Marbrume


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 Toi qui voulait voyager, te voilà éparpillé.

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MalachiteMiséreux
Malachite



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MessageSujet: Toi qui voulait voyager, te voilà éparpillé.   Toi qui voulait voyager, te voilà éparpillé. EmptyLun 18 Sep 2017 - 21:31
Ça fait à peine une demi heure que je traîne Renaud dans les marais, mais il commence déjà à être méfiant. Les bruits de la forêt et le soleil qui se couche le rendent nerveux. J'essaye de le rassurer en disant qu'on est presque arrivé et que ça vaut vraiment vraiment le coup.

Ça faisait deux semaines que j'avais pris ma décision et que j'attendais une opportunité. Et elle m'est tombée tout cuit dans le bec tout à l'heure. Messire a bousillé ses jolies bottes dans la forêt et pas moyen de mettre la main sur une nouvelle paire. C'est pas de bol. Elle était globalement mal préparée cette expédition. Rien n'éduque les gens à tenir un fort perdu dans les marais à trente personnes, dont quinze domestiques et autres inutiles. Y a un cuisiner putain ! On a épuisé les stocks en trois jours mais il est toujours là, à tourner en rond et à nettoyer des trucs déjà propres. Les nobles partent dans des « expéditions de chasse » qui ressemblent beaucoup à du vol de bétail. En une semaine au régime sec ils ont déjà basculé dans le vol et le blasphème. Comment le blasphème ? Alors je suis peut être pas d'ici mais on me la fait pas : ils ont un interdit alimentaire sur le cerf. Et oui certes les nobles nous ont rapporté de la soit disant biche l'autre jour, qui était décapitée « pour faire moins lourd » mais qui avait des bijoux de famille quand même. Personne n'a rien dit mais faut pas me prendre pour un con. Mais de toute façon je m'en fous, si c'était leur seul crime...

Je les ai accompagné à cause de Lucain et parce que la paye était très bonne. Jamais on m'a promis autant d'argent pour faire quelque chose. Avant de partir de Marbrume j'ai refilé tout ce que j'avais à Anne, et j'attends que tout ce petit monde se lasse et rentre en ville pour lui donner l'autre moitié de la paye. Mais ce petit extra d'accompagner Renaud chercher des bottes neuves, je l'ai improvisé en chemin. C'est pour le plaisir.

On arrive à la cabane. J'ai dit à l'ami de Lucain qu'un cordonnier vivait là et que c'était plein de bottes. Il m'a cru. Il est con. Pourquoi un mec qui vend des trucs viendrait s'enterrer là ? C'est une cabane de bûcheron comme les autres. Le noble a pas réfléchi. Faut dire que ça fait trois jours maintenant qu'il est en galère, ses pieds sont très abîmés. Il aurait pu réquisitionner les miennes mais elles sont beaucoup trop petites. Les domestiques ont des petites chaussures toutes légères et ses  collègues combattants se sont pas laissé dépouiller comme ça. Alors il a enroulé des bandes de cuir autour de ses pieds, tel un vagabond qui aurait dépouillé une tannerie. Et du coup les bandes de cuir peuvent plus servir pour les petites réparations du fort, et du coup c'est la merde. Tu vois comme il est con ? Bref.
En toute simplicité, je l'ai poussé à l'intérieur et j'ai bloqué la porte derrière lui. Y a au moins trois Fangeux là dedans, du moins ils étaient là à ma dernière visite, y a un mois. Ils vont être contents de manger. Je m'appuie sur la porte, et j'entends à travers le bois le noble qui comprend lentement ce que je suis en train de faire, et quelque chose qui remue. Qui remue de plus en plus vite. Un seul Fangeux, mais qui est en forme parce qu'il a probablement mangé les deux autres. Les maisons piégées avec des monstres à l'intérieur y en a plein les marais, on se fait avoir une fois mais jamais deux.

C'est une agonie atroce, mais brève. C'est pas aussi difficile que je l'aurais cru. Quand j'ai pris la décision de le tuer, y a deux semaines, j'appréhendais beaucoup. J'ai déjà tué des gens, mais toujours dans des circonstances où je me sentais acculé. La méthodologie de la chose m'a beaucoup pris la tête. Mais en fait une fois la décision du meurtre prise, j'ai plus jamais eu aucune hésitation sur la justesse de l'acte. Je me suis surtout demandé comment ne pas me faire prendre. On parle de gens armés, qui aiment se battre pour rire et qui sont nombreux.
Et voilà que j'ai croisé ce con en revenant d'une pause pipi, tout seul, et je lui ai raconté ce mytho des bottes. Je bafouillais et j'avais la bouche sèche, mais il a pas tiqué. Je crois qu'il se souvient pas de moi. Ni les autres. Ils étaient tous bourrés à la soirée où on était avec Lucain, ils ont re-bu à peine réveillé et ils ont continué à faire la fête longtemps après je sois parti lécher mes plaies. Ou alors ils s'en foutent. Mais depuis qu'on est parti, ils me traitent exactement comme les autres figurants du coin. Pose ça là, va chercher ça, rapporte ça ici, trouve une solution pour ça. Il faut dire qu'ils ont d'autres soucis les pauvres. Déjà, y a pas d'arbre à alcool dans les marais. On est claquemurés avec des connards qui puent les pieds toute la journée. Et c'est tellement laborieux d'avoir de l'eau chaude qu'ils se lavent plus. Bref, ils m'ont plus jamais causé de problème.
Et ça m'a rendu fou.

Quelle bande de connards ! C'est comme les miliciens, ça leur arrive tellement souvent de chier à la gueule des gens qu'ils s'en foutent. Ils rigolent entre eux sur des trucs cinq minutes après. Je les ai vu. Au moins la cruauté ça serait une forme d'attention. Mais rien. Je suis un putain de meuble. Je les croise toute la journée, j'ai voyagé avec, et ils s'inquiètent pas que je puisse répéter des trucs ou me venger. Du coup, je pouvais pas rien faire. Ça m'a vraiment rendu fou de juste faire ce qu'on me dit et rentrer dans mes marais, en mode tout va bien on te garde au frais pour la prochaine fois.

Donc voilà j'ai tué Renaud et je retourne au camp. J'en ai d'autres sur ma liste et maintenant j'ai peur qu'ils rentrent tous avant que j'ai fini. Il va falloir être un peu plus actif dans mes ambitions. Je crois pas avoir déjà autant voulu quelque chose.

Je rentre dans le fort par le mur couvert de lierre au nord. Un lierre titanesque. En un an cet avant poste a beaucoup fusionné avec la nature. Les villages fantômes commencent aussi a avoir un décor délirant, avec des arbres qui poussent dans les maisons et tout. Grimper ce lierre c'est facile. Les troncs font la largeur de mon avant-bras. Et comme ça je suis à l'intérieur sans avoir croisé de mec à l'entrée, et personne sait que je suis dehors depuis une heure. Je file dans la chambre de Lucain pour fabriquer de l'alibi.

Je commence à faire mon occupation de merde de quand je me fais chier : gratter le lichen sur les murs au couteau. Ca défoule. J'ai déjà fait deux mètres depuis qu'on est là. J'évite tous les autres gars dans le fort comme la peste et je fais semblant de pas parler la langue, pour être vraiment sûr qu'on communique seulement par Lucain interposé. Ils sont en train de transbahuter des tonneaux d'un liquide noir qui pue très fort, une puanteur très spéciale qui pique le nez, ils ont toujours pas fini à cette heure. Je m'en fiche. Moi je suis allé pêcher et j'ai fait la sieste devant mes lignes tout l'après midi c'était super. Bref.
Lucain rentre alors que je suis en train de foutre de la sciure de lichen partout sur son lit et m'engueule parce que j'ai pas le machin en métal. La chemise de maille. Ce truc là.

Mais je sue en dessous, ça appuie sur mes bleus et ça fait plein de bruits quand je marche !

Tu vas pas t'habituer si tu la mets jamais.

L'équipement fourni pour le boulot est plutôt luxueux et cool, sauf pour cette partie là. La cote de maille qui pue. Sinon j'ai eu plein de trucs en cuir, en fourrure, en laine solide. Seul détail : c'est parfois tellement luxueux et cool que je sais pas comment ça se met. Ça me rappelle la première fois que j'ai enlevé la selle et le filet du cheval de Lucain. J'ai défait toutes les sangles. Toutes. Il y avait plein de petites bandes de cuir par terre et je sentais que j'avais fait une connerie. Bah là c'est pareil. Y a plein de morceaux et j'arrive pas à m'attacher quelque chose sur le poignet droit avec la main gauche. Ou alors les trucs sont mal serrés, mal mis et ça tombe quand je me mets à marcher. Pas facile la vie de gros nanti. Donc faut que je demande de l'aide à Lucain pour m'habiller le matin. Il trouve ça vexant je vois pas pourquoi.
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Lucain d'AgranceBanni
Lucain d'Agrance



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MessageSujet: Re: Toi qui voulait voyager, te voilà éparpillé.   Toi qui voulait voyager, te voilà éparpillé. EmptyMer 20 Sep 2017 - 22:28
Les cartes sont rares. Vous avez déjà imaginé à quel point c’est chiant à dessiner, une carte ? L’œuvre peut prendre des mois, voire des années ; Et plus l’on veut la topographie précise, plus cela demande de mettre en œuvre des coûts et du temps que seuls les princes peuvent se permettre.
Les ducs de Sylvrur n’ont jamais été vraiment attachés au développement du Morguestanc ; Si tel avait été le cas, il n’y aurait pas un marais gigantesque et grouillant juste aux portes de Marbrume. Alors, quel ne fut pas mon étonnement quand j’ai découvert à mon arrivée à Tauvin une magnifique carte de la région et du sud du Labret.
Dressée sur une grande et large table où seize personnes auraient pu s’asseoir tout autour pour manger, elle trône au milieu d’une pièce de murs en pierre, et partout sur elle, on a placé des pions de jeux d’échecs, pour indiquer les forces, les commandements, et les unités différentes chargées de quadriller et patrouiller ce qui reste des seigneuries humaines qui n’ont pas été encore envahies de fangeux. Et je peux vous dire ; Les pions sont bien petits et bien déconnectés les uns des autres. Une vision très peu rassurante, d’autant plus que nous prenons nos repas dans la même pièce, et qu’ainsi, entre le plat et le dessert, un verre de rouge ou de blanc à la main, nous pouvons tous regarder dans la direction de cette carte, pour faire le constat froid et horrible, à l’échelle géo-stratégique, de l’Apocalypse : La Fange détruit tout. La Fange anéanti tout.
Et on est bien peu pour y résister.

Après les réjouissances de mon retour chez mon oncle, et quelques jours d’orgies décadentes au cours desquelles j’ai pu m’enivrer et refaire connaissance avec mes anciens amis, est venue la question de qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir faire avec un neveu turbulent et son bouffon maure, d’autant plus que les deux sont marqués comme du bétail malade pour subir la curée ? Au départ, mon oncle n’a pas voulu me renvoyer ; Ma simple présence dans son manoir devait le terrifier, car il suffisait de la délation de quelqu’un pour que les miliciens viennent toquer à sa porte, et cacher deux bannis pouvait lui valoir de grands ennuis. Mais c’est sans compter sur moi qui me suit mis à coucher avec des dames et rire aux éclats avec les damoiseaux et demoiselles de l’aristocratie de l’Esplanade ; Si Ogier, Renaud ou Enguerrand peuvent être considérés comme des amis, qu’en est-il des autres, de ceux que je ne connais qu’à peine ? Peut-on vraiment penser un seul instant qu’aucun d’entre eux n’allait imaginer, à un moment, de dénoncer Jourdain de Sylens en échange de quelques services du duc ? Tonton Jourdain est un homme influent et respecté ; Le retrouver dans une procédure judiciaire, c’est un bon moyen de le chasser de sa place un peu confortable.
J’aurais bien aimé mettre mon oncle dans de beaux draps, mais il est également le protecteur de ma sœur, Émeline ; Et sans Jourdain, elle n’a pas beaucoup d’espoir, sinon devenir comme l’une de ces courtisanes dont la famille est morte, la laissant sans ressources financières, la condamnant à papillonner de soirée en soirée, de réception en réception, à vendre ses charmes sans vraiment le dire, pour continuer d’avoir un toit au-dessus de la frimousse et un estomac qui ne gargouille pas.
Alors, mon oncle nous a dit : « Vous partez en guerre ». Et je n’ai pas eu d’autre choix que d’accepter.

Un petit matin, il n’y a plus eut de fête dans le manoir de mon oncle. Un petit matin, on a retiré les canapés, les valets ont nettoyé le vomi, et les soûlards cuvant à peine ont été expulsés avec des gentillesses et en leur rendant leurs manteaux. Et le jour qui a suivi, alors que nous étions tout juste à l’aube, devant la Porte des Anges, un fier ost de chevaliers portant bannière s’est amassée. Qu’ils avaient l’air fiers et braves, ces chevaliers aux yeux couverts de cernes, avec le teint tout pâle, et leurs barbes de quelques jours qu’ils n’avaient même pas rasé ! Fut un temps où le départ de seigneurs en guerre attirait tout un tas de gens, surtout leurs familles proches, pour les applaudir, leur souhaiter courage, et l’on pouvait voir les dames et les enfants sangloter un peu en craignant pour la vie d’un père, d’un frère, ou d’un fils. Mais le spectacle devait être trop commun à présent, et presque personne ne nous a applaudi alors que nous sommes partis, drapeaux au vent, vers les limbes de l’enfer ; Même Francine, l’épouse de sire Ogier de Fallant, n’est pas venue lui dire au revoir, et nous n’avons pas eu le temps de l’attendre, malgré les supplications du jeune noble qui n’avait cesse de répéter : « Encore un moment, elle sera bientôt là ! »

Nous sommes partis vers l’un de ces castels en pierre comme on en compte des milliers dans toutes les Langres. L’une de ces bâtisses au-dessus desquels la noblesse de terre a pu asseoir son autorité pendant des générations. Nous sommes partis sur le petit domaine de broussailles et de villages fantômes de la famille Tauvin.

Cela va faire maintenant deux ou trois semaines que nous sommes terrés dans ce château-fort à la frontière du haut-plateau du Labret, à garder un accès de terre et rocailleux vers des champs fertiles et nourriciers. Et je peux vous dire que la transition se passe mal pour la garnison qui s’y cache à présent. La famille Tauvin, certes, elle y est habituée ; ça va faire un an que la fange est leur quotidien, alors ils se contentent de bien nous servir et de tout garder en état, tandis que les hommes de guerre en provenance de Marbrume se relayent pour occuper le château, chasser des fangeux, puis rentrer reprendre du repos, en accompagnant les convois de ravitaillement de part et d’autre. Mais pour les autres, c’est franchement pas une situation agréable. Nous sommes une mauvaise brigade de mercenaires, de miliciens, et de chevaliers, qui nous retrouvons à devoir lutter à bras le corps, les bottes dans la boue, pour repousser un ennemi qui est partout et nulle part à la fois, nombreux et invisible, létal et nu, des démons de l’œuvre des Dieux ou de la malédiction d’une sorcière, selon les théories.
Pour tous ces hommes, Tauvin, c’est un bled au milieu de nul part. Pour beaucoup, ce sera le terminus.
Pour Malachite et moi, c’est la case départ ; Les marais sont devenus notre maison. Y barouder, c’est devenu l’habitude.

Lorsque sonne dix heures du soir d’un jour indéterminé, je suis à table avec d’autres gars, en train de manger silencieusement devant ma gamelle. Dans mon dos j’entends des pas de chats ; Je vois Malachite qui arrive avec la capuche sur sa tête. Je lui siffle et lui fais signe d’approcher.

« Tu étais où toute cette journée ?
– J’étais parti pêcher j’ai rien fais !
– Pourquoi tu te comportes tout le temps comme si j’avais quelque chose à te reprocher ? Pose tes fesses et bouffe. »

Je tire la chaise à côté de moi. Mon « page » s’installe et je soulève mes fesses et tend mon bras afin de saisir une assiette que je lui mets sous son nez. Un valet du fort, un chauve trapu qui s’appelle Ernest, prend une grosse louche de soupe très liquide et sert Malachite, avant de lui donner un quignon de pain qu’il croquera sous sa dent.
Juste à côté de Malachite, Ogier se met à ronger son frein.

« T’aurais pas vu Renaud, toi, le maure ?
– Comment il aurait pu voir Renaud s’il est parti pêcher ? Je réponds à la place de mon page. Il va revenir, ne t’en fais pas.
– Votre ami ne rentrera pas, il est déjà mort.
Tant mieux. Je ne l’aimais pas. C’était qu’un con. »

Le grognement de molosse qui vient d’interrompre et moi et Ogier, c’est l’homme qui siège tout en bout de table. Sire Émile de Tauvin. Cinquante ans passé, visage allongé, mâchoire droite et marquée, rasé de près mais ça ne l’empêche absolument pas d’avoir l’air viril, regard gris et froid, et surtout, surtout une voix gutturale. Il ne parle jamais bien fort, mais il se fait toujours attendre. Toute sa vie, Émile n’a jamais été plus loin que le donjon de son château ; Il n’a jamais eu d’autre ambition que d’être un chevalier adroit et un fier seigneur, alors pour lui, l’arrivée de la fange, ça n’a pas dû changer grand chose. Je me souviens qu’une fois, j’avais assisté à une réunion du Conseil des Pairs, à Marbrume, où il a pas hésité à dire à Sigfroi qu’un plan de fortification était « foncièrement débile ». Je crois que c’est pour ça que le duc l’aime bien. Il est trop honnête et trop peu ambitieux pour représenter la moindre menace.
N’empêche. Si son franc-parler est apprécié du duc, pas sûr qu’il soit apprécié de ses nouveaux invités. Enguerrand, Ogier et moi, nous sommes des amis proches de Renaud.

« Il faut monter une expédition dès maintenant pour le retrouver ! Suggère d’ailleurs Enguerrand, l’homme à l’aubergine dans le cul, en tapant sur la table.
– Certainement pas, répond Émile. Vous avez la moindre idée d’à quel point les fangeux sont dangereux ? Nous resterons derrière les murs.
– Vous avez peur, messire ? Demanda Ogier avec persiflage.
– Bien sûr que j’ai peur, répondit messire Émile en prenant une cuillère de tarte au flan. Vous feriez bien d’avoir peur, vous aussi. Je pensais que vous aviez déjà fait l’expérience de la fange.
Si vous souhaitez partir, je ne peux que vous demander de le faire ; Mais alors vous partirez tout seul. Je ne vous aime pas non plus. Ça me fera un imbécile de moins à devoir nourrir. »

Il faut dire que Émile en a à nourrir, des gens.
Hormis lui, sa famille, et ses domestiques, qui ont toujours vécu ici, qui représentent une mesnie habituée à la défense du fort, il y a tous les gens d’armes qui se relayent ici pour participer aux opérations. Et aujourd’hui, notre ost est complète.
Le chef de toute cette escapade, c’est Enguerrand de Saint-Justin-sur-Creux, et il a vraiment pas l’air d’être un meneur d’homme. Il a une tête de garçon, avec des traits un peu féminins, qui le rendent très plaisant à regarder ; Mais il donne pas envie de se jeter en enfer avec lui. Il a quelques cicatrices, mais elles sont légères, et sa pilosité faciale est incomplète, il n’a pas de poil sur les joues et sa moustache est un peu trop finie, alors que son cou est trop fourni. Il a des grands yeux et de petites lèvres, et son ton est un peu aigu. Il se bat plutôt bien, normal pour un chevalier, mais il est toujours peu sûr de lui, et Émile utilise cette faiblesse pour dicter ce qu’il souhaite.
Le vrai chef, pour moi, c’est Hermantraüt. Vous voyez qu’avec ce nom il est pas du cru, hein ? Ce landsknecht est un soudard, un vrai mercenaire, qui s’est mis au service du duc parce qu’il est le dernier gars capable de le payer, à moins de jouer aux seconds couteaux auprès de Morion de Ventfroid ou un gros patrice du port de Marbrume. Il parle avec un fort accent, il est grand et tout fin, plus vieux que moi, un œil en moins. Je ne l’aime pas et il me fait peur, alors que bizarrement Malachite l’aime bien et le préfère aux autres ; Probablement parce qu’il n’est pas noble, qu’il parle mal, et qu’il nous offre beaucoup d’alcool de contrebande et des objets volés pour une modique somme. Il est rapace, il triche aux cartes, et au combat il fait preuve d’une violence extrême. Mais lui au moins, c’est un vrai tueur de fangeux.
À moins que le véritable chef, ce ne soit le prévôt Vincent Pommier. L’homme est assez riche pour s’acheter une armure, et il n’arrête pas de tenter de plaisanter et de rigoler à notre table comme s’il était un des nôtres, un aristocrate ; En réalité, il est de la plus immonde roture, et même sa grosse cotte de maille et sa magnifique épée ne permettent pas de faire oublier sa roture. Mais il est le représentant du duc ici. Il parle avec son autorité, et il a à sa suite sa propre soldatesque pour faire appliquer les décisions de son altesse.
Entre la mesnie d’Émile, les chevaliers et écuyers qui suivent la bannière de Saint-Justin, les miliciens de Pommier, et les mercenaires de Hermantraüt, on arrive à cinquante-deux personnes, mais en réalité, il y a pas mal de personnel non-combattant ; Je comprends qu’Émile ait des domestiques, mais est-ce que le prévôt était obligé d’amener son secrétaire, est-ce que le lansquenet était obligé d’amener un valet, est-ce que Ogier était obligé d’amener un page encore enfant ? Avec Renaud disparu, ça réduit à nos effectifs à cinquante-et-une personne. Le château pourrait aisément accueillir une centaine d’âmes. Autant vous dire que ça fait pas mal de chambres vides et condamnées, et ça donne au tout un ensemble fantôme et inquiétant.

« Renaud est un combattant. Un preux combattant. Il a été le premier sur les murs d’Hellène. Il est encore en vie, je me mets à dire pour rassurer Ogier.
– Sans doute. Sans doute... »

J’observe Émile. Il a l’air d’avoir très envie de se moquer, et de nous dire que tuer des fangeux c’est pas la même chose que de tuer des femmes et des enfants ; Parce que effectivement, la garnison de la ville était de six cents hommes, mais bizarrement on parle de trente mille morts, cherchez l’erreur.

« Va me falloir quatre éclaireurs.
– Des éclaireurs, sire Émile ? Demanda le prévôt la bouche pleine.
– Oui. Pour la mission. Faut qu’on arrive à conduire le colis jusqu’au village fortifié. Ça va demander du temps et je veux savoir si la route est praticable.
– Il a plu toute la semaine dernière... Nota le lansquenet en grommelant. Et un orage aussi. Vous voulez qu’on fasse la reconnaissance sur tout le chemin ?
– Cela demandera une journée entière, l’aller et le retour. En partant aux premières aurores, et en galopant vite, quatre éclaireurs peuvent être de retour avant le crépuscule. Le moine de ce château prédit qu’il n’y aura plus d’intempéries avant quatre jours. Il a consulté les astres et fait un sacrifice pour Serus, il nous garantit ceci.
– L’aurait fallu faire ce sacrifice lors du grand déménagement...
– Fermez-la, Hermantraüt.
Je souhaite avoir quatre éclaireurs volontaires, personne de forcé ; Et pour motiver un peu, monsieur Pommier, j’avais prévu que vous proposiez des gages quintuplés pour ceux qui l’approuveront.
– Des gages quintuplés ? Je me mis à demander. Vous voulez dire... Cinq fois le salaire mensuel ?
– Ne rêvez pas trop, sire, railla Émile. Je pense que notre ami le prévôt peut faire un effort, mais pas à ce point. Je parle bien d’un salaire quotidien quintuplé. Donc juste que une journée, au lieu de toucher votre pitance misérable, vous la toucherez pour cinq fois. »

Eh bah putain. Ça vaut vraiment pas le coût d’être crevé par des fangeux. Surtout que moi et Mala sommes bannis ; Et c’est dans ce fort un secret de polichinelle. Tout le monde le sait. Émile le sait, le prévôt le sait ; Simplement, personne ne le dit à voix haute parce que ça arrange tout le monde que nous soyons ici, parce que Marbrume manque vraiment d’hommes en état de se battre. Parmi les « combattants » du fort, pas mal sont sans aucune expérience. Parmi les mercenaires d’Hermantraüt, y a des petites frappes qui n’ont jamais combattu autre chose que des camés et des quidams dans les rues sales du port. Parmi les miliciens de Pommier, il y a des gamins qu’on a conscrit de force. Et parmi les nobles d’Enguerrand, il y a pas mal d’adolescents qui ont l’âge d’être des pages, auxquels on a filé une armure en toute hâte car leurs mentors ont été dévorés. À côté de cette troupe pathétique, moi et Mala, on a l’air de putains de grands vétérans.
Alors il faut pas s’étonner qu’Émile nous pose cette question :

« Vous deux. Vous êtes volontaires ?
– Hmm... je fais semblant d’hésiter. Je sais pas trop. Moi je dis, le salaire c’est pas mal, mais c’est quand même un sacré risque qu’on prend...
– Qu’est-ce que vous voulez ? »
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MessageSujet: Re: Toi qui voulait voyager, te voilà éparpillé.   Toi qui voulait voyager, te voilà éparpillé. EmptyVen 29 Sep 2017 - 11:15
Bon ben voilà on est foutu, obligé de faire ce putain d'éclairage de route. Dès que Lucain a commencé à négocier c'était mort de toute façon. Impossible de refuser après ça. Et partir à quatre, ça veut dire se farcir deux idiots qui font du bruit et qui se plaignent tout le temps. Sauf si on part avec Herman - j'arrive pas très bien à prononcer son nom en entier -, voilà un mec qui en a. Il est rigolo et je rêve secrètement d'être comme lui.
Mais bon c'est pas avec un mec hyper classe qu'on part, c'est avec deux trous de balle en chien niveau thune. Pas des gens précieux.

Donc on est parti. Sur la route. D'habitude je vais jamais dessus parce que c'est trop dégagé, un Fangeux peut te voir avant que toi, tu le vois, et si t'es en journée bah tu peux croiser des connards. Mais là on peut se planquer derrière les deux trous de balle comme caution sociale alors je suppose que ça va.
Je trottine quand même en parallèle dans la forêt. L'automne c'est plein de bouffe et j'ai tout le temps pour cueillir et ramasser tout ce que je veux. Les deux premières heures du trajet sont ponctués par le bruit du manche de ma dague en train d'écraser des noisettes sur une pierre. Je partage pas, sauf une fois que j'ai l'estomac rempli à ras bord, par ennui.

Comment on fait si y a un tronc sur la route ?

Bah on l'enlève.

Mais chuis pas déplaceur d'arbre !

On dit un bûcheron.

Je m'en fous !

Le mec hausse des épaules. Il doit se dire que j'ai pas une dégaine à tuer des chênes de toute façon. Plutôt à cueillir des fleurs, si elles ne sont pas trop lourdes. Et le cas s'est présenté un peu plus tard, une fois passé le croisement encore un peu fréquenté par les humains. Les deux avaient apporté leurs petites haches, nous non parce qu'on est mal organisé. Alors ça a été la galère. Lucain est aussi mauvais déplaceur d'arbre que moi. On est pas méchant, mais on sait pas attacher des cordes pour déplacer un morceau de tronc de cent kilos, on sait pas les tirer efficacement à deux et on est pas très efficace niveau bûcheronnage.

Oui, une forêt ça s'entretient, et avec les Fangeux la plupart des routes ont été abandonnées pendant des mois. Des arbustes commencent à pousser dans les ornières, on fait plus éclaireurs mais cantonnier. Le colis doit passer en charrette, absolument, je sais pas pourquoi, et les essieux sont pas en titane.
C'est pour ça que comme dit toujours Lucain, faut vraiment être fini à la pisse pour laisser une forêt et des marais autour d'une grande ville. Aucune autre ne ferait ça.

Bref c'est la galère, les ampoules aux pieds et la soif. On perd du temps. L'avantage d'être un banni tout seul c'est que personne t'oblige à faire des trucs huit heures d'affilées. Vivre en sauvage dans les bois, c'est passer beaucoup de temps à attendre, à grapiller quelques heures de sommeil en journée, à se cacher. Du coup je me plains. C'est un peu rude pour mon cerveau abîmé de se mettre à transbahuter des bûches.


Dernière édition par Malachite le Ven 29 Sep 2017 - 11:15, édité 1 fois (Raison : Je fais ce que je veux j'ai pas à me justifier)
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