Connaître pour savoir [Victor]

Le mariage officiel, il était désormais temps de déménager. Madame allait prendre ses quartiers chez le comte. Evidemment cela demandait le déplacement de nombreux objets. Pendant que la nouvelle Comtesse s'occupait à ses affaires, nous fûmes, ses quatre domestiques mandatés par elle pour nous occuper du déménagement et de l'installation.

Même si nous avions un sentiment peu flatteur à l'égard de l'époux de notre Maîtresse, nous ne pouvions guère nier le luxe de la demeure Rougelac.
Tout était fort grand, fort jolie et fort riche. Bien-sûr, des mots qui valaient pour les pièces destinées à la noblesse, car les appartements pour nous autre étaient des plus simples.
Agréable, mais loin du faste du reste du foyer.

Bref, je passais actuellement mes jours à cela, à faire le chemin entre l'ancien et le nouveau lieu de vie. Il y avait un peu de mélancolie, et de peine dans nos gestes.
Taciturne comme à mon habitude, j'écoutais mes camarades récitaient quelques anecdotes. Il fallait dire que nous étions un petit groupe soudé à l'ambiance des plus joviales.
Mon caractère me mettait un peu à l'écart, mais je me soignais, même si les blessures du passée ne guériraient jamais.

Dans une pièce qui m'était destinée pour mon atelier je commençai le rangement. Un instant je m'arrêtai pour remettre sous ma chemise le pendentif que m'avait offert la Prêtresse Kristina. Un objet qui avait un certain pouvoir sur moi, le regarder me donner du courage et m'apportait également un certain réconfort.
Oui mon travail de domestique valait mieux que la rue, surtout avec une employeuse comme Madame de Rougesoleil, mais il m'arrivait parfois de regretter la liberté d'avant.
Alors, moi, dont l'envie de vivre n'était plus que ruine au fond de mon âme trouvais en regardant ce bijou une lumière bienveillante.

Sur une étagère je disposai les souliers de la Comtesse en prenant le soin de mettre légèrement sur le côté celles dont je devais m'occuper pour quelques réparations ou pour simplement les cirer. Je soupirai sans savoir si c'était avec amertume ou émerveillement en pensant qu'une seule paire suffirait à payer ma solde durant de nombreux mois.
Le luxe était présent, et pour mon talent et imagination c'était là une satisfaction de la servir puisque le temps m'avait montré qu'elle appréciait l'extravagance et faire des ravages par ses tenues.

J'essayai de rendre à cette pièce l'âme que j'avais pu donner à celle que j'occupais chez la nouvelle Comtesse, un travail qui demandait beaucoup de minutie mais qui me divertissait.
Soudain ce fut les escarpins en verre que j'attrapai. Une oeuvre d'art, disait ma Maîtresse. J'esquissai un sourire en repensant aux efforts pour les fabriquer. Ce fut ensuite la fierté qui illumina ma mémoire. Le talon était quelque peu usé, mais rien de dramatique...

Je les posai dans un endroit discret, sachant parfaitement que pour Madame, ces escarpins faisaient référence à un funeste jour.
Avant de poursuivre j'attrapai un chiffon et me mit à nettoyer un étage du meuble avant de poursuivre l'installation...

Qui disait "Mariage" disait "Grand bouleversement" au sein du Manoir du Comte de Rougelac, ce qui incluait donc son lot de bonnes et mauvaises surprises. La Comtesse n'avait pas mit bien longtemps à faire ses valises, à peine quelques jours d'ailleurs avant que n'apparaisse dans la cours extérieur tout un cortège de petites mains allant et venant avec les effets personnels d'Adélaïde. Si le mondain était fort occupé ces derniers temps dû fait de nombreux impératifs professionnels, il avait pourtant mit un point d'honneur à être présent pour accueillir le petit personnel de la Baronne de Nerra. De son point d'observation, il scrutait les allées et venues, il reconnu d'ailleurs la dame de compagnie de son épouse en la personne de Bathilde, une demoiselle qu'il fallait surveiller, mais également un discret jeune homme qui se démarquait étrangement de ce défilé de domestique. Perplexe, Rougelac se frottait le menton, tout ceci faisait beaucoup de bouche à nourrir et il fallait surveiller plus que jamais les dépenses, même si la dote qu'il venait d'obtenir lui laissait un matelas confortable. Laissant une certaine émulsion gagner les murs de la demeure, Victor n'interféra pas, laissant le déménagement se dérouler sans encombre même si l'anxiété gagnait son esprit. Après tout, depuis Aalicia Calderan, aucune femme n'avait prit possession des lieux et cette fois-ci le statu de celle qui allait vivre sous son toit était des plus officiel et légitime, nul doute que la donzelle allait marqué de son emprunte les murs du manoir.

Retournant à ses obligations, il laissa donc le calme regagner les couloirs de la résidence, s'afférent à provisionner les dépenses de fonctionnement du Manoir après cette drastique réorganisation. Ce ne fut que lorsqu'il n'entendit plus aucun bruit à l'extérieur qu'il se décida à quitter son office pour aller fouiner de ci de là et voir ainsi l’ampleur du chamboulement. En tant que Dame de goût, Adélaïde allait certainement redécorer les lieux et c'était après tout une bonne chose se disait le Comte qui arpentait les couloirs avant de s'arrêter devant une pièce où semblait lui parvenir des bruits suspects. Un bref coup d’œil par l'encadré de la porte et son regard fut attiré par ce fameux jeune homme en train d'agencer et faire le ménage sur des étagères. Une pair de souliers attira son attention, intriguant le mondain qui se décida finalement à entrer dans ce qui semblait s'agencer comme un atelier, glissant discrètement dans le dos de l'individu en signifiant sa présence par un léger raclement de gorge.

- Bonjour jeune homme.

Le laissant se retourner, il le scruta de bas en haut avant de s'exécuter à quelques pas vers la fenêtre, les mains jointes dans son dos, offrant un port altier dans sa tunique de brocard lie de vin qu'il portait ce jour.

- Le déménagement de votre maîtresse de déroule sans encombre ? Je me permet de vous importuné et vous l'aurez comprit, je suis le Comte de Rougelac.

Il l'observa du coin de l’œil, son regard se faisait perçant, presque inquisiteur.

- Vous êtes aux services de la Dame de Rougesoleil depuis longtemps dites-moi?

Reportant son attention sur l'étagère, il s'attarda sur les pair de souliers disposés à la suite avant de reprendre.

- De belles œuvres que voila. Rappelez-moi votre situation auprès de la Comtesse ?

Biensure, Victor n'était qu'au début de son interrogatoire. Chercher à cerner les nouveaux occupants de son Manoir lui était indispensable, peu désireux de voir la domesticité troubler la quiétude de son antre dont les cartes venaient d'être quelque peu redistribuer. L'absence de son épouse pour l'heure était une aubaine, une occasion à saisir pour affirmer sa position.

Sur un petit bureau simple je pliai quelques torchons, et quelques croquis de mes futurs projets. Certains réalisables, d'autres tenant certainement plus de la fantaisie comme le fut celui des souliers de verre, jamais je n'aurais cru avoir le savoir et le génie pour les confectionner avec une telle précision. Alors cette fantaisie, le futur me permettrait peut-être d'en faire une réalité.

Je disposais d'un espace plus grand qui me permettrait sans doute d'empiler du désordre à l'avenir, j'en souriais presque en regardant ce qu'il me restait encore à faire avant de pouvoir affirmer être bien installé.
Une étagère était déjà fort bien garnie, sur laquelle j'avais offert une place d'honneur à la paire qui tenait le plus à coeur à Madame, celle qu'elle tenait de sa soeur et dont elle m'avait commandé d'y prêter une attention toute particulière.

Soudain, une voix m'interrompit. D'un mouvement rapide tenant d'un réflexe naturel dans ce genre de circonstance je remarquai à la tenue que cette personne n'avait rien d'une petite main.
Très vite il se présenta et ses mots m'indiquaient qu'il connaissait déjà ma fonction de domestique de Dame de Rougesoleil, son épouse, car aussi venait-il de se présenter avec une prestance tout à fait digne de son rang.
Discrètement j'essayai de fermer le bouton du col de la veste de ma livrée comme pour avoir l'air plus présentable.
Puis il y avait le regard puissant du comte qui ne m'aidait pas à me rassurer bien que comme toujours je gardais une silhouette et un air rêveur, une nonchalance fragile et belle qui combinée à la couleur de mes cheveux ne pouvait que renforcer les mauvaises pensées sur les gens comme moi.

-" Enchanté de vous rencontrer Monsieur le Comte. Ce n'est rien..." dis-je d'un ton monocorde et bas masquant parfaitement un peu d'hypocrisie le sentiment que m'inspirait le noble, source du malheur de ma Maîtresse.
-" Il me semble en effet que tout se déroule à merveille, quant à moi je n'ai pas à ma plaindre. " poursuivis-je en m'efforçant de gagner en assurance.
-" Comme vous pouvez le deviner, je suis un domestique de votre épouse, mon passé de petit cordonnier spécialisé pour les Dames fait que, il y a de cela peu de temps, Madame ma Maîtresse m'ait fait l'honneur de m'engager pour m'occuper de ses souliers, mais aussi pour des tâches ordinaires. "

Ensuite je pris la paire qu'il venait de regarder, celle du mariage...
-" Merci pour le compliment. Il fallait bien cela pour un tel événement." achevai-je naïvement en évitant au mieux de commettre un impair qui pourrait salir l'image de Madame.

S'il avait quelque peu prit au dépourvu le jeune homme au service de son épouse, Victor constata que Robin n'avait pas pour autant perdu en assurance. Rajustant sa veste, le domestique fit face à son interlocuteur pour lui donner la réplique en maintenant son rang sans commettre le moindre impair. Quelque soit son attitude, faux semblant ou sincérité, tout portait à croire qu'il n'avait pas été choisit par la Dame de Rougesoleil par hasard. Au delà de ses compétences qu'il mit naturellement et sobrement en avant, il semblait posséder un caractère certes réservé mais qui correspondait bien aux attentes de son épouse. Se méfier de ce personnage semblait raisonner d'évidence dans l'esprit du mondain, mais pourtant ce dernier appréciait justement ce genre de facette chez les gens. Acquiesçant donc volontiers, Rougelac décortiquait méticuleusement chaque mot, chaque geste du jeune homme pour en arrivé à la conclusion qu'il entretenait une place un peu particulière dans l'entourage de la Baron de Nerra.

Le suivant du regard tout du long, Victor s'attardait donc sur les souliers de mariage que le domestique avait saisi, laissant ainsi le sentiment au Comte que son interlocuteur était passionné par son métier et vouait une grande admiration pour sa maîtresse. Se désintéressant quelques instant de Robin, Victor examina l'ensemble des autres œuvres qu'il avait exposé et alors qu'il lui tournait le dos, le sang bleu reprit la parole sur le même ton monocorde de son vis à vis.

- Son choix ne m'étonne guère. C'est une Dame de goût et je ne puis qu'espérer que vous continuerez à la service à la hauteur de son rang et de sa personnalité.

Il se retourna alors pour le fixer du coin de l’œil, offrant alors une mine pensive au jeune homme en renforçant cet effet par une main venant frotter sa barbe soigneusement entretenue.

- Pouvons-nous parler sans retenu ? je dois vous avouer une chose, ce changement de vie pour moi-même et la Comtesse implique quelques obligations. Combien de domestiques accompagne en ma demeure ma Dame ? Vous n'êtes pas sans savoir qu'il n'y aura peut être pas de place pour tout le monde et j'aurais besoin de votre avis pour prendre quelques décisions en ce sens. Certes, je ne puis me séparer de sa fidèle Dame de Compagnie, demoiselle Bathilde et vous semblez également proche d'elle. Pourtant... les places vont être cher et nous ne pouvons nous permettre de folles dépenses.

Il se rapprocha alors du jeune homme, penchant légèrement la tête pour le fixer sous un autre angle, donnant l'allure d'un fin prédateur au regard perçant.

- De quelles tâches ordinaires vous vous chargiez ? Le Manoir est un peu plus vaste que votre ancienne demeure et je dois avoir toute confiance en mes domestiques puisque naturellement, par la force des choses, suis-je également votre employeur.

S'offrant alors le luxe de rajuster le col de la veste de Robin bien qu'impeccablement plié, ce n'était qu'une forme de mise en scène dont raffolait le mondain, Victor rajouta.

- Vous semblez fort bien éduqué et être un jeune homme dévoué, c'est tout à votre honneur. Vous aurez le loisir d'exprimer vos talents, soyez sans crainte, seulement dite moi... qui d'après vous ne mérite point cette chance dans l'entourage de votre maîtresse ? Mettez moi dans la confidence et je serais reconnaissant de vos efforts.

Il recula alors de quelque pas, prenant la direction du bureau où le domestique venait de soigneusement plier quelques croquis pour s'emparer de l'un d'eux, faisant mine de s'y intéresser non sans conclure son intervention.

- Vous êtes sans aucun doute fidèle à mon épouse et vous vous souciez donc de son bien être. Je suis également soucieux du sien et qu'elle se sente ici chez elle, mais... pour ce faire, je dois être informé de toute chose qui pourrait lui nuire, directement ou indirectement... pourrais-je compter sur vous, même si je le sais vous garderais bien des secrets qui ne regarde que vous et elle ?

A en croire les gestes, et les mots du Comte, ce dernier semblait apprécier la qualité de mon travail. Un métier qui suscitait souvent railleries que je parvenais à montrer comme un art. A dire vrai, cette idée là avait de quoi de me plaire. Si seulement mon âme et mon coeur n'avaient pas perdu leur éclat nul doute que cette pensée aurait fait de moi un homme heureux.
Malheureusement, sous ma poitrine il n'y avait que le vestige d'un grand soleil.

Alors, les compliments, et la funeste tirade du noble ne trouvèrent sur mon visage la même mine, terne et livide.
Son annonce sur les places avait tout pour me révolter. Dame Bathilde avait pour mon interlocuteur sa place toute acquise, mais le reste de l'entourage de Madame était en pointillé.
-" Pour le peu que je sache, il y a en plus de moi, trois autre domestiques, et un garde du corps. "répondis-je sans vraiment savoir à quoi m'attendre devant la mise en scène du sang bleu dont la figure était faite pour m'inquiéter.

Je ne bougeai pas, restant même impassible lorsqu'il s'approcha de moi tel le serpent prêt à cracher son venin que peignaient les rumeurs.
En cet instant, je fus confus, je ne savais pas si je devais lever les yeux ou non, en l'état mon instinct opta pour la seconde solution. Une position qui ne m'empêchait pas d'être attentif aux paroles de celui qui effectivement, était également mon employeur.
-" Je l'accompagne lorsqu'elle part faire des achats, parfois de tâches d'entretiens ou simplement de service, même si la majorité de mon travail se concentre ici."
Quand il s'approcha pour arranger plus qu'il ne l'était le col de mon uniforme je m'attendais au pire, et l'apparence ne mentait sur l'âme, car en effet, au détour de quelques compliment il me posa une question meurtrière qui m'effraya.

Ainsi encore sous le choc je n'écoutai qu'à moitié la suite, lorsque à mon bureau il observait mes esquisses et les réparations que je devais entreprendre.
-" Ma vie lui est dévouée ! " murmurai-je timidement en portant une main sur le coeur comme le symbole que j'avais trouvé une raison d'être.

-" Il m'est impossible de vous répondre..." dis-je d'un ton nostalgique, comme si hier me manquait déjà sans avoir donné la chance au présent.
Sans savoir où me mettre, mon regard trouva refuge sur les objets auxquels je donnais tout mon temps. -" Nous donnons tous le meilleur pour son confort, qui suis-je pour répondre et affirmer que tel domestique ne mérite pas de poursuivre son travail à ses côtés ?
Je vous prie de croire que je suis incapable de vous aider... La seule réponse serait de vous dire que si vous désirez le bonheur de Madame, garder son entourage vous serez bénéfique. Quant au reste, croyez bien que je suis prêt à vous aider, toutefois, sachez que ma place ne me permet pas de connaître les secrets de ma Maîtresse..." laissant en suspend ce qu'il pouvait deviner, qu'elle ne m'informait guère de ses affaires et de choses importantes...

Impassible, le domestique ne semblait montrer aucune émotion comme si son âme n'était qu'une coquille vide, à moins que ce Robin était un jeune homme bien plus intelligent que sa condition lui prêtait. Perplexe, le Comte de Rougelac était pourtant bien décidé à en apprendre d'avantage sur ce domestique et il s'évertua donc par un jeu plutôt malsain à le pousser à la faute. Seulement à aucun moment Robin ne failli et quelques enseignements pouvaient clairement être tirés de ces échanges. L'homme se montrait à la fois humble, fidèle, loyal et sa timidité et reserve d'apparence lui donnait un air énigmatique.

Loin de désirer trahir ses congénères, il prônait la vertue de l'entourage de la Comtesse après avoir tout de même donner plus de matière à réflexion quand à son rôle auprès de cette dernière. Hochant silencieusement la tête, Rougelac continuait d'enregistrer mentalement la moindre information qui pouvait avoir de l'importance et si Robin lui donnait du fils à retordre, il fallait bien lui accorder une verbe et une maîtrise de soit assez surprenante. Quittant son observation du domestique, Victor afficha faussement un amour dubitative, accentuant l'effet par une second frottement de barbe révélateur tout en tournant un moment autour de son interlocuteur.

- Je vois... je vois... Vous m'avez tout l'air d'être un jeune homme bien éduqué et conscient de votre place. Vos paroles sont brèves, sages, sans la moindre prise de partie. Intéressant... votre corps ne trahi rien, pas la moindre expression... hmmm... vous savez vous tenir et baisser le regard quand il le faut... intéressant.

Pensif, il jouait évidemment sa partition, jetant quelques furtifs regards vers le petit protégé de son épouse avant de reprendre sa position face à lui, le menton relever se voulant à la fois respectueux et un soupçon menaçant.

- Vous m'avez convaincu jeune homme. Si vous pensez que me séparer d'un de ses domestique serait une erreur, je vais vous accorder crédit. Certes, certes sa dote nous laisse dans une situation confortable mais... de vous à moi, je me dois de ne point montrer trop de signes de richesse au peuple, surtout en ces temps sombre. Que dirait le petit peuple s'il apprenait que le manoir emploi plus que de raison ?

Penchant la tête une nouvelle fois sur le côté, il le fixa, cherchant à lire dans son regard la moindre expression qui pourrait s'y dérober avant de reprendre.

- Pourquoi ne pas profiter de vos talents de cordonnier pour ses Dames afin de justifier de ces nouvelles charges qui pèsent sur le Manoir ? Apres tout, cela pourrait même être une chose bénéfique pour tous ? Dans la limite de votre temps au service de ma Dame bien évidemment. L'idée lui plaira peut-être ? Et qui sait si cela ne lui donnera pas l'occasion de s'offrir quelques "réunions" ou "réceptions" dédiés à la gente féminine... hmmm... et ainsi parfaire sa nouvelle notoriété en vous donnant l'occasion de partager vos œuvres et qui sait remplir les coffres du Manoir.

Une idée un peu folle, un peu osé disons le, mais qui n'été pas dénuée d'intérêt finalement ? Restait à savoir si le jeune homme en avait saisi le concepte et si Adelaide y serait ou non favorable. Mais c'était là surtout une manière, une technique de se montrer proche et conciliant avec le jeune domestique dont la vie était semble t il dévoué à la Baronne de Nerra.

- J'aspire tout comme vous au bonheur de la Comtesse. C'est une femme exceptionnelle et je n'ai de crainte que vous serez toujours fidèle à son endroit. Oh je me doute que ma réputation me précède et que votre avis sur ma personne n'est point des plus positif et je m'en accomoderais volontiers, mais nous suivons ce but commun de la protéger. Que vous soyez ou non dans sa confidence m'est égal, seulement votre proximité vous donne certains privilège. Ainsi si je puis me fier à vous, aurais-je besoin que vous me apportiez les moindres comportements, les moindre allées et venues suspects. Pourrais-je vous demander ce service ?

Serait-il enclin à mordre à cet hameçon sous prétexte du bien commun pour la jeune femme qui occupait leur vie au quotidien? Le verdict n'allait pas se faire attendre et Victor par cet estoc venait en quelques sorte exprimer qu'il était loin d'être naïf car Bathilde comme Robin de part leur fonction savaient des choses même si ce n'était point liée à quelques affaires. Le quotidien d'une personne était quelques fois bien plus riche que quelques miettes d'intrigues après tout.

C'était une situation désagréable, je ne savais pas vraiment comment réagir ni ce que je pouvais dire. Je fus simplement honnête, laissant mon coeur me souffler les réponses.
L'unique pensée de devoir nommer des compagnons me faisait mal, et j'avais la certitude que Madame ne souhaiterait en aucun cas perdre l'un de ses domestiques.
Qui suis-je pour envoyer quelqu'un à la rue ? ne cessai-je de me dire en repensant à la question du comte.

Ce noble avait l'art de mettre à mal à l'aise avec ses interrogations et ses regards de serpents venimeux, et je me demandai ce qu'il me réservait. J'avais comme l'impression que je n'étais pas encore tiré d'affaire.
Mon coeur battait plus fort que d'ordinaire et le temps qui ne voulait pas s'écouler rapidement ne faisait rien pour venir à mon secours.
Voilà qu'à présent il tournait autour de moi, et moi je restais immobile, gardant le sérieux protocolaire que me conférait mon habit.

J'entendais ses paroles sans savoir s'il s'agissait de quelques compliments authentiques ou avec un mépris derrière.
En tout cas je n'en tirais guère de fierté ni blessures. Au moins, il me confirmait que je savais être une ombre.
De toute façon, j'agissais également et surtout dans l'intérêt de ma Maîtresse. Il m'était impensable de m'imaginer faire un geste qui pourrait nuire à sa réputation, alors s'il fallait que mon orgueil, qui n'existait qu'à moitié vu les ruines de mon âmes, prenne des coups, alors il les prendrait sans gémir.

Intérieurement je poussai un grand ouf de soulagement lorsque le noble prit la décision de ne renvoyer personne comme je venais de le lui suggérer. Un choix qui m'ôtait une grande épine du pied, moi qui imaginait qu'il allait m'obliger à donner un nom je ne pouvais que me sentir rassurer.

-" Merci mille fois." répondis-je sobrement sans en dire plus car je n'avais pas d'avis précise sur ce qu'il sous-entendait en acceptant de garder les serviteurs de la Comtesse.

Puis sans attendre, il me fit une proposition. En l'écoutant j'observai les souliers de Madame, mon travail et mes affaires.
Ce sujet savait capter mon intérêt... Ah Maître Talon si vous me voyez, pensai-je en évoquant là celui qui m'avait tout appris. Lui qui avait su poser dans ma cervelle la conviction que son métier, qui devint le miens, n'était en rien vulgaire, mais bien de l'art !

-" Si Madame la Comtesse est d'accord..." dis-je avec sérénité avec un petit peu de plaisir comme pour dire que j'implorais le seigneur pour qu'elle soit, car l'idée me plaisait.
-" Alors sachez que ce serait pour moi un véritable honneur." conclus-je à ce sujet, en me rendant compte que cela serait une tonne de travail.
Je pensai qu'il serait sans doute préférable de demander conseil à Dame Katarina, même s'il était maintenant trop tard car je venais d'accepter.

Sous l'euphorie de cette nouvelle qui toutefois ne se matérialisait pas à travers mon visage et mes gestes je répondis.
-" N'ayez crainte, si jamais je me rends compte d'un danger ou du moindre fait qui puisse causer du tord à ma Maîtresse, je vous tiendrai au courant le plus rapidement possible. Maintenant, qu'entendez-vous par comportement, et allées et venues suspectes ? " Question bête, mais pas tellement car après tout, j'étais certes proches de la Comtesse, mais pas dans ses confidences concernant ses relations...
Toujours impassible j'avais encore en tête la réalisation du projet que venait de soumettre mon interlocuteur au sang bleu, l'époux de ma Maîtresse.

Bien loin d'être corruptible, le domestique à la solde de son épouse ne déméritait pas face au Comte. Sachant convaincre, Robin testait inexorablement humble dans son attitude, aucune expression ne semblait jamais trahir ce qu'il ressentait intérieurement mais une chose semblait frappante et Victor semblait le comprendre à mesure de l'entretien. Ce personnage n'avait pas d'autre ambition que de servir les intérêts de sa maitresse, quitte à mettre sa propre personnalité entre parenthèse. Comprenant qu'il n'arriverait point à influencer le jeune homme, le mondain avait donc changer son arbalète d'épaule.

En ce sens, la seule chose qui pouvait être exploitable chez Robin semblait être son amour pour la confection de souliers. Certes il ne réussirait à faire changer de camp ce nouveau pion installé au manoir, mais lui offrir la possibilité d'exploiter ses talents d'artisans auraient deux effets bénéfiques pour le Gouverneur de Sombrebois. Le premier serait de faire rentrer quelques sonnantes et trébuchantes dans les coffres familiaux et par la même entretenir la notoriété du couple sur l'Esplanade. Le second résidait dans un mécanisme de cause à effet que seule la nature humaine pouvait offrir. Se montrer ainsi généreux permettrait l'entretien d'une relation moins fausse, moins fourbe et permettrait donc au Comte de ne pas voir un nouvel ennemi apparaître au sein même de son antre.

Nulle euphorie, maintenant une sérénité assez cocasse, Eobin exprima pourtant toute sa gratitude à l'endroit du mari de sa maîtresse et cela semblait concrétiser un réel pas en avant dans la découverte de l'un comme de l'autre et naturellement, Robin se porta garant de tenir au fait tout éventuelle menace qui pourrait viser la Comtesse ce qui satisfaisait naturellement le Comte. Seulement, la curiosité poussa le jeune homme à approfondir les désidératas du noble qui lui faisait face. Victor avait bien conscience que le jeune homme n'était point dans la confidence de son épouse, mais rien n'affirmait qu'avec le temps cette situation resterait figée.

- Vous n'avez certes pas cette proximité avec la Dame de Rougesoleil que peut se targuer d'avoir mademoiselle Bathilde, ou tout du moins pas encore. Mais si ma Dame voit en vous plus qu'un simple domestique sans intérêt, vous accordera-t-elle sans doute des privilèges, peut-être plus de temps dans son quotidien. Ainsi, vous allez naturellement apprendre à mieux la connaître, à apprivoiser son caractère et de fait à mesure de cette apprentissage, vous serez en première loge pour savoir si quelques chose n'est point habituel dans son attitude, son comportement. Vous semblez discret et cela semble être une grande qualité qui vous permettra d'intégrer son décor et sa vie. Vous verrez donc peut-être des gens entrer et sortir du Manoir et je ne vous demande nullement d'espionner, seulement de m'avertir par prévention.

Il adressa un sourire faussement chaleureux au jeune homme avant de poser une main sur son épaule.

- Nous voulons tout deux le bonheur de la Comtesse, vous saurez donc comprendre le moment venu. Vous irez voir votre maîtresse quand à ma proposition et surtout ne lui parlez point du reste, cela ne pourrait que lui causer du tort que de croire négligemment que nous puissions formenter contre elle alors qu'il n'en est rien. Apres quoi si ma Dame accepte, il serait bon d'organiser une réception pour ces amies de la Haute et ainsi vous permettre d'afficher vos talents, ce serait un bon début.

Ce premier entretien touchait à sa fin, le Comte commençant donc à cerner le personnage qui lui faisait face et qui partagerait en quelque sorte son quotidien, mais en hôte et employeur de marque, il acheva son intervention sur une question ouverte, rien de plus normal après tout.

- Avez-vous des questions, des demandes particulières avant que je ne vous laisse retourner à vos tâches, Robin? Je suis tout ouïe. Mon emploi du temps étant chargé, je ne serais pas en mesure de vous accorder à votre bon vouloir, de mon temps.

La perspective que m'offrait le comte ne me laissait pas indifférent, je devais le reconnaître, j'avais envie d'être plus expressif mais la foudre du malheur qui jadis s'abattis sur mon être fit que la flamme du bonheur n'était que braise fumante incapable de s'embraser.
Un bref instant, alors que le noble se lançait dans un monologue, je ne l'écoutai qu'à moitié, en effet, mon esprit imaginer l'avenir.
Un avenir qui allait me soumettre à une pression folle, car l'échec serait synonyme de tâche sur l'honneur de ma Maîtresse.
Et même si je n'étais pas l'homme avec la plus grande confiance en lui, je restais toutefois confiant sur mes capacités.
De plus je savais que je pouvais compter sur l'assistance de Maître Talon. D'ailleurs, j'étais curieux de connaître son avis sur le chemin que je m'étais tracé depuis qu'il me fallut quitter son enseignement. Une séparation brutale que je regrettais avec le temps....

Lorsque le sang bleu posa sa main sur l'une de mes épaules, il m'extirpa de mes pensées, et de mes doutes.
Avec calme et sérieux j'écoutai, répondant timidement de la tête comme pour dire que je comprenais.
J'espérais que ma Maîtresse serait favorable à cette idée, cela me donnerait du travail en plus; mais je m'en moquais bien, après tout ma vie était faite pour ce fardeau.
Levant un peu le regard pour observer un visage un peu plus amical du comte je ne savais pas quoi penser.
Evidemment, le chagrin de Madame quant à ce mariage, et cette union m'affectait. Les pensées qu'elle avait, par obligation et loyauté étaient les mêmes dans ma tête, mais cette rencontre me laissait perplexe.

-" J'agirai ainsi. Le goût pour la mode de Madame présage d'une réponse favorable. Quant au reste, j'imagine qu'il ne nous reste qu'à faire confiance au temps..." Le temps dira si sa prédiction concernant la confiance de Madame, grandira assez pour arriver au sommet qu'exige la demande du comte.
Quant il me demanda ensuite si j'avais des questions je ne savais pas trop, bien-sûr j'en avais une ou deux.
Tournant mon regard vers un meuble que je venais de ranger, j'osai !

-" Quel paire de soulier de Madame préférez-vous ? " demandai-je en m'approchant du large panel avant de lancer comme ça avec candeur, sans savoir pourquoi.
-" Est-ce que vous aimez d'amour ma Maîtresse ?"

Doué de discernement, le jeune homme semblait donc croire que sa maîtresse lui accorderait cette faveur. Il n'était d'ailleurs pas un mystère que la Dame de Rougesoleil était une femme de goût, chérissant les belles étoffes et soucieuse de s'afficher dans une prestance incomparable. Une femme de la Haute assurément qui savait ô combien l'étiquette était importante. Nul personne n'ignorait qu'Adélaïde rayonnait dans les cercles mondains par sa beauté qu'elle savait si bien mettre en valeur et d'ailleurs n'était-ce pas grâce à cela qu'elle avait jadis capté l'attention de celui qui aujourd'hui lui avait passé la bague au doigt ? Victor adressa donc un sourire entendu au domestique, quand au reste... et bien Robin venait de montrer de la plus sombre de manière qu'effectivement le temps ferait son œuvre.

Si l'on ne devenait pas du jour au lendemain un personnage indispensable dans l'entourage du Dame, c'était bien par la persévérance, la force du temps que l'on pouvait s'offrir le luxe, comme le prouvait Balthide la dame de compagnie de la Baronne de Nerra, de devenir un acteur central de son quotidien. Robin l'avait comprit et démontrait au Seigneur des lieux qu'il possédait là une sagesse qui lui permettrait sans nul doute de se hisser bien plus haut dans la hiérarchie domesticale de la Comtesse de Rougelac.

L'entretien touchait à sa fin non sans que le quadragénaire ne laisse l'opportunité au jeune homme de s'exprimer librement, lui offrant de son temps pourtant si cher, un gage de respect mais aussi et surtout une démarche calculatrice pour soigner son image face à ce nouveau pion sur l'échiquier. Sa main tendue trouva preneur, le domestique quittant sa retenue qui le caractérisait jusqu'alors. Désireux d'en apprendre plus sur le personnage haut en couleur qui lui faisait face, Robin réclamait donc son avis sur le travail de ses petites mains. Accédant ainsi volontiers à sa requête, Victor tourna les talons pour se présenter devant l'étalage de souliers confectionné exclusivement pour sa femme.

De longues minutes durant, il examina chaque pair, mesurant du bout des doigts la qualité des étoffes choisi, les formes et les motifs utilisés, jusqu'à scruter chaque couture non sans également les sous peser. Il hésita finalement entre deux pairs, se lissant la barbe un instant avant d'attraper une pair faite d'un velour obsidienne truffé de motifs aux fils d'argent et d'or. Le dessous était rehaussé d'un talon. Sans doute avangardiste, etait ce là les prémisses de ce que l'on appelait plusieurs décennies plus tard "l'escarpin" ? Il se retourna vers le maître souliers.

- Celle ci. Vous y reconnaîtrez les couleurs de mon blason et je connais suffisamment Madame pour savoir qu'elle apprécie gagner quelque centimètres de hauteur. Il esquissa un léger sourire en coin avant de reprendre. La Comtesse possède de magnifiques pieds, fin et gracieux, surmontés de chevilles délicates. Vous avez dû maintes fois les toucher de vos doigts et de vos paumes, vous savez donc ce que je ressent en parlant de cela.

Il y avait quelque chose d'un tantinet excitant et sensuel dans cette affaire. Adelaide ne possédait guère de défaut physique et tout était finalement sujet à séduction voir à excitation et ses pieds ne dérogeaient à cette règle, seulement Robin allait il s'ouvrir à ce sujet et donner son propre avis ? Rien n'était moins sûr mais Victor etair persuadé que sa Dame ne pouvait laisser indifférent le jeune homme qui de plus était assez séduisant pour ce qu'il offrait au regard.

Puis chaque chose en son temps, méticuleusement, Victor répondait à un Robin de plus en plus curieux et expressif. Reposant les souliers exactement là où il les avaient trouvé, prenant bien soin de les aligner à côté des autres paires, il se replaçant face à son interlocuteur pour venir d'un main chasser une poussière imaginaire sur l'épaule du jeune homme.

- L'aimer dites vous ? Cela est bien trop prématuré. Vous n'êtes sans doute pas sans savoir que dans la Haute l'on ne se mari que rarement par amour mais exclusivement par intérêt. Et j'ai prit pour épouse votre maitresse par intérêt. Je ne vous le cache pas, tout est question de dote, de titre et d'influence. Elle est un excellent parti pour moi comme je suis un excellent parti pour elle. Je lui assure une protection ainsi que des ressources et une qualité de vie avantageuse.

Il tapota à nouveau l'épaule du jeune homme.

- Rappelez moi votre âge jeune homme ? Croyez bien que je ne priverais nullement votre maitresse de liberté ni d'amour, dans le sens... physique du terme. En temps qu'épouse et ayant prêter serment devant les Trois, elle a le devoir de m'offrir un héritier légitime. Pour le reste, nous nous accomoderons de nos relations. Vous n'êtes pas sans savoir qu'elle fréquente un châtelain et ne avais-je vous cacher que je fréquentes quelques amantes. N'en soyez point choqué, est ce là des pratiques coutumières de la noblesse. L'intérêt d'un côté, la passion charnelle de l'autre. Mais qui sait si avec le temps l'un ne rejoindra point l'autre ?

Il recula d'un pas et l'examina de la tête au pied avant de s'offrir une petite espièglerie d'usage. Apres tout !

- Vous vous êtes montré bien curieux jeune homme, à moi de l'être également, c'est de bonne guerre ! Dites moi, êtes vous encore puceau ? Ma femme vous attire t elle ? Parler sans craintes, je ne suis point là pour vous juger ou vous châtier, je vous en donne ma parole. Toute cette conversation ne sortira point de cette pièce.

Le silence qui régnait pendant que le noble scrutait les étagères m'angoissait, ou plutôt m'intriguait car je ne savais pas ce que je devais ou pouvais penser sur lui. Bien-sûr mon jugement que je voulais vrai ne pouvait pas l'être car le malaise de ma Maîtresse m'obligeait à conserver un mauvais tableau de son époux, mais cet entretien me laissait perplexe.
Respectueusement, je le regardai faire, il analysait les paires pour faire un choix. Quant à moi, je restais toujours surpris par l'honneur que j'avais de servir une telle Dame et encore plus surpris par la quantité de souliers dont elle disposait.

Le Comte fit ensuite la description de son élection. Mes yeux se posèrent dessus et mon esprit se montra attentif aux paroles de mon interlocuteur.
Mais voilà que du soulier, il vint à me poser une troublante interrogation. Une moue timide sur le visage je mis un certain temps pour répliquer.

-" Il est évident que les traits de Madame sont divins et que je ne peux que me sentir honoré de pouvoir y poser mon regard... Il m'arrive de les effleurer en effet, mais croyez-le, jamais je n'abuse de mon travail pour les toucher de trop..." Une réponse sincère, un honneur, un devoir, et une énorme chance que d'avoir la charge de devoir décorer cette partie de la silhouette d'une Dame comme la Comtesse.

Vint ensuite le sujet plus délicat. Je savais que ma question était bien indiscrète, et je n'avais qu'un souhait, qu'elle ne me conduise pas dans un grand embarras.
Le Comte de Rougelac comme il y a peu fit glisser le revers de sa main sur mon épaule et me répondit. Le regard bas, son récit confirmait les rumeurs, et la réalité de la noblesse... Loin de tout ça, la situation de ma Maîtresse me chagrinait, encore plus en sachant que l'intérêt ne semblait pas la combler tout à fait.
Je me grattai la nuque après ça, après son pas en arrière et le fait qu'il venait de me renvoyer la question... Je fis des gros yeux, à la fois offusqués et gênés, puis comme si parlais sous serment je posai mes deux mains contre mon coeur.

-" C'est de l'admiration que je ressens pour Madame... Du moins je l'imagine..." débutai-je avec candeur, car mon jeune âge n'avait pas encore été témoin du passage des sentiments amoureux. On m'avait déjà expliqué les symptômes mais rien de plus.
-" De l'admiration et un grand un respect également. Rien de plus, je pense être comme tout le monde, car je doute qu'il puisse exister des hommes pouvant nier l'évidence sur le charme de Madame et ses effets sur les coeurs. " ajoutai-je sobrement car je ne pouvais pas mentir sur ce sujet, il n'y avait pas d'attirance, juste de l'adoration digne de celle que l'on porte à une oeuvre d'art.

-" La vie dans la rue est pleine de tentations... Pour vous répondre, je ne le suis plus. " Dis-je avec mélancolie, en agitant tristement la tête en me rendant devant mon petit atelier.

Une évidente sincérité transpirait du jeune homme faisant face au Comte. Si le sang-bleu s'était montrer inconvenant, il avait usé de l'art et de la manière pour tenter de troubler Robin. Pourtant, malgré sa timidité le domestique de la Comtesse ne refusa pas de se prêter au jeu des aveux et force est de constater qu'il ne manquait pas de répondant tout en gardant la place qui était la sienne. S'il avait certes laisser paraître quelques secondes une réaction offensé devant l'indiscrétion du Comte, certaines mimiques de ses mains et ses yeux rond trahissant se sentiment, il semblait rester maître de sa personne.

Ainsi, il raffirmait avec plus encore de force et de vigueur, vouer une adoration, une admiration profonde pour l'intrigante jeune femme, accordant à l'époux de cette dernière qu'il en appréciait le contact de ses pieds dans la plus humble modération que lui octroyait son art pour la confection de chausses. Quelque peu candide, Robin réaffirmait encore tout le respect qu'il ressentait non sans accepter de flatter les charmes d'Adélaïde. Provoquant un léger sourire à la commissure des lèvres du Comte, ce dernier venait d'obtenir l'assurance que le jeune homme ne restait point indifférent à la beauté de sa femme et par la même occasion qu'il avait déjà pu goûter aux plaisirs de la chair. La mélancolie gagnant le blondinet, Victor ne le quitta des yeux alors que le jeune homme regagnait son atelier, se demandant quel lourd passé dissimulait-il.

- Attirante, séductrice, votre maîtresse ne peut en effet laisser indifférent nul homme sur ces terres. J'apprécie votre honnêteté, pourtant par moment ai-je la sensation que vous dissimulez un lourd secret. Là ne sont points mes affaires, je vous le concède volontiers, mais si vous avez besoin de vous confier, mes oreilles en seront attentive.

Mieux connaître ce domestique permettait à Victor s'assoir son contrôle sur le Manoir, une main mise qui venait naturellement d'être contester par la présence de son épouse qui ne manquerait pas de placer ses propres pions de façon stratégique.

- Vous ne m'avez point donné votre âge, jeune homme. Dois-je en déduire un parallèle avec le fait que vous ne soyez plus puceau ? Redoutez-vous que j'en tienne mot à ma Dame ? Je vous le répète, tout ce qui se dit ici, restera ici et soyez sans craintes, effleurer ma femme ou contempler la beauté de ses charmes ne m'incommoderont nullement, tant que vous resterez loyale envers notre Maison.

Il aurait aimé taquiner plus encore le jeune homme, évoquer la douceur des cuisses de la Dame de Rougesoleil, le poulpe de ses lèvres tout comme son déhanché ravageur mais il savait pertinemment que face à ce personnage d'une sagesse si précoce, cela ne lui porterait aucun crédit. Robin allait il s'ouvrir, évoquer les sources de sa mélancolie ? Rien n'était moins sûre. Mettre à nu l'histoire de ce jeune homme prendrait du temps et il fallait se montrer méticuleux et patient pour obtenir certains aveux qui entouraient et faisaient cette personnalité plutôt atypique pour un homme à peine sorti de l'adolescence.

- Je ne vais point vous importuner plus longtemps, Robin. Je vous laisse à vos travaux. N'hésitez pas si le temps me le permet à venir vous confier ou évoquer toute chose dans l'exercice de vos fonctions. Aurais-je de toute façon a vous solliciter pour vos services de domestique si mon besoin s'en fait sentir.