ses yeux gris qui brillèrent d'une lueur plus forte encore lorsque lui fut présenté l'oiseau.

- Lady... un nom qui lui va fort bien.

Répondant à l'invitation à suivre d'un hochement de tête, le Noble emboita le pas au Fauconnier de Marbrume, descendant l'escalier par lequel le blond était venu, pour le suivre à travers une série de pièces intelligemment aménagées, avec suffisamment d'aérations et de lumière pour ne pas déstabiliser les volatiles. Silencieux, Zephyr suivit Ivan tel son ombre et ne daigna parler de nouveau que lorsqu'il se trouva face à Yseult et sa portée, lesquels firent naitre un début de sourire pour le moins encourageant et qui eut le mérite de le dérider un peu.

- Ils sont magnifiques... Je comprends vos espoirs, ils sont jeunes et ont déjà l'air robustes.

De quoi assurer une descendance à la volière et, surtout, de très bons messagers capables de parcourir de grandes distances avec une certaine efficacité. La question plus personnelle qui suivit ne manqua pas de se faire redresser le Banneret -qui s'était penché pour admirer les créatures à plumes- et son regard, brillant d'un vif intérêt, ne se voilà qu'à peine face à ce que d'autres auraient pu considérer comme une indiscrétion.

- J'ai eu quelques buses dans ma jeunesse, qui possèdent une agilité bien plus grande et sont ainsi plus efficaces pour la chasse dans les bois, mais j'ai finalement choisi les faucons pour leur efficacité.

Une esquisse de sourire au souvenir de certaines chasses, un bref regard en direction de Yseult, puis une attention de nouveau portée sur l'homme d'âge plus ou moins similaire au sien.

- Mon Faucon actuel se nomme Sheba, mais je n'aime guère l'emmener au sein de la Cité, il attire bien trop l'attention. Depuis combien de temps exercez-vous ce métier, Maitre Fauconnier ?

S'il y avait bien une chose que Zephyr pouvait considérer, c'était le statut d'Ivan qui, bien qu'étant issu du peuple lui avait-on dit, n'en demeurait pas moins un expert dans son domaine et méritait le respect pour cela. En outre, quiconque prenait soin des oiseaux devenait inévitablement aux yeux du Noble un individu de qualité.

Mon interlocuteur n'était décidément pas pas un client très commun. Il se faisait distant, très effacé, ne parlant qu'au strict minimum pour répondre à une question ou faire un commentaire. D'une certaine manière, il me ressemblait aussi dans mon côté très peu volubile et discret. Et si d'autres aurait pu se trouver gêner par le silence qui s'installait parfois entre nos brefs échanges, cela ne me troublait pas, bien au contraire. Je savais que bien des choses pouvaient être dites, même dans le silence.

Le Sieur D'Auvray écoutait avec intérêt tout ce que je pouvais évoquer, et je voyais de temps en temps son regard briller d'un éclat un peu plus vif, particulièrement lorsque ceux-ci se posaient sur un de mes protégés. Je souriais un peu plus en hochant la tête à ses commentaires.

Effectivement, cette belle demoiselle adore ce pavaner et a un caractère bien trempée, ajoutais-je avec humour.

Nous redevenons silencieux lorsque je le mène vers les volières. La disposition est bien pensée et efficace. Nous devons cela à l'ingéniosité de l'ancien Maître Fauconnier, le père de Lucie. Des ouvertures régulières sur les remparts permettent de faire sortir au plus vite les oiseaux, ou d'isoler une pièce lorsqu'on en a besoin. L'aération et la lumière se font grâce à diverses ouvertures qui donnent sur l'horizon azuré de Marbrume. Enfin, des systèmes de trappes permettent de moduler l'espace de volière selon les besoins des oiseaux ou leur état de santé. Je pouvais ainsi isoler un rapace dans un plus petite espace pour leur prodiguer certains soins.

Les petits d'Yseult semblent le ravir et il sort de son mutisme pour me faire comprendre qu'il comprend très bien mes espoirs pour l'avenir. J’enchaîne alors sur lui et les oiseaux qu'il possède en tant que dresseur, il ne me vient cependant pas du tout à l'esprit que cela pourrait être indiscret. Dans ma vision des choses, ce n'est pas parce qu'il est un noble que je ne peux pas me permettre quelques questions, d'autant que c'est lui qui vient pour parler de nos oiseaux.

Je constate que mon interlocuteur s'y connait. Les buses sont effectivement des spécialistes de la chasse en forêt. Je comprend vite que c'est sans doute pour la pratique de la chasse que le banneret dresse des oiseaux. Je ne me suis que rarement essayé à cela avec mes rapaces. Tout juste ais-je tenté quelques leurres pour tester les réactions de mes compagnons.

Je vois oui, les deux espèces font de toute manière de bons compagnons.
Je comprend, un rapace attire très vite l'attention, rares sont ceux qui en possède, et ceux qui veulent envoyer un message passent presque exclusivement par moi.

Il enchaîne alors avec une question, insistant une fois de plus sur mon statut de fauconnier officiel dans tout Marbrume. Je reste un homme modeste et ce déploiement de titre me met légèrement mal à l'aise.

Je vous en prie, nul besoin de me nommer ainsi. J'ai eu la chance et l'honneur de succéder à l'ancien Fauconnier de la Cité. C'est un travail et surtout une passion que j'exerce depuis maintenant une bonne dizaine d'année. J'ai appris pendant 6 ans auprès de mon mentor, avant de lui succéder lorsque sa santé est devenue trop fragile. Cela fait presque 4 ans que j'ai pris sa succession et que j'ai en charge la communication avec l'extérieur.

Tout en discutant je le menait vers une autre pièce où se trouvait actuellement Fragonard, mon Autour des palombes. Il avait pris une taille d'adulte et avait la silhouette et le poids idéal pour partir en mission avec une missive peut-être capitale accrochée à la patte...

Voici Fragonard. J'espère le voir bientôt s'envoler pour longer les côtés et atteindre Usson, sa ville natale. Il pourrait ainsi délivrer une missive importante pour l'avenir de Marbrume...

Fragonard:

L'on négligeait par trop souvent la sensibilité des bêtes, lesquelles étaient la plupart du temps incomprises et traitées d'une façon peu convenable en comparaison de ce qu'elles pouvaient apporter à leurs maitres. Zephyr avait toujours été proche des animaux du domicile familial, affectant particulièrement les canins avant de se tourner vers les oiseaux, les premiers accompagnant les Nobles en tous lieux tandis que les seconds étaient spécifiquement utilisés pour la chasse et les messages à faire parvenir le plus rapidement possible. Jamais enfant ne fut aussi attentif aux créatures l'entourant au sein de sa famille, mais force était de constater que cela lui avait fort bien réussi, n'eut été qu'il préférait la compagnie des rapaces à celle d'une épouse à ses côtés. Personne n'était parfait. Mais ici, au sein des remparts auréolées du chemin de ronde de la Cité, en compagnie du Fauconnier de Marbrume, il semblait progressivement se dérider à mesure que ses yeux gris se posaient sur les magnifies volatiles abrités au sein de la pierre. Si son interlocuteur ne voyait pas pourquoi on l'appellerait par un titre honorifique, ce n'était pas le cas du Banneret qui secoua légèrement la tête, insistant sur ce point en y apportant son propre avis.

- L'on ne demeure point à ce poste en étant un incapable ou un benêt. Sachez accepter un compliment lorsqu'il est sincère, Maitre Fauconnier.

Si le ton avait pu paraitre un peu rude, l'idée n'y était pas, car c'était davantage dans l'affirmation que dans le désir d'être sec que Zephyr avait répondu, suivant son ouvreur des chemins jusqu'à un animal qui eut le mérite de le surprendre, si bien qu'il oublia toute convenance pour dépasser Ivan et s'accroupir devant la cage de l'animal, les lèvres entrouvertes en une admiration discrète, mais profondément réelle.

- Il est magnifique... Une vraie merveille. Avez-vous songé à le faire se reproduire avant de l'envoyer en mission ?

Quoiqu'il devait être difficile de trouver un animal comparable à celui-ci et avec lequel le rapace soit capable de s'entendre suffisamment pour concevoir une portée, mais l'idée de perdre une telle beauté parce qu'un malheur sera survenu en chemin avait de quoi faire s'angoisser un dresseur, quel qu'il soit. Semblant cependant se rappeler l'étiquette, le Banneret se releva sur ses jambes et se racla la gorge, ses orbites grises ne quittant pas la silhouette de la bête.

- Vous pouvez être fier, vos pensionnaires sont en parfaite santé et l'on voit que vous les traitez fort bien. Nul doute que votre mentor doit être fier là où il est. Vous occupez-vous de l'intégralité des missives quittant la Cité ?

Puisse les Trois toujours veiller sur l'homme blond qui se tenait à ses côtés, ainsi que sur ces oiseaux qui incarnaient l'avenir de la Cité d'un point de vue messages. Sans nul doute, si les oiseaux venaient à disparaitre, les échanges avec les places fortifiées seraient grandement compromis.

Le Banneret insiste, et alors que je tente de le faire revenir à des formules plus simple, il tient bon pour ajouter quelque remarque sur mes compétences indéniables pour occupé ce poste. je ne suis pas homme à me mettre trop en avant, et ma modestie n'est pas feinte, mais naturelle.
Je n'aime pas être au centre des attentions, et encore plus particulièrement depuis la mort de Lucie. Ce tragique accident n'a pas manqué de déclencher chez certains un intérêt soudain pour moi l'année dernière.

En revanche, alors que je le sentais jusque là plutôt mutique et taciturne, il semble se détendre un peu, voire devenir un peu plus prolixe. Je constate que la visite de mes volière et la vision de mes protégés agit sur lui de manière positive, comme s'il perdait de sa réserve au fur et à mesure. Je souris discrètement, il est un peu comme moi en fait, je dois moi aussi me sentir en confiance pour parler et me livrer un peu plus. Autant dire que cela n'arrive pas souvent.

Je hoche la tête en signe d'acceptation de son compliment et de mon titre honorifique qu'il tient à souligner. Puis, en arrivant devant la volière de Fragonard, voilà le sieur d'Auvray qui abandonne encore un peu plus sa retenue, à tel point qu'il passe devant moi pour aller admirer le rapace.

C'est un merveilleux oiseau en effet, et un bon compagnon.

Je m'assombrit à peine lorsqu'il évoque sa reproduction. Il s'agit de ma grande crainte, voir disparaître ce joyau de la nature lors de sa périlleuse mission.

Je l'ai ardemment souhaité oui, mais il n'est malheureusement aucune femelle de son espèce à Marbrume. Il m'a été envoyé depuis Usson alors qu'il était encore tout jeune.

Il se redresse finalement, redevenant le noble soucieux de l'étiquette, et finalement me félicite pour mon travail et pour la manière de m'occuper de mes pensionnaires.

J'arque légèrement les sourcils, renonçant à jouer de ma modestie cette fois encore, acceptant le compliment.

Je vous remercie, mais tout ceci est naturel pour moi. Pourquoi ne prendrais-je pas grand soin d'eux, alors qu'ils représentent une part de l'avenir de la Cité, le dernier moyen de communication avec l'extérieur?

Il enchaîne alors avec une nouvelle question, plus pragmatique, plus grave encore, et cette question m'affecte encore plus que la précédente. Mon ton est bas, et je révèle les grandes craintes qui régissent mon existence en ce moment. J'ai tout le temps de cogiter à cela alors que je me consacre corps et âme à mon activité et ma passion.

La quasi totalité, en effet. Il arrive que certains Noble ait leurs propres messagers ou leur propre fauconnier, mais cela est fort rare.
Je sais que cela est dangereux, d'une certaine manière, et j'aspire à développer les volières, accentuer la reproduction, trouver un apprenti aussi, ou plusieurs même. Que tout ne repose pas sur moi uniquement, car s'il m'arrivait quelque chose... qui assurerait la communication?

Nos regards se croisent, et je sens qu'il partage sans réserve mes appréhensions en la matière.

Peut-être connaîtriez-vous des jeunes gens désireux d'apprendre?
Par ailleurs, je serais curieux de rencontrer à l'occasion votre faucon, je ne me suis moi-même que très peu adonné à l'art de la chasse avec des oiseaux.

Je commençais à l'apprécier un peu, ce Zephyr. Un prénom d'ailleurs prédestiné, lié aux vents et à l'azur étourdissant au dessus de nos têtes.

Zephyr songea qu'il faudrait tôt ou tard rassembler ceux qui savaient capturer sans les tuer de telles oiseaux afin de repeupler les volières, quand bien même l'éducation des portées prendrait énormément de temps et demanderait certains moyens, l'avenir se trouvait également ici et pas seulement sur les champs de bataille ou de cultures. Il ignorait où se trouvait encore Usson -il irait se renseigner avec une carte sitôt l'entrevue terminée- mais quelque chose lui disait que ce n'était point tout proche et que la zone devait grouiller de Fangeux. Qu'à cela ne tienne, tôt ou tard les uns et les autres finiraient bien par dominer le ciel de leurs messagers, il suffisait d'y croire et de faire le nécessaire pour y parvenir. La conversation dériva sur le fait que toutes les missives de la Cité partaient de cet endroit, mais également sur ce qu'il adviendrait de cet endroit si le Fauconnier venait à disparaitre. Idée terrifiante.

- Il serait effectivement judicieux de chercher un futur successeur à vos œuvres, de même que nous devons songer à développer ce lieu essentiel à notre avenir.

Jetant un dernier regard à la bête à plumes, le Banneret reporta son attention sur son interlocuteur, ses orbites grises croisant les siens en un bref échange chargé de compréhension, que la question suivante ne fit que confirmer.

- Hélas aucun à ma connaissance, je ne suis point d'ici et n'ai guère eu le temps de me renseigner à ce propos. Cependant ce sera pour moi un vif plaisir que de vous présenter Sheba, je suis certain qu'il vous appréciera.

Parler d'un Faucon comme d'un être humain à part entière avec ses propres émotions aurait sans doute pu être perçu comme une espèce de caprice de la part d'un Noble, mais il était évident que l'attachement et une certaine passion entraient en ligne de compte et qu'à aucun moment il n'était question de folie douce, mais bien de réalisme : l'on ne pouvait se faire aimer des bêtes en ne les traitant point d'égal à égal.

- Lorsque ces terres retrouveront leur liberté et que les Fangeux ne seront plus, je vous emmènerais chasser, Maitre Fauconnier. Vous apprécierez j'en suis certain.

Comme si tout cela pouvait se terminer un jour prochain, comme si le monde ne semblait pas avoir été englouti par la Fange et que Zephyr lui-même n'avait pas failli mourir par deux fois déjà face à cette implacable menace. Il eut un sourire sans joie qui n'atteignit jamais ses yeux, mais le gris de ceux-ci brillait d'une lueur farouche de guerrier, car en vérité il savait que dans quelques temps il lui faudrait très certainement retourner au Labret pour combattre et protéger l'endroit et les vies qui s'y affairaient. Une idée sembla germer et, après un bref haussement de sourcil, le Banneret entreprit de sortir une missive qu'il tendit à Ivan avec précaution.

- Si d'aventure vous pouviez faire parvenir ceci à la demeure Ventfroid dans les terres, lorsque l'un de ses oiseaux vous reviendra, je vous serais gré de votre travail. Je n'ai guère encore de volière dans ma demeure.

Le papier était aussi fin et léger que possible, d'une bonne qualité comme il devenait difficile d'en trouver et qui était spécialement adapté aux messages par oiseaux interposés. L'écriture qu'on devinait à travers le papier était fine et nécessiterait sans doute une excellente vue. Le contenu, bien entendu, ne devait point être dévoilé et Zephyr comptait sur la discrétion du Fauconnier en ce sens.

De plus en plus, en écoutant le Noble parler, j'ai l'impression qu'il partage mes convictions et ma vision des choses. Nos oiseaux et les messages qu'ils peuvent apporter sont essentiels à l'avenir de Marbrume. Nous auront beau gagner toutes les batailles du monde contre les Fangeux, sans aide extérieur, sans concertation entre les derniers bastions qui tiennent encore, et sans communication, tout cela serait vain... L'ennemi reviendrait à nouveau. Pour l'abattre, si cela sera jamais possible un jour, il faut réunir toutes les forces humaines encore présentes.

Il me confirme qu'il serait plus sûr, de son avis, de trouver quelqu'un à qui pourrais transmettre mon savoir et de développer encore plus les volières, d'augmenter le nombre d'oiseau, bref, de donner un peu plus d'envergure au service de communication que j'assure pour le moment tout seul. Il me faudra donc chercher, car il ne connait personne qui serait intéressé, étant nouveau venu dans le coin.

Je comprend, je me renseignerais et ferais sans doute passer une annonce pour trouver un apprentis.

Je souris alors qu'il me parle de son faucon, qu'il prendra plaisir à me le présenter et qu'il pense que l'oiseau m'appréciera également. Ses propos ne me surprennent guère et me réjouissent, au contraire. J'aime que l'on parle des oiseaux ainsi, et c'est tout à fait mon point de vue également. Les animaux ont eux aussi des sentiments et des affinités, que ce soit avec les individus de leur espèce ou non.

Cela sera un grand plaisir pour moi également. Je suis sûr qu'il est un compagnon fidèle et agréable pour vous.
Quand à aller chasser avec vous, cela sera un honneur pour moi que de vous suivre sur les sentiers forestiers pour admirer vos prouesses, soyez-en assuré!

Dans nos propos, dans cet hypothétique avenir sans la Fange, la réalité était l'espace de quelques instant occultée. Ce rêve de chasse sera-t-il jamais un jour possible? Pour l'instant, ni l'un ni l'autre n'y crois ou n'ose vraiment y croire. Tout cela est trop lointain et la réalité de la guerre et des batailles à mener revient hanter le Banneret en face de moi. Bien trop vite. Moi aussi d'ailleurs, même si je ne suis pas un combattant, c'est pour la survie de mes oiseaux messagers que je me bat.

Il sort finalement une missive de sa poche et me la tend, en me demandant si je pourrais la faire parvenir à la demeure des Ventfroid, sans doute n'aura-t-il pas l'occasion de les revoir avant de repartir combattre les Trois savaient où.
Je regardais le fin papier, de taille et de légèreté parfaite pour le transport par oiseau. Je regarde à nouveau le sieur d'Auvray dans les yeux en hochant la tête.

Bien sûr. Des messagers partent et viennent assez régulièrement vers chez eux. J'enverrais cela dès que possible.

Il n'avait rien à craindre. J'avais un code d'honneur que m'avait transmis mon mentor. Jamais, O grand jamais, nous ne devions consulter ni dévoiler le contenu des messages que nous transmettons. Nous ne sommes que les messagers après tout, et ne pouvions intervenir sur aucune affaire en cours.

Nous étions lentement revenus vers les remparts, en passant encore par une ou deux volières contenant quelques corneilles et des rapaces nocturnes: une Chouette rayée et un Hibou des Marais.

Et bien voilà, j'espère que la visite vous a plu, et qui sait? Peut-être que j'aurais encore un peu plus de pensionnaires à vous présenter la prochaine fois.

Je souris, j'étais réellement désireux de le revoir à l'occasion. Nous étions fait pour nous entendre, cela est certain!

Chouette rayée:

Hibou des Marais:

L'idée de pouvoir retrouver un jour un semblant de paix et de quiétude avait le don d'apporter un peu de baume sur les cœurs et les esprits des survivants meurtris par la Fange, mais bien que cela puisse paraitre déraisonnable d'y songer de la sorte, Zephyr préférait se raccrocher à cette idée plutôt que de se laisser aller au désespoir ou, pire encore, au fanatisme comme certains illuminés que l'on entendait parfois sur la place publique, parlant de fin du monde et autres joyeusetés dont personne n'avait besoin. La missive pour Ventfroid passa de main en main, contenant l'assurance de la santé entièrement retrouvée du Banneret et son désir de servir convenablement ce Seigneur qu'il avait lui-même choisit. Nul doute que Ivan ferait ce qu'il faut et ne se montrerait point trop curieux et, quand bien même cette missive atterrirait entre d'autres mains, nul ne pourrait y déceler quoi que ce soit d'intrigant ou d'offensant pour quiconque : la prudence et la réserve étaient de mise par les temps qui étaient les leurs. D'un signe de tête cependant, le Noble reçu l'affirmation de son vis-à-vis et lui en fut visiblement reconnaissant.

- Soyez-en d'avance remercié, Maitre Fauconnier.

La marche repris son cours, leurs pas menant les deux hommes non loin des remparts par lesquelles le visiteur était arrivé. Là-haut le vent soufflait en rafles plus ou moins brèves, charriant l'air de l'océan d'un côté et les relents plus âcres des marais de l'autre, illustrant fort bien le tumulte et le combat qui se menaient pour la sauvegarde de l'Humanité. Avant de parvenir jusqu'à la sortie, l'on stoppa devant une dernière volière dans laquelle se trouvait deux forts beaux oiseaux que Zephyr prit le temps d'admirer un instant, ne pouvant déroger à ce plaisir des yeux qui était le sien. Est-ce que la visite lui avait plu ? Certainement et il songeait d'ailleurs que revenir ici sitôt que l'occasion se présenterait serait pour lui un vif plaisir, pensée qu'il garda cependant pour lui, se contentant d'acquiescer gravement comme à son habitude.

- Puisse les Trois vous entendre, nous avons besoin de ces créatures pour nous aider.

Le Banneret sourit brièvement, puis pivota vers Ivan, plissant ses yeux gris en le fixant avec cette même expression acérée que pouvait parfois avoir un oiseau de proie, avant que finalement il ne se radoucisse, chassant une pensée qui avait été sienne l'espace de quelques secondes, mais qui ne concernait point réellement l'homme qui lui faisait face.

- Si d'aventure vous aviez besoin d'aide ou de protection, n'hésitez point à venir en ma demeure à l'Esplanade. Vous ne trouverez jamais porte close, point même par ma sœur si vous lui donnez votre nom.

Le Noble sourit légèrement en coin, l'air mystérieux et songeant à de nouvelles choses qui se dessinaient à l'horizon de son esprit, anticipant et calculant ce que l'avenir pouvait réserver de meilleur et de pire, avant de tendre la main pour venir serrer celle de son vis-à-vis. Une poigne ferme, la peau chaude et sèche, mais point douce faute de manier chaque jour l'épée. Le regard, franc et direct, vint se river à celui du blond qu'il fixa intensément.

- Merci pour cette visite, Maitre Fauconnier. Nous nous reverrons bientôt j'en suis sûr.

Puis sans autre forme de cérémonie ou de convenance, Zephyr tourna les talons pour gravir les marches menant au sommet de cette tour abritant les messagers porteurs d'espoir de la Cité. Bien des choses se bousculaient dans son esprit, mais ses paroles seules suffisaient à en dire long sur l'avenir qui s'annonçait et pour lui, et pour Ivan : ils se reverront bien plus vite que ce qu'ils ne l'escomptaient.

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