Un tanneur dans la tourmente[PV Xandra & Otto]

Xandra passait des semaines de plus en plus étranges, voilà qu’on l’affectait de nouveau dans la milice intérieure, on l’avait même envoyé surveiller les remparts. Elle ne savait plus trop quoi en penser. Mais se retrouver là sous les ordres du coutilier Keran pour “enquêter” c’était le summum de la surprise...et de la chance. Keran c’était pas qu’un coutilier c’était surement le plus gentil de tous les grincheux gradés, en tout, la rousse l’adorait. Une rumeur était née, rumeur donc elle n’avait jamais pu trouver la source. Se disait qu’on l’évaluait, on voulait savoir ce qu’elle avait dans le ventre et ce qu’elle savait faire. A part crapahuter dans la boue et découper des fangeux ou des bannis.

Peu importait la raison réelle de sa présence à Mabrume, elle avait prit son poste à l’aube et comme les autres elle était arrivée trop tard, ce n’était plus un scène de différents mais une scène de crime. Trois hommes morts, deux jeune, un vieux. La seule certitudes qu’ils avaient pour le moment c’est que les deux jeunes s’étaient entretués, les lames concordaient, les coups portés, tout faisait de cette hypothèse la meilleure. Par contre la présence du vieux…

Xandra réfléchissait à tout ça alors qu’ils passaient les portes de la caserne. Si bien qu’elle s’aperçut un peu tard de la présence de Barral. Elle sourit, retrouvant un instant son expression rieuse mais privée, son marque sérieux reprenant sa place presque aussitôt sur ses traits.

- C’est toi Trell ? Bienvenue dans la galère mon petit. Nous tu vois notre journée ça fait un moment qu’elle a commencé, mal. On a la dalle. Alors tu nous suis gentiment et on t’explique ce que tu dois savoir devant la soupe. Allez, en route les gars.

La coutilerie et son invité d’honneur arrivèrent bientôt dans la grande salle ou d’autres miliciens, des têtes connus ou non, se hâtaient de terminer une bouffe infecte mais qui vous remplissait un homme. Entre deux bouchés, Keran expliquait à Barral ce qu’ils avaient vu, l’unique indice consistant qu’ils avaient, noyant sa moustache mal taillée de soupe qui laissait des gouttes ragoutante dans ses poils.

On avait deux jeunes, pas d’chez eux eux ça, des mercenaires peut être, des combattants sans doute possible et un vieux, un petit gars tout rabougris. Lui on l’avait tué d’un coup de hache dans le dos, les deux autres s’étaient tailladés à la lame courte. La seule piste qu’ils avaient de tangible c’était une peau, une cape en très bon état, surement récente abandonnée sur place. Avec un peu de bol, c’était pas à un mort mais à l’assassin du vieux, un témoins au pire, au mieux, bref, c’était un truc à se mettre sous la dent. La rousse elle avait trouvé la griffe sur la peau, ça venait d’chez le vieil Otto. Alors c’par là qu’on allait commencer. Lui rendre une petite visite de courtoisie.

Le tanneur essuya mécaniquement du revers de la main les gouttes de sueur qui commençaient à perler sur son large front. Après avoir écorché la dépouille de l’énorme quartenier et fait dégorger la peau, Otto s’apprêtait à attaquer la partie la plus délicate du travail : le décharnage. Il sortit la dépouille du bain d’eau et de chaux dans lequel il l’avait plongé deux semaines plus tôt et l’étendit sur son établi. Armé de son couteau à décharner, caractérisée par une lame courte mais large et un long manche, il commença par détacher les poils drus de la bête. Une fois cette étape, grandement facilitée par l’action du trempage, menée à terme, Otto retourna la peau d’un geste ample. Il fallait maintenant débarrasser le cuir de toutes traces de chair, graisses ou fibre qui pourriraient par la suite en veillant de ne pas trouer la peau. L’expérience qu’Otto avait accumulée aux fils des années guidait ses mains imposantes, mains qui maniaient la lame avec une habileté déconcertante. Il était comme un virtuose -l'odeur en plus- sur son instrument : toute sa sensibilité passait par ce dernier et chaque geste de l’artiste rapprochait la naissance du chef d’œuvre. Le tanneur était comme en transe ; si terriblement concentré que si son atelier s’était effondré, il ne l’aurait réalisé qu’une fois la poutre centrale en travers du front.

Deux bonnes heures plus tard, il s’arrivait enfin au bout de cette tâche éprouvante. Posant son couteau sur l’établi, le tanneur essuya une énième goutte de sueur avant de vérifier la qualité de son ouvrage. La pièce était magnifique: la bête avant été tuée d'un vilain coup sur le crâne, il avait obtenu la peau parfaitement intact et après le décharnage, pas une seule éraflure était à déplorer. Satisfait, il remplit une marmite d’eau et malgré le soleil qui brillait dehors, alluma un feu et plaça le récipient au dessus de celui-ci. Il s’agissait à présent de débarrasser la peau de tous les restes huileux, putrescibles, grâce à une lessive. Le vieux tanneur n’appréciait pas vraiment cette étape ; il ressemblait à une pauvre matrone qui s'acharnait sur son ligne sale... Habituellement facultative, les peaux de sangliers étaient malheureusement bien trop grasses pour y échapper.

Sentant la température de la pièce monter, le vieux tanneur alla se réfugier dans la partie boutique de son établissement. Un inventaire, ça n’avait jamais fais de mal à un commerce.

Elle n’avait guère participé à la conversation, ni rétorqué à la moindre plaisanterie. Ce qui s’était produit chez le forgeron était encore trop récent, trop douloureux, la rouquine savait qu’il lui faudrait quelques jours, quelques semaines même pour tirer un trait sur cette histoire. A nouveau la faiblesse, à nouveau cette sensation d’insécurité au sein même de la cité mais une sorte de résignation aussi, peut être même d’un poil de détermination. Xandra s’endurcissait, lentement, sans s’en rendre encore compte, pour le moment.

- L'vieux tanneur c'est pas un commode il parait…

- Ouais il est pas blanc comme neige notre gaillard, c’est ce qui se dit depuis toujours. Même chez les anciens, ceux qui sont encore là pour nous rabattre les oreilles. Ca m’est égal, tant qu’il nous dit ce qu’il sait, j'espère pour lui qu’il sera un peu bavard. T’en fais pas petit, je me ferais un plaisir de lui délier la langue qu’il soit d’humeur ou non, tout ça dans la plus grand discrection.

Une fois les informations données, le reste du repas c’était passé dans le calme, le silence parfois, à la table de la coutilerie de Keran. On savait, on devinait. La rousse elle était pas comme d’habitude et y avait cette marque profonde sur son visage, c’était pas au travail qu’elle se l’était faite celle là. Ca faisait un petit paquet de mois maintenant qu’on bossait avec, on s’y était un peu attaché même si on l’avouerai jamais et c’était frustrant d’avoir personne à punir pour l’avoir rendu encore plus fermé que d’habitude la gamine.

- A toi l’honneur !

La rousse regarda Gontrant, haussa un sourcil avant de répondre, alors qu’ils allaient quitter la caserne, planté là devant les grandes portes.

- Depuis quand tu pratiques la galanterie ?

‘Tain pour une fois que je suis agréable avec toi faut que tu la ramènes, va chier Erkal !

- Voilà, je préfère.

Il avait sourit, Keran aussi, mais ils l’avaient bien caché. Le message était clair, c’pas parce qu’elle était pas sans assiette avec une balafre sur le visage qu’il fallait la traiter différemment. Finalement ça avait rassuré tout le monde sa réaction. D’ailleurs, ça se sentait, il y avait un peu moins de tension dans l’air.

La coutilerie au complet et son invité de marque avançaient d’un pas, la rousse tenant la cape entre ses mains, se demandant ou cette saloperie avait trainé. Ramassé des hommes, enquêter dans des coins pas très reluisant, personne n’aimait. Au delà du risque direct y avait toujours celui d’attraper une maladie quelconque et d’y passer bêtement. La jeune femme se consolait devant l’apparence de la peau toutefois. Elle était entretenu, neuve, ils en auraient mis leurs mains à couper.

Instinctivement son pas s’était calqué sur celui du borgne et c’est côte à côte qu’il entrèrent dans la boutique à la suite de leurs supérieurs. Comme en terrain conquis le chef s’approcha du comptoir, y écraser son poing. Une fois, deux fois, avant de tendre la main vers Xandra pour récupérer la peau et la poser sur le bois.

- Ca viens bien de chez toi ça, Otto.

Il se pencha, fixant l’homme dans les yeux.

- Ne me fais pas perdre mon temps.

- A qui l’as- tu vendu ? Tu t’en souviens s’il te plait ?

S’il fallait tutoyer, alors tutoyons. Il était pas très à l’aise en ville Keran, c’était pas son élément. Il aboyait trop vite et on sait tous qu’un chien qui aboie ça fait japper le quartier.