Distribution de père gratuit (titre en construction)

Les Laudes n’avaient pas encore sonnées quand il entrait dans la ville.
Une nuit de nuages relâchait peu à peu son emprise dans un crépuscule qui deviendrait l’aube grise caractéristique à l’automne marbrumeux. Et lui, Anton Gunof, ancien centenier des milices ducales, entrait dans la ville comme un fieffé voleur. Il avait emprunté une petite porte de la muraille ouest en baissant bien la tête devant les gardes, des pisselaits encore vert, à peine bons à tenir leur hallebarde correct et pas foutus de reconnaître l’ancienne étoile montante de la milice interne. Les gus n’avaient même pas insisté en voyant ce loustic en armure lourde et à la gueule patibulaire vouloir accéder à la Cité. C’était potron minet après tout, et ils étaient jeunes, et ils venaient visiblement de prendre leur quart.

Malgré la fatigue et la stupidité des recrues, ça sentait quand même le relâchement dans les rangs. Le couvre-feu avait été levé depuis seulement quelques jours, et une atmosphère d’apaisement bien méritée devait engourdir le Guet qui dut, pendant cette période de loi martiale, mettre les bouchées doubles pour assurer les patrouilles de nuit.

Tant mieux, Anton n’avait pas besoin d’une garde sur ses gardes. En dépassant les murs pour frayer entre les venelles du Labourg, il sentait déjà qu’il n’était plus vraiment chez lui. Envoyé sur le plateau du Labret pour y aller se faire foutre, l’ancien milicien n’était pas en odeur de sainteté à Marbrume. Pas vraiment exilé, la hiérarchie lui avait fait comprendre qu’un coup d’éclat de sa part entre les murs de la ville amèneraient des châtiments plus drastiques. Or Gunof ne rêvait pas de mourir l’épée à la main dans un trou paumé des marais, entouré par une horde de goules et une bande de métèques.

D’où la cape et la capuche. D’où son entrée subreptice par une poterne mal contrôlée, d’où ces regards qu’il jetait à droite à gauche, comme un fieffé voleur, alors qu’il allait toujours plus avant dans un Labourg encore endormi et pénombreux. Passé quelques ruelles, il s’appuya contre un mur et attendit.

Les Laudes enfin sonnèrent, et dans la tour qui surplombait le pâté de maison, la rumeur des gardes qui se réveillaient pour laisser placer à la relève se faisait entendre sourdement. Là, dans le vacarme des cloches et pour profiter de l’inattention du Guet, il trotta jusqu’à une porte où grinçait au-dessus l’enseigne symbolisant le pilon et le mortier des apothicaires. L’aube se levait pour de bon, les cloches bientôt se tairaient. La lumière et le silence prendrait, pour quelques minutes, la place de l’ombre et du bruit. Anton, pressé par le temps, tambourina contre la lourde porte de l’officine afin que, si son boutiquier était endormi, il se réveilla du mauvais pied ou que, s’il était déjà réveillé, qu’il se grouille d’ouvrir cette putain de porte.

Même sil y était obligée, Danaë était plutôt du matin. C'était chaque matin la même chose, après s'être levée et avoir maigrement déjeuner avec toutes personnes partageant la boutique, il fallait s'habiller sortir les plantes, les mettre sur l’étagère, préparer les récipients, poser les deux couteaux à leur position sous le comptoir pour éviter les problèmes et puis, enfin, ouvrir la boutique. Mais, elle ne laisserait jamais de l'odeur qu'avais sa boutique. Le parfum cumulé des plantes était pour elle le meilleur des parfums.

Ce jour-là, alors que Danaë allait ouvrir la porte, elle entendit tambouriner, par réflexe, elle prit son arme et la mit dans son dos puis ouvrit avant de se reculer et de se placer derrière son comptoir.

"Bienvenu au trèfle à deux feuilles!! Que puis-je faire pour vous monsieur?" dit-elle d'une voix enjouée, comme à son habitude.

Un bruit de pas puis le son des clefs, et la porte s’ouvrait, laissant place à une silhouette armée d’une énorme paire de seins. Anton, qui jetait le regard dans la rue et vers la tour du Guet pendant tout le temps que ça cliquetait dans le verrou, ne reporta ses yeux qu’au dernier moment, quand le huis grinça et bâilla en grand pour de bon. D’où la surprise d’être accueilli par ces loches proéminentes. La poitrine mise en valeur par un corset de cuir qui appuyait encore un peu l’énormité du bonnet en affinant la taille de l’hôtesse qui ouvrait happa littéralement l’attention d’un Gunof qui n’avait mis en perce aucune femme depuis un bout. Les colliers qui adornaient la peau de la jolie, dont certains pendentifs disparaissaient au creux de sa gorge, finissaient de rendre relativement bandant le spectacle de cette généreuse poitrine de vingtenaire.

L’Anton pris de court finit par redresser les yeux quand l’hôtesse, avec l’intonation d’une accorte serveuse vous accueillant dans son auberge, lui souhaita la bienvenue. Un joli visage, mais qu’Anton, encore aveuglé par la vision du balcon, remarqua moins, présenta une jeune rouquine souriante. Et comme la jolie fille souriait, automatiquement le soudard sourit à son tour, même si c’était moins agréable aux yeux du tiers. Mais à peine put-il la dévisager un court instant qu’elle faisait déjà retraite jusqu’à son comptoir, laissant l’opportunité au Gunof de reluquer son derrière chaloupant et d’ainsi terminer l’examen de ce corps ferme. Il fit quelques pas lents vers la comptoir, autant pour s’approcher de la créature que de jeter un coup d’œil sur une autre chose que sa chair. Des sacs de jutes émanait des odeurs capiteuses d’herbes sèches ou séchant, et sur les murs, divers tonnelets et bouteilles semblaient contenir différentes essences chères aux herboristes. Il retrouvait la senteur et les dispositions des officines qu’il avait déjà côtoyé, pour son bonheur ou son malheur. C’était juste plus pauvre.

« Le bonjour, Schätzchen. Tu pourrais faire beaucoup pour monsieur, crois-moi, » ricana-t-il avant d’être traversé par une question. Qui donc était cette gaupe ? Car diplomatiquement, il y avait une grande différence entre expliquer à une fille de rien comment il la lécherait de bout en bout avant de la monter la nuit durant pour une coquette bourse et expliquer cette même chose à la fille du gérant. « Mais dis donc à monsieur, tu travailles pour père Kervan ? T'es le réconfort de ses vieux jours ? Sa fille ?...»

Danaë arqua un sourcil. Elle savait qu'elle avait un physique plutôt avantageux et étais la première à l'utiliser quand elle en avait besoin. Cependant, elle était souvent rabaissée au rang de prostituée inculte ce qui faisait que beaucoup de gens doutaient de ses capacités en tant qu'apothicaire. Elle tolérait qu'on la reluque du moment que ce n'était pas trop flagrant et que la personne se contentait de regarder sans toucher.

Plusieurs personnes lui avait déja proposé de vendre son corps contre des sommes rondelettes mais elle avait toujour refusée. Elle était une femme de science et non pas une vulgaire pute.

"Oui, je suis sa fille mais cette boutique est désormais à moi. Mon père est trop fatigué pour s'en occuper. Pourquoi cette question? Vous connaissez mon père?"

Elle ne semblait pas plus étonnée que ça, son père avait de nombreuses connaissances qu'elle ne connaissait pas.

S’il n’avait pas la correction qu’il avait, Anton serait en train de se mordre le poing de toutes ses forces en tapant du pied frénétiquement sur le plancher de l’officine. Mais l’une des forces de Gunof, c’était son côté parfait gentilhomme, ou peu s’en fallait. Ce petit diamant de femme – i.e. ses deux joyaux premièrement – l’empêchait d’être tout à fait concentré sur ce qu’elle disait. Il essayait bien de garder ses petits yeux sur le visage de la rouquine, mais ses pupilles étaient comme soumises à une nouvelle loi de gravité, et la force d’attraction des deux sphères de la gourgandine exerçait sans pitié son influence. Si bien que, comme un homme en mal de sommeil, le regard d’Anton tombait lentement, embrassant le cou clair de l’apothicaire, se plissant peu à peu comme pour se couler entre les deux seins bombés de la vingtenaire, et tout à coup les yeux se redressaient, comme s’ils se libéraient brutalement du charme qui finissait par les réhypnotiser inlassablement.

La flagrance que désapprouvait la jolie commençait à être franchement trop flagrante, même du point de vue de l’ancien reître. Aussi, bien concentré sur le regard de Danaë, il essaya d’arrondir les angles.

« Faut pardonner au monsieur, j’ai fait une grosse route, je suis bien fourbu. » Ceci dit, il enchaîna rapidement sur les histoires de famille pour essayer de penser à autre chose qu’à ce petit bout de femme à portée de ses bras. « T’es la fille Kervan, hé ? Ah bah, les parents doivent être fiers, ils t’ont pas loupé, aïe aïe. Ouais, je le connais ton père, ‘chic type. » Il essaya de se remettre la tête du ladre en tête mais constata que son imagination était bridée par la fille qui lui faisait face. « J’ignorais qu’il avait des soucis de forme. Y’a de l’ironie là-dedans, d’ailleurs. Les cordonniers sont les plus mal chaussés, et puis les soigneurs sont les plus mal soignés, ahah. » Le trait d’esprit était pauvre et la réaction de la fille guère meilleur. « Herm. Enfin, y va bien quand même ? Il est pas encore dans le sale âge, le père Kervan, alors c’est qu’il a une chose maligne. Il a… il a été mordu ? Parce que je connais un Arcadien, un ‘prêtre’, qui pourrait le débarrasser du maléfice qu’il a en lui, si c’est le cas. »

Ceci dit, il sortit une liste d'ingrédients, de simples et autres thériaques, qu'il disait être de maître Heudebert, le maître herboriste d'Usson, qui avait un grand besoin de toutes ces choses.

Danaë fut noyée sous le fort ininterrompu de question et essayait de répondre tant bien que mal.

"A ce qu'il parait, je ressemble beaucoup à ma mère... Concernant mon père, non, il n'est pas malade. Il se fait juste vieux, il va bientôt avoir soixante ans quand même et il a beaucoup marché et travaillé. Et puis, il y neufs ans, il a perdu un œil dans une bagarre et ça aide à rester en forme ce genre de chose."

Tout en parlant, elle prit la liste et se mit à la lire.

"Huuum... j'ai en réserve la moitié de ce que vous avez mais je vais devoir commander le reste. Vous avez de quoi payer?"

Elle se doutait que la personne en face de lui avait l'argent mais elle préférait demander. On est jamais trop prudent dans ce monde.

"Vu la quantité de chose que vous me demandez je vous ferais cadeau des frais de commande."

Elle est jolie mais elle a pas inventé l’eau chaude, pensa l’Anton en la regardant essayer, avec violence, d’assimiler et de préparer une réponse aux deux questions qu’il lui avait posé. Quand elle réussit à remonter à la surface et ouvrit la bouche, il plissa un peu les yeux, sceptique à propos de ce qui allait en sortir.

« Ouais, ouais, herboriste ça doit être un travail pénible, » ricana le soudard quand elle lui expliqua que son père devait souffrir de ces dures années passées au chaud derrière son comptoir. Non mais je vous jure, sept jours dans une léproserie leur ferait pas de mal à ces geigneuses ! Il n’en finissait pas de rire sous cape qu’elle lui demanda s’il avait de quoi honorer son achat, monétairement parlant.

« Nan, je comptais sur votre bon cœur et vous payer en sourires, » s’esclaffa derechef, et plus ouvertement à présent, Gunof, qui s’était visiblement fait, en quelques phrases de conversation, un avis sur la personne qu’il avait en face. « Mets-y moi ce qu’il y a, note-le-z-y sur la liste et ça fera bien mon affaire… » Quelque chose interrompit ses ordres. Savait-elle seulement écrire ou compter, celle-là ? « Non, on va faire plus simple en fait. » Il lui reprit la liste des mains et sortit un bout de charbon de sa poche. « Le monsieur va dicter les ingrédients qu’il y a écrit là et elle va les ramener au fur et à mesure, hum ? »

Et le monsieur dicta, et l’herboriste ramena, et tout fut pour le mieux. Une fois les quelques matériaux disponibles à sa disposition, et lorsqu’il eut noté les quantités, Anton paya la commise et ficha le camp de cette boutique.