La magie de ce monde. (PV Astrid la douce)

Astrid s'ennuyait. Les clients ne se bousculaient pas, ce qu'elle craignait depuis quelque temps commençait à se produire. La cartomancie était faite pour être un art éphémère, une ou deux journées dans un village avant de planter la tente ailleurs voilà ce qui intriguait les gens. Avoir une divinatrice sous leurs yeux en tout temps brisait peu à peu l'intérêt de la nouveauté et du mystère. On venait la voir une fois, ou peut-être deux, et ensuite on l'oubliait, on n'y faisait pas attention, et ses revenus diminuaient. Obligée de compter sur sa deuxième activité, la prostitution, Astrid voyait ses jours s'assombrir. Elle aurait aimé trouver un métier honnête à exercer qui lui permette de gagner son pain mais elle ne savait rien faire d'autre, à part chanter, danser, jouer quelques fables ou petites pièces apprises du temps de sa troupe. Rien qui puisse la sauver de la misère. Alors elle cherchait en vain des pistes de reconversion au fond de sa tente, attendant en même temps qu'un client daigne se présenter et qu'elle puisse travailler un peu.
Mais la personne qui entra n'avait pas du tout l'air d'un paysan s'inquiétant de la Fange ou d'une fillette amoureuse cherchant à savoir si le grand amour viendrait bientôt. Il n'avait absolument pas l'air de vouloir connaître son avenir. A quoi Astrid le voyait ? Il portait une armure. Même s'il n'avait pas sur lui le symbole de la milice, recevoir un homme d'armes ainsi vêtu dans sa tente était tout à fait effrayant.
Astrid essaya bien de se rappeler de Viktor, son ami chevalier qui détestait sortir sans armure, ou de Julius qui avait été des plus sympathiques avec elle. Mais les contes de son enfance à propos des chevaliers étaient tous sombres. Ils racontaient toujours des histoires d'injustices profondes empirées par l'avarice ou la violence d'un chevalier, ou de pauvres demoiselles déshonorées. Bon, la prostituée n'avait plus grand chose à perdre d'un point de vue de l'honneur. On la considérait à moitié comme une sorcière bien qu'elle croie aux Trois, et la prostitution n'attirait que très rarement l'estime des gens. Ça ne l'empêchait pas de se sentir terrorisée. Sa main descendit naturellement toucher la garde de Percecoeur, la dague offerte par Viktor, mais en toute discrétion. De toute façon elle ne savait pas s'en servir, et la pauvre lame ne parviendrait certainement pas à égratigner l'homme sous l'armure. Vu son emblème elle déduisait qu'il était noble. Que pouvait-il faire ici ? Que pouvait-il lui vouloir ? L'homme devient en tout cas bien voir qu'elle était... Tendue. Astrid sentait qu'il la regardait, qu'il la détaillait, et les secondes de silence lui parurent durer au moins trois éternités.

Bonjours. Puis-je savoir ce que vous faite ici Lady?

Ce qu'elle... Faisait ? Elle avait pourtant une pancarte à côté de l'entrée, un morceau de bois où un jeu de carte était peint ainsi que quelques pièces représentant le coût de la divination. N'avait-il pas compris ? Impossible. N'avait-il pas vu ? Peut-être. Mais la cartomancienne n'y croyait pas. C'était probablement un contrôle. Peut-être voulait-il entendre de sa bouche qu'elle lisait l'avenir pour la traiter d'hérétique et la livrer aux prêtres. Elle posa ses deux mains sur la table, dans un geste qui voulait surtout prouver qu'elle ne tentait rien de menaçant. Mais ses mains, ses bras, ses doigts, elle tremblait de se retrouver ainsi seule devant un noble en armure dont elle ignorait toutes les intentions.

-Bonjour... Elle avait une voix douce, mais on ne pouvait pas vraiment dire qu'elle était calme. La peur, ou au moins l'angoisse, devait y transparaître allègrement. Je.. Eh bien... Je suis... Cartomancienne... Sa voix s'étouffa sur ce dernier mot. Qu'allait-il se produire maintenant ? Était-ce la « bonne » réponse ?

Astrid baissa la tête, ses longs et jolis cheveux bruns lui cachant le visage et la vue en même temps. Devrait-elle essayer de fuir ?

Elle vit un mouvement à travers le rideau brun que formaient ses cheveux devant ses yeux. Le chevalier levait les mains. Astrid redressa un peu la tête, pour apercevoir qu'il n'était pas armé. Enfin, si, il était armé mais il n'avait pas l'air de vouloir se servir de son arme. Un peu comme la cartomancienne, qui gardait ses mains bien en évidence sur la table et ne se saisissait pas de sa dague. Ce serait inutile et ridicule, elle n'avait pas besoin de ça. Elle remarqua alors que l'homme, qu'elle trouvait menaçant, arborait un petit sourire. Allait-il enfin lui expliquer ce qu'il lui voulait ?

Et Bien lady cartomancienne, je suis le chevalier Salvador de Daragonne et j'aimerais simplement parler avec vous... 

Elle haussa un sourcil intrigué. Sa voix n'était pas intimidante, il parlait doucement et ne semblait pas lui vouloir de mal. Etait-ce un piège ? Elle était obligée d'y penser. C'était ce genre de réflexes de pensées qui lui avaient permis de survivre jusque là en un seul morceau, et il était normal qu'elle ne se laisse pas amadouer par un petit sourire et une voix sympathique. « Parler avec vous ». Pour dire quoi ? Elle craignait les réprimandes, les amendes, les menaces, les coups. Comment savoir ce qu'il allait vouloir lui dire, une fois qu'elle baisserait sa garde ?
Elle sentait qu'il l'observait, qu'il ne la lâchait pas des yeux. A quoi s'attendait-il ? A ce qu'elle lui saute dessus. Elle en serait incapable, mais il était vrai qu'il ne pouvait pas le savoir. Alors le chevalier approchait encore et encore, ce qui ne calmait pas du tout l'angoisse de la demoiselle. Elle s'efforçait au moins de contenir ses tremblements, et elle ne fit aucun mouvement particulier. Mains sur la table, toujours. Elle ne tripota même pas un bibelot ou une carte.

Je parcoure ses rues depuis plusieurs mois maintenant.... depuis que la fange a envahie les rues en fais... et je m'étonnais simplement de ne jamais vous avoir vue jusqu'à maintenant...

Il ne l'avait jamais vue ? Le visage de la cartomancienne ne masqua pas sa surprise. Effectivement c'était étrange, elle était à Marbrume depuis longtemps maintenant, et c'était même ce qui causait plus ou moins sa ruine. Seulement elle déplaçait régulièrement sa tente et même si c'était peu probable il fallait croire que c'était ces petits déplacements qui avaient fait qu'il ne l'avait jamais croisée.
Astrid ne se sentait pas vraiment rassurée, mais s'il ne l'avait jamais vue il y avait fort à parier qu'il ne venait pas lui chercher des ennuis. Effectivement il pouvait mentir, mais en tant que bonne menteuse la cartomancienne l'aurait sans doute remarqué. Elle ouvrit la bouche, chercha quelque chose à dire, et préféra commencer par quelque chose de simple.

-Astrid. Je m'appelle Astrid, dit-elle tout bas comme si c'était un secret. Évidemment ça n'en était pas un mais elle était toujours sous le coup de l'émotion, et elle n'était même pas persuadée d'agir de la bonne manière. Peut-être signait-elle son arrêt de mort sans même le savoir. Au moins elle répondait presque poliment au fait que le chevalier s'était présenté. En revanche elle ne pouvait pas lui faire le plaisir de décliner son identité complète : elle n'avait pas de nom de famille. S'il insistait elle lui donnerait son surnom mais elle ne pourrait rien faire de plus. Elle espérait qu'il ne poserait pas la question parce que ce serait terriblement gênant. Je bouge ma tente de temps en temps, je change d'endroit. Mais je suis à Marbrume depuis un moment maintenant, c'est étrange que vous ne m'ayez pas vue j'imagine.

Surtout qu'il aurait pu la croiser dans d'autres conditions, comme à l'auberge où elle dormait et effectuait son deuxième travail, tout aussi peu avouable que le premier.

-Puis-je faire quelque chose pour vous chevalier ? Demanda-t-elle doucement. Peut-être que si elle se montrait aimable elle n'aurait pas de soucis. Elle releva doucement ses magnifiques yeux bleus jusqu'à croiser ceux du chevalier mais les détourna bien vite. Il valait sûrement mieux faire profil bas tant qu'elle ne savait pas mieux ce qu'il lui voulait. Une prédiction ? Un témoignage pour un crime dont il aurait eu connaissance ? Elle était bien placée pour connaître de nombreux petits secrets, et pour entendre sans être soupçonnée ou vue à l'intérieur de sa tente. Elle imaginait nombre de scénarii, sans savoir ou sans croire que seul le hasard semblait avoir guidé monsieur le chevalier jusque là...

Et bien, je suis étonné de ne jamais vous avoir croisé dans ce cas, mais je suis sûr qu'il ne s'agit que d'un hasard que je vais m'empressez de corriger

S'empresser de corriger ? Ne venait-il pas de la faire ? Maintenant ils connaissaient chacun l'existence de l'autre et Astrid apprécierait que la discussion s'arrête là. Avant les ennuis, avant les remarques désobligeantes. Elle avait l'habitude. Les choses commençaient parfois plutôt bien mais tout finissait de travers. Elle ne dit rien, puisqu'il n'y avait rien à dire, et se contenta d'observer le chevalier qui sortit sa pipe tranquillement et s'assit sur la chaise vide.
Astrid commençait à se détendre. S'asseoir, sortir sa pipe et l'allumer... S'il était venu la chercher pour la faire croupir au fond d'une cellule il aurait sauté cette étape et ne s'installerait pas tranquillement comme si de rien n'était. Il attirait alors la curiosité de la cartomancienne.

J'aime dire que je connais tous ceux qui habitent ce quartier, alors j'aimerais que ce soit aussi votre cas. Pourquoi ne pas me predire mon avenir, c'est bien ce que les gens comme vous font, n'est-ce pas? A moins que vous offriez d'autre genre de service.

La cartomancienne se demanda si par « d'autres genres de services », le chevalier tentait de lui indiquer subtilement qu'il avait compris sa deuxième profession. Astrid n'avait aucune envie de l'annoncer à haute voix. Ses vêtements qui laissaient voir beaucoup plus qu'une honnête dame ne le voudrait étaient des indices suffisants. Et puis quoi ? Il changerait d'avis et troquerait la divination pour autre chose avec le simple prétexte de vouloir la connaître ? Non. Enfin, peut-être, mais s'il le faisait il ne ferait que renforcer le très mauvais a priori qu'elle avait au sujet des hommes d'armes.
Il passa sa main vers sa ceinture, et Astrid ne put pas s'empêcher de suivre son mouvement du regard, comme pour vérifier qu'il n'allait pas sortir une arme et la menacer. Elle voulait bien se détendre un peu mais elle restait méfiante. Le chevalier sortit néanmoins quelque chose qui n'avait rien à voir : des pièces. Des pièces d'or. Le chevalier payait ses services par avance. Astrid détestait ça.
Enfin, ce qu'elle détestait surtout c'était qu'on la paie plus que le tarif demandé. S'il était bas c'était pour éviter que les gens mécontents ne viennent réclamer leur argent. La somme insignifiante apaisait leur colère, même si elle se trompait ils ne songeaient pas à la vengeance et c'était mieux ainsi. Mais qui ne reviendrait pas la voir pour trois pièces d'or ? Personne ne perdrait cette somme sans sourciller.

-Eh bien oui je... Je lis l'avenir dans les cartes.

Elle indiqua son paquet de cartes, qui traînait sur la table. Ensuite, elle le prit entre ses mains et commença à les mélanger avec application, comme toujours. C'était l'étape la plus importante du tirage, l'étape pendant laquelle la devineresse s'accordait avec les cartes, l'étape qui garantissait la véracité de la prédiction ensuite. Astrid gardait un œil timide sur le chevalier, espérant qu'il ne s'agissait pas d'une ruse quelconque. Lui proposer autant d'argent la rendait encore plus méfiante. Une fois, un baron lui avait offert une pièce d'or pour une simple nuit en sa compagnie et elle avait déjà trouvé ça très exagéré. Alors trois ?

-Il faut que vous posiez une question. Que voulez-vous savoir ?