Entrevue insolite entre une noble déchue et le Maitre du Manoir Rougelac (pv Victor)

Ce matin-là, Morgiane s’était levée de bonne heure afin de se rendre au Manoir Rougelac dans le but d’y rencontrer le maître des lieux. Tandis qu’elle quittait la demeure d’Alonso où celle-ci résidait depuis plusieurs mois, la jeune fille sentit la nervosité la gagner. Les pâles lueurs de l’aube pointaient à l’horizon, chassant les derniers vertiges de la nuit et emplissant le firmament d’une transparence éburnéenne. La fraicheur automnale qui succédait à la chaleur de l’été la fit frissonner et elle réajusta la capuche de sa pelisse tout en poursuivant sa route en direction du quartier des nobles.

Tandis que Morgiane traversait les vastes allées, cette dernière sentit son cœur se serrer à la vue des habitations luxueuses et des jardins bien entretenus. Jadis, elle appartenait à cet univers de faste et d’opulence nimbé d’or et de lumière. Son quotidien se limitait à une existence oisive et insouciante et ses seules préoccupations consistaient à parfaire son éducation et à se préparer à une carrière mondaine, en vue d’un bon mariage. Hélas, l'enchaînement de sinistres circonstances lui avait fait perdre successivement ses deux parents, son frère et toute sa fortune ainsi que son rang. Désormais, l’adolescente appauvrie en était réduite à accepter des besognes indignes de sa noble condition pour subvenir à ses besoins, tout en conservant le farouche espoir de déjouer ce mauvais coup du sort.

En dépit de sa jeunesse et de son apparence fragile et naïve, la rousse possédait une volonté de fer et une détermination à toute épreuve. Elle était prête à lutter des années s’il le fallait, mais elle parviendrait à innocenter son frère banni et à retrouver son rang ainsi que sa fortune.
Ses pas la conduisirent jusqu’aux abords du Manoir Rougelac et elle examina avec curiosité cette grande bâtisse, à l’architecture soignée et constituée de trois bâtiments élevés sur deux niveaux. Extérieurement, cette somptueuse demeure en imposait par ses dimensions et était délimitée par un jardin soigneusement entretenu. Sans surprise, la jeune noble croisa des gardes, chargés de veiller sur la sécurité des lieux et ces derniers, après s’être enquis de son identité et de la raison de sa présence, la laissèrent pénétrer dans le domaine du Comte.

Morgiane traversa le jardin et se rendit jusqu’à l’entrée de la demeure. Après avoir aspiré une bouffée d’air frais, elle frappa à la porte et patienta que quelqu’un vienne lui ouvrir. Quelques minutes plus tard, une femme d’une cinquantaine d’années, à la chevelure grisonnante, mais habillée avec soin, apparut et l’invita à entrer dans le hall d’entrée. La matrone lui demanda de patienter, le temps qu’elle informe son maître de l’arrivée de la jeune fille, avant de disparaître, la laissant seule dans cet endroit inconnu. Le lieu spacieux était imprégné d’une atmosphère de grand luxe et devant ses yeux s’étendaient deux couloirs permettant l’accès à deux salles et un imposant escalier. Occupée à contempler cette magnificence, Morgiane sentit rejaillir ses souvenirs du temps passé et une pointe de nostalgie envahir son cœur.

Demeurée seule dans le grand hall d’entrée, Morgiane attendait l’arrivée de son hôte, non sans appréhension, et laissait son regard bleuté examiner les moindres détails de l’endroit. Elle admirait les splendides boiseries qui ornaient la rampe de l’escalier ainsi que les décorations qui ornaient les murs et dont la beauté était accentuée par une lumière tamisée. Toutefois malgré cet aspect luxueux, il régnait également une atmosphère d’austérité et de grande solennité, peut-être à l’image du maître des lieux, songea l’adolescente.

Victor de Rougelac, ce nom ne lui était pas inconnu car il était un membre influent de la noblesse et portait le titre de Comte. Le père de Morgiane, quant à lui n’était « que » baron. Cependant, la jeune fille n’avait jamais l’occasion de lui être présentée ni même de le rencontrer lors d’une quelconque occasion. Durant la majeure partie de sa jeune existence, celle-ci avait vécu cloitrée dans la résidence secondaire des Sambrelune et ignorait encore les usages propres à une carrière mondaine. Et bien que d’ascendance noble et ayant reçu l’éducation qui seyait à son rang, cette dernière était tombée dans la misère avant de pouvoir faire son entrée dans le monde…
Trop vite jetée hors de l'insouciance de l’enfance, son entrée dans l’âge adulte s’était fait par une violente confrontation avec la dure réalité. Avant de se retrouver confrontée à de tels drames, l’adolescente s’imaginait suivre la voie toute tracée des jeunes demoiselles nobles. L’univers de paillettes, de lumières et robes précieuses qui hantaient ses rêves de jeunesse avait laissé place à un constat, ô combien plus amer, et de cruelles désillusions.

Pourtant, loin de céder à la fatalité et au pessimisme, ces épreuves avaient affermi sa détermination et son désir de s’extraire de sa nouvelle condition, afin de regagner sa grandeur passée. Peut-être s’agissait-il des derniers vestiges de fierté qui lui restaient alors que tout son passé lui avait été arraché.

La jeune noble portait une tenue sobre, bien que soignée et choisie avec goût. Cette dernière était plus élégante que la vêture habituelle des femmes du peuple, mais dépourvue du luxe et de la préciosité des robes des dames de sang bleu.
Même dans sa situation, la jeune fille prenait grand soin de son apparence et sa chevelure d’un roux flamboyant, était relevée en un chignon élégant, qui mettait en valeur la délicatesse de sa nuque.

Morgiane affichait toujours son teint de porcelaine et ses traits ciselés qui la faisaient ressembler à une magnifique statue d’albâtre. Il semblait que même la misère s’avère incapable de ternir sa beauté, dans l’efflorescence de sa jeunesse, et sa fraîcheur. Ses traits, bien qu’encore juvéniles, avaient perdu un peu de leur rondeur enfantine et ses prunelles céruléennes luisaient d’un éclat déterminé.

A présent qu’elle ne pouvait plus se parer de riches étoffes ou farder son visage, la perfection de ses traits et son maintien altier demeuraient son unique parure. Mais malgré la simplicité de sa mise, la noblesse transparaissait dans son port de tête, dans la prestance de ses gestes, dans la lueur de fierté qui brillait dans son regard. Désormais, elle portait sa noblesse dans son être, à travers ses attitudes et son sang plutôt que dans son or et son titre.

Alors que celle-ci se laissait aller à ses pensées, des bruits de pas résonnèrent à proximité et en se retournant, la rousse aperçut une silhouette masculine qui se tenait sur le grand escalier, la dominant de toute sa hauteur.

En voyant sa posture altière et sa tenue somptueuse, Morgiane devina sans peine qu’il s’agissait du maitre des lieux en personne. Elle s’inclina révérencieusement, comme le faisait les jeunes filles nobles face à un membre d’importance, avec une attitude pleine dignité et de grâce.
Puis, elle releva la tête afin de l’observer à son tour et ses mires bleutées croisèrent l’éclat sombre de son regard. Ensuite, cette dernière prononça les salutations d’usage, s’exprimant avec respect et courtoisie, sans pour autant faire preuve de flagornerie.

Son maintien renvoyait une apparence de calme, de maîtrise de soi et son visage délicat, plein d’une douceur juvénile, ne laissait transparaître aucune émotion, les dissimulant derrière un masque parfait. Seuls les deux lacs bleutés de ses grands yeux pouvaient encore laisser entrevoir ses ressentis.

L’homme s’adressa ensuite à elle et Morgiane nota son attitude détachée. Ce dernier n’avait guère pris la peine de la saluer ou de s’incliner ; toutefois, l’adolescente ne s’en offusqua pas outre mesure et ses lèvres esquissèrent un sourire plein d’aménité.

- Monsieur le comte, je vous suis grès d’avoir consenti à me rencontrer et j’espère que notre entrevue se révélera fructueuse et que nous parviendrons à un accord satisfaisant pour nos deux parties.

En effet, la jeune noble n’avait pas la naïveté de croire que le Comte de Rougelac allait l’embaucher, sans la questionner au préalable voire enquêter sur son passé. Du reste, celui-ci soulignait que sans une solide recommandation, il n’aurait même pas daigné la rencontrer.
Le plus difficile restait donc à faire et Morgiane savait que l’homme ne serait probablement pas simple à convaincre. Elle continuait à afficher cette posture digne et calme, maitrisant son corps et les traits de son visage, tout en sentant peser sur elle le regard investigateur de son interlocuteur. Le sang bleu détaillait la moindre de ses attitudes, cherchant à lire dans son être, à fouiller le moindre recoin de son âme à la recherche de ses secrets inavoués…
Dans sa poitrine, la noble sentait son cœur battre plus rapidement mais elle luttait pour ne rien en laisser paraitre.

Le comte parut adoucir son investigation, tout en continuant à questionner l’adolescente dont le cœur se mit à ralentir. Toutefois, cette dernière demeurait malgré tout sur ses gardes, prête à répondre correctement aux multiples questions de son interlocuteur. Cette entrevue ressemblait à une partie d’échec où chaque joueur avançait ses pions et anticipait les réactions de son adversaire.

Sans se départir de son air détaché, Victor poursuivit l’entretien en insistant sur le fait que la présence de la jeune fille en ce lieu représentait un privilège. En effet, nombre de postulants convoitaient cette place et étaient prêts à batailler fermement pour l’obtenir.
Morgiane saisit sans peine le sous-entendu, à peine voilé, dans ces propos. Le noble ne faisait rien de moins que lui faire comprendre qu’elle n’était pas irremplaçable et qu’au moindre faux pas, une autre domestique occuperait le poste.

A cet instant, la rousse songea à quel point l’existence pouvait se révéler rude et qu’il fallait se battre avec âpreté pour demeurer en vie. Elle se remémora l’hiver dernier où, en se promenant dans un quartier populaire de la cité, elle avait croisé un groupe d’enfants malingres et loqueteux, occupés à se battre pour une simple miche de pain.

La pauvreté et la surpopulation régnaient à Marbrume et sa populace nombreuse et affamée devait luttait pour survire. Elle-même ne devait son salut qu’à cet heureux hasard qui l’avait conduit à croiser la route d’Alfonso. Sans lui, elle serait sans doute demeurée à la rue et aurait pu faire de bien fâcheuses rencontres ou partager le sort des infortunés mendiants. A moins qu’elle n’ait été contrainte de vendre ses charmes ou à servir de souillon dans une demeure bourgeoise. Pour ce geste empli de générosité, cette dernière lui serait éternellement redevable.
A présent, l’adolescente devait voler de ses propres ailes et quitter la demeure de celui qui resterait toujours à ses yeux son sauveur et son bienfaiteur.

- Certes j’imagine qu’un homme de votre rang est fort occupé et que nombre de candidats se disputent un poste aussi convoité. J’espère faire mes preuves et me démarquer des autres postulants, bien que je ne doute pas qu’il y ait parmi eux nombre de personnes de qualité et pourvues de nombreux talents, dit-elle avec un léger sourire.

Morgiane pensa qu’elle devait faire pâle figure face à certains candidats bien plus âgés et expérimentés. Cependant, elle n’était pas prête à baisser les bras et comptait bien tenter de convaincre le comte de la prendre à son service. Celle-ci ne pouvait pas décemment abuser plus longtemps de l’hospitalité du jeune valet et devait gagner de quoi subsister, d’autant plus que son éducation noble ne la prédisposait à aucun métier du peuple. Désormais, son esprit demeurait sa seule arme et elle espérait faire preuve d’une vivacité suffisante afin de persuader l’homme au regard d’acier qui la fixait avec attention.

D’un geste plein d’élégance, le noble l’invita à quitter le hall et à le suivre. En marchant à travers le couloir, jusqu’à un petit salon, l’adolescente prit conscience de la grandeur de l’endroit et de la complexité du travail qui l’attendait. Toujours aussi calme, elle analysa rapidement la pièce, notant fidèlement l’emplacement de chaque chose et se préparant mentalement aux prochaines questions que Victor ne manquerait pas de lui faire et des pièges qu’il lui tendrait.
Le lieu donnait sur une imposante terrasse qui fournissait une vue imprenable sur le jardin. Morgiane ne put s’empêcher d’admirer les splendides couleurs automnales qui coloraient la cime des arbres, ravissant mélange d’or et de rouille.

Le sang-bleu embrassa du bras la grandeur du jardin, et en profita pour lui glisser une allusion à l’ampleur de la tâche qui l’attendait. Morgiane demeura calme, le visage impassible et répondit d’un ton posé :

- Votre demeure est superbe et effectivement un tel manoir demande un grand entretien et un soin méticuleux. Il s’agit d’une tâche ardue mais également d’un beau défi, d’un grand privilège et d’une expérience des plus enrichissantes.

Morgiane pensait en effet que gérer et vivre dans une telle habitation devait véritablement constituer une activité exigeante, mais fort intéressante. Sa mère, gérait elle-même la domesticité et l’intendance avec une main de fer dans un gant de velours, en parfaite maîtresse de maison et sa fille l’assistait souvent dans cette tâche. La résidence secondaire des Sambrelune était moins imposante que le manoir de Rougelac ; cependant, il s’agissait également d’une maison noble et l’adolescente baignait dans cet univers depuis toujours et en connaissait à la perfection les us et coutumes.

- Pour répondre à votre question, monsieur le comte, je pense que la fonction d’une intendante est de gérer les conditions matérielles et la vie quotidienne des usagers de ce manoir. Aussi bien administrer le personnel qu’utiliser le budget octroyé de la meilleure manière possible. Votre manoir est très vaste et dispose de nombreux domestiques, de même il convient de savoir l’administrer en tenant compte des frais nécessaires à son bon fonctionnement. Selon moi un bon intendant doit faire preuve de rigueur, de professionnalisme, d’un solide sens de l’économie et d’une excellente organisation. Par ailleurs, il lui faudra faire également posséder comme qualités de l’autorité, de la fermeté, de l’empathie et de la psychologie. Les qualités humaines et la personnalité comptent autant que sa capacité à gérer les biens, du moins c’est mon opinion.

La sang-bleu aux cheveux de feu s’arrêta et attendit la réaction de Victor, elle avait répondu avec franchise et sincérité, laissant apparaitre brièvement sa spontanéité d’adolescente, malgré le sérieux qui régnait sur son visage juvénile.

Morgiane attendait patiemment, guettant la réaction du Comte de Rougelac. Ce dernier approuva ses propos et parut satisfait de sa réponse. Toutefois, la jeune fille ne s’autorisait pas pour autant le moindre relâchement, ne devinant que trop bien que l’entrevue n’était pas encore achevée et qu’elle n’avait pas encore obtenu le poste. Le sang-bleu dardait ses prunelles sombres, à l’éclat métallique sur l’adolescente et ses lippes esquissèrent un sourire entendu. Dès après, ce dernier émit une condition à l’attribution de l’emploi : celle que la noble réside au manoir. Il prit le soin d’ajouter, que bien entendu, elle disposerait de suffisamment de liberté pour vaquer à ses propres activités ainsi que d’un salaire convenable.

La rousse songea intérieurement que le Comte testait son engagement et jaugeait jusqu’où celle-ci était prête à aller pour obtenir le poste. Si la jeune fille logeait au Manoir, sa liberté serait toute relative, car Victor serait informé de la moindre de ses allées et venues, sans compter la surveillance implicite de la domesticité. Morgiane était bien placée pour savoir que dans ce type de demeure, les murs ont des oreilles. Cependant, l’idée de quitter le modeste logis d’Alfonso ne lui déplaisait guère, car elle ne voulait plus abuser de son hospitalité. Par ailleurs, elle aspirait à acquérir sa propre indépendance.

Affichant un doux sourire sur ses lèvres rosées, la noble répondit :

- Il va de soi que si je conviens pour ce poste, je me plierais à vos exigences et logerais au manoir. Cette condition me semble tout à fait justifiée et je ne vois aucune raison d’objecter. De même, bénéficier de liberté et d’un salaire en rapport avec mon activité me semble être une proposition tout à fait honnête.

Ensuite, Victor la mena de nouveau jusqu’au hall, avec la démarche impérieuse qui était la sienne, n’hésitant pas à lui tourner le dos, comme pour marquer davantage son autorité, avant d’énumérer les pièces du rez-de-chaussée. Morgiane prit soin de les répéter mentalement afin de les mémoriser le plus rapidement possible. Le comte de Rougelac ne semblait guère être le genre d’homme à aimer se répéter ni à s’entourer de jeunes écervelées. Il était incontestable qu’elle devait faire preuve d’agilité d’esprit et posséder d’autres atouts que son joli minois.
Soudain, l’homme fit volte-face et lui demanda de citer les différents corps de métiers dont elle aurait la responsabilité. Sans perdre sa contenance et d’une voix calme et assurée, la rouquine répondit :

- Si je suis engagée, j’aurais en charge la domesticité qui regroupe les cuisinières, les valets et les femmes de chambre, le petit personnel, comme les lingères, les bonnes à tout faire, les garçons de course, le cocher, les palefreniers et les jardiniers.

A présent, il lui fallait détailler les activités de chacun de ses domestiques.

- Les cuisinières s’occupent de la confection des repas, ceux des domestiques comme ceux du maître. Les valets et les femmes de chambre sont chargés des effets personnels du maître ou des dames de la maison. Les bonnes veillent à ce que le ménage soit fait et sont souvent spécialisées dans les grandes demeures. Les lingères s’occupent de laver et d’entretenir le linge de maison. Les filles de cuisines, quant à elles, veillent à allumer les fourneaux, portent des seaux, épluchent des légumes, lavent la vaisselle et aident la cuisinière à préparer les repas. Les valets de pieds sont les hommes à tout faire de la maison. Le garçon de course est chargé de porter les lettres, d’aller chercher les achats du maître et de porter les cartes de visite. Le cocher est chargé de véhiculer le maître et les palefreniers de veiller à l’entretien des écuries. Les jardiniers, quant à eux, soignent et entretiennent les jardins.

Après cela, Morgiane se tut, suspendue à la réponse du Comte et le cœur battant la chamade. Avait-elle suffisamment bien répondu pour être admise à la suite de l’épreuve ?

Toujours inexpressif, écouta-t-il religieusement les différentes réponses de la jeune femme. Acceptait-elle les conditions émises par le sang bleu, répondait-elle de façon limpide quand à la tâche de chacun des domestiques qui faisait vivre et qui soignait la demeure Comtal. Non, aucun reproche n'était à faire à Morgiane, elle savait de quoi elle parlait. La théorie était donc une chose qu'elle semblait maîtriser sur le bout des ongles, un bon très bon début. A présent, il fallait constater de ses propres yeux qu'elle était autant capable à tenir le rôle dans la pratique. Finissant par acquiescer lentement de la tête, le quadragénaire tendis le bras en direction de l'escalier qui menait à l'étage.

- Très bien. Veuillez me suivre pour la suite de la visite.

S'il n'avait émit le moindre avis, était-ce une attitude volontaire de sa part, non pas pour semer le doute dans l'esprit de la Déchue mais éveiller son esprit de raisonnement. Sans rajouter le moindre mot, Victor posa une main sur la rambarde et gravit les marches jusqu'à se retrouver à l'étage sans jamais se retourner pour savoir si la jeune femme lui avait emboîter le pas. D'une démarche assurée, traversa-t-il le dégagement avant d'indiquer à la candidate où se trouvait la suite comtale ainsi que les diverses autres chambre sans oublié un rapide passage dans son office personnelle.

Il poussa finalement la porte d'une vaste chambre qui manquait de décoration, c'était certain mais qui regorgeait d'atout. L'endroit possédait pourtant des meuble de valeur : commode, lit à baldaquin, cheminée.

- Voici vos futurs quartiers que vous agencerez à votre convenance.

La laissa-t-elle découvrir une pièce d'au moins quarante mètres carré dont la fenêtre donnait sur le jardin avec un petit balcon. Puis, le verdict tomba.

- Je vous mets à l'essaie et ce dès ce soir. Je dois me rendre chez un ami, je reviendrais en fin de journée. J'aimerais que vous donniez au Manoir un petit coup de "neuf", avec les moyens du bord. J'attend de vous que vous soignez chaque pièce, que le dîner soit servit aux aurores, que les écuries soient propres tout comme le jardin et... voyez-vous, j'aimerais me sentir bien aise pour le restant de la soirée avant de gagner ma couche. Soyez imaginative, remplissez cette mission et demain à l'aube, nous réglerons les formalités administratives. J'aurais d'ailleurs besoin de votre participation pour imaginer le thème d'un futur banquet au Manoir. Tout ceci ne vous pose pas le moindre problème? Ah j'oubliais, soignez votre tenue,
même si celle que vous portez vous honore.

Il la scruta un instant avant de s'avancer vers elle. La messe était dite, il la mettait sans attendre à l'épreuve lui accordant les prémisses d'une confiance qui n'attendait qu'à être renforcé avec le temps.

Victor continuait à la scruter, sans se départir de son visage marmoréen, qui dissimulait la moindre de ses émotions. Une aura de charisme émanait de lui et l’adolescente se sentait un peu intimidée par sa prestance. Sa réponse parut convenir au comte, bien qu’il demeura mutique à ce sujet, et se contenta de lui demander de le suivre à l’étage.

Ils traversèrent diverses pièces jusqu’à ce que son hôte s’arrête devant la porte menant à une vaste chambre. L’endroit frappa la jeune fille par le style épuré de sa décoration ; néanmoins, malgré la simplicité de son ameublement, la pièce contenait tout le mobilier nécessaire à une installation, à savoir, un lit à baldaquin, une commode, une armoire et une cheminée.

Le lieu était moins luxueux que son ancienne chambre de noble, mais possédait plus de commodités que le modeste logis d’Alfonso. De sa voix grave, le sang-bleu lui révéla qu’il s’agissait de ses futurs quartiers et qu’elle pourrait les aménager selon son bon vouloir.

- Merci messire, dit la rousse en inclinant révérencieusement la tête. Je ferais le nécessaire pour me montrer à la hauteur de la confiance dont vous m’honorez.

L’adolescente fit quelques pas à l’intérieur de la pièce et marcha jusqu’à une fenêtre qui laissait filtrer la lumière du soleil et donnait sur un balcon.

Puis le verdict tomba comme un couperet ; Victor la mettait à l’épreuve et attendait qu’elle entre en fonction dès ce soir. Le cœur de Morgiane se mit à battre à toute allure. Si vite ! Cette dernière ne s’attendait pas à devoir assumer aussi rapidement ses nouvelles fonctions. Cependant, la jeune fille aux cheveux de feu demeura calme et écouta avec attention les instructions de son nouveau maître.

Celui-ci devait s’absenter et désirait qu’elle donne un coup de neuf à sa demeure, tout en veillant à ce qu’elle soit entretenu avec le soin et la rigueur nécessaires ainsi qu’à sa parfaite organisation. Par ailleurs, il désirait que la jeune fille participe à la création d’un thème pour un futur banquet. Et pour finir, son interlocuteur insista sur le soin qu’elle devrait accorder à sa présentation et à sa tenue.

Ce dernier point n’étonna guère Morgiane ; en effet, en sa qualité d’intendante, celle-ci serait souvent une interlocutrice de choix ou la représentante du Compte auprès de ses hôtes de marque. Cette dernière se devait de lui faire honneur, en toutes circonstances.

L’adolescente le regarda sans sourciller et acquiesça avant de répondre d’une voix douce et posée :

- Bien monsieur le Comte, j’entre en fonction immédiatement. Il sera fait selon vos ordres.
En ouvrant l’armoire, elle découvrit plusieurs tenues correspondants à la fonction et en prit une qui semblait être à sa taille.

- Je me change sur le champ afin d’entériner mon entrée en fonction et je me tiens à votre disposition pour la suite de vos instructions.

En effet, Morgiane devait également rencontrer le personnel qui serait sous ses ordres et se montrer suffisamment autoritaire et compétente pour s’attirer leur respect, et cela en dépit de sa jeunesse. Toutefois, celle-ci pressentait qu’il ne s’agissait pas d’une mince affaire et que les domestiques, à l’image de leur maître, attendraient de la jeune noble qu’elle se montre à la hauteur.

La jeune femme accepta le défi sans sourciller et ça c'était un point positif, elle n'avait pas hésiter malgré l’ampleur de la tâche qui l'attendait, gage qu'elle était motivé pour obtenir la fonction d'Intendante du Manoir de Rougelac. Aucune émotion ne semblait remettre en doute la sincérité de Morgiane, ainsi, menton levé, Victor ferma un instant les yeux en guise de réponse lorsqu'elle lui demanda l'assentiment pour se changer. Sans la quitter du regard alors qu'elle explorait la penderie qui était bien fourni en tenues, se permit-il tout de même une remarque.

- Bien, faites avec les moyens du bord. Si j'estime que vous avez les épaules, vous aurez dès demain une enveloppe pour refaire votre garde robe. Je vous veux aussi belle et charmante que l'est mon Manoir, vous en serez le reflet Morgiane, alors ne me décevez pas.

Il se dirigea vers la porte pour laisser plus d'intimité à sa nouvelle employée qu'il mettait à l'essaie.

- Si vous n'avez nullement besoin de moi, je vous attend au grand Salon au rez-de-chaussée. Tout le personnel sera présent pour votre présentation et donc votre prise de fonction. Restez vous même, à l'image de ce que vous m'avez montré jusque là et je gage que vous serez fort bien administrer le petit personnel.

Oh bien entendu, la curiosité de voir ce petit corps dans son plus simple appareil n’aurait pas été pour lui déplaire mais il fallait resté humble et sérieux, pas le temps à quelques petites découvertes, il tenait là peut être une personne fiable sur qui il pourrait compter afin de tenir le Manoir à la hauteur de son rang de Comte.

- Ah et... je préparerais un plie où vous seront énuméré vos instructions. Bonne découverte de vos appartement Mademoiselle.

Morgiane ouvrit la penderie où se trouvaient suspendues une série de tenues, de tailles et de couleurs diverses. C’était la première fois depuis qu’elle avait perdu sa fortune que la jeune noble se retrouvait face à une nouvelle garde-robe, certes moins somptueuse que celle de son existence de noble, mais néanmoins plus élégante que ce que lui permettait la modeste condition qui était devenue la sienne. Alors qu’elle les examinait avec ravissement, celle-ci sentit peser sur elle le regard du Comte qui l’observait avec attention, ne perdant pas une miette de la scène.

L’homme semblait être un fin observateur, épiant chacun de ses gestes et cherchant à saisir la moindre de ses pensées, sans doute afin de s’assurer que l’adolescente était une personne de confiance. Ce dernier, tout en continuant à fixer la jeune fille, se permit d’ajouter une remarque concernant ses futures tenues. La rousse acquiesça d’un hochement de tête :

- Je ferais pour le mieux messire le Comte, il va de soi que je tâcherais de soigner mon apparence le plus possible pour satisfaire à vos exigences et vous faire honneur en toutes circonstances.

Certes Morgiane possédait une grande beauté grâce à la cascade flamboyante de ses cheveux de feu, à ses prunelles de saphirs et à sa peau de pêche ; cependant une tenue soignée et élégante ne pourrait que rehausser sa grâce naturelle, rendue encore plus éclatante par la fraicheur et la candeur de sa jeunesse.

Puis Victor expliqua qu’il l’attendrait à au grand salon du rez-de-chaussée afin de lui présenter le personnel, avant de s’éclipser, laissant la jeune noble découvrit ses appartements et s’habituer à son nouveau rôle. Il préparerait également à son intention un pile où seraient énumérées ses nouvelles fonctions.

Dès qu’il fut partit, la jeune fille se laissa tomber sur le lit à baldaquin, ressentant un profond soulagement et un grand bonheur à l’idée de la nouvelle vie qui l’attendait au manoir Rougelac. Elle avait l’impression d’être sur un petit nuage et peinait encore à y croire. Était-ce un rêve ou la réalité ? Est-ce que toute cette scène n’était que l’objet de son imagination ? Elle ferma les yeux un moment et aspira une grande bouffée d’air avant de les rouvrir.

La pièce était toujours là, ce qui signifiait qu’elle ne rêvait pas. La jeune fille fit quelques pas dans sa nouvelle chambre, examinant de près la commode, le lit à baldaquin et sortit même sur le balcon d’où elle jouissait d’une vue superbe sur la propriété.

Ensuite, elle sortit plusieurs robes de la garde-robe, tâchant de choisir celle qui siérait le mieux à sa nouvelle fonction. Certes tenues étaient très belles et avaient certainement appartenu à de nobles dames à en juger par la qualité de la confection et la préciosité des étoffes. L’adolescente en essaya plusieurs et à son grand damne la plupart étaient trop grandes et ne convenaient guère à sa silhouette filiforme.

Enfin, elle parvint à trouver une tenue, semblant convenir parfaitement à sa nouvelle fonction, une magnifique robe de velours couleur bleu d’outremer, rappelant la beauté des profondeurs marines. Dans cette tenue, Morgiane semblait rayonnante, à tel point, qu’elle ne ressemblait plus à une bourgeoise, mais à une noble demoiselle. Elle décida de défaire son chignon austère et laissa sa longue chevelure s’écouler en mèches soyeuses et incandescentes jusqu’au bas de son dos. A L’aide d’un peigne trouvé dans la commode, elle la peigna jusqu’à ce que celle-ci se transforme en rivière de soie.

Lorsque ses préparatifs furent terminés, la rousse descendit le grand escalier et d’une démarche gracieuse et élégante, semblable à une princesse de contes de fées et marcha jusqu’au grand salon où le Comte et ses domestiques l’attendaient. Une fois devant la porte à double battant de la salle, elle sentit son cœur se mettre à battre la chamade, mais elle se raisonna et après une grande inspiration, la jeune fille poussa la grande porte et fit une entrée triomphale.

En tout point satisfait par l'attitude que lui offrait l'adolescente qui entrait de manière fracassante dans la vie d'adulte, le Comte de Rougelac prit congé pour la laissé se reposer et préparer son intervention devant le personnel du Manoir. Un parchemin roulé dans la paume de sa main droite qu'il avait placé dans son dos, Victor réuni l'ensemble de ses domestiques dans le Grand Salon. Pas moins d'une demi-douzaine d'hommes et de femmes s'était donc placé en rang le long des fenêtre de cette somptueuse pièce qui faisait office de salle de réception pour les grands soirées organisés par le Comte de Rougelac. Une certaine tension semblait palpable dans les rangs des serviteurs du sang bleu. Le mondain les avait convié en leur prononçant le motif de cette réunion extraordinaire sans même donner plus de détails, ainsi la surprise serait d'autant plus grande.

Retrouvant le confort d'un fauteuil, le quadragénaire s'était installé de telle sorte qu'il puisse avoir une vue panoramique de l'intervention de la nouvelle Intendante de la propriété Comtale, à la fois suffisamment à l'écarte de l'entrée mais pas trop éloigner de sorte qu'il puisse jouir des réactions des différents participants. S'armant de sa pipe à herbe et d'un verre d'alcool fort ambrée, il attendait l'apparition de la jeune femme dans un silence de cathédrale, seulement brisé par son propre souffle lorsqu'il recrachait des ronds de fumée dans l'air.

Tout à coup la grande porte se déroba, laissant apparaître de manière assez triomphale la rouquine drapé d'une tenue d'apparat qui allait fort bien à son nouveau rang. La ressemblance à la bourgeoisie était frappante dans cette magnifique robe de velours couleur bleu d’outremer, sa chevelure relâchée lui donnant un air bien moins sévère pourtant. La laissant réaliser quelques pas, le mondain se décida à donner de la voix pour annoncer l'entrée de la jeune femme.

- Voici damoiselle Morgiane, la nouvelle Intendante du Manoir, votre responsable hiérarchique directe, veuillez lui rendre honneur je vous prie.

Les domestiques s'inclinèrent un peu contraint, se méfiaient-ils des nouveaux venus qui souvent ne restaient guère plus de quelques semaines. Morgiane allait devoir s'affirmer rapidement, d'ailleurs, Victor ne prononça d'autre mots, la laissant intervenir à sa guise, c'était son heure, son moment de gloire et peut être déjà un tournant, un virage dans ces nouvelles fonctions ô combien importante dans la vie quotidienne du Comte de Rougelac.

C’est le cœur battant que la jeune rousse poussa la porte à double-battant qui menait vers le grand salon. Elle priait intérieurement pour qu’aucune rougeur ne colore ses joues de nacre et que nulle expression de son visage ne trahisse sa nervosité. Ainsi elle allait rencontrer tout le personnel de la Maison Rougelac. Un tel manoir comportait une nombreuse domesticité et la jeune fille se sentait quelque peu intimidée à l’idée de devoir prendre la parole devant une telle assemblée. Mais cette dernière n’avait guère le choix. Elle devait se montrer à la hauteur de la nouvelle fonction qui était la sienne. Et surtout, celle-ci n’avait qu’une seule occasion de faire une première impression.

Plutôt que de se faufiler discrètement dans la pièce, la rouquine opta pour une entrée triomphale. Comme elle s’y attendait, le grand salon était empli de domestiques et ceux-ci la dévisageaient avec curiosité. Un silencieux religieux régnait et Morgiane demeura silencieuse, tentant de ne pas se laisser impressionner par cette myriade de regards braqués sur elle. La jeune fille possédait l’allure et les compétences requises pour cette fonction mais sa jeunesse suscitait vraisemblablement bien des interrogations.

C’est alors que Victor, confortablement installé dans un fauteuil, à un endroit de la pièce d’où il pouvait observer toute la scène, prit la parole. L’homme présenta Morgiane et son nouveau rôle et cette dernière fut soulagée de cette intervention providentielle qui lui permettrait de prendre à son tour la parole.

Les domestiques s’inclinèrent respectueusement devant elle et la jeune noble leur rendit leur salut avec la grâce et la prestance due à son rang.

- Comme l’a dit le Comte de Rougelac, je me nomme Morgiane, Morgiane de Sambrelune plus précisément et c’est moi qui désormais m’occuperais de l’intendance de ce Manoir.

Après que celle-ci eut prononcé son nom, des murmures parcoururent la foule de domestiques : « Morgiane de Sambrelune ? Ne serait-ce pas la fille du défunt baron de Sambrelune ? »
L’adolescente fronça légèrement les sourcils et reprit de sa voix douce, mais d’un ton un peu plus autoritaire cette fois, afin de faire cesser les bavardages.

- A présent, puisque je me suis présentée, j’aimerais que chacun à votre tour vous avanciez de quelques pas dans la salle et me présentiez votre nom et votre fonction. Puisque nous allons travailler ensemble, il me semble normal de connaitre chacun de vous personnellement. Que celui ou celle qui le désire commence en premier.

Plusieurs domestiques du premier rang se regardèrent, hésitant, quand une jeune fille brune, aux cheveux nattés et aux yeux verts pétillants de malice s’avança en direction de la rousse et s’inclina à nouveau :

- Mon nom est Marguerite et je travaille aux cuisines comme aide-cuisinière. Je suis contente de faire votre connaissance Mademoiselle Morgiane.

- Moi de même, répondit la jeune noble en affichant un sourire.

L’atmosphère parut soudain se détendre et les membres du personnel défilèrent un par un.

Le maître des lieux assistait à la revue du personnel avec une attention toute particulière. Le moment était à la fois solonnelle et décisif pour dame Sambrelune afin d'asseoir son crédit sur les employés du Manoir. Silencieux, le Comte notait la réaction des domestiques à l'énoncé des origines de l'Intendante. Personne n'ignorait le funeste destin se cette lignée et Morgiane semblait s'être préparée à entendre les murmures parcourir l'assemblée. Cependant en qualité d'Intendante fraîchement nommée, elle se devait de faire taire toute protestation dans son oeuf et discipliner les rangs des gens qui allaient devoir obéir à ses ordres.

Le discours de Morgiane semblait rodé, il fallait tout d'abord instaurer un climat de confiance et faire naître un lien entre elle et eux, cela passait par les connaître d'avantages, marque à la fois de respect , d'intérêts mais aussi conaître leur futurs qualités et défaut. Difficilement les langues se delièrent et pas étonnant de voir la commis de cuisine faire le premier pas. Les autres suivirent à leur tour non sans un regard inquisiteur du Comte sur leur personne. Nul domestique n'offrit le moindre outrage, trop attaché à leur emploi et le salaire qui allait de surcroît.

Au bout d'une bonne demi heure, le défilé s'acheva avec le garçon d'écurie ou palefrenier puis tous reprirent leur place dans le rang avant que de Rougelac ne s'appui contre ses accoudoirs avant de se relever pour se tenir tout à côté de Morgiane. Lui tendant alors un long parchemin, il frappa ensuite dans les mains pour faire dissiper la tenue du rang.

- Allons, chacun retourne à sa tâche.

Reportant son attention sur la rouquine, il lui adressa un franc sourire.

- Belle entrée en matière, a la fois conciliante et autoritaire. Soyez intraitable, certains testerons votre autorité, vous aurez les moyens de les mater, faites en bon usage mademoiselle.

Il la laissa consulter le parchemins qui regroupait toute une liste non exhaustive de que qu'on demandait à une intendance ainsi qu'une description détaillé de ce que l'on trouvait à l intérieur et à l extérieur du Manoir comtal, du cellier au jardin en passant par la chambre nobliale ainsi que certaines habitude quotidienne du sang bleu du levé au couché.

- Bien, le Manoir est à votre main. Une affaire, comme je vous l'ai dit, m'impose de vous laisser jusqu au soir. Faite ce que je vous ai demandé. Nous referons un point au dîner.

Sur ces mots, le bruit d'un carosse parvint à leur oreille, scellant ici la fin de présence du mondain. La saluant par les gestes d'usage, il lui laissait donc les clefs de sa demeure pour ses premières heures de services.

Morgiane tâchait de demeurer sereine lors de ce défilé ancillaire durant lequel les servantes et les domestiques se présentèrent. La jeune fille pouvait lire la curiosité et la perplexité dans les yeux de certains d’entre eux. Et si certains serviteurs affichaient une expression bienveillante, d’autres manifestaient une certaine réserve voire de la défiance à l’égard de la nouvelle venue. La rousse sentit que cela ne serait guère une mince affaire que de s’imposer aux plus récalcitrants, mais celle-ci se devait d’y parvenir.

Victor, toujours installé dans son fauteuil, assistait à la scène et sa présence faisait régner une aura d’autorité que nul ne se serait risqué à contester. A n’en point douter, le Comte dirigeait sa maisonnée d’une main de fer.

L’homme lui conseilla de se montrer intraitable et l’adolescente savait qu’une fois ce dernier parti, elle serait livrée à elle-même, seule avec tous ces domestiques quasi-inconnus. Cette dernière comprit que pour s’imposer, elle devait prendre immédiatement les choses en main et se montrer ferme avant qu'il ne soit trop tard pour s’asseoir son autorité. Aux yeux de la plupart des serviteurs, Morgiane n’était encore qu’une enfant inexpérimentée, et sans doute indigne de confiance ; cependant, la jeune noble, en dépit de sa timidité, possédait une volonté de fer et comptait bien faire ses preuves.

Avant de partir, le Comte de Rougelac lui montra les parchemins où étaient indiquées les instructions nécessaires pour diriger le manoir. Morgiane s’empressa de les lire et grava rapidement les informations qu’ils comportaient avant de laisser le mondain s’éclipser et d'endosser sa nouveau rôle.

A présent, la rousse était seule avec le personnel et les bavardages commencèrent à aller bon train dès après que Victor soit sorti.

En tapant dans ses mains, Morgiane imposa le silence et leur dit de se mettre immédiatement au travail car il fallait s’acquitter des différents préparatifs indiqués. Elle prit l’un des parchemins et décida de débuter la supervision des domestiques.

- Bien puisque les présentations sont faites, nous allons nous mettre rapidement au travail. J’ai sur ce parchemin la liste des activités qui doivent être faites avant le diner.

Morgiane parcourut des yeux le parchemin et donna ses ordres, en disant qu’elle viendrait inspecter le travail sitôt celui-ci achevé.

La jeune commis de cuisine qui s’était présentée en premier vient la voir et tenta de la questionner sur ses origines noble, mais Morgiane sans se départir de sa gentillesse répondit qu’il y avait trop de travail à faire pour en discuter maintenant.

En effet, pour l’heure il n’était pas nécessaire d’aborder un sujet aussi personnel d’autant plus que sa fonction d’intendante lui imposait de garder une certaine distance. Durant tout l’après-midi, la jeune noble ne cessa pas de courir à gauche et à droite et les membres du personnel n’hésitèrent pas à la mettre à l’épreuve, afin de tester son autorité ou rechignaient à s’exécuter à cause de sa jeunesse et de sa prétendue inexpérience. Pourtant, au final, la rousse sut s’imposer et toutes les tâches demandées furent terminées à temps. La jeune fille était exténuée, mais heureuse et soulagée d’y être parvenue et d’avoir su garder son sang-froid y compris durant les moments les plus difficiles.

L’heure du diner approchait et la rouquine attendait anxieusement le verdict de Victor. Le sang-bleu se montrerait-il satisfait de son ouvrage ?