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 La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]

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OmbelineProstituée
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MessageSujet: La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]   La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] EmptyJeu 4 Avr 2019 - 19:18
La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] Entete14
Sous la voûte sombre à l'entrée des catacombes, Ombeline prit une inspiration profonde. L'odeur humide et froide des caveaux ancestraux lui emplit les poumons et la fit frémir, mais elle descendit les derniers degrés de pierre malgré tout, bien décidée à accomplir ce pour quoi elle était venue.

Le père Thibald était un homme jeune, robuste et bien portant, sans doute pas vilain d'après ce qu'en disaient les autres filles et surtout très impatient de découvrir tous les secrets de la chair. Malgré son âge, il avait quitté les rangs des novices pour officier comme prêtre permanent au temple depuis trois ans à peine et cela faisait deux ou trois mois maintenant qu'il faisait de fréquentes visites à la Balsamine. Toujours discret lors de ses venues, il avait ses préférences et voyait régulièrement trois des occupantes de la maison close : Ombeline, Clarisse et Clothilde. Malheureusement, cela faisait deux fois qu'il n'avait pas de quoi payer et son ardoise ne pouvait pas continuer de s'allonger, aussi Madame avait-elle envoyé un petit message au prêtre pour le mettre en garde. Deux jours plus tard, un môme haut comme trois pommes s'était présenté avec un parchemin pour la maquerelle. Le mot demandait à ce que l'une des filles vienne rejoindre le pauvre clerc dans les catacombes pour obtenir le remboursement de la dette, l'intéressé ne pouvant sortir de l'enceinte du temple suite à une punition. Quant aux catacombes il s'agissait, disait-il, d'une mesure de prudence et de discrétion. Bien sûr Clotilde refusa tout net de mettre les pieds dans cet endroit lugubre, arguant qu'elle avait bien mieux à faire et Clarisse toussait beaucoup depuis quelques jours, aussi sa cadette lui recommanda-t-elle de garder le lit tandis qu'elle se rendrait sur place. La malvoyante avait l'habitude des lieux sombres et le noir ne lui faisait pas peur. Elle s'était donc couverte de son sempiternel manteau long et avait rabattu la capuche sur sa tête pour se rendre au temple.
Par respect, elle adressa une rapide salutation silencieuse à chacun des Trois avant de se rendre à l’escalier qui descendait dans les catacombes. L’après-midi était déjà bien engagée, les lieux étaient calmes et elle ne doutait pas que les cryptes soient désertes. Depuis la Fange, on appréciait un peu moins de rendre visite aux morts, des rumeurs selon lesquelles certains vieux macchabées se seraient relevés circulant toujours. Bien sûr, rien n’était plus faux : tous les cadavres datant d’avant le Fléau restaient bel et bien immobiles et inoffensifs.

Munie de l’une des torches disponibles à l’entrée du labyrinthe de pierre et d’os, la jeune femme s’avança dans les galeries principales à la recherche du prêtre qui devait l’y attendre. Elle tourna en rond quelques instants avant de percevoir, lui semblait-il, une lueur dans une allée secondaire. Elle s’avança sans hésiter, s’engagea dans un tunnel un peu plus étroit et vit distinctement une torche dans son support un peu plus loin, au carrefour de deux chemins, mais sans âme qui vive à proximité. Intriguée, elle appela par deux fois : peut-être que le prêtre s’était éloigné pour la chercher ou se cachait-il de peur qu’on le surprenne ? Il était certes pointilleux sur la discrétion lors de ses visites mais toutes ces cachoteries semblaient tout de même un peu exagérées.

Il n’est pas là, répondit une voix inconnue sur un ton sec.

Ombeline recula d’un pas tandis qu’une silhouette se détachait de l’ombre pour approcher. Bien qu’il fasse sombre, la jeune femme pouvait affirmer que cette personne n’avait rien à voir avec le père Thibald et un affreux pressentiment lui serra le ventre.

Quelle folie a pu pousser mon disciple dans les bras d’une créature aussi répugnante, je me le demande, persiffla la voix avec un dégoût évident.

Le père Matteo était un quarantenaire râblé, au regard froid, dont les longues années de service au temple n’avait jamais rattrapé son caractère colérique. Impatient, intransigeant et prompt à la réprimande, l’âge le rendait acariâtre et extrême dans tous les domaines, ce qui lui avait toujours interdit l’accès à la fonction de haut-prêtre. On le tenait également à l’écart des confessionaux depuis qu’il avait recommandé l’auto-mutilation à un marchand qui admettait avec des pensées lubriques envers l’une de ses employées. Très respectueux de la loi et de l’ordre, il n’était certainement pas considéré comme une menace mais plus d’un au temple redoutait ses accès de rage lorsque parvenaient à ses oreilles des rumeurs d’infidélité, de fornication, de voleur, de fraude ou tout autre déviance de mœurs. Malheureusement, il était également le mentor de Thibald et il avait vraisemblablement découvert les travers de son ancien disciple.
S’avançant un peu plus dans la lumière de la torche, il toisait la catin avec un air mauvais et plein de mépris. S’il y avait bien quelque chose de pire qu’une prostituée, c’était une prostituée si abandonnée des dieux qu’ils l’avaient privée de sa vue. Rien d’étonnant à ce qu’une incapable pareille ne soit bonne qu’à ouvrir les cuisses, mais aujourd’hui il allait lui rappeler sa place et la punir d’avoir attiré dans ses filets un homme de foi.

D’un mouvement vif, il attrapa le poignet d’Ombeline pour s’assurer qu’elle n’utiliserait pas la torche qu’elle tenait comme une matraque et la tira brusquement en avant dans l’espoir de lui faire perdre l’équilibre. La fleur de trottoir piailla de surprise et embraya sur quelques noms d’oiseaux bien choisis en lui intimant de la relâcher immédiatement.

Espèce de traînée, tu as tenté de corrompre l’âme d’un prêtre et tu oses encore te débattre ? Le pourrissement de tes yeux ne suffit pas, il faut aussi que les Trois fassent pourrir le reste de ton corps pour que tu comprennes enfin que ta vie est une erreur ? Ah je vais t’apprendre, moi, ce qu’il en coûte de provoquer Leur colère !

Ombeline sentit la gifle lui brûler la joue l’instant d’après, avec tant de force qu’elle en fut étourdie. D’une secousse brutale on lui arracha la torche de la main pour la jeter au sol et une autre gifle la cueilli sur l’autre joue, plus forte encore à présent que le prêtre avait toute sa liberté de mouvement. Elle poussa un cri lorsqu’il lui attrapa les cheveux pour lui tirer la tête en arrière, la forçant à exposer sa gorge et à se cambrer si fort qu’elle crut que son dos allait se briser. La pluie d’insultes et de blâmes s’abattait sans discontinuer, si pleine de rage que la jeune femme en éprouva une terreur intense. Elle était seule dans un endroit désert et sans espoir de pouvoir s’échapper, en présence d’un homme qui la haïssait si fort qu’elle était certaine qu’il pourrait en venir à la tuer. Dans ce lieu étouffé de ténèbres, elle ne voyait pas les coups venir.
Le prêtre la repoussa contre un mur où elle se heurta de front et s'érafla les mains en cherchant à se débattre quand il l’obligea à se retourner. Une fois, deux fois il lui prit les épaules pour la pousser contre la paroi et lui cogner la tête, l’amenant au bord de l’inconscience tandis qu’il lui martelait qu’elle était une erreur de la nature, qu’elle devrait déjà être morte depuis longtemps et que les Trois s’étaient détournés d’elle depuis de longues années. Il lui demandait encore et encore si elle savait qu’elle était un rebus d’humanité et si elle avait conscience de la décadence dont elle était à l’origine. Lorsqu’il fut lassé de la voir pleurer et de hurler, il prit à deux mains le col de son vêtement et tira de toutes ses forces dessus. Le tissu, déjà de pauvre qualité et ayant bien vécu, ne mit pas longtemps à céder. Il se fendit en deux jusqu’à la taille. Dans un élan de panique, Ombeline se débattit avec plus de force encore, ignorant le vertige et la douleur à l’arrière de sa tête, elle se mit à crier et à frapper à l’aveuglette, cherchant à se défaire de la prise sur son bras. Lorsqu’il la retint par sa cape, elle défit elle-même l’attache pour se libérer mais trop tard. D’un geste brutal, il la repoussa à terre en vociférant et lui envoya son pied dans le ventre.

Sale putain, je vais te le graver dans la chair si ça ne te rentre pas dans la tête ! tonna le prêtre.

La douleur lui coupa la respiration nette, si bien qu’elle ne put que se recroqueviller sur elle-même en cherchant désespérément de l’air tandis que son bourreau sortait un chat à neuf queues des plis de sa tunique. Il arracha ce qui lui restait de vêture, dévoilant son dos et leva bien haut la main. Le premier coup arracha un cri à Ombeline comme elle n’en avait jamais poussé. Une exclamation de souffrance et de surprise venue du plus profond de ses tripes alors qu’elle sentait distinctement la chair repartir en même temps que les nœuds sur les lanières de l’instrument.
Prit de rage, le père Matteo s’évertua à frapper aussi fort et aussi souvent que possible sur la silhouette recroquevillée de la catin, n’épargnant ni les épaules ni les flancs ni les reins, ne se satisfaisant que dans la vision de ce sang impie qui avait tenté de corrompre son élève.


Dernière édition par Ombeline le Ven 12 Avr 2019 - 0:37, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]   La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] EmptyMar 9 Avr 2019 - 23:56
« Maître … Père. »

Cesare serra un peu plus ses doigts au-dessous de sa tête penchée en avant, ses genoux à même le sol glacial des catacombes. Un collier de perles pendait entre ses doigts, chaque boule de nacre représentant une prière spécifique que le jeune religieux murmurait avec douceur et passion devant la tombe du martyr. La pierre tombale taillée à même le mur était l’œuvre d’un maître tailleur exceptionnel, le virtuose ayant réussit à dompter la pierre pour donner forme au mentor de Cesare et imminent membre du Clergé. L’effigie de Père Cuthbert était d’un réalisme si troublant qu’on croirait que le clerc avait été frappé par le regard pétrifiant de quelques gorgones. Néanmoins ce n’était pas des traits défigurés par la peur qui se lisaient sur le visage de pierre, mais une expression d’une tristesse infinie. Un bout de tissu ensanglanté recouvrait les mains tendues de la statue du défunt, relique du martyr. Cesare avait insisté pour que la robe de celui qui fut son monde et son sauveur soit emportée lors de leur exode précipitée vers la grande cité, seul souvenir palpable de celui qui avait perdu l’esprit peu avant le déchaînement du cataclysme qui ravagea le royaume.

S’il y’avait bien une figure spirituelle qui inspirait Cesare avec la même ferveur que la Trinité, il s’agissait bien de celui qui l’avait pris sous son aile. Il se souvenait encore de ses bras réconfortants qui le tiraient hors de sa demeure mise à sac, sous le regard vide de ceux qui s’apprêtaient à l’occire comme ils trucidèrent ses parents devant ses yeux. Il l’avait nourri, vêtu, redonné goût à la vie mais surtout il lui avait donné une raison de vivre : la religion. Le jeune garçon devint un disciple, un frère au sein d’un petit temple local, aidant la population victimisée par le raid de la baronnie voisine à réparer les dégâts et reprendre foi en la Trinité. Le culte, les pratiques religieuses, les rituels ancestraux, les règles et doctrines, les versets et les psaumes, les significations symboliques des signes et des glyphes, le sens de leur existence et le devoir du Clergé, tout ce savoir inestimable avait été acquis grâce à son précepteur, son père et son protecteur. Cuthbert fut un maître sévère et rigoureux, mais aussi attentionné et c’est avec une grande ferveur qu’il éduqua le jeune Cesare pour en faire le modèle de piété qu’il était aujourd’hui.

Il lui devait tout et bien plus, l’homme de foi avait laissé une marque indélébile de sa propre personnalité sur le jeune Cesare, l’impactant à un point où certains frères affirmaient qu’il leur rappelait le défunt tant dans ses gestes que dans ses paroles. Mais dernièrement le clerc commençait à avoir des doutes concernant la justesse de son dévouement fanatique envers les préceptes et enseignements de son mentor. Dernièrement il avait fait des rencontres qui bouleversèrent sa vision de la population à un point qu’il n’aurait put appréhender s’il était resté cloitré dans les murs réconfortants du temple. L’homme avait pu voir de braves gens lutter pour leur survie et chercher le réconfort dans ce qu’il jugeait comme détestable sans pour autant les haïr ou les mépriser tant leurs situations insoutenables justifiaient leur laxisme. On lui avait confié la tâche de guider les âmes vers le salut tout en lui ordonnant d’être sévère et implacable avec les infidèles, pourtant le voilà qui découvrait que le monde qui l’entourait n’était ni blanc, ni noir, mais d’une teinte grise difficilement reconnaissable et qui rendit sa tâche de jugement largement plus compliquée et problématique. Il n’y avait guère de cas symbolique à suivre, d’exemple parfait, de manière de conduite prédéterminée. Chaque cas était aussi complexe et tortueux que l’œuvre d’un orfèvre à la créativité fiévreuse, mettant à l’épreuve aussi bien l’humanité du prêtre que son esprit de jugement.

Se recueillant donc devant les saintes reliques de son précepteur, il cherchait en sa présence surnaturelle à acquérir les réponses à ces questions qui l’assaillaient à la manière d’un furieux essaim de frelons. Il n’arrivait plus à dormir, à se reposer, à débarrasser de son esprit ses questionnements. Les Trois restaient silencieux quand ils Les appelaient pour éclaircir ses doutes et il ne savait plus où trouver la guidance qu’il quémandait avec véhémence si ce n’est près du martyr qui s’était consacré à la Trinité avec une piété exceptionnelle. Pourtant, lui aussi se fermait dans un silence d’outre-tombe, laissant le prêtre à la chevelure de tempête continuer à prier dans l’espoir qu’un signe quelconque vienne pencher la balance de ses hésitations.

Puis il l’entendit. Un cri. Un hurlement terrible qui fit sursauter le malheureux ecclésiastique à un tel point qu’il faillit laisser tomber son collier cérémonial et bousculer les chandelles qu’il avait allumé autour de la statue du défunt. Par les Trois, était-ce là le signe qu’il attendait, ou bien s’agissait-il du hurlement d’un damné se libérant de sa tombe pour se repaître des âmes de ceux qui avaient l’infortune de traîner près de leurs tanières ? Les cris redoublaient d’intensité et la panique qui avait gagné l’ascète céda la place à l’inquiétude. Chassant de son esprit les histoires de banshees vengeresses dont les hurlements étaient annonciateurs de mort imminente, il abandonna son lieu de méditation pour se précipiter vers la source de ces tragiques couinements, une petite chandelle à la main éclairant son passage à travers les alcôves centenaires du mausolée.

Il ne lui fallut guère longtemps pour tomber sur la scène dramatique qui était à l’origine de ces bruits. Un homme de forte carrure était entrain de déchaîner les foudres de Rikni sur une malheureuse fille recroquevillée comme un chien battu, supportant tant bien que mal la pluie d’injures et de coups qui lacéraient sa chair meurtrie. L’individu portait une robe de couleur verte, reconnaissable comme étant celle des prêtres de la déesse vengeresse à en juger aussi par le serpent qui ornait son dos. La chevelure dégarnie et les tâches de naissance qui perlaient sur le crâne du tortionnaire ne laissaient aucun doute quant à l’identité de l’agresseur, il s’agissait bien du redoute père Matteo dont la rigueur religieuse était des plus extrêmes, même comparée aux standards de Cesare. Il se souvenait d’ailleurs qu’il était un des rares hommes du Clergé à se présenter volontaire quand il s’agissait de corriger les plus impénitents des pêcheurs, bien qu’on lui reprochât souvent que sa passion pour la punition soit l’expression d’un malsain plaisir plutôt qu’une volonté de servir la Trinité, à en juger par l’état de ses victimes souvent irrécupérables tant il se montrait inventif en termes de châtiments.

Cependant ce qui frappa encore plus de stupeur le pieux jeune homme fut quand son regard se porta sur le visage empêtré par la chevelure de jais. Ces traits dans l’ombre, ces yeux si reconnaissables … son cœur manqua un bond tandis qu’il avait l’impression d’entendre se répercuter à travers les murs le rire moqueur et capricieux du destin. De toutes les femmes qui peuplaient cette cité damnée, il fallut que ce soit elle qui tomber entre les griffes de la bête féroce qu’était Matteo. Pourquoi ? Pourquoi la Trinité avait décidé de lui imposer cette vision ? Quelle était le but des Trois ? Quel genre d’interprétation devait-il en tirer ?

Pas le temps de réfléchir, Ombeline était en proie à la fureur innommable du quarantenaire et s’il n’intervenait pas il risquait fort d’être le témoin des derniers instants de la malheureuse prostituée. Serrant les poings et fronçant des sourcils, il héla Matteo sur un ton assez fort pour qu’il couvre le claquement sonore du chat à neuf queues.

« Père Matteo ! Pour l’amour des Trois, cessez ce supplice insensé ! »

Le terrifiant personnage amorça un nouveau coup, mais se retint pour jeter un regard par-dessus son épaule sur Cesare, son front ridé comme mille vagues déchaînées et son regard pétillant de malveillance.

« Ah, c’est vous frère Cesare. Voyez ce que j’ai trouvé au sein de notre domaine sacré. Une putain ! Et pas n’importe laquelle, oh non. Cette traînée putride et abjecte était à la recherche de mon disciple dans le but certain de se coller à lui comme une immonde sangsue et arracher sa vertu entre ses crocs de sorcière impie. Mais si elle croyait pouvoir se faufiler en douce sous ma vigilance … restez à l’écart, frère, vous risqueriez d’être touché par l’aura malsaine qui émane de cette ordure. Je m’occupe d’arracher chaque vice qu’elle a propagé en ce monde de sa chair putride jusqu’à ce qu’elle implore clémence ! »

Son bras se leva haut, prêt à infliger une nouvelle rafale d’horreur et de souffrance, mais son mouvement fut brusquement retenu par la poigne de Cesare qui se referma autour du bras du quarantenaire. Un duel de regards s’en suivit, chacun fixant l’autre avec une telle intensité qu’on pouvait presque sentir des serpents électriques s’échanger au niveau de leurs yeux flamboyants. Persiflant avec une colère à peine retenue, Matteo murmura entre ses dents jaunâtres :

« Relâches-moi, petit. Elle mérite amplement ce qui lui arrive. Ne t’interpose pas entre la volonté des dieux et cette catin de bas étage. »

Gardant calme et assurance, le disciple de Cuthbert rétorqua sur un ton moins nocif mais tout aussi sévère :

« Pardonnez mon audace, père Matteo, mais je ne peux vous laisser souiller votre âme en vous rabaissant à la colère qui vous gagne. Vous savez mieux que quiconque que violenter quelqu’un en ces lieux sacrés est un blasphème, surtout que vous êtes entrain de troubler la quiétude des défunts. Les hauts prêtres verront d’un très mauvais œil ce que vous faîtes, surtout si vous tuez cette malheureuse ici, souillant les pierres consacrées du Temple. Je vous conjure, au nom des Trois, de reprendre votre calme et d’éviter que la situation ne devienne plus problématique qu’elle ne l’est déjà. »

Les statues alentour, silencieuses, semblaient juger Matteo de leurs regards de marbre à en transpercer le cœur. Soudainement inquiet et prenant compte de son excès de fureur, il retira férocement son bras de la prise de Cesare avant de ranger son fouet, non sans jeter un dernier regard emplit de haine et de dégoût envers Ombeline.

« Qu’elle quitte les lieux en vitesse, sa seule présence est un sacrilège insoutenable. Je compte sur vous pour la chasser hors de notre vénéré temple avant qu’elle n’agonise comme un rat. »

Quand le terrible individu quitta les lieux d’un pas empressé, Cesare se pencha immédiatement pour venir en aide à la malheureuse demoiselle, ne pouvant que se pincer les lèvres devant autant de sévères blessures qui parsemaient sa peau délicate.

« Douce Anür, donnez-moi la force de venir en aide à vos enfants. »

Posant délicatement une main sur l’avant-bras de la belle-de-nuit, il murmura lentement un « Ombeline, c’est moi. », ne sachant guère quoi lui dire au vu de son état déplorable. Jetant des regards alentour, il ne put trouver l’aide escomptée, n’étant entouré que de tombeaux silencieux et de statues indifférentes. C’est avec désespoir qu’il comprit que le sort de la brune reposait entre ses mains. S’il n’agissait pas au plus vite, il aurait le sang de la victime sur les mains et ne pourrait plus jamais dormir. Prenant une longue inspiration d’air frais, il calma la panique qui le gagnait et reprit confiance sur un clignement de yeux.

Les catacombes étant un lieu d’un froid mordant, Cesare portait souvent une fine cape de laine qui ornait généralement son lit, souvenir de son appartenance à des racines modestes. La chaleureuse cape fut donc enroulée avec la grande délicatesse possible autour d’Ombeline, tachant de ne pas martyriser les blessures ouvertes. Le fait que le sang entache son précieux trésor lui importait peu et c’est avec grande difficulté qu’il essaya de relever l’indocile.

« Permets-moi de t’aider, nous allons soigner tes blessures. Tu ne crains plus rien. »

Maladroit aussi bien en gestes qu’en parole, c’était sans nul doute le fait qu’il était d’une proximité troublante avec la femme qui devait mettre en pleine confusion ses capacités cognitives. Surtout maintenant que, après maintes hésitations concernant la pudeur et l’intimité, il avait fini par la porter entre ses bras pour la transporter plus aisément vers les dortoirs des frères et sœurs guérisseurs. Mais on ne vit aucune rougeur gagner ses joues, le bon prêtre était bien trop préoccupé par l’état de la victime pour qu’il se soucie d’avantage de la situation embarrassante. Le pas pressé mais prudent, il se précipitait vers les ailes privées, espérant rencontrer quelques disciples susceptibles de l’aider.


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MessageSujet: Re: La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]   La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] EmptyVen 26 Avr 2019 - 12:40
Paralysée par la peur et par la douleur cuisante qui irradiait désormais de tout son dos, Ombeline ne prit pas conscience de la présence d'une troisième personne avant que cette dernière ne lui touche le bras. Persuadée que de nouveaux coups allaient pleuvoir, elle se replia brusquement sur elle-même pour échapper au contact, secouée par des sanglots à présent silencieux. Elle ne voyait ni n'entendait plus rien, son monde se résumait à une douleur comme jamais elle n'en avait ressentie et elle n'avait plus qu'un souhait : que tout cesse enfin. Tout son corps était crispé, dans l’attente de la morsure du martinet, les dents serrées et les yeux fermés comme si se réfugier derrière ses paupières pouvait la soustraire au fou qui lui avait tendu un piège. La voix de Cesare parvint tout de même à l'atteindre alors qu'il tentait de lui faire quitter ce recoin humide de mur. La tombe de l'ancêtre qui reposait là garderait sans doute un peu de son sang, en souvenir.
Malgré l'aide que lui proposait le prêtre, la jeune femme se sentit plus misérable encore qu'il soit témoin de son malheur. Elle ne voulait pas qu'il la voit ainsi prostrée, blessée et humiliée, elle ne voulait pas qu'il constate qu'elle était impuissante face à la colère des autres et qu'il la prenne ainsi en pitié. Mais elle avait si mal et si peur, qui viendrait l'aider à se relever si elle repoussait la main qu'il lui tendait ? Et à quoi bon préserver une fierté qu’elle avait perdue depuis longtemps ? Il lui parlait avec douceur, il ne lui voulait aucun mal et il lui proposait de la sortir de cet endroit lugubre, elle ne pouvait pas demander plus.

Le poids du tissu un peu trop grossier pour ses plaies à vif lui arracha un gémissement. Elle avait l'impression que tout son dos était en feu et la sensation des gouttes de sang lui dégoulinant le long des épaules et des bras lui donnait un peu plus encore le sentiment d'être sale, rajoutant à son inconfort, pourtant elle ne fit aucun geste pour se débarrasser de la cape ou se soustraire au regard de son providentiel sauveur bien que l’envie d’aller se cacher dans un trou de souris tende chaque fibre de son être. Son bourreau avait décidé de l'avilir en la privant de la protection de sa robe, laissant le tissu béer du col jusqu’à sa taille, et quoi qu’en disent les mauvaises langues, être une catin ne prive pas de la notion de pudeur. Se montrer, même simplement torse nu, devant le sévère père Cesare n’avait jamais sérieusement compté parmi ses aspirations aussi était-il bien pénible qu’un autre lui impose une telle situation. Elle voulait choisir à qui et quand se montrer, or les catacombes étaient le dernier endroit où il faisait bon se déshabiller. Alors en dépit de la rudesse de la laine, elle serra les pans du vêtement autour d’elle pour s’y cacher.

Permets-moi de t’aider, nous allons soigner tes blessures. Tu ne crains plus rien.

Ombeline se mordit la lèvre pour étouffer une plainte et hocha simplement la tête. À présent que le feu des coups ne mobilisait plus tout son esprit, elle pouvait pleinement apprécier le froid humide qui lui mordait la peau et la faisait frémir. À grands peines elle parvint à se redresser, s’aidant plus du mur que de la main incertaine qu’on lui tendait. Il lui semblait que ses jambes avaient perdu toute leur force et elle se demanda comment elle pourrait bien retourner à la Balsamine dans cet état. Que dirait Madame en la voyant revenir ainsi ? Combien pouvaient coûter les soins pour qu’elle ne garde pas trop de cicatrices ? Les conséquences de cette mésaventure lui sautèrent au visage toutes d’un coup et l’inquiétude s’invita au bal de ses émotions.

Lorsqu’il fallut quitter l’appui salutaire de la paroi de pierre, la fleur de trottoir se raccrocha de toutes ses forces à Cesare en lui agrippant le bras, se pressant dans la sécurité de son giron. Il allait l’aider, n’est-ce pas ? Il allait faire quelque chose pour qu’elle n’ait plus mal et pour qu’elle n’ait plus froid, avec lui elle ne craignait plus rien de la part des fous furieux qui voulaient lui faire la peau, elle en était certaine. Alors elle se serrait à lui comme s’il était une bouée au milieu de la mer, comme si le lâcher signifiait tomber dans un abîme d’où elle ne ressortirait jamais. Pourtant ses jambes ne trouvèrent pas la force de faire plus de quelques pas avant de se dérober pour la jeter à genoux de nouveau. Les Trois devaient sans doute demander à ce qu’elle soit écorchée des pieds à la tête pour avoir accepter un de leur serviteur comme client et en l’absence de quelqu’un pour manier le fouet, elle était privée de ses jambes en punition ! Un sanglot lui secoua les épaules, à la fois honteux et désespéré.

Pardon, je suis désolée… Je suis désolée ! Pardon, pardon, pardon… je suis désolée… se mit-elle à implorer, sans savoir si elle s’adressait aux dieux ou simplement à Cesare.

De grosses larmes s’accrochèrent à ses cils tandis qu’elle se remettait sur pieds avec difficultés et d’autres lui vinrent lorsque le prêtre la souleva toute entière pour l’emporter loin des catacombes. Elle pleurait parce qu’elle avait cru l’espace d’un instant qu’elle allait mourir dans cet endroit horrible, sous la main cruelle d’un homme de foi, elle pleurait parce qu’elle avait mal à s’en évanouir et qu’elle sentait la cape poisser contre son dos, elle pleurait parce qu’elle n’était qu’une catin comme une autre et qu’on venait de le lui rappeler sévèrement alors qu’elle n’avait rien demandé. La main désormais serrée sur le col de la vêture de son sauveur, le visage enfouis contre son épaule pour y dissimuler son chagrin, Ombeline se sentait à la fois coupable de sa situation et victime d’une injuste cruauté.

Dans l’aide des soignants et des guérisseurs, plusieurs espaces dédiés à l’examen et au traitement des malades ou des blessés. Si avant il y avait nombre d’habitants dans le besoin, désormais on privilégiait les miliciens blessés en service et les victimes de la fange. Il y avait trop de miséreux dans les rues pour que le Temple puisse les prendre en charge tous. Malgré tout les guérisseurs ne refusaient jamais un artisan blessé, une femme enceinte, un orphelin affamé… Aussi lorsque le père Cesare croisa la route de la jeune sœur Cécile, elle prit immédiatement en charge la patiente qu’il lui amenait. Les menant à une paillasse libre - tous les lits corrects étaient déjà prit, il faudrait se contenter de la rudesse d’une paillasse - elle demanda à son condisciple de veiller sur la blessée le temps qu’elle trouve de l’aide. Il devait bien y avoir un ou une référente quelque part dans ces couloirs !
Assise sur la couverture qui couvrait le tas de paille, la jeune femme laissa s’activer les habitants du Temple sans piper mot, reniflant de temps à autre les dernières larmes qui lui coulaient sur les joues. Elle tremblait de la tête aux pieds, le bout de ses doigts avait bleuit et après ses sanglots, elle semblait juste s’être éteinte telle une chandelle arrivée à court de cire. Lorsque la guérisseuse fut sorti, elle releva tout de même la tête vers Cesare, l’air inquiète.

J-Je ne peux pas rester ici. Je ne veux pas qu’il me trouve, je veux rentrer. S’il te plaît, je veux rentrer chez moi, couina-t-elle d’une petite voix tremblante.
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MessageSujet: Re: La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]   La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] EmptyJeu 9 Mai 2019 - 14:42
« Sœur Cécile, c’est une urgence. »

« Doux Seigneurs ! Qu’est-il arrivé à cette pauvre enfant ? »

Les prunelles bleutées de la jeune prêtresse fixaient avec émoi les longues plaies qui sillonnaient le corps de la malheureuse femme, sa douce peau de soie lacérée comme par des griffes acérées. Pendant un court instant sœur Cécile crut que la victime avait été attaquée par un fangeux tant ses blessures étaient effarantes, mais elle se ravisa de poser la question quand elle sentit le regard insistant du clerc à la chevelure de tempête.

Elle conduisit l’improbable duo à travers les lits où gisaient blessés et souffrants, les uns gémissant pitoyablement, les autres priant silencieusement pour un rétablissement propice. Les sœurs débordées tentaient tant bien que mal de veiller sur chacun de leurs patients, apportant nourriture et herbes médicinales tandis que d’autres quittaient les lieux les bras chargés de bandages sanglants et seaux aux odeurs douteuses. La misère n’avait pas épargné les saintes murailles du temple, les guérisseurs débordés recevant la visite d’un flux constant de malades et blessés de toutes les catégories sociales. Cesare n’avait jamais aimé être en présence de cette aile du Temple, la vue d’autant de souffrance et de vulnérabilité bousculant ses fières convictions et le faisant questionner la bonté des divins quant au sort de leurs enfants. Sans doute était-ce un moyen d’expier leurs péchés, la douleur étant le lien le plus puissant pour connecter l’esprit au domaine céleste, ou en tout cas c’était un des préceptes que lui avait inculqué Père Cuthbert. Autant dire que cet enseignement marqua bien trop profondément Cesare dont le dos portait encore les roses zébrures d’anciennes morsures de martinet.

« Les lits sont tous occupés, nous avons récemment reçu un nouveau groupe de miliciens extérieurs qui ont eu à affronter des brigands. Nous n’avons plus que des paillasses pour accueillir les nouveaux arrivants. »

Regrettable, mais il savait que Cécile ferait tout pour venir en aide à Ombeline. L’ascète reposa doucement la blessée sur une natte disposée à même le sol froid, un peu à l’écart d’un vieillard couvert de haillons dont la peau couverte de cloques ne présageait rien de bon pour le prêtre. Cécile s’éclipsa rapidement pour faire appel à ses sœurs, laissant le rigoureux ecclésiastique tenir compagnie à la fleur de trottoir. Jamais il ne se serait douté que sa méditation dans les Catacombes finirait ainsi, parmi les faibles et les mourants, bercé par la monotonie des gémissements et grognements de douleur, ses deux mains recouvrant celles de la femme qui l’avait défié dans ses plus solides convictions, celle qui resta fidèle à elle-même malgré les menaces et sermons qu’il avait dressé, celle qui malgré tout avait réussi à le divertir en l’entraînant dans de longs débats qui développèrent en lui le plaisir de discuter de théologie et de vie sans adopter sa coupante répartie de religieux zélé.

Qu’était-elle pour lui ? Que valait-elle pour qu’il veille sur elle avec autant de ferveur et de douceur, sa robe tachée de pétales cramoisis et sa cape de laine réduite à un linceul vermeil ? Ses pensées se perdaient dans des questionnements qui pourraient sembler absurdes au vu de la situation, mais qui faisaient surface à un moment où il était plongé dans des questions sans réponses, si bien qu’il s’était recueilli devant la tombe du martyr pour y trouver les réponses qu’il cherchait tant. Hélas tout comme les Trois, la statue du défunt resta solennellement silencieusement, gardant farouchement ses secrets.

Tout était moins simple, plus compliqué depuis que ce mal profond s’était révélé. Les questions se multipliaient et les interprétations divergeaient. Le jeune prêtre se trouvait tiraillé entre ses principes moraux, son désir profond de venir en aide au troupeau égaré et le canevas complexe de l’âme humaine. Il s’en souvenait, de cette journée passée dans une auberge bruyante en compagnie d’Ombeline, à recevoir une leçon sur la bonté humaine au-delà des apparences et des habitudes discutables. Elle lui avait reproché d’être froid, intransigeant, de toujours user d’une implacable logique plutôt que de faire appel à son cœur. Ainsi elle avait créé une dichotomie, un conflit entre deux loups au sein de son être, l’un symbolisant l’inflexibilité de la religion contre toute incartade laxiste jugée hérétique et l’autre qui arborait les couleurs de la compassion, de la compréhension, de l’empathie.

Elle avait chamboulé sa vie et donné naissance à des questions qui n’avaient guère lieu d’exister au vu de la stricte doctrine qui l’avait éduqué et façonné et homme fort du Clergé. Pourtant, il ne pouvait lui en vouloir ni lui reprocher cette crise existentielle. Elle s’était défendu farouchement, fidèle à sa nature tout en usant d’arguments solides qui rivalisèrent avec la stoïque évaluation du prêtre. Avant, il la voyait comme une harpie annonciatrice de malheurs, une créature porteuse de fléaux au même titre qu’un rat pestiféré. Les jours passèrent et les choses évoluèrent, passant d’une brebis à récupérer sous sa protection à une rivale de table ronde à l’esprit affuté. Et cette rivale qu’il n’osait pas encore voir comme une amie, elle reposait à ses pieds, meurtrie, en larmes, humiliée. Il se souvint du jour ou lui avait prophétisé qu’un homme viendrait la martyriser et lui faire payer ses vices impardonnables. Jamais il ne serait douté qu’il regretterait amèrement ses pronostics funèbres, si bien qu’il sentit un goût de cendre gagner sa gorge tendue. Elle le fixait de son regard laiteux, implorant de quitter les lieux. La vue de pareille détresse dans le visage de celle qui jusqu’à présent n’était que fierté et indocile ténacité le choqua presque. Elle semblait si vulnérable et fragile …

« Pas dans ton état. On va prendre soin de toi, tu ne risques rien ici, en compagnie des guérisseurs et des malades. Pas même Père Matteo n’oserait s’en prendre à toi en public, ce serait piétiner le peu de respect qu’il inspire encore à certains de nos supérieurs. »

Un duo de guérisseuses aux tabliers de cuir couvrant leurs robes de lin au parfum de lavande vinrent au chevet de la prostituée, transportant cataplasme fraichement broyé à en juger par l’odeur et des bandages, ainsi qu’une bassine d’eau froide. Sœur Cécile les suivaient, un petite tasse de terre cuite entre ses mains.

« Du lait de pavot ? » demanda Cesare.

Cécile hocha vivement de la tête tandis que ses sœurs commençaient à doucement retirer les lambeaux de vêtements qui entravaient l’application de leurs remèdes. « Vu ses blessures, elle en aura besoin pour supporter la douleur. »

L’homme s’écarta légèrement pour laisser les guérisseuses œuvrer en paix, détournant le regard lorsqu’elles débarrassèrent Ombeline des restes de ses vêtements déchirés. Il n’osait porter un regard sur son corps mais ne pouvait quitter les lieux, attaché qu’il était pour cette malheureuse dame. Les secondes semblèrent s’écouler comme des heures, le temps se suspendant à mesure que les gémissements de douleur hantaient les oreilles du pieux personnage. Avisant alors un tabouret, il le tira mollement jusqu’à la paillasse où reposait la belle-de-nuit et pria, seule chose qu’il pouvait à présent pour elle. Impuissant, il en appelait aux dieux pour sauver la jeune brune, l’empêcher de sombre dans un sommeil sans rêves.

Lui qui jadis n’aurait éprouvé que dégoût et mépris recommandait l’âme d’Ombeline à la Trinité. Les temps changent.

Quand elles achevèrent leur tâche, les prêtresses prirent congé du prêtre pour aller s’occuper d’autres patients, laissant un Cesare admiratif devant l’abnégation de ces braves âmes au service du peuple. S’intéressant de nouveau à Ombeline, il constata qu’on l’avait recouverte d’une couverture qui cachait son corps momifié par autant de bandeaux encerclant ses plaies. Se penchant légèrement, il susurra, ignorant si elle avait perdu connaissance durant le processus ou si elle pouvait encore l’entendre.

« Tu as faim, soif peut-être ? Si tu as besoin de quelque chose, dis-le moi, je m’empresserais de te soulager. Considères-toi comme sous mon toit. »
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MessageSujet: Re: La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]   La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] EmptyDim 16 Juin 2019 - 19:28
Bientôt il y eut entre elle et le prêtre toute une troupe de soigneurs affairés à réparer les dégâts. On la prit en main avec une certaine douceur et un peu d'empressement, lui retirant une à une les dernières couches de vêtements qu'il lui restait. Ne demeura bientôt que la dernière de ses jupes, attachée à sa taille à la limite de ses blessures. Il fallut endurer le passage d'un linge humide le long de ses plaies, la douleur l'élançant tellement à certains endroits qu'elle en avait des bouffées de chaleur étourdissantes. Et lorsque presque tout le sang fut épongé, chaque ouverture dans sa chair fut colmatée à l'aide d'une pâte huileuse à l'odeur entêtante.
Ombeline était bien plus dure à cuire qu'on ne pourrait le penser de prime abord, mais cela ne l'empêcha pas de sangloter et de gémir lorsque tout son corps semblait prêt à rompre sous la douleur. De sa nuque à ses reins ce n'était plus qu'un champ labouré et laissé à ciel ouvert, comme si un millier de corbeaux étaient venus fouiller dans ses chairs pour y trouver quelques vers appétissants. Même le passage des bandages fut une épreuve épuisante. La jeune femme était alors si faible et résignée qu'il fallut la saisir par le bras pour la garder assise et pouvoir enrouler les pansements autour d'elle. Bientôt elle fut prisonnière d'un corsage blanc lui couvrant le ventre, la poitrine et les épaules. Dans son dos, le linge se teintait déjà de rose là où le sang parvenait à percer au travers du cataplasme.

Transie de froid et de fatigue, Ombeline accepta de se coucher sur le flanc pour prendre un peu de repos. Ses larmes s'étaient taries et la peur avait cédé sa place à une lassitude terrible. Les soins avaient été presque aussi pénibles que la punition elle-même, n'en avait-elle pas eu assez à présent ? Tout ce qu'elle souhaitait était de s'endormir et de ne plus se réveiller avant que ce rêve affreux ne soit terminé. Le bruissement des guérisseurs s'éloigna après quelques dernières recommandations d'usage et elle se pensa seule, l'espace d'un instant. Elle aurait pu se retourner pour essayer de voir si dans cette grande salle, séparée en alcôves pour malades grâce à des paravents, Cesare ne se tenait pas un peu plus loin, mais la seule idée de bouger était déjà épuisante. De plus, pourquoi le prêtre se serait-il attardé ? Il devait avoir mieux à faire ailleurs que de s'occuper d'elle.
Pourtant ce fut bien sa voix qu'elle perçut, toute basse près d'elle. Alors comme ça, il était resté tout ce temps ? Si même le plus intransigeant des prêtres montrait tant de sollicitude à son égard, c'est qu'elle devait faire peine à voir.

Sans prévenir, de nouvelles larmes lui vinrent. Il était si désireux de lui rendre service et sa voix était si douce à présent, n'était-ce pas injuste de découvrir que le père Cesare avait en lui tant de chaleur dans pareille situation ? Elle avait honte d'être si misérable devant lui qu'il en décide même de se débarrasser de son éternelle sévérité pour être si aimable. Avec empressement, elle chassa les larmes de ses joues et puisa dans ses maigres réserves de forces pour se redresser sur un coude. Cette position pourtant si familière l'élançant dans tout le dos, lui rappelant que la moindre torsion de son buste serait une épreuve pour les semaines à venir.

J'ai froid, fit-elle tout bas pour qu'il soit le seul à entendre. J'ai mal et j'ai peur de rester ici. Je voudrais être chez moi, serrer mon chien contre moi pour avoir chaud et ne plus craindre personne. Je voudrais que tu n'aies jamais vu ce qui vient d'arriver et que tu n'aies jamais dit que cela arriverait un jour. Et je...

Un sanglot lui serra la gorge malgré son ambition de chasser le chagrin. La jeune femme se sentait si fatiguée qu'elle avait du mal à croire qu'elle puisse encore pleurer après toute l'énergie qu'elle venait de dépenser. Elle se redressa avec peine pour s'asseoir à nouveau et remonter sa couverture jusqu'à ses joues, épongeant les larmes salées qui s'étaient remises à couler. Sa voix se brisa lorsqu'elle parvint à reprendre.

Je voudrais que tu me dises pourquoi les dieux me punissent de cette façon ! Pourquoi ai-je dû perdre la vue et vivre une vie dont personne ne veut ? Pourquoi dois-je encore être punie aujourd'hui alors que je ne fais de mal à personne ? N'y a-t-il pas des gens plus méchants que moi dans cette ville ? Pourquoi cela devrait-il être de ma faute alors que je n'ai jamais eu le choix ? Pourquoi ai-je payé pour un destin que les Trois ont choisi depuis longtemps ?

Les mots sortaient par flots ininterrompus, laissant à peine à Ombeline le temps de reprendre son souffle entre deux questions. Elle semblait si meurtrie par le sort que les dieux lui avaient réservé qu'on pouvait se demander si ce n'était pas cela qui la faisait souffrir, plus que ses blessures. Comme une enfant qui ne comprend pas pourquoi on la gronde si fort, impuissante dans un monde d'adulte. Elle se battait si fort d'habitude et à présent elle se sentait simplement vaincue.

Est-ce que ce n'est pas suffisant d'être une moins que rien chaque jour qui passe ? Fallait-il vraiment qu'on me le rappelle si cruellement ? Dis-moi ce que j'ai fait de si mal, s'il te plaît. Je veux comprendre. Était-ce trop arrogant de t'adresser la parole et de marcher avec toi alors que je ne suis qu'une catin ? Est-ce une punition pour avoir rendu ivre ce milicien, si ivre qu'il ne puisse pas me toucher ? Ou bien ai-je été trop prétentieuse de prier pour demander une autre vie ? Comment ai-je offensé les dieux pour qu'ils soient si en colère après moi ?

La jeune femme releva un peu la tête pour se tourner vers le prêtre. Elle avait les yeux rougis par ses pleurs et le visage blême d'avoir trop saigné, les cheveux défaits, les lèvres bleuies et l'air terrifiée.

Tu penses que je l'ai mérité, pas vrai ? Le soir où j'étais dans les dortoirs, tu m'aurais puni toi-même s'il n'y avait pas eu Kornog. N'importe quel prêtre l'aurait fait, c'est bien ça ? N'importe qui qui en aurait eut l'occasion... Peu importe si je prie ou si je supplie, c'est trop tard.
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MessageSujet: Re: La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]   La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] EmptyMer 26 Juin 2019 - 20:49
♪♫♫♪

Un simple soupir s’extirpa des lèvres rosées de l’ecclésiastique qui s’était attendu, curieusement, à pareille réaction de la part de la jeune brune. Leurs longs débats, souvent violemment passionnés, lui avaient permit de dresser un certain portrait du caractère borné et rebelle de la fleur de trottoir et s’il s’était attendu à ce qu’elle ignore sa main tendue pour relever quelques faits, il n’aurait pensé qu’elle puisse réagir ainsi dans son état. Généralement les plus indociles individus prenaient le temps de respirer et laisser leurs blessures s’apaiser avant de cracher leur venin sur l’injustice du monde. Mais pas Ombeline.

« Economises tes forces, tu es trop épuisée pour faire la capricieuse. »

Le ton était assez sec mais dénué de méchanceté, seulement une attitude sévère et martiale, celle d’un maître remettant à sa place un élève un peu trop turbulant. Mais c’était trop demander car la voilà déjà qui reprenait d’assaut la conscience du bon prêtre, sa langue pâteuse ne manquant point de combustible. Était-ce réellement le bon moment pour débattre de choses aussi fondamentales ? Cesare jeta brièvement un regard autour de lui, inquiet que des oreilles indiscrètes ne surprennent les plaintes de la blessée, plaintes et questionnements qui lui vaudraient un regard aussi méchant que la morsure du fouet qui l’a mis dans cet état. Fort heureusement, si on peut utiliser ce terme dans une pièce aussi triste, les blessés étaient pour la plupart endormis ou dans un état léthargique tandis que les autres grognaient bien trop fort pour qu’aucun mot n’atteigne leurs oreilles de martyr. Les prêtresses, elles, étaient bien trop débordées par leur propre croisade contre la souffrance de leurs protégés pour se soucier d’une quelconque conversation, surtout connaissant la réputation Ô combien stricte et pieuse du prêtre qui veillait dans le recoin le plus reculé de la salle.

« Calme, calme ! La fièvre te rend délirante, ma pauvre, tu te poses des questions parce que la douleur brouille tes sens et inhibe ton esprit. Penses-tu que les Trois soient si mesquins et mauvais pour qu’ils s’amusent à torturer une de leurs créations pour le simple plaisir de la voir se débattre chaque jour ? Sottises. Ton état n’est dû qu’à la méchanceté d’une brute. Or les Dieux sont les juges ultimes et les seuls à venger leurs fidèles. Ne te laisse pas gagner par le désespoir. Tes plaies disparaîtront, ta douleur ne sera plus que souvenir, mais la foi, elle, persistera car seule elle définit les simples fantômes des enfants de la Trinité. »

Il se mordilla la lèvre inférieure en remarquant qu’elle était loin d’en avoir fini. Soit, si elle était si désireuse de reprendre leurs débats théologiques dans un moment aussi délicat, et bien il n’allait pas fermer les yeux sur son état pour laisser passer le doute sur la religion, une graine d’hérésie qui devait être broyée avant qu’elle ne s’enracine profondément dans le cœur de la victime et n’en fasse une âme de plus perdue dans les limbes de la damnation. Par les Trois, il n’allait pas s’attendrir et la bercer de doux mots de réconfort, mais bel et bien la ramener à la raison qui s’emblait fuir son corps par chaque blessure qui parsemait son corps telle une immonde mosaïque.

« Regarde autour de toi, Ombeline, et dis-moi ce que tu vois. Vois-tu des êtres qui profitent de leur existence impunément, moqueurs et jouissant d’une vie parfaite ? Ce que je vois, c’est des hommes souffrants d’horribles blessures pour avoir défendu leurs terres, de femmes exténuées après des heures et des heures de corvées incessantes, d’enfants atteints de maladies terribles à un âge si précoce … nous sommes tous victimes de la dure réalité de notre monde, tous sujets à la peur, la douleur, le désespoir, la peine et toux les maux connus et inconnus. Pourtant, penses-tu que c’est une raison pour tourner sa rancœur vers les Dieux et les accuser de nous laisser vivre dans pareil univers ? »

Nouveau soupir, le voilà qui posa sa main sur son visage à la manière d’une de ces statues tragiques qu’on trouvait dans les grands halls de vastes amphithéâtres, antiques penseurs figés dans une éternelle solitude. Combien de fois avait-il eut à s’aventurer dans cette terre glissante qu’était ces questions existentielles ? Elles étaient une offense pour la religion, selon certains, mais Cesare s’était toujours avancé sur la pertinence de pareil doute en pensant que c’était un bon moyen de renforcer et consolider les piliers qui soutenaient la Foi de chacun. Pourtant il savait que le doute était une épée à double tranchant dont la lame reposait tant entre ses mains que celles d’Ombeline. S’il échouait à lui redonner espoir, à lui faire voir que les Dieux étaient les parents bienveillants qui gardaient les âmes des mortels plutôt que d’odieux spectateurs d’une arène géante, non seulement elle se condamnerait à un triste destin, mais en plus elle laissera le goût amer et cendré de l’échec chez le prêtre qui ne pourrait se pardonner d’avoir faillit ses divinités, châtiment plus terrible à imaginer que la mort même.

Et puis … l’idée de la laisser dans cet état d’esprit lui faisait l’effet de l’abandonner à un sordide et insidieux venin qui la rongeait à chaque battement de cœur, un poison qui la dévorait lentement. Il ne pouvait fermer les yeux et laisser la lumière qui faisait cette femme si particulière s’éteindre sous ses yeux, ne serait-ce que parce qu’elle avait fait preuve d’une telle joie de vivre durant leurs précédentes interactions.

« Nous passons tous des épreuves différentes mais toutes destinés à éprouver notre patience et nos convictions. La douleur a le mérite de nous faire réfléchir, de nous rappeler que nous sommes des êtres éphémères et fragiles. Mais est-ce que nos ancêtres se sont laissés accabler par cette vérité et abandonné toute envie de continuer à exister ? Non, ils ont gardé la Foi, ont remercié la Trinité de leur avoir donné le courage et le pouvoir de survivre et se sont relevés de plus belle, pavant la voie pour les générations futures. Si les Trois avaient jugé bon de nous détruire, il y a longtemps que nous ne serions plus. Pourtant nous voilà tout deux, réunis à nouveau dans d’étranges circonstances. Les Dieux sont mystérieux dans leurs méthodes. »

Puis vint la réplique qui fit mal. Celle à laquelle il ne s’était pas attendu et n’aurait pas imaginé l’entendre des lèvres de la rose blessée. Qu’il était un danger, capable de la blesser comme n’importe qui, qu’il l’aurait fait si la demoiselle n’avait pas eu la présence de son fier molosse à ses côtés pour la protéger de ses violentes pulsions. Les traits de l’ascète s’assombrirent et il détourna le regard, un trait d’obscurité cachant une partie de son visage.

« C’est comme ça que tu me vois, donc ? Comme un monstre ? Tu me visualises déjà à la place de Père Matteo, à t’infliger tourments après tourments pour ta simple existence, pour te purger de ce monde. C’est donc ce que je suis pour toi, je vois. Tu as peut-être raison, malgré tous mes efforts pour apporter un peu de lumière dans les ténèbres qui t’entravaient, je ne suis qu’un vil personnage, un tortionnaire de plus qui maintient le cycle abject de la haine et le mépris. »

Lentement, il se releva. Ses lèvres tremblaient légèrement et l’éclat puissant de ses prunelles s’était évanoui au profit d’un teint sombre et fade. Ses bras rabattus sur ses flancs, il annonça sur un ton amer :

« Je regrette que mon désir de faire ce qui est juste te pousse à me mettre dans la catégorie des gens que je tente d’éduquer et discipliner. Je ferais peut-être mieux de te laisser seule te reposer, je suis bien inconscient de troubler ton repos. »

Hésitant un moment, il leva légèrement la main vers elle, comme pour tapoter doucement son épaule dans un dernier signe de compassion, mais se ravisa.

« Je reviendrais plus tard. Dors, si tu peux. »

Et le prêtre tourna des talons, un sombre nuage flottant dans l’antichambre de son esprit.
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MessageSujet: Re: La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]   La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] EmptyJeu 27 Juin 2019 - 22:24
Cesare était sans doute un confesseur excellent et très apte à rendre aux brebis égarées leurs certitudes à propos de leur foi, cependant pour ce qui était de consoler, même les pierres auraient eut plus de tendresse que lui. À fleur de peau, Ombeline failli lui rétorquer qu'il était sans doute plus proche du monstre qu'il ne le pensait s'il n'était pas capable d'autre chose que de lui faire la morale dans un instant pareil, mais elle préféra demeurer muette, plus meurtrie encore de s'être heurtée à ce qui lui semblait être de l'indifférence. Peut-être qu'à présent qu'elle n'était plus en danger de se vider de son sang, la compassion du prêtre avait atteint ses limites ? Peut-être s'était-elle fait des idées ou avait-elle eut des espoirs dépassant de loin la réalité ? Pourquoi avait-elle attendu autre chose de sa part qu'un sermon à propos de l'absurdité des doutes qui l'habitaient ?
Elle avait néanmoins de la fièvre, sur ce point il avait tout de même raison. Une fièvre qui lui faisait tourner la tête comme une toupie et lui donnait envie de s'enfoncer dans le sol pour ne faire plus qu'un avec la terre immobile et fraîche. Consciente à présent qu'il était futile d'attendre un véritable réconfort de la part du prêtre et qu'elle-même n'était pas dans les meilleures dispositions pour discuter, elle le laissa quitter les lieux sans ajouter un mot, devinant simplement sa silhouette s'éloigner jusqu'à se fondre parfaitement dans le reste du décor. Il aurait été mesquin de terminer la conversation sur une remarque à propos du fait qu'elle n'était effectivement pas capable de voir autour d'elle, quand bien même l’aurait-elle souhaité de toutes ses forces.

Vaincue par la fatigue, la jeune femme se recoucha avec prudence pour tenter de trouver un peu de sommeil. Elle eut l'impression que jamais la douleur palpitante dans son dos ne la laisserait se reposer, pourtant à force de sentir la spirale incessante dans son esprit elle finit par fermer les yeux et sombrer dans des rêves agités. Par trois fois elle fut réveillée par les prêtresses du temple qui vinrent lui porter de l'eau, un peu de pain, quelques fruits secs et refaire parfois les bandages. Par trois fois elle se laissa docilement manipuler, à moitié consciente seulement de ce qui se passait autour d'elle avant de replonger dans le sommeil fiévreux où elle tentait sans fin d'échapper à des monstres et où personne ne répondait à ses demandes à l'aide. La quatrième fois, on l'obligea à se mettre debout pour changer la paille sous elle avant de la laisser se recoucher. Le jour et la nuit étaient devenus des notions abstraites pour Ombeline dont le front était toujours brûlant.

Un page du temple, dépêché le soir même de l'incident à la Balsamine, informa la tenancière de ce qui s'était produit. La dame s'était immédiatement rendue au chevet de sa protégée, mais elle n'avait trouvé qu'une jeune fille inconsciente et rongée par les cauchemars. Les soigneurs lui avaient assuré qu'ils pouvaient prendre soin d'elle jusqu'à ce qu'elle reprenne connaissance avant de la renvoyer chez elle. Madame Vesseur s'en était donc retournée à la Balsamine, non sans s'être assurée qu'on la prévienne immédiatement le moment venu. Au troisième jour de convalescence, Flore se rendit elle aussi au chevet de sa cadette et la veilla toute l'après-midi en épongeant son front et en lui murmurant que tout irait bien, qu'elles rentreraient ensemble et qu'il fallait tenir bon. L’inquiétude pouvait se lire dans ses yeux et lorsqu’elle quitta le temple à la nuit tombée, elle pria avec ardeur pour que les dieux ne rappellent pas tout de suite la jeune aveugle à leurs côtés.
Lorsqu'au quatrième jour la température d'Ombeline ne semblait toujours pas descendre, les soigneurs se mirent à envisager qu'elle soit trop frêle et trop faible pour s'en sortir. Elle mangeait à peine, ne buvait que quelques gorgées et personne n'avait le temps de s'occuper de son état plus de quelques minutes le matin et le soir. Elle contracterait bientôt du mauvais sang à force de le faire bouillir avec cette fièvre et alors elle ne s'en remettrait jamais, c'était certain. Les plaies étaient pourtant propres et ne présentaient aucune trace d'infection ou de dégénérescence, mais la jeune femme ne sortait pas de son sommeil agité plus de quelques instants par jour. Décision fut prise cette après-midi là de recommander son âme, au cas où elle ne survive pas jusqu’à un cinquième levé de soleil.

La jeune prêtresse nommée Cécile, qui avait été la première à accueillir Ombeline juste après sa confrontation, prit la liberté de rédiger une courte note à l’attention du Père Cesare pour l’informer. Elle ne supposait rien à propos de sa relation avec la patiente, tout au plus devait-il être son confesseur, cependant elle trouvait normal de le tenir informé. Peut-être voudrait-il faire lui-même les prières d’usage ?

« Père Cesare,
Votre jeune protégée ne semble pas parvenir à vaincre les démons de la fièvre et les responsables des soins préfèrent recommander son âme aux Trois en fin de journée, avant qu’il ne soit trop tard. Souhaiteriez-vous conduire la prière ? Père Candide se tient à votre disposition dans la bibliothèque jusqu’à ce que le soleil ne décline pour recueillir votre réponse avant de préparer les bénédictions rituelles.
Sœur Cécile
»

La jeune femme chargea un apprenti du temple de trouver son confrère pour lui remettre rapidement avant de retourner à son travail. Elle espérait que cette mesure de précaution soit inutile. La mort de cette jeune personne serait un terrible coup pour le temple et pour le Père Matteo car un si un châtiment juste pouvait être tolérer dans la limite du raisonnable, la mise à mort d’une personne innocente, même si sa vie était vouée à la luxure, relevait du crime.

¤¤¤

Ombeline se sentit sortir d’un épais, très épais brouillard gluant. Sa tête lui pesait et il lui semblait que son esprit avait fonctionné sans relâche durant des semaines tant il était engourdi et douloureux, pourtant elle avait le sentiment qu’il était une bonne chose qu’elle se réveille. Ouvrant péniblement les yeux tandis que tous ses sens se remettaient en branle, elle perçut tout d’abord la rumeur feutrée des conversations qui résonnaient sous le plafond de pierre. Puis l’inconfort de la paille sous elle et du sol dallé. Elle reposait sur le flanc et sentait le froid lui caresser la peau là où elle était la plus proche de la pierre. Le poids d’une couverture sur elle et la pression de bandages autour de son torse se rappela ensuite à son bon souvenir et si tout son corps lui hurlait une douleur sourde, elle ne ressentait plus cette brûlure cuisante que le fouet lui avait administré.

Comme chaque fois qu’elle ouvrait les yeux, le monde lui apparut tout en taches de couleurs, en lumières et en ombres. Il faisait sombre, la nuit était sans doute tombée, mais des candélabres avaient été allumés pour permettre de circuler sans se prendre les pieds dans les paillasses occupées ou les paravents. Pour elle, la lumière des bougies ressemblait à des petites sphères lumineuses jaune et tressautantes.
À la périphérie de son champ de vision, une ombre imposante lui fit relever quelque peu la tête. Quelque se tenait assis là, juste à côté. Elle ne distinguait que le contour de son corps, à contre-jour. Une odeur de plantes écrasées lui chatouilla le nez et elle reconnut parfaitement le parfum.

Cesare… Pourquoi est-ce que tu sens toujours le baume aux herbes ? demanda-t-elle dans un murmure qui aurait été inaudible sans le silence de la pièce.
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MessageSujet: Re: La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]   La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] EmptyJeu 4 Juil 2019 - 23:02
L’amertume ne quitta plus la bouche du triste sir depuis cet incident. Les fidèles du Temple le virent moins présent que d’habitude et quand il faisait son apparition, il avait l’air absent, pensif, avec ce regard que les plus talentueux liseurs de visages pouvaient attribuer à ceux qui ruminaient de sombres pensées. Toujours enthousiaste à l’idée de mener des chants religieux de glorification des Trois la nuit, ces derniers temps il rechignait poliment à la tâche et se contentait de participer avec le reste de ses collègues sur un ton monotone et presque mélancolique. La plupart des frères et sœurs ne remarquèrent pas ce léger flottement de caractère qu’arborait le prêtre, après tout il continuait à exercer ses fonctions paisiblement et surtout efficacement. Mais les plus attentifs et les plus perspicaces avaient clairement ressentit ce petit quelque chose de différent sans pour autant oser en demander la cause au jeune homme. Son sérieux était de notoriété publique et on préférait éviter de lui donner l’impression qu’il était en état de faiblesse, comme une torche qui s’usait petit à petit, une flammèche tremblotante. N’importe qui l’imaginait bien redoubler fanatiquement d’ardeur jusqu’à en mourir. Un zèle dangereux, comme une bougie brûlant si fort que la cire qui la composait s’écoulait comme une marrée blanchâtre, futur linceul d’une dernière étincelle aveuglée.

Parfois, quand il croisait le regard d’un citoyen venu se recueillir, il se surprenait à chercher à déceler dans son propre reflet sur les pupilles insouciantes une quelconque preuve de sa propre noirceur, un détail sur son âme, quelque chose que seuls les miroirs d’un être vivant pouvaient refléter. Il cherchait à voir un visage défiguré, un sourire de squale garni de crocs acérés, des cornes noires, une langue fourchue crachant des flammes. Mais seul son visage morne et désabusé lui rendait un sourire de circonstance, sans joie, sans émotion, statue mortuaire de sel. Rien n’indiquait qu’il était ce qu’elle pensait de lui et pourtant ses paroles le hantaient encore comme la malédiction d’une sorcière le harcèlerait.

Les choses ne s’arrangèrent guère pour lui. Son humeur fracassante fut telle les jours suivants que Cesare décida de s’enfermer à nouveau dans une pièce que les prêtres connaissaient que trop et préféraient éviter sa simple vue tant l’implication même de ce qui se cachait derrière la porte métallique avait de quoi faire frissonner les plus audacieux. La chambre était spacieuse mais nullement décorée. Sur le mur faisant face à la porte était taillé, avec un réalisme troublant, une sculpture représentant un cortège de martyrs levant les bras au ciel, leurs corps meurtris et les larmes et leurs bouches suppliantes, attendant la merci d’une volute de granit dont les vagues lisses et finement taillées représentaient le ciel où les Dieux trônaient. Un rappel de l’importance vitale de la foi en temps de doute et de malheurs. Un rappel que les Divins observaient toujours. Un rappel que des hommes et femmes ont trouvé dans leurs peines les réponses à leurs questions.

La chambre de la douleur, la salle de la pénitence, lieu de méditation et de quiétude pour Cesare, refuge de son esprit tourmenté, tribunal où son âme est mise à l’épreuve et où sa chair est jugée par chaque lacération. Le martinet tremblait entre ses mains, un fin filet carmin s’écoulant le long du manche en bois, de légères perles vermeilles suintant du bout des lanières de cuir devenues écarlates, formant de complexes arabesques rouges sur le sol d’obsidienne aussi glacé que la caresse de l’acier. Une buée épaisse se formait devant les lèvres haletantes de l’ascète après chaque respiration, pénible, douloureuse, difficile, exaltante. Un long grognement résonna à travers les murs de la cellule quand son dos l’élança à nouveau, des entailles sanglantes venant épouser d’anciennes cicatrices roses et lisses, zébrures contrastant avec la pâleur de sa peau. Ne portant pour seul attirail que son pagne maculé de pétales rouges, la fraîcheur de la salle lui arrachait de longs frissons qui faisaient secouer son corps autant de froideur que par la douleur qu’il faisait sienne.

« Mon sang est mon offrande. »

Le fouet cingla l’air dans un claquement sonore avant de percuter le corps meurtri, ajoutant une nouvelle marque sur le clerc. Nouveau grognement de douleur, son souffle s’accélère à nouveau mais le martinet ne quitte point son poing serré à en faire éclater ses veines visibles.

« Mes blessures sont mon testament. »

Les lianes de cuir mordirent encore, insatiables, impitoyables. Les épaules s’arquèrent, la flaque nourrissant le sol s’élargissait un peu plus d’une nouvelle offrande. Les mots qui sortaient de ses lèvres humides d’une salive collante de par sa soif résonnaient avec une force désespérée, un calme troublant tel celui qui, sur son lit de mort, accepte enfin son destin. Sa main se leva à nouveau pour asséner un coup.

« Ma douleur est mon sacerdoce. »

Nouveau claquement. Nouveau grognement. Toujours plus de sang et de sueur, mêlées en perles lourdes et faisant luire la peau du martyr. Il leva doucement la tête vers le plafond, inondant ses poumons de longues goulées d’air frais, ses cheveux libres collés à ses épaules, à son visage étrangement en paix. Ou était-ce du déni ?

« Mon fardeau est ma délivrance. »

Puis ce moment spirituel fut troublé par le timide son d’une main tapotant sur la porte de fer. La voix d’un jeune disciple résonnait à travers les barreaux d’une meurtrière, puis un bout de parchemin fut soigneusement glissé sous la porte avant que l’ombre ne s’éclipse rapidement. L’homme se releva avec une prestance naturelle, reposant cérémonieusement son outil de pénitence sur un socle dédié à cet effet avant de s’approcher du bout de parchemin enroulé, évitant de glisser sur les marches humides de son propre sang. Sans se soucier de maculer le papier avec ses doigts rouges, il déroula le message et le consulta d’un regard vide, son visage n’affichant aucune émotion à mesure que les mots défilaient sous ses yeux. Un petit rire s’échappa de la commissure de ses lèvres, la limaille de ses dents étincelant derrière le corail. Le Destin était un mesquin joueur et cette lettre était l’ultime pied-de-nez. Il froissa le parchemin entre ses doigts, mordant la chair de ses joues entre ses molaires jusqu’à sentir le goût cuivré envahir sa langue. La souffrance qui parcourait son corps, à cet instant précis, semblait futile en comparaison avec le sentiment de parfaite impuissance face à la fatalité d’une destinée implacable. Passant sa main le long de son visage souillé, il écarta les mèches rebelles qui troublaient son champ de vision et se dirigea vers le petit tabouret où sa robe était soigneusement pliée, accompagnée d’une bassine d’eau, d’un bout de tissu et d’un bol en céramique d’herbes médicinales broyées. Les visages des martyrs, eux, le regardaient dans silence d’outre-tombe, leurs yeux de marbre le fixant avec condescendance … partageant une souffrance qui n’a eu de cesse d’être héritée par les fils de la Trinité.

Eternellement.


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Chaque perle de son collier formait une prière. Les plus vieux ecclésiastiques ou ceux dont la mémoire commençait à faillir s’en servaient pour compter les versets cérémoniaux, d’autres s’en servaient comme un rituel personnel et un moyen de garder une forte concentration. Pour Cesare, chaque petite bille de jade qu’il glissait entre son pouce et son index était une étoile dans le firmament de l’obscurité qui enveloppait celle qui sommeillait à ses pieds. Une âme entre deux mondes devait sans doute expérimenter une errance étrange et obscure dans un labyrinthe cosmique qu’aucun ne pouvait décrire. On racontait que seuls les fous parvenaient à voir cette dimension de délire et d’astres en collision, au point que leurs esprits furent à jamais mutilés par la puissance d’une vision qu’ils ne pouvaient supporter. Ombeline marchait-elle déjà dans cet outre-monde ? Pouvait-elle entendre le son de sa voix, ses murmures qui résonnaient comme un requiem, un appel au salut, une recommandation de l’âme vers le domaine céleste ?

La faible voix de la convalescente le surprit si bien qu’il arrêta net le mouvement expert de ses doigts et sa litanie mélancolique. Vivement, il enroula le collier autour de sa main gauche et posa ses deux mains sur ses jambes, le dos arqué et son bassin à peine installé sur le petit tabouret fort inconfortable qui lui rappelait la dureté de son existence. La question était somme toute mondaine mais eut le mérite d’estomper légèrement la torpeur qui environnait les lieux comme un écran funéraire. S’humectant les lèvres, il répondit sur le même ton que la brune :

« J’ai toujours pensé que la senteur de l’encens devait me coller à la peau en sachant que je ne m’affuble d’aucune forme de parfum, mais je ne doutais pas que c’est mon cataplasme qui trahirait ma présence. Il faut bien que je prenne soin de mes propres blessures, même si elles sont infligées par ma propre main. Nous mortels avons un corps souvent agité et porté vers la rébellion, entraînant l’ébullition de notre esprit. Se châtier est un excellent exercice de discipline de soi, une purge de tous les vices pour l’âme et un … »

Se rendant compte que ce n’était pas le bon moment pour entrer à nouveau dans de longs éloges passionnés sur ses pratiques peu orthodoxes de la religion, il se pinça les lèvres et porta plutôt son regard vers les chandeliers plus loin, les petites flammèches dansant au rythme ancestral et mystérieux d’une musique qu’elles seules pouvaient entendre.

« Maintenant que j’y pense, je n’ai jamais pensé passer une nuit aux côtés d’une femme. Dit comme ça, beaucoup s’imagineraient des choses, mais nous savons tous deux que rien de ce qui nous arrive à nous n’est ordinaire, banal ou tout simplement normal. Je me souviens que la nuit de notre première rencontre, je venais justement d’appliquer mon baume sur mes plaies.»

Et maintenant leur dernier moment se terminera à peu près comme leur rencontre première. Les Dieux avaient décidément un sens poétique dans le vaste dessin des courbes du destin de leurs créations.
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MessageSujet: Re: La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]   La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] EmptySam 13 Juil 2019 - 16:05
À mesure qu'il lui faisait le détail des bienfaits d'une autoflagellation, Ombeline sentit un sourire se dessiner sur ses lèvres. Ce n'était certainement pas la réponse qu'elle avait imaginée mais elle allait sien bien à Cesare... Un étrange sentiment de paix et de tranquille bonheur lui apaisa le cœur tandis qu'elle inspirait un peu plus profondément pour gorger ses sens de l'odeur qui l'avait réveillée. Il était triste de savoir pourquoi ce parfum accompagnait si souvent le prêtre, mais la fragrance en elle-même était agréable. Ou du moins la jeune femme la trouvait-elle plaisante.
Comme s'il avait lu dans ses pensées encore fiévreuse, Cesare revint sur cette première rencontre explosive au détour d'un couloir. Il avait suffi de quelques mots pour qu'ils s'échauffent l'un et l'autre et n'en viennent presque à s'écharper. Une bien étrange façon de faire connaissance et pourtant ils s'étaient revus, encore et encore, de leur plein gré. Les Trois semblaient décidés à faire en sorte que leur chemin se télescopent malgré leur mode de vie radicalement opposé. Son colérique petit prêtre avait raison : rien n'était jamais normal et conventionnel lorsqu'ils étaient concernés.

Alors je suis la première femme avec qui tu passes une nuit ? J'aurais aimé la rendre plus agréable, excuse-moi, lui répondit-elle avec un sourire. J'espère que tu m'accorderas une chance de me rattraper, tu veux bien ?

Ombeline avait chaud et se sentait faible, mais plus que tout elle se sentait enfermée. Depuis combien de jours était-elle allongée là, sans aller nul part ailleurs que dans ses cauchemars ? Les guérisseuses avaient lavé son corps et ses cheveux, mais elle n'était pas sortie une seule fois de cette pièce. Malgré son inconscience des derniers jours, son esprit semblait avoir gardé une trace de cette immobilité et il lui démangeait à présent de se lever.
Avec un effort considérable, la jeune femme se redressa doucement pour s'asseoir. Elle voulait retourner à ce qu'étaient leurs conversations, marcher côte à côte sans se sentir diminuée par ce qui lui était arrivé. La fatigue avait le douteux bénéfice de chasser la peur de rencontrer de nouveau le Père Matteo.

Aide-moi à me lever s'il te plaît, je voudrais marcher un peu.

Elle tendit une main pour ne pas lui laisser le choix et s'accrocha à lui aussi fort qu'elle put pour se remettre sur ses deux pieds. L'entreprise ne lui avait jamais semblé si pénible et si lente. Malgré tout le soutient que lui procurait Cesare, elle en fut toute essoufflée. C'était assez triste de constater qu'il en fallait si peu pour que le corps flanche.
Les jambes tremblantes comme un faon nouveau-né et le visage blême, Ombeline semblait néanmoins décidée à prendre un peu l'air. Un pas après l'autre, elle entraîna le prêtre vers la sortie en lui interdisant de protester pour ne pas réveiller les autres malades et blessés.

Je veux juste respirer un peu d'air frais, ça ne sera pas long c'est promis, jura-t-elle pour apaiser la grogne de son accompagnateur.

Comme pour lui donner raison, plus ils s'enfonçaient dans le couloir et plus il semblait à la jeune femme qu'elle se sentait mieux, moins lourde et moins gauche dans ses mouvements. Un bras passé à celui du prêtre pour ne pas tituber, elle accueillit avec un soupir de soulagement le premier courant d'air qui lui courut sur le visage. Il faisait froid sur sa paillasse, mais c'était un froid immobile et pesant. Ses pieds nus ne faisaient aucun bruit sur les dalles du temple.

Il me semble que cela fait une éternité que je ne me suis pas tenue debout. Madame doit être inquiète pour moi, les autres aussi d'ailleurs... Peut-être même que toi aussi, puisque tu étais en train de me veiller ? Recommandais-tu déjà mon âme aux Trois ou priais-tu pour que je me rétablisse ? Je dois avoir l'air faible et misérable si tu en arrives à ce genre d'extrémités.

Un sourire fatigué témoignait de la légèreté des propos qu'elle tenait. Ce n'était pas une dispute qu'elle cherchait, juste quelques taquineries pour dérider un peu son compagnon. Ils parlaient toujours à voix très basse mais elle devinait la gravité de son expression dans ses mots. Que s'était-il reproché cette fois pour devoir se châtier ? Avaient-ils désormais les mêmes cicatrices dans le dos ? C'était plutôt morbide.
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MessageSujet: Re: La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]   La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] EmptyLun 15 Juil 2019 - 23:53
« Je doute que tu apprécie ma compagnie que tu as si souvent critiqué, mais j’apprécie la proposition. »

Bien qu’il imaginât une toute autre façon de passer une nuit agréable. Le réconfort du silence d’une salle de communion, la senteur de l’encens les enveloppant, le murmure monotone de litanies adressées pour glorifier le nom de chaque divinité. Rien ne valait la quiétude spirituelle que chérissait tant le pratiquant.

Rangeant son collier de perles dans une de ses manches, il fut consterné de voir celle qu’on lui avait décrite comme mourante se redresser et quémander son aide. La raison voudrait qu’il la force à garder le lit et reprendre des forces qui, c’était évident, lui manquaient affreusement, mais en ce moment de flottement étrange et presque doux il ne sut comment lui refuser sa demande, aussi le prêtre se redressa pour tendre une main secourable à la convalescente.

« Décidément tu en fais qu’à ta tête, comme toujours. »

Il essaya de ne pas toucher son dos meurtri, son bras se voulant être le support solide sur lequel elle pouvait s’appuyer comme une canne. Si proche de lui, il pouvait à son tour sentir le parfum entêtant d’herbes médicinales qui embaumaient sa peau martyrisée. Cette senteur lui rappelait la pièce où il se libérait du fardeau de la chair et où son esprit s’éclaircissait et se transcendait dans la douleur. Cet étrange parallèle lui donna l’impression qu’une connexion subtile se tissait entre leurs deux êtres ce qui lui donna matière à une longue réflexion à mesure qu’il marchait à tout petits pas à travers les couloirs silencieux et accusateurs du Temple. Le vaste et ancestrale édifice, symbole de la religion des premiers colons de cette terre bénite des Dieux, était envahi d’un surnaturel silence. Les fidèles s’étaient réfugiés dans leurs demeures, les miliciens faisaient leurs rondes nocturnes à travers les sombres et étroites ruelles et les clercs profitaient d’un petit répit pour soulager leurs yeux avant de reprendre leurs services religieux. Seuls ce duo improbable et insolite perçait la solitude des statues dont les yeux de marbre regardaient passer les jeunes humains sans piper mot, éternels témoins silencieux.

Arrivés à l’entrée du cœur sacré de la cité, le prêtre vagabonda des yeux épuisés le long du paysage presque bucolique qui s’étendait devant eux. La nuit, Marbrume semblait comme plongée dans un rêve surnaturel, une quiétude contrastant avec le cauchemar qui rampait contre ses puissantes murailles, tenant en retrait les abominations abandonnées de la Trinité, ces cadavres ambulants qui ne pouvaient espérer la libération de leurs éternels tourments si ce n’est de la main de ceux qu’ils escomptaient entraîner avec eux dans la ruine. Quelques maisons étaient encore éclairées par les timides lueurs de feux, crachotant de paresseuses colonnes de fumée dans l’air nocturne.

« La nuit est une bien capricieuse maîtresse. Elle apporte le réconfort du sommeil et la paix du silence, tout en cachant ce que seule notre imagination peut visualiser de plus terrifiant. Le jour, nous avons le soleil pour faire face à nos craintes. Mais dans ce domaine d’obscurité, on ne peut compter que sur la lumière de notre Foi pour survivre. Enfant, j’étais terrorisé par l’obscurité, surtout quand je ressassais dans ma tête toutes les histoires de loups-garous, vampires et autres engeances démoniaques tendant des embuscades dans les recoins sombres de notre domaine. Marbrume est un orphelinat, un refuge pour tous les fragiles enfants des Trois, un lieu où on se cache à l’abris des monstres qui nous narguent dans la nuit. Ironique. »

On pouvait se demander si Cesare était juste ce genre de personnage à philosopher pour soi-même à propos de tout et n’importe quoi comme si son sacerdoce ecclésiastique animait en lui la flamme du questionnement de l’univers même à la manière des alchimistes en quête de vérité, ou si la perte de sang qu’il s’infligeait ne lui donnait pas un esprit trop volatile et perdu dans le cosmos étoilé qui les surplombait.

« Tout le monde croyait que tu t’engouffrais dans le sommeil éternel et même moi commençait à penser que ne survivrais pas à tes blessures. Tu semblais si fragile, épuisée, à bout. Une fois de plus tu viens contredire toutes mes convictions et me surprendre comme tu sais si bien le faire, à moins que tu n’aies pour vil projet de périr là tout de suite dans mes bras et me laisser pantois et coupable. »

Ses sourires étaient toujours petits, presque timides tant sa face s’était habituée à la mine sévère et inexpressive de ses idoles de pierre ou des grandes figures qu’on trouvait dans les très vieux parchemins de la bibliothèque. L’ascète inspira à son tour une goulée d’air frais et en éprouva un plaisir simple mais revigorant.

« J’ai prié pour ton salut tout comme j’ai prié pour ton rétablissement, les deux me semblent être inséparables comme les deux facettes d’une même pièce. Je n’ai pas besoin de te voir dans un lamentable état pour prier, c’est après tout ma raison d’être en ce monde. Quand les fidèles n’ont ni le temps ni la force d’implorer les divins, j’offre ma voix en service pour porter vos requêtes tel un messager, vers le ciel. »

Lentement, il saisit une de mains de la rose de nuit et déposa sur sa paume moite le collier de perles de jade avant de refermer ses doigts sur cet objet de culte. Gardant le silence, il la laissa examiner du toucher les boules lisses et polies, la fine cordelette de soie, compter leur nombre et peut-être deviner son utilité.

« Je te prêtes mon instrument de prière. Des pèlerins ont donné du cœur et de la piété à l’œuvre pour confectionner ce petit bijou. Sa valeur au marché est médiocre mais spirituellement il vaut des trésors dignes de princes. J’espère qu’il t’apportera bonne fortune et t’aidera à y trouver la sérénité dans la méditation. Peut-être aussi … »

L’homme hésitait fortement à poursuivre cette phrase. Ce qu’il s’apprêtait à dire ne lui ressemblait guère et pourtant il y avait quelque chose d’indescriptible et de très subtil qui lui murmurait de se prononcer, de dire ce qui venait de faire son apparition au cœur de son esprit. Avalant bruyamment une salive inexistante, il ouvrit la bouche sans pour autant piper mot, sa gorge serrée et ses lèvres pétrifiées.

« … tu … ce collier … tu pourras m’avoir à tes côtés quand je ne serais pas là. Je pourrais ainsi veiller sur toi outre les barrières physiques. »

S’humectant les lèvres avant de les mordre entre la limaille éclatante de ses dents parfaitement alignées, il en aurait presque rougi si l’air n’était pas aussi froid que son propre caractère. Sans doute la flagellation lui faisait tourner la tête.
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MessageSujet: Re: La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]   La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] EmptyMer 17 Juil 2019 - 21:45
Si la nuit ne lui offrait à voir que des ombres et de grandes taches grises et bleues, c'était à l'oreille qu'Ombeline devinait où elle se trouvait. L'écho du couloir fit place aux vibrantes résonances d'une salle plus vaste, au plafond éloigné. Où que l'ai emmené sa promenade, elle était désormais seule avec Cesare et loin de sa paillasse encore trempée de fièvre. La tête lui tournait, mais elle avait l'impression de peiner un peu moins à rester debout qu'au sortir de la salle des infirmes. Peut-être la laisserait-on regagner rapidement la Balsamine ? Un bouillon chaud préparé par Dom ne pourrait que lui faire du bien et la requinquer.
Ce fut cette pensée rassurante que le prêtre à ses côtés interrompit. Elle n'osa pas renchérir, mais appuya un peu plus sur son bras pour signifier son empathie : elle aussi craignait le noir, même si c'était pour d'autres raisons. Elle se permit tout de même un rire bref et étouffé lorsqu'il la suspecta de s'apprêter à mourir sur l'instant. Comment, était-elle sournoise à ce point ? Ce serait un vilain tour à lui jouer, lui son veilleur attentif et plus dévoué qu'elle n'aurait pu l'imaginer.

À bien y songer, la jeune femme trouvait remarquable que Cesare lui accorde tant d'attention et de temps. Certes ils avaient conversé plus d'une fois et c'était sans aucun doute grâce à lui qu'elle était toujours en vie, mais il devait y en avoir d'autres des fidèles avec qui il pouvait parler. D'autres âmes en détresse qu'il avait sauvées du gouffre, d'autres jeunes filles éplorées qu'il avait rassurées de quelques versets bien trouvés, d'autres infortunés pour qui il avait prié. Malgré certains aspects pour le moins rigides et durs de son caractère et de sa doctrine, c'était un homme dévoué au bien et aux autres. Pourtant la fleur de trottoir avait le sentiment qu'il lui accordait un peu plus encore.
Ou peut-être se berçait-elle d'illusions, encore prise d'un délire causé par ses blessures. Peu d'hommes la considérait comme autre chose qu'une aimable créature aux charmes faciles à obtenir et lorsqu'ils étaient gentils avec elle, c'était bien souvent parce qu'ils étaient aussi des clients ou parce qu'ils allaient bientôt le devenir. Ça ne la dérangeait pas outre mesure, néanmoins elle trouvait qu'une attention bienveillante qui n'attendait rien en retour avait plus de valeur encore. Cesare n'attendait rien d'elle, ou du moins rien de semblable à ce que les autres attendaient. Et c'était nouveau. Rafraîchissant.

Merci d'avoir prié pour moi. Même si c'est ton travail.

Docile, elle le laissa lui prendre la main pour y glisser un chapelet de perles. Les billes étaient froides au toucher et parfaitement lisses, le bruit qu'elles produisaient en s'entrechoquant était agréable. La jeune femme referma main dessus et fit rouler toutes les perles au creux de sa paume pour les entendre chanter.
Inconsciemment, le visage d'Ombeline s'éclaira d'un sourire. Un cadeau pour prier, c'était bien le genre du prêtre. Mais c'était un outil de prière élégant, presque ludique et elle devina qu'il devait aussi avoir un certain charme esthétique. Combien de fois déjà avait-il tourné entre les doigts de son compagnon lors de ses longues séances de dévotion aux Trois ? Elle fit rouler une bille entre son pouce et son index comme pour lire à sa surface, du bout des doigts, tous les secrets qu'elle renfermait.

Je te prête mon instrument de prière. Des pèlerins ont donné du cœur et de la piété à l’œuvre pour confectionner ce petit bijou. Sa valeur au marché est médiocre mais spirituellement il vaut des trésors dignes de princes. J’espère qu’il t’apportera bonne fortune et t’aidera à y trouver la sérénité dans la méditation. Peut-être aussi …

La belle-de-nuit releva la tête pour le chercher dans la pénombre environnante. Cette hésitation d'une seconde et demie sembla durer trop longtemps.

… tu … ce collier … Tu pourras m’avoir à tes côtés quand je ne serais pas là. Je pourrais ainsi veiller sur toi outre les barrières physiques.

Un silence flotta entre eux, l'espace d'un instant. Ombeline battit des cils, incertaine de ce qu'elle venait d'entendre et surtout, de ce qu'impliquait un tel cadeau. Était-ce encore la fièvre qui lui faisait comprendre de travers ? Mais non, il venait bien de lui remettre quelque chose pour qu'elle puisse penser à lui, même après son départ du temple.
Quelque chose sembla remuer dans sa poitrine, sous les couches de bandages.
La jeune femme referma à son tour sa main sur celle du jeune prêtre.

Moi aussi, j'ai quelque chose pour toi, souffla-t-elle simplement sans créer d'écho dans la vaste salle de pierre.

La forme floue d'un banc de prière lui apparaissait nettement à leur gauche et elle l'y entraîna avant de se hisser dessus, les jambes un peu flageolantes mais visiblement déterminée à se trouver plus haute que lui d'une bonne demie-tête. Les mains posées sur les épaules de Cesare pour garder l'équilibre tout en l'enjoignant à rester tout près d'elle, Ombeline put se pencher et lui embrasser le front avec douceur avant de rabattre quelques cheveux rebelles derrière son oreille.

J'en prendrai soin. Et je te le rendrai une fois que je serai guérie, de cette façon tu penseras aussi à moi et au chapelet que je te devrai.

Sans doute dans un accès de fatigue ou peut-être troublée par le cadeau qu'il venait de lui faire, elle s'autorisa même à lui caresser la joue.

Et je veux te demander pardon d'avoir été injuste avec toi : je sais que tu n'as pas souhaité mon malheur. Malgré tes mots de colère parfois, tes intentions ne sont jamais cruelles ou malfaisantes. Tu as bon cœur, Cesare. Je t'ai accusé à la place d'un autre car j'avais peur et j'avais mal... Je me suis retournée contre toi alors que tu m'as sauvée et pour ça, je te demande de me pardonner.

Elle esquissa un petit sourire contrit qui se fana rapidement sous l'effet d'un vertige soudain qui lui coupa le souffle. Son corps réclamait une trêve, il était temps pour elle de retourner se coucher. Elle redescendit de son perchoir en tremblant, le pied un peu moins sûr et le teint un peu plus pâle, mais serrant toujours dans sa main le chapelet de perles qu'il lui avait donné.

Je crois qu'il est temps de retourner dormir... dit-elle d'une voix éteinte, la tête dodelinant un peu d'avant en arrière. Maintenant je devrais pouvoir faire de beaux rêves.
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MessageSujet: Re: La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare]   La honte en offrande et la douleur en pénitence [Cesare] EmptyDim 4 Aoû 2019 - 19:24
Son … cadeau, s’il on peut le qualifier ainsi, semblait beaucoup plaire à celle qu’on pourrait sans trop de doute qualifier de protégée, à en juger par le timide sourire qui éclaira ses traits fatigués. Ce simple signe se révéla être tendrement contagieux, le prêtre souriant à son tour à mesure que les inquiétudes qui avaient animé son esprit à l’égard de la petite rose nocturne s’estompaient. Elle n’allait pas succomber et se faner comme une fragile fleur, elle survivrait et se battrait pour surpasser la douleur qui enveloppait son corps. Les Trois étaient décidément formidables au point de donner la force à une fragile créature en apparence, sans doute lui réservaient-elle un destin particulier. Qu’importe, elle avait fait la promesse de lui remettre son chapelet quand son corps aura recouvert toute sa force et il ne pouvait souhaiter autre chose en cet instant de paix.

Satisfait, il obtempéra presque docilement quand elle souhaita l’attirer près d’un banc. Elle devait être sans doute bien épuisée, ses jambes tremblaient encore et il se rendait compte que c’était fort discourtois de sa part de la laisser se reposer sur ses maigres forces pour se soutenir. Néanmoins ses attentions étaient toutes autres puisqu’elle grimpa maladroitement sur le support de pierre, prenant de court le clerc qui s’apprêtait à reculer légèrement tant la posture pouvait animer bien des rumeurs si jamais un passant tardif venait à les surprendre, en particulier dans un lieu aussi exposé que l’entrée du Temple qui surplombait le quartier dans sa majestueuse stature. Pourtant il ne pouvait se dérober et la laisser s’effondrer comme une tour en ruine, surement pas maintenant qu’elle avait les mains posées sur ses épaules avec fermeté. Mais que cherchait-elle à faire ? Par les Dieux Miséricordieux, si elle venait à lui proposer à nouveau une de ses idées tordues et indécentes, il allait en perdre la raison.

Puis vint la sensation étrange, tendre, douce, soyeuse, inédite. Son front avait à peine été effleuré par les lèvres de la demoiselle qu’il sentait déjà sa peau gagner en température, à croire que son sang bouillonnait soudainement. Il cligna des yeux une fois, puis une seconde fois, n’osant guère lever son regard pour faire face au visage de la convalescente. Un tourbillon d’incompréhension venait d’emporter son caractère stoïque. Pour la première fois depuis des années, le prêtre Cesare avait été déstabilisé, poussé hors de ses fermes positions comme une tempête aurait eu raison d’un arbre centenaire. En temps normal il se serait révélé calme et imperturbable, aurait doucement repoussé la jeune femme par mesure de pudeur religieuse quelque peu excessive avec un sourire condescendant. Rien ne l’avait préparé à ça et il ne put réagir, immobile comme une statue de sel, une victime du regard d’une gorgone perdant soudain sa malédiction de pétrification à mesure que quelque chose au fond de lui se réveillait.

Quand Ombeline parla, l’homme reprit contact avec la réalité et releva la tête. Il espérait qu’elle n’avait pas deviné son expression perdue aussi essaya-t-il de reprendre contenance en tirant légèrement sur le col de sa robe.

« N’en parlons plus, je n’ai aucune rancœur contre toi. Les Dieux ont répondu à mes prières en te donnant une chance de te redresser malgré tes blessures, je peux donc dormir sereinement. Je tiendrais quelques mots à nos hauts dignitaires au sujet de ton agression afin que ce genre d’incident ne se reproduise jamais, il serait fort regrettable que tu abandonnes tes visites au Temple à cause d’une brute. »

Le Temple devait être un refuge pour toute âme tourmentée, même les plus dérangées et souillées. C’était le sanctuaire où l’individu venait se purifier, abandonner ses vices comme on plongerait dans un lac à l’eau cristalline pour se débarrasser de la crasse qui entachait notre corps. Ce havre de paix ne pouvait souffrir d’un comportement aussi déplorable que celui du père Matteo qui, si ses intentions pouvaient avoir une certaine justesse, laissait trop ses sentiments prendre le contrôle sur sa raison. Un prêtre responsable se devait d’être l’étendard de la bonne conduite, la discipline et la retenue et non un exemple de brutalité aussi peu honorable que celle d’une foule de badauds en colère chassant une hypothétique sorcière dans leur quartier miteux et délabré. Amusant de savoir qu’il n’y a pas longtemps il partageait la même réticence envers les pécheurs que Matteo, son esprit foisonnant de préjugés et autres stéréotypes sur ces gens indécents, ces incongrus personnages distillant la maladie et la mauvaise hygiène aussi surement que les rats et les vermines des égouts de la cité. Cesare progressait sur un point de vue social, apprenant à laisser de côté ses idées reçues pour laisser son cœur le guider vers la voie de la Trinité, un exercice pas aussi difficile qu’il ne l’avait cru au passé. En soit, il avait eu l’aide indirecte d’une certaine brune au tempérament des plus capricieux.

Tendant la main, il aida Ombeline à quitter son piédestal pour l’accompagner dans la chaleur réconfortante du vaste édifice religieux, abandonnant la froideur de l’air nocturne au profit de la lueur agréable des torches et des cierges si soigneusement ordonnés. Un chant se faisait entendre plus loin, celui des disciples célébrant la gloire des Dieux dans une cérémonie privée. Leurs chants se réverbéraient agréablement à travers les Ô combien immenses arcs formant le tunnel du Grand Hall, les échos résonnant avec la même sonorité victorieuse que celle de mille instruments. Le prêtre sentait son esprit se recouvrir d’un doux baume, enfin réconforté. La semaine fut âpre et difficile mais la clémence des Trois n’était jamais bien loin, ces derniers veillaient toujours sur leur protégé et récompensaient sa patience et son abnégation avec ces petits moments de spiritualité qui comblaient son âme de pratiquant pieux et dévoué. Après avoir recouché la petite fleur-de-nuit sur sa couche, il se permit un dernier sourire avant de quitter discrètement la pièce. Voilà longtemps qu’il n’avait pas joint sa voix à celle des chanteurs dans une cérémonie. L’idée de glorifier les Dieux avec ses frères lui donna des ailes et, cette nuit, on pouvait entendre père Cesare chanter louanges et versets avec un zèle des plus passionnés.
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