Marbrume


Le Deal du moment : -29%
PC portable – MEDION 15,6″ FHD Intel i7 ...
Voir le deal
499.99 €

Partagez

 

 Sous le brasier des fous

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyVen 1 Mar 2019 - 0:56
Sous le brasier des fous Okay_f10

En les hauteurs vertigineuses, tout là-haut, de chaudes couleurs descendirent du brasier crépusculaire et tapissèrent les tristement joyeux bas-fonds de la Cité. Une journée de dur labeur pour les plus honnêtes ou emplie de vices pour les plus fourbes, mais tous étaient de pauvres gens mourant à petit feu, seul ou en compagnie de leur famille dans des taudis effroyables de briques ou de bois mais, quels qu'ils soient, vivant constamment en l'incertitude d'un danger imminent, d'une rencontre menaçante, d'une mort prématurée, d'une famine insatiable rongeant les estomacs de tous âges ou d'une maladie que régurgitait l’insalubrité. Et se battre, avec ou sans talent, mais combattre à tout prix, était là le lot de tous en le Goulot. Alors, en fin de compte, peu importait bien le niveau du délit, du crime commis ou de l'acte réalisé, qu'il soit réfléchi ou non ; il fallait survivre en les rues immondes et vaseuses, et l'honneur étant mis de côté tout semblait permis en ce lieu abandonné de la Milice. De cela, les plus heureux en les ruelles putrides ne pouvaient qu'être fous, mentalement dérangés, des désaxés perdus dans leur démence fantasque, s'étant réfugiés dans une réalité décalée. Au final, ces âmes égarées étaient tant joyeuses qu'on pouvait en conclure que les plus fous étaient Rois.

Les jambes ballant, gigotant d'avant en arrière dans le vide, agitaient deux grelots, un à chaque soulier, accompagnant des murmures chantonnant, et le bouffon du roi, tout fatigué qu'il était, esquissait un léger sourire, l'air contemplatif vers le ciel de braise. Assis sur l'édifice du vieux puits fétide au centre de la « Place aux rats », le trou pourtant profond devant lui, et la chute mortelle que ses mouvements pouvaient provoquer, lui était d'une moindre importance. Il fredonnait le chant de sa chère troupe, ses yeux gris clair reflétant les flammes célestes du couchant. Derrière lui, à une quinzaine de mètres, la roulotte des Macchabées était silencieuse car tous n'étaient pas revenus de leur escapade quotidienne en les veines sanguinolentes du morbide quartier suffoquant. Sa marotte était contre le bâtiment sur roues, le regard vide de la poupée à son sommet le fixant. Un instant d'accalmie qu'il chérissait en secret, loin des cris et des chants, des effluves de rires et d'étonnements. Il était heureux, un brin mélancolique, peut-être, mais l'était vraiment. Il inspira profondément l'odeur putride s'échappant du puits crasseux et l'expira d'un souffle libérateur.

Puis, s'en vint le premier, revenant des méandres pavés, un imposant monstre du Goulot d'une impressionnante carrure supportant un peu plus de deux mètres de chair et d'os. Le géant marchait lourdement, épuisé de sa journée lui aussi, mais un grand sourire s'afficha à son faciès robuste lorsqu'il aperçut Kryss lui faire de grands signes de ses bras frêles, puis se dépeignit d'une lueur inquiète en rejoignant le saltimbanque squelettique agité au bord du gouffre.


« Chef ! Attention ! l'alerta-t-il de sa grosse voix en se postant de l'autre côté de l'édifice, ses énormes mains posées sur les briques chancelantes. Pas tomber. Profond le puits.
— Mais non, mon grand ! Moi, tomber ? Pourquoi faire ? » se mit à rire le garçon au grand chapeau tintant en étendant les bras pour le rassurer un tant soit peu, mais sans réel succès.

Le grand bonhomme s'installa à proximité du fou inconscient afin de garder un œil attentif sur lui, au cas où ses frasques rocambolesques ne finiraient par le mener à une dégringolade aux conséquences dramatiques. Ainsi, le grand costaud et le déjanté maigrichon se laissèrent émouvoir au spectacle du ciel enflammé, les regards scintillants par les reflets rouge-orangé majestueux au-dessus d'eux.


« Journée avec enfants turbulents. Vouloir tous grimper partout sur moi. Mograth très fatiguer, prononça de sa voix lente et grave le doux colosse.
— Et tu n'as rien ramené, mon grand ? lui demanda curieux Kryss en détournant son visage vers celui-ci.
— Gagner pain et ruban, suivit le géant en sortant une miche qu'il rompit en deux parties inégales, tendant la plus petite portion à l'espiègle bouffon.
— Mais non, c'est à toi, grand dadais ! s'y refusa le garçon maigrelet. Et puis, je n'ai pas faim ! finit-il d'un sourire taquin. Un ruban, tu disais ? reprit-il immédiatement.
— Beau ruban coloré, petite fille donner à moi, mais perdre sur la route…, répondit Mograth d'un air un tantinet triste. Et vous, Chef ?
— Oh ! Moi ? J'ai papillonné çà et là…, d'ailleurs tu aurais dû me rejoindre pour que je puisse monter sur tes épaules et faire le mariole ! Tu sais que les gens adorent ce tour ! s'emporta-t-il dans ses rêveries d'artiste avant de reprendre. Et, avant de partir, j'ai aussi raconté une histoire aux lardons !
— Laquelle ?
— Eh bien, celle du « Rat mort sur le trottoir » !
— Encore. Histoire sale et pas belle, en grimaça le tendre géant.
— Mais les p'tits morpions en redemandent toujours ! s'extasia le jeune homme. Et plus c'est dégueulasse, plus ils aiment ! lui révéla-t-il d'une langue tirée et d'un clin d'œil complice comme à lui divulguer un secret.
— Et Chef gagner quoi ?
— De la nourriture, juste des p'tits bouts de rien ! J'ai tout déposé dans « La Poubelle » sur la table à bouffe pour les autres, au cas où ils rentreraient bredouille ! »

Mograth fixa le Chef de la troupe, il l'aimait car était gentil et prévenant, puis en sourit avant de se relever, s'accoudant au rebord du puits et lui fit face avant d'y renifler bruyamment les arômes nauséabonds s'y échappant.

« Oui, infect, n'est-ce pas ?
Et paradoxalement enivrant…
, avoua Kryss d'un air songeur, essayant d'en comprendre la raison.
— Non, ça aller, sentir normal, répondit gêné le colosse.
— Ça sent tes excréments, mon grand ! » en rit le rachitique garçon, l'ayant pris dans le piège.

Mograth en fut étonné, lâcha prise et se mit à paniquer, quelques perles de sueur s'écoulèrent le long de ses énormes joues chaudes tandis que ses yeux s'agrandirent en fixant le malin jeune homme.


« Oh, mon secret… Honte…, en baissa-t-il la tête.
— Mais non, c'est pas grave, sale bougre ! en éclata de rire Kryss. Tu croyais vraiment qu'on n'allait pas le remarquer ! Le puits est au milieu de la place !
— Mais moi attendre que personne être là.
— Mais dis-toi qu'il y aura toujours quelqu'un pour te regarder déféquer, saligaud ! en rit de plus belle le bouffon du roi.
— Honte… Tout le monde savoir ?
— Bien sûr ! Mais dis-moi donc, pourquoi faire là quand tu as des latrines isolées là-bas ! l'interrogea-t-il d'un coup de tête vers l'arrière, les trois grelots de son grand chapeau vert sonnant.
— Latrines trop petites pour fesses à Mograth. Moi casser, reconnut le grand homme d'une moue désolée.
— Quoi ? Comment ? C'est donc toi qui a brisé les cuvettes ! en fut surpris le saltimbanque se cachant le visage de ses fines mains pour en étouffer ses rires avant de les retirer. Surtout ne dis rien à Kraker et sa légendaire serpillière, sinon il va exploser de colère ! l'avertit-il en reprenant sur lui.
— Notre secret, alors ? en releva-t-il la tête, tout penaud.
— Notre secret, Mograth ! Promis ! » lui confirma Kryss d'un nouveau clin d'œil complice, rassurant le colosse au cœur battant la chamade.

Et de ce moment hilarant, le bouffon du roi se leva en équilibre sur la muraille circulaire du puits et se mit à gambader dessus, tournant autour du profond trou sous le regard inquiet du géant soulagé.


« Attention, Chef, pas tomber !
— Mais non, mais non ! »

Kryss se mit à sautiller pour prendre plus de risques, marchant parfois à reculons ou accélérant le pas, les bras étendus de chaque côté pour garder une certaine stabilité.

« Hé ! Regarde-moi, Mograth ! Regarde-moi ! l'interpellait-il en faisant fièrement de dangereux mouvements inutiles.
— Oui, moi vous regarder, Chef. Mais attention, pas tomber. »

Et tandis que le soleil se couchait et que les flammes du brasier des cieux intensifiaient désespérément leur défense face au mal de la nuit, le bouffon déjanté jouait au funambule de quelques rires autour du vieux puits fétide du « Dépotoir des Macchabées » sous la surveillance du brave colosse.


Dernière édition par Kryss l'Osselet le Mar 16 Juil 2019 - 12:55, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Cérène BoiserelSaltimbanque
Cérène Boiserel



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyJeu 7 Mar 2019 - 21:31
Cérène s’avance d’un pas tranquille, l’air un peu songeur peut-être tandis que le soleil se décline timidement à l’horizon, s’apprêtant bientôt à s’écraser sur l’écueil de deux collines. La troupe est étrangement silencieuse, chargée d’une sérénité ténue. Alors qu’ils s’apprêtent à tourner à un angle de rue, la route de Cérène est brutalement coupée par un groupe d’enfants qui détalent, détalent comme un troupeau de bête sauvages, dans une rue juxtaposée, absorbés.
Elle ne retient que les échos de leurs voix.

Oui ! C’est pour bientôt, dépêchez-vous avant qu’il ne parte !
Vous pensez qu’il va nous raconter l’histoire du « rat mort sur le trottoir » ?
C’est sûr, si tu bouges ton cul !
C’est ma préférée !
Je ne veux pas louper ça ! Surtout que j’ai décidé de toucher son chapeau ! Ah ça, oui ! Je le toucherai son chapeau… ! Et ! Et ! Et peut-être même que –

Tournant la tête violemment vers la rue où elle entend encore le bruit de leurs voix, elle est brutalement rappelée par la réalité par la voix d’Oscar.

Cérène ? Tu es avec nous ?

Elle lève la tête.
Sourire de circonstance.

Oscar étend son bras souplement, avant d’encercler les épaules de Cérène d’un air protecteur. Nonchalamment, elle laisse sa tête s’échouer contre son épaule.

Tu as l’air rêveuse… Quelque chose ne va pas ?
Tu as toujours l’art et la manière de me faire parler… lance-t-elle d’un ton plaisantin mais las, comme si l’issue était toujours la même. La marche d’Oscar les éloigne peu à peu de la troupe et les amène vers cette rue où les enfants chahutaient quelques-instants plus tôt. Qu’est-ce que tu fais ? Son air est un peu plus suspicieux et un peu plus dur maintenant.
Tu les as regardés, il retire son bras de ses épaules et Cérène l’observe, contrariée par la vivacité d’esprit de son mentor, père, elle se perd dans tous ses noms. Tu as forcément une idée en tête, ma douce. Alors, vas-y, qu’est-ce que tu attends.

Il lui fait un léger mouvement de main, comme pour l’encourager à y aller. Il hausse doucement les épaules.

Va, Cérène. On t’attend à la maison.

Et en fredonnant l’air d’une chanson, il s’éloigne en trottinant légèrement, laissant dans son sillage une Cérène interdite. Ses phalanges se crispent machinalement, comme sous la possession d’un élan très soudain.
Elle s’enfonce jusqu’au Goulot.

**

Lorsque l’on rentre au Goulot, on le devine aisément à l’odeur. Cette puanteur nauséabonde règne sur les rues miteuses avec jalousie et envie, comme une reine possessive. Cérène l’a oublié, sûrement parce qu’elle a soigneusement évité le Goulot depuis… - peu importe.
Ses pas la guident instinctivement, comme si elle ne l’avait jamais quitté, Le Goulot, comme si ses rues avaient été les siennes, depuis… - peu importe.
Comme deux vieux amis se retrouvent après des années.
Des millénaires, peut-être.
Cela ne faisait pourtant qu’un peu plus d’un an.

Un orange vif teinté de vermeils qui tranche avec l’obscurité latente, les rayons percent les murs, détruisent les formes et enveloppe les quelques silhouettes chancelantes que rencontre Cérène. Son cœur se serre dans sa gorge parce qu’elle a l’appréhension, d’un coup, elle s’arrête.
Est-ce réellement une bonne idée d’y retourner ?

Elle s’autorise un profond soupir enragé en glissant une main sur son visage. Ça ne lui ressemble pas d’avoir l’air si peu assurée. Pourtant sa relation avec celui qu’elle s’apprête à revoir n’a jamais été simple, chaotiquement compliquée, passionnément anarchique. Paradoxal, pour une Sirène, de s’être laissée ensorcelée par un conteur morbide…

Ses pas la guident peu à peu vers la place aux rats, elle se revoit auparavant, mal assurée, malheureuse mais habitée d’une fougue téméraire, d’un désir de survie capricieux, étrangement et ridiculement attachant.
Cérène n’a jamais désiré mourir et s’est toujours farouchement battue contre cette idée.

La place aux rats. Enfin.

Elle retient sa respiration, l’odeur est irrespirable mais elle s’est habituée.
Au loin, ses yeux distinguent aisément Kryss en train de se moquer gentiment du géant au grand cœur. Prise d’un élan d’hésitation, elle réfléchit une dernière fois.

Est-ce une bonne chose pour tous les deux, de se revoir ?

Chassant l’idée d’un geste de la main, elle l’oublie et s’avance d’un air assuré et d’un pas léger.

Les rayons chauds tapent dans son dos, dissimulant ses traits, floutant sa silhouette comme s’il s’agit d’un mirage, d’un mauvais fantôme farceur du passé. Lentement, elle siffle la mélodie des Macchabées pour avertir doucement de sa présence, ne pas les brutaliser tout de suite.
Elle espère qu’ils ne la reconnaissent pas tout de suite, ce serait si dommage. Soudain, son élan s’arrête net, contant encore un peu sur les rayons pour masquer ses traits. D’un air joueur, elle désigne Kryss sur la forteresse empestée.

Tu devrais descendre, tu risquerais d’en perdre l’équilibre… Son ton se mâtine d’une certaine sensualité sarcastique, c’est une Sirène après tout. Son regard se pose sur le grand géant et se fait soudainement plus doux. Toujours aussi protecteur… C’est plus une confession, un constat pour elle-même que pour le gigantesque homme au grand cœur.

D’un pas, Cérène s’avance encore un peu.

Son histoire est incroyable, car invraisemblable. Elle fut prise de pitié et s'est liée à un conteur morbide charmé. On l’a dit fougueuse alors qu’elle n’est qu’audacieuse. Qui suis-je ?

Elle espère sincèrement que Kryss n’a pas encore deviné, peut-être qu’il a oublié Cérène et ses démons, Cérène et sa fougue un peu trop fiévreuse, Cérène et ses passions.
Peut-être que Kryss ne se souvient plus de tout ça, qu’il a tout oublié.
Quand bien même, ça lui laisse le temps de l’observer encore un peu.
D’un autre pas, elle se dévoile à eux avant qu’ils ne prononcent son nom.
Son assurance revenue, un léger sourire coquin s’esquisse sur ses lèvres.
Ses yeux ont l’air heureux.

Salut, vous deux. Qu’elle murmure d’une voix légèrement plus émue que ce qu’elle n’aurait voulu.

Ses deux yeux verts ont l’air d’une jungle embrasée par le brasier des fous.
Revenir en haut Aller en bas
Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyLun 11 Mar 2019 - 0:57
L'acrobate inconscient dansait, et dansait, sur l'édifice aux pierres craquelées, fredonnant sans relâche son air préféré. Et danse, et danse, se disait le sacré folichon de la pointe de ses souliers tintant, frappant des mains d'un nouveau tour sur lui au sommet de son abject donjon. Et tourne, et tourne, se motiva-t-il avant d'exécuter quelques tournoiements. Et frappe, et frappe, des mains pour que sans cesse la folie t'enlace, se répétait-il dans sa tête en murmurant son chant, le faisant bêtement sourire dans son intime délire. Et relevant le visage vers les hauteurs safranées du crépuscule, délogea son attention un instant d'évasion à rire en lui et éclater sa joie de quelques drôles de mimiques concluant cette nouvelle fin de journée en les bas-fonds de sa chère enclave fétide décolorée.

A quelques pas de là s'était figé le grand bonhomme, voulant à tout prix percer de son regard la chaude brume que propageait l'astre incandescent de ses dernières forces en le firmament chaudement enluminé. Ses grands yeux observaient l'entrée du « Dépotoir des Macchabées », là où semblait se dessiner une fine silhouette traversant élégamment les couleurs enflammées du vide apparent. Happé par la scène, il s'en laissa bercer, aspirant à comprendre cet état de plénitude l'enveloppant à la regarder avancer avec grande minutie ; cette aguicheuse ombre se rapprochant qui s'était mise à siffloter. Et le son, si faible était-il, lui parvint néanmoins à ses grandes oreilles décollées, puis à celles plus petites du fougueux bouffon qui eut cru à une illusion auditive causée par sa transe passagère.

A cela, le maigrichon fripon se mit à chantonner de quelques murmures l'Hymne des Macchabées tout en gesticulant comme un dératé autour de la profonde excavation malodorante. Il suivait attentivement le rythme de ces sifflements soudains embrassant la « Place aux rats ». Et pendant que l'un balançait sa tête de bas en haut, de gauche à droite, et les mains, et les bras, par-ci par-là, et les jambes sautillant dangereusement au bord du précipice, le géant Mograth, lui, passionnément envoûté, ne se laissa aucunement distraire, contemplant la sulfureuse chimère dévoiler peu à peu sa chair formant de belles courbes sous un déhanché hypnotisant. Mais la silhouette arrêta tout compte fait ses pas délicats, restant en le flamboiement des torrides couleurs qui cachait un visage attentionné dont le regard était dirigé vers le fou dansant incroyablement absent de la réalité, entraîné dans son imaginaire alarmant qu'elle eut sitôt fait de briser en échappant une suite de mots de sa belle voix suave.

Le cœur battant, Kryss cessa instantanément sa démence festive, le souffle saccadé par la fatigue mais l'attention de nouveau pleinement éveillée. Celui-ci était de dos, n'osant se retourner, pensant tout d'abord à une nouvelle illusion auditive, une perverse tromperie de son esprit étriqué se moquant de lui. Et d'un sursaut de cœur, une émotion oubliée l'emplit soudainement, s'étant réfugiée dans les abysses de ses plus agréables pensées, et elle le frappa d'un coup fort lorsque cette même voix féminine se dirigea ensuite vers le doux géant. Les lèvres tremblotantes en se les mordillant, le visage du saltimbanque macabre s'adoucit d'une mine nostalgique, les yeux scintillant à quelques souvenirs remontant tandis qu'elle lui contait leur histoire d'une bien jolie tirade. Et la réminiscence de leur inoubliable rencontre fendit d'une imagerie du passé son esprit un tantet brisé.

Elle était seule et faible, debout sous une fine pluie d'une froide nuit à se blottir dans ses propres bras afin de s'y trouver refuge. Elle était triste, perdue, adossée contre la façade d'un minable bâtiment tordu, un bar malfamé où ivrognes et pervers riaient à gorge déployée de leurs prouesses sexuelles troquées. Elle tremblotait, les lèvres bleues, le regard baissé déclinant vers l'abandon, mais jamais, l'avait-il su du premier coup d'œil, non, jamais elle n'aurait vraiment abandonné. C'était une véritable battante. Et lui, de passage par là après l'une de ses nombreuses prestations, la remarqua, s'éprenant bien différemment d'elle qu'il ne l'aurait fait pour quelqu'un d'autre. Alors, la rejoignit et, face à face, il lui sourit, tendit sa main de quelques mots rassurants et l'invita à le suivre. Et elle accepta de ses doigts gelés qu'il réchauffa aussi vite par les siens tout maigrelets. Une nouvelle Macchabée naquit cette nuit là, mais de son innocence ne méritait pourtant pas de l'être, valant bien plus que tous les « Monstres du Goulot » réunis. Un plus grand avenir lui était destiné et il se chargerait de le lui donner au prix de s'en séparer. Il s'en souvenait car loin d'être une journée banale, le premier jour d'une formidable suite de plusieurs autres qu'il n'oublierait jamais.

Kryss reprit ses esprits, une larme bien trop fragile dégringolant lourdement le long de sa joue gauche, traçant un chemin mortuaire jusqu'à sa commissure arquée d'un léger sourire.
Qui suis-je, avait-elle demandé, se répéta-t-il en se retournant doucement alors qu'elle se dévoilait elle aussi en saluant les deux monstres d'une voix légèrement ébranlée. Son regard gris clair formant un océan ombragé plongea en la verdoyante forêt que représentait le vert émeraude de la jolie femme, et plus encore furent-ils tourmentés du firmament flamboyant qui luisait puissamment à travers les couleurs de leur regard entremêlé.

« Sacriponne… », l'appela-t-il comme il l'avait toujours fait, bien que d'une voix attendrie, confirmant qu'il ne l'avait pas oubliée, loin de là.

« Cérène ! cria le tendre géant en allant l'enlacer aussi délicatement qu'un papillon se posant sur une fleur, espérant ne pas lui faire mal en ses imposants bras la dorlotant. Notre câlin taquin ! en rit le doux colosse en se ressassant leur accolade secrète d'il y a un peu plus d'un an maintenant. Tu te souvenir de câlin taquin, Cérène ? Tu te souvenir ? » en rit-il en ne lui laissant le temps de répondre, la serrant contre lui en fermant profondément les yeux, se ressassant tous les bons moments passés ensemble.

Le bouffon du roi descendit de la fortification du puits d'un petit saut, s'approchant de quelques pas des deux êtres qu'il aimait. Il reprit de son assurance un brin prétentieuse, effaça bien vite sa tristesse pour garder le contrôle sur lui-même et ainsi faire le fier, bien évidemment.


« Doucement, mon grand, tu vas la briser ! »

Mograth se détacha de la jolie personne d'un air béat et d'un sourire fixe, laissant au petit chef le soin de la regarder d'un air faiblement supérieur, un tantinet déboussolé mais droit, ou maladroit, ne sait-il pas, car ne sachant réellement comment réagir. A quelques pas d'elle, il s'en rapprocha de très prés pour l'examiner d'une mine sévère, le croyait-il en tout cas en en fronçant les sourcils tandis que les grelots de son chapeau s'amusaient à tinter. Il leva sa main droite, la portant au visage de la revenante à la longue chevelure en cascade, et caressa sa douce joue ambrée de la pointe de ses doigts fins, puis les y écarta ensuite pour observer les moindres recoins de son visage de femme épanouie, pleine d'assurance et de fougue.

« Alors, c'est bien toi, lui sourit-il soulagé, ému mais se voulant de le cacher avant de reprendre son caractère légèrement autoritaire, comme un père envers sa fille. Idiote, ce n'est pas un endroit pour toi ! Tu le sais pourtant ! lui lança-t-il en haussant les épaules d'un air dépité finissant par un souffle exaspéré en reculant de quelques pas. Têtue ! Toujours ! Tu n'as pas changé ! Ou si ! Trop même ! Rah ! lâcha-t-il d'un lever de bras vers les cieux incendiés avant de s'en rapprocher de nouveau. Tu m'as manqué, Sacriponne », avoua-t-il subitement d'un beau sourire sincère mais quelque peu perdu.
Revenir en haut Aller en bas
Cérène BoiserelSaltimbanque
Cérène Boiserel



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptySam 16 Mar 2019 - 12:51
Sacriponne.
C’est à partir de là qu’elle sent le poids de l’appréhension purulente serrant son cœur jusqu’à l’étouffer jaillir hors de sa poitrine. Tout, absolument tout est emporté par ce mot anodin, mais ô combien important pour Cérène.
Les bras du géant se referme sur elle avec gentillesse, laisse échapper un rire d’émotion, reposant sa tête avec un semblant d’élégance sur son épaule.

Oui, bien sûr que je me souviens de notre câlin tâquin… Elle sourit avec douceur contre l’épaule de Mograth, sa tête se redresse pour l’observer avec gentillesse. Comment pourrais-je l’oublier, Mograth ? Comment pourrais-je t’oublier ?

Verrouillée dans la prise du géant, elle ressent sa force qui l’encercle et se rend compte qu’il pourrait la briser en exerçant rien qu’une simple pression. Sa douceur se sent même dans la manière dont il la balance avec une attention minutieuse, comme s’il s’agissait d’une poupée de porcelaine. Libérée de l’étreinte sous l’ordre du saltimbanque gringalet, Cérène laisse échapper un sourire très sincère, pas de faux semblant dont elle se pare lorsqu’elle charme, rien de tout ça.

Son regard se détourne vers le saltimbanque.
En quelques enjambées rapides, il se plante et se penche brutalement devant elle, d'un air qui se veut furieux et sévère.
S’apprêtant à lui envoyer une taquinerie, le contact de ses doigts sur sa joue lui ferme instantanément le clapet. Il l’électrise, même. Interdite et étrangement muette, elle le laisse faire en le fixant intensément, fouillant son regard pour capter les émotions qui le traversent. Elle n’y voit rien, Kryss étant beaucoup trop imperméable pour qu’elle y détecte réellement quoi que ce soit. Ses doigts tracent un chemin de flamme sous sa peau tandis qu’il l’examine avec attention, comme si ce n’était plus réellement elle sous ses traits.

Qui voulais-tu que ce soit ? Réplique-t-elle d’une voix très basse.

Lorsqu’il s’éloigne en pestant, un soupir amusé s’échappe tandis qu’elle se rapproche doucement de lui, comme un félin s’approchant de sa proie.
Un, deux, puis trois pas sa direction, ses pieds se soulèvent à peine, une main puis l’autre qui se dresse pour saisir son visage en coupe avec douceur lorsqu’il se retourne.
Son aveu la touche – plus que de raison -, son regard se fait chaud, presque fiévreux, mais elle ne répond pas tout de suite. Pas maintenant.

Shhh Kryss, commence-t-elle d’un ton qui se veut sec et réprobateur, S’il te plaît, laisse-moi aussi te regarder. A l’aide ses pouces, elle effleure les contours de sa mâchoire, remonte sur ses pommettes sur lesquelles elle s’attarde un instant. Puis, la course habile de ses pouces esquisse des petits mouvements circulaires à la commissure de ses lèvres, pour enfin se conclure sur la courbe de son menton. Ses yeux le fixent avec intensité et attention. Toi, en revanche, tu n’as pas changé … Tu es toujours le même. Elle rit. Quoi qu’un peu plus têtu et fier que la dernière fois. Plaisante-t-elle en lui offrant une tape amicale sur l’épaule.

C’est avec une adresse de fauve qu’elle se hisse doucement sur la pointe des pieds. Sa main, auparavant sur la joue de Kryss descend sur son épaule pour y prendre appui, elle avance son visage proche du sien et le décline au dernier moment pour porter ses lèvres à son oreille, sa crinière foncée frôlant son cou.

Toi aussi tu m’as manqué… Petit fripon, C’est dit dans un souffle, dans la confidence. Tournant la tête légèrement vers lui, elle lui plante un baiser sur la joue pour sceller l’aveu.
Avant même qu’il n’ait le temps de répondre ou d’exprimer son mécontentement face à sa légendaire audace, Cérène se recule de quelques pas adroits en riant légèrement d’un air charmant.


Je pensais à vous, je ne pouvais pas m’éloigner sans vous revoir encore une fois. Sans faire comme si tout ceci n’avait pas existé mais elle se garde de le dire. D’un geste souple, elle glisse l’une de ses mèches derrière son oreille. Tu t’en doutais petit fripon, que je reviendrais malgré tout ce que tu m’as dit, même si je risquais tes remontrances, tu t’en doutais, n’est-ce pas ?

Bien sûr qu’il s’en doutait, ou du moins, il devait suffisamment la connaître pour savoir qu’elle n’aurait jamais suivi ses indications docilement, qu’elle serait revenue même s’il souhaitait le contraire. Cérène n’a jamais compris et ne comprends pas pourquoi il l’a tenu éloignée de lui et des Macchabées. Bien qu’elle soit épanouie dans sa nouvelle vie, bien qu’elle soit heureuse au sein de la troupe et que surtout, surtout il y a Oscar désormais. Un appui solide sur lequel elle se repose, qui la rassure lorsqu’elle ne dort pas la nuit. Bien qu’il ne sache pas les démons du passé qui l’achève dans ses cauchemars, bien qu’il ne sache pas réellement qui elle est. Seul Kryss connaît cette partie d’elle, ce revers, ce côté profond et sensible.

Cérène s’est bien trop attachée aux Macchabées, à leurs difformités, à leurs bizarreries pour les jeter dans l’oubli.
Elle envoie un léger coup d’épaule complice à Mograth en lui souriant.

Et toi aussi, Mograth, n’est-ce pas ? Tu savais que j’allais revenir pour notre câlin taquin ?

Sa tête se lève légèrement pour observer les cieux embrasés, les derniers rayons du soleil percent les nuages, un véritable incendie à ciel ouvert. Elle s’imprègne une nouvelle fois du goulot, à chaque inspiration profonde naît une scène vécue ici.

Dont une en particulier.
Elle baisse les yeux, ancre son regard dans Kryss.

Et si nous dansions ?

Pourquoi lui propose-t-elle cela ?
Elle se rapproche tout doucement.

Un peu comme avant. Elle s’avance encore, un tout petit peu. Qu’est-ce que tu en dis ?

Elle est suffisamment proche de lui, désormais.
Si nous dansions à nous en brûler, avant que le brasier des cieux nous consume tous ?

Revenir en haut Aller en bas
Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyLun 25 Mar 2019 - 0:43
Elle avait changé…,
… s'en était à la fois rassurant et déroutant, car en lui la voyait toujours comme à la dernière fois ; une petite femme fragile, perdue en un lieu sordide et dénuée de tout repaire mais assurément souriante aux très nombreux moments de franches rigolades que lui offrirent les « Monstres du Goulot ». Les folles soirées dansantes, les innombrables défis de blagues idiotes et crades jusqu'à s'en rouiller la voix, les longs repas autour de la table à pas d'heure, les devinettes et les jeux de mots improbables, les fous rires à s'en couper le souffle et les décadentes engueulades aux causes trop souvent oubliées et les fous rires, encore, qui suivirent.

Les Macchabées l'avaient sauvée mais, en secret, Cérène en fit de même pour eux tous. A ce moment là, le groupe traversait une mauvaise passe, les monstres ne croyaient plus trop en eux, ne s'investissant plus autant avec vigueur dans la mêlée de la populace souffreteuse, et des fossés se creusèrent au sein même de leur amitié, scindant les esprits étriqués, les séparant à en installer une ambiance alambiquée bouleversant le mécanisme dynamique des exubérants tarés du Goulot. La triste jolie fille chamboula tout ça, pansa leurs plaies profondes, les rapprocha finalement tous à nouveau, et la joie renaquit à son arrivé en le Dépotoir. Mais de tout cela, le gentil bouffon n'en lui dirait jamais rien, trop fier qu'il était, peut-être, mais tant reconnaissant pourtant.

Voilà à quoi il avait pensé lorsqu'elle apposa ses fines mains sur son chétif visage creusé d'artiste ubuesque. Il s'était immédiatement calmé, comme apaisé. Et quand elle prononça son nom sur un ton accusateur, sonnant faussement dans une si belle bouche, eut le regard fixe et brillant en le sien. Quelques aveux jailli de ses lèvres chaudes. Elle aussi…, il lui avait manqué,…
Petit fripon, se le répéta-t-il en arquant ses lèvres comme un enfant se remémorant les petits détails sculptant les brumeux souvenirs. Et bien sûr qu'il s'en était douté de ces retrouvailles mais jamais au point de s'y préparer réellement, éloignant cet instant émotionnellement déboussolant à toujours plus tard. Il lui répondit par un simple hochement de tête, tout léger qu'il était, tandis que Mograth en fit de même d'un tendre sourire quand la même question partit en sa direction.

La sulfureuse bohème inclina son visage, colorant celui-ci des lueurs du brasier crépusculaire. Elle était devenue Femme de grande aura, belle et certainement dangereuse, forte mais sensible, un brin guerrière. Kryss en fut dérouté, se voyant avec elle un peu plus d'un an avant…, à la rassurer, à la protéger, à la dorloter et à l'aimer tout compte fait. Ses deux perles verdoyantes descendirent ensuite à la rencontre du pathétique fou aux grelots et l'invita à la danse. Les pas de l'aguicheuse danseuse semblèrent glisser, lévitant tout naturellement sur les pavés craquelés, non loin du vieux puits fétide. Elle se rapprocha, prés, tout prés, puis cessa son avancée.


« Un peu comme avant… », répéta-t-il à voix haute les mots vibrants de Cérène d'un sourire nostalgique, perdu dans ses pensées mais bien éveillé.

Si nous dansions à nous en brûler, avant que le brasier des cieux nous consume tous ? se dit-il en lui-même, sachant pertinemment qu'elle l'avait citée en elle également, cette phrase prémonitoire et entraînante venue de nulle part une nuit d'insomnie autour d'un feu de camp au centre de la « Place aux rats », tous ensemble à danser, la troupe au complet. Il s'en souvenait…, et c'était très agréable.

Un fin sourire taquin effaça bien vite sa déroute mentale et c'est ainsi que Kryss enroula son bras droit à la taille de l'ardente cavalière et posa la paume de sa main un cran au-dessus de son bassin au creux d'une courbe élégante tandis que son bras gauche se tendit d'un léger angle vers le ciel embrasé, la main de sa compagne de danse couvant en la sienne. Et elle, de sa main gauche, encercla l'avant-bras du garçon.


« Petite Fée s'est enflammée, la voilà Séduisante Salamandre », prononça-t-il en harponnant le regard séducteur de sa cavalière.

Et une valse délicatement maladroite mais pleine d'entrain débuta ; un pas et puis un autre, se suivant, se chevauchant, se croisant mais jamais ne se touchant, et tournant ensemble, main dans la main, les cœurs en joie, et tout autour d'eux le paysage devint une masse difforme aux couleurs chaudes et seul leur visage était net, profitant à cela de se créer une sphère translucide dans laquelle ils s'enfermèrent tous deux. Et le bouffon était heureux, d'une émotion qu'il n'avait plus connu depuis trop longtemps, et souriant délia sa langue en menant la danse, et parfois non selon le désir de sa farouche compagne.


« Les rumeurs étaient donc bien fondées, Sacriponne, te voilà flamboyante danseuse.
Toutes mes félicitations !
lui lança-t-il entre deux tours en avouant ce qu'il savait d'elle, l'ayant à peu prés surveillée de loin de par quelques vagues échos. « Sirène » fut ma seule piste car ayant les mêmes traits descriptifs que toi. Je n'en ai, depuis, plus douté pour tout t'avouer…, ou l'espérais-je au plus profond de moi…, je ne sais plus, se le demanda-t-il en s'y perdant lui-même avant de quitter les méandres de sa douce folie. Dévergondée séductrice et fine manipulatrice, sulfureuse Cérène », en sourit-il, comprenant enfin qu'elle était devenue bien plus forte qu'il ne l'aurait cru. Et la danse continua ainsi, et les pas, et les tours, et jusqu'à bout de souffle, pourquoi pas ?

Mograth s'était emparé de deux briques qu'il déroba du sol vaseux et les claquaient l'une sur l'autre pour y rythmer la prestation des danseurs fous. Le grand homme dansait sur place, sautillant d'un pied, puis de l'autre, tout sourire de ses dents blanches en fracassant les pierres émanant la cadence si particulière de l'Hymne des Macchabées.

Une bande de galopins, deux garçonnets et une fillette, fut attirée par les percussions puissantes provenant de la célèbre place des « Monstres du Goulot ». Tous trois étaient bien mal fagotés, tout sale qu'ils étaient de leurs espiègleries à travers les ruelles crados en cette fin de journée. La bambine à la longue chevelure dorée invita l'un des garnements à danser avec elle, et un nouveau couple de valseurs accompagna à quelques pas de là Kryss et Cérène. Ils dansaient avec amusement et grande maladresse, échappant des cris et des rires qui échauffèrent de plus belle la rythmique chevronnée du grand dadais excité aux pierres maltraitées. Le petit couple essayait d'imiter le Bouffon au grand chapeau vert et la Salamandre sublime à la coiffe de feu, mais en vain il semblait bien que les deux grandes personnes exécutaient des pas qu'ils connaissaient assez pour que resurgissent les réflexes d'antan. Alors les fripons se laissèrent aller, chorégraphiant des mouvements extravagants et irréguliers. La troisième petite canaille, le visage noircit par la crasse, sautillait gaiement sur place en claquant des mains, imitant le géant Mograth tout prés de lui.

A l'entrée du Dépotoir, un petit homme bosselé regardait la scène, accoudé contre l'une des façades délabrées, les bras croisés mais les pieds tapant au sol au rythme entraînant, fredonnant d'un balancement de tête engagé l'Hymne des Macchabées. Rare était un sourire sur son visage de grognon bougon, véritable râleur, mais la vision de la Sacriponne le soumit à l'enivrante ambiance.
Quel bonheur de la revoir, un rayon de soleil à travers la brume permanente de la pauvreté, se dit-il en inspirant profondément. Kraker, le nain difforme, Macchabée pour le meilleur et le foutrement pire, afficha donc miraculeusement un état d'esprit positif. Il était de loin le plus sensé de la troupe de monstres, étant le moins perturbé mentalement, ou pas du tout. Sa seule excuse était son physique que rejetait la société et qu'accueillait à bras ouverts les horribles saltimbanques déjantés du Dépotoir. Il se ressassa lui aussi quelques bribes du passé d'il y a un peu plus d'un an où durant quelques jours elle vécut avec eux, il s'en souvenait, et bien que de petite taille, était devenu un grand frère, l'ainé dirait-on puisque Mograth, de son mental diminué, en était son cadet. Et maintenant, Cérène était de nouveau entourée de sa famille, ne manquait plus que l'effroyable timbré, le cabotin hurleur, Rhoark qui, lui, toujours absent, pour l'instant, n'aurait eu d'autre envie que de crier de bonheur à en arracher les tympans des gens en la voyant. Ce dernier était grossièrement l'animal de compagnie des Macchabées, insupportable par moment, hurlant sans aucune raison, courant ici et là pour rien, grand agité du bocal, un vrai chien enragé à l'apparence effrayante mais à l'innocence d'un enfant de cinq ans. Mais soit, il n'était pas là, fort heureusement… Trop de fous rend fou ! se dit le nain soulagé en restant à sa place, observant tout ce petit monde s'agiter à proximité du puits brisé.

Au centre de la place, Kryss et Cérène dansaient dans leur bulle de plaisirs, rien qu'à deux, à se chercher de regards profonds et sincères, de sourires croisés et de pas de danses attentionnés en cette valse endiablée.


« Reste, Sacriponne, reste un peu avec nous ! lui proposa-t-il avec grand engouement. Le temps d'une déraisonnable nuit parmi nous à danser, manger et rire ! continua-t-il sur sa lancée en la faisant tourner sur elle-même. A s'aimer et se désaimer, à s'amuser abusivement comme nous le faisions avant ! prononça le bouffon aux grelots en la plaquant contre lui d'un regard aussi vicieux qu'innocent, ressentant chacun d'eux la chaleur corporelle de l'autre. Ton Oscar et sa troupe pourront bien attendre ! Je sais tout, Sacriponne ! » susurra-t-il finalement au creux de son oreille comme elle l'avait fait avec lui.

Ainsi, la « Place aux rats » accueillit un florilège d'individus en quête d'enivrement en une fête improvisée d'où d'un côté se trouvait un nain râleur ravi et observateur chantonnant l'hymne réputé et de l'autre, un gentil géant fracassant deux pierres en cadence accompagné d'un sacré filou claquant des mains, acclamant deux couples de danseurs ; les folichons morpions des ruelles immondes et un cavalier fou, bouffon des rues, et son ardente compagne, Salamandre séductrice. Et tous, le cœur libre et empli de joie, sans jugement ni moquerie, sur les pavés ballant apposés sur le sol vaseux malodorant, bientôt en transe, et danse, et danse !
Revenir en haut Aller en bas
Cérène BoiserelSaltimbanque
Cérène Boiserel



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyVen 29 Mar 2019 - 20:04
Kryss souligne son changement, et il est vrai. Cérène a fait de son corps sa plus belle arme, sa plus dangereuse aussi. Affûtant les traits de son visage, son ambition n’a fait que croître lorsque…

Lorsqu’elle a dû partir du goulot. Kryss lui avait dit qu’il y aurait mieux pour elle, que quelque chose de mieux l’attendrait, qu’elle n’était pas faite pour vivre ici. Déchirée et blessée à l’idée de devoir partir et de délaisser les monstres auxquels elle s’était violemment attachée. Surtout Kryss, pour qui elle avait développé un attachement sincère et profond, terrifiée à l’idée de se séparer de lui et de se retrouver à nouveau seule. Résignée aussi, puisque Cérène se résolut à accepter et suivre les conseils de Kryss, qui, grâce à ses nombreuses connaissances, l’avait expulsé hors de cette pauvreté.
… Avant que… sa route ne croise celle d’Oscar. Elle se revoit grelottante, réunissant ses dernières forces pour s’échapper d’un travail qui ressemblait plus à de l’esclavage, ne tenant que son luth entre ses bras maigres comme seul bouclier, ne pouvant retourner à la « place aux rats » par honte, sûrement. Elle ne voulait pas croiser le regard de Kryss, ou lire une once de déception en la voyant revenir.
Oscar s’était montré et l’avait pris sous son aile.
Elle n'était alors plus jamais revenue sur la place aux rats...

... Jusqu'à aujourd'hui.

Cérène se sent grisée d’avoir Kryss rien que pour elle, pour un temps du moins, lors de cette danse. Suivant son rythme sans encore imposer le sien, elle émet un léger sifflement admiratif.

Dis donc Kryss, commence-t-elle d’un ton étonnamment flatteur, je ne t’imaginais plus aussi bon à la danse ! Elle lui rit au nez, pour le taquiner. Tu t’es entraînée avec les demoiselles du quartier ? Plaisante-t-elle en se laissant guider.

L'orage bat dans son cœur.
Tournoyant sur elle-même comme une flamme gourmande, elle… oh, son buste s’entrechoque langoureusement contre le torse de Kryss sous l’impulsion de son élan. S’étonnant de cette force que possède Kryss malgré sa maigreur, la guidant dans la danse, canalisant tant bien que mal les quelques élans de rebellions de Cérène pour reprendre les rênes. Mais pour finir, presque convaincue de le laisser mener la danse, elle s’abandonne et se laisse guider…

Oh, non.
Pourquoi faut-il qu’il lui dise tout ça…

Dans ces mots, il sous-entend une insidieuse vérité qui manque de la faire chanceler ; se rattrapant du mieux qu’elle peut en s’agrippant maladroitement à son épaule. Son trouble est partout, dans chacun de ses mots, de ses gestes, de sa folie.
Peinant pleinement à se concentrer, absorbée par le flot de parole hypnotique du saltimbanque qui la bouleverse et manque de la faire vaciller à nouveau lorsque son murmure se porte au creux de son oreille. Alors, il insinue qu’il a toujours porté un regard lointain sur elle, au fur et à mesure qu’il lui révèle tout. Cérène se consume entre les bras de Kryss, d’une chaleur vorace et dangereuse, toujours contre lui, presque enlacés tels des amants. Muselant fièrement son trouble comme une lionne arrogante, ne souhaitant point le faire jaillir sous les yeux du facétieux saltimbanque.

Profitant de cette proximité, sa main se dresse et vient serpenter sur la nuque de Kryss, avant de l’empoigner d’un geste mâtiné de sensualité, pour l’approcher plus proche de Cérène et lui couper toute potentielle fuite. L’obligeant presque à baisser la tête jusque dans le creux de son épaule. Si elle doit récolter des brûlures sous les paroles chaudes de Kryss, ses lèvres comme les braises d’un fer rouge s’approchent à nouveau de son oreille.

Viens-là.
Elle aussi, elle peut en offrir, des brûlures.

Tu m’as convaincu, je reste… Elle ne lui laisse pas le temps de répondre, l’envie brusque lui prend de le provoquer. Peut-être t’ai-je manqué plus que tu ne veux te l’avouer, Kryss ? Elle reprend plus bas, encore, soufflant presque ses mots. Tu es bien au courant du monde qui gravite autour de moi… Murmure-t-elle en s’appropriant son ton tandis que du bout des doigts elle dessine des arabesques dans sa nuque. Et sa sentence s’abat telle la hache d’un bourreau. Est-ce que tu avais réellement envie que je parte, finalement ?

Sur ses mots étrangement prononcés avec amertume, la danse prend une toute autre tournure, frôlant presque la bestialité. Le flanc de sa cuisse glisse le long la jambe de Kryss comme la caresse ondulante d’un serpent, avant de se stopper au niveau de sa hanche. Positionnant son mollet au niveau de son bas dos, elle se cambre souplement vers l’arrière, se retenant à l’aide de sa jambe enroulée autour de lui, laissant sa chevelure libre voguer dans l’air chaud du crépuscule comme des flammes brunes. Elle ne lui laisse guère l’autre choix de lui ceinturer plus haut la taille pour la remonter jusqu’à lui.

Une fois qu’elle remonte, ses deux mains se posent sur ses épaules, ils sont toujours proches. Elle le fixe un moment, gardant son assurance de lionne pour lui envoyer un regard plein de défiance.
Léger sourire en coin.
Tout semble se suspendre, les secondes s’engluent dans le temps, tout semble tourné au ralenti…

L’emprise de sa jambe autour de sa hanche retrouve sa place au sol. Cérène se défait de leur étreinte devenant bien trop dangereuse pour elle, lui offrant un sourire charmeur pour ne pas le vexer, se détournant habilement de lui en faisant mine de s’occuper du petit couple de garnement, et joignant la danse à leur côté.

Un temps.
Deux temps.

Sa tête se redresse doucement vers l’homme de petite taille lui faisant face, un peu plus loin. Cérène réprime soudainement un sanglot en le voyant, et son regard s’allume d’une lueur émue. Elle s’avance vers lui, très rapidement, délaissant la petite foule dansant encore ensembles. Une fois face au nain difforme, elle s’agenouille.

Kraker ! Elle va pour avancer ses bras vers lui mais se stoppe au dernier moment, ne voulant pas le forcer à l’étreindre.J’avais tellement espoir de te voir, toi aussi. Je suis tellement heureuse… Elle saisit ses petites mains entre les siennes et les porte à ses lèvres. Tu m’as tant manqué… Un baiser chaste se dépose sur les phalanges du petit homme. Tu ne veux pas te joindre à nous… ?

Cérène éprouve des sentiments très tendre envers Kraker, différents de ceux qu’elle a pour Mograth, ou alors de ses sentiments mitigés et troubles vis-à-vis de Kryss… Kraker lui fait songer à l’un de ses frères. A râler, bougonner, mais possédant un cœur tendre, au fond. Réellement.

Une affection toute particulière le lie au nain.

Petit fripon m’a convaincu de rester pour être avec vous, s’il te plaît, Kraker. Elle lui tend la main, encourageante. Pour cette fois, joins-toi à nous.
Revenir en haut Aller en bas
Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyMer 3 Avr 2019 - 0:22
Il était ivre, et elle aussi, leur regard empli d'une douce euphorie par leurs retrouvailles sincères mais néanmoins inattendues. Elle était belle, voire magnifique, et jamais il n'en était aussi fier, la regardant en ses bras, inhalant son fabuleux parfum naturel émaner de sa peau ambrée. De sa démarche souple, elle le suivait, et lui en était absorbé, comme une vipère lui injectant patiemment son venin à chacun de leurs pas dansants au milieu des nuisibles embruns des lieux malsains. Et s'aimant à en mourir dans ses bras, il en sourit, tout simplement. Elle était svelte et lui maladroitement raide, mais peu importe, elle était là, et lui aussi, et le bouffon attendri en ferma les yeux, quelques secondes, simplement heureux. Merci, Cérène, lui dit-il en lui-même avec sincérité.

Et comme un écho ayant retenti en elle, sifflota quelques mots le complimentant. Il en sourit. Et si tu savais, Sacriponne. Et si tu savais que cette danse nous était réservée, et personne d'autre que toi ne pourrait me donner autant d'ailes qu'à ce moment là, lui répondit-il secrètement en lui d'un sourire tendre. Je n'ai besoin d'aucune demoiselle car jamais aucune d'elle n'aurait de bon conseil pour me permettre de t'apprivoiser. Et le tonnerre segmenta son cœur et, en elle, il sentit l'orage gronder, il le savait, et elle aussi. Car au fond d'eux, ils étaient connectés. Et des Âmes-Repères ils étaient, chacun guidant l'autre vers une plus grande destinée.

Et leur corps s'entrechoqua et, plein de frivolités, continuèrent leur escapade énergétique, remuant les ondes autour d'eux, et les vibrations cadençant leurs gestes. Et elle vacilla quelque peu à ses mots interposant quand il lui avoua la surveiller. Et lui la retint dans ses bras pour la soutenir comme il l'avait toujours fait. La vorace Salamandre, pour se défendre, l'agrippa à la nuque, et esclave volontaire qu'il était à son emprise se laissa faire. Il l'avait brûlée de ses paroles…, à son tour à elle d'en faire de même…

Elle accepta de rester sous le regard neutre de son cavalier à l'esprit embrasé et puis l'embrassa d'abord d'une première question dont il n'aurait voulu lui répondre car trop fier, et puis l'abattit d'une seconde plus violemment encore en lui demandant si réellement il avait voulu la voir partir loin de lui. Son cœur se serra, elle l'avait eu. Maligne Sacriponne, sournoise aguicheuse. Elle l'avait touché. Il n'en dit rien, se voulant pourtant de lui répondre mais les mots ne venant pas, décida d'en attendre leur venue pour la tordre de douleur en la séquestrant dans les noirceurs de leur étrange amour mutuel. Il se vengerait, il se le devait.

Si simple pourtant qu'en complexifiant leur relation n'en devienne un labyrinthe honteusement immense dans lequel ils se comprenaient ou, tout le contraire, perdus à jamais. Et à eux deux avaient érigé un Univers complexe dont l'épicentre était cette bulle vibratoire dans laquelle ils s'étaient enfermés.

A cela, elle contre-attaqua, prenant les rênes de la danse, plus féroce encore que celles du maigrelet égaré, exécutant des gestes aussi sensuels que vicieux à son égard. Il en dut agripper sa taille et la remonta vers son corps frêle mais démesurément insatiable. Et les regards s'entrecroisèrent sauvagement, elle était maîtresse mais lui la dévorait tout entière. Et tout cessa subitement quand elle interrompit l'étreinte, s'en allant vers les deux garnements dansant. Elle aimait le contact, idolâtrait cet acharnement à la douce révolte et l'envie qu'on avait d'elle de s'en rapprocher sans jamais réellement l'atteindre. Elle était douée et, plus que ça, s'en jouait de plaisir. Il espérait qu'avec lui ce soit différent mais fourbe qu'elle était ne pouvait que l'en l'illusionner, l'égarant davantage. Son corps s'était séparé d'elle, il en hocha la tête d'un sourire sincère, puis reprit de son extravagante folie, comme guéri d'elle. Alors qu'elle se rapprocha du petit homme souriant.


« Si le gentil gringalet t'a convaincue, je ne peux qu'adhérer à ta demande, ma belle Cérène », lui répondit le nain, le cœur en vrille de retrouver la voix de cette fille fragile qu'il connut, un peu mollasson de devoir danser, lui qui était un piètre fêtard.

Elle lui serrait ses mains minuscules, et il en était ému. Jamais on ne lui les avait pris avec tant d'amour, à part la dernière fois où il a vu la superbe femme avant qu'elle ne les quitte tous. Qui donc pouvait s'attendrir d'un être si ridicule que lui de sa taille grotesque et de son dos bosselé ? Le nain, tout penaud, faillit laisser une larme perler mais se retint.
Merci, Cérène, se dit-il en lui-même avec sincérité, lui aussi.

« Dansons, belle Cérène, mais doucement, que je puisse profiter de toi. »

Mograth, fou de joie, ne s'arrêta nullement de fracasser les pierres l'une contre l'autre aux côtés du chenapan sautillant prés de lui, d'ailleurs le doux géant le porta et le posa sur ses épaules, et le folichon garnement s'en extasia en frappant des mains de plus belle tandis que les deux petits danseurs s'arrêtèrent de valser pour courir autour du vieux puits fétide, se pourchassant l'un l'autre sous leurs rires enfantins.

Kryss s'était arrêté de bouger, restant immobile, debout à regarder Cérène et Kraker danser. Le nain souriait en traînant du pied. Rare était de le voir sourire et le bouffon au chapeau se perdit en lui à tout cela. Il savait ce que Cérène avait surmonté après l'avoir envoyée hors du Goulot. Elle s'était retrouvée à la rue, et sachant cela Kryss dut se confronter à certains de ses contacts malhonnêtes n'ayant ainsi pas tenu leur promesse. Le fou du roi avait déboursé pas mal d'argent pour sa liberté et elle n'était pas ce qu'il aurait espéré. Mais c'était trop tard. Et puis, un jour, une nouvelle aussi réconfortante qu'accablante lui vint ; elle fut recueillie par Oscar et sa troupe, une bande de saltimbanques des hauts-quartiers. Et lui deviendrait son nouveau compagnon de folie, et Kryss en serait oublié…, s'en était-il persuadé. Jusqu'à ce jour où elle revint pour les revoir… Etait-ce bien ? Ou Mal ? Il s'en mordit les lèvres, ne sachant quoi répondre. En tout cas, elle était là, souriante, tenant les petites mains de Kraker qui dansait comme un manche mais, ça, elle ne lui dirait pas, car trop attachée à ce petit bonhomme mal aimé des autres.
Quelle belle femme, en conclut-il en baissant le regard.

Le bouffon, tout sérieux qu'il était, un peu ému, s'approcha des enfants courant autour de l'excavation puante et retint le garçonnet d'une poigne délicate.


« Fais sonner mes grelots, sacripant ! » lui ordonna-t-il en secouant sa tête en sa direction.

Le petit bougre, un peu timide face au célèbre bouffon squelettique du Goulot, s'exécuta en tapotant sur les trois clochettes du grand chapeau vert de l'énergumène tout maigrichon qui tintèrent.


« Bravo, sacré morpion !
Tu as gagné le droit d'aller chercher quelques monceaux de bois dans « La Poubelle » ! Tu les trouveras dans le Fourre-tout. Personne ne t'en empêchera ! Nous allons faire un grand feu au milieu de la place, et tu en seras le chef ! »


L'enfant, tout content, s'imaginait déjà raconter sa formidable aventure chez les « Monstres du Goulot » à tous ses amis et détourna la tête vers sa compagne de danse s'étant arrêtée, la mine timorée en gonflant ses lèvres.


« Allez donc ensemble, drôles de brigands ! Et vite, et vite ! Du bois pour la grande fête de ce soir ! » leur intima Kryss d'un large sourire en voyant les deux folichons s'en aller chercher les appâts des flammes futures dans la roulotte.

Après quoi, le Bouffon du Goulot s'empressa de reprendre en main leur conversation et interrompit la danse du nain bosselé et de la Salamandre.


« Kraker de mon cœur ! commença-t-il d'un sourire en coin.
Pourrais-tu rapporter les aliments que j'ai déposés sur la Table à bouffe ?
Nous allons festoyer l'événement marquant ce soir ! »


Le nain cessa sa danse un peu confuse avec la douce jeune femme, un peu soulagé de ne plus lui faire endurer de tels pas irréguliers.


« Oui, mais ne m'appelle plus comme ça ! bougonna aussitôt le grognon bonhomme en saluant la danseuse avant de reprendre ses railleries vers le maigrelet. Si j'avais su qu'il y aurait une fête, je me serais mieux fagoté !
— Kraker, t'es toujours mal fagoté, même quand tu l'es bien ! surenchérit avec humour Kryss.
— Bwoarf… », régurgita le nain d'une sympathique tape à l'épaule au squelettique garçon en s'en allant vers la roulotte.

Le gentil bouffon inspira profondément, faisant face à la sulfureuse danseuse, et lui prit les mains dans les siens. Se voulant par-dessus tout de lui répondre sincèrement à ces deux fameuses questions l'ayant quelque peu étourdi.


« Ecoute-moi bien, Sacriponne, parce que je n'y répondrai qu'une seule fois, commença-t-il d'un ton sévère mais empli de tendresse en lui serrant les doigts entre les siens. Bien sûr que tu m'as manqué…, et je te déteste de me l'avoir dit ! N'en parlons plus et ne me repose plus jamais cette question idiote ! s'insurgea-t-il un peu affaibli par ses paroles. Et ensuite…, s'essoufflait-il émotionnellement, penses-tu réellement que je souhaitais te voir partir après tout ce qu'on a vécu ? Nous tous, avec toi ? lui répéta-t-il sa question en la regardant intensément dans le blanc des yeux. Par pur plaisir ? Penses-tu que j'aurai aimé te voir partir, petite idiote ? Et la réponse fut dans le ton électrisant et tremblotant qu'il injecta en cette même question.
Tu es nulle…, tu le sais ça ? Tu es nulle de penser ça », lui-dit-il en se détachant d'elle.

Kryss enleva ensuite son grand chapeau vert, laissant à l'air sa courte chevelure noire à mèches pourpres, et le déposa sur la tête de Cérène. A la suite de quoi, il apposa un doux baiser sur sa joue chaude.


« Mais toi, flamboyante Sirène, es-tu vraiment heureuse à présent ? »

Pendant ce temps, les deux gredins avaient ramené les monceaux de bois au centre de la « Place aux rats ». Plus qu'à les enflammer ! Et Kraker, de son côté, venait de faire son premier voyage en amenant les modestes dégustations des offrandes qu'offrit le public du saltimbanque déjanté durant la journée ; quelques maigres morceaux de viande, plusieurs poissons invendus provenant du port que volèrent certainement les enfants pour s'offrirent un horrifique spectacle et porter le chapeau grelottant du fou du roi, et autres salades et vins de faibles qualités des bordels d'à côté. Un véritable festin pour les délurés du Goulot, ce qui tombait bien !
Revenir en haut Aller en bas
Cérène BoiserelSaltimbanque
Cérène Boiserel



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyLun 8 Avr 2019 - 22:54
Lorsqu’elle danse avec Kraker, Cérène en est émue. De ces émotions délicates, qu’elle en serre les mains du petit homme avec une tendresse certaine, le regard sincère et le sourire doux. Kraker la touche, à sa manière, ce petit nain aux traits labourés par sa mauvaise humeur constante, ou de ses râles qui résonnent encore comme un écho du temps où elle était encore là. Il l’émeut davantage avec force et puissance. Elle l’observe se démener, traînant les pieds pour lui faire plaisir, en souriant avec bienveillance, dansant avec lenteur pour s’adapter à son rythme et ne pas l’épuiser.

Kryss intervient alors et leur danse s’arrête naturellement, s’adressant à Kraker qui se détourne d’eux lentement pour aller chercher de la nourriture.
Cérène lui rend son salut d’une légère courbette.

Elle sait que Kryss va passer à l’attaque et d’un côté, elle redoute ce qu’il peut lui dire, lui avouer.
Le grand fripon se poste face à elle et lui serre les mains. Avec force, leurs doigts s’étreignent, s’emmêlent tandis qu’il répond à toutes ses questions piquantes. Il s’insurge doucement contre elle, vrillant ses dernières questions d’un ton électrique qui décharge dans le cœur de Cérène un puissant maelstrom plein d’énergie. Ils se sont observés dans les yeux, sans les détourner une seule seconde et Cérène s’en veut de se perdre dans ces iris grises tant son regard se fait intense et absorbe le sien. Les traits de la Sirène se détendent tandis qu’elle arbore une moue plutôt fière. Elle le sent un peu plus à elle lorsqu’il s’emporte de la sorte, lorsqu’il se dévoile lentement en délaissant sa fierté, lorsqu’il s’essouffle à cause d’elle.
C’est un peu orgueilleux et cruel, mais elle se sent grisée de le voir dans cet état.
A cause d’elle.

Je suis rassurée. Avoue-t-elle un peu maladroitement, d’un sourire satisfait. J’ignorais que tout ceci se passait là. Et pour conclure ça, sa paume de main se pose contre le pectoral de Kryss. Ses yeux se dressent vers lui comme une douce provocation.

Et l’expression fièrement arrogante que porte la flamboyante Sirène se fissure tel un miroir brisé. Tous les éclats en tombent à ses pieds lorsqu’il pose son grand chapeau vert sur sa tête.

A quoi tu joues ? Questionne-t-elle, d’un ton étonnamment prudent, ne se doutant pas de ce qui allait l’attendre.

Son sourire satisfait se fane lorsque le bouffon du roi se penche vers la flamboyante sirène pour déposer un baiser de Kryss sur la joue de Cérène.
Et la question arrive avec la puissance d’une gifle. Ecarquillant légèrement les yeux sous la surprise, Cérène se retrouve presque aussi essoufflée que lui, comme si deux bras invisibles lui compressent la poitrine, prise de court et secouée. Les mots, aussi anodins sont-ils, apportent dans leur sillage des choses bien plus profondes qui lui font éclater le cœur.
Et le pire dans tout ça, c’est qu’au détour d’une simple question, il arrive à la faire douter.
Tu l’as fait exprès.

Je…

Inspirant un grand coup, ses poumons se gorgent d’eau invisible.
L’est-elle réellement, finalement ?

Son poing se serre avec fougue pour résister à l’envie de lui céder son malaise, son trouble qu’il fait enfler comme un fruit pourri et néfaste.
Elle se contient.
Pour que son trouble ne lui saute pas au visage. Ne pas lui offrir cette satisfaction jubilatoire de voir qu’il peut lui aussi, se jouer d’elle. Que sa douleur lui soit sienne, et que de cette manière-là, elle lui appartient un peu plus. Mais jamais, ô grand jamais il ne le verrait.
Bien trop fière pour lui céder du terrain, Cérène, bien trop arrogante pour exhiber ses faiblesses.
Pour aujourd’hui, en tout cas.

Je…

Ce pouvoir de tout remettre en question, ce pouvoir-là de la faire douter, elle le hait de parvenir à la déstabiliser aussi facilement, d’abattre ses défenses avec quelques mots finement choisis. D’un sourire charmant, d’une étreinte férocement fiévreuse, il parvient à endormir sa méfiance pour mieux contrer jusqu’à l’en étouffer de rancœur. Là où pour d’autres elle devient une armure hermétique, Kryss lui, en distingue les failles à l’aveugle et s’y engouffre sournoisement. Tapant juste et fort aux endroits sensibles avec la précision d’un serpent.
Elle le hait d’y parvenir aussi facilement.
Pourtant. Pourtant…

Elle se revoit, propulsée cette année en arrière, emportée dans les remous d’une dispute violente avec Kryss, lui hurlant des mots cruels au visage, lui sifflant toute une bourrasque chaude de colère. Sûrement jalouse et pourtant incapable de le reconnaître ou de l’assumer pleinement, animée par le désir de l’avoir telle une gamine possessive et capricieuse. Refusant de se soumettre en excuses et sa fierté écartelée par les paroles blessantes du jeune homme, elle l’avait poussé plusieurs fois, à maintes reprises, essoufflée, à lui rugir dessus comme un animal blessé et sauvage, « Tu parles de moi ! Mais toi ! Es-tu vraiment heureux toi, Kryss, au final ?! Ses mains basanées s’étaient posées avec fureur sur son torse et bousculé pour l’éloigner d’elle, pour l’acculer dans ses derniers retranchements. Le torturer, le faire endurer jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus et que sa patience se taise au profit d’une colère explosive. Mais regarde-toi, bon sang ! L’es-tu réellement ?! » Et elle se souvient de sa réponse, oui, elle se souvient…

S’approchant de lui, effleurant son épaule de la sienne dans le souffle d’une caresse volage, son visage se dresse légèrement vers lui.

Elle le toise avec fièvre, le regard enjôleur, presque enamouré.
Presque charmant.

Je le suis tout autant que toi. Murmure-t-elle en basculant légèrement la tête sur le côté, avec une lueur mystérieuse dans le regard. Un léger silence tandis qu’elle s’avance, colle son dos contre le sien, déposant le haut de son crâne entre ses deux omoplates, poursuivant. Mais aujourd’hui, je le suis plus que d’habitude. Confesse-t-elle avec pudeur cette fois-ci, en fermant les yeux sur ses mots et laissant un léger sourire flotter sur ses lèvres. Mais ne te fais pas d’illusions, Kryss, tu me rends pas plus heureuse qu’un autre. Et elle laisse échapper un très léger rire farceur, face à cette petite attaque sournoisement taquine. …A peu de choses près. Se reprend-t-elle d’une tendre douceur. C’est les seuls aveux qu’il obtiendrait d’elle aujourd’hui, les seuls.

Le crépitement timide des flammes et les cris de joie des autres la font se ressaisir. Elle se décolle de Kryss quand l’un des marmots se rue vers elle pour lui saisir la main sévèrement et la tirer.

Mais venez, restez pas là, vous deux ! Vous allez tout louper… ! Vous discuterez comme des grandes personnes plus tard, c’est pas possible, ça ! Qu’il peste en soufflant tout en fauchant le poignet de Kryss pour le tirer aussi vers les flammes qui dévorent les bouts de bois.

Cérène lève la tête à nouveau, vers les cieux embrasés, prenant une grande goulée d’air, son regard balaie à nouveau la petite foule. Les éclats de rire, tantôt teintés de remontrances quand ils se partagent les mets trouvés. Cérène les laisse faire, riant doucement à leurs bêtises, se rappelant lorsqu’elle revenait elle aussi, les bras maigres chargés de trouvailles, un air fougueux et sauvage sur le visage.
S’armant d’une bouteille de vin, le goulot est porté à ses lèvres pour en prendre plusieurs longues lampées. S’essuyant légèrement le coin de la lèvre d’un revers du poignet, elle tend la bouteille à la petite assemblée.

A nos retrouvailles ! Et les cris enthousiastes en réponse, et les éclats de rire. Cérène laisse à nouveau déraper un sourire ému, les yeux chargés d’émotions, son regard croise à nouveau celui de Kryss. D’un index porté à ses lèvres amusées, elle fait le signe complice de ne rien dire. Je sais que ton silence ne vaut pas si cher. S’en amuse-t-elle.

Le soleil décline dangereusement, laissant l’obscurité prendre peu à peu sa place. Et pourtant, la fête bat son plein sur la place aux rats. Cérène, un peu portée par l’alcool, laisse soudainement sa voix s’écouler pour chanter avec la puissance enjôleuse d'une Sirène l’hymne des Macchabées, tout en dansant et frappant des mains autour du feu.
Saisissant les mains d’un des enfants pour l’entraîner à sa suite, qui attrape celle de Mograth, qui à sa suite saisit les mains de Kryss pour faire une gigantesque farandole autour du feu et que le cri de leurs voix s’élève comme une ode à la folie face à la nuit devenue reine.
Revenir en haut Aller en bas
Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyDim 14 Avr 2019 - 0:59
Sous le brasier des fous 2222_b10

L'extravagante farandole enchaîna des tours et des détours autour du feu flamboyant aux flammes montantes durant une bonne heure en laquelle les bouteilles aux essences euphorisantes tournèrent de main en main, agitées par les mouvements circulaires et les hauts les cœurs incendiant les sept danseurs gigotant avec fureur. Et les poignes se serrèrent les unes en les autres, et les doigts s'enlacèrent ensemble, changeant de partenaire à chaque ritournelle intermédiaire favorisant le culte du plaisir et de la chair. Et les sourires, et les rires, et les fous du brasier amplifiaient le rituel orgasmique reposant sur les piliers de la décadente démence des fous à lier ! Et les ombres, comme de funèbres créatures venues des entrailles de l'autre monde par les dorures rouge-orangé du bûcher, chevauchaient les pas des drôles énergumènes du Goulot sous la nuit tombée.

Tout là-haut, l'astre nocturne, mère des étoiles, veillaient sur ses enfants, et quelques-uns, bien plus turbulents que d'autres fois, vagabondaient d'un éphémère passage, et peu visible qu'était ce ciel scintillant par les noirs nuages couvrant le quartier malfamé, le feu d'en bas, au centre de la « Place aux rats », suffisait à lui seul à attirer tous les regards tant les fêtards poussaient la chansonnette, le cœur en vrille et la joie amoncelant l'idylle folie. Ainsi, chantèrent tous à l'unisson, et en répétition, un exécrable chant connu de tous, célèbre ode que confectionnèrent les incapables et autres poivrots des bars du vieux quartier cramoisi au paroxysme de l'enivrement.


Ô chante, Ô danse, et bim et boum !
Ô saute, Ô tombe, et bois une aut'e !
Et paf, et pouf, sacrée racaille !
Et bif et baf, vive les guindailles !

Festoyèrent donc ensemble les résidents du Dépotoir en cette nuit ubuesque ; Macchabées et enfants. Ce chant était l'hymne des enivrantes nuits alcoolisées des ivrognes portant fièrement leur verre. Et de tous ces gentils débaucheurs, Mograth le géant était le seul à ne pas boire, tout comme les trois petits mouflets, trouvant cela bien abjecte comme mixture de fête. Tandis que Kraker, tout le contraire, buvait à foison, mais bien costaud qu'il était enduré facilement chaque gorgée sans jamais tomber. Kryss, pour sa part, était légèrement ivre, et de sa grandiloquente maigreur en ressentait plus vite les effets déséquilibrants, alors buvait, comme tous, et quand la bouteille lui revenait d'entre ses mains se contrôlait d'une petite gorgée assurée, le croyait-il en tout cas. D'ailleurs, il ne remarqua que bien plus tard que son chapeau avait lui aussi passé de tête en tête au départ de Cérène avant de lui revenir dessus. Et les grelots tintant à chaque embardée dégénérée le motiva à s'extirper de la dansante mêlée.

Le bouffon, vacillant quelque peu de gauche à droite, rejoignit la roulotte en chantant l'hymne des ivrognes du Goulot, passa proche de sa marotte adossée au bois moisi du bâtiment roulant et se posta à côté d'elle, tout essoufflait qu'il était en regardant au loin, à proximité du fétide puits, admirant la ronde des six espiègles agitateurs. Après quoi, il bifurqua sa tête vers la poupée plantée en sa verge au sommet du long bout de bois. Elle semblait tous les surveiller, impassible et concentrée de ses yeux vides.


« Regarde, m'man ! C'est elle ! Oui, oui, tu l'as reconnue, toi aussi ! s'extasia-t-il en riant bêtement.
C'est… ma p'tite Sacriponne…, dit-il d'un sourire béat à la regarder danser et conduire tout ce petit monde en cercle autour du feu de camp. Elle est belle, hein ? demanda-t-il à sa marotte stoïque ne lui répondant nullement. Elle a changé…, c'est vrai…, s'en confia-t-il finalement, les veines imbibées d'alcool. Le temps passe et ne s'arrête pas…, effectivement. Comme c'est brutal », semblait-il répondre à la poupée inerte en admirant Cérène danser élégamment, sans faille ni faiblesse, de ses courbes folles. « Je le suis tout autant que toi », m'a-t-elle dit, et ça aussi s'en est brutal. Il laissa un court instant d'émotion l'emplir qu'il s'efforça de noyer au mieux dans un coin de sa tête. Ce sont mes mots, ceux de notre plus grande engueulade…, la plus difficile aussi. Elle me les a retournés tout à l'heure, avant l'effondrement du soleil. Elle se souvient d'absolument tout », finit-il en soupirant, ne sachant comment l'interpréter réellement en se ressassant les aveux de Cérène, ses gestes, aussi vicieux que délicieux, et les multiples piques qu'elle aimait lui lancer.

Un court silence fut d'or entre lui et son effrayant pantin aux membres écartés, puis, à croire qu'elle lui parlait, le bouffon se redressa d'un coup.


« Bien sûr que je vais y retourner ! s'écria-t-il avant de se taire, écoutant les mots imaginaires de sa mère. Mais, oui ! Mais…, oui, m'man ! Je vais prendre soin d'elle, tu le sais ! Mais elle n'est plus si faible qu'avant, elle n'a plus besoin de moi… Je suis devenu inutile…, baissa-t-il les yeux comme un marmot s'avouant vaincu avant que sa marotte ne le remette dans le droit chemin. Arrête de me traiter comme un gamin ! Je peux me contrôler ! » essaya-t-il de la réprimander sans grand succès.

Kryss écoutait la poupée lui parler, la regardait avec tant d'attention qu'il en oubliait la fête, puis revint à la charge, s'empara de son instrument de prédilection, sa lyre en bois posée sur une vieille table pourrie juste à côté de la roulotte, remit son chapeau droit et sourit gaiement.


« Allons, allons ! Je vais les enflammer ! s'écria-t-il pour s'encourager avant d'être interrompu dans sa lancée. Excuse-moi, m'man ! » lui dit-il en l'embrassant sur sa joue gauche en tissu pour la satisfaire avant de s'en aller rejoindre la troupe de danseurs délurés ne s'étant aucunement arrêtée.

Une des bouteilles de vin vola en l'air d'un habile lancer de Cérène avant de s'en aller pile-poil tout au fond du puits pour s'y briser, et une deuxième tournait encore, et bientôt une troisième qu'ouvrit Kraker dans la foulée fit son entrée dans l'assemblée ! Et des hululements se firent plus insistants, et des « Hééé » et des « Hoooo », et parfois des « Houuuu », propulsèrent de plus belle les fêtards dans leur transe collective. Quand enfin l'une des bouteilles vint à la Salamandre virevoltante qui imbiba le goulot de sa chaude salive, Kryss s'y précipita pour la lui dérober et en extraire lui aussi quelques lampées, absorbant de son liquide salivaire celui de la jeune femme apposé au bord. Le récipient fila bien vite entre les mains de Kraker pour qu'ensuite le maigrelet timbré se mette à gambader autour de la ronde des cinglés, jouant de sa lyre à sept cordes, toutes d'une épaisseur différentes pour chaque son. Et l'Hymne des Macchabées rythma la troupe et tous le chantèrent, encore.

Regardez-nous ! Chanter, danser, péter !
Observez-nous ! Manger, chier, vomir !
Venez, venez ! Venez avec nous !
Avec dégout ! Entre deux égouts !
Amusez-vous ! Au milieu de nous !

Et puis, du tout au tout changeant vers celui des ivres morts.

Ô chante, Ô danse, et bim et boum !
Ô saute, Ô tombe, et bois une aut'e !
Et paf, et pouf, sacrée racaille !
Et bif et baf, vive les guindailles !

Et ainsi de suite, sans aucune logique sous la nuit noire de l'affreux Goulot de « Marbrume la Crade », fief des dangereux heureux et des esprits perdus des lieux. Et continua la fête des minutes durant, des quarts d'heure sûrement, et plus assurément avant que ne s'en vienne le dernier des Macchabées, le pire de tous, certainement.

Après avoir sillonné les crasseuses ruelles à effrayer les enfants et répugner les adultes, à pourchasser les rats et les chats, à manger les rampants attrapés, à voler quelques fruits exposés sur les tables à tréteaux et autres trésors des marchands inattentifs de leur pauvre commerce composé des restes invendus provenant du port de l'est de la ville, se décida finalement à rentrer chez lui et les siens ; les Macchabées. Ces nombreux tics nerveux ne le laissèrent guère de répit, poussant quelques cris stridents et gesticulant ses bras par de vifs mouvements imprévisibles dans les airs, devant lui ou se frappant même parfois la tête lui-même, s'excita davantage en remarquant l'attroupement festif autour du feu de camp au centre du Dépotoir. Son terrible visage mal grimé, d'une grande pâleur, et dont les contours de ses yeux bleus foncés étaient exagérément noircis, décuplant un inquiétant faciès, s'élargit d'un sourire carnassier de ses lèvres rouges vives. Les cheveux en bataille teintés d'un écarlate rouillé, il se les gratta nerveusement en tapant des pieds comme un enfant surexcité sautillant sur place. Ses pattes étaient emmitouflées dans de grandes et longues chaussures vertes qui s'élancèrent finalement à grands pas vers le feu crépitant d'où les chants subjuguaient toute la place.


« Héééééé ! Hé, hé, hé ! Houuu ! Houuuu !
hurla-t-il en courant à vive allure vers le puits, arrêtant l'assemblée tournoyante étonnée.
— Oh non ! Par la Sainte Trinité, voilà le taré ! » s'en morfondit le nain d'un air dépité aux côtés de Cérène.

Rhoark, le cabotin hurleur, fit ainsi sa fracassante entrée, se précipitant déchaîné vers le rassemblement, et plus particulièrement vers celui qu'il considérait comme un exemple et un mentor ; Kryss. Ce dernier abandonna les manipulations de sa lyre, laissant ses longs bras maigres pendouiller.

« Doucement, Rhoark, doucement ! » prononça le bouffon pour apaiser sa course folle en sa direction.

Le fou maquillé se mit à sauter sur place en sprintant, hurlant des incompréhensions abracadabrantesques.

« Hou, hou, hou ! Hééé ! criait-il en gesticulant sa tête dans tous les sens, comme un chien fou voulant jouer, manquant à plusieurs fois de tomber.
— D'accord, mais calme-toi, gaillard, calme-toi ! » s'empressa de répéter le fripon maigrelet inquiet en soulevant les paumes en signe de halte.

Le plus imprévisible des Macchabées ne s'attarda sur personne à part Kryss, ne faisant guère attention aux obstacles sur son chemin et frôla même la chute libre dans le puits pour ensuite heurter Mograth de plein fouet, ce qui l’éjecta à plusieurs mètres, avant de reprendre sa folle campagne à travers la « Place aux rats » jusqu'à se blottir aussi tendrement que violemment dans les bras de Kryss, posant sa tête sur sa frêle épaule de bouffon squelettique en la remuant pour essayer de s'y mouvoir d'affection afin de s'y sentir en sécurité.

« C'est bien, Fripouille, calme-toi ! l'apaisa le maigrichon en caressant son dos. Qu'est-ce que tu nous a rapporté de beau aujourd'hui, mon gaillard ? » lui demanda le chef de troupe, toujours un peu divaguant des effets du vin.

Rhoark, comme un enfant ayant retrouvé son protecteur, farfouilla dans sa profonde poche droite et y sortit un morceau de tissu sale d'où une odeur des plus infectes y émanait. Le fou du roi le remercia d'un hochement de tête et, curieux, déballa l'offrande. Un énorme rat mort y était en train de pourrir, enveloppé dans ce vieux tissu brun.

« Fripouille, je t'ai déjà dit de ne plus m'offrir ce genre de cadeau ! l'interpella Kryss d'un sourire quelque peu amusé. Je te l'ai déjà dit, l'histoire du « Rat mort sur le trottoir » n'est qu'une fable. Il n'existe pas ! Tu comprends ?
— Eh ben ! Heureusement que tu ne lui a pas raconté celle du « Cannibale constipé » ! en rajouta Kraker d'un air blasé.
— Ne refais plus ça ! Méchant, Rhoark ! » le gronda sans réelle dureté le chef des monstres.

Le cabotin hurleur leva le regard vers celui du bouffon, les yeux bleus outremers grands ouverts, luisant de détresse et d'innocence pour amadouer son mentor trop faible pour y faire face.

« Rohhh…, je ne peux pas, je n'y arrive pas ! Je ne peux pas le gronder ! Regardez-le ! Il est si trognon ! s'exclama Kryss vers tous les autres d'un air attendri avant d'enlacer le fou à lier dans ses bras, le rat mort ballotant entre eux.
— Comment veux-tu qu'il ne recommence pas si à chaque fois qu'il te ramène une cochonnerie, tu finis par le prendre dans tes bras ! ronchonna le nain dépité.
— N'écoute pas le vilain grognon petit homme ! Méchant, Kraker, méchant ! » s'en amusa le chef des Macchabées alors que Rhoark détourna le visage vers le nain en lui montrant ses crocs et lui grognant dessus.

Kryss balaya du regard la petite troupe, les trois fripons bambins avaient peur du nouveau venu, en fait, Rhoark faisait peur à tous les enfants par son apparence effrayante et ses réactions soudaines. A cela, le cabotin amusait surtout les plus grands et ne refusait jamais aucun défi d'eux en échange de quelques présents. Il était mentalement le plus instable des « Monstres du Goulot » et avait été recueilli par le bouffon décharné lorsqu'une nuit, guidé par des pleurs, il l'avait trouvé recroquevillé comme un enfant dans les souterrains des égouts de Marbrume. Le gentil maigrichon était le seul à connaître son histoire, qui fut bien difficile à cerner depuis la bouche de cet énergumène, et lui promit de garder le secret avant qu'il ne fasse de lui un nouveau Macchabée.

« Regarde, sacrée Fripouille, regarde donc qui est venue nous rev…, lui dit Kryss en voulant lui faire remarquer la présence de Cérène avant que Mograth, estomaqué, ne lui hurla dessus.
— C'est ruban de petite fille qu'avoir perdu ! pointa du doigt le géant bonhomme vers le poignet de Rhoark duquel était attaché un joli ruban de plusieurs couleurs. Avoir voler à moi, Rhoark ! Rendre à Mograth ! » hurla de plus belle l'ogre de la troupe.

Le cabotin se mit à élargir un énorme sourire carnassier, à rire et enfin à fuir, courant à toute allure autour de la « Place aux rats » de ses cris stridents tandis que Mograth se mit à le pourchasser difficilement, courant tous deux autour du Dépotoir.

« Hé, hé, hé ! Hou, hou ! » s'amusait le sacré fou à lier tandis que plus sérieusement le gentil géant suait à le suivre sans relâche en ayant espoir de pouvoir le rattraper de ses grandes enjambées.

Pendant ce temps, les trois enfants ainsi que Kraker, Cérène et Kryss, les regardaient tourner plusieurs fois autour de la place, et le feu crépitait toujours autant, et ne s'en irait qu'après avoir accompli son rôle de veilleur auprès des noctambules effrontés défiant la fatigue de la journée passée. Sur quelques balcons de l'arrière des maisons délabrées, plusieurs silhouettes se dessinaient, observant, enjouées, la scène des Macchabées. Sortant ainsi de leur condition difficile, les plus somnambules admiraient le spectacle pour une franche rigolade.

Après quoi, l'essoufflement vint étreindre l'effrayant saltimbanque qui avait lâché son rat mort durant la course, arrêtant sa frénésie. Et détournant le visage vers le feu, aperçut enfin la belle jeune femme à la chevelure de braise. Son cœur de timbré fit un double battement en la voyant, il s'en souvenait. C'était elle, elle qui lui avait appris à se calmer lors de ses crises loufoques sans queue ni tête, c'était elle…, il en était sûr. Sa gentille sœur de cœur. Un large sourire carnassier s'afficha de nouveau à son horrifique faciès tandis que Mograth, à côté de lui, reprit avec soulagement son ruban du poignet fébrile de Rhoark hypnotisé par Cérène.


« Houlà ! Il l'a vue…, s'exprima Kraker d'une pointe d'inquiétude.
— Effectivement… », s'en suivit Kryss d'une mine perplexe, attendant de savoir ce que ferait le cinglé.

Le chef de troupe détourna son regard vers Cérène qui, elle, regardait Rhoark, semblant même le comprendre contrairement à eux. Elle semblait tout savoir de chacun d'eux jusqu'à tous les apprivoiser. Elle était le remède à leur folie. Rhoark se mit à hurler et ses cris stridents firent mal à en arracher les tympans, car la joie qu'il dégageait était intense, trop peut-être ! Mais soit, le fait est que le taré des Macchabées se mit à courir, à sprinter, puis à se précipiter comme un forcené, gesticulant ses bras et ses jambes comme un pantin désarticulé en direction de la jeune femme de feu qui ne bougeait aucunement, comme certaine d'elle.

« Heuu…, doucement, Rhoark ! s'écria Kryss d'un ton légèrement alarmant.
— Doucement, abruti ! cria Kraker en frappant du pied sur le sol.
— Faire attention ! » s'en suivit Mograth en y mâchouillant nerveusement le ruban qu'il venait de récupérer.

Mais Rhoark, n'écoutant rien, acharné qu'il était, se précipitait comme une furie vers Cérène, hurlant, criant, déblatérant des onomatopées incompréhensibles. Le choc était inévitable et pourtant, pourtant, la jolie Salamandre de braise ne bougeait pas, inflexible qu'elle était.

« Héééé ! Hééé ! Héé ! Houuu ! Houu ! » hurlait Rhoark à son approche qui, d'ici quelques mètres, se fracasserait sur elle.


Dernière édition par Kryss l'Osselet le Lun 1 Juil 2019 - 17:05, édité 1 fois
Revenir en haut Aller en bas
Cérène BoiserelSaltimbanque
Cérène Boiserel



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyVen 28 Juin 2019 - 11:41
Dans son esprit assoupi par l'alcool, Cérène danse entre les macchabées, mêlant ses pas aux leurs malgré l’ivresse la saisissant, elle s'enroule autour d'eux comme un félin habile pour échanger rire et blagues. N’ayant pas tout de suite remarquée l’absence de Kryss, du regard, elle le voit parler à sa marotte et un sourire esquisse ses lèvres. Elle le voit échanger vivement avec elle – ce qui est à son image.
Puis tout se passe très vite, et le plus effrayant de tous fait son entrée. Elle ne peut s’empêcher de rire lorsqu’il se jette sur Kryss, se fait poursuivre par le géant. Tous, autour de lui, de Rhoark, les mots se taisent, les regards effarés se tournent – et Cérène en sourit lorsqu’il finit par la remarquer.

Ne le freinez pas, s’il vous plaît. Qu’elle murmure tandis que Rhoark avale les quelques mètres qui les séparent, la collision est inévitable, et Cérène, peut-être d’ivresse étend ses bras vers lui pour l’étreindre.

Le choc est brusque et rapide, et son souffle se coupe. Déjà, elle se fait brutalement propulser en arrière, ses épaules accusent en premier le coup, son dos amorti l’impact dans un bruit mat. Elle a l’impression d’être anesthésiée. La douleur vicieuse et lancinante lui mord le bassin pour s’acheminer jusqu’à sa nuque, mais l’alcool inhibe et la musèle avec force. Rhoark, étalé à moitié juste au-dessus d’elle, avance à nouveau sa tête avec un empressement frénétique, comme un gamin impatient réclamant une confiserie. Un sourire ému dérape des lèvres de Cérène parce qu’elle est bien incapable de lui résister malgré la douleur tolérée.

Je sais, mon beau, viens là. Chuchote-t-elle d’une voix douce, et sa tête se redresse vers lui, il se hâte de poser son front contre le sien avec une délicatesse saccadée et effrénée, en souriant de cet air effroyable mais indéniablement attachant. C’était leur bonjour, la manière de se dire qu’ils s’aimaient et de s’étreindre. Les bras de Cérène viennent s’enrouler avec douceur autour du cabotin hurleur pour l’attirer un peu plus contre elle, la tête de Rhoark vient se poser juste au-dessus de sa poitrine par réflexe tandis qu’il marmonne des choses incompréhensibles. Tu m’as beaucoup manqué, à moi aussi, tu sais. Souffle-t-elle tandis que sa main remonte le long de sa nuque pour lui caresser les cheveux. Tes cheveux ont un peu poussé, dis-moi ? Tu es toujours aussi beau.

Elle le pense sincèrement et lui lâche un jappement flatté en guise de réponse, et se love un peu plus contre elle.
Ses paupières se ferment, frémissantes, et lorsqu’elle daigne les ouvrir à nouveau, c’est pour trouver le regard de Kryss. L’air de dire « Je vais bien, je n’ai pas mal » et c’est sûrement grâce à l’alcool se diluant dans ses veines. Elle lui livre un sourire éblouissant de sincérité – un vrai morceau d’elle, pas vêtu de faux semblant et de mensonges. C'est de la joie. Comme un martèlement atroce qui assourdit son cœur et dont la répercussion s'amplifie dans tous ses membres. Mais elle ne l’offre qu’à Kryss et dans ses yeux brillent un éclat, celle d’un « Merci, pour tout. » silencieux. Ou peut-être est-ce autre chose. Mais à ce moment-là, de ses yeux langoureux, il n’y a plus que lui. Kryss et les macchabées arrivent à chasser les mensonges dont Cérène se pare pour survivre, effrite les murailles qu’elle s’efforce à bâtir comme une acharnée. Elle souhaitait s'exiler d'eux, abolir leur lien, de peur de revenir sur les traces de son passé, de se confronter à un brasier douloureux et ça lui paraît bien plus cruel d'avoir pensé de les éloigner d’elle. Comment peut-elle leur résister ? Elle ferme les paupières à nouveau pour reprendre ses esprits. Mais comment peut-elle résister à ces êtres pourtant rejetés mais qui lui ont donné insuffler un nouveau souffle lorsqu’elle-même avait perdu tout espoir, comment ?
Se ressaisissant, elle soupire – un brin théâtral, Cérène, avant de saisir Rhoark doucement par les épaules, poussant délicatement ses paumes de main sur chaque côté de ses épaules pour l’éloigner.

Ça va aller, mon beau, nous avons encore toute la nuit pour profiter. Elle laisse ses mains remonter sur son visage. Fais-moi un de tes beaux sourires. Il lui sourit avec frayeur et elle laisse échapper un léger rire. Merveilleux !

Mais tandis qu’elle se relève, légèrement chancelante, esquissant quelques petits pas pour récupérer ses appuis, Rhoark lui saisit brutalement la main. Sans rien dire, il la tire vers la marotte surplombant tout ce petit monde, elle esquisse un sourire navré aux autres et se hâte de le suivre. Il pointe du doigt, presque inquisiteur de Cérène jusqu’à la tête dégarnie, au regard vide et à l’émotion figée. Rhoark insiste et Cérène se penche vers lui, en chuchotant d’un air complice.

Tu as raison, Rhoark, où sont mes manières… Se redressant, bombant légèrement la poitrine, elle pivote, manquant de chanceler à nouveau, poings vissés sur les hanches pour maintenir un équilibre décent vers la Marotte. Rhoark saute en aboyant sa joie, visiblement très euphorique et enthousiaste. Cérène dévie son regard vers lui, puis s’incline dans une révérence, soulevant légèrement sa robe comme les grandes dames font. Ma dame, cela fait désormais bien longtemps…, La marotte ne bouge pas, silencieuse mais semble prêter toute son attention au discours sans queue ni tête de Cérène. Il me semble que cela fait très, oui, au moins… beaucoup trop de temps. Elle laisse échapper un léger hoquet et laisse sa main couvrir ses lèvres. Rhoark semble insister pour que je vous salue, j’espère que…oui, que… Complètement bouleversée par l’alcool qui lui martèle la tête, sa concentration se tait au profit d’une spontanéité qu’elle-même ne soupçonne pas. Je voulais vous dire que vous m’avez manqué, vous aussi, du haut de votre perchoir ! Et, je… ! Je suis ravie de voir tout le monde.

Cette fois-ci elle pivote vers un Rhoark qui paraît très satisfait de son discours pittoresque et de la manière dont sa pudeur naturelle se dévoile. Il se permet même un petit applaudissement frénétique avant de la saisir à nouveau par la main et rejoindre les autres. Cérène, abaissant ses dernières défenses noyées d’alcool, incapable de résister, se résout à le suivre. Lorsqu’il se décide à déverrouiller l’étreinte de ses doigts autour de son poignet pour reprendre sa folle course et effrayer les enfants, Cérène soupire – de soulagement, sûrement.

Dessoûlant mais toujours un peu ivre, dansant entre le géant et Kraker, elle se décide de s’avancer vers Kryss. Glissant son bras autour dos, elle laisse sa tête glisser nonchalamment sur son épaule. Elle sent comme un vent chaud, malgré le froid, s’enroulant un instant autour d’eux et emportant au loin dans son sillage des aveux précieux et silencieux. Lorsqu’elle lève le menton, les étoiles étincellent timidement.

Tu as le don et la manière d’accueillir les revenants, sourit-elle, encore un peu ivre, ça m’avait manqué… Elle se reprend, tentant de contrôler son ivresse. Ne te moque pas, Kryss, je sais très bien que je suis légèrement ivre ! Elle pivote la tête vers lui pour le regarder mais elle ne voit que les contours de sa mâchoire. Tu n’as pas changé Kryss, ou peut-être que si, un peu. Son souffle se fait empresser, mais ça me fait du bien de voir que les choses sont toujours les mêmes ici.
Confuse, elle l’est ou peut-être est-ce sa proximité avec lui qui la trouble plus que de raison. Pour empêcher Kryss de creuser avec son éternelle aisance arrogante ou de l’assommer de questions auxquelles elle ne veut répondre, elle approche ses lèvres de sa mâchoire pour y déposer un baiser. Le baiser est un atout de valeur dans une discussion, il couche tous les autres arguments sur son passage. Décollant son corps de lui, elle se rattrape en enroulant ses deux bras autour de sa nuque et se trouver face à lui. Imposant son corps, sa présence, elle ne sait pas si c’est l’alcool qui lui donne autant d’audace et pourtant… Pourtant
… Elle lui sourit à nouveau.

Fais-moi ton plus beau sour –

Et elle se sait tandis qu’un des gamins saisit l’étoffe de Kryss entre ses mains et tire dessus pour se faire entendre.

S’il te plaît, monsieur ! Raconte-nous l’histoire du « Cannipal consteupé », s’il te plaît !

La gamine, poursuivit par Rhoark, passe entre les deux et Cérène s’écarte par instinct, doucement. Souriant à Kryss en haussant les épaules, elle s’en éloigne – presque à contre cœur- et vient s’asseoir autour du feu à côté de Kraker, visiblement peu dupe de ce petit jeu discret entre les deux. Elle lui sourit en chassant l’air avec sa main.

Kraker…

Il hausse les épaules avec négligence sans retirer de son visage cet air mystérieusement boudeur – peut-être parce qu’il s’en doute de puis le début. Cérène, sourire embarrassé et la gêne aux joues, murmure.

Après. Murmure-t-elle pour battre doucement en retraite, elle lève les yeux, vers Kryss, le fixant au travers des flammes.
Ni l’un ni l’autre ne le savent encore mais l’heure du brasier vient de sonner.





Revenir en haut Aller en bas
Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyMar 2 Juil 2019 - 6:01
Dans son esprit alourdi par l'alcool, le squelettique bouffon, comme tous les agités de la place, fut spectateur de la violente collision entraînant brutalement le corps sauvage et élancé de la féline créature sur les pavés craquelés. Il eut mal, d'abord à ses épaules, puis sourdement le long de son échine, l'impression de voltiger endormi d'une douleur abstraite qu'il s'imaginait ressentir en scrutant sa flamboyante guerrière de feu encaisser finalement le poids du timbré grimé sur elle. Ce dernier blottit sa chevelure rouge cramoisi à la poitrine d'une Cérène affaiblie par l'essence des vignes sanguines absorbées d'une douce irresponsabilité et valdinguant dans les bouteilles aux pas dansants des esprits perdus mais heureux.

Kryss, naviguant dans les eaux de la folie, lui aussi, un haut-le-cœur bien trop présent, s'y précipita avec inquiétude. Mais bien vite, à quelques pas à peine, se ravisa, observant avec soulagement, les mains sur les hanches d'une pointe de sévérité, les deux fronts s'accoler, resurgissant un rituel leur appartenant qui n'avait plus servi depuis longtemps. Il souffla en souriant et chercha le regard aux mille flammes de la Salamandre avant d'y percer l'éclat d'émeraude qu'elle lui dévoila lorsqu'elle rouvrit ses fines paupières. Cet échange qu'elle lui offrit n'eut de sens qu'a son contact, lui disant en silence qu'elle allait bien pour finalement lui tendre un merveilleux sourire, de ceux qui embellissent de sincérité son incandescent visage ambré. Elle était heureuse, alors lui le serait tout autant, et lui répondit sans un mot, par simple regard, lui aussi.

Je sais, je sais. J'ai eu peur, c'est tout.

Entre eux s'épancha une sensation commune, tel un affluent empli de méandres rejoignant une longue rivière traversant la forêt de mystères les ayant séparée plus d'une année entière. Il était un parasite pour elle. A long terme, elle aurait succombé. Il se convainquit avoir fait le bon choix lorsqu'il décida de l'envoyer en dehors du Goulot, et ne voulait pas imaginer ce qu'elle aurait bien pu devenir en restant chez les Macchabées. Ou avait-il peur de percevoir une lueur de clarté au lieu de la souffrance qu'il inventa pour elle afin de l'éloigner ? La raison était-elle bien de prendre soin d'elle ? Bien sûr, mais autre chose aussi, une vérité plus profonde que lui-même occultait dans les couloirs étriqués de son esprit. Soit, elle était belle à la regarder, et lui était beau grâce à elle.
Et c'est bien suffisant, se le persuada-t-il en lui avant de se dégager de son embourbement marécageux, quelque part, au milieu de leur étrange plaine boisée.

Reprenant de sa force, Cérène poussa Rhoark, lui somma ensuite de sourire afin d'apposer un compliment bien placé qui calma le cabotin hurleur. Et se releva, bien que manquant d'équilibre et défigurant ainsi son habituelle souplesse pleine d'assurance. Malheureusement pour elle, Rhoark s'empressa de prendre possession de sa main et l'emmena presque de force jusqu'à la fameuse roulotte où était adossée la poupée dépucelée du bâton la traversant, Divine Marotte, Mère des Macchabées, muette mais si puissante de son silence.

Elle joua le jeu, amusant tous les autres participants de la fête par de nombreux sourires aux frasques euphoriques de Rhoark. Kryss, la lyre en main, ne fixait qu'elle de ses perles gris clair et émit quelques notes discrètes, sans rythme ni refrain, pour le plaisir de noyer le fond sonore inexistant de quelques fougueux soubresauts excitant l'ouïe commune. Elle s'agenouilla avec grande théâtralité et fit une belle révérence, quelque peu guidée par les échauffourées de son organisme contre l'alcool ambiant. Elle lui faisait plaisir, bien sûr, mais Kryss, aimant sa marotte, ne pouvait qu'en être plus heureux lui aussi.
Oui, m'man, elle est folle, en sourit-il. Moins que moi, peut-être…, certainement, …, heureusement…, mais drôlement folle quand même, en rit-il dans ses pensées en croisant le regard neutre de la poupée, puis en contemplant d'un sentiment d'attirance Cérène à la belle chevelure de braise.

Le fou à lier applaudit, signifiant la fin du discours de la jeune femme, et l'emmena de nouveau jusqu'au grand feu du centre de la « Place aux rats » où l'assemblée les attendait pour continuer à festoyer, tous soulagés que Rhoark ait pu tempérer son hystérie. Presque en tout cas, puisque sitôt lâché la main de Cérène pourchassa la fillette émettant de petits cris aigus autour du feu tandis que se blottissaient les deux petits garçonnets agrippés à leur gentil protecteur ; Mograth le colosse. La dévergonde sauvageonne à la coiffe de feu passa entre le géant et le nain qui essayaient de stopper le désaxé. Et se rapprochant de Kryss d'un pas dansant, toujours à émettre quelques sons de son instrument à cordes, il regardait Cérène s'en venir, ne l'ayant aucunement quitter des yeux depuis la roulotte. Elle était ivre, et lui aussi, mais pas assez, non, c'est sûr, mais la nuit n'en était qu'à ses balbutiements. Elle reprit sa place, jouant l'aguicheuse danseuse, un bras serpentant en le dos du Chef des « Monstres du Goulot », la tête chutant à son épaule, une bourrasque incendiaire réchauffant le frêle corps du maigrelet aux grelots se laissant entraîner dans ses flammes. Et sa voix résonna tandis que le jeune homme ne lui coupa la parole, la laissant déverser son ivresse et ses mots, pivotant sa tête contre lui, offrant une nuque élégante en spectacle et un délicat cou parsemé de constellations auxquelles il aurait dessiné d'éternelles routes célestes entre les étoiles de sa peau afin de la caresser au plus longtemps possible. Et il aurait voulu contrecarrer cette pensée, retourner la situation par une agaçante ritournelle mais ne le put quand elle apposa ses lèvres chaudes à sa joue creuse.


Bravo, Sacriponne…, s'avoua-t-il vaincu le temps de cet instant, bien incapable maintenant de rebondir sur le dernier geste de Cérène. Et puis faisant mine de partir, s'agrippa de plus belle à lui et lui, étonné de cela, en fut troublé. L'ivresse certainement, croyait-il, inéluctablement. Pourtant… pourtant, autre chose peut-être… En lui, en elle ? Compliqué.

Et ce moment, détaché de tous les autres, vint à s'éteindre lorsque Cérène fut coupée dans sa lancée. L'un des bambins se mit à tirer sur le pantalon de Kryss, lui demandant de raconter cette fameuse histoire ; celle du
« Cannibale constipé » ! A cela, Kryss vit une échappatoire à ses sentiments, à Cérène, à l'attirance… Un large sourire raviva sa tendre folie, il s'empara d'une bouteille posée au sol avant d'en boire une grande gorgée, vacilla sur place en manquant de tomber puis tendit les bras pour s'équilibrer. Et la gamine n'étant plus poursuivit par Rhoark sépara définitivement les deux jeunes gens. La Salamandre hocha les épaules en souriant, et lui rendit son sourire d'un dernier regard profond avant de s'élancer de son rôle de conteur invétéré.

Tous s'assirent en arc de cercle autour du feu, seul Kryss resta debout, assurant une démonstration de son talent. Il s'arma de sa lyre en bois à sept cordes qu'il avait gardé depuis leur danse et joua note par note. Il balaya du regard l'assemblée, puis fit quelques hochements de tête en direction des noirs balcons d'où quelques insomniaques s'étaient postés, conviant ainsi tout le monde à sa prochaine morbide prestation.


« Oh, non, il va encore nous refaire son introduction ! en grogna Kraker.
— Chuttttt ! s'empressèrent en chœur les enfants en se retournant vers le nain.
— Ça va, ça va ! Je me tais… », bougonna-t-il avant de prendre une bonne lampée de vin dans le gosier et de passer la bouteille à moitié pleine à Cérène assise à côté.

« Oyez ! Oyez ! Petites gens !
Biennnvennnuuee en l'incroyable, innommable et crassouilleux « Dépotoir des Macchabées » !

Le squelettique bouffon tourna sur lui-même à plusieurs reprises, dansant tel un déluré cherchant une raison de le faire, et continua par de grandes enjambées devant tous ses spectateurs. Vous y êtes ! Oui, Oui ! C'est bien ici ! Vous n'êtes pas bêtes ! Nous y sommes ! Nous ? Monstres du Goulot ! Pouilleux rigolos ! s'écriait le fier saltimbanque en tournant, dansant et sautant, récitant son très célèbre discours. En ce lieu, pire que dégueu, vivent les plus monstrueux où vices et délices deviennent complices ! Soyez témoins et prenons-nous la main ! » le fou du roi joua de sa lyre de plus en plus vite. Et ses jambes sautillaient, tremblotaient et ses os claquaient les uns contre les autres et, bientôt, Kryss leva le regard vers le ciel noir et brumeux, comme entré en pleine transe.

« Ohhhhhhh, meugla-t-il en sautillant vers la droite.
Hééééééé, meugla-t-il en sautillant vers la gauche.
Oh, hé ! Oh, hé ! Oh, hé ! » claquait-il des mains en tournant sur place devant le grand feu crépitant d'où son ombre élargie rythmait les lueurs chaudes et chancelantes.

Et les trois enfants, Rhoark et Mograth étaient les grands suiveurs, meuglant à la suite, claquant des mains tous enjoués. Et d'un coup, le bouffon s'arrêta net devant son public, le cœur battant, le souffle irrégulier ; la poitrine vibrante. Il inspira fort, exagérément fort et extirpa la phrase qui fit valser les plus excités.


« Eh bien ! Voilà un bon départ pour débuter une nouvelle histoire ! Non ?
— Ouiiiii ! hurlèrent en chœur les spectateurs, et quelques-uns sur les balcons.
— Mais quelle histoire allons-nous bien leur raconter ? haussa la voix le bouffon du roi d'une mine réfléchie pour se faire entendre de tous.
— Celle du « Cannibale constipé » ! l'enorgueillir les participants.
— Un peu crade, tout de même…, non.
Mais richement intéressante…, oui !
en leva les bras le déluré conteur en faisant teinter ses trois grelots de son chapeau.
— Yéééééé ! » s'en réjouirent les résidents du Goulot toujours éveillés.

Kryss s'interrompit quelques secondes, laissant planer d'un coup un court silence d'or, gonfla ses poumons, forma une mine sérieuse, plissa les yeux et commença d'un ton inquiet.

« Pas si loin d'ici, tout proche là-bas, au fin fond d'une lugubre forêt aux arbres morts, un effroyable individu hante les lieux, habitant une vieille cabane au plancher craquelant dévoré par l'humidité et les rampants au corps souple et visqueux. »

« Beuuuuuu », s'écrièrent de dégoût les trois galopins se tenant la main avant que le maigrichon saltimbanque ne continua.

« En cette forêt disharmonieuse s'y trouve un tout petit village vivant en retrait du monde. »

« En dehors de Marbrume ? l'interrogea l'un des morpions.
— Tout à fait ! Mais bien plus proche que vous ne le pensez ! » leur répondit Kryss d'un ton alarmant en regardant autour de lui, inquiétant les enfants qui se serrèrent les uns contre les autres tandis que Rhoark enroula une main autour du bras de Mograth avant d'y sucer son pouce.

Et le conteur continua à s'engouffrer dans son histoire.


« Dans ce village habitent de nombreux enfants, comme vous, et, comme vous, aiment sortir jouer en dehors des sentiers battus, dans les bois profonds où s'enracinent les horreurs hurlantes et les vents agonisant entre les branches décharnées des noires écorces humides. Malheureusement pour eux, l'abominable ermite, aux alentours de sa cabane, les kidnappent, filles ou garçons, sans aucune distinction ! »

« Pourquoi il kidnappe ? demanda la fillette d'un tremblement dans la voix.
— Pour les dévorer, bien sûr. Les enfants ont toujours eu très bon goût pour les monstres. »

Les yeux des trois garnements restèrent grands ouverts, le silence régnait en toute la « Place aux rats », aux balcons étaient suspendus dangereusement quelques enfants et rares adultes, attendant la suite. Ce que leur offrit le saltimbanque macabre d'un sombre regard aspirant les espoirs.

« Tout d'abord, il allume un grand feu, comme celui-ci, dit-il en pointant le brasier devant lui. Ensuite, il prépare ses longs couteaux dentelés, les lave de sa salive et très souvent s'en coupe maladroitement la langue, ce qui explique les nombreuses scarifications dans sa bouche. »

« Et après ? » demanda apeuré Mograth serrant contre lui Rhoark toujours à sucer son doigt de frayeur. Le colosse avait déjà entendu l'histoire à maintes reprises, mais sa mémoire lui faisant souvent défaut l'oubliée. Ce qui n'étonna guère le bouffon aux grelots déformé par les flammes grandissantes du feu.

« Il découpe maladroitement et en tranches les enfants assommés sur l'énorme table de cuisine, parfois même devant arracher quelques bouts car malhabile de ses gestes brutaux en manipulant la lame de moitié rouillée. »

« Beuuuuuu », reprirent les trois galopins de leur visage déformé par la nausée mais obnubilés par l'histoire.

« Les parents du petit village, ayant eu vent de cela et perdu de nombreux enfants, décidèrent d'interdire à tous l'accès à la terrifiante forêt. Seuls les chasseurs valeureux et adultes téméraires pouvaient y fouler le pied. Mais même eux avaient peur ! A cela, les enfants, tout curieux qu'ils sont, ne pouvaient s'empêcher de déroger aux règles des adultes et sillonner les pestilentielles verdures de la profonde forêt. Et toujours, beaucoup disparaissaient, puis de moins en moins, car l'innocent courage des petits morpions s'affaissaient aux contes monstrueux de leurs parents essayant de les dissuader. »

Kryss se tût, se redressant derrière les flammes, il regarda l'assemblée autour du feu, croisa le regard de tous, lentement et avec grande minutie pour tous les impliquer dans l'aventure horrifique. Puis leva le regard vers les ombres des balcons, les incluant tous avec lui, et continua.

« Bien évidemment, cela n'a pas plu au grassouillet cannibale niché dans sa cabane pourrie. Et croisant de moins en moins d'enfants en les alentours de sa bicoque de bois vint à manquer de nourriture. Son garde-manger ne lui garantissait que quelques morceaux de corps, des troncs, des viscères, quelques lambeaux de peau et boyaux noircis par la décomposition, et bientôt tout devient avarié, et le ventre du mangeur d'enfants se mit à saigner, à gargouiller, le faisant souffrir, et la pourriture ingurgitée lui donna des nausées, des gaz aux odeurs immondes empestant les alentours, et ses allées et venues à ses latrines, un simple trou de terre derrière sa cabane, le fatiguèrent, l'affaiblissant à ne plus pouvoir chasser. »

La fillette avait des grands yeux ronds, fixant Kryss et son chapeau imposant aux grelots gigotant, les deux garçons, eux, la bouche ouverte et les mains entrelacées accoudaient leur petite compagne. Rhoark était figé, mordillant son doigt tandis que Mograth commençait à sentir son bras manquer de sang tant le cabotin hurleur le serrait fort. Kraker, semblant plus à l'aise, car connaissant l'histoire, se prit une gorgée de vin, qu'il refila à Cérène une nouvelle fois. Un tour de passe-passe entre eux. Mais la jeune femme continuait-elle de boire vraiment ? Kryss la croisa du regard, elle était concentrée. Le bouffon se détacha de son emprise et se mit à rire, un ricanement forcé pour élever la tension. Puis continua d'une voix plus encline à l'horreur des événements à venir.

« Mais un jour, lors d'une triste pluie clapotant sur le toit du bois pourri de l'ignoble individu, une petite blondinette se présenta à lui. Elle venait du village, avait deux couettes et un sang-froid semblant à toute épreuve. »

« Elle est folle ! Pourquoi elle va là-bas ? s'en étouffa presque l'un des garnements de l'assemblée.
— Mais oui, pourquoi ? Pourquoi, elle fait ça ? Elle est idiote ! surenchérit le deuxième garçonnet.
— Parce que la stupidité rivalise parfois avec l'intelligence », répondit sombrement le conteur en continuant.

« Elle frappa trois coups à la porte et entra sans en demander la permission, car de toute façon l'abominable Cannibale constipé était en plein repas, dévorant un poumon en décomposition, giclant du sang noirâtre sur la table, bien longtemps coagulé mais partiellement liquéfié dans un bol d'eau de pluie où était plongé le flasque organe du petit Hecktor, disparu depuis quelques semaines. »

« Beuuuuuu », reprirent les enfants dégoûtés, ainsi que quelques autres sur les balcons cachés en la pénombre d'une Marbrume nocturne.

Mograth se mit à se sentir mal, quelques relents remontant à sa trachée et une haleine avertissant d'une potentielle régurgitation. Kryss le savait, le doux géant allait bientôt vomir, toujours au même moment en fait. Et le bouffon en sourit sournoisement, puis étala son rire carnassier pour effrayer les plus sensibles, d'ailleurs Rhoark se mit à mordiller son pouce, s'entaillant le doigt jusqu'au sang. Le conteur avait son public en esclave, il pouvait à présent en faire ce qu'il voulait, ce qui pour lui était le summum de l'exaltation. Et fier et fort, il continua.

« Le grassouillet Cannibale, tout laid qu'il était, avala de travers un lambeaux de chair, faillit le cracher si celui-ci ne s'était pas finalement engouffré correctement en sa gorge imposante. Étonné, il dit »

Le bouffon squelettique prit une voix grave et roque, imitant à la fois le monstrueux énergumène, puis d'une voix aiguë la fillette aux couettes. Mograth, quant à lui, vomit en sa bouche et ravala le tout.

« Comment oses-tu venir chez moi, pauvre fille ! lui cracha-t-il, assis sur son siège en grignotant son morceau d'Hecktor, face à la nouvelle arrivante.
— Je suis venue te voir, Ô grand méchant Dévoreur d'enfants ! dit-elle sans peur, toute droite qu'elle était d'une mine déterminée.
— Je mange ! Je mange ! Pourri ! Tout est pourri ! En décomposition ! Et toi, tu viens t'offrir à moi ! en rit le colosse avant que son ventre ne lui fasse une crampe d'estomac atroce.
— Tu gargouilles à manger mes frères et mes sœurs. C'est bien fait ! lança la fillette avec assurance en se tenant fièrement devant lui.
— Comment oses-tu, petite peste ! Viens donc jusqu'à moi que je te dévore. Que je t'arrache et m'abreuve de ta chair fraîche ! Viens !
— Je le veux bien, Ô ignoble Dévoreur d'enfants. Je suis là pour m'offrir à toi. »

L'assemblée en arc de cercle autour du feu fut estomaquée, même Kraker, aimant cette histoire, se voulait d'y croire, un filament de liquide rougeoyant s'écoulant à sa commissure.

« Non ! Faut pas. Pourquoi ? s'en insurgea la bambine aux côtés des garçonnets.
— Méchant, Cannibale ! » sortit Mograth en pleine stupéfaction.

Kryss laissa planer le suspense, jouant de sa lyre pour apaiser les tensions, marchant autour du feu en marmonnant des choses incompréhensibles, comme possédé. Il s'agissait bien évidemment d'une mise en scène tragique pour assurer la pression du groupe. Il regardait parfois à droite, parfois à gauche, toujours vers des coins d'ombre comme s'il s'attendait à ce qu'une créature surgisse de la noirceur, alors les plus naïfs suivaient son regard avec inquiétude, ici et là. Et stoppant sa marche funèbre, se plaça de nouveau derrière les flammes et continua.

« La courageuse fillette, tenant tête au Dévoreur d'enfants, se sentait de plus en plus faible, la fatigue peut-être ou la culpabilité d'être venue jusqu'ici, se disait le Cannibale aux maux de ventre douloureux mais ne s'arrêtant de manger un bout d'Hecktor.
— Alors, sale peste ! Pourquoi venir mourir dans mon ventre ?
— Tu n'es même plus capable de me pourchasser, Ô grand idiot ! s'en interposa-t-elle. »

« Yééééééééé ! » cria l'assemblée des trois enfants, Mograth et Rhoark avant que Kryss ne brise tout espoir.

« La fillette semblait maintenant vacillante, perdant l'équilibre, ses sens bouleversés.
— Tu oses venir et me traiter dans ton état pitoyable ! Espèce de petite inconsciente, je vais me lever et te tuer !
— C'est ça, gros porc, viens… , prononça faiblement la petite fille avant de tomber dans les vapes. »

« Nonnnnnn ! s'écria les bambins, Mograth et quelques enfants sur les balcons.
— Et si…, désolé », haussa les épaules le bouffon aux grelots avant de conclure l'histoire.

« Ainsi, le Cannibale constipé ramassa la fillette aux couettes courageuse, la découpa en morceaux, mangeant en premier son cœur et ensuite ses organes tout frais. Cela lui fut un véritable délice qu'il ne connut plus depuis fort longtemps, s'en délectant à s'en lécher les doigts, le ventre plein. »

Kryss s'arrêta là. Il s'assit au bord du feu, se cachant totalement entre les flammes et laissa libre cours à l'imagination de son public quelques instants.

« Comment pensez-vous que cela se termine ? lâcha-t-il comme une provocation.
— Cannibale ne plus être constipé, reprendre forces et partir chasser autres enfants…, supposa Mograth, le bras gauche tout bleu à la mauvaise circulation du sang que coupait Rhoark de son bras en sucant le sang s'échapper de son pouce mordillé.
— Peut-être le Cannipal consteupé s'en va, et voilà…, proposa le garçonnet ayant lancé l'idée de l'histoire.
— Ou le méchant Dévoreur d'enfants, il a qu'à se suicider », répliqua la fillette entre les deux garnements.

Kryss écoutait les diverses versions, s'amusant à ne rien dire, ressentant les perturbations émotionnelles de son public. Il croisa une nouvelle fois le regard de Cérène, elle laissait libre les enfants de répondre, de s'imaginer mille et une alternatives à l'histoire. Il en sourit, elle le berçait. Entre les flammes, elle avait un certain charme. Se détachant de son emprise, il se releva finalement.

« Le Cannibale effroyable, après avoir dévoré la fillette aux couettes, se mit à avoir atrocement mal au ventre, plus que d'habitude. La douleur était si forte qu'il en hurla pendant de longues, très longues, minutes, peut-être vingt. Et puis, il mourut. »

L'assemblée, encore une fois, fut sans voix. Un grand sourire révélateur s'immobilisa sur le visage diaphane de Kryss, jouant de sa lyre par intermittence avant de dévoiler le fin mot de l'histoire.

« La fillette aux couettes, ayant perdu tous ses amis, décida d'en finir avec le monstre de la forêt aux arbres morts et sauver les enfants plus jeunes. Alors, quelques minutes avant son arrivée en la cabane moisie, ingurgita des poignées de champignons vénéneux et mortels, s'empiffrant jusqu'à ne plus pouvoir, pour finalement s'offrir à l'ignoble Dévoreur d'enfants et ainsi l'empoissonner jusqu'à la mort. »

Kryss fit une révérence, marquant la fin de l'histoire tandis que réfléchissait, désappointée, l'assemblée sur la conclusion de tout cela.

« C'est toujours aussi répugnant…, en conclut Kraker en se reprenant une gorgée de vin pour en finir la bouteille.
— C'est une bonne ou une mauvaise fin ? » se demanda la fillette déconcertée.

Le bouffon aux grelots lui répondit par un certain sourire sans autre démesure et le public l'applaudit, ainsi que les gens sur les balcons, tous satisfaits bien que circonspects à cette fin troublante. Le secret de la réussite résidait en l'incompréhension d'une fin déroutante, ce qui faisait le charme de ce conteur invétéré. Il inspira fort, souffla, comme soulagé, et joua de sa lyre tandis que Kraker motiva les troupes à reprendre élan à la danse et que tous se levèrent. Le nain sortit d'on ne sait où quelques autres bouteilles et les fit tourner, alcoolique qu'il était ! Rhoark libéra le bras de Mograth qui pendouillait sans vie, trainant sur le sol pendant quelques minutes avant de reprendre vigueur et gesticuler autour du feu avec les enfants, bien moins effrayés par le cabotin suceur de pouce. Et certains morpions, sur les balcons, descendirent, escaladant dangereusement les vieilles bâtisses du pire quartier de « Marbrume la Crade » pour y rejoindre les trois bambins. Ainsi, une dizaine d'enfants se mélangèrent aux Macchabées.

Et entre tous ces gens festoyant, Kryss n'avait bougé de sa place, le regard gris clair ayant prit pour cible le vert émeraude de Cérène. Il marcha quelques pas, on lui offrit une bouteille, il en prit une gorgée puis la remit à une main quelconque et continua son chemin à travers la folie festive jusqu'à elle. Elle était ravissante, mi-trop belle, mi-trop séduisante, mais parfaitement elle. Il ne souriait pas, juste un peu, légèrement, l'alcool assurément, mais continua sa route, une trajectoire toute tracée jusqu'à elle. Elle. Seulement elle.

Arrivé à sa hauteur, la pointa de son doigt et caressa le bout de son joli nez parfaitement symétrique, puis y posa ses lèvres avant de les retirer.


« Toi, Vilaine Cérène, tu es ma Cannibale », lui dit-il d'une voix contemplative, révélant par la même occasion la peur qu'il avait d'être à ses côtés.

Une phrase alambiquée peut-être, ou bien révélatrice, métaphorique, certes, mais dévoilant une attirance envers elle bien moins physique et bien plus passionnelle enflammant tout son être. Car de tout cela, il se savait être un poison pour elle, et vouloir dévorer son cœur la tuerait à petit feu. Alors s'écarta d'un léger sourire en coin, désirant tout d'elle, absolument tout, mais s'y refusant, meurtri en lui d'être le champignon vénéneux à la vie de Cérène. Malheureusement, le brasier avait déjà pris feu et brûlait à présent la forêt d'incertitudes et de doutes qu'ils érigèrent chacun de leur côté depuis leur séparation, il y a un peu plus d'un an maintenant.

De son retour, elle enclencha ainsi un redoutable combat entre eux ; la vérité contre le désir.


Incorrigible Salamandre…, lui dit-il sans un mot, juste d'un regard en le blanc de ses yeux.
Revenir en haut Aller en bas
Cérène BoiserelSaltimbanque
Cérène Boiserel



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyVen 12 Juil 2019 - 12:12
Elle l’observe conter l’histoire sans décliner son regard de lui, au travers des flammes, ses yeux ressemblent à un crépuscule brumeux. Il a un charme irrésistiblement attractif, un charisme qui irradie de lui comme une force incandescente et fauche les autres pour les asservir et les faire siens. Elle ressent une pointe d’agacement, presque d’une rage féroce comme un félin se trouvant piégé, mais force est de le constater : il l’hypnotise avec cette puissance qui l’attire et la broie comme un trou noir. Désemparée et désarmée, elle glisse une main nerveuse dans sa chevelure sombre puis saisit une bouteille tendue par Kraker pour s’échapper du joug dont elle se sait tragiquement captive. Alors qu’elle en extrait quelques gorgées salvatrices, son regard ricoche dans celui de Kryss au milieu du feu. Deux billes nuageuses tachetées de braise qui la dévisagent face à une jungle d’émeraude incendiée. Ils s’observent et se contemplent, comme étrangement fascinés, quelques secondes, le temps d’un silence, puis se soustraient l’un de l’autre, comme effrayés de faire face au reflet de leur propre attirance mutuelle.

Embourbées dans l’alcool, ses pensées ne constatent que cette immense plaine boisée, parsemée d’une brumeuse ligne d’horizon qui semble suspendu à la frontière de leurs esprits. Gonflant les arbres, tordant leurs branches dans un craquement funeste, dévastant leurs écorces comme dévorées par une espèce lèpre végétale, d'infernal coulées d'ambre liquides s’en échappe. L’étendue devient rougeoyante, l’herbe se teinte d’une épaisse couche flamboyante, des flammes en jaillissent et un énorme brasier en jaillit comme une gigantesque pustule, déferlant des vagues au couleur d’ambre liquide.
Tout brûle. Comme eux deux d’un désir qu’ils essaient vainement d’étouffer. Comme les doutes qui ne sont plus qu’un mirage de brouillard. Comme tout.

Et comme happée par tout cela, Cérène, d’un haut le cœur brutalement revient à elle. L’histoire, la petite fille sacrifiée, Cérène laisse déraper un sourire. D’une main agile et nonchalante, elle amène de nouveau une bouteille à ses lèvres tout en observant Kryss s’amuser les séducteurs provocants avec son public mitigé. Elle en sourit discrètement, dans son coin, les enfants réagissent et elle les observe silencieuse, étrangement attentive.

Je suis beaucoup trop ivre…, fini-t-elle par confier à voix basse et Kraker se tourne vers elle, d’un étrange sourire satisfait. Tu es terrible, tu l’as fait exprès… ! S’esclaffe-t-elle à voix basse en riant. Tu m’as bien fait boire, mais tu vas voir à quel point je suis endurante. Le cannibale, ce n’est rien à côté de moi.

Kraker laisse échapper un léger rire, comme amusé. Ils restent dans un coin du feu, debout, échangeant des blagues imbibées d’ivresse et des éclats de rire qui semblent les secouer tous les deux. Cérène voit en cet échange le salut d’oublier Kryss, les doutes qu’il fait germer en elle comme une maudite gangrène poisseuse, l’attirance qui lui tiraille le bas du ventre. Désireuse de lui, de le posséder tout entier, et pourtant s’y refusant, ne voulant se noyer dans des sentiments d’une attirance beaucoup trop puissante et violente pour eux d’eux. Ils pourraient s’en jeter contre les murs tant ce qui les anime dépassent la Trinité, la fange, tout. Elle l’observe venir à elle, détournant son attention d’un Kraker animé par les rires, il n’a rien de spécial, Kryss, il est trop maigre, décharné de chair, ses traits n’ont rien d’élogieux. Et pourtant, pourtant… qu’est-ce qu’elle le trouve beau à cet instant.
Déposant ses lèvres sur son nez et lui faisant un aveu étrangement révélateur. Cérène lance sa surprise d’un regard vers lui. Kraker, sentant l’étrange tension croître entre eux, comme un incendie à ciel ouvert désormais inarrêtable, décide de battre en retraite armé d’une bouteille de vin. Cérène l’observe silencieusement, sans rien dire, se voulant pourtant mais ses mots ne trouvent pas sa voix.

Démoniaque fripon…, semble-t-elle lui répondre d’un regard acéré, aussi hypnotique que celui d’un serpent s’apprêtant à chasser. Se saisissant d’une bouteille, portant le goulot à ses lèvres, elle en tire plusieurs lampées pour s’offrir une contenance. Ses yeux se soulèvent et se plantent dans les iris grises de Kryss, le regardant par en-dessous. Repoussant la bouteille à la fin de sa phrase, elle s’avance d’un pas vers lui, en ronronnant :

Qui serais-tu, Kryss ? Murmure-t-elle tandis qu’elle porte à nouveau le goulot à ses lèvres pour prendre à nouveau une gorgée en le dardant d’un regard provocant. Le champignon ou l’intrépide petite fille qui s’offre à moi ? Elle se tait, avant de reprendre. C’est ce dont tu as envie, Kryss ? Que je te dévore ? Son ton est soudainement plus sérieux, et terriblement chaud, aussi langoureux qu’une caresse. Le monde semble s’évanouir. Il n’y a plus que lui. Lui. Rien que lui. Déraisonnablement agaçant, aux traits insolents, au sourire mystérieusement évasif, à l’allure squelettique mais sans doute définitivement lui.

Remontant lentement son majeur et son index jusqu’à son col, traçant un chemin de flamme sur son épaule pour s’en saisir, elle s’approche de lui, défiant les lois du monde et de la proximité, assiégeant de nouveau son périmètre de sa présence. Tandis qu’elle fait mine de remettre en place son haut, elle profite pour murmurer, comme pour se justifier, déviant ses yeux sur son épaule, pour qu’il ne subisse pas l’éclat brûlant et fiévreux miroitant de cette forêt verte prenant désormais feu :

Je suis une sirène après tout, j’ensorcèle les gens, ils se laissent emporter comme des marins éperdus par ma danse et mes chants. Tous se laisse dévorer, ils l’acceptent, se laisse charmer. Tous, sans aucune distinction. Tous, sauf toi. Ses yeux s’appuient sur lui comme un point de pression, alors qu’elle reprend calmement en inspirant un grand coup. Sauf toi. Confie-t-elle, presque plaintive. Peut-être que je suis une cannibale, mais je ne fais pas dans le nombre comme dans ton histoire. Cette fois-ci ses yeux remontent et s’agrippent aux siens dans une étreinte langoureuse, presque sensuelle. De gris brumeux et d’un vert désormais embrasé. Elle ne le lâche aucunement du regard même si peut-être il essaie de réfugier les siens dans des angles morts. Il n’y en a qu’un seul ce soir qui éveille mon appétit. Une pause, tandis qu’elle abaisse ses mots une dernière fois. Juste un seul. Ce n’est plus qu’un murmure qui sonne comme une fatalité. Reportant la bouteille de manière indifférente à ses lèvres comme si elle échange des banalités, elle fait preuve d’une paresse presque féline, presque provocante, retrouvant un brin d’assurance et de superbe. Elle qui voulait garder ses aveux, laisser planer le doute sur le nombre de conquête et entretenir son image de danseuse sulfureuse avide de chair, voilà qu’elle se livre en sous-entendant qu’elle n’en avait connu aucun et qu'aucun n'avait partagé sa chair, foutu alcool mais tant pis, elle aura tout le temps de regretter quand l’aube aura poussé demain. Elle lui offre un sourire malicieux, elle sait qu’elle le touche, que son cœur tambourine avec déraison, elle en ressent les échos vibratoires dans le sien. Ne fais pas cette tête, voyons, Kryss… Elle murmure, plus proche de lui. Ça te fait une mine atroce. Un pas plus proche. Ses yeux embrassent les siens. Elle est dangereusement bien trop près de lui. Tu as bien plus de répartie, habituellement. Sa voix n’est plus qu’un souffle. Elle laisse ses yeux dériver au plus profond de ses iris brumeuses, nébuleuses de doutes, elle y décerne des nuages menaçants de désir ou un éclat de lucidité pour la fuir une bonne fois pour toute, un combat entre une raison fiévreuse et un désir étouffé. Elle y coupe court en tranchant. A mon tour, de te montrer comme je pourrais te dévorer, cette fois-ci.

Ses deux mains saisissent un grelot de chaque côté de son chapeau. D’une légère pression habile, elle le fait basculer en avant pour lui barrer la vue. Elle ne lui laisse aucune échappatoire, aucune réédition, aucune retraite possible en se réfugiant auprès des autres, que ce soit dans les mots ou dans les actes. Il ne sent plus qu’elle, il ne doit sentir plus qu’elle. Comme un serpent étouffant avidement auprès d’une proie longuement convoitée. Elle s’approche à nouveau.

Kryss. Murmure-t-elle calmement pour capter toute son attention, ses yeux se font presque rieurs et malicieux.Est-ce que tu aurais peur ? Son ton est moqueur pour titiller son égo gentiment et faire en sorte qu’il réponde à ses provocations. Il lui a toujours résisté et a réveillé un désir bien plus profond chez Cérène, qu’elle se refusera sûrement d’admettre le lendemain. D’un souple élan du buste, il vient se heurter à nouveau contre celui du squelettique saltimbanque comme la courbe d’une vague farouche s’abattant sur les écueils. Un sourire à demi-coquin s’esquisse sur le coin de ses lèvres, dessinant la courbe charmante de fossette insolentes. Ou peut-être est-ce autre chose ? Et ses lèvres, dans un élan langoureux, viennent s’abattre sur le coin de la bouche de Kryss. A moitié, sans déraper. Une naissance de baiser prématuré. Elle murmure doucement contre sa peau. Prends ça comme un cadeau pour nos retrouvailles.

Elle en sourit, largement satisfaite, et s’écarte à reculons de lui. L’urgent instinct lui hurle qu’il faut qu’elle s’en éloigne, que la limite est bientôt franchie. A une distance un peu plus raisonnable, Cérène se reprend :

J’ai une question, Kryss. Elle fait ça pour détourner son attention sur ce qu’il vient de se passer, pour qu’il n’ait pas le temps d’y penser, que ses pensées ne se concentrent plus que sur la question qui lui brûle les lèvres. Pourquoi m’as-tu sauvé, il y a deux ans ?
Revenir en haut Aller en bas
Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyMar 16 Juil 2019 - 2:26
Les Macchabées survoltés dansaient et chantaient, et hurlaient et criaient, invitant à se joindre à eux la dizaine de marmots surexcités sautillant et bondissant, frappant des mains en s'amusant, et, tous, le souffle coupé mais continuant leur joyeuse course effrénée autour du grand feu flamboyant aux cendres virevoltantes éclairant telles des lucioles le centre extatique du célèbre « Dépotoir » sous une nuit d'un ciel malade dénué d'étoiles. Et parfois oui, et parfois non, quand souvent un nuage moins épais cédait aux caprices de la lune et de ses enfants étincelants.

Qui serais-je..., répéta-t-il les mots de la séduisante bohème.
Qui serais-je ? se demanda-t-il, bien qu'ayant toujours eu en réponse le venin à sa source.
Un danger, avait-il toujours cru, et le croyait-il encore, persuadé de ne pas avoir tort.
Un champignon qui t'aime fort…, lui répondit-il sans le lui dire, contemplant les arbres et les fourrées brûler en le reflet verdoyant des deux perles immensément vaste de la jeune danseuse le fixant.

Non, elle avait eu tort, mais il aurait, sans aucun doute, désiré tout le contraire. Le dévorer était assurément la dernière chose qu'il aurait voulu qu'elle fasse. Aussi bien pour elle que pour sa santé mentale. Elle ne méritait le droit de devenir comme eux, comme lui. Car eux, lui, et cet endroit, étaient néfastes pour une si belle personne. Une personne aimée plus qu'elle ne le pensait, et ça ne pouvait pas être plus fort car jamais, en était-il sûr au fond de lui, un autre homme ne ressentirait d'aussi forts sentiments pour elle. Il abandonna son éternelle arrogance sur son faciès appauvri, la mine éperdue dans son regard, lâchant prise.

Elle laissa écouler l'essence sanguine dans sa gorge, tenant avec une légère élégance et une tendre fermentée la bouteille en sa main. Ses lèvres pulpeuses imbibées d'alcool écarlate furent ornées d'arabesques chaudes qui tracèrent des courbes parfaites saisissant l'attention d'un Kryss happé par tout cela. Il la voyait créature nocturne aux canines longues et acérées, et ne se serait nullement défendu si elle aurait tenté de le mordre au cou pour une éternité de regards croisés, bien au contraire. Autour de lui n'existait plus rien, un fond sonore lointain et des pas dansants étouffés par la voix de la ravissante et ténébreuse vampire face à lui. L'espace tout autour était noyé en un flou gras, une brume ambiante. Le vide coloré était trouble d'ondes désordonnées. Sauf elle, magnifiquement claire, limpide comme les eaux d'une rivière figée.


Une sirène dotée d'une queue de poisson…, se dit-il non-convaincu, car lui la voyait en créature dotée de deux impressionnantes ailes, l'emportant lui, et lui seul au-dessus de leur terrible forêt incendiée. La vision du garçon et de la fille différait quelque peu des diverses chimères mythologiques évoquées, mais leur compréhension en restait accordée. La seule chose ne changeant pas était qu'elle était belle, ici, en elle, et là, de son corps élancé et aérien, et lui était beau dans ses yeux et l'en remercia de lui offrir cela d'un maladroit sourire timoré, car se sentant de plus en plus touché, s'enfonçant dans les abysses de son être en s'abreuvant des paroles honnêtes et murmures sincères de Cérène lui avouant des choses qu'elle regretterait certainement à l'aube prochaine. Et bien sûr qu'il l'aimait, et d'entre toutes les peines, elle en était la plus douce et violente car vaine. Alors, ne dit rien, l'aimant jusqu'au futur matin.

Un sourire empli de malice, elle le rendit innocent, le cœur en vrille, et s'approcha de lui en taquinant son état alarmant. Il voulait fuir, mais également tout le contraire, vivre cet instant important, essayant paradoxalement d'échapper au regard aguicheur de la Sirène enflammée. Elle voulait le dévorer, et lui…, que devait-il faire… ?

Il le savait…, mortifié en son être. Mais il le ferait…, déterminé à la sauver une nouvelle fois. Et mille autres après s'il le fallait. Et inévitablement n'en sortiront pas indemnes, tâchés de plaies inhumaines.

Elle était en train de carboniser l'étendue boisée qu'ils avaient érigée et, dans ses pensées, fut voilé de la clarté quand, d'une vive pression, son chapeau vert le rendit aveugle. Oui, il avait peur, et pour la première fois depuis trop longtemps déjà était déstabilisé face à elle, bien plus qu'il ne l'avait jamais été. Son corps serpentant contre le sien bouleversait les sens communs, et la chaleur corporelle des deux êtres fusionnèrent au-dessus de leur forêt, embrassant de plus belle la nature onirique constituant la résistance mentale s'amenuisant à vive allure en chacun d'eux.


« Autre chose… », répéta-t-il d'un murmure les mots de la sauvage pyromane.

Un baiser volé à l'une de ses commissures et le jeune homme, faible à présent, aurait tout donné pour s'éprendre copieusement de ses lèvres charnues aux lueurs sanguines. Ensuite, s'éloignant, lui posa intelligemment la question qu'il ne fallait pas, celle de toutes les peurs pour le bouffon squelettique, le convainquant finalement d'aller jusqu'au bout de ce qu'il devait faire. Et les yeux toujours aveugle en son chapeau à trois grelots, se souvint du triste départ. Le jour où elle fut forcée de partir hors du Goulot.


Après de pénibles au revoirs, le bouffon maigrichon et le nain ronchon observaient avec difficulté la jolie jeune fille les implorant de la garder, entraînée malgré elle par une vieille prostituée commandant deux hommes de confiance s'étant endettés auprès de Kryss qui les avait cachés de la Milice. Elle pleurait, et lui se retenait.

« Tu as bien fait, Chef. Je voulais que tu le saches, lui tapota le dos Kraker en l'épaulant dans cette triste décision.
— J'espère…, répondit le maigrelet indécis, torturé en son esprit.
— Je sais que tu tiens à elle…, et bien plus que tu ne le montres, continua le nain prés du vieux puits de la place. Mais tu as bien fait, tu l'as protégée de toi, de nous, et de cet endroit infâme.
— Loin des Macchabées, elle ne pourra qu'être mieux, oui, se le convainquit le martelé maigrelet alors que Cérène disparut à l'intersection d'une ruelle. J'ai peaufiné une nouvelle histoire…, se reprit Kryss en soufflant d'un tremblement audible.
— Ah, oui ? Laquelle ?
— « Le Cannibale constipé »
— Charmant…, et ça parle de quoi ? » lui demanda le nain sans grande conviction.

Le bouffon du roi ne dit mot, répondant en lui-même.

C'est notre histoire..., à elle, à moi, à cette anomalie que nous avons créée ensemble.
Tu vas me manquer, Sacriponne…, en conclut-il avant que Kraker ne reprenne.

« Tu as bien fait de ne rien dire à Rhoark, il aurait arraché des pieds et des têtes pour la garder avec nous. D'ailleurs, ne t'occupe pas de lui, je lui annoncerai moi-même à son retour. Va te reposer, Chef.
— Oui…, et moi, j'irai parler à Mograth. Il s'est enfermé dans le Cellier pourri et ne cesse de gémir. J'irai le consoler, s'il me pardonne. »

Sur ces derniers mots, le nain s'en alla vers les latrines et Kryss s'en retourna en direction de leur roulotte ; « La Poubelle », marcha lentement, évita l'amoncellement de bois brûlé du feu de camp de la veille à présent éteint. Et sur le chemin remarqua un rampant essayant de s'infiltrer entre deux pavés brisés. Le garçon s'agenouilla, prit le ver de terre, se remit debout et l'ingurgita, le mâchant avant de l'engloutir d'un raclement de gorge, se retourna finalement vers le fin fond de la ruelle où disparut celle qu'il aimait et forma un très léger sourire au coin de ses lèvres, gardant espoir. Peut-être qu'un jour, oui, peut-être, se retrouveront-ils de nouveau ensemble. Kryss & Cérène, en esquissa-t-il un triste sourire mélancolique avant de retourner seul vers la roulotte au bois craquelant.

S'étant remémoré ce déprimant moment, releva son chapeau à grelots et agrippa de nouveau le regard de la créature assassine voulant le dévorer. Le bouffon avait perdu de son assurance, ayant lâché ses défenses, ses tourelles d'ironies abandonnées et laissa à plat le pont-levis vers le fond de ses pensées.

« Cérène… », lui dit-il d'un ton faible.

Il fit deux pas, trois, l'accola de son corps amoindri, caressa sa joue creuse contre celle de la Salamandre et lui susurra à l'oreille des mots d'une certaine dureté, les yeux humides de devoir en arriver là, encore une fois.


« Regarde-toi, Sacriponne, tu es en plein milieu d'un champs de champignons vénéneux, et je suis le pire d'entre eux. Il n'y a rien pour toi ici. Et pour la retenir, posa sa main droite à la joue gauche de la Salamandre pour qu'elle ne s'écarte pas de lui, et continua, se forçant de ne pas s'écrouler par ses propres paroles. A l'aube venant, va-t'en, sans un mot à personne, quand les esprits seront encore somnolents. Tel un serpent, va-t'en d'ici discrètement, sauve-toi du Goulot et de ses caniveaux,… de nous tous.

Et ne reviens jamais
, en termina-t-il sèchement, essayant de paraître le plus sévère possible de son parler maladroitement tremblotant avant de la caresser de son pouce à son autre joue, frôlant sa peau douce et brune, une larme dévalant entre les deux pommettes accolées. Mais profite, Sirène flamboyante, profite de nous cette nuit, jusqu'à l'endormissement..., et la folie, s'efforça-t-il de sourire. Et sache que de tous les moments passés ensemble, nos disputes en sont de loin les meilleurs », lui avoua-t-il taquin en se ressassant certaines plutôt violentes qui lui permirent de la connaître davantage mais aussi de se connaître lui-même, et ainsi d'ouvrir des brèches qu'il ne connaissait pas jusqu'à son cœur défaillant.

Le Chef des Macchabées se retira d'elle, interrompant l'accolade charnelle et sensuelle, et la regarda de ses perles mouillées, et amoureux posa discrètement ses lèvres contre les siennes aussi tendrement qu'une feuille se posant sur le sol un jour d'automne, une demi-seconde à peine, se recula ensuite, reprenant un peu de vigueur pour ne pas perdre réellement pied à ses émotions. Il lui tendit sa main pour qu'elle la prenne et qu'ils rejoignent les autres fêtards n'ayant rien remarqué. Mais voilà qu'une petite fille, nouvelle arrivante des balcons, les prit ensemble dans les siennes et les emmena avec elle, les entraînant en la farandole.

Leur regard se croisa entre deux flammes, le gris et le vert, et le fripon bouffon, le cœur en lambeaux mais l'apparence d'un déluré comique, lui sourit d'une moue accablée.


Pardonne-moi.
Revenir en haut Aller en bas
Cérène BoiserelSaltimbanque
Cérène Boiserel



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous EmptyMar 16 Juil 2019 - 12:41
Il y a quelque chose, comme une tension dans l'air. Quelque chose qui n’est plus normal, et le brasier qui étreignait cette plaine s’obscurcit d’un ciel orange et de nuages noirs chargés d’orage. Son regard se durcit quand Kryss dépose sa joue creuse contre la sienne pour lui murmurer des paroles aussi affûtées que des lames l’entaillant à vif, marquant son cœur d’un stigmate douloureux. Sa mâchoire tressaute et elle tente de s’en éloigner, ne supportant pas cette proximité et la dureté de ses mots, fronçant douloureusement les sourcils pour réprimer ses larmes naissantes avec force. Malgré le contact de sa main de sa joue, rien ne la calme et rien ne l’apaise. Elle s’est livrée à cœur ouvert, lui avouant ce qu’elle ressentait sans pudeur. Mais à défaut de céder à la tristesse, une colère indicible comme un nid de serpent grouille dans son ventre. Sa main tremble d'une énergie mauvaise, menaçant de se lever pour achever sa joue d'une marque rouge quand il dépose timidement ses lèvres sur les siennes. Révoltée au possible, elle dresse un regard chargé de violence à son égard.
Révoltée de voir qu’il se prive en la chassant à nouveau alors qu’elle n’a désormais plus aucun doute sur ce qu’il ressent. Elle ne s’imagine pas à quel point Kryss fait ça pour elle ou peut-être ne veut-elle pas le voir pour s’offrir le luxe de n’offrir aucun frein à sa colère grondante.
Sûrement un peu de ça, oui.

Ne t’approche pas de moi pour essayer de m’amadouer avec tes belles phrases, pour qui tu me prends ! Tonne-t-elle en s’écartant brusquement de lui, en le regardant cette fois-ci avec une colère sourde, elle aperçoit sa tristesse dans ses yeux et cela lui serre le cœur mais sa fureur prend désormais bien trop de place, l’alcool n’aidant pas. Ne me dis pas quoi faire et ne juge pas ce qui est bon pour moi, j’ai survécu à la Fange et je te survivrai à toi aussi. Sa phrase s’achève sur un ton des plus acides en le désignant d’un revers de main dédaigneux. Tout est dit pour le blesser volontairement. T’as compris j’espère ou il faut que je t’en colle une pour que ça te rentre dans le crâne ? Siffle-t-elle agressive et à bout de souffle, contenant désespérément l’énergie furieuse se diluant dans ses veines tel un coulis de lave.

Lorsqu’il lui tend la main fébrilement, ses yeux se posent dessus avec un mépris tranchant et elle bascule avec nerf la tête à l’opposé en l’ignorant superbement malgré le trou béant qui se creuse dans sa poitrine pour lui dévorer le cœur. Une petite fille arrive et leur saisit la main mais Cérène n’a plus le cœur à la fête. Il faut se l’avouer : elle vient de se prendre une superbe veste et son égo en éructe une souffrance révoltée. Mais est-ce seulement une question d’égo ? Non, cela engage bien plus de choses inavouables qu’elle nie au plus profond de son âme. Pour elle, il est bien plus facile d’être en colère que d’être triste, cela permet de nier l’évidence et d’étrangler ses sentiments dans de la rancœur. Contrariée puisqu’elle pensait que cela était réciproque entre eux, ou peut-être s’était-elle convaincue de l’impossible ? Ses sentiments sont là, et si Kryss tente de l’éloigner, elle s’écartera de lui s’il le désire mais pas des autres. Elle lui sera désobéissante, jusqu’à en défier les Trois s’il le faut, elle se privera de lui si c’est son désir, il le paiera de ses tourments intérieurs.
Elle s’éloignera s’il la chasse de son esprit.
Mais pas des autres. Pas des autres.
Pas cette fois-ci.

Alors que Kryss la regarde pour s’excuser, elle l’achève à nouveau par son indifférence en détournant la tête. Blessée et en colère, meurtrie par son attirance puisque l’histoire se répète inlassablement, sa mâchoire tressaute dans un élan d’agacement. L’a-t-il chassé par sa psyché tourmentée ? Elle secoue la tête, elle ne peut pas y réfléchir, elle ne veut plus y réfléchir.

Elle veut partir loin de ce brasier qui l’a brûlé d’une morsure bien plus tenace et indélébile qu'elle n'aurait bien pu imaginer.
Pourquoi ? Pourquoi doit-elle se soumettre une nouvelle fois ?

Son regard balaie les flammes et elle reste étanche à l’euphorie ambiante. Son regard croise celui d’un Kraker navré, l’échange en est hautement plus douloureux, à tel point qu’elle doit s’en aller directement, ne pouvant faire semblant devant les autres sous peine d’exploser. Même Kraker s’en doute, même Kraker sait. Sa contrariété monte d’un cran et lui soulève le ventre. Néanmoins, alors qu’elle s’éloigne pour retourner chez elle, une poigne de fer attrape le pan de sa robe pour la couper net dans son élan.

Rhoark ! S’exclame-t-elle avec surprise tandis que l’effroyable saltimbanque la sonde en plissant les yeux, visiblement inquiet. Qu’est-ce que tu as ? S’efforce-t-elle de sourire pour étouffer son embarras.
Il penche la tête sur le côté comme un chien curieux, tirant par plusieurs à-coups saccadés pour la faire revenir auprès d’eux. Cérène enveloppe doucement ses mains des siennes pour le faire lâcher prise et s’accroupit face à lui.

Il faut que j’y aille mon beau. Elle dépose ses lèvres sur son front et ébouriffe avec tendresse ses cheveux. Néanmoins, je ne t’abandonne pas cette fois-ci, nous nous retrouverons. Elle caresse sa joue. Tu prends soin des autres, tu me promets, d’accord ?

Il renifle bruyamment en retenant un sanglot étranglé, comprenant la vérité derrière ses mots. Il essaie de nouveau de lui saisir la robe mais elle coupe son élan en retenant ses mains prisonnières avec une douce fermeté.

On s’est bien amusés, pas vrai ? Elle ramène ses mains contre le cœur de Rhoark et ce dernier l’observe faire, les yeux désormais embués. Secouant vivement la tête pour la retenir vainement. Cérène ferme les yeux en inspirant pour se donner la force de l’ignorer. Tu me fais un de tes plus beaux sourires ?

Silencieux et interdit, un sourire figé naît malgré la tristesse dans ses yeux. Cela ressemble plus à un rictus effroyable. Cérène rit légèrement mais les échos sont tristes.

Tu fais attention à toi. Si un jour tu me cherches, n’oublie pas que je ne suis jamais très loin, d’accord ? Je serais toujours là, quelque part. Elle désigne l’assemblée du menton. Ils t’attendent, ne les fait pas s’impatienter ! Elle plante un baiser volage sur le haut de son crâne et se dresse, chancelante.

Rhoark pousse un léger couinement plaintif lorsqu’elle lui tourne le dos dans une énième tentative de la convaincre de revenir. Se mordant la lèvre, Cérène s’éloigne d’un pas, puis de deux, dissimulée dans un angle de rue, elle ne fait plus taire les larmes chaudes courant sur ses joues ternissant sa beauté. Ses lèvres tremblotantes entrouvertes, puis dans ce qui semble être une éternité, ses pleurs chutent… Dans la lumière, les ténèbres, dans un gouffre sans fond, dans l’espace et le temps.
Jusqu’à ce que le soleil timide étreigne de ses premiers rayons les rues puantes de Marbrume.
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé



Sous le brasier des fous Empty
MessageSujet: Re: Sous le brasier des fous   Sous le brasier des fous Empty
Revenir en haut Aller en bas
 
Sous le brasier des fous
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Marbrume - Forum RPG Médiéval Apocalyptique :: ⚜ Cité de Marbrume - Quartiers populaires ⚜ :: Bas-Quartiers :: Le Goulot-
Sauter vers: