Tout est question de discretion. [Denea] [Terminé]

Si y'a bien trois types de personnes que je respecte par défaut, ce sont mes commandants, parce que je veux pas finir pendu, les nobles, parce qu'ils sont riches et les rebouteux, vu les services offerts par ces dernier. Ce qui m'avait conduit a frapper limite doucement a la porte de l’échoppe de l'herboriste. Oui oui, doucement. Comme toquer a la porte, au lieu de la defoncer du plat de la main comme a mon habitude. A ça, j'avais l'air fin, avec ma calotte d'acier entre les mains, m'étant découvert avant même d'entrer pour la seconde fois de l'année, c'est dire.
Et attention, pour la troisième fois en vingts ans, j'étais tout seul ici. Faut dire, je ne venais dans ce coin que pour une seul genre de truc, qui n'était pas franchement dans le genre publique.

Faut dire, d'un coté, le quartier était pas choucard et même un type comme moi ne descendait pas ici sans une bonne escouade pendant le service. Pas qu'une fois qu'un grouillot enragé avait décidé que la Milice était responsable de ses emmerdes. J'vous jure, y'a de ces ahuris parfois. Bon, en règle générale, quand moi et les gars ont fait un petit tour ici, les truands locaux gardent la tête dans la fange sagement. N’empêche, la prudence empêche de finir le fossé. Mais pour le coup... l'affaire demandait un poil de discrétion... enfin, de confidentialité dirons nous. Donc personne pour me tenir compagnie. Pas une situation agréable.
L'affaire en question était grosso merdo ce que j’appellerais une précaution. Un petit questionnement concernant la partie la plus sensible de mon anatomie. Rien de bien méchant, mais les principes sont ce qu'ils sont. Et la chaude-pisse est une sacrée pourriture, soyons franc, autant faire son possible pour l’éviter non?

Je m'étais donc éclairci la voix un bon coup, envoyé un glaviot gênant sur le pavé avant de pousser la porte, sans attendre de réponse de l’intérieur, et même fait un coup de raclage de semelles pour pas en mettre partout. Et ouais, je fait toujours les choses a fond quand je veux faire bien. D'autant que j'étais la sur la recommandation d'un ami, qui tenait ça d'un collègue ayant eu besoin de conseils, enfin, voyez le genre. Limite naturellement je rentrais le ventre, histoire de sembler un peu moins... en goguette en fait. Certes, je venais en tant que client, mais quand même, la demoiselle avait pas forcement a le savoir d'entrée. J'pourrais p'tete y éviter de verser une paire de pièces d'argent au résultat.

"B'jour l'dedans, Milice! C'bien ici le coin d'la rebouteuse aux herbes?"

Oui, précision et concision, le ton tonique et imposant. Façon intervention. C'est tout moi ça. En plus, ça allait avec l'uniforme. Question de prestige. Au cas ou, je gardais la main sur ma fidèle matraque, par mesure de prudence, laissant planer mon regard sur l’échoppe. Par les couilles de Serus, ça sentait pas comme dehors en tout cas. Mieux en fait. Une bonne chose. Le dernier sentait le fangeux cuit. Pas une odeur qui donne envie.

Dans la boutique, tout n’était pas calme, un ouvirer travaillant sur un chantier naval s’était méchamment ouvert le bras et avait été amenée à Denea dans l’urgence. Il avait déjà fallu nettoyer la plaie à l’eau bouillie puis passer une teinture à base de sauge, pour désinfecter sommairement la blessure pendant qu’un file et une aiguille trempaient dans le l’alcool. Puis il avait fallu passer dans le vif du sujet.

Déjà que se faire recoudre n’était pas une expérience très agréable, mais en plus l’aiguille de l’herboriste commençait à se faire vieille et ne rentrait pas très bien dans la chaire. Pendant que la tenancière s’afférait, Beth, ce qui pouvait se rapprocher de son apprenti, observait en silence retenant ce qu’elle pouvait, épongeant parfois le sang devenant gênant.

La suture était presque terminée quand on entendit frapper. Les deux femmes et le blessé se trouvaient dans l’arrière-boutique.

« Va ouvrir et appel moi que si c’est important, sinon fait patienter quelques minutes. »

Mais lorsque que Beth arriva dans l’officine, il y avait déjà quelqu’un, un homme imposant, qui tenait ce qui ressemblait à un casque dans sa main et qui avait la main posée sur une matraque. Il se présenta comme étant de la Milice.

« Denea, c’est la Milice, je fais quoi ? »

La jeune femme soupira, s’était fatigant parfois de devoir surveiller une gamine. Elle demanda à l’homme qu’elle soignait de tenir un linge sur sa plaie, avant de se passer les mains dans une bassine d’eau. Passant la porte qui séparait l’arrière de l’avant de la petite échoppe, l’herboriste essuya ses mains sur une lingue qu’elle posa sur le comptoir.
L’homme a l’entrée de la pièce était plutôt imposant, personne n’aurait pu remettre en cause son appartenance à la Milice. Il avait la gueule d’un type sur lequel on avait trop frappé et qui surement en avait frappé par mal en retour.

« Tu te dépêches de mettre le cataplasme, celui qui est sur la table, tu le fais payer et après vous vous en allez. Oublie pas de lui dire de revenir dans huit jours pour enlever le fil qu’il a dans le bras. »

On ne savait jamais ce que ça pouvait être avec la Milice, enfin surtout le milicien en fait, et elle préférait que Beth ne soit plus dans les parages si ça commençait à virer au vinaigre.
S’exécutant l’adolescente s’éclipsa sans demander son reste, elle avait appris depuis longtemps à ne pas contredire sa bienfaitrice.

« C’est moi l’herboriste. En quoi je peux être utile à la Milice ? »

Son ton était neutre, légèrement amical, même si elle se méfiait de l’homme en face d’elle. Le tout étant de ne pas le faire sentir.
Dans la pièce d’à côté on entendit un gémissement plaintif. On devait avoir un peu trop serré le bandage.

Denea refit un pli avec les manches de sa robe, elle préférait avoir les mains bien dégagées quand elle travaillait, même quand elle ne devait pas recoudre quelqu’un. Ses cheveux étaient attachés en hauteur, mais au fil de la journée quelques mèches avaient repris leurs droits et tombaient çà et là, certaines avaient été placées derrière l’oreille pour ne pas gêner la vue.

Quelque instante plus tard le blessé passa la porte tenant son bras meurtri. Il remercia la jeune femme avant de s’en aller. Beth fit de même après avoir déposé une poignée de pièces sur le comptoir.

Ça, c'était une bonne question tiens. Je reconnais, j'avais pas été super prévoyant pour le coup, n'ayant pas pensé a comment j'allais tourner ma requête a l'herboriste, même pas sur de la trouver de toute façon. Ce qui avait laissé passer un moment de flottement, ou je réfléchissais plus que je m’intéressais au reste, y compris a la gamine qui m'avais accueilli de base ou du type au bras blessé. Devait s’être bien ouvert tiens.

Pour donner le change, parce qu'il faut rester imposant, tout de même, je promenais mon regard sur l’échoppe et sur l'herboriste, le regard un peu éteint par la réflexion. J'suis pas le plus doué pour le multitâches, je reconnais humblement. Tres loin de la vieille sorcière rabougrie que j'aurai cru de prime abord d'ailleurs. Assez loin d'ailleurs pour en être pas si désagréable a regarder, même dans le style strict adopté. Bonne femme étonnante tiens. Comme quoi, le collègue aurait p'tete du préciser ce point la.

Pensif, je faisais jouer par réflexe mes doigts sur la poignée de la matraque, attendre que tout le monde parte m'arrangeant a tout les niveaux, autant pour trouver comme tourner ça que pour discuter tranquillement. J'aurai pas aimé qu'on laisse échapper un rire malencontreux. Ça aurait pu me mettre en rogne.

"Vous avez un truc pour prévenir de la chaude-pisse?"

Je l'ai dit, précision et concision sont mes maîtres mots avec un rebouteux. D'autant que je n'avais pas d'idée de comment tourner ça autrement de toute façon. C'est pas le sujet le plus discuté de la création aussi faut dire. Enfin, j'ajoutais quand même quelques détails, histoire de, avant qu'elle hausse le sourcil. Pas l'envie qu'elle pense que j'avais cette connerie tout de même, question de dignité. Oui, Dignité.

"Un collègue a moi a récupéré cette saloperie dans un des bordels du port et vu qu'j'prefère être prudent avec ce genre d'merdier, j'aimerai savoir si vous avez une herbe ou un truc pour se prémunir, voyez?"

J'accompagnais le tout d'une regard très éloquent, du genre a prévenir que toute réaction non professionnelle serait très mal perçue. Une de mes grandes spécialités le regard d'avertissement. Dans le genre a finir a coup de casque dans le pif si la réaction n'est pas dans les critères acceptables. Je respecte les rebouteux, mais a condition que tout reste dans le champ "médical". Faut pas abuser non plus.

D'autant que bon, venir consulter une bonne femme comme ça pour une histoire de maladies vénériennes... J'allais avoir une petite discussion avec mon collègue en rentrant tiens. Une de celles qui nécessitent un peu d'intimité voyez?

L’homme sembla cherche ses mots, regardant partout dans la boutique, comme si il essayait de trouver un moyen élégant de formuler la chose. Il regarda les deux personnes sortir avant de se lancer.
En entendant l’objet de la visite du Milicien, l’herboriste réprima un rire, mais elle ne put s’empêcher d’afficher un sourire amusé. Au moins, ça l’avait détendu, il venait simplement pour ça. Ce n’était certainement pas la première fois qu’on lui demandait une telle chose, et à chaque fois il y avait ce genre d’appréhension.

« On peut pas la prévenir, mais elle met en gros une semaine à se développer à peu près, donc je peux vous donner le traitement et vous le prendrez si vous avez un doute sur la donzelle. »

Enfin, traitement, s’était mieux que rien, mais s’était pas d’une efficacité fulgurante. S’était au moins plus ou moins responsable de sa part d’essayer ça éviterait peut-être à une fille ou deux de pas la chopper. Sur toute la population de prostituées de Marbrume, ça faisait pas grand-chose, mais s’était déjà ça !

« Vous prendrez de la bruyère, et de l’ail en tisane trois fois par jour en buvant toute la tasse, même les morceaux. Sinon ça sera moins efficace.
Je dois vous prévenir aussi, que la plante que je vais vous donner va vous faire beaucoup pisser. »

Ça sentait pas la rose l’ail chauffer, puis s’était pas terrible comme ça en infusion nature. Après, il fallait bien avouer que peu de remède était bon, ou ne serait-ce que pas désagréable à prendre. S’était le prix à payer pour rester en relative bonne santé.

« C’est pas que ça m’intéresse vraiment, mais c’est pour la quantité de bruyère à prendre. Vous fréquentez beaucoup les bordels ? »

Elle n’avait vraiment pas l’air concerné. D’ailleurs, elle ne regardait même plus son interlocuteur, elle cherchait un pot sur les nombreuses étagères de la boutique. Il était tout en haut sur un endroit qui n’était pas facilement accessible, il faudrait qu’elle pense à la descendre.

« Vous pouvez me l’attraper s’il vous plaît? J’ai peur de le faire tomber. »

La jeune femme avait un air un peu embêté, montrant un pot en particulier. Elle serait bien monter sur un tabouret, mais il était un peu bancal et elle n’avait pas vraiment envie de se ramasser devant quelqu’un.

Erk... Ail et bruyère, morceaux compris... Déjà que ce n’était pas tellement mon truc de base l'ail... J'allais vite fait le faire disparaître de mon alimentation tiens. D'autant plus que l'odeur de ce truc en train de chauffer. Et on ne parlais même pas du fait de risquer d'aller devoir régulièrement pisser... J'aurais pu froncer des sourcils sévèrement si la question piège n'avait pas été posée. Fréquentation des bordels.

Large question, ou mon premier réflexe avait été de diminuer la chose. M'enfin, heureusement pour moi, j'avais changé d'avis juste avant d'ouvrir la bouche, la p'tite dame ne paraissant pas méchante et plutôt portée boulot que ragots. Un bon point pour cette dernière. Et puis... pas assez de cette saloperie a boire et s'était le risque de finir avec une vilaine infection la ou il faut pas.

Je lâchais un petit soupir avant de répondre, plus résigne qu'autre chose. Ce qu'on doit pas faire pour éviter les emmerdements parfois... Faudrait aussi dire un mot a la patronne de son bouge pour que les filles pensent un peu a éviter ce genre de maladies. Comme quoi, l'allait falloir sacrement discuter en rentrant.

"J'dirais qu'ca dépend des cas, j'suis pas très souvent en ville ces derniers temps. Mettons deux fois de la semaine, en règle générale?... Ça va faire beaucoup de bruyère hein?"

J'esquissais un pauvre sourire, pas tellement mon truc, envisageant déjà de gober des herbes au kilo, me tirant un raclement de gorge irrité a l'idée. Quelle connerie c'te maladie quand même... Niveau fléau, je préfère encore les fangeux a ça.

J'redressais la tête a sa question, avisant le pot en question, en effet gentiment en hauteur comme il faut pour être hors de portée. Pas mauvais bougre quand même, d'autant que ces bonnes grâces pouvaient avoir de la valeur, j'opinais du chef en allant chercher le pot en question, quitte a etre grand, autant s'en servir.

"Et juste pour rire, c'quoi c'pot la? Mandragore et herbes aux sorcieres?"

Une plaisanterie très calculée pour le coup. De un, elle donnait pas l'air d'un poil d’être une des vieilles tarés qui font bouillir des trucs pendant des jours. De deux, ça permettait de passer a autre chose que ma routine de fréquentation des bordels. Et de trois... et beh, qui n'aimes pas une petite blague pour détendre l’atmosphère?

"Et d'ailleurs, ça va me coûter combien vot'truc la?"

Pas que je suis près de mes sous, mais en tant que milicien, le budget est plutôt serré sans extra et en ce moment... c'était un peu vache maigre depuis l'affaire avec le sergent. Connerie tiens, j'en esquissais même un rictus peu commode.

Deux fois dans la semaine s’était déjà pas mal, pour lui faire comprendre, la jeune femme fit une grimace plutôt explicite. D’ailleurs, elle fut surprise par l’apparente honnêteté de l’homme. Beaucoup auraient essayé de tricher en diminuer leur nombre de fréquentations, même si ce n’était pas vraiment dans leur intérêt.

« Ça aurait pu faire plus … »

Se contenta-t-elle ajouter sobrement. Si il préférait trouver du contact humain auprès d’une professionnelle ce n’était pas les oignons de Denea. Le Milicien ne semblait pas vraiment ravi de devoir ingérer le remède, mais il fallait savoir ce qu’il voulait.

Après lui avoir attrapé le port de Bruyère, il fit une petite blague sur ce que pouvait bien contenir la jarre d’à côté. Elle fit sourire la jeune femme, ce n’était pas dit avec mépris, comme pour beaucoup qui la prenait vraiment pour une sorcière, une espèce d’empoisonneuse.

« Presque, c’est de l’écorce de saule, bien préparé, c’est un antidouleur plutôt efficace. »

Ajouta-t-elle avec un certain entrain.

Puis vint la question qui fâchait en ce moment, le prix. A la tête qu’il tirait elle comprenait bien que son budget était un peu serré. Même si il n’avait pas vraiment l’air nécessiteux. Mais après tout elle ne savait pas vraiment ce que ça gagnait un garde donc bon pourquoi ne pas y croire.

« L’ail c’est encore facile à trouver, mais la bruyère ça se fait plus rare… »

Sous-entendu : ça va pas être vraiment donné. S’était pas pour embêter son monde, mais il fallait bien vivre. Surtout que pour sortir et cueillir il fallait payer des types pour assurer une relative protection et éviter de se faire manger par les fangeux.
L’idée germa dans son esprit. Quelques instants au part avant le milicien lui avait dit qu’il n’était pas souvent en ville.

« Vous n'êtes pas très souvent en ville parce que vous sortez ? Vous êtes de ceux qui explorent hors des murs ? »

Si vraiment la somme devenait trop élevée, elle pourrait peut-être lui proposer un arrangement qui satisferait tout le monde. Si il était souvent hors des murs il devait avoir l’habitude des dangers qu’on trouvait dans les marais ou plus simplement dans les alentours de la cité.

Attendant une réponse de son interlocuteur Denea ouvrir un tiroir et en sort un sac de tissu un peu usé. Elle ouvrit alors le port de terre qu’elle avait posé sur comptoir, il s’en échappa une odeur d’herbe séchée.

Par défaut, j'avais haussé les épaules a sa remarque. Faut dire, j'avais pas tellement l'habitude de me montrer honnête avec la plupart des gens et je faisais ça seulement ça pour éviter le pire. Mais c'est vrai, en période de vache maigre, on réduit aussi ses petits plaisirs, a mon grand regret.

D'autant plus qu'elle avait au moins souris a la plaisanterie, la prenant bien, ce qui détendait un chouia l’atmosphère. M'enfin, jusqu’à son sous-entendu "subtil" dirons nous sur le coup du remède. Sainte Trinité, c'était que des herbes non? Ça allait pas non plus coûter un avant-bras, faut pas déconner. Mais visiblement, a l'expression sérieuse de l'herboriste, si, ça devait bien coûter le prix d'un bon gros bout de cheval. Voila qui était pas bon pour mon porte-monnaie.
Soyons franc, j'étais plus ou moins en train d'essayer d'imaginer une facon de reduire le cout, quitte a juste pas payer, j'étais pas a ca pres quand sa derniere question avait reussi a se frayer un chemin dans mes pensées tordues. Au bout de bien dix secondes de blanc a me frotter la machoire pensivement.

Et la j'avais fait tilt. Herbe, prix, exterieur. Ah bah oui, en soit, c'était une opportunité pas conne de reduire la note. Louée soit l'intelligence de la dame tiens.

"Ouaip, milice extérieure. J'passe mes services a crapahuter dehors, donc j'm'y connais un peu.
Vu qu'j'imagine que c'est pas pour parler paysage que v'posez la question, j'imagine que mon activité a un rapport avec les tarifs a s'arranger hein?
Doit pas être pratique de se fournir avec les Fangeux non?"

A moins de m’être lourdement trompé, y'avais p'tete un foutu moyen de pas lâcher une bonne part de mes Economies dans l'histoire, en échange d'un p'tit service que j'entrevoyais plus ou moins. Et dans un sens, le cas échéant, c'était peut-être aussi l'occasion de faire un peu d'argent aussi. Apres tout, si une herboriste, pas mal gaulée de plus, était en capacité de fournir de quoi assouvir ses bas instincts sans trop de risques de finir par chopper une saloperie... Y'aurais surement moyen d'en faire un petit commerce avec les collègues. J'suis pas tout seul a profiter des bordels après tout.

Si l'idée d’économiser m'avait tiré un sourire en coin, celle de faire plus de thune m'avait elle carrément rendu joyeux, un spectacle un poil dérangeant, mon sourire joyeux n'étant pas si loin de mon sourire cruel. M'enfin, faut dire, je comptais bien prendre avantage de la situation!

"En plus, j'connais pas mal de gens qui pourraient être intéressés si jamais vous avez de quoi fournir les gars..."

Il y eut quelques longs instants de flottement, il avait mis un peu de temps à comprendre. Mais, au moins il avait bien compris. Par contre son expression avait quelque chose de terrifiant.
Denea leva un sourcil dubitatif face à ce sourire franchement dérangeant et pas vraiment rassurant.

« C’est ça, avec les fangeux, c’est pas évident de sortir dans les bois, pour aller à la cueillette aux plantes. J’aime beaucoup mon travail, mais je préfère ma vie à choisir.
Je suis prête à réduire de moitié l’addition si vous m’accompagnez hors de la cité au moins une fois. C’est un échange de bon procéder. »

Enfin échange, pour cela il fallait que les deux parties soit respectée et si celle de l’herboriste allait être facilement honorable très vite. Cependant celle du Milicien s’était une autre histoire.

« Je sais pas si à moi seule je pourrais fournir beaucoup de monde, il faut bien les trouver les herbes médicinales et dans une excursion on couvre pas tant de territoire … Beth n’est jamais sortie avec moi pour récolter, c’est trop dangereux donc elle ne saurait pas forcément les reconnaitre dans la nature. »

Prenant une largue cuillère de bois, la jeune femme préleva deux grosses portions de bruyère séchée qu’elle mit dans le sac de toile. En tout cela devait avoir la taille d’une grosse pomme. Le sachet toujours en main, elle ‘éclipsa un instant dans l’arrière-boutique pour en revenir avec deux têtes d’ail.

« C’est une gousse par infusion et une petite cuillère de bruyère, par infusion aussi. »

Après ces dernières instructions normalement s’était le moment de payer. Denea posait les produits sur le bord du comptoir pour que le client puisse les prendre. Mais pour le moment, le petit sac d’herbe de l’ail restait près de la jeune femme. Elle semblait contrariée. Quand elle posa sa question, elle n’avait pas d’animosité particulière, mais elle était plus soucieuse.

« Généralement je connais les gens à qui je fais crédit et j’ai aucune mal à leur faire confiance. Mais je vous connais pas, comment je pourrais être sure que vous respecterez votre part du marché Monsieur … »

La phrase resta en suspend pour lui demander le nom de l’homme…

Pour le coup, j'avais répondu en deux temps. Le premier un peu brutal, faut dire que le sous-entendu me laissait un poil furibard, faisant jouer par reflexe les doigts sur le manche d'une fidèle matraque en noyer, polie par les années et l'usage. Un reflexe comme un autre vous me direz.

"Odomer. Odomer Siger. Et j'dirais qu'tout dépend d'deux facteurs pour qu'j'tienne parole. M'enfin, disons trois.
Un. La moitié en moins, ca fait combien en fait?
Deux. Ca depend aussi d'l'efficacité d'vot'remede.
Trois. Vous comptez pas rater la caserne non?"

Si j'avais bien écouté la proposition de la p'tite dame, ce qui se résumait a être prêt a crapahuter un peu plus dans les environs, sans être payé, mais sans grand grand risque, a moins d'un coup de pas de pot, j'trouvais quand même limite qu'elle ose comme ca remettre en cause ma probité! Franchement, y'a pas plus honnête que moi comme milicien. Ce qui avait rendu le ton un poil sec, voir, soyons franc du collier, parfaitement menaçant. Y'a des choses que j'peux pas laisser passer quand même.

Bon, pour le reste, la dose a ingurgiter, même trois fois par jour, c'était plutôt raisonnable, j'allais pas en faire un drame. Tout comme, avec un peu de recul la proposition exacte de la demoiselle. Une crapahute dans les environs en sa compagnie pour un moitié de prix en moins... Y'avais pas mort d'homme, enfin, fallait espérer. Une p'tite prière a la Trinité en rentrant pourrait pas faire de mal a ce sujet d'ailleurs. C'est le cureton qui allait être surpris tiens.

Résultat des courses, j'avais planté mon regard droit dans celui de la commerçante après ma tirade, le calcul visible dans mes yeux, en me grattant l'ombre de barbe qui me mange toujours le visage d'un ongle un peu trop long, faudrait que je coupe ca tiens.
Bon en toute franchise, c'était plus du théâtral qu'autre chose, pour mettre le ton, au fond, c'est moi qu'avais le dernier mot, y'avais pas a tortiller du cul. Comme on dit dans la garde, la moitié du boulot, c'est d'faire penser c'qu'on veut aux gens. Bonne maxime qui m'avais toujours servie.
D'fait, j'avais déjà choisi d'accepter, parce que dans un sens, elle paraissait s'y connaître, l'était pas gourmande a mon sens et en plus, elle avais sourit a une blague. Grosse combinaisons de facteurs positifs quand même. Ca et que dans un sens, y'avais surement pire comme activité que de cueillir des herbes. Avec un peu de chance, je pourrais faire ca sur mon temps de garde, après tout, ca serait utile a tout le monde qu'une herboriste soit fournie non?

J'décrochais donc ma bourse de ma ceinture, en reprenant la parole, le ton un poil moins cinglant, c'était plus le moment.

"Si j'accepte, j'en ai pour combien? Et vous voudriez allez quand dehors? Parce qu'j'suis pas super maitre de mon emploi du temps hein. La milice, c'un boulot exigeant m'dame.

Et puis, c'était qu'une proposition selon vot'capacité de fournir pour plus."

Fatalement il n’avait pas aimé qu’on mette son honnêteté en doute le monsieur, mais il fallait bien jouer cartes sur table de temps en temps quitte à froisser un peu les gens.
Comme pour toute femme seule face à un homme plus fort qu’elle, le ton, la mine pas rassurante et la main sur la matraque, ça faisait son petit effet, mais Denea aurait préféré s’en prendre une plutôt que l’avouer et encore plus le montrer.

« Normalement ça devrait faire deux faire deux pièces d’argent, mais si vous acceptez le marcher ça en fait plus qu’une.
C’est aussi efficace que possible, mais honnêtement vous trouverez pas mieux. Sinon vous pouvez toujours asseyez de prier les dieux pour qu’il fasse disparaître la chaude-pisse. Mais je pense pas que ça marchera beaucoup…»

Elle ne pouvait pas vraiment descendre plus bas, les matières premières qu’elle ne pouvait pas cueillir ou cultiver dans ses deux trois pots qu’elle avait dans l’arrière-boutique, elle devait bien les acheter et l’addition commençait à devenir salée.
Odomer fit une remarque sur le fait que dans la Milice il y avait des horaires à respecter et que du coup il n’était pas à la disposition de l’herboriste. Ça elle s’en était doutée.

« Je peux m’adapter à quand vous êtes libre, c’est pas un souci, au pire, je laisse Beth prendre les commandes et gérer les urgences »

Argumenta-t-elle en posant les produits sur le bord du comptoir.

« Si vous raccompagnez une deuxième fois, je baisserai un peu plus le prix du prochain remède… Pour après on verra. »

Si elle pouvait conclure un marché plus durable, ça n’en était que plus avantageux. Personne ne savait quand, ou simplement si ces saleté de fangeux allaient disparaître donc autant se préparer à vivre avec leur présence sur le long terme.

« Pour vos collèges on verra plus tard, déjà qu’on voit ce que ça donne avec vous. »

La jeune femme attendit une réponse que la part de son interlocuteur et un payement. Elle était appuyée sur son comptoir regardant le Milicien, le détaillant un peu plus.

Pour son crédit, la bonne femme ne se démontait pas, restant tout a fait professionnelle, limite impersonnelle sur le coup. Pas tout les jours qu'on vois ce genre de trucs, elle devait en tenir une sacrée paire tout de même. Plutôt appréciable en fait, c'est toujours mieux avec de la résistance. Sur un autre sujet que les qualités de la dame, son annonce de prix m'avait fait souffler un petit coup, visiblement soulagé.

Deux pièces d'argent. Je dois bien avouer, je m'étais attendu a pire. Largement pire. C'était pas une somme si importante que ça, quelques heures en "remplacement" d'un collègue aux portes allaient largement permettre de couvrir les frais avec les combines habituelles. Apres un quart de seconde de réflexion, parce qu'au fond, j'l'avais un poil a la bonne l'herboriste avec son discours étonnamment raisonnable, j'allais pécher les deux pièces d'argent dans ma bourse, avant des les déposer sur le comptoir, sous mon grand battoir blanchi par les lignes de blessures.

En toute franchise, c'était pas mon genre de truc de payer la totalité quand je pouvais faire que la moitié, mais... pour le coup, le calcul était simple. Avoir des relations saines avec la demoiselle pouvait me permettre d'avoir des relations saines avec d'autres demoiselles. Alors pour le coup, un témoignage de bonne volonté comme on dit dans notre jargon, ça paraissait utile. Un moyen de lui montrer qu'on pouvait me faire confiance. Enfin, plus ou moins. Fallait voir comment allais se dérouler cette petite crapahute dehors. Oh, une mauvaise pensée...

"En somme, faut qu'j'vienne vous chercher sur mon temps libre pour vous sortir? Faites gaffe, j'vais finir par croire que c'est pas les plantes qui vous intéressent dans l'histoire.

Z'avez raison, faut pas qu'j'partage avec les collègues pour le coup."

J'relevais le battoir a linge pour laisser la demoiselle prendre les pièces, un sourire gouailleur sur le visage, ayant trouvé une façon amusante de tourner ça. Bon le ton était p'tete un tout petit peu tendancieux, mais dans un sens, c'était pas faux non comme interprétation possible non?

"M'enfin, outre les ballades, j'en ai pour combien de temps grosso modo avec vot'bourse la? Pour savoir tout les combien faudrait que je repasse si jamais les choses vont pas mieux dans les... "établissements".

Question sérieuse, ton en rapport. Apres tout, a trois infusions par jour, ça allait surement pas durer des semaines comme truc, fallait réfléchir au coup du traitement sur le long terme selon que ça se calme ou pas et puis prévoir avec le temps libre, parce que bon, ça prenait un peu de temps de se pointer ici, sur un temps libre déjà bien occupé quand même.

"Hé, dans un sens, quand j'y pense, vous vous assurez qu'j'revienne en fait avec un p'tit truc comme ça hein?"

Il avait eu l’air soulagé par l’annoncer du prix. Encore heureux ! Déjà en coupant de moitié, l’herboriste avait fait plus qu’un beau geste, il aurait été grossier et malvenu de demander encore un peu plus de rabais, surtout venant de quelqu’un qui n'avait pas vraiment l’air dans le besoin.

L’homme piocha dans sa bourse, et posa le contenu sur le comptoir, cependant, il ne retira pas sa main tout de suite, préférant faire des sous-entendus. La plaisanterie faite par le Milicien fit sourire Denea. Elle n’était pas aussi romantique, d’ailleurs sa dernière histoire commençait à remonter un peu, voir beaucoup. S’était vraie que travailler beaucoup et avoir une réputation de sorcière, ensorceleuse et autre marabout n’aidait pas. Mais ce n’était pas le sujet.

Elle ne comptait pas vraiment relever, mais quand la main se releva découvrant deux pièce, au delà de l'agréable surprise, elle ne put s’empêcher de renchérir un petit peut.

« C’est peut-être vous le plus intéressé au fond … »

S’aventura-t-elle avec un petit sourire espiègle. Il avait l’air de plutôt bonne composition le garde, enfin le milicien donc elle ne risquait pas grand-chose avec une petite galéjade de ce genre. Cependant, elle ne perdait pas de vue l’important, récupérant les pièces pour les mettes dans la bourse elle-même ranger dans une des tiroirs du comptoir.

« Je dirais, si vous abusez pas trop sur la taille des cuillères, deux semaines, mais vraiment pas plus, voir peut-être même un peu moins. »

A vraie dire elle pariait plus pour moins, mais comme il était maintenant prévenu peut-être qu’il ferait plus attention. La jeune femme referma le pot qu’elle plaça un peu plus loin sur le bord du meuble elle me remettrait dès qu’il serait parti, faisant attention avec son tabouret bancal, mais au moins là il n’y aurait plus personne pour rire si elle finissait étalée de tout son long sur le vieux parquet.

« Ça pourrait, mais je suis moins calculatrice que ça. Je cherche juste à éviter le gaspillage, surtout en ce moment. »

Puis il fallait en laisser pour les urgences, commet aujourd’hui, même si, en l’occurrence, l’urgence de la journée n’avait pas nécessité l’utilisation de bruyère.
Contournant le comptoir, Denea se dirigea vers la porte de la petite officine pour l’ouvrir.

"Je vois. Mettons que je plaide coupable pour l’intérêt alors, c'est plus correct."

Une petite bonne femme amusante finalement. Et puis y'avait pas a dire, deux semaines avec cette petite bourse, ça faisait quoi... 4 pièces d'argent du moins, pour s’éviter les possible désagréments de la chaude-pisse? Une affaire comme on en fait rarement, surtout dans ce coin miteux ou on risque plus l’égorgement pour des bottes neuves qu'autres choses.

Bons Dieux, ça me ressemblait quand même pas de tailler la bavette comme ça avec une rebouteuse et de la payer en intégralité sans faire d'histoire. Un peu plus et j'aurais cru a un truc pas net dans l'odeur du lieu pour autant me faire dévier de mes rails. L'allait falloir que je vérifie mon sens de la pitié en croisant un clodo tiens, au cas ou.

M'enfin, je pendait donc a ma ceinture la bourse d'ail et de bruyère avec un p'tit sourire en coin, son espièglerie un chouia trop contagieuse pour le coup avant de la suivre pour sortir de la boutique tranquillement. Étrangement, quand j'y repensais, fallait bien reconnaître ça s'était mieux passé que ce que je pensais. J'étais pas tombé sur une sorcière rassie, mais plutôt sur une mignonnette pas méchante et douée dans son commerce, j'avais pas lâché un bras pour pouvoir continuer a fréquenter les établissements de plaisir l'esprit tranquille et en plus j'avais pour une fois éviter de m’énerver plus que ça, m'enfin, a part son petit truc sur mon honnêteté la.

Dans un sens, ça me laissait perplexe autant d'bonne fortune d'un seul coup et je prenais même note plutôt d'aller payer un canon a Gilles que de lui taper sur la trogne pour m'avoir recommandé l'endroit. Pas une habitude les remerciements et j'aurais surement oublié l'idée en arrivant a la caserne, mais sur l'instant, c'était une bonne pensée.

"Bon bah j'vous enverrais un gamin pour vous prévenir quand je serais libre pour la p'tite crapahute aux herbes, j'pense pas avant deux trois jours quand même, y a toujours des bricoles a régler en ce moment.

Sur ce, m'dame, la bonne journée"

Et que je passe la porte avec un salut du menton, renfilant ma salade proprement et figeant de nouveau mon rictus pas engageant sur le visage. Une manière comme une autre de signifier a toute la populace pouilleuse du coin que la rigolade était finie, on revenait aux choses sérieuses. Un rictus que je prenais bien garde de pas montrer a la demoiselle, après tout, j'avais agi comme un bon gars presque tout du long de mon point de vue, elle était pas forcée de voir le reste.