Une terre à sauvée, un monde à reconstruire [ Alexandre de Terresang]

20 juillet 1166 au sud d'Usson, à l'ancien domaine

À l'aune de cette belle journée d'été, la jeune fille se faisait une joie à la perspective de se rendre à l'ancien domaine – comme elle aimait continuer de l'appeler – à pieds. En effet, la demoiselle avait rendez-vous avec le Vicomte de Terresang, qui bien qu'elle le connut peu, lui inspirait déjà autorité et respect. Nouvellement installé au labret, il séjournait régulièrement dans cette ferme acquise depuis peu. Comme un certain nombre d'autres habitations, elle avait été abandonnée des anciens propriétaires, tués par la fange...Maudites créatures, pensa-t-elle aussitôt.

Éveillée à une heure plus que matinale, la Châtelaine avait d'abord faussement fait mine de déjeuner longuement, d'être calme et sereine, pour qu'on ne pu encore lui reprocher sa fâcheuse tendance à l'empressement. Néanmoins, elle s'était tout de même arrangée pour être prête aussi rapidement que possible. Sa bonne fille – cadeau du cousin de sa mère- ramenée de Marbrume quelques semaines plus tôt, avait eu encore du mal à la suivre.

Attrapant tant bien que mal les robes qui volaient une à une, à travers la chambre, elle ne du pas comprendre que son employeuse éprouve tant de difficultés à se décider. Et pourtant...il était important, même essentiel qu'Aurore parut au mieux

Après plusieurs longues et laborieuses minutes, elle parvint finalement à trouver un habit qui semblait lui sied. Ceci disposait, elle demanda également à être coiffée convenablement. Elle se força donc, plus que de coutume a apprécié un arrangement plus traditionnel et soigné, loin de la liberté convoitait habituellement.

Sa personne tout à fait présentable, la belle s'installa un moment derrière la fenêtre pour contempler une fois de plus l'extérieur. Tout était si différent ici. Car si elle aimait la ville et son effervescence, elle ne se voyait pour autant y vivre, préférant le calme et l'allure faussement paisible de la campagne environnante. Elle fit ainsi passer le temps comme cela, autant qu'elle put. Puis n'y tenant définitivement, la jeune fille alla s'enquérir de la possibilité de se rendre à l'ancien domaine.

Elle obtint non sans enthousiasme, la permission de partir. Néanmoins, elle dut se résoudre à être conduite sur place, à cause de la chaleur de l'été. Que de veines précautions, songea-t-elle avec une pointe d'agacement. Elle n'en dit cependant rien, trop heureuse de sortir un peu de ses terres.
Contrairement à ce que l'on aurait pu penser, il ne s'agissait point d'une entrevue galante. Non, point du tout. En réalité, Aurore avait eu la fierté de se voir confiait par son père la régie d'une potentielle alliance entre le Vicomte Terresang accompagné de ses projets et les De Rune. Il était question de reconstruction et d'amélioration des conditions de vie du peuple du labret. Très intéressée, elle n'avait pas caché son entrain pour cette tâche, allant jusqu'à insister auprès du Châtelain pour qu'il lui fit confiance. D'abord réticent, il avait néanmoins cédé, convenant que bien qu'étant encore une enfant, une fille de plus, elle serait un jour prochain une femme et devrait se montrer capable de gérer sa demeure et son héritage.

Il n'osa pas également lui dire que par les temps qui couraient, mieux valait pour elle d'être au fait du monde rapidement et d'avoir des gens sur qui compter en cas de besoin. Il ne serait pas éternel...Et la fange ou la maladie aidant, partirait peut-être bien avant l'heure, comme sa femme ou son fils.
Sur le chemin qui l'a menait à l'ancien domaine, qui aimait habituellement le paysage, ne parvint pas à s'en satisfaire, trépignant d'impatience à l'idée d'arriver. Une fois sur place d'ailleurs, elle quitta son transport comme un diable sortant de sa boîte. Hum...ce n'est pas très élégant, constata-t-elle avant de se reprendre.

N'apercevant pas immédiatement l'homme qu'elle devait voir, elle s'interrogea quant au bon moment de sa venue avant de se mettre en quête d'un quelconque domestique voulant bien lui indiquer où il se trouvait.

"Excusez-moi mon brave, sauriez-vous où je puis trouver le Vicomte ? Il me faut m'entretenir avec lui d'un sujet important."

Gracieuse et souriante, la jouvencelle l'air agréable tout en observant de çà de là son entourage.

Le bon air de la campagne, la joie de pouvoir dormir sur une couche qui n'est pas empli de plumes d'oie, la joie d'être entouré de paysans et paysannes qui se lèvent aux aurores pour s'occuper des champs ! La joie de vivre une véritable vie de campagnard, ça ne faisait qu'une semaine qu'il était sur le Plateau à l'ancien domaine des Colbleu reconverti en Quartier Général annexe de l'Ordre pour y superviser les opérations Labrétiennes de l'Astre d'Azur, le domaine avait était fortifié -palissade remonté, bâtiments consolidés- et les champs étaient prêt à être semé c'est d'ailleurs là qu'intervenaient les ouvriers en formation de la jeune Mathilde mais ça c'était une toute autre histoire qui n'avait rien à voir avec celle-ci.

Beaucoup pensaient que Alexandre était partie au Labret pour y dépérir, ils pensaient qu'il était malade ou alors qu'il avait trouvé une donzelle … mais rien de tout cela ! Il était partie de la Cité Franche car les complots et les intrigues mondaines ne lui sied plus, il se trouvait changé dans ce nid à serpent … du moins c'est ce qu'on lui avait dit et la personne en question avait raison, il n'était pas le petit nounours quand il était de sortie en dehors des remparts, même si il gardait toujours son côté autoritaire de noble, il était considéré comme un véritable connard à Marbrume comme en pouvait témoigner l'arrangement financier grâce au mariage de sa belle sœur avec le Comte de Rougelac.

Il était actuellement au champ n°1 près de la palissade boisée en campagne d'un des ouvriers en formation et deux hommes qui étaient venu de Marbrume pour faire son rapport sur l'état de sa résidence et les hommes qui y étaient resté ainsi que le matériel … car oui, pour la sécurité de tous, seule la moitié des effectifs (voire moins) et du matériel en conséquence de l'Ordre étaient au Labret … il suffisait de peu pour les opérations actuellement mais un bureau de recrutement allait voir le jour à Usson et peut être qu'avec l'entretien qu'il allait avoir avec un potentiel allié, cela se fera sans encombre… d'ailleurs, il n'avait pas tardé.

« M'ssire ! Une damoiselle vous d'mande, m'sieur ! » annonça le bougre qui avait était interpellé par la jeune noble auparavant et qui avait accouru jusqu'ici pour prévenir l'intéressé.

« Une dame ? Mathilde se languit donc tant de moi qu'elle prétexte revenir nous voir pour examiner comment tu travaille mon cher Raoul ? » Dit-il avec un léger sourire alors que l'ouvrier se mit à rire doucement avant de reprendre son boulot.

« Non, m'sieur ! C'est une gracieuse ! Sûrement d'la ville ! »

Une noble ? Il examina l'Astre solaire et se disait que c'était peut être l'émissaire qu'il attendait. Cette fois un sourire plus large se dessina sur ses lippes et fit signe à l'homme de le suivre tout en claudiquant avec sa canne … sa jambe le faisait toujours souffrir d'ailleurs, maudit fangeux, maudite créature qui lui avait transpercé la jambe de ses griffes lors de cette foutue invasion qu'il avait aidé à contenir d'ailleurs mais c'était aussi en partie pour cela qu'il était partie … malgré l'insécurité du Labret au moins, les habitants étaient prêts à une attaque alors qu'à Marbrume c'était une autre affaire, qui suspecterait une faille dans ces remparts protecteurs ?

Il claudiqua alors jusqu'à l'entrée du domaine et eut un large sourire en voyant la demoiselle si bien appairé, il se dirigea vers elle tel un vieillard avec sa canne et avant qu'une quelconque révérence ne soit faite, il lui tendit la main.

« Vicomte Alexandre, Seigneur de Terresang et Maître Dirigeant de l'Astre d'Azur ... » Il s'arrêta un instant en levant les yeux au ciel puis reprit tout en reportant son regard dans celui de la demoiselle. « Mais appelez moi Alexandre, nous sommes après tout au Labret et à la campagne, tous les hommes et les femmes sont égaux … point de connivence, nous ne sommes pas à Marbrume. Excusez moi, je parle peut être trop, à qui ai-je l'honneur ? »

Regardant de ci et de là, Aurore n'eut pas à attendre bien longtemps avant de voir venir à sa rencontre le fameux Vicomte, qu'elle ne connaissait jusque-là que de réputation.

« Vicomte Alexandre, Seigneur de Terresang et Maître Dirigeant de l'Astre d'Azur ... »Il s'arrêta un instant en levant les yeux au ciel puis reprit tout en reportant son regard dans celui de la demoiselle. « Mais appelez--moi Alexandre, nous sommes après tout au Labret et à la campagne, tous les hommes et les femmes sont égaux … points de connivence, nous ne sommes pas à Marbrume. Excusez-moi, je parle peut-être trop, à qui ai-je l'honneur ? »

"Très bien" répondit-elle dans un sourire, ravie sans se permettre de l'avouer, d'envoyer un instant balader les use et coutumes parfois trop rigides de la ville. "Vous ne parlez point trop, ne vous en inquiétez pas, c'est très appréciable."

S'il ne dérogeait pas au dire des gens quant au fait qu'il put inspirer autorité et respect, elle devait avouer s'attendre à autre chose quant à son allure. Mais après tout, comme il l'a dit, songea-t-elle, nous sommes au labret. Et puis, la jeune fille ne pouvait s'empêcher en l'observant de lui trouver une mine fort sympathique.

"Je suis Aurore de Rune" annonça-t-elle alors d'une voix douce mais ferme. "J'ai été mandatée par mon père pour vous rencontrer...Du moins..."se corrigea-t-elle légèrement..."m'a-t-il accordé cette possibilité. J'espère que cela ne vous gêne point.".

A bien y penser, dans son empressement, elle n'avait pas envisagé la potentialité qu'il put refuser de traiter avec une femme. L'approbation du Châtelain ne pouvait-il suffire à tous ? Elle se mordit l'intérieur de la joue face à cette absurde pensée. Bien sûr, elle savait que ne fonctionnait pas ainsi. Tu devrais réfléchir davantage ma fille, se fustigea-t-elle.

"J'avoue m'être montrée très intéressée par votre travail et contribution à l'aide et à la reconstruction après ce que nous avons traversé." Elle utilisa volontairement la première personne du pluriel, se sentant très concernée, depuis un certain temps déjà par le malheur des habitants, des gens en général, qu'ils furent plus ou moins proches d'elle. "Il me paraissait être un devoir de faire quelque chose, de participer activement d'une manière ou d'une autre à faire en sorte que le monde se relève. Voilà pourquoi il m'a paru opportun de me proposer comme médiatrice de l'arrangement qui pourrait se faire entre nos deux maisons. "

Comme elle se tut enfin, un nouveau sourire vint s'afficher sur son beau visage. La jeune fille escomptait la bienveillance de son hôte ainsi, que sur sa raison pour lui faire entendre qu'ils voulaient tous deux œuvraient dans la même direction. Tout du moins le croyait-elle sincèrement.

« Me gênez ? En quoi cela me gênerait-il, dame Aurore ? Vous êtes l'héritière de votre père, si je ne m'abuse, non ? Vous êtes donc tout a fait légitime de venir négocier en son nom, et puis vous savez ce que l'on dit : Une femme est la sagesse incarnée et même si vous me paraissez bien jeune, votre regard me fait voir votre sérieux et votre capacité à prendre une décision, vous êtes décidé et cela me plait. Vous êtes venu jusqu'ici pour venir discuter alors allons discuter ! »

Il lui tendit alors son bras gauche où trônait une prothèse métallique à la place du membre, pour tout ceux qui connaissait l'histoire de la reprise du Labret, chacun savait que le vieux Vicomte de Terresang avait perdu sa main suite à une attaque de la Fange, c'était un souvenir indélébile pour sa poire mais c'était un bien maigre sacrifice pour toute les vies qui avaient été prises lors de cet exode.

Sitôt qu'elle avait acceptée le bras du Seigneur Paysan (comme il aimait s'appeler depuis qu'il était au Labret) il l'accompagna jusqu'à la grande maison à deux étages qui servait de centre névralgique au Quartier-Général de l'Ordre mais aussi de lieu de repos au Vicomte et du conseil de l'Ordre au Labret … mais ne vous y trompez pas : pas de soie, pas d'oreillers rempli de plumes d'oie ou encore de matelas douillet, non, non, non ! Le juste minimum ! Le minimum syndical (c'est quoi ce mot d'ailleurs?) ! Juste des couches rudimentaires et c'était bien assez ! En chemin, il écouta alors la demoiselle qui semblait être comme l'avait pressenti Alexandre : motivée et surtout prête à tout pour montrer que même les nobles pouvaient mettre la main à la pâte et c'était très bien ! Il se mit à sourire à la jeune femme puis déblatéra à son tour tout en poussant la porte de la main :

« Je suis certain que nous arriverons à un accord, dame Aurore, pourquoi n'y arriverons pas ? Nous sommes entre gens de bonne éducation et surtout, nous avons un point commun : Nous tentons de rendre le monde meilleur. »

La bicoque était simple, point de décoration mis à part le tabard représentant un Astre Bleutée au fond de la pièce dont l'entrée était juste une immense table avec plusieurs cartes de la région mais également des parchemins éparpillés un peu partout, il y avait près de la table, des étagères et une armoire qui semblait similaire à la table : dans un bazar monstre. Il semblerait que l'entrée servait de point de réunion. Il présenta alors une chaise à la jeune de Rune puis s'en alla rejoindre la cheminée où à son côté il y avait un petit plan de travail où trônaient : pain, cruches en étain, coupes mais également du fromage en petite quantité … il était peut être temps de faire les provisions.

« Nous venons malheureusement de nous installer et nous n'avons pas encore prit le temps d'acheter la nourriture qu'il nous faut aux fermiers du coin … nous avons eu plus urgent à faire mais il nous reste du vin et un peu de fromage de chèvre avec du pain, cela vous irait-il ? »

Il n'attendit pas la réponse de la demoiselle qu'il prit tout sur un plateau avant de rejoindre la table servant de point de rassemblement… il posa le tout sur un coin avant d'avoir un petit sourire et tenter de ranger un peu le fatras autour d'eux de sa main valide.

« Veuillez m'excusez, il semblerait que l'installation d'un nouveau quartier général soit synonyme de désordre et si vous m'expliquiez ce que votre père souhaiterait négocier avec l'Ordre. » Il s'arrêta un instant, un parchemin dans la main en suspend puis retourna son attention vers la demoiselle.

« Mais avant d'aller plus loin, j'aimerais savoir … votre père souhaite un accord avec la Maison Terresang ou l'Ordre de l'Astre d'Azur ? Je souhaite vous prévenir que ce n'est pas la même chose, je ne suis pas l'unique personne dirigeante de l'Ordre et la décision se fait collégialement. Sachez toute fois qu'il est bien évidemment possible qu'un accord soit passé entre nos deux maisons mais aussi l'Ordre. »