Marbrume


Le deal à ne pas rater :
Cdiscount : -30€ dès 300€ d’achat sur une sélection Apple
Voir le deal

Partagez

 

 Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
MessageSujet: Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].   Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. EmptyVen 15 Fév 2019 - 23:35
Le ciel déversait un crachin sans fin sur le Morguestanc, brouillant la vision de Marwen, réduisant son monde à la barque qu’il menait et aux autres bicoques amarrées dans le port. L’eau qui tombait des nuages rencontrait les flots dans un bruit continu, se perdant dans les bouillons écumeux que charriaient les vagues. Des traits à la fois minces et denses qui sabraient l’air et le paysage, et qui trempaient l’Esbigneur jusqu’à l’os. Il en avait l’habitude, certes, mais il ne pouvait s’empêcher de pester à chaque fois que ces maudits dieux semblaient lui en vouloir personnellement. Son regard gris et mauvais se porta là-haut, vers l’imposante silhouette de Marbrume qui se découpait sur le flanc de la falaise, et il soupira. Il savait ce qui l’attendait. Des venelles sombres et torturées dans lesquelles cascaderaient des torrents d’eau. Des pavés déchaussés, des nids-de-poules à chaque coin de rue qui ne manqueraient pas de menacer ses chevilles, et, dans les pires quartiers, qu’une fange boueuse qui lui collerait les basques et lui conchierait ses chausses. Et c’était sans compter les remugles exhalés par les égouts que les trop-pleins bouchés ne parvenaient jamais à évacuer lors de pareilles crues. La cité était ancienne, trop peu connue, et sa population n’était aucunement qualifiée pour s’aventurer dans ces boyaux labyrinthiques afin de les récurer. Par ailleurs, avec la présence des fangeux, qui diable se porterait volontaire ?

Le canot racla les parois couvertes d’algues noires et s’immobilisa le long des quais montés sur pilotis. Trouvant son équilibre sans même y penser, Marwen se mit debout dans l’embarcation ballotée au gré des flots, et, manœuvre en main, sauta sur le ponton. Il eut tôt fait d’attacher son rafiot au plancher des vaches puis, après avoir éprouvé la solidité de son nœud, tourna les talons, et s’enfonça au milieu des colombages vermoulus.

Certes, il s’était rendu que bien trop peu de fois à cette boutique, mais il parvint à retrouver ses pas sans difficulté aucune. L’Esbigneur connaissait Marbrume comme le fond de sa poche, s’étant approprié tous les détours possibles et inimaginables que la ville avait à offrir, et en avait usé et abusé pour semer aussi bien la garde que de bien plus sombres rivaux. Enfin, il devait se l’avouer ; ce bâtiment et cette porte renfermaient des remembrances qui distillaient le doute au plus profond de son âme. Revenir céans même s’avérait éprouvant. Mais il n’avait plus le choix.

Perdant subitement cet aplomb qui ne le quittait d’ordinaire jamais, Marwen hésita devant le battant de bois. Il tourna la tête à gauche, puis à droite, comme s’il espérait, peut-être, qu’une patrouille surgissant au loin l’obligeât à déguerpir de là. En vain. C’était évident, c’était écrit ; les soldats ne surviendraient qu’au moment fatidique. Lors d’un passage en contrebande, lors de l’élimination d’un client particulièrement retors, ou même lors d’une passe frivole, quoiqu’un peu trop coûteuse, avec une hétaïre au fond d’une alcôve détrempée. Mais là, alors que tout était calme, et qu’il n’avait nul sombre commerce à manigancer, la milice dormait sur ses deux oreilles. Comme toujours. Prenant une forte inspiration, il s’avança, prit entre ses doigts un clou et un petit burin, et, à l’aide de l’outil, placarda le parchemin qu’il avait apporté. Une chance que la porte fût enfoncée sous les encorbellements de la bâtisse, protégeant le parvis de la pluie, sans quoi n’eût-il pas parié beaucoup sur la longévité du vélin par temps de tempête. Après une série de petits coups répétés et pas aussi discrets qu’il l’avait voulu, l’on put lire, sous l’enseigne :

« Regeoin mwa dé ke tu peut au « la pain qui sotte ». Cé tré urgens
M.
»

C’était que si Marwen s’y connaissait étonnamment bien en calcul, en prix et en estimation, l’écriture demeurait un mystère total. Il savait parler, et le faisait très bien, mais dès qu’il s’agissait de retranscrire en lettres et en syllabes les sons qui sortaient d’entre ses lèvres, le bougre se retrouvait aussi impuissant qu’un nouveau-né. Il connaissait cette tare, mais haussait les épaules avec fatalité dès qu’on la lui confrontait ; il n’avait pas eu la chance des bourgeois pour apprendre l’art littéraire dès son plus jeune âge, et c’était déjà une belle prouesse que de se débrouiller comme il le faisait, tout seul.

Le contrebandier aurait également très bien pu toquer à la porte, simplement, ainsi que l’eût fait toute personne bien élevé. Mais c’était sans compter le passif et l’histoire qu’il y avait eu entre lui et sa sorcière. Beaucoup trop de choses, de non-dits, d’aveux refoulés, d’espoir et de déception. Depuis combien de temps ne l’avait-il pas revue, alors qu’il lui avait promis qu’il reviendrait ? Il en avait perdu le compte. Il ne connaissait pas la situation de la sorcière, il ne lui avait pas reparlé depuis. Mais, si elle avait conservé son caractère et sa fougue d’antan, il préférait tout bonnement ne pas être présent devant elle lorsqu’elle apprendrait son potentiel retour.

Oui, c’était lâche. Mais Marwen, ès qualités de contrebandier et de brigand, n’avait que faire de la couardise. Ce n’était pas son monde, pas son état d’esprit. Le manque de courage lui avait à plus d’une fois sauvé la vie. A défaut de foncer tête baissée vers le danger, il avait toujours préféré contourner le problème, voire envoyé des gens à sa place. Eux étaient morts. Lui, non, et il avait en sus de cela raflé la mise.

Une fois de plus, il se détourna de l’établissement, et trouva son chemin jusqu’à la taverne mentionnée dans son parchemin.
Revenir en haut Aller en bas
Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
MessageSujet: Re: Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].   Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. EmptyVen 15 Fév 2019 - 23:59
Cela faisait au moins trois fois qu’elle lisait la même ligne sans parvenir à en saisir le sens. Son esprit était ailleurs, quelque part au bord d’une plage peut-être ou alors de retour au Labret sous un soleil de plomb. Ça n’avait pas été si désagréable de s’y rendre, voir autre chose que des rues crasseuses et des murs branlants, pouvoir respirer autre chose que le fumet des eaux usées, de la vase et du la misère. L’endroit n’était toujours pas un paradis sur terre mais au moins on ne s’entassait pas les uns sur les autres.
Élisabeth se redressa avec un soupir pour s’arracher à ses souvenirs ainsi qu’à son livre. Elle perdait son temps et elle avait horreur de ça. En faisant mentalement l’inventaire de tout ce qu’elle avait à faire dans sa boutique pour préparer l’ouverture du lendemain, elle ne trouva pas une seule petite tâche, pas une seule corvée qu’elle n’ait déjà accomplie avec autant de soin que possible. Ce qui la laissait donc désœuvrée pour tout le reste de la soirée. La pluie griffait faiblement ses volets depuis un bon moment déjà et il lui avait fallu prendre un châle plus épais pour se couvrir et fuir le froid humide qui s’insinuait. Elle qui se réjouissait une heure auparavant d’avoir un peu de temps pour réétudier certains vieux livres légués par son père, elle se sentait maintenant dissipée et paresseuse, incapable de se concentrer correctement. Il ne lui restait donc plus qu’à aller se coucher pour tromper l'ennui. Une chandelle à la main, la jeune femme rangea tout ce qui pouvait encore traîner comme affaires dans sa salle à manger et tamisa le feu avant de prendre le chemin de son plumard.

Le lendemain, le même crachin glacé tombait toujours sur la ville, achevant les espoirs de l’apothicaire de voir venir quelqu’un dans sa boutique. Il faudrait être désespéré pour traîner sa carcasse malade sous cette pluie d’enfer et les bien portant ne se mouilleraient pas pour quelques philtres d’amour ou poudre de virilité. Elle pouvait espérer avoir toute la journée pour elle, quelle chance. Délaissant ses robes les plus présentables pour une jupe simple et une blouse dont elle relevait les manches avec un lien en cuir, elle passa une bonne partie de la matinée dans son arrière-boutique à batailler avec les crapauds dans le vivarium pour leur prélever un peu de poison. Les bêtes ne se laissaient pas faire et en vérité, la donzelle était si affairée qu’elle manqua presque les coups frappés à sa porte.
Un crapaud dans une main, une petite spatule de bois dans l’autre, elle prit le temps d’écouter et de se pencher vers l’embrasure de la porte pour voir si quelque client était entré, mais seule la rumeur de la pluie lui parvint. Perplexe, elle accorda un répit au batracien pour aller vérifier sa boutique. Là encore, personne en vue, tout était calme et silencieux. Par acquit de conscience, elle se rendit tout de même à la porte, au cas où un visiteur timoré se tienne derrière sans oser la franchir de lui-même. La rue était déserte, tout le monde devait être bien à l’abri chez soi ou dans les tavernes du coin. Désormais persuadée d’avoir imaginé ce bruit, elle allait refermer le battant de la porte lorsque la tache pâle du vélin lui sauta aux yeux. Allons bon, voilà qu’on prenait sa porte pour un espace d’affichage ? Arrachant d’un geste le message pour retourner à l’intérieur le lire à la lumière, elle referma la porte et veilla à poser le verrou. On n’est jamais trop prudent.

Le vélin posé à plat sur le comptoir, un bougeoir à portée de main, Élisabeth eut tout d’abord quelques difficultés à décrypter l’écriture biscornue et bourrée de fautes. La pain qui sotte ? Son regard s’attarda sur le petit « M » qui signait le message. Maverick peut-être ? Sans doute pas, le bougre lui avait déjà prouvé qu’il savait écrire correctement et il aurait envoyé un messager plutôt que de clouer en catimini un message sur sa porte. Il y avait bien le fameux Morand, qui avait disparu depuis au moins un an, mais la jeune femme doutait fort qu’en cas de survie il s’amuse lui aussi à laisser un mot. Il se serait contenté d’entrer pour réclamer son bouclier. Une idée fusa dans son esprit et la cloua sur place un instant : il restait Marwen. Ce déserteur de pacotille à la morale douteuse était bien du genre à se repointer comme une fleur en laissant un graffiti en guise d’invitation, effectivement.
Dans un élan d’humeur, l’apothicaire se saisit d’un couteau à découper des racines qui se trouvait juste sous le comptoir et le planta à plusieurs reprises dans le message, s’acharnant à creuser des trous plus ou moins grand dedans.

Espèce de sale petit cancrelat putride, menteur, manipulateur, lâche et sournois !

Lorsqu’elle eut terminé de défouler sa colère sur le pauvre morceau de vélin qui ne ressemblait désormais plus à rien, elle se laissa tomber sur le tabouret à portée pour reprendre son souffle, retrouver son calme et chasser résolument ce sursaut de joie qui était né dans un coin de son esprit. Non, elle n’était pas contente ! Pourquoi devrait-elle l’être alors qu’elle avait passé des mois à attendre sans le moindre signe de vie et qu’aujourd’hui elle se faisait siffler comme un chien avec un « Cé tré urgens » en guise d’explication ?

Tu peux te brosser l’Esbigneur ! Même pas les couilles de venir me voir directement, ha ! Et il faudrait que je me déplace ? Non mais quoi encore ? râla-t-elle en retournant bougonner dans son arrière-boutique.

***

La taverne du Lapin qui saute – ce qui n’avait rien à voir avec une miche de pain idiote – était un charmant bouge comme il en existait tant d’autres à Marbrume. Les murs suintaient le gras, l’odeur de la sueur était à peine couverte par celle de la fumée des pipes et celle de l’alcool frelaté, le patron avait la dégaine patibulaire et la clientèle était aussi raffinée qu’un coup de pied au cul. Les yeux levés vers l’enseigne, Élisabeth poussa un profond soupir de résignation et poussa la porte. Elle refusait catégoriquement de se remémorer le cheminement de sa pensée qui était parvenu à la conduire de « vas chier, je ne viendrai jamais » à « il faudrait quand même que j’y aille, ça peut être important ». C’était bien trop humiliant de se dire que la curiosité et l’envie de revoir cette sale trogne de brigand justifiaient à eux seuls qu’elle soit là, trempée jusqu’aux os, à gamberger à l’entrée d’un établissement à la renommée discutable. Mieux valait ne pas y penser.
Sans se faire trop remarquer, la donzelle se faufila entre les tables jusqu’à un espace vacant et y installa sa carcasse de moineau détrempé en maudissant par avance sa faiblesse d’esprit. Une serveuse beaucoup trop jeune pour avoir le poste lui demanda d’une petite voix ce qu’elle voulait et bien que l’envie de l’envoyer bouler fut grande, Élisabeth se contenta de commander la boisson la moins âcre qu’on puisse lui servir. Elle n’oublia pas d’ajouter :

Et si un sale type avec deux balafres en travers du rostre t'as dit attendre quelqu’un, fais-lui savoir que je me lasse d’attendre, justement.
Revenir en haut Aller en bas
Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
MessageSujet: Re: Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].   Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. EmptySam 16 Fév 2019 - 0:01
Oui, l’auberge, bien loin des estaminets raffinés que pouvait posséder l’Esplanade, se révélait être un vrai bouge enchristé entre un cloaque et un vieil entrepôt aux portes arrachées. Les douves saumâtres de boue qui entouraient l’édifice semblaient avoir coulé à l’intérieur même du bâtiment, et les bottes crottées des passants venant de l’extérieur pour s’installer sous ses grosses poutres de bois n’avaient pas arrangé les choses, bien au contraire. Que vous faisiez tomber sous les bancs la moindre miette de ces salmigondis composés de viande de chien et de rat que l’on servait céans même, et vous pouviez tout simplement l’oublier. Certains miséreux tentaient pourtant bien tant que mal de repêcher cette partie de repas perdu, si difficilement acquise et ô combien onéreuse, et, lorsqu’ils y parvenaient, le bout de pain ne revenait jamais seul. Accrochée à ce simulacre de nourriture, une tignasse noueuse de cheveux sales ramenait dans son sillage des rognures d’ongle qui n’avaient que trop longtemps trempé dans la sauce maculant le sol. Les tables étaient branlantes, poisseuses, les chopes dégoûtantes, et les pieds inégaux des chaises aux dossiers brisés vous balançaient sèchement d’un côté puis de l’autre. A l’étage, quelques chambres abritaient un commerce douteux ; derrière des rideaux crasseux se révélaient des visages bien trop juvéniles mais que quelques coquarts venaient assagir. Enfin, la clientèle était à l’image de l’établissement ; sale, misérable, mais survivant comme elle le pouvait. Marwen était en terrain conquis.

Le choix était stratégique ; pour affronter un adversaire, mieux valait le conduire sur son sol plutôt que le laisser vous entraîner sur son propre terrain. Combattre la sorcière dans son antre eût été suicidaire. L’Esbigneur aurait été bien trop exposé à sa magie, à ses artifices et à ses étranges plantes. Là, c’était bien. Il y avait du monde, de ces rustres pas commodes et intimidants qui vous font hésiter à lever la voix, ce qui empêcherait la sorcière de lui jeter un sortilège. Elle ne serait certainement pas assez folle pour tenter pareil acte dans un endroit public, du moins l’espérait-il. Il la savait aussi pas très à l’aise dans les milieux pauvres et remplis de canailles ; Elisabeth avait pour elle un petit côté supérieur, une attitude dans son paraître qui la rapprochait presque davantage des nobles et l’éloignait du vulgum pecus. Et il s’agissait précisément d’une chose que remarquaient très rapidement les petites gens. Ici, Marwen en était persuadé, elle trancherait au beau milieu des charretiers, des serveuses et des putains.

Mais le contrebandier avait plus d’un tour dans son sac. Fin tacticien, il avait décidé de passer le temps en buvant quelques chopes. L’on avait coutume de dire que, ivre, vous n’étiez pas vous-mêmes. Et c’était justement la visée recherchée. Après tout s’il n’était plus tout à fait lui-même, alors n’était-il plus tout à fait Marwen. Se faisant, la sorcière pouvait lui jeter tous ses maléfices, jamais ne parviendrait-elle à l’atteindre l’intégralité de son âme. Avec un petit air fat et satisfait de sa glorieuse trouvaille, l’Esbigneur attendait patiemment, affalé dans contre le support de sa chaise, et faisait tressauter un dé dans sa main. Ce fut ce moment-là qu’elle choisit d’arriver.

Il la reconnut directement, dès le moment où elle pénétra dans le bâtiment. Comme il l’avait deviné, elle contrastait avec la plèbe, ici-bas. Et cela alors même que la pluie battante lui avait ravagé sa chevelure, et ses longues mèches détrempées gouttaient sur sa vêture. Et directement, tout autant, tout aussi rapidement, Marwen se planqua à l’étage. Fort heureusement, eu égard à la pénombre des lieux, il semblait que la sorcière ne l’avait point encore repéré ; ses yeux devaient très certainement être en train de s’acclimater à la luminosité ambiante. Qu’allait-il faire, à présent ? Il n’avait pas pensé à son pan outre-mesure. Il avait simplement réfléchi au lieu de l’affrontement et à sa propre défense, rien de plus.

A l’abri derrière sa rambarde, un Marwen quelque peu imbriaque se dit qu’il fallait évaluer la situation. Bien qu’il se pensât invisible, Elisabeth eut tout le loisir d’apercevoir du coin de l’œil deux mains qui s’agrippèrent au balcon intérieur qui surplombait la grande salle en contrebas, puis une masse de cheveux noirs, suivie d’un front et de deux yeux gris apparaître progressivement. Marwen la visualisa, là, assise. Bien, il fallait maintenant redescendre. Le maître des ténèbres entreprit alors de progresser à-demi accroupi contre la balustrade, sans jamais deviner que son dos dépassait et que son ombre était projetée sur le mur opposé. Pas à pas, l’ange de la furtivité descendit une à une les marches de l’escalier sans prendre garde à tous les passants qui, à côté de lui, baissaient un ostensible regard curieux dans sa direction, avant de se précipiter tout contre un pilier du bâtiment. Là, sur la pointe des pieds, et avec des mimiques exagérées, il bondit çà et là en longeant les murs –dont l’un d’entre eux accueillait la cheminée où rougeoyaient encore quelques braises passées, décidée de prendre la sorcière à revers. Une fois dos appuyé contre un nouveau pilier où de l’autre côté se trouvait Elisabeth, Marwen reprit sa respiration, et, tel un charmeur plein d’assurance et de maîtrise de soi, apparut en roulant de l’épaule autour de la colonne.

« Coucou, toi », lâcha-t-il simplement, petit sourire complaisant accroché aux lèvres alors que la jeune femme l’avait certainement vu arriver de très loin.

Pourtant, un spectateur attentif eût tôt fait de discerner, dans la pupille du contrebandier, une lueur alerte et fébrile ; celle de l’incertitude et des doutes. Il resta planté là, la dévisageant. Cela faisait longtemps, trop longtemps, et la revoir ainsi lui causa grand tracas dans le ventre. L’alcool n’aidant pas, il tanguait légèrement de gauche à droite, mais cela sans même s’en rendre compte ; il avait le pied marin, après tout, et remettait cela sur la faute du mal de terre. Dommage qu’elle fût ainsi emmitouflée dans sa cape et sa pèlerine, cela dit ; il aurait vraiment voulu revoir ce cou rengorgé, cette noble gorge qu’il l’avait tant surpris la dernière fois. Cela remontait, certes, mais il se souvenait de ce détail comme si c’était hier. Enfin, cela n’importait peu, actuellement. Restait à savoir comment aborder le sujet.

« Je suis de passage, là, alors, je me suis dit que l’on pouvait se voir pour prendre un verre… Ouais je sais, mais j’ai vraiment pas pu faire autrement, j’étais engagé dans un truc pas bien net du tout, et, tu sais, moi, en tant que gars bien, droit, et respectable, je ne voulais surtout pas compromettre ta probité et sa sécurité… »

Il débitait tout cela sans s’arrêter, avec sa gestuelle habituel et son sens du parlé. Mais, dans le même temps, il pouvait également donner l’impression qu’il cherchait à se désister de tout reproche, lui-même, avant qu’Elisabeth ne pût lui en faire directement. Comme s’il pouvait atténuer le savon qu’elle allait assurément lui passer.

« Ouais, je sais aussi, un tel endroit, c’est pas ce que tu préfères, mais moi, ça me permet de me cacher un peu et de faire profil bas en attendant que tu me… Enfin, oui, le patron n’a pas l’air sympathique, mais il est très charmant quand on le connaît, et les filles le sont aussi ; elles m’indiquent même la présence d’une descente de patrouille, quand ça arrive, pour dire. Enfin, voilà.. Je t’offre un verre… ? … Non, oublie, en fait, j’ai plus un sou en poche, là, je dépense à crédit… »

C’était là le cœur du sujet, bien épineux au demeurant. Il s’assit en face d’elle, se passant la main dans les cheveux, réfléchissant, se mordillant la lèvre, avant de poser son coude sur la table, puis son menton sur son poing refermé, et de la regarder fixement. Il cligna, cilla, et ne sut qu’il pourrait affronter son regard ; il baissa les yeux, lâchant un petit rire nerveux, et ses doigts se mirent à parcourir nerveusement le bois gras de la table.

« Euh… T’as encore le coffret ? »

Il lui dédia alors son plus beau sourire.
Revenir en haut Aller en bas
Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
MessageSujet: Re: Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].   Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. EmptySam 16 Fév 2019 - 0:05
En attendant qu'on lui serve la pisse de chat qu'elle avait commandé, Elisabeth jeta un coup d’œil autour d'elle. L'environnement n'était pas des plus plaisant mais elle doutait qu'on vienne lui chercher des noises, il était encore trop tôt pour que les pires crapules aient pointé leur nez dehors. Son regard passa sur les visages grossiers, les barbes sales, les épaules solides et les frusques plus ou moins crottées de l'assemblée qui se tenait là, entassée autour de tables collantes pour profiter d'une chaleur bienvenue. Ça parlait, parfois ça riait grassement, ça jouait aux dés dans le coin près de la porte d'entrée. La pluie rendait morose et apathique.

Ce fut du coin de l’œil qu'elle perçut un mouvement étrange dans l'escalier alors que deux clients se retournaient avec un air intrigué. Elle ne manqua rien du spectacle grotesque de l'Esbigneur, très reconnaissable à la tignasse en bataille surmontant ce rostre de filou tailladé par deux balafres. Il était là, en chair et en os, à lever bien haut des pieds pour ne pas faire trop de bruit sans doute et courbé en deux pour être parfaitement invisible. Cette attitude n'était pas sans rappeler à l'apothicaire cette fameuse soirée durant laquelle elle avait été obligée de composer avec un Marwen ivre et fiévreux. Elle voyait ici un schéma se dessiner et le ridicule dont se couvrait le contrebandier n'avait d'égal que l'agacement de son hôte en se sentait prise pour une parfaite idiote. Tapotant d'un ongle contre la choppe qu'on venait de poser devant elle, Elisabeth laissa son lâche d'esbigneur mener à bien son petit manège sans chercher à l'interrompre. Elle ne doutait pas qu'une fois sa parade nuptiale accomplie, il finirait par poser ses fesses sur la chaise en face d'elle pour lui expliquer quelle excellente raison il avait de la déranger après tout ce temps.
Lorsqu’enfin il décida de se montrer, drapé dans un semblant de dignité factice, il fut accueilli par un pincement de lèvre et le haussement d'un sourcil circonspect. Leur dernier échange aurait pourtant dû pousser la donzelle à se sentir toute chose, des papillons dans le ventre et le cœur battant à tout rompre ! Pourtant les longs mois d'attente sans aucunes nouvelles - elle savait pourtant qu'il pouvait passer par un intermédiaire pour transmettre quelques mots - avaient quelque peu refroidis les ardeurs nées lors de cette nuit d'aventure rocambolesque pour ne laisser brûler qu'une colère vexée et rancunière. À cet instant précis, tandis que le contrebandier asseyait sa carcasse face à elle, Elisabeth était plus proche de prendre feu sous le coup de la fureur que sous un quelconque émoi. Il l'avait tout bonnement abandonné après quelques belles paroles qu'elle avait été assez naïve pour croire.

D'un rapide coup d’œil, elle examina ce qu'avait bien pu devenir le ladre. Il n'avait pas coupé ses cheveux aussi courts qu'avant, du moins se le remémorait-elle avec les tifs moins longs, et il ne semblait pas beaucoup moins crasseux ou fripouille qu'avant, mais au moins il tenait sur ses deux jambes, avait encore tous ses doigts et son regard brillait toujours de cette insolence crasse qui le caractérisait. Il allait bien, semblait-il. Elle avait espéré pouvoir compter sur un problème grave pour expliquer son absence, cependant il fallait bien admettre que Marwen semblait en pleine forme en dehors de sa façon de tanguer légèrement. Malgré toute sa rancœur, elle sentait aussi une pointe de douloureuse déception à présent qu'elle ne pouvait plus ignorer le fait qu'elle s'était simplement monté la tête pour rien ce soir-là.
Avec beaucoup d'éloquence, il lui expliqua pourquoi il n'était pas revenu plus tôt et à quel point cette taverne était un lieu plus merveilleux que ne le laissait deviner l'épaisse couche de miasme qui recouvrait presque tout et tout le monde, ce qui fit hocher la tête à la jeune femme comme si elle était parfaitement d'accord. Bien sûr qu'il n'avait pas pu faire autrement. Évidemment qu'elle comprenait. Ah oui, ce cher patron et son cœur en or ! Comment n'avait-elle pas pu s'en rendre compte ? Pour achever son petit discours bien ficelé, il crut bon de lui demander si elle avait toujours le coffret. Son coffret à lui, évidemment, celui qu'il lui avait laissé avec un clin d’œil entendu en promettant de revenir le prendre bientôt pour l'échanger contre quelques richesses.

D'un geste sec et rapide, l'apothicaire lui jeta au visage tout le contenu de sa chope, à laquelle elle n'avait bien sûr pas touché. On était en droit de se demander si elle ne l'avait commandé que pour la renverser entièrement sur le contrebandier. Ce n'était pas exactement comme lui coller son poing dans le nez, mais c'était tout de même libérateur !

Oups ! Je t'ai pris pour une sorte de fantôme, je pensais que ça te passerait au travers, dit-elle avec froideur. C'est qu'on ne te voit plus trop en ville dernièrement.

Elle posa la chope doucement sur le côté et croisa les mains sur la table, devant elle. Inutile de dire que si elle ne pouvait pas vraiment faire d'esclandre entre ces murs, elle ne se gênerait cependant pas pour lui faire sentir qu'il avait merdé à un niveau encore jamais atteint jusqu'à présent.

Comment vas-tu ? Bien, j'en suis ravie. Moi ? Oh tu sais, passé les trois premiers mois à espérer sincèrement que tu tiennes parole je me suis sentie beaucoup mieux. Les affaires tournent, j'ai même un nouveau fournisseur de simples au Labret. Tu as entendu parler de cette histoire de pirates ? J'en sais peu de choses, je préfère me faire livrer par convois terrestres. Il parait qu'ils sont redoutables et font beaucoup de mal au commerce. Enfin, depuis que je me suis débarrassée toute seule de cette greluche qui m'en voulait d'avoir vendu un philtre à son mari, je n'ai pas vraiment à m'inquiéter. Mais je divague, de quoi voulais-tu me parler ? Ah le coffret ! Le coffret qui avait un jumeau et que nous avons récupéré cette fameuse nuit après avoir crapahuté le long de la falaise ? Le coffret plein d'argenterie fine, avec des dorures à l'intérieur du couvercle ? Le coffret que tu m'as laissé en me jurant de venir le reprendre très rapidement pour pouvoir en tirer quelques bénéfices ? Le coffret que tu as accepté de me confier comme une sorte de gage de confiance ou de sincérité ? Ce coffret-là ?

Il en fallait du souffle pour parvenir à débiter autant de mots presque sans respirer. La vitesse l'élocution y était sans doute pour beaucoup. À défaut de pouvoir hurler, elle pouvait au moins l'assommer de paroles. Avec un peu de chance il en tomberait dans les pommes !
Elle prit une grande inspiration et souffla calmement par le nez, parvenant même à afficher un semblant de sourire au coin des lèvres.

Bien sûr que j'ai toujours le coffret.

Une gêne dans la main la força à décroiser les doigts. Alors seulement elle réalisa qu'elle se plantait les ongles entre les phalanges depuis un moment au moins qu'elle commençait à entamer la peau. Garder son calme était pour elle une épreuve d'une pénibilité extrême. Après un court silence, elle reprit sur un ton moins affable.

Je me suis assuré de le mettre en sécurité là où tu ne pourras jamais le récupérer afin d'être bien certaine que tu mesures le prix que peuvent avoir tes mensonges. Je suis sûre que puisqu'il s'agit d'une valeur pécuniaire bien concrète qui se retrouve désormais hors de ta portée, tu regretteras cette fois sincèrement d'avoir essayé de me prendre pour une imbécile.

Qu'il aurait été doux de savourer sa victoire ! Malheureusement, la jeune femme était encore beaucoup trop amère pour cela. Elle lui en voulait d'avoir de l'avoir si bien menée en bateau depuis le début et sans doute s'en voulait-elle tout autant d'avoir eu la faiblesse de le croire, celle de s'être inquiétée tout ce temps et encore celle d'être venue. Elle avait honte de ne pas avoir résisté à la tentation de vérifier qu'il s'agisse bien de lui.
Revenir en haut Aller en bas
Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
MessageSujet: Re: Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].   Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. EmptyLun 18 Fév 2019 - 15:41
Ça allait, Elisabeth semblait prendre les choses avec un certain recul, une certaine compréhension. Il avait craint le tapage, la scène de ménage qui aurait tôt fait de le tourner en ridicule au beau milieu de ces gens de basse extraction. Rien de mieux pour que l’on commençât à le regarder plus en détail, afin de graver dans sa mémoire les traits du pauvre homme en train de se faire malmener par sa grognasse. C’était souvent le cas ; ces gars-là s’en retrouvaient moqués, les rumeurs allaient bon train à leur sujet, et les pires ragots commençaient aussitôt à circuler. Avaient-ils été découverts en plus galante compagnie ? Avaient-ils perdu leur paie aux dés, ne pouvant plus assurer l’achat d’une maigre pitance ? Avaient-ils oublié d’étendre le linge ? C’était que Marwen en avait vu des vertes et des pas mûres, à ce sujet-là, et il avait été le premier de se gausser de ces crétins assez faibles pour qu’une femme les menât par le bout du nez. Aussi, se retrouver à leur place, subitement, lui inspirait une certaine appréhension. Mais non, la sorcière hochait du chef au fur et à mesure de ses paroles ; elle était assurément heureuse de le revoir.

C’était précisément ce qu’il était en train de se dire au moment même où elle lui balança le contenu de sa choppe au visage. Celle-là, il ne l’avait pas vue venir. Il aurait dû être sur ses gardes, pourtant, s’en méfier, le deviner. Après réflexion, il y avait eu tant de signes avant coureurs pour le lui annoncer, des présages que l’alcool qu’il avait ingurgité lui avait dissimulés. Sa manière de se redresser sur son dossier, comme s’il l’avait injuriée. L’un de ses sourcils, qui s’était haussé. Et sa bouche qui s’était pincée en une moue sceptique, dubitative.

Le geste ne manqua pas d’attirer l’attention sur leur petit couple nouvellement formé, et l’Esbigneur perçut, çà et là, quelques petits coups de coude que l’on s’échangeait afin de mettre ses compères au courant ; il pouvait bien y avoir du grabuge, à cette table, entre un gus et sa belle, et mieux ne valait pas en manquer une miette. C’était toujours très croustillant, ces moments-là. Le bruit d’arrière fond de la taverne enfla l’espace d’un moment, se redirigeant vers eux, ce qui doucha l’enthousiasme et l’élan du contrebandier. Il resta là, interdit, subitement pétrifié, tandis que la pisse d’âne lui dégoulinait le long du visage. Ce fut au tour de la sorcière de se lancer dans une sacrée logorrhée.

Sarcastique, elle commença par singer de l’avoir pris pour un fantôme. Puis elle embraya sur une série de questions, feintant de lui demander comment il allait de son côté que pour mieux lui expliciter son ressenti personnel, comme s’il lui avait retourné la politesse. Ainsi, comment allait-elle, elle ? Elle semblait avoir placé de hauts espoirs en Marwen après leurs dernières péripéties, et pour cause, après tant de discordes, après tant d’affrontements et tant d’aventures, ils avaient manqué de se tomber l’un l’autre dans les bras. Et davantage si affinité. L’Esbigneur s’en rappelait très bien ; il aurait pu pousser le vice un peu plus loin, cette fois-là, mais, pour des raisons incertaines, il s’était simplement contenté d’un chaste baiser. Voilà qui ne lui avait pas du tout ressemblé. Pourtant, il s’en était reparti le cœur aussi léger que son âme avait été guillerette. Lui-même avait cru à sa propre promesse ; celle de revenir le plus vite possible. Mais le destin en avait décidé autrement, et il n’avait pu honorer son serment.

Si lui était parvenu à mettre tout cela de côté –il n’avait pas eu le choix, devant songer avant tout à sauver sa vie au moindre instant-, la petite vie tranquille d’Elisabeth avait laissé à cette dernière bien du temps pour ressasser l’agréable souvenir de leur dernier échange, lequel s’était peu à peu altéré en une palpable amertume. Elle avait eu davantage de mal à l’oublier, semblait-il, et lui en tenait toujours rancune. Mais elle avait su bon gré malgré prendre du recul face à cette histoire, pour finir par aller de l’avant. Et, à présent, elle allait mieux, ayant retrouvé dans ses occupations de quoi éponger son animosité à son encontre.

Puis elle lui parla des pirates. Pourquoi diable balançait-elle le sujet, comme ça, là ? Coïncidence, ou bien suspectait-elle quelque relation de sa part avec eux ? Ça n’avait ni queue ni tête, ainsi, dans la discussion. Bien sûr, qu’il en avait entendu parler, puisqu’il les avait rejoints, et qu’il s’agissait là de la raison principale pour laquelle il n’était pas revenu à Marbrume ces derniers temps. Trop dangereux. Trop risqué. Devait-il lui conter toute l’histoire ? Il n’en savait rien. Cela sonnerait comme autant d’excuses pour expliquer sa lâcheté. Mais ces raisons, pourtant, étaient valides. Pour qui avait eu vent de l’affaire, Marwen était un homme recherché, une fois de plus. Il se mordilla la lèvre, mais ce que lui affirma par la suite la sorcière lui fit oublier tous ses soucis.

Parlait-il du coffret récupéré après avoir crapahuté le long de la falaise ? Marwen fit oui de la tête. De ce coffret plein d’argent ? Il hocha de la tête, encore un peu plus vite. Le coffret qu’il avait juré de venir rechercher ? Oui, toujours plus promptement. Le coffret qu’il lui avait confié comme un gage de sincérité, de confiance ? A ces mots, Marwen hésita quelque peu. Mais il pensa à toutes les richesses qu’il abritait. Ouiiii refit-il encore plus frénétiquement du chef.
Eh bien, ce coffret-là, elle l’avait toujours.

Certes, il semblait bien qu’il lui en eût coûté de le lui avoir avoué. Sa mâchoire s’était contractée, ses poings s’étaient refermés, ses ongles avaient profondément mordu ses chairs, et elle avait pris sur elle pour le lui annoncer avec un calme olympien. Cette manie de souffler par les naseaux en racontait beaucoup. Mais la sorcière n’avait pu se détourner de la vérité. Elle n’avait pu mentir. Certes, encore, elle l’avait dissimulé quelque part, hors de sa portée, disait-elle, là où il ne pourrait jamais le retrouver. Mais peu lui en chalait ; ce coffret et son contenu existaient toujours.

« DANS MES BRAS, SORCIERE ! » rugit-il alors tout bonnement, manquant de renverser la table tout en la prenant vigoureusement dans ses bras. Elle protesta bien, mais elle ne fut faire face à l’engouement de Marwen, et pour cause ! Elle avait toujours le coffret. Cette maudite sorcière l’avait toujours. A dire vrai, il en aurait presque mis sa main au feu avant de venir céans même ; Elisabeth avait déjà tout dilapidé. Voilà ce qu’il avait pensé. Comme toutes les bonnes femmes, elle avait tout dépensé en joaillerie, en soierie, en petits bijoux, ou, dans des vices plus pervers, en ses livres de magie noire, en dents de pendu, en racines de mandragore. Mais que nenni. Elle avait tout gardé. Ça c’était une bonne femme comme Marwen les aimait. Elle avait le sens du profil, elle connaissait la valeur de l’argent. Pourquoi ne l’avait-il pas vu plus tôt ? Ils étaient faits l’un pour l’autre. Là, l’Esbigneur la contemplait droit dans les yeux, la tenant à bout de bras, l’air béat.

« Une sorcière ?
- Qu’est-ce que…
- Regardez comment elle l’a ensorcelé !
»

Le bruit ambiant de l’échoppe avait subitement changé. Les rumeurs s’étaient tues, les ragots avaient diminué de volume, et, si ce n’étaient ces quelques voix, le silence s’était subitement fait dans la grande pièce. Tiquant, battant des paupières avec une seconde de retard, le contrebandier se replaça dans le contexte. Peut-être que brailler la dénomination de sorcière, dans les tréfonds de Marbrume, n’était pas la chose la plus indiquée qui fût. Les petites gens avaient pour eux cette gênante habitude de tirer de fâcheuses et néfastes conclusions, et il suffisait d’un rien pour les aiguiller sur la mauvaise voie. Bien sûr, Marwen ne pouvait pas leur en vouloir ; c’était vrai, Elisabeth était une sorcière, elle l’avait à maintes fois prouvé, mais elle n’était pas une mauvaise sorcière. N’avait-elle pas toujours son coffret ?

Là, les airs se faisaient plus menaçants, les traits plus fermés, et les regards plus mauvais. Les plus valeureux commençaient à se regrouper autour d’eux, mais l’on se cherchait encore du regard, dans l’assemblée. Bien fou serait celui qui effectuerait le premier pas ; il ne manquerait pas d’être pétrifié sur place par un maléfice de la magicienne. Mais, tandis qu’elle serait toute occupée à la tâche, un second, puis un troisième, aurait tout le loisir de lui sauter dessus afin de l’entraver et de la rendre inoffensive, assurément. Les commentaires continuaient de plus belle.

« … Pas possible, vu comment elle a été mauvaise avec lui…
- Elle lui a renversé le contenu de sa choppe sur la tête…
- Et il la remercie et la prend dans ses bras ?!
- … Pensez qu’elle a envoûté la bière ?
- Très certainement, un gars comme lui aurait tôt fait de lui briser le cou s’il le voulait.
- Ma grognasse, moi, elle me fait ça, je la bastonne.
- Ouais, il s’est même pas défendu.
»

Marwen se leva, l’air pas commode, et fit face à la foule.

« Le premier qui la touche, je lui colle la tête entre les deux oreilles et je lui fais bouffer ses dents. Pigé ? »

On le regarda de biais, encore plus ébahi par la réponse qu’il venait de donner.

« … Et il est désormais prêt à sacrifier sa vie pour elle !
- Elle l’a complètement ensorcelé !
- Sorcière !
- Sorcière !!
» scanda l’assemblée, presque d’une seule et unique voix.
Revenir en haut Aller en bas
Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
MessageSujet: Re: Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].   Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. EmptyMar 19 Fév 2019 - 17:40
Ah mais lâche-moi bougre d’imbécile ! avait rouspété l’apothicaire en se tortillant autant que possible pour se défaire de l’étreinte à laquelle on la contraignait.

Si elle avait su que son annonce aurait un tel effet, elle aurait sans doute menti sans vergogne pour se délecter du plaisir de le voir se morfondre sur sa fortune perdue. La prochaine fois elle envisagerait cette option avec plus de sérieux.
Ce balourd lui écrasait les côtes et lui rappelait qu’elle était encore trempée d’eau de pluie, ce qui était assez inconfortable. Elle le lui fit savoir d’un regard furieux lorsqu’il la libéra enfin, tout content qu’il était de se savoir hors de la misère sans doute. Qu’elle refuse de lui rendre le coffret ou de lui donner son emplacement ne semblait pas encore effleurer son esprit alcoolisé. De toute façon, il trouverait un moyen de la forcer à le lui rendre, sans doute en la menaçant de mettre à sac sa boutique s’il venait à piquer une nouvelle colère ou quelque chose du genre. Et puis à quoi bon lutter, plus vite elle le lui donnerait et plus vite elle serait débarrassée de lui non ? Il n’était là que pour ça, inutile de croire qu’il s’attarderait pour elle une fois sa richesse récupérée. Alors à bien y penser, était-ce vraiment utile de le menacer de ne jamais lui dévoiler l’emplacement de cette fameuse cachette ?

Remballe ton sourire, tu me donne envie de te frapper, maugréa-t-elle alors que l’atmosphère dans la pièce était en train de virer à l’électrique.

On la toisait d’un air méfiant et mauvais, on parlait à voix basse en la dévisageant, on reluquait aussi l’Esbigneur avec un mélange de colère et de frayeur, comme s’il était tout à coup porteur d’une maladie grave. Voilà qui fleurait bon les emmerdes ! Amusant ça, comme elle se retrouvait toujours dans les ennuis lorsqu’elle se trouvait en compagnie du bougre qui maintenant essayait de se faire plus gros et menaçant pour faire reculer la foule superstitieuse. Il n’en fallu pas plus pour qu’on se mette à hurler à la sorcière, ce qui ne manqua pas de faire pâlir l’accusée. Comment en étaient-ils arrivés là si vite ?
Deux brutes au front un peu plus bas que celui des autres mais aux bras solides se levèrent de leur chaise pour s’approcher avec cette étincelle dans les yeux qui ne ment pas : ils voulaient en découdre. Elisabeth, qui s’était levée à son tour, recula d’un pas et sentit la table heurter l’arrière de ses jambes. S’ils se retrouvaient pris dans une bagarre générale, elle n’était pas certaine de pouvoir en réchapper indemne. Elle chassa de son esprit les suppositions les plus glauques quant au sort qu’on pourrait lui réserver si la colère montait d’un cran. Les fulminations de Marwen ne semblaient pas vraiment refroidir les ardeurs belliqueuses de la populace et une crainte bien réelle nouait le ventre de l’apothicaire à mesure qu’elle voyait se lever et se rassembler la masse compacte autour d’eux. Par réflexe elle avait glissé hors de sa manche l’une de ses désormais fameuses grandes aiguilles. Inutile de préciser qu’en cas d’attaque, ça ne lui serait pas d’une grande utilité.

Puisque la hargne et la violence ne semblaient pas suffisant pour dissuader tous ces rustres de décharger leur colère sur une innocente, il était temps d’improviser en sortant sa meilleure interprétation de sorcière possible. Elisabeth n’avait pas grand-chose sur elle pour faire illusion, mais comme elle ne sortait jamais les poches vides (question d’habitude à force de frayer avec la racaille) peut-être qu’un peu d'esbroufe suffirait à leur tailler un passage jusqu’à la sortie. Et une fois dehors, elle se ferait un plaisir d’étrangler de ses propres mains ce foutu contrebandier qui lui en faisait voir des vertes et des pas mûres.

Arrière les pécores, avant que je me fâche à mon tour ! aboya-t-elle au rostre grossier des deux molosses qui s’étaient encore approchés. Le premier qui bouge, je vais lui faire regretter.

Sa bravade fit descendre d’un ton les accusations qui avaient commencé à fuser à propos d’un peu tout et n’importe quoi et l’assemblée se mura dans un vague grognement attentif et méfiant. On se demandait quel maléfice pourrait lancer la drôlesse et s’il était possible de l’éviter ou si le risque de malédiction était trop grand. Il faudrait aussi compter sur son envoûté qui se jetterait sans doute dans la mêlée et personne n’aime se faire casser les dents. Chacun calculait dans sa tête les risques et les chances de succès. Est-ce que ça en valait la peine ?
La prétendue sorcière avait doucement fait un pas sur le côté, puis un autre, longeant le bord de la table pour la contourner et rejoindre l’Esbigneur. S’il fallait se frayer un passage à travers la foule, il saurait mieux qu’elle jouer des poings pour dégager la route. De sa main libre, à l’abri sous sa cape détrempée, elle avait fouillé le plus discrètement possible dans une petite poche à sa ceinture pour y prendre ce qui ressemblait à un petit baluchon fragile de la taille d’une cerise. En temps normal elle aurait utilisé des gants mais il faudrait qu’elle se contente cette fois de faire attention pour éviter de se causer à elle-même des douleurs et, le cas échéant, de serrer les dents. Cette poudre urticante était un peu douloureuse sur la peau mais c’était un moindre maux. Le pire était sans doute de la respirer ou d’en avaler.

On va sortir et vous allez retourner à vos verres, tout ça n’aura été qu’un mauvais rêve.

Elle envoya un coup de coude à son comparse qui était désormais en charge de les extrader sans dommages. Après tout, c’était entièrement sa faute s’ils étaient ici et si une masse puante de grouillots se prenait pour la voix de la justice du clergé !
Revenir en haut Aller en bas
Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
MessageSujet: Re: Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].   Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. EmptyVen 22 Fév 2019 - 18:02
Ça grondait dans la taverne, ça se poussait les uns les autres, les premiers pour reculer, craignant à la fois la carrure de l’Esbigneur comme les sortilèges de ladite sorcière, et les seconds pour parvenir au premier rang afin de mieux voir la scène. Les jurons allaient bon train, aussi, de même que les regards mauvais et les mains qui commençaient à attraper le mobilier. Tout aussi grossier qu’il était, il n’y avait aucun doute quant aux dégâts qu’il serait à même d’occasionner. Ça sentait pas forcément bon.

Elisabeth l’avait bien compris, remarqua Marwen, et pour cause, la donzelle avait sorti son arme de prédilection d’une de ses manches. Le contrebandier ne s’en rappelait que trop bien ; une pique, et vous voguiez subitement sur un océan oublié, la tête dans les nuages, mais avec une horrible démangeaison incurable qui vous bousillait le bras.

« T’as toujours ta baguette magique, sorcière ? lui murmura Marwen, tandis qu’ils s’étaient tous deux levés et progressaient lentement en direction de la sortie de l’établissement. Je ne m’en souviens que trop bien, à quel point elle est efficace. Mais contre qu’une seule et unique personne. Pas contre une foule de fous furieux. »

Il avait cessé de menacer les clients. Il avait bien remarqué ce que cela donnait ; au plus il les invectivait, au plus ils pensaient qu’il avait été ensorcelé par la bonne femme, les nigauds. Cette dernière, par contre, avait décidé de prendre son rôle avec bien plus de sérieux que Marwen ne lui en avait jamais vu. Elle s’en prenait à eux, à ceux qui avaient le courage de s’approcher. Et les regardait dans les yeux, et leur promettait que, au moindre nouveau pas en leur direction, ils le regretteraient amèrement. En tout cas, cette inconfortable situation avait bien dégrisé Marwen, lequel voyait bien plus clair, et avait même commencé à prendre un certain recul.

« C’est après toi, qu’ils en ont surtout, pas vrai ? Moi, je ne suis qu’une pauvre victime de ta sorcellerie, lui sourit-il d’un air mauvais, à voix basse. Je m’effondre par terre, je rejoins leur rang, peu importe. Je devrais m’en sortir indemne. Mais toi… ? »

L’idée avait de quoi le séduire. Il n’était pas adepte des grandes chevauchées glorieuses, sus à l’ennemi, mais plutôt des coups bas donnés dans le dos. Et cela, peu importait la cible. Car mieux valait survivre en traître que mourir en héros. Lesdits traîtres et autres soudards avaient toujours de quoi vivoter, se dissimulant çà et là, se contentant de peu, si ce n’était de quelques plaisirs éphémères. Mais Marwen avait toujours mené son existence de la sorte, alors, que cela pouvait-il bien changer ? Les macchabées, eux, en revanche…

« Toi, tu passeras un très mauvais quart d’heure. Si tu as de la chance. Imagine un peu. »

Ils continuaient de progresser tout en menaçant ces décérébrés. Marwen tenait bien fermement sa dague dans sa dextre, et sa senestre avait harpé un cruchon de bouteille. Le premier qui se montrerait un peu trop téméraire allait le payer cher. La foule était compacte ; la sortie, un peu trop loin à son goût.

« Mais bon, souffla-t-il, redoublant d’attention face à cette dangereuse, quoiqu’incertaine, assemblée, l’on vient juste de se retrouver, toi et moi, chérie. Tu connais ma nature égoïste. J’ai pas trop envie de te partager avec tous ces connards. » Et puis, ce n’était pas comme si elle n’avait pas planqué son précieux coffret, après tout.

Ça sentait le sapin, ici-bas, ça allait tourner au vinaigre. Elisabeth avait certes l’air peu amène, mais elle ne jouait pas sa partition si bien que cela. Elle pouvait bien mieux faire. Ainsi, une fois de plus, ça allait être à lui que de les tirer d’affaires. Le bon vieux temps.

« Ce que je ne ferai pas pour toi, sorcière. »

Marwen s’arrêta subitement, et son attitude changea du tout au tout. Alors menaçant et dangereux, il sembla soudainement avoir avalé quelque chose de travers, et sa main se déplaça sur son estomac. Il paraissait livide, ne se portait si bien que cela, et ce comportement intrigua l’assemblée. Puis, il toussa. D’abord légèrement, puis de plus en plus fort, avant de se plier en deux. Sa toux, bien grasse, colora ses joues d’un rouge sombre, et l’obligea à porter sa main devant sa bouche. Le mouvement ne fut pas assez rapide ; il cracha au sol, et l’on put y voir, sur la terre battue, quelques taches de sang.

Marwen continua son numéro, le corps cassé, expectorant de plus en plus de sang, et chacun des spectateurs s’en trouva saisi. L’on ne désirait plus tant que cela avancer sus à cet homme qui portait désormais le mal en lui, et moins encore à cette sorcière qui l’avait implanté. Le désarroi, puis l’horreur commencèrent à se deviner sur les visages des crédules, lesquels entamèrent un repli stratégique.

« Je.Vais.Tous.Vous.Tuer. » lança Marwen dans un borborygme mécanique et morne. Alors toujours courbé en deux, ses épaules s’affaissèrent vers l’avant, et il s’immobilisa, comme arrêté à tout jamais. Le silence se fit dans la salle, et nombre de regards inquiets se croisèrent dans l’assistance. Alors, le contrebandier se redressa, lentement, mécaniquement et de guingois, comme une marionnette aux fils inégaux.

« Je.Vais.Tous.Vous.Tuer. »

Son bras jaillit à la perpendiculaire de son corps, sa main tenant fermement sa dague, et, il se taillada la longueur du bras gauche. Alors, dans cette même démarche étrange, raide, et inexorable, l’Esbigneur se dirigea vers le pécore le plus proche. Sa cible recula ; qu’importait la personne derrière elle, qu’importait qu’elle lui marchât sur le pied, la peur l’avait tant gagnée qu’il ne répondait plus de ses actes. Les bras écartés, il recula, encore et encore, avant d’effectuer un demi-tour et de fendre la foule dans un petit gémissement plaintif. Il fut bientôt suivi par d’autres. Rapidement, une fuite éperdue commença à s’organiser devant Marwen, qui agrippa la manche d’Elisabeth pour la tirer derrière lui. Il pourchassait les couards.

Car le pirate avait marché en direction de la sortie bien plus qu’il n’avait visé une personne précise, et, désormais, un rang s’était ouvert vers l’extérieur. Il rua, rugit, aboya, et se mit à courir ; l’on eût juré qu’il voulait bien davantage pourfendre les fuyards que s’esbigner de l’établissement. La frêle sorcière vola dans son sillage, n’ayant point le choix. Les badauds, bien trop heureux de constater que l’on en avait après d’autres qu’eux-mêmes, ne tentèrent plus, cette fois-ci, de les en empêcher.

La pluie les cueillit dehors, avec son martèlement habituel. Le temps ne s’était pas abeausi, depuis, et les flaques, dans les venelles, n’avaient fait que s’élargir. Toute cette flotte qui leur tomba sur la tête changea aussi l’état d’esprit de Marwen, qui se mit à s’enfoncer au hasard sous les encorbellements miteux des vétustes maisonnées. Peu importait où ils allaient ; mieux valait mettre le plus de distance possible entre leur personne et cette plèbe.

« Je préfère être sûr. Après tout, t’es peut-être recherchée comme sorcière, maintenant », lui dit-il une fois qu’ils se remirent à marcher. Il cracha dans la boue, et du sang sortit encore d’entre ses lèvres.

« J’ai dû me mâchouiller la langue. Ça fait bigrement mal, tu sais. Putain, je vais même plus pouvoir me coller une petite rasade sans que ça m’arrache la gueule. »

Ronchonnant, Marwen observa également sa plaie au bras. A dire vrai, maintenant qu’ils s’en étaient sortis, il se demanda bien ce qui lui était passé par la tête. Cracher du sang avait été amplement suffisant, en fin de compte ; les gus n’avaient plus réagi sitôt qu’il avait commencé. Résultat, il avait écopé d’une belle balafre supplémentaire et totalement inutile. Il laissa la pluie lui balayer le sang qui coulait encore, avant de se tourner vers Elisabeth.

« Enfin, heureusement que j’étais là, arharharh. La peur qu’ils ont eue, ces crétins. Bon. Après t’avoir sauvé ta vertu et ta vie, je pense que ça vaut bien une petite récompense, non ? »

Revenir en haut Aller en bas
Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
MessageSujet: Re: Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].   Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. EmptyMer 27 Fév 2019 - 17:36
C’est après toi, qu’ils en ont surtout, pas vrai ? Moi, je ne suis qu’une pauvre victime de ta sorcellerie. Je m’effondre par terre, je rejoins leur rang, peu importe. Je devrais m’en sortir indemne. Mais toi… ? Toi, tu passeras un très mauvais quart d’heure. Si tu as de la chance. Imagine un peu.

Elisabeth sentit une tension supplémentaire lui crisper les épaules et elle jeta un regard venimeux à l’Esbigneur. Peut-être que quelques mois auparavant elle aurait goûté à la plaisanterie, certaine qu’il n’oserait pas l’abandonner à son sort, mais après avoir été si longtemps sans nouvelles pour le retrouver finalement sans le sous et courant après un vieux trésor, elle était beaucoup moins convaincue que sa sécurité revête une quelconque importance pour le contrebandier. Elle songea qu’en lui plantant l’aiguille dans les côtes, elle arriverait peut-être à lui causer une insuffisance respiratoire en plus de donner un avant-goût à tous ces marauds de ce qu’elle pouvait faire, ce qui lui assurerait de se débarrasser de ce mufle en plus de la sortir du pétrin. Mais évidemment elle n’avait pas le sang assez froid pour pouvoir tuer de cette façon et elle n’oubliait pas qu’elle était encore la détentrice de cette fameuse fortune qui le faisait saliver. S’il voulait toucher le pactole, il devait la garder en vie, c’était sans doute la meilleure des assurances.

Bien sûr, il ne manqua pas l’occasion de lui servir un joli mensonge pour justifier de lui venir en aide. C’était un peu trop fort de café pour qu’elle morde si vite à l’hameçon, d’autant qu’elle commençait à le connaître, cet animal : rien ne faisait mieux battre son cœur que la promesse d’une richesse à portée de main. Elle maugréa un “Ça pour la connaître…” et le laissa improviser un numéro dont il avait le secret. Pour ce qui était de trouver des idées farfelues afin de se sortir de la panade, elle pouvait en revanche toujours compter sur le gus ! C’était la moindre des choses lorsqu’on songeait qu’il était souvent responsable de ladite panade.
Cette fois-ci il s’improvisa tout un personnage d’ensorcelé maudit à grand renforts de spasmes et de quintes de toux. Il y allait si bien et avec tant d’enthousiasme qu’Elisabeth se demanda un instant s’il n’allait pas tout bonnement recracher ses poumons devant tout le monde. Délaissant les petites doses urticantes qu’elle avait projeté de lancer sur l’assistance, elle se redressa un peu en ayant l’air aussi dégagée que possible, le regard baissé vers sa victime. Inutile de faire plus de théâtre, elle n’avait qu’à prendre une expression neutre et froide comme si tout ceci était parfaitement normal pour elle. Il lui fallut cependant se mordre l’intérieur de la joue pour paraître imperturbable alors que Marwen s’entaillait allègrement le bras. Est-ce qu’il comptait sur elle pour recoudre et passer de la pommade ? Parce qu’il pouvait bien se brosser pour avoir encore une fois des soins gratuits ! Elle avait déjà donné et ça ne lui avait rapporté que des ennuis.

Avant d’avoir pu s’inquiéter plus longtemps de l’état de santé physique et mental du contrebandier, la donzelle fut tirée en avant et entraînée dans le mouvement de foule qui se pressait vers la sortie. On la bousculait, on la repoussait de tous les côtés, on lui marchait sur les pieds mais bientôt elle fut dehors, sous la pluie. Décidé à fuir les lieux, l’Esbigneur la tracta encore un moment au petit trot avant de la lâcher pour s’examiner un peu et reprendre son souffle, estimant avoir mit assez de distance entre eux et les imbéciles de la taverne.

Enfin, heureusement que j’étais là, arharharh. La peur qu’ils ont eue, ces crétins. Bon. Après t’avoir sauvé ta vertu et ta vie, je pense que ça vaut bien une petite récompense, non ?

Une main appuyée sur sa taille, courbée en deux pour essayer de retrouver son souffle, Elisabeth le considéra un moment avec un air médusé, comme si elle avait du mal à croire qu’il puisse trouver amusant cette cavalcade dans les rues dégueulassées de boue du Labourg.

— Une petite récompense ?

Elle se redressa, ses yeux lançant des éclairs et ses poings serrés.

Tu veux une récompense pour m’avoir sauvé la vie dans cette taverne ? fit-elle avec plus d’aplomb encore, avançant sur lui jusqu’à pouvoir le pousser à deux mains en arrière pour l’obliger à reculer. C’est de ta faute si on a été obligés de courrir ! C’est toi qui m’a donné rendez-vous dans cette taverne POURRIE ! C’est toi qui t’es mit à brailler des conneries dans toute la salle !

Elle le poussa encore une fois, avec plus de brusquerie pour le faire reculer encore d’un pas et avancer de nouveau. Le martellement de la pluie sur les murs et les toits couvrait à peine sa voix qui était monté d’un ton dans les aigus et qui, malgré la petite taille de l’apothicaire, portait loin.

C’est toi qui a décidé de te tailler la couenne pour jouer les ensorcelés et c’est toi qui m’a fait passer pour une sorcière alors que j’avais rien demandé ! Toi qui m’a laissé le coffret, toi qui t’es barré je sais pas où pour faire encore plus de conneries parce que t’es bon qu’à attirer des emmerdes, toi qui te repointe la bouche en coeur me réclamer des sous alors que t’as une haleine de poche à vinasse ! C’est toi qui me met toujours dans la merde mais c’est jamais toi qui trinque ! Tout ! Ça ! C’est ! Ta ! Faute ! martela-t-elle en frappant du plat des mains le torse et les épaules du contrebandier.

Hors d’haleine, elle recula enfin de deux pas et shoota de toutes ses forces dans une pierre qui alla ricocher sur un mur. C’était inutile mais elle n’avait rien de mieux sous la main pour le moment. Un peu de vaisselle aurait fait l’affaire pour calmer son besoin de briser quelque chose. Elle se força à prendre une grande inspiration pour réprimer ce qu’il lui restait de colère.

Peu importe. Peu-im-porte. Tu sais quoi ? Je vais te donner ton stupide petit coffret et tu vas disparaître pour de bon. Et je m’en fiche de savoir pourquoi tu en as besoin. Je veux plus t’entendre et je veux plus te voir non plus.

Elisabeth jeta un regard circulaire à la ruelle pour essayer de deviner où elle était et par où il fallait aller pour remonter au Crapaud. Tout ce qu’elle voulait maintenant c’était en finir avec cette histoire car plus elle y pensait et plus elle se sentait stupide, humiliée et furieuse. C’était bête d’avoir cru, même un instant, qu’il avait vraiment souhaité la revoir. Il n’y avait que l’argent qui comptait, c’était tout ce qui les avait lié depuis le début et elle aurait mieux fait de s’en tenir à cela. Si elle était née homme elle n’aurait certainement pas cédé à la sensiblerie de cette façon.
Décidant d’une direction approximative et refusant catégoriquement d’adresser encore un regard à l’Esbigneur, elle lui passa devant, les lèvres pincées, et remonta la rue à grands pas en espérant qu’elle pourrait tourner à la prochaine intersection pour regagner la Grande Rue. le plan était simple : rentrer, lui donner son maudit coffret et ne plus jamais entendre parler de lui.
Revenir en haut Aller en bas
Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
MessageSujet: Re: Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].   Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. EmptyVen 1 Mar 2019 - 13:27
Si l’Esbigneur détenait l’étonnante capacité de toujours se fourrer dans les emmerdes, il en avait une seconde tout aussi louable ; savoir en retirer que le positif, fût-il minime, pour occulter le plus désagréable. Là, une fois de plus, il était fort possible qu’ils eussent pu y laisser la vie. Pourtant, Marwen préférait garder le bon souvenir de la peur qu’il avait inculquée dans l’esprit de ces crétins, il préférait se remémorer leurs mines horrifiées et retenir leur débandades. C’était sa manière de fonctionner, de vivre, ou de survivre à tous les dangers que recélait désormais ce morne monde qui était le leur. Mais tout cela n’était aucunement du goût d’Elisabeth.

Courbée en deux, elle tentait de reprendre son souffle après avoir couru dans les venelles de Marbrume. Mais lorsqu’elle entendit le rire du contrebandier, elle se redressa, l’air aussi mauvais que perplexe. Non, elle, semblait-il, avoir risqué son existence, avoir pris le risque de finir brûlée ne la réjouissait guère. Et lorsqu’il réclama sa récompense, ce fut la goutte de trop, celle qui fit déborder le vase.

Les yeux brillants de colère, elle marcha droit sus à Marwen, le désignant à l’aide d’un index aussi agressif que menaçant. Tout était de sa faute, apparemment. Sa faute s’ils avaient dû courir, sa faute pour le rendez-vous dans l’auberge, lui qui s’était infligé ses propres blessures, lui qui l’avait fait passer pour une sorcière. Et à chaque nouvelle accusation, l’apothicaire le poussait que davantage encore dans une mine exaspérée. Avec sa petite voix qui tirait sur les aigus, elle paraissait au bord de la rupture. Car c’était lui qui, toujours, lui avait concédé le coffret, lui qui avait juré de revenir, lui qui ne l’avait pas fait, lui qui la mettait toujours dans la merde sans jamais que les conséquences ne lui retombassent dessus. Et elle continuait de le frapper de ses petits poings tandis qu’elle l’invectivait que plus encore.

Marwen s’était subitement rembruni ; sa dernière allégresse avait été douchée par la réaction de la bonne femme. Il la laissait jaspiner tout son soul, sous cette pluie battante qui ne parvenait pas à recouvrir les fracas de cette voix féminine. Elle le tapait faiblement, sa maigre silhouette ne parvenant point à infliger le moindre dégât à la carcasse trapue de l’Esbigneur, aussi la laissait-il faire. Il retenait, surtout, tout autant de remarques bien incisives à l’encontre d’Elisabeth.

Enfin, elle se calma, prenant une grande respiration, et se détourna de lui. Elle lui donnerait son maudit coffret, ainsi, si ce n’était que ce qui l’intéressait. Elle se fichait bien de ce qu’il pouvait faire de cet argent, tant qu’il le prenait et qu’il disparaissait pour de bon. Ne plus le voir, ne plus l’entendre. Elle se détourna de lui, cherchant son chemin. A dire vrai, la dernière remarque lui arracha un petit rire, balayant presque la colère qu’il avait pu lui-même emmagasiner.

« Allons bon, je sais bien que tu mens lui lança-t-il en hâtant le pas, se mettant à sa hauteur. Franchement, sans moi, ta vie serait d’un ennui mortel. »

Il déambula à ses côtés, effectuant de grandes et rapides enjambées afin de pouvoir tenir le rythme d’une Elisabeth peut-être encore plus amère. Car n’avait-il pas raison, sur cet unique point, au moins ? Cela, elle ne l’avouerait jamais, et elle ne lui témoignerait dès lors que davantage de morgue encore, tentant d’occulter la véracité de ses dires.

« Eh, rien d’autre que la routine pour animer une morne existence qui ne veut pas vraiment la peine d’être vécue. Toujours les mêmes clients et leurs sales gueules pitoyables, malingres, qui se plaignent toujours de la même chose, des petits tracas du quotidien. Les mêmes potions à leur filer, les mêmes préparations à concocter, le même faux sourire à leur afficher, histoire de faire genre que t’es pas trop un glaçon, sorcière. Ouais, sorcière. Parce que t’as beau dire, mais tu fais quand même des trucs pas trop nets avec tes baguettes magiques piquantes et tes crapauds, avec toutes tes bestioles que tu élèves en catimini et avec lesquelles tu prépares tes sortilèges. »

A cette simple pensée, il se frotta ce bras dans lequel elle lui avait autrefois enfoncé une aiguille, tout en continuant sa route.

« Jusqu’à présent, ça t’avait pas trop dérangé que je t’appelle comme ça. C’est un fait ; ça te correspond bien, et tu en joues avec moi. Mais peut-être que si tu te livrais pas à toutes ces choses pas naturelles, j’aurais jamais eu l’idée de te refiler ce surnom, que je n’aurais jamais prononcé dans cette foutue taverne. Tiens, la taverne, parlons-en. Pour que tu acceptes de me revoir, comment aurais-je dû faire ? Fallait que je titille ton intérêt, que ta curiosité puisse transpercer la froideur de ta carapace. Sans quoi, soyons honnête, si je m’étais pointé sur le parvis de ton échoppe, jamais tu ne m’aurais laissé entrer. Et tu as, en plus, chez toi, tous tes maléfices à portée de main. Je suis pas con non plus. Comment crois-tu que je sois toujours en vie ? J’ai survécu aux fangeux, à la famine, et, récemment, aux pirates. »

Il lui jeta un coup d’œil en coin, l’air redevenu sombre, une fois de plus, puis finit par la retenir, lui attrapant le poignet pour qu’elle se retrouvât face à lui. Il s’agissait là d’un grave sujet, le concernant.

« Ouais, les pirates. Pourquoi tu m’as balancé les pirates, tout à l’heure ? C’est venu comme ça, dans la discussion. De nulle part. Je ne vois pas d’où ça vient, mais il a fallu que tu en parles. Je sais pas trop comment je suis catégorisé, dans ce trou perdu, auprès de la garde. Je sais pas s’ils sont au courant. Mais, justement, toi, tu l’étais, à mon sujet, avant que je te le dise maintenant ? Et si oui, comment ? Faut que je sache, histoire de savoir à quoi me tenir. C’est justement une des raisons pour lesquelles je ne suis pas revenu. »

Il la fixa du regard, avec insistance, comme s’il voulait absolument pénétrer dans son âme pour tâcher de faire la part des choses entre le vrai et le faux de ce qu’elle lui dirait. Puis il manqua tout juste d’afficher un petit rictus amusé. C’était osé, c’était du redit, mais il était joueur :

« C’est que, si une personne mal intentionnée et ayant une bonne connaissance de mes accointances nous voit, toi et moi, bha… Tu pourrais être dans la merde. Encore plus que maintenant. Une sorcière pirate, voyez-vous ? »
Revenir en haut Aller en bas
Elisabeth GardefeuApothicaire
Elisabeth Gardefeu



Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
MessageSujet: Re: Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].   Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. EmptyVen 1 Mar 2019 - 15:02
Elle devait bien admettre une chose : rien de ce qu’il lui dit avait de la rattraper par le poignet ne parvint à filtrer jusqu’à elle. Décidée à l’ignorer et à ne surtout pas entrer de nouveau dans son petit jeu de dupe, Elisabeth se répétait en boucle qu’elle n’entendait rien et se focalisait si bien sur la propre voix intérieure que les paroles de Marwen n’étaient qu’un bruit de fond incompréhensible. De toute façon c’était sans doute quelque chose qu’il lui avait déjà répété dix fois à base de “sans moi tu t’ennuierais, avoue je t’ai manqué, tu te voile la face, etc”. Rien qu’elle n’ait envie d’entendre pour l’instant. Elle était si bien concentrée sur le fait d’ignorer tout ce qui sortait de la bouche du contrebandier qu’elle sursauta presque lorsqu’il lui prit le bras pour l’arrêter.
Sa première réaction fut de lui lancer un regarde de “quoi encore ?!”. Après tout ce qu’il lui avait fait subir, il n’avait pas le droit de l’attraper comme si elle était une gamine prise en faute et encore moins de la retenir de partir. Mais le sujet des pirates suffit à l’empêcher de parler pour mieux écouter ce que lui voulait son lâche de partenaire.

Alors comme ça, il trempait dans des affaires de piraterie ? Pas étonnant qu’il craigne que la milice lui mette le grappin dessus, il risquait d’aller à l'exécution sans passer par la case “jugement” si on venait à apprendre qu’il faisait partie de ces rats des mers qui mettaient à mal tous les transports par bateaux. À cause d’eux, le commerce se portait plus mal qu’il aurait dû, des ressources précieuses avaient été perdues et des navires avaient coulés. On s’en remettait alors aux convois terrestres, souvent attaqués par des fangeux, mais les marchandises arrivaient plus souvent à bonne destination.
Un sourire sans joie lui étira un coin de la lèvre et elle souffla un rire par le nez, plus exaspérée qu’amusée par la nouvelle menace qu’il proféra envers elle. C’était déjà la deuxième fois en moins d’une heure qu’il lui faisait miroiter la possibilité de lui attirer de très graves ennuis si elle n’allaient pas dans son sens et cela lui laissait un goût amer dans la bouche. Depuis quand en étaient-ils à se considérer comme des ennemis à ce point ? Elle lui en voulait d’avoir disparu pendant plus de six mois mais elle n’avait jamais menacé de le dénoncer ou de lui causer du tort. Il n’avait aucunes raisons de la traiter de la sorte… Mais si c’était ainsi qu’ils devaient se parler maintenant, alors elle s’y résoudrait malgré le coup que cela lui portait.

Puisque tu crois dur comme fer que je suis une sorcière, ça ne devrait pas t’étonner plus que ça que je sache des choses dont personne ne m’a parlé, hm ?

Elle tira d’un coup sec sur son poignet pour se dégager de la prise. Il lui faisait un peu mal et surtout, il commençait à lui faire un peu peur. S’il tenait ses nouvelles manières des pirates, elle ne voulait pas en voir plus de ce nouveau Marwen Lamenace et certainement pas lui laisser l’occasion de lui passer une lame sous la gorge. Elle perdit son sourire et resserra les pans de sa cape sur elle même si le tissu lourd et glacé ne la protégeait plus.

Ravale ton venin l’Esbigneur, ce que tu me souffle c’est juste du vent. Moi aussi j’ai quelques accointances dans les bas-fonds et depuis que la Fange fait des blessés parmis la milice, je me suis faite des amis dans leurs rangs aussi. Alors qui est-ce qu’on va bien pouvoir croire quand il faudra raconter cette histoire : toi et ta gueule de traîne-misère ou moi qui remet sur pied les braves gars du Duc avec le sourire ? Inverse pas les rôles, j’ai pas besoin de toi pour me sortir des emmerdes, c’est toi qu’as besoin de moi pour sauver tes fesses. Et je n’aime pas trop cette nouvelle façon que tu as d’essayer de me mettre dos au mur.

Elisabeth fit un pas sur le côté, une expression de défiance plutôt sincère peinte sur le visage et mêlée à une tension un peu craintive qu’elle ne s’avouait pas.
Le contrebandier avait toujours été un allié à ses yeux, quelqu’un qui ne lui ferait pas de mal intentionnellement et même, après leur dernière virée nocturne, quelqu’un qui lui viendrait en aide si elle en avait besoin. La dernière fois qu’il l’avait menacée, il était brûlant de fièvre et sans doute un peu saoule aussi. L’apothicaire en avait eut si peur qu’à leur rencontre suivante, elle s’était écartée lorsqu’il avait levé une main vers elle. Maintenant qu’elle savait pour les pirates, ce qu’elle n’aurait jamais soupçonné s’il ne lui avait pas avoué lui-même, elle sentait de nouveau monter la crainte qu’il prenne l’avantage sur elle par la force. Il savait bien qu’elle n’avait pas vraiment de quoi se défendre, ce serait facile pour lui. Les Trois seuls savaient ce qui avait pu se passer durant ces longs mois et comment Marwen avait pu changer. La jeune femme n’était plus certaine que ses gouailleries soient aussi innocentes qu’auparavant.

Figure-toi, gros bêta, que j’en savais rien avant que tu craches le morceau toi-même à l’instant. Quelqu’un de ma connaissance t’a vu partir avec ceux qui sont aller défendre le Labret et il parait que t’as tout bonnement disparu. J’ai été au Labret en été pour négocier des stocks et personne là-bas se remembrait t’avoir vu traîner dans les parages ou avoir été enterré avec les autres. Je pouvais juste supposer que tu sois pas mort connement… Les pirates font beaucoup de mal à la ville, on envoyait tout par bateau pour éviter les fangeux et avoir enfin de quoi manger, mais depuis qu’ils font des ravages on a perdu des navires, des hommes et des vivres. C’est presque plus sûr de passer par les chemins, même avec les fangeux. Ça s’agite chez la noblesse et le peuple grogne, ça parle de se débarrasser des pirates. Alors je ne sais pas si la milice t’a dans le collimateur, mais tu fais bien craindre qu’on découvre qui sont tes nouveaux petits copains.

Les sourcils froncés, l’apothicaire détailla de nouveau de contrebandier des pieds à la tête comme si elle pouvait déceler chez lui quelque chose qui le trahisse, quelque chose qui permette d’affirmer qu’il était désormais de ces pirates sanguinaires à qui on ne peut pas faire confiance. Est-ce qu’il avait changé ? Est-ce qu’il n’était revenu que pour le coffret et allait-il lui faire du mal si elle ne lui rendait pas ? Est-ce qu’il avait participé à ces attaques, tué des malheureux et pillé sans vergogne ? Bien sûr qu’elle savait qu’il n’avait rien d’un enfant de cœur, mais il y avait une grosse différence entre magouiller dans les égouts pour refourguer des bibelots volés et se lancer à l’abordage d’un navire pour le couler. Un frisson lui secoua les épaules et elle se détourna, mal à l’aise.

Bon, tu le veux ton argent oui ou non ? J’ai froid, tu saignes et n’importe qui pourrait t’entendre crier sur tous les toits ce que t’es devenu.

Revenir en haut Aller en bas
Marwen l'EsbigneurContrebandier
Marwen l'Esbigneur



Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
MessageSujet: Re: Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].   Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. EmptyMar 5 Mar 2019 - 19:03
Lorsqu’il lui avait attrapé le poignet pour l’arrêter net dans sa course, Elisabeth avait presque sursauté tout en se retournant subitement. Ses traits avaient alors paru menaçants, l’air de dire qu’il n’avait pas intérêt à réitérer son geste. Mais ce qu’il avait à lui dire interrompit les velléités belliqueuses de la sorcière ; sa curiosité l’emporta une fois de plus, et elle l’écouta. Toutefois, l’expression et les paroles qu’elle lui retourna par la suite ne manquèrent pas d’étonner l’Esbigneur. C’était une sorcière, après tout ; normal qu’elle eût tout de suite compris à qui elle avait désormais affaire sans même qu’ils se fussent adressé plus de quelques mots.

« Ah, ouais, en tant que sorcière… J’imagine que c’est logique », proféra-t-il lentement en se passant la main sur l’arrière du crâne, réfléchissant à cette possibilité.

Mais, surtout, ce fut lorsqu’elle retira son poignet de son entreprise tout en se drapant dans sa pèlerine que Marwen tiqua. L’apothicaire parut alors bien plus distante et méfiante envers le contrebandier, reculant d’un nouveau pas tout en le contemplant d’un regard froid où, peut-être, s’y dissimulait une once de peur. Ce qu’il lui soufflait n’était que du vent ; elle n’était pas dupe. Si l’on devait comparer leurs paroles, elle, qui sauvait quotidiennement la garde du duc, et lui, pirate, alors elle ne doutait pas qu’il ne fît pas long feu. Il essayait tout simplement de la mettre dos au mur. Il tiqua de nouveau, cligna des paupières, et les bras manquèrent de lui tomber du corps. Mais que racontait-elle ? Pourquoi aller vers de telles suppositions ? Il refit vers elle ce pas qui l’avait éloigné de lui.

« Mais… Mais t’as rien compris, sorcière !, déclara-t-il d’une voix presque exaspérée. Cela dit, je me suis peut-être mal exprimé, mais, clairement, ta colère te fait entendre des choses qui n’existent pas. Merde, quoi. Ce que je voulais dire, c’était que si quelqu’un qui me connaissait te voyait en ma compagnie, il pourrait se faire de fausses idées sur toi. Sans rien que j’ai à balancer à qui que ce soit, tu vois ? Et là, les emmerdes auraient pu commencer, te concernant, tu piges ? Putain, c’est une des raisons pour lesquelles je ne suis pas revenu vers toi ces derniers temps. Pour pas que l’on t’associe à moi alors que j’avais fait des choses bien plus graves qu’auparavant, pour pas que tu risques de subir les interrogatoires de tes si gentils et si aimables patients que sont les hommes du Duc. »

Elle avait tout compris de travers, pensant qu’il la menaçait une nouvelle fois. Il avait la taquinerie facile et le don de semer le doute, mais il n’avait pas même songé, ne serait-ce qu’un instant, livrer la jeune femme aux autorités. Car, à dire vraiment, comment l’eût-il fait ? « Cette sorcière travaille avec moi, Marwen l’Esbigneur, personnage qu’un décret permet d’envoyer en prison sitôt que l’on m’attrape. C’est pour ça qu’il faut l’arrêter, pour association avec malfaiteur. Mais occupez-vous d’elle, pas de moi, qui suis en réalité bien davantage coupable qu’elle ne l’est ! »
Habile.

A son tour que de renifler ostensiblement tout en levant les yeux au ciel. C’était du grand n’importe quoi. Il finit par hâter le pas, rattrapant la jeune femme après s’être légèrement laissé distancer le temps de son dernier étonnement.

« Ouais, que je le veux, ce coffret » maugréa-t-il en marchant dans les flaques d’eau sans plus y faire attention, l’air passablement énervé.
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé



Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
MessageSujet: Re: Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].   Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen]. Empty
Revenir en haut Aller en bas
 
Souvent femme varie [Elisabeth & Marwen].
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Marbrume - Forum RPG Médiéval Apocalyptique :: ⚜ Cité de Marbrume - Quartiers populaires ⚜ :: Bas-Quartiers :: Le Labourg-
Sauter vers: