La chasse aux sorcières, {Adam, Clovis, Aeryn}

C’est sur cette place nouvellement rebaptisée que l’on leur avait demandé de se rassembler. Volontaires armés, miliciens ou encore chevaliers, la place des morts, comme la surnommait la mercenaire, regorgeait d’hommes et de femmes en colère, attendant que l'on les alloue à l'une des coutileries. Sa colère à elle, Aeryn la contenait tant bien que mal, l’emprisonnant comme tout le reste, derrière son visage fermé bien que plus tendu que d'ordinaire. Comme il s'agissait là que de volontariat, elle avait prévu de venir seule. Mais, voyant que Finn ne la laisserait certainement se mettre volontairement en danger pour apaiser la douleur engendrée par une perte bien trop lourde à supporter, la rouquine s’était résignée à accepter la présence de ses frères à ses côtés.

Ils n'étaient dès lors, plus que trois, la fange leur ayant violemment arraché tout le reste. Et si le deuil concernant leur père et leurs deux aînés leur fut plus qu'aisé, ce ne fut nullement le cas cette fois. L'attachement n'était pas le même. Leur relation n'avait rien à voir… Cette fois, la perte était autrement plus douloureuse pour les trois survivants. Pour preuve, Ivaad se tenait tranquille, malgré la présence des miliciens tout autour d'eux. Aeryn acceptait même de se placer sous les ordres de l'un de ces hommes qu’elle jugeait incapable de la moindre décision logique. Cela, simplement pour débusquer et neutraliser, d'une manière ou d'une autre, les responsables de sa douleur. Comme elle espérait les voir brûler, vifs, de préférences. Elle imaginait déjà ses narines se remplir du parfum de leur chair fondant, brûlant sous le baiser des flammes salvatrice… L’odeur d’une victoire, de la vengeance, de la haine passablement apaisée, même si celle-ci ne se calmerait probablement jamais tout à fait.

La discipline ne semblait pas être au rendez-vous. Quelques esprits houleux s’échauffaient çà et là, bousculant les uns, insultant les autres comme s’il s’agissait là de chiens fous ayant perdus leur maître.

-Quelle bande d’idiots, ils mériteraient quelques dizaines de coups de fouet, ça leur apprendra marmona-t-elle entre ses dents après qu'un homme l'eût bousculé pour la troisième fois.
-Doucement, Ryn, nous sommes tous dans le même camp ici.
-Va donc leur dire à eux, ils semblent l'avoir oublié. Ou peut-être sont-ils trop stupides pour le comprendre.

Cette fois, la voix de la mercenaire se fit autrement plus perceptible, son mépris ne put que paraître évident aux yeux de tout ceux l’entourant. Quelques regards haineux se tournèrent vers elle sans qu’Aeryn ne leur prête réellement attention. Son but était de piquer, volontairement. De les toucher, les blesser dans leur orgueil surdimensionné, et ce, de manière plus ou moins profonde selon l'individu… Il s’agissait là d’une manière comme une autre de se retenir de porter un coup bien plus physique et violent à ces fameux clébards indisciplinés.


-Vu le temps qu'ils mettent, toute la raclure du coin va décamper avant que nous ayons le temps de leur mettre la main dessus. Je doute fort qu'ils nous attendent bien sagement.
-Et où iraient-ils selon toi? l'interrogea l'aîné qui veillait à ne pas montrer son propre agacement.
-Qu'est-ce que j'en sais moi ? Ils pourraient tout aussi bien quitter la cité ou se terrer dans les égouts… Se cacher pour de bon quoi.
-Le meilleur moyen de se cacher, cher frère, lança Aeryn avec une pointe tout a fait sarcastique dans la voix,C'est encore de se mêler aux autres pour entrer dans le moule. Je ne serais pas étonnée que certains d'entre eux se dissimulent parmi tous ces gens. Qui irait les chercher là ? Quelques-un peuvent, bien évidemment, se terrer comme des rats, mais ce n'est pas le cas de tous.

N'avait-elle pas passée presque deux décennies aux milieux d'hommes sans qu'aucun d'eux ne se doute qu'elle n'était pas comme eux. Pourquoi serait-ce différent pour ces gens-là ? N'évoluaient-ils pas parmi les autres depuis des mois avant l'invasion ? Peut-être même depuis le début de la fange sans que personne n'en sache jamais rien…

Un homme passa devant un, suivit d'un autre plus jeune et de carrure toute aussi imposante que celle de ses deux frères. Le jeune homme n'était pas étranger à la mercenaire, même si leur rencontre particulière ne faisait pas d'eux de réelles connaissances et encore moins des amis… Elle ne connaissait même pas son nom… Mais la rouquine n'oublierait certainement pas son implication lors du coup de sang ayant surgi dans l'auberge donnant d'ailleurs sur cette même place. Le plus petit et le mieux habillés des deux beugla quelques ordres au petit groupe rassemblé là… Les Monclar, évidemment, mais d'autres également… Ils seraient donc rattachés à la coutilerie d'Arthur… Un autre nom qu'Aeryn ne pourrait oublier. N'était-il pas le supérieur direct de l'infect poivrot répondant au nom de Merrick Lorren… Par réflexe, la mercenaire chercha la silhouette dépenaillée et ses cheveux hirsutes parmi les miliciens marchant derrière celui qui semblait être un sergent… Elle poussa un long soupir de soulagement en constatant qu'il n'était pas présent… La rouquine salua néanmoins le jeune homme gigantesque avant d'intégrer le groupe hétéroclite composé de miliciens, de mercenaire de toutes sortes et d'hommes aux allures plus fières et plus… Noble ? Son regard croisa celui de l'un d'eux portant une armure de bonne facture… Très bonne, même… Trop pour n'importe quel péquenaud. Il semblait propre aussi… Pas de doute, cet homme ne venait pas du monde du mercenariat… Ne voulant pas paraître plus agressive qu'elle ne l'était réellement, Aeryn le salua d'un geste de tête avant de se tourner sur le fameux Arthur qui s'apprêtait à leur donner leurs premiers ordres.

C’était donc cela l’ultime rétribution? Au lendemain de ce que certains nommaient dores et déjà le jour le plus long, nous nous trouvions réunis sur la grand place de la caserne, alignés en rang d’oignons tandis que les gradés aboyaient des ordres aussi stupides que contradictoires. J’étais là parce qu’il le fallait, mais qu’on se le dise, tous les valeureux, les braves et les preux étaient morts au Goulot. Le reste n’était que piétaille, racaille, conscrits à peine pubères et criminels qui se rachetaient là une conduite pour éviter l’opprobre. Que valaient-ils tous? Probablement très peu, sur la centaine d’hommes je n’en comptais qu’une petite dizaine apte au combat, les autres ne vivraient pas assez longtemps pour se soucier de leurs compétences martiales.

    Mais l’heure était grave. Il fallait traquer et débusquer ces félons qui avaient semé le chaos dans nos rues, les porter au bûcher, les regarder se tortiller de douleur tandis que les flammes les dévoreraient. Il fallait marquer les mordus, abattre ceux dont la survie était incertaine, mater les belligérants. Aussi étrange que cela puisse paraître je me sentais parfaitement à ma place dans cette mission, les sectaires ne pouvaient être que des hérétiques, de la vermine à laquelle on arrache les ongles avant d’y verser de l’eau forte. Et les traîtres ne valaient pas mieux, quiconque hébergeait, protégeait, dissimulait des blessés de la fange était passible de mort sans autre forme de procès.

    “Hommes, femmes, et enfants. Quiconque contrevient à ces règles doit être annihilé. Et ce pour le bien de tous.”

    Autrement dit le sang coulerait en ce jour. Je ne pouvais m’empêcher de serrer le pommeau de mon épée d’anticipation. La chasse, la traque était un jeu. Et rien ne valait le regard de l’apostat lorsqu’il réalisait en se vidant de son sang que la lumière de ses Créateurs lui serait refusé. Et qu’il ne connaîtrait que le néant et l’oubli éternel. La justice du Roi était ferme, rapide et extrêmement violente. Alors que les bûchers funéraires finissaient de se consumer d’autres étaient dores et déjà montés et alignés. Et là où la miséricorde imposait que l’on place une pointe en acier sur le poteau du bûcher avant que celui-ci vienne perforer le coeur du condamné se débattant sous l’effet des flammes, abrégeant ainsi ses souffrances. Le bon sens imposait ici qu’il n’en soit rien, ces traîtres auraient le loisir de profiter de chaque seconde de leur supplice jusqu’à ce que le feu ait eu raison de leurs âmes. Voilà ce qu’était la justice de Sigfroi de Sylvrur, la justice d’Anür. Et par les Trois, je serais le premier à me réjouir du tourment de ces scélérats.

    Nous fûmes répartis en petites escouades, chacune ayant la charge d’un secteur bien précis tandis que nos forces ratisseraient au fil des semaines l’intégralité de la ville. Aujourd’hui c’était de Bourg-Levant dont il était question, les bas quartiers étant encore trop sensibles pour qu’on s’y risque aussitôt. Et je dois avouer que bien que ne les connaissant pas, je déchantais lorsque je découvrais mes camarades du jour. Il y avait là un milicien, ma foi bien bâti et à l’air peu commode, un autre homme que je connaissais pas et… Une femme?!

    Par les Trois, s’encombrer de gueux n’était-il pas suffisant? Il fallait en plus que nous nous coltinions les donzelles du cru, quoi que cette dernière était loin d’avoir l’air faible. Replongeant dans mes souvenirs je me remémorais ma chère Margaux qui était de loin la femme la plus brave qu’il m’eut été donné de rencontrer. Par les Trois, puisse-t-elle avoir trouvé la paix.

    Répondant au salut qui m’était adressé je venais me placer aux côtés de mes camarades d’infortune et me présentais brièvement, nous aurions amplement le temps de nous introduire dans le détail une fois nos ordres reçus.

    “Adam de Corveil. Chevalier du Roi.”

Troisième jour depuis les événements. Clovis a pu bénéficier d'un peu de calme le premier jour, semblant particulièrement marqué par les événements. Oh, le garçon n'est pas très impressionnable, mais la mort de sa chienne a été un très mauvais coup pour lui. Elle était tout simplement tout ce qui lui restait de son passé, de cette époque où il vivait encore à la Forge Legrand, avec son père, sa mère et ses deux chiens. En une journée, il avait tout perdu, suite à une rapine ayant mal tourné, à l'exception de Kador. C'était en août. Et maintenant, ces putains d'hérétiques ont causé la mort de sa chienne, piétinée lors de l'assaut des chevaliers. Il l'a retrouvée non loin du chaudron et les marques étaient typiques. Bon, il aurait bien cassé la gueule à l'un des chevaliers, mais Merrick lui a dit qu'ils étaient tous morts.

Mais la vie continue. Au matin, Clovis a nettoyé les latrines, puis pris son petit déjeûner, puis il a attendu les ordres. Comme il est costaud, on l'a fait charrier les cadavres pour les mener aux bûchers et couper les têtes des blessés condamnés à mourir. Quand on lui a demandé s'il voulait un poste spécial, il a souri et demandé à aller au Temple, pour achever les blessés et ceux qui pourraient se changer en Fangeux. C'est un sale boulot, mais se salir lui fait po peur, au Clo'. Alors, on l'a mis aux réparations. Faut porter des poutres, des briques, nettoyer là où des choses se sont effondrées et reconstruire. Pour beaucoup, c'était double corvée, mais Clovis est un bosseur qui a besoin de dépenser son énergie. Autant dire qu'il a donné entière satisfaction.

Et le Clovis, plutôt heureux d'avoir des activités aussi physiques, a espéré ce matin qu'il soit envoyé encore là où il faut nettoyer ou reconstruire, mais non. C'est à la place des chevaliers. Z'ont bâti une grande statue en hommage à deux chevaliers. Clovis a po bin compris pourquoi qu'on offrait une statue aux deux plus grands bouchers chevalins de l'histoire, surtout que personne il a pu manger du ch'vaux après, mais bon, c'est des décisions des chefs, paraît même que c'est la décision du Roi, alors le Clo' il discute po. Ptet pour rappeler aux gens qu'il faut pas gâcher la nourriture. Dans l'fond, c'est pas con comme idée. En tout cas, il croyait qu'il fallait plus qu'un jour pour faire une statue, comme quoi, forgeron c'est bien plus difficile que sculpteur.

Mais, très mauvaise surprise, son coutilier ne l'envoie pas faire du travail de force, non, il l'envoie sur une enquête. Et les enquêtes, l'est pas doué pour ça, le Clovis. Ptet que l'chef Arthur l'a oublié ?

- Chef Arthur, c'est po qu'j'veuille aller cont' vos ordres ou que j'veux po faire le boulto qu'il faut faire, mais bon, d'la coutellerie, on est qu'deux à être reviendu et comme le Merrick il attend sa promotion, il s'trouve que j'étions l'seul à d'voir vous obéir, ce qui est un peu con. Mais moi, j'suis po doué pour les enquêtes, tout le monde il le sait, même mo. Faut que j'fais équipe avec des malins et qu'moi, j'les couvre. Parce que, dès qu'il faut que j'réfléchis, j'fa plus du bon boulot... Oui chef ? Y aura des malins dans mon équipe ? Et moi j'représenterai l'autorité du Roi ? Ouep, ça j'peux l'faire. Et j'va en profiter pour entraîner Noulouk, il s'ennuie. J'peux ? Merci chef, t'es gentil, presqu'autant que la chef Sydo quand qu'elle était po sergent. J'pense qu'elle est toujours gentille, mais maintenant elle est surtout sergent. 'fin, tout ça est un peu compliqué pour mo

Et c'est un Noulouk ravi qui galope aux côtés de son maître lorsqu'il suit l'étrange humain qui gueule souvent. Lui, Noulouk l'aime pas. En fait, côté humain, il n'aime que le grand jeune gars. Ils se ressemblent. Ils sont adolescents tous les deux, avec trop de force et d'énergie, et le grand type, il aime bien les chiens. Noulouk est le second fils de Kador, qui tenait beaucoup de la louve et d'un chien de race marbruméenne, qui sont des chiens grands et puissants, taillés pour le combat. La combinaison des deux en font des chiens inquiétants, qui mélangent la force physique à l'instinct du loup. Ils sont difficiles à dresser mais s'ils le sont bien, alors ils constituent de précieux alliés. Et si Clovis a d'énormes lacunes, en matière de dressage, c'est un maître. D'ailleurs, il ne voit pas Noulouk comme son chien, mais comme son ami. Et son chien le lui rend bien. Et suivant le coutilier Arthur, on peut donc apercevoir un milicien géant, visage poupon mais a la carrure impressionnante. Les autres miliciens le surnomment parfois l'Ours et il est clair qu'il est impressionnant. Son chien ne l'est pas moins. Il a déjà la taille d'un loup, un poil noir, des yeux bleus, une mâchoire solide mais la taille des pattes indique qu'il n'a pas fini sa croissance. Il y a de quoi être inquiet. Déjà là, ça ne donne pas envie de se frotter à eux, mais quand ils auront atteint leur taille adulte, bonjour...

Bon, en voyant le groupe auquel il est lié, Clovis se demande qui sera le "malin" de la troupe. Il reconnait la sorcière rousse pas pute qu'il a côtoyée à la Chope sucrée lors des événements. Elle semble avoir deux gardes-du-corps. Bah, des costauds seront pas inutiles. Puis un gaillard se présente et Clovis le regarde en faisant une moue plus que dubitative.

- J'crois pas, non. D'abord, les hommes du Roi, c'est la milice, et y'a pas de grade de chevalier dans la Milice. On avions des cavaliers, ça oui, mais pas des chevaliers. Puis, tous les chevaliers, sont morts dans le chaudron et to, t'es po mort. Bref, t'es juste Adam, de corvée si tu veux, mais faut po vivre le fait d'être ici comme une punition. On rend service à la cité et au Roi. Alors, plutôt que d'dire des années, dis que tu es Adam, volontaire pour aider le Roi et là, tu t'seras bin présenté. Mo, c'est Clovis, de la Milice Royale, et lui, c'est Noulouk. Inutile de lui donner des ordres, il obéit qu'à moi. Et l'premier qui lui fait du mal, j'le jette vivant dans un bûcher. Et il bouffera des flammes sans toucher l'sol. C'est que j'maîtrise po ma force quand que j'suis en colère.

S'il n'y avait pas eu le Chaudron, nul doute qu'il aurait encore pris une punition pour avoir assommé trop fort un gars il y a trois jours. La rousse doit s'en souvenir, tiens. Et comme il est les bras plus larges que les cuisses d'un solide ouvrier, porter un homme et le jeter dans le feu ne semble pas impossible. Clovis a fait passer son message, personne ne touche à son chien. A la Milice, ça a pris un peu de temps, mais ils ont fini par comprendre aussi. Cela a coûté quelques nez, quelques morsures et de solides bagarres pour calmer le milicien adolescent. Dans ces moments, le seul moyen de le stopper est de l'assommer.

Pour des raisons probablement pratiques, les supérieurs décidèrent de former de petits groupes allant de cinq à dix hommes, tous dirigés par un coutilier ou du moins ce qui semblait s'en rapprocher le plus. La milice devant compter un grand nombre de pertes parmi leurs rangs, il n'y avait donc rien de bien étonnant à voir pareille mixité dans les groupes, n'en déplaise à certains… Ainsi, la mercenaire prit grand soin de noter le regard quelque peu méprisant de celui qui s'avéra être un chevalier… Un homme d'honneur selon la tradition et dont elle oublierait probablement le nom par la suite. Ce genre d'œillade indiscrète, Aeryn avait appris à les affronter en se contentant de garder son air parfaitement impassible. Se vexer pour si peu reviendrait à exposer une faiblesse pourtant inexistante, alors autant s'en préserver.

La présentation plutôt succincte du chevalier fut sitôt suivie par une autre bien moins directe. Le jeune milicien avait déjà montré son tempérament quelque peu bavard et décousu, ce qui laissait aisément dire que celui-ci ne pouvait être qu'un "innocent"... Un simple d'esprit qui ne devait sa place dans la milice qu'à ses gros bras dont il se servait en aucune retenue.

- Kaël Monclar, déclara l'aîné de la fratrie tout en s'avançant d'un pas à la manière des soldats dont ils furent jadis, habitués à fréquenter.Voici ma sœur Aeryn ainsi que mon frère Ivaad, nous sommes tous trois mercenaires.

Les présentations faites, celui-ci regagna sa place auprès des deux derniers membres de sa famille encore en vie.

- Bien, ne perdons pas plus de temps en bavardages inutiles, votre identité n'importe finalement que très peu, annonça le responsable. Nous doutons que nos traîtres se cachent dans cette partie de la ville. La journée s'annonce probablement calme, du moins, j'ose l'espérer...

Pas elle… Malgré son rappel à l'ordre, Aeryn peinait de plus en plus à rester en place. La mercenaire se fichait bien du contrôle des mordus, de leur arrestation, de leur marquage à la manière des bêtes agraires… Non, sa cible à elle n'était nul autre que ces hérétiques, ces monstres plus vicieux et dangereux que la fange elle-même et qui se cachaient forcément là, quelque part. Ceux-là même qu'elle rêvait de débusquer avant de les remettre entre les mains des Dieux tout en espérant qu'ils souffrent plus encore que leurs victimes…

-Nous sommes en charge du Nord du quartier. Notre tâche sera de fouiller les bâtisses, toutes sans exception, du petit étal de marchand de rue à la demeure du bourgeois friqué. Toute information peut s'avérer utile… N'oubliez pas que toutes personnes mordue, que ce soit d'hier ou d'aujourd'hui, qu'il s'agisse d'un nourrisson ou d'un vieillard, absolument toutes représentent un danger que nous nous devons d'écarter… Gardez donc les yeux grands ouverts… Des questions ?

La fratrie échangea brièvement quelques regards sans qu'aucun d'eux ne se manifeste… Ivaad grogna une nouvelle fois sans pour autant élever la voix. Leur mission du jour promettait d'être simple, du moins, sur le papier, néanmoins, Aeryn avait appris que la panique engendrait bien des réactions étranges chez les Hommes. Celles-ci pouvaient même aller jusqu'au geste désespéré mettant rapidement tout le monde en danger… Alors, malgré toute la simplicité exposée, mieux valait rester attentif tout en essayant de prévoir l'imprévisible….

Messire de Corveil, votre rang vous place tout naturellement au-dessus de mon autorité. Souhaitez-vous prendre la tête de votre groupe ?

-Evidemment… S'extraire de nobles entrailles vous octrois tous les droit en ce monde, grogna Ivaad dans son coin jusqu'à ce que sa sœur ne l'arrête d'un coup de coude judicieusement placé.
- Ferme-là, bon sang et reste à ta place...

    Je détaillais mes vis-à-vis avec circonspection, le premier me baragouina quelque chose dont j’ignorais jusqu’au sens profond. Et l’observais en clignant des yeux, l’air bête face à quelqu’un qui s’exprimait comme un enfant, tout en étant assez large pour écrouler un mur à la main. Je répétais mes mots avec lenteur, sans chercher à me confondre en explications mais en prenant bien soin d’appuyer mon propos. Je ne pouvais tolérer que mon rang soit ainsi questionné par… Un simple gueux!

    “Je suis Adam de Corveil, Chevalier du Roi. Que cela plaise ou non.”

    Le Coutilier donna ensuite ses ordres, et j'acquiesçais intérieurement lorsqu’il m’offrit le commandement de cette expédition. Mon rang et ma valeur ne passaient donc pas inaperçus, mais je choisissais d’agir avec modestie. Je n’avais, malgré mon rang, pas de prétention au commandement. Il était des hommes bien plus habiles et qualifiés que moi à ce titre, n’en déplaise à certains, je savais faire preuve d’humilité, surtout face à une tâche de cette ampleur, d’autant que je ne connaissais que peu Marbrume. Malgré le temps que j’y avais passé cette ville me restait étrangère, je connaissais les moindres recoins de la Caserne bien-sûr, et les tavernes aux alentours avaient connu nombre de mes excès, mais en dehors de ce cocon militaire, je ne trouvais pas ma place parmi le petit peuple qui me voyait avec mauvais oeil, et je dois avouer que je lui rendais bien.

    “Je vous laisse volontiers l’honneur du commandement Coutilier, je n’ai pas vocation à…”

    Une remarque inopportune me rappela à quel point j’abhorrais cette gueusaille arrogante qui crachait sur mon sang mais viendrait se réfugier derrière mon armure au moindre signe de grabuge. Je saisissais cet imbécile au col et approchais mon visage du sien tout en portant la main à mon arme.

    “M’être extrait de nobles entrailles me donne le droit d’extraire les tiennes, gueux. Une remarque de ce genre et nous aurons une discussion d’un tout autre genre, compris?”

    Mon poing ganté se serait volontiers écrasé sur son visage, et je me délectais de l’idée que je me faisais de son nez tordu et de ses dents brisées, mais je me devais de rester calme pour le moment. Je lui lançais un regard sombre tout en jouant avec le pommeau de mon épée avant de reporter mon attention sur le Coutilier.

    “Je n’ai pas vocation à usurper votre autorité, d’autant que vous connaissez surement mieux les lieux que moi. Comptez néanmoins sur mon épée en cas de besoin.”

    Et comme j’espérais que nous en ayons besoin. Où que se cachent ces sectateurs, se cachaient aussi des mordus, des menaces. Non pas que ces gens aient fait quoi que ce soit de mal, mais après l’invasion ils étaient devenus un risque trop grand. Et si beaucoup l’avaient compris et - qu’Anür les garde - s’étaient dénoncés d’eux-même, préférant une vie en exil plutôt que de causer la perte des leurs. Beaucoup d’autres avaient choisi de vivre cachés, terrés comme de vils renards. Et pour ceux-ci il n’y aurait ni justice ni pardon, du moins pas tant que je serai dans les parages.

Le chien fou de la famille Monclar n'était pas un homme capable de tenir sa langue lorsque quelque chose le dérangeait. Les mercenaires ne se mêlaient jamais aux miliciens, les jugeant incapable de prendre la moindre décision intelligente ou simplement juste… Sans parler de leur inaptitude notable concernant le maniement des armes, pour la plupart, faute de formation correcte ou de temps suffisant pour parfaire leur technique. Impossible pour eux de seulement envisager de les respecter un minimum, quand bien même fussent-ils au service du Duc et de la cité, ils étaient trop nombreux à profiter de ce pseudo-pouvoir pour traumatiser la populace. Ainsi, se trouver parmi eux leur demandait un réel effort en particulier dans la retenue. Et si la tâche s'avérait déjà difficile pour la rouquine qui n'attendait que l'occasion de venger son peuple et sa famille pour leurs pertes, pour Ivaad, cela relevait tout simplement de l'impossible.

Le géant n'avait malheureusement peur de rien et se fichait tout bonnement de la position de l'individu qui venait de réagir à sa remarque.

- Votre sang est aussi rouge que le mien, chevalier, vous n'êtes qu'un homme. Gardez vos menaces pour vous, je ne suis pas un arriviste, vous pourriez être surpris, grogna-t-il en offrant à Adam un sourire carnassier.
- Ça suffit Ivaad, gronda Aeryn qui vint se placer face à son frère lorsque le chevalier l'eut relâché. Essayez de garder en mémoire la raison de notre présence ici, à tous, son regard d'acier glissa vers le chevalier. Gardez votre énergie pour mener à bien cette mission… Et par les Trois, Ivaad, apprend à la fermer !

Kaël était resté silencieux, se contentant d'observer la scène tout en lâchant quelques soupirs désespérés. Il n'était certainement pas temps à perdre un autre membre de leur famille, surtout d'une manière aussi stupide.

-Excusez-le, messire chevalier, mon frère est plus bête que méchant, mais c'est un excellent mercenaire. Comme le souligne ma sœur, nous avons tous mieux à faire que de se laisser aller à quelques disputes.
- Il est vrai ! Les décisions du Roi sont justes, mais si la plupart s'y plient sans rechigner outre mesure, certains ont du mal à les accepter et peuvent réagir de manière imprévisible, restez donc sur vos gardes et veillez à rester concentré… Ça ira pour vous, jeune fille ? demanda-t-il en lançant un regard chargé de sous-entendus à l'unique femme du groupe. Celle-ci ne lui répondit que par un sourire des plus éloquent, tandis que sa réponse faite de mots fusait gentiment sous sa tignasse.

"Ne te fie pas aux apparences, idiot. Je suis mercenaire depuis bien longtemps, bien avant qu'apparaisse le premier fangeux. J'en ai vu d'autres et si je suis toujours en vie, c'est probablement parce que je ne suis pas aussi faiblarde que j'en ai l'air."

Inutile de lui servir ce discours-là, la rouquine avait depuis bien longtemps compris que si les hommes entendent les mots ceux-ci n'en saisissent que rarement le sens. Son apparence, probablement trop fluette pour paraître imposante comme se devait de l'être tout guerrier, jouait encore une fois contre elle… Mais celle-ci ne lui desservait pourtant pas toujours, peu nombreux étaient ses adversaires assez malins pour ne pas commettre l'erreur de la sous-estimer et la jeune femme allait justement en jouer. Viendra bien le jour, le temps où les idiots cesseront de se laisser avoir par un joli minois et une carrure de femme… Un jour… Peut-être. Pour l'heure, Aeryn ferait avec, comme à son habitude, en restant à l'écart pour mieux observer ce petit monde et les situations qui allaient suivre.

- Si personne n'a de question, nous pouvons y aller. En marche !

Ainsi, le petit groupe hétéroclite prit la route pour la zone qui leur était attribuée. Durant le trajet, le regard de la mercenaire en croisa une myriade d'autres aux allures plutôt mitigées. La plupart des badauds fleuraient la peur, l'inquiétude ou encore la méfiance. Peu d'entre eux semblait rassuré par la présence de tous ces gens armés…

- Étranges réactions... lança-t-elle dans le vent.


S'il y avait une chose dont Aeryn se méfiait ce ne pouvait être que la paranoïa dictée par la peur. Celle-ci entraîne généralement des réactions de meutes, un peu comme le font les loups lorsqu'ils se sentent en danger… Une réaction en chaîne, comme celle qui avait eut lieux quelques jours à peine au sein de l'auberge qui leur avait servi d'abri… Néanmoins, après un événement tel que celui-ci, personne ne pouvait aisément reprendre sa vie comme si rien ne s'était passé. Les habitants de la cité, se pensant jusque-là à l'abri derrière ses hautes murailles, ne pouvaient que craindre de voir le sombre épisode se reproduire. Il était donc normal que ceux-ci se méfient de tout et de tout le monde… Les coupables de cette tuerie, n'étaient-ils pas des leurs, après tout ?

Ainsi débutèrent les premiers contrôles. La plupart des gens semblaient obtempérer sans aucun souci, mais chaque visite attirait toujours plus le regard de nombre de curieux qui se rassemblaient çà et là de la ruelle afin de les observer tout en échangeant quelques messes basses…

- Que peuvent-ils se dire, tous ?

Il doit y avoir un détail que le Clovis, il a pas compris. Alors, il fait un truc que d'ordinaire, il fait pas : il réfléchit ! Et le truc bien, quand qu'tu réfléchis, c'est que le temps, bah il continue de passer et que les gens ils continuent d'discuter. Et quand qu'le baraqué nerveux copain d'la sorcière, il parle d'entrailles nobles, Clovis sourit.

- C'est bon, j'a compris. Chevalier, c'est pas cavalier. Chevalier, c'est un titre pour les de l'esplanade, ceux à qui qu'il faut parler en faisant des phrases compliquées prout prout parce que c'est comme ça que qu'on parle chez eux. Bref, t'es un sang-bleu, quo, un des gars qu'il faut qu'on voulvoul. Voulvouler, ça veut dire que j'dois po te dire tu mais te parler comme que j'parle à un chef, en f'sant bin attention à po t'vexer parce que moi j'ai po appris à causer l'nobliau. Mais bon, j'a une bonne excuse, les entrailles d'ma mère, elles étaient pas bleues, c'tait une femme de forgeron. L'forgeron, c'est celui qui fabrique ton épée et ton armure. Soit dit en passant, l'a pas fait du super boulot, l'tien. C'est passable, hein, mais mon père, lui aurait fait r'faire parce que bon, les finitions sont à chier.

Le Clovis secoue la tête, se disant que décidément, les bons artisans, c'était pas toujours ça. Quand on voit la qualité de son bouclier, pas très décoratif mais hyper fonctionnel et bien fini et la solidité de son épée à une main, totalement adaptée à sa main (qui est géante, comme lui), on peut lui reconnaître une certaine expertise, du moins dans le regard. Bon, que l'armure et l'épée aient déjà servis et qu'il ne soit pas toujours simple de tout faire réparer le jour même lui échappe sûrement. Pour lui, t'es "noble", t'es riche, donc tu fais réparer et tu portes pas des trucs abimés. Lui, il profite de la forge de la caserne pour refaire régulièrement son matériel en fer. Côté armure en cuir, il paie moins de mine. Bon, on pourrait habiller deux miliciennes avec son seul habit, mais cela reste un poil étroit sur lui. Dire qu'on lui avait ajusté un uniforme de milicien il y a trois mois. Le fait qu'il devienne étroit est la preuve qu'il continue à grandir et s'élargir. Il en revient au chevalier.

- Alors, monsire si c'est comme ça que qu'on dit pour un chevalier, comment que j'va t'expliquer ço sans que vous l'preniez mal ? Tout dans le monde des humains, il appartient au Roi. S'il m'dit d'te couper la main, tout nobliau qu't'étions, t'as plus d'main. Pa'ce que le roi, c'est le roi. J'bosse pour la milice royale, mais j'suis pas milicien "du roi", j'suis juste milicien. L'milicien du roi, c'est, par exemple, celui qui est son garde-du-corps, celui qui va s'prendre la flèche qu'on aurait tiré sur l'roi à la place du roi. Le milicien du roi, il vit au Palais royal, tout ça. Alors, si qu'tu vis po au Palais Royal et que tu bosses po directement pour le Roi, du style c'est toi que vous vous occupez du ch'vaux du roi ou j'sais pas quoi qu'il fait le chevalier dans vot' monde, dites pas que vous êtes "chevalier du roi", mais juste que t'es chevalier. Que tu appartiens au Roi, on le sait, on lui appartient tous, même la rousse. Mais ceux qui prétendent qu'ils bossent directement avec lui, bah sont pas si nombreux. Et on n'aime pas ceux qui prétendent, sans l'être, ici, parmi les du peuple. Alors, Adam de corvée, Chevalier, ça suffit comme présentation chez nous. Enfin, j'crois...

Il se gratte la nuque, un peu perdu et reste perdu dans ses réflexions quand la troupe se met en route. Il n'est pas intervenu dans l'altercation entre le chevalier et le mercenaire, d'autres s'en sont chargés. Puis il vit dans un milieu militaire, des gars qui veulent jouer à qui a la plus grosse, il voit ça tout le temps. Maintenant, si l'chef Arthur lui aurait demandé de les séparer, il l'aurait fait, à coups d'bouclier dans la tronche s'il fallait. Il est sorti de ses réflexions par l'échange entre son coutilier et la sorcière mercenaire.

- L'chef, l'est pas idiot, l'est coutilier. Faut po confondre. Dans la milice, coutilier, c'est comme chef chez les mercenaires, et on n'nomme po des idiots coutilier. La preuve, mo, j'suis costaud, mais j'suis po coutilier. Faut qu'il sait enquêter et faire des rapports bien clairs et tout pour être chef, alors que l'milicien d'base, il doit surtout savoir obéir aux ordres. Un coutilier, ça en donne, aussi, des ordres, et c'est vraiment un rang au-d'ssus. A la limite, j'peux parfois donner mon avis, si c'est utile, donc pas toujours. C'est pour ça qu'jva pas dire au chef Arthur que j't'a vue à l'action dans la Taverne pendant les événements au Goulot et que tu ferions une bonne milicienne, une qui sait taper et réfléchir. J'crois j'tape mieux qu'to, mais j'sais qu'tu réfléchis mieux qu'mo. Mais j'suis bin content qu'tu fasses partie d'l'équipe où que j'suis, sorcière.

Lorsque la troupe visite la première maison, Clovis se met là où il est le plus efficace : Dehors et devant la porte. Cela évite que les gens se rapprochent trop, surtout les curieux, ou que des complices interviennent sans qu'on les voit. C'est que l'baraqué et son loup, faut déjà les franchir. Puis accessoirement, si quelqu'un tente de fuir, grâce à Noulouk, il pourra le repérer et le pister aussi. C'est donc bouclier mis en évidence, épaules élargies pour paraître plus impressionnant et regard sévère qui fait peur que Clovis a pris position, mode "si t'as rien à faire ici et rien d'intéressant à dire, évite de m'approcher". Cela marche souvent. Pour ce qui est de calmer une foule, Clovis fait partie des miliciens en qui on peut avoir confiance. Si ça s'enflamme un peu, il assomme le plus agité et cela suffit souvent, surtout que son chien loup en profite pour retrousser les babines. Pour les enquêtes, c'est probablement l'un des pires miliciens, mais l'un dans l'autre, on l'accepte bien. Il est de bonne volonté et n'hésitera jamais à prendre un coup à votre place.