Casse-toi c'est MA cachette ! [PV : Astrid]

Manger était pour moi un combat de tous les instants. Lorsque je n'arrivais pas à dérober discrètement un poisson à Bouc noir, j'essayais d'obtenir un repas misérable à base de quelques pains vendus par des commerçants miteux du bas-port. Simple problème, ces derniers temps un groupe de petit voyous s'étaient mis en tête de me subtiliser mes bouts de pains dès que je mettais la main dessus, si bien que je n'avais presque pas mangé depuis trois jours.

Soucieux d'obtenir un repas convenable, j'avais décidé d'économiser suffisamment pour aller le savourer dans une auberge. Au moins, là-bas, on ne me le volerait pas sous le nez ! J'avais confiance dans le fait que chacun s'occuperait de son assiette ou de son verre, dans un milieu comme celui-là, et que j'allais être à l'abri.

Pour que mon astucieuse manœuvre ne soit pas repérée par les voyous qui m'avaient pris pour cible, je décidai de m'aventurer en dehors du Port, dans le Labourg. Là-bas je trouvai une auberge qui n'avait rien de fondamentalement propre, ce qui était plutôt un bon point parce que cela confirmait le fait qu'elle devait être dans mon budget.

Après m'être fait ignorer une bonne dizaine de fois par l'aubergiste occupé par la clientèle bruyante, je finis par réussir à me renseigner sur le prix des nutriments proposés. Satisfait de la somme demandée, je commandais un bol de lentilles accompagné d'un bout de pain. Un vrai festin pour moi.

Au milieu de la foule, qui occupait tout l'espace ambiant, criant, riant, festoyant, buvant, et criant encore, je finis par me faufiler en un coin de table, me faisant tout petit, assis sur le bord de la chaise pour ne déranger personne. Les autres personnes qui étaient assises à ma table ne me remarquaient même pas, je crois, alors qu'ils riaient, tapaient du poing et hurlaient.

Je me mis à manger du plus vite que je pouvais.
Parfois, je sursautais des élans oratoires de mes compagnons de tablée, mais je me rendais vite compte qu'ils ne me concernaient en rien. Alors je continuais d'engloutir mon assiette sans lever les yeux des lentilles, bourrant parfois ma bouche d'un peu de mie de pain.

Soudain un cri plus fort que les autres éclata au milieu de l'auberge :

- Fermez-la ! Vos gueules ! Je n'en peux plus de vous entendre jacter, les poivrots !

Je levai les yeux tout en continuant de manger, le bruit dans la salle diminua de plusieurs tons, avant de se changer en silence. Je vis trois personnes qui se tenaient debout, ils étaient tatoués et donnaient l'impression d'être des criminels. Leur expression trahissait la présence d'une alcoolémie conséquente dans leurs veines.

- Ouais ! dit celui de droite qui semblait être le plus saoul des trois. On en peut plus de cette auberge de merde, vous nous vrillez les oreilles, fermez-la une bonne fois pour toutes ou je bute le premier qui me passe sous la main !

- On a le droit de s'amuser quand même ! s'exclama un gros bonhomme sur ma gauche.

- Ouais ! hurlait en relative démesure un autre dans le fond.

Le compère du milieu parmi le trio, dont je reconnus à la voix qu'il était celui ayant pris la parole en premier, se justifia par une logique peu compréhensible :

- Moi je suis venu là pour me reposer alors vous fermez vos gueules. Vous ne savez pas qui je suis, moi, je vous bute tous un par un s'il le faut.

Il titubait tout en menaçant avec un petit coutelas. Je vis alors que leur groupe de malfrats - du moins je jugeais qu'ils étaient des malfrats à leur tête - n'était pas composé que de ces trois hurluberlus, mais de toute une troupe de mauvaises têtes terrifiantes qui grouillaient dans un coin de l'auberge sur deux tables séparées, et que le type qui s'énervait semblait être leur chef. Ils étaient reconnaissables par le fait que leurs habits se ressemblaient, et qu'ils avaient l'air de prendre parti pour le type du milieu.

Il n'en fallut pas plus à mon esprit vif pour me rendre compte que ça sentait le sapin.

Ni une ni deux, et avant même que les premiers tabourets ne fusent, je me carapatais de ma place, prenant avec moi mon bol, ma cuillère et mon bout de pain, pour filer à l'exact opposé de la troupe de bandits. Problème : ils étaient du côté de la porte de sortie.

Je choisis donc de m'enfuir à toute vitesse, du plus discrètement que je pouvais, vers une porte de chambre, la première qui me passait sous la main. J'ouvrais la poignée et rentrais à toute vitesse dans la chambrée, sans regarder autour de moi et en fonçant directement dans un coin de la pièce pour finir de manger - et surtout pour me cacher.

Une fois accroupi, je continuais de dévorer mon dîner, la peur au ventre et le souffle rapide, alors que de l'intérieur j'entendais les premiers bruits de bagarre.

Ça frappait, ça criait, ça tombait, ça hurlait, ça cognait. Et moi je mâchais.

Les baisers contre son cou la firent frissonner, parce que c'étaient ses préférés. En revanche il fallait qu'elle garde les yeux au moins mi-clos et qu'elle fasse l'effort de penser à quelqu'un d'autre et à un autre endroit, parce que l'homme qui collait ses lèvres contre elle ne faisait pas partie de ses préférés, lui. Il sentait le vin, son haleine, son corps entier, sa sueur même, tout empestait le vin. Si Astrid n'avait pas remarqué ses bijoux, et le bruit de sa bourse contre la table quand il s'en vantait auprès de ses amis, elle ne se serait certainement pas intéressée à ce type. Mais il avait visiblement de quoi se payer ses services, et son ego semblait disposé à croire que c'était une fierté. Avec un peu de chance il serait tellement ivre que ça irait bien vite, et peut-être même qu'il compterait mal et qu'elle se ferait payer plus cher que ce qu'elle avait demandé. C'était cette pensée, en même temps que le visage idéal qui habitait ses paupières presque fermées, qui la faisait tenir. Assise sur ses genoux, se laissant faire sans rien dire comme une jolie poupée, elle avait tout le loisir de penser à autre chose. Mais ces derniers temps sa vie ne regorgeait pas d'événements intéressants, elle n'avait rien à quoi se raccrocher d'autre que la nourriture et l'argent qui lui permettrait de s'offrir de la nourriture.
Il fallait dire que ce n'était pas non plus si évident de faire abstraction de tout. Le bruit par exemple, était au moins aussi dérangeant que l'odeur du type. Entre deux baisers ou deux caresses parfaitement déplacées, il aimait faire remarquer à ses acolytes qu'il avait ferré un joli poisson complètement sous le charme de sa superbe personne. Personne n'ignorait pourtant que le charme n'avait rien à faire là, mais les hommes ivres semblaient avoir tendance à trouver les prostituées très romantiques. Astrid ne voyait pas d'autre explication et n'en cherchait pas.
Sa prédiction se réalisa tout à fait. Le type ivre fut ravi de laisser ses amis continuer à boire sans lui pendant qu'il allait passer du bon temps. Il n'hésita pas à se vanter par anticipation de ses formidables performances à venir, ce à quoi ses camarades répondirent par des rires gras et en frappant la table. Et c'est ce qui explique qu'Astrid n'était pas dans la grande salle quand d'autres se mirent à crier pour du silence en promettant de se battre pour la paix. Son amant du soir ne l'avait pas tenue occupée très longtemps, comme elle en avait tant rêvé il lui avait donné plus que prévu, et il était tellement ravi de pouvoir aller raconter sa « soirée » à ses amis qu'il n'avait pas eu le malheur de squatter son lit trop longtemps. Sans doute serait-il trop heureux de pouvoir envoyer un tabouret, un fenouil, ou une dague dans le visage d'un autre gars qui lui aurait mal parlé dans toute cette effervescence. Mais quoi qu'il en soit, Astrid était tranquillement, nue, seule dans son lit. Elle avait de quoi manger le lendemain, elle avait ses cartes divinatoires sur la table de chevet... Les choses n'allaient pas si mal. Elle n'avait aucune envie de retourner tenir compagnie à des poivrots et chérissait au contraire la tranquillité de ces moments où tout le monde semblait avoir oublié son existence et où elle pouvait oublier qu'au final elle venait de se faire considérer comme un bout de viande.
Et si elle lisait l'avenir ? Astrid s'assit dans son lit, laissant la couverture glisser jusqu'à son ventre. Il faisait chaud, elle ne ressentait pas vraiment le besoin de se couvrir, et puis elle avait l'habitude de dormir nue de toute façon. La cartomancienne attrapa son paquet de cartes et commença à les mélanger avec soin, prête à réaliser son tirage. Elle n'arrivait toujours pas à savoir si elle y croyait vraiment elle-même ou s'il n'y avait jamais que du hasard, mais ça l'occupait et elle aimait le contact des cartes contre ses doigts. Elle aimait observer les magnifiques dessins qui y étaient peints. Astrid avait le paquet dans la main gauche, et saisissait la première carte de celui-ci de sa main droite lorsque quelqu'un ouvrit sa porte.
Habituellement les gens avaient la décence de frapper et d'attendre qu'elle ouvre ! Mais celui-ci, non content d'être entré sans rien demander à personne, ne lui dit pas un mot, s'installa dans un coin, et entreprit de continuer son existence comme si de rien n'était. Astrid en était profondément surprise et presque choquée. C'était un gamin. Il avait l'air bien jeune, elle lui donnait environ dix ans de moins qu'elle et il ne semblait pas bien méchant. Mais ce n'était pas une raison. Il était entré dans sa chambre sans son accord. Les bruits de la grande salle ne parvinrent même pas à lui faire détourner le regard de l'intrus.

-Ça va, je te dérange pas trop ?! Râla-t-elle. Elle n'avait pas pensé à remonter la couverture sur sa peau douce, blanche et surtout nue, mais elle avait lâché ses cartes. Elle saisit à toute vitesse l'unique objet restant sur sa table de chevet : Percecoeur, la dague que Viktor lui avait offerte.

J'avalai goulûment, mon attention ne s'en allait pas de mon assiette de lentilles, mais elle fut soudainement réveillée :

- Ça va, je te dérange pas trop ?!

S'exclama une vois féminine au-dessus de moi, alors que j'avais la bouche pleine. Je sursautai violemment et vit une belle femme, nue sur un lit, une dague en main. Par réflexe ma trachée avala de l'air, mais il n'y avait que des lentilles.

Je m'étouffai !

Je toussai immédiatement, baissant la tête vers mon bol, pour projeter toute ma bouchée en dehors de mes poumons. Après trois toux bruyantes, la moitié se retrouva sur le parquet, l'autre dans le bol. Je paniquai tout en ramassant vaguement quelques lentilles qui étaient sur le sol et en m'excusant en continu :

- Désolé, désolé, désolé, désolé ! répétai-je.

Mes yeux se levaient régulièrement vers la jeune femme pour se baisser immédiatement après, je sentis une forte chaleur atteindre mon visage, si bien que je compris que je devais être rouge tomate sur l'ensemble du faciès, voire bordeaux.

- Pardon, pardon, désolé, je suis désolé...

Puis ma voix se mit à balbutier un flot continu de propos que je ne contrôlais pas vraiment. J'avais peur que la jeune femme ne me tue, et en même temps j'avais du mal à comprendre l'enchaînement des événements troublants qui venaient de déferler sur moi comme jamais. Pour résumer mes propos voici les phrases importantes :

- Je suis désolé, dedans ils se tapent dessus j'ai cherché une cachette je suis venu dans cette chambre je suis désolé je n'avais pas vu que vous y étiez pardon, je suis un imbécile, je voulais juste manger mon bol et repartir moi c'est tout, je ne veux pas de bagarre, je ne veux pas profiter de vous je ne suis pas un homme qui profite des femmes je suis un videur de poisson sans argent...

Mon dos se plaquait contre le mur du fond, pendant que je récitais mon charabia, que moi-même j'avais du mal à comprendre. Je me recroquevillais et je regardai avec difficulté la jeune femme, ses yeux, sa dague, sa peau. Troublé je descendais parfois le regard sur ses seins nus et détournais immédiatement les yeux par gêne.

- Je voulais juste me cacher. articulai-je un peu plus lentement lorsque ma panique se calma légèrement, en comprenant que la jeune femme n'était pas une sanguinaire notoire.

Mon visage restait profondément chaud. Par respect je ne voulais pas signifier à la jeune femme qu'elle était nue, je préférais qu'elle le remarque par elle-même. En attendant j'essayais de garder mes yeux éloignés de ses courbes pour respecter son intimité.

Couleur de Lutan:

Astrid n'avait pas l'impression de s'être montrée plus désagréable que nécessaire pour faire remarquer à l'intrus qu'il n'était pas le bienvenu. Pourtant, il avait l'air bien plus surpris qu'il ne l'aurait dû. Quoi ? Il ne s'était pas douté deux secondes dans son petit crâne que cette chambre était possiblement occupée ? La cartomancienne ne savait pas trop ce qu'elle devait conclure de la scène étrange qui se déroulait sous ses yeux. Un gamin était entré chez elle avec un bol de quelque chose, et il était en train de … S'étouffer en la voyant ? Il toussait encore et encore, tant et si bien qu'il finit par recracher la moitié de son repas sur le parquet pourtant bien propre d'Astrid. Elle était maniaque. Elle ne supportait ni le désordre ni la saleté, encore moins dans un endroit où elle était censée dormir et où elle comptait bien pouvoir se promener nue tranquillement. Mais apparemment, même être dans sa chambre ne garantissait plus d'intimité. Elle avait une furieuse envie de le mettre dehors et de passer le balais. Mais elle continuait de tendre son bras armé vers lui, ignorant les cartes pêle-mêle sur le lit. Tentant de les ignorer. Elle n'aimait vraiment pas le désordre.

Désolé, désolé, désolé, désolé !

Elle se demandait s'il n'avait pas un problème. Pourquoi s'entêtait-il à ramasser -ou plutôt à éparpiller- sa nourriture sur son parquet au lieu de se lever comme un homme et de quitter la pièce ? Elle n'attendait rien d'autre de lui. Mais visiblement ce n'était pas dans ses plans. Astrid leva les yeux au ciel. En plus son visage était rouge, encore plus rouge que tout ce qu'elle avait pu voir jusque là. Qu'est-ce qu'il lui arrivait ? Astrid était d'accord sur un point, il était honteux d'entrer chez quelqu'un sans y être invité ! Mais il ne fallait pas non plus en faire tout un cirque. S'il n'avait pas de mauvaises intentions, qu'il parte. Et sinon, elle se défendrait.

 Pardon, pardon, désolé, je suis désolé...

Entendre les mêmes mots répétés en boucle avait quelque chose d'énervant. Astrid était d'une nature plutôt bienveillante mais elle avait saisi le message et s'il continuait ainsi, elle allait devoir lui dire clairement de la fermer cinq minutes. Et de sortir, parce qu'il n'avait toujours pas compris que c'était la marche à suivre. Enfin, il eut au moins la décence d'essayer de lui raconter la raison de sa présence ici. La prostituée ne comprit pas tout, il avait l'air bien trop perturbé pour parler correctement.

- Je suis désolé, dedans ils se tapent dessus j'ai cherché une cachette je suis venu dans cette chambre je suis désolé je n'avais pas vu que vous y étiez pardon, je suis un imbécile, je voulais juste manger mon bol et repartir moi c'est tout, je ne veux pas de bagarre, je ne veux pas profiter de vous je ne suis pas un homme qui profite des femmes je suis un videur de poisson sans argent...

Astrid se retrouvait avec un intrus à cause d'une bagarre de taverne ? Mais... ? Ne se doutait-il pas qu'il en était souvent ainsi ? Elle n'appréciait pas ça et avait souvent le réflexe de se cloîtrer dans son petit chez soi pour se faire oublier, mais elle au moins n'allait pas envahir les espaces personnels des autres ! Si au moins il avait eu la décence de frapper, de s'annoncer, de demander... C'était tellement farfelu que ça aurait pu être une combine bizarre pour la détrousser. Mais le pauvre gamin avait l'air tellement misérable dans ses vêtements sales qu'elle doutait qu'il les porte juste pour le plaisir du costume. Son histoire de videur de poisson avait l'air crédible, et il avait l'air sincèrement désolée. En fait non, il avait l'air terrorisé, et c'était bien la première fois qu'Astrid faisait cet effet à quelqu'un. Elle n'était qu'une prostituée nue tenant à bout de bras une bien belle dague dont elle ne savait pas se servir, on avait vu plus impressionnant ! Et pourtant, le petit se serrait contre le mur, le plus loin d'elle possible, Il n'osait même pas vraiment la regarder, ou en tout cas pas dans les yeux.

Je voulais juste me cacher

Ça, elle n'en doutait plus. Astrid poussa un soupir, désormais moins énervée et surprise que perplexe. Qu'est-ce qu'elle allait faire de ce gamin ? Le balancer dehors, dans la bataille ? Le pauvre allait lui faire une crise cardiaque, s'il avait eu assez peur pour se réfugier ici. Et au bruit, ils avaient l'air d'avoir commencé à s'attaquer au mobilier à côté, il n'était pas très avisé de traverser la salle en ce moment.

-Et tu pouvais pas te cacher genre, dehors ? Demanda-t-elle en cherchant à comprendre. Mais la situation n'avait pas l'air d'être compréhensible.

Elle finit par abaisser la dague, mais en la gardant toujours à porté de main. Le visage encore bien rouge du gamin lui faisait bien croire qu'il ne tenterait pas grand-chose, et Astrid se décida finalement à abréger ses souffrances. Apparemment, il ne semblait pas très à l'aise avec le fait de se retrouver face à une femme à moitié nue dans son propre lit.

-Tu sais, si ça te gêne, t'avais qu'à frapper avant d'entrer, hein. Je me serais rhabillée, tu m'aurais expliqué, et peut-être que tu serais là mais sans que je te menace avec une dague, et sans avoir renversé la moitié de ton truc. D'ailleurs, j'espère que tu vas nettoyer ça bien. Aller, passe moi ma robe. Sur le fauteuil, à droite. Ta droite. Aller, bouge !

Elle ne lui voulait pas de mal, mais le voir si perdu l'agaçait tout de même. Elle ne lui parlait pas méchamment, mais avec énergie, trouvant qu'il n'avait pas l'air de faire beaucoup d'effort pour se montrer un peu vif d'esprit.

La femme me fit des remontrances, j'eus l'impression l'espace d'un instant d'être avec ma mère ou ma grande sœur. Il n'y avait rien de fondamentalement agressif ni méchant dans sa voix, simplement une présence autoritaire maternelle qui me fit baisser les yeux de honte. Je me dis que je ne m'étais pas fait disputer aussi justement depuis longtemps, j'avais enfin l'impression de redevenir l'enfant que j'étais, et même si la femme n'était pas contente et que je semblais l'agacer, je sentis une chaleur douce en moi, une forme de joie et une sensation de sécurité. Sous son ordre je me précipitai vers la robe et je lui donnai, le visage rouge pétant. Je trouvai que le tissu sentait bon et je me rendis compte que je n'avais jamais été aussi loin dans l'intimité d'une femme, alors que je ne lui avais pas demandé. Elle était belle, comme l'océan, comme Anür, je n'avais pas le droit de lui salir quoi que ce soit.
J'étais encore plus gêné alors que je lui tendais l'habit à bout de bras en tournant la tête vers un mur pour ne pas regarder le corps de la femme, et ne pas la voir se rhabiller.

- Oui bien sûr je vais nettoyer. Si vous voulez je pourrais faire des petits travaux pour vous dédommager, je me suis déjà occupé d'une ferme je sais faire beaucoup de choses. dis-je timidement, tout en me baissant vers les lentilles qui étaient restées au sol.

Je pris un mouchoir de poche, une sorte de torchon donc je me servais pour me laver les mains, je versai sur le mouchoir une partie du contenu de mon verre d'eau que j'avais acheté avec mes lentilles et mon pain, et je frottais le tout sur le sol en ramassant toutes les lentilles et en les regroupant dans ma main pour les remettre dans mon bol. J'étais dos à la femme pendant mon travail pour la laisser s'habiller correctement. Bientôt il ne restait plus qu'une emprunte humide sur le parquet, propre parce que ça n'était que de l'eau.

A l'intérieur on entendait des cris s'élever, extrêmement forts.

- Il l'a tué ! Assassin ! Appelez la garde ! Arrêtez ce massacre ! s'écriaient les uns.

- Ils sont fous à lier ! s'exclamaient les autres.

- On va buter tous les connards de cette auberge pourrie ! hurlait une voix.

Je me tournai très rapidement vers la femme et lui dit en articulant du plus vite que je pouvais :

- Il faudrait peut-être fermer la porte à clé, vous avez une clé ? suggérai-je, les yeux grands ouverts.

Le gamin avait fini par se montrer coopératif, et il s'était dépêché de lui rapporter ce qu'elle lui avait demandé. Bien. Il n'était donc pas totalement sourd. Astrid saisit doucement la robe qu'il lui tendait, s'amusant un peu de voir le visage du garçon avec cette couleur si rouge et toute l'application qu'il mettait à éviter de la regarder. Ça n'arrivait pas si souvent.

-Merci, dit-elle faiblement alors qu'elle s'efforçait de remettre le vêtement dans le bon sens.

Il y avait certaines circonstances dans lesquelles on se souciait peu de la manière de se déshabiller en souhaitant tout simplement que les choses se terminent vite. Et s'en suivait alors de longues secondes d'énervement en tenant le bas dans une main et le décolleté dans l'autre, tout en priant pour que la robe retrouve sa forme originelle après quelques contorsions supplémentaires. Astrid ne s'occupait plus vraiment de surveiller le garçon, il n'avait vraiment pas l'air méchant.

Oui bien sûr je vais nettoyer. Si vous voulez je pourrais faire des petits travaux pour vous dédommager, je me suis déjà occupé d'une ferme je sais faire beaucoup de choses

Des travaux ? Pour la dédommager ? Astrid aurait pu rire pour se moquer, mais elle n'en fit rien. Ce n'était pas son genre. Bon, elle avait été énervée de le voir entrer comme ça, sans frapper, alors qu'elle était tranquillement sur son lit. Elle avait trouvé très agaçant qu'il n'ait pas le bon sens de faire autre chose que s'excuser en boucle. Mais quoi ? Avait-elle vraiment envie d'exiger de lui quoi que ce soit d'autre que le ménage de ses bêtises ? Pas vraiment.
Elle observait son travail méticuleux sur le parquet en même temps qu'elle enfilait sa robe. Au moins il faisait les choses bien. Elle n'aurait vraiment pas apprécié de devoir passer derrière lui pour rattraper ses erreurs ! Mais il ne laissa bien vite qu'une trace humide par terre, qu'Astrid arriverait à supporter jusqu'à ce que ça sèche. Probablement. Disons que cette fois les voix qui s'élevèrent brusquement, encore plus forte que les autres, détournèrent son attention du ménage et du garçon.

Il l'a tué ! Assassin ! Appelez la garde ! Arrêtez ce massacre !

Voilà qui n'arrivait tout de même pas tous les jours, il fallait l'avouer. Astrid comprenait également bien mieux ce que faisait le petit dans sa chambre : s'ils avaient tué quelqu'un en si peu de temps c'était qu'ils n'y étaient pas allés de main morte ! D'autres hurlèrent des choses qu'elle ne comprit pas mais en tendant l'oreille, une menace finit par lui parvenir.

On va buter tous les connards de cette auberge pourrie !

La cartomancienne était en train de se dire que ce n'était visiblement pas le moment d'aller se commander un verre de vin, quand la voix du gamin la fit reporter son regard dans sa direction. Qu'est-ce qu'il parlait vite ! Et qu'est-ce qu'il avait un air ahuri.

Il faudrait peut-être fermer la porte à clé, vous avez une clé ?
Bien sûr que j'en ai une !

Astrid lui lança un regard surpris. Qui n'aurait pas la clef de sa chambre ? Certes, elle aurait pu fermer et l'empêcher d'entrer, mais il était bien rare de toute façon qu'on tente quoi que ce soit pour la voler, et puis elle était là. Elle n'avait pas pensé se faire déranger ainsi. Finalement habillée d'une jolie robe bleu nuit serré sur elle par un corset noir tout à fait suggestif, Astrid approcha de la porte. Elle l'entrouvrit pour observer ce qui pouvait bien se passer dans la grande salle mais ça ne ressemblait plus à grand chose. Des gens hurlaient, tout le monde se tapait plus ou moins dessus, et quelques clients chanceux parvenaient jusqu'à la sortie sans se faire attaquer à coup de couverts et autres objets volants non identifiés. Elle referma la porte, qui grinça sans qu'on puisse l'entendre. Et elle tourna la clef dans la serrure pour les enfermer tous les deux.
Se rapprochant du lit, la demoiselle récupéra en premier lieu sa dague. Elle ne comptait plus menacer le garçon avec, mais hors de question de lui donner l'occasion de s'en saisir. C'était un cadeau particulièrement précieux pour elle. Une fois qu'elle l'eut rangée dans son fourreau et placé ce dernier à sa ceinture, elle s'occupa de récupérer une à une chaque carte gisant sur le lit, pour reformer le paquet originel. Et les Trois savent qu'il y en avait beaucoup !

-Donc, nous disions...

Elle réfléchit un instant, ce qui ralentit ses gestes, mais reprit.

Ah oui, tes « travaux de dédommagement ». Je vois pas vraiment ce que tu pourrais faire pour moi, petit. Et puis ça va, à part me surprendre et salir par terre, t'as pas fait trop de bêtises. Tiens toi à carreaux jusqu'à ce que ça se calme dehors, et ça ira. Ah, et touche pas mes cartes, dit-elle au cas où il aurait eu la mauvaise mais louable intention de l'aider à les regrouper. Ça fausse les prédictions si n'importe qui les tripote.

Le silence se fit, pendant qu'Astrid continuait à remettre de l'ordre. Elle tira même sur la couverture pour refaire tout à fait son lit. Là tout n'était qu'ordre, calme et propreté. C'étaient ses mots d'ordre.
En vérité, les vêtements du gamin étaient probablement ce qu'il y avait de plus sale ici.

-C'est toi qui sent le poisson comme ça, là ? Demanda-t-elle, pleine de pitié et un peu de dégoût aussi. S'il comptait rester là encore un moment, elle allait peut-être tenter l'expédition en quête d'un seau d'eau pour laver tout ça. Ça valait le coup.

Lorsque je pris à nouveau le temps de regarder la jeune femme, suite à la panique, je fus stupéfait : Elle était aussi belle et troublante habillée que nue. Mon visage gardait un léger teint rougeâtre mais j'essayai de m'habituer et me faire violence pour la regarder sans détourner les yeux, parce qu'à présent il était certain qu'elle n'attendait pas de moi que je continue d'être si pudique étant donné que c'était là l'habit qu'elle avait expressément choisi. J'essayai simplement de ne pas faire partir mon regard sur ses courbes et de toujours garder mes yeux dans les siens.

Elle refusa mes travaux de dédommagements tout en m'interdisant de toucher à ses cartes. Ça fausse les prédictions ? Elle est capable de prédire l'avenir ?
J'ouvris grand les yeux et sourit face à cette révélation, je voulais lui demander confirmation sur cette hypothèse formidable, et je levai le doigt pour m'apprêter à faire la suggestion, lorsque la jeune femme me lança :

- C'est toi qui sent le poisson comme ça, là ?

Je baissai les yeux de honte. Frottant le parquet de mon pied, les mains réunies devant moi, je me mordis la lèvre tout en cherchant mes mots. Puis je finis par avoir un léger sourire mélancolique, avant d'avouer simplement d'une voix douce :

- Oui. Je n'ai pas d'argent pour me payer d'autre vêtement, ni pour me laver ou les laver, et je passe ma journée à vider des poissons. Alors je sens le poisson.

J'avais relevé mes yeux sur elle en évoquant cette dernière évidence. Je devais accepter ma condition, je n'avais pas à passer pour mieux que je n'étais. Cette jeune femme était, certes, très belle tout en paraissant forte et rassurante, mais elle ne faisait pas partie de ma famille, et elle ne pouvait être accessible à un miséreux comme moi. Alors je n'avais pas à prétendre à un mensonge pour paraître mieux, il fallait que je sois franc.

Mes yeux partirent vers les cartes, et je m'y intéressai à nouveau alors qu'elle semblait me considérer avec du dégoût ou de la pitié - chose à laquelle j'étais habitué. Je les pointais du doigt et je demandais :

- Vous savez lire l'avenir ? Vous êtes géniale ! Je donnerai n'importe quoi pour vous voir faire ! Malheureusement je n'ai rien du tout à donner ! dis-je en rigolant et en me grattant la tête.

Mes yeux étaient devenus pétillants, un sourire d'enfant montait à mes oreilles alors que j'évoquais mon rêve :

- Peut-être que si vous lisiez mon avenir vous verriez que dans quelques années je serai un marin fort et fier comme mon père !

Et je bombai ridiculement le torse, tout en ayant conscience de mon propre ridicule, avant de rire pour me moquer de moi-même. L'autodérision était importante pour supporter la souffrance de n'être rien et l'accepter.

Oui. Je n'ai pas d'argent pour me payer d'autre vêtement, ni pour me laver ou les laver, et je passe ma journée à vider des poissons. Alors je sens le poisson.

Il avait l'air pathétique, ou misérable peut-être, à regarder par terre en avouant ça comme si c'était sa faute, et même un crime. Il était vrai que ça n'était pas la grande classe mais apparemment il n'avait pas la possibilité de faire autrement. Astrid n'avait pas l'intention de se moquer ni quoi que ce soit du genre. A vrai dire, elle avait plutôt envie de l'aider en entendant ça. Elle se souvenait bien de ce qu'elle faisait quand elle avait son âge, dans sa petite troupe de saltimbanques, et elle savait très bien que si personne ne l'avait aidée elle n'aurait peut-être même pas fini si bien que le garçon qu'elle avait sous les yeux. De toute façon, si personne ne l'avait aidée, elle serait probablement morte quand elle n'était encore qu'un pauvre nourrisson indésirable. Le gamin lui faisait de la peine.
Voyant qu'il tournait ses yeux, après les avoir vaguement redressés à la fin de sa dernière réplique, Astrid les suivit du regard jusqu'à retomber sur le paquet de cartes qu'elle avait reprit dans ses mains après sa séance de rangement. Lorsqu'elle détourna les yeux, elle aperçut que le gamin les désignait carrément du doigt d'un air intéressé.

Vous savez lire l'avenir ? Vous êtes géniale ! Je donnerai n'importe quoi pour vous voir faire ! Malheureusement je n'ai rien du tout à donner !

« Vous êtes géniale ». Astrid avait déjà rencontré beaucoup de personnes surprises ou incrédules devant ses capacités, mais c'était bien la première fois qu'on la caractérisait de « géniale » et il fallait bien dire qu'elle ne savait pas trop qu'en penser. Le garçon riait avec une main dans ses cheveux, et la cartomancienne priait surtout pour qu'il ne soit pas en train de l'infester de poux. Néanmoins elle ne dit rien parce qu'il avait l'air vraiment trop heureux de sa découverte.

Peut-être que si vous lisiez mon avenir vous verriez que dans quelques années je serai un marin fort et fier comme mon père ! 

Lui ? Un marin fort et fier ? Astrid ne parierait pas là-dessus. Cette phrase le rendait encore un peu plus ridicule, et un peu plus misérable en même temps. Il bombait le torse mais ça n'avait qu'un effet comique, et la prostituée eut bien du mal à se retenir de rire alors que le gamin, lui, n'hésitait pas.
Qu'est-ce qu'elle pouvait faire ? Lui proposer de se laver serait bien inutile s'il devait porter à nouveau ses horribles vêtements ensuite. Et vu l'apparence des dits vêtements, Astrid aurait plutôt conseillé de les faire brûler que de les laver. La crasse devrait bientôt finir par y développer une conscience propre et si sa chemise ne se transformait pas en une montagne de jus de poisson dotée d'intelligence ce serait fort étonnant.

-Passe moi ta chemise, dit doucement Astrid avec un soupir.

Il ne s'agissait absolument pas d'une question ou d'un conseil, et elle se moquait bien de la pudeur du jeune homme Mais la chemise était tellement déchirée qu'elle ne pouvait le laisser repartir comme ça, et elle n'avait aucune envie de sortir de la chambre pour chercher un seau d'eau dont le contenu ne ferait sûrement que mieux installer la crasse qui imprégnait déjà le tissu. Elle n'avait pas vraiment envie de lui proposer de lire l'avenir, elle avait déjà fait ça toute la journée jusque là pour des abrutis, mais ça ne voulait pas dire qu'elle n'était pas disposée à se montrer aimable. Elle allait lui recoudre son truc, et ce ne serait déjà pas mal.
Sans attendre les éventuelles protestations du gamin – il y en aurait sans doute-, la demoiselle passa à côté de lui pour ouvrir son armoire et en sortir une petite boite en bois. La dernière fois qu'elle s'en était servie c'était pour recoudre le bras de Viktor, mais il s'agissait avant tout d'un petit nécessaire de couture qu'elle possédait pour s'occuper de vêtements. A ce stade cependant, elle n'était même plus vraiment sûre de pouvoir faire quelque chose pour le petit.

Je vais te la recoudre. Mais si tu veux mon avis, tu ferais mieux de t'en débarrasser et d'en acheter une neuve. Et la neuve, tu la laves au lavoir ou dans un seau d'eau. Parce que là, même si j'avais un seau d'eau sous la main, je pourrais plus rien faire ! Et un marin fort et fier en guenilles, c'est pas terrible.

En rougissant, je retirais lentement ma chemise après que la belle jeune femme me l'ait demandé. J'avais tout autant honte de profiter de sa gentillesse que de me mettre torse nu devant elle. D'un autre côté, je l'avais bien vue dénudée, nous n'étions plus à ça près.

Plus la soirée avançait plus la jeune femme semblait acquérir une attention maternelle à mon égard. Cela me faisait beaucoup de bien. D'un autre côté, une boule montait dans ma gorge tout en pensant à cela, sans que je n'en comprenne la cause. Comme si je n'en avais pas le droit, comme si je ne méritais pas l'attention que la femme me donnait.

Comme si je me rendais compte, alors qu'elle me faisait remarquer qu'il aurait suffit de laver régulièrement ma chemise dans un seau d'eau pour qu'elle soit propre, que quelque chose en moi refusait que je le sois.

Je cherchais à me punir ?

Le constat me fit ouvrir grand les paupières, alors que j'avais les yeux perdus vers le mur du fond, entre une commode et le lit - en gros je ne regardais rien du tout et j'avais l'air illuminé, ce qui me donnerait surement un air bizarre.

Je cherchais à me punir d'être un lâche, d'avoir laissé ma mère et mon frère mourir. Je ne méritais pas l'amour d'une mère, je ne méritais rien d'autre que de continuer à me faire exploiter, voler et frapper. Je méritais d'être crasseux, je souhaitais l'être, parce que c'était la vision que j'avais de moi-même.

C'est pour cette raison qu'une gêne intense m'habitait alors que je tendais non sans hésitation ma chemise à la jeune femme.

- Vous êtes... Trop gentille, avec moi. lui avouai-je tout bas, tout en lui amenant doucement l'objet.

Je ressentais une envie de partir, de sortir pour me faire frapper ou tuer, plutôt que de laisser la jeune femme perdre son temps à s'occuper de la chemise crasseuse d'un miséreux. Je ne méritais pas son attention, je n'avais pas le droit d'en profiter. Je souriais tristement :

- Je ne fais que vous importuner avec mon odeur et ma saleté, je devrais partir, vous ne devriez pas vous occuper de ça.

Mes yeux se levèrent alors vers elle, une détermination brute naquit dans mon regard, je ne me reconnaissais pas moi-même, alors que ma voix dit avec certitude :

- Je vous revaudrait ça, je viendrai vous aider un jour ou vous en aurez besoin, je deviendrai fort pour pouvoir le faire, je vous le promets.

J'avais perdu trop de temps à m'occuper de mon propre sort, il était temps pour moi de m'occuper de celui des autres.

HRP:

-Vous êtes... Trop gentille, avec moi.

Astrid ne savait pas bien ce qu'elle pouvait répondre à cela, et elle se contenta de saisir le vêtement que le gamin lui tendait après l'avoir timidement ôté. Était-ce vraiment "trop gentil "? Elle n'avait fait que proposer de recoudre ses haillons, voilà qui ne lui coûterait pas grand chose même en terme de temps. Le gamin lui faisait pitié, voilà la principale raison de cette aide qu'elle lui offrait, et elle n'était pas sûre de vouloir le lui dire. Son sourire triste suffisait à dire qu'il avait conscience de sa situation, et c'était surtout ça qui faisait de la peine à la cartomancienne.

-Je ne fais que vous importuner avec mon odeur et ma saleté, je devrais partir, vous ne devriez pas vous occuper de ça.

Oh, elle savait très bien ce qu'elle voulait lui dire. Elle allait lui expliquer qu'elle avait bien remarqué que si elle ne s'en occupait pas personne ne le ferait, et qu'elle avait envie de l'aider. Peut-être, s'il insistait, lui parlerait-elle de ses propres épreuves qui la poussaient également à ne pas laisser sans aide un gamin comme lui. Mais le gamin avait une étincelle nouvelle dans le regard, qui incita la prostituée à se taire. C'était presque bizarre, la manière dont il la regardait dans les yeux alors qu'il l'avait toujours évitée jusque là. Elle fronça les sourcils, surprise.

- Je vous revaudrait ça, je viendrai vous aider un jour ou vous en aurez besoin, je deviendrai fort pour pouvoir le faire, je vous le promets.

L'aider ? Astrid ne voyait décidément pas en quoi il pouvait lui être utile, même en étant plus fort. Peut-être, un jour, trouverait-elle un moyen de lui permettre de payer cette dette minuscule qu'il semblait prendre très à coeur. Mais le plus probable était sans doute qu'elle l'oublie. La demoiselle n'était pas spécialement rancunière ni profiteuse, si le gamin ne lui rendait pas service en retour elle ne lui en voudrait pas et n'y penserait de toute façon plus.

- Aide toi toi-même, déjà, ça me fera plaisir, répondit elle doucement alors qu'elle se décidait à s'installer sur son lit avec ses affaires de couture, prête à entreprendre son ouvrage.

Elle posa la chemise à côté d'elle, fouillant dans la petite boîte en bois à la recherche de la bonne aiguille et du bon fil. Même si au fond, vu l'état du vêtement, faire un mauvais choix ne serait pas vraiment catastrophique. Les bruits de la grande salle continuaient, les gens se disputant au sujet de leurs responsabilités respectives dans la sombre tournure qu'avaient prise les événements. Astrid était finalement heureuse d'avoir de quoi s'occuper, parce qu'elle n'aurait probablement pas réussi à dormir avec ce bruit de fond qui ne ferait que s'amplifier jusqu'à l'arrivée de la milice. Et puis, il y avait le gamin, avec qui elle pouvait toujours discuter.

- Comment tu t'appelles? Demanda-t-elle alors qu'elle entamait vraiment la couture.

Elle aurait peut-être dû commencer par là un peu plus tôt, en fait. Généralement on posait cette question avant de demander à quelqu'un d'enlever sa chemise, mais disons que pour Astrid ça n'était pas choquant de voir un homme torse nu sans connaître son identité. Et puis, ce n'était qu'un gamin. Elle était plus ennuyée à l'idée que ses mains sentent le poisson à la fin de sa réparation que par l'ignorance du prénom du petit.

- Qu'est-ce que t'es venu faire par ici ? Je t'ai jamais vu avant, et le port est pas à côté!