Je m'étais levé dès les première lueur de l'aube, cette journée promettant d'être longue. Cela faisait près de quatre heures que je nettoyais et préparais l'auberge. Je voulais qu'elle soit particulière propre aujourd'hui, particulièrement rutilante. Je cirais tables et chaises, effaçant toute trace de poussière ou de quelque tâches de viande laissée là par les client les plus noctambules. Des cuisines s'échappait un doux fumet de viande rôtie et de ragout de légumes aux clous de girofles. Martha était aux cuisines pendant que je préparais la salle. Cette bonne Martha. Honnêtement, elle ne serait pas là, je ne saurais pas comment je tiendrais boutique. Elle avait ce savoir faire et cette détermination qui forçait le respect. Cette femme impressionnante avait tenu la taverne quand j'étais trop occupé à pleurer mon fils, et elle l'avait fait sans broncher, tout en s'occupant de ses enfants à elle. Jamais je ne pourrais lui exprimer toute l'entièreté de ma gratitude. Encore aujourd'hui, il lui arrivait parfois d'assumer seule la charge de l'établissement. Ce sera le cas demain. Demain est un jour particulier. Demain est un jour triste. Demain est l'anniversaire de mon fils. Il aurait eut douze ans si les flots ne l'avaient pas emporté.
Je saisi son petit cheval de bois posé sur l'étagère, et avec un chiffon et un peu de cire, je prenais soin de l'animal factice, doucement, comme si un simple chiffon aurait pu briser le bois qui le composait. Quel genre d'homme serais tu devenu, mon fils? A quoi aurais-tu ressemblé? Il ne se passe pas une journée sans que ces questions de viennent à l'esprit. Une chose est certaine, quoi que tu sois devenu, tu aurais été un jeune homme bon, et j'aurais été fier de toi. Sur ces pensées mélancoliques, je reposais délicatement la petite effigie sur l'étagère.
Je regardais l'auberge. L'établissement affichait une propreté qu'elle n'avait que rarement, et sentait bon la cire chauffée par l'air sec de juillet. Aujourd'hui promettait d'être une journée longue. Tous les habitués savaient quel jour serait demain, et une grande majorité d'entre eux viendrait aujourd'hui pour m'exprimer silencieusement leur soutiens, en fourrant leur nez dans une bière de piètre qualité, mais fraiche et bon marché. De ça, je leur en était reconnaissant. Ils savaient que Martha serait seule demain, et évitaient alors de venir ce jour. J'avais beaucoup de chance avec ma clientèle habituée. Ils étaient pauvres, sentaient mauvais et avaient souvent mauvais caractère, mais ils avaient un bon fond, et une richesse du cœur qui à mon sens, valait plus que toutes les montagnes d'or du monde. En fait, quelque part, ils étaient riches. Plus riches que certains nobliaux.
Je m'abimais dans ces divagations quand le clocher sonna onze heures, mais la taverne n'était pas prête, le planché n'était pas encore ciré, il était vraiment nécessaire que je m'active. Et une fois de plus, mes pensées m'envahirent alors que j'astiquais les lattes de parquet grinçantes. J'avais effectué cette tâche des centaines de fois, si bien qu'elle avait acquis le don de me détendre. Ce n'était pas bien glorieux, certes, mais j'y trouvais un semblant de paix intérieur en cette veille d'anniversaire. La voix tonitruante de Martha m'arracha toutefois à mes rêveries.
"AUREL! LE POISSON Y S'EST GÂTE! FAUT QUE J'Y AILLE AU PORT POUR EN RÉCUPÉRER DU FRAIS SINON BAH LES CLIENT VONT PÔ ÊTRE CONTENT TIENS!"
Des pas lourds se firent entendre sur le sol de pierre dur de la cuisine, suivi du claquement de la porte arrière, puis plus rien, simplement le son de la chiffonnette imbibée de cire que je trainais sur le sol auquel s'ajoutait les crépitement de la graisse du cochon de lait qui tombait dans l'âtre.
L'odeur venant des cuisines était alléchantes, et l'auberge nettoyée de fonds en comble. Le clocher sonna midi, et l'ouverture de l'établissement aux premiers clients.