Double Drame [Pw: Ardea la Sulfureuse]

La pluie tombante ruisselait sur le cuir de ses vêtements. La nuit. Tous et toutes s'étaient d'ores et déjà réfugiés à l'abri de leurs foyers. Au chaud, le feu crépitant et apaisant les âmes les plus mornes. L'automne avait plongé la contrée dans une profonde tristesse. Les arbres au feuillage tantôt orange, tantôt rouge, perdaient lentement leurs feuilles sous un vent sifflant et glacé. Marchant dans des sentiers de terre devenant boueux, Ardea s'approchait lentement d'un dernier halo de lumière qu'elle pouvait apercevoir au loin. Titubant, la bouteille presque vide à la main, elle retenait de multiples hoquets, signe qu'elle s'était déjà bien imprégnée du breuvage. La vue troublée, non seulement par les effets de l'alcool, mais aussi par ceux de l'eau déferlante, elle s'approchait d'une bâtisse où maintes personnes semblaient festoyer. Cela devait faire un mois, peut-être deux, qu'elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. Parfois était-elle lucide, uniquement le temps de travailler pour gagner son pain, pour gagner sa boisson. Le reste du temps buvait-elle et empestait-elle l'odeur d'une jeune femme négligée. On la trouvait souvent au petit matin, allongée dans les pailles d'une grange, la chassait-on comme un chien errant alors que les premiers rayons du jour lui brûlaient momentanément les rétines. Vermine, ordure, son bannissement l'avait en ces points changé.

Par les temps qui courraient, il était dur de se faire engager. Les pauvres gens n'avaient de quoi se payer une ration de nourriture, les nobles, eux, ne croyaient en elle à cause de sa situation, avaient-ils sans doute raison. Les nuages s'illuminèrent d'un flash soudain. Le tonnerre retentit non loin de là. Faisant tomber le contenant qu'elle tenait encore dans la main sans s'en rendre compte, elle pénétra enfin la cour de ce qu'il lui semblait être une auberge. Comment aurait-elle pu, si faible fut-elle, distinguer ce dont il s'agissait alors que ses lèvres tremblantes ne s'étaient encore remises du goulot. Ce fut seulement lorsqu'elle se heurta à un gaillard à l'entrée sans daigner lever la tête de sous son capuchon, qu'elle aperçut l'intérieur des lieux. Sa présence n'avait rien d'une bonne augure, la musique encombrant les rues ne parviendrait pas à égayer quiconque la verrait... Aussi dépravée fut-elle en ces instants, elle ne perdait rien de sa nature, sa fierté, elle, était au-dessus de ce qu'elle aurait dû être. Alors qu'Ardea s'apprêtait à franchir le seuil, une main masculine la saisit par l'épaule. On ne voulait pas d'elle ici, mais en avait-on réellement le choix ? Avant même que l'homme eu le temps de la tirer vers l'extérieur, avait-il déjà le couteau sous la gorge. Menaçante malgré son visage baissé, mieux valait-il qu'il la laisse entrer.

Une silhouette encapuchonnée se dirigeait vers lui. Au vu de sa démarche hésitante et chancelante, Fen comprit bien vite que la personne sous ces oripeaux était bien éméchée.
La réputation de son établissement n'était pas très reluisante et il ne voulait pas de dégénérés entre ses murs. Le bruit de ses pas lourd sur les pavés détrempés lui scia les nerfs. Il n'aimait pas les étrangers et encore moi les ivrognes.
La silhouette ne leva même pas la tête lorsque qu'elle percuta le tenancier de plein fouet. L'impact n'était pas violent mais il aurait fait réagir une personne normale, même bien imbibée.
Ce ne fût pas le cas et il décida là la pousser vers l'extérieur.
A peine avait-il eu contact qu'un éclat lumineux se fit voir dans cette nuit d'encre.
Il eut cependant un réflexe miraculeux.

Un couteau au fil bien plus tranchant que ceux des cuisines lui pressait la gorge, juste au niveau de la carotide. Son bras avait bougé tout seul et avait réussi à saisir le poignet de l'agresseur.
Enfin, de son opposante.
A moins que la personne en face de lui ne soit un adolescent rachitique, le poignet était bien trop fin pour celui d'un homme.
Tenant fermement sa prise, Fenrir entreprit de repousser la capuche qui cachait les traits de son "interlocutrice".
Il fit bien attention à ne pas faire de mouvements trop brusque. Au vu de la rapidité de celle-ci en état d’ébriété il préférait ce montré prudent.
Un éclair frappa non loin d'eux, permettant ainsi au jeune homme de distinguer les traits de la jeune femme.

Un nez droit et en trompette, des lèvres rouges et pulpeuses, un regard noisette et intense.
Si Fen n'avait pas été aussi insensible à la condition féminine, il aurait pu y succombé. Il faut dire que la pellicule de poussière et les sillons que l'eau creusait sur son visage ne la mettaient pas tellement en valeurs. L'aspect de ses cheveux non plus à vrai dire, assez long ils devaient avoir des reflets cuivrés lorsqu'ils étaient propres.
Loin d'être le cas à ce moment précis.

Sans prévenir et sans savoir pourquoi, le jeune homme remit la capuche sur la tête de la jeune femme et la tira à l'intérieur. Faisant bien attention à ce qu'aucun client ne le voit faire.
Ils étaient tous trop éméchés ou occupés pour remarquer quoi que ce soit. Un homme qui plus est.

Sans dire un mot, il tenta de faire gravir les marches de l'étage à cet invité indésirables.
Sa rapidité l'avait fortement impressionné ...
Peut-être pourrait-il y trouver quelques avantages un jour ou l'autre.

Nausée. Ce fut la première chose dont elle fut prise après s'être fait démasquer. L'estomac noué, menaçant de rejeter tout liquide contenu, la fit rapidement oublier qu'elle venait d'agresser cet homme. L'esprit dans le brouillard le plus opaque, elle redescendit bras tenant sa dague pour se tenir le ventre. Baissant la tête, elle rassemblait ses dernières forces pour ne pas répandre sa bile sur le sol des lieux et notamment les bottes de la personne qui ne semblait pas décidée à lâcher son autre poignet... À peine pensa t-elle que son envie de régurgiter était passée, que l'homme en face d'elle l'entraîna derrière lui. Sobre, jamais il n'aurait eu l'occasion de la malmener ainsi, encore moins de la toucher ou bien encore de lui enlever ainsi son capuchon. Le suivant sans même en connaître la raison, plus par obligation que par envie, tout en tentant de ne pas trébucher en se prenant dans ses propres jambes, il lui fit emprunter des escaliers au fond de la salle. Les clients bien trop occupés ne semblèrent guère même, avoir remarqué sa présence, trop ivres de jouer avec des femmes aux allures faciles et certainement payées une misère pour leur métier.

Tirant enfin sur son propre poignet pour se défaire de la prise de l'individu, marche après marche et secouée par les vibrations procurées par ses mouvements, la peau déjà pâle d'Ardea ne fit que perdre encore de ses couleurs. Arrivés tout deux dans la première pièce à la fin de la montée, Ardea ne put se retenir davantage et laissa le pauvre contenu de son estomac remonter à ses lèvres, puis bientôt en se pliant, se déverser au sol. Guère désolée et à vrai dire incapable de réfléchir, elle attendit que les contractions de son ventre endolori cessent enfin pour tenter de se redresser. Tirant d'un coup sec pour se libérer de la main du jeune homme, elle faillit à force de reculons tomber en arrière dans les escaliers. La tête lui tournant et l'odeur plus qu'écœurante du liquide jonchant le sol, la pauvre ivrogne finit par perdre conscience.

HRP :

Où se trouvait-elle ? Cela aurait sans aucun doute été la première question qu'elle se serait posée si son esprit ne lui avait pas fait faux bond. Se faisant baigner telle une poupée, la peau à nue, elle se mit à émettre des gémissements plaintifs. Tournant la tête à droite, puis à gauche pour éviter les mains de la jeune fille souhaitant la débarbouiller, elle semblait sommeiller en plein cauchemar. Les membres détendus, aucune forces ne semblant lui parvenir à nouveau, Ardea luttait pour retrouver sa lucidité. Les minutes passèrent ainsi, l'une après l'autre sans que l'assassin ne donne plus signe de résistance. Somnolant ou endormie, elle se laissait bercer par la chaleur de l'eau à présent sale dans laquelle on l'avait plongée. Alors qu'on lui en versait sur les cheveux pour en dissoudre la crasse, quelques nouvelles goûtes vinrent glisser sur son front et tomber sur ses paupières toujours closes. Se raidissant quelque peu, elle parvint enfin lentement à s'éveiller et après quelques essais non concluant à rouvrir les yeux. Voyant trouble, la jeune bonne eut le temps de terminer sa toilette avant qu'Ardea parviennent enfin à discerner de meilleure façon le lieu dans lequel elle se trouvait.

Serrant les dents et reprenant le contrôle de son propre corps en un râle presque bestial, elle appuya ses mains sur le contour du baquet au fond du quel elle était assise. La tête lui tournant à nouveau lorsqu'elle se leva, elle balaya lentement d'un geste du bras le tissu que la jeune fille ayant pris soin de la nettoyer lui tendit. Prenant la parole d'une voix devenue roque à cause de la boisson, elle interrogea la bonne « Où est-ce que je suis ? », après un nouveau tournis « Où est-ce qu'on m'a emmenée ? ». Ses souvenirs troublés ne lui permirent point de se remémorer les dernières heures, celles même passées bien avant au dehors. Sortant du baquet avec l'aide de la commise dont la force n'était que frêle, elle releva la tête face à l'homme qui était à l'origine de sa nudité présente. Loin de connaître quelque notion de pudeur que ce soit, Ardea se tint la tête d'une main comme pour la soutenir et en limiter la douleur. Enfin et malgré l'air strict de l'homme, elle s'adressa à lui sans gêne « Eh toi. T'es qui bordel ? Et dis moi où je suis, merde. ». Bien qu'en temps normal un simple merci aurait pu suffire, l'état sauvage et le manque d'éducation de la gueuse vinrent le remplacer.

Lorsque la jeune femme se leva soudainement, Fenrir était à bout de patience. Comment pouvait-on se mettre dans des états pareils ? Lui avait besoin de contrôler chaque muscle de son corps afin de se sentir en sécurité et pleine en forme. S’étourdir à coup d’alcool ne lui avait jamais paru une bonne idée. Il avait cependant essayé une fois dans son adolescence, à l’insu du patron de l’époque. Peine perdue puisqu’il ‘avait pas été capable de se lever le matin et qu’il avait pris une sacré rouste, la seule que le vieux tenancier ne lui ai jamais donnée.
Alors qu’elle tanguait dans le baquet, un peu comme un de ces oiseaux orientaux se tenant sur une patte … Cela ne lui rendait vraiment pas justice. La jeune femme refusa alors la serviette que lui tendait Clervie, qui fût quelque peu vexée par ce geste. Elle préféra ignorer les questions de leur invitée et parti se tapir aux côtés de son patron. Celui-ci lui posa affectueusement la main sur la tête. Chose qu’il faisait rarement mais qu’elle aimait tout particulièrement.
Le ton quelle employa pour s’dresser a lui l’exaspéra au plus haut point. Les bases même de son éducation étaient inexistante … Avait-il vraiment envie d’aider une créature pareille ? Malgré sa capacité tout était à refaire au niveau social en tout cas … Sachant que lui-même n’était pas vraiment adapté …
Un air de pure réprobation se peignit sur le visage de Fenrir, son regard se durcit et devint aussi tranchant que de l’acier. Ses muscles s’étaient contractés sous l’offense et sa posture s’était raidie. Il se racla la gorge et prit la parole.
« Vous êtes chez moi. Et vous venez surement d’échapper à une embuscade grâce à cela. »

Sans en rajouter plus, il prit la direction de la porte et indiqua a la jeune femme de sortir tout en lui tendant une serviette. Son bureau était juste en face mais ils devraient faire un tour dans la pièce ou les filles entreposaient leurs habits afin de la vêtir à peu près convenablement. Il pourrait ensuite discuter avec elle d’affaires sérieuses. D’un signe de tête il fit comprendre à Clervie d’aller chercher quelque chose à se mettre sous la dent.

Peut-être allait-elle lui expliquer d’où venait cette morsure … Ou pas.