Marbrume


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 Visions crépusculaires

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EdmurMilicien
Edmur



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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires - Page 2 EmptySam 2 Nov - 12:49
Installé tant bien que mal, dos au mur, emmitouflé dans mes peaux pour la nuit, je sentais la tiède torpeur m'envahir. Après une journée si bien remplie, être en sécurité, apaisé par la fumée de la pipe, avaient comme un effet somnifère. Cependant, tout bien être que je pus ressentir, Grisold, avec ses mots et le voyage qu'elle me proposa dans son passé, me tint éveillé. Le regard au plafond, défilaient devant mes yeux les images d'une vieille dame à la figure sèche, mais au regard bon. Je la voyais passer ses doigts dans les cheveux d'une enfant pour la protéger des railleries d'autres bambins goguenards.

A un moment, je crus déceler une faiblesse dans la voix de la guérisseuse. Son récit semblait la mener aux frontières de mélancolie. Peut-être que ma question avait réveillé de vieilles émotions enfouies ?
Ed' mon gars, ça n'était pas forcément le coup le plus finaud que tu ais bien pu jouer.
Mon poing se ferma. La peine de la femme était audible, je ressentais une peine. Mais je n'étais pas la personne pour l'apaiser, et il fallait dire aussi que je n'aurais pas du tout su comment m'y prendre.
Du reste, autre chose venait s'interposer entre ma compassion pour elle, et ma tête : Je n'y étais pour rien. Il y avait des idiots partout. Des gens stupides aptes à juger sans fondement. J'avais aussi subis les brimades et les reproches. Ma mère les subissaient toujours, d'ailleurs.
...Au moins elle n'avait pas brûlé, cependant...

J'avais un pincement au cœur, mais je n'arrivais pas à être aussi touché qu'elle. Sûrement aussi la faute au fait que nous les humains étions tous un peu enfermés dans nos propres souffrances. Suffisamment pour êtres moins atteins par les malheurs des autres que les nôtres. C'était d'ailleurs sans doute ce vilain défaut qui nous poussait à faire du mal aux autres.
Comme brûler vivante une petite vieille qui n'avait fait de mal à personne...

Je fermais les yeux, me plongeant dans un univers noir avec mille points lumineux multicolores dansants sous mes paupières. Retiré la dureté de mon matelas, j'étais plutôt confort, là. Au sec, au chaud, avec de la nourriture à portée de main. De nombreuses conditions étaient réunis pour passer une nuit correcte. Demain j'aurais mal au os, les muscles sans doutes tirés, un peu endoloris, mais au moins serais-je en vie et globalement en forme.

Je posais mon poing fermé contre le coffre entourant la couche. Je tapais doucement deux coups dessus pour signifier une présence, pour manifester une compassion. Ouvrant les main, j'effleurais la surface du bois du bout des doigts quelques instants, pensif.

Je suis là, si tu veux.

Une histoire ? A moi de parler, hm ? Qu'est-ce que je vais bien pouvoir raconter, moi...?
Je me passais une grosse patte dans la barbe, cherchant l'inspiration. Mon esprit s'évadait quelque peu, mais ma tête était encore assez claire pour chercher un instant qui valait le coup d'être narré. Un instant plutôt gai et positif, pour que la chagrinée Grisold retrouve la sérénité.

-"Je me souviens d'une histoire... Le duché était encore une terre à l'abri du courroux de la fange.
C'était le lendemain de mon passage à l'âge adulte. Mère m'emmena à la mer. Je marchais avec Maria, ma petite sœur qui avait autour de six ans. Je la tenais par la main.
La petite famille au complet. Il faisait gris ce jour là. Je me souviens que tous les trois, nous avions chacun un panier chargés de choux, mirabelles, raisins, framboises, carottes, ainsi que de la viande de chèvre.
Tout était frais du jour, et nous avons marché pendant au moins une heure pour atteindre la plage derrière Marbrume. Il faisait frais et le vent agitait nos cheveux. Mère était de bonne humeur. Elle avait sa belle robe des jours importants. La veille, mère m'avais pour la première fois rasé les côtés de la tête avec le couteau, et mon crane me démangeait encore. Maria racontait des histoires à propos des papillons.
"

Le regard dans le vague, je me remémorais cette époque insouciante, où rien n'était si compliqué. Certes nous étions bien calomniés et trainés dans la boue par les ignares, mais en famille, nous étions heureux et nous n'étions jamais séparés.

-"Arrivés sur la plage grise, mère nous avait mis en ligne, avec chacun un panier. Nous allions les porter à Anür, sur les flots. Nous sommes entrés dans l'eau. En marchant. J'en avais jusqu'aux épaules, c'était impressionnant à l'époque parce que je savais que je n'étais rien par rapport à la force de la mer. Que si la Déesse voulait me rappeler à elle, il suffisait qu'une vague me pousse d'un pas encore en avant et je n'avais plus pied. Je tenais encore ma sœur par la main. Mais elle, elle ne craignait pas la mer. C'était elle qui me retenait pour ne pas que je me fasse emporter. Alors nous avons écouté la prière de notre mère. Et nous avons laissé les offrandes de fruits, de légumes et de viande dériver, s'éloigner tout doucement. Nous avons regardé jusqu'à ce qu'on ne vit plus les paniers."

J'eus un sourire, me rappelant la suite.

-"Nous sortîmes de l'eau. La mer était froide et le vent commençait à l'agiter. Nous avions froids mais nous étions satisfaits. Cette agitation soudaine était bien le signe qu'Anür avait reçu nos présents. Soudain Maria poussa un cri de surprise qui couvrit le tumulte des vagues. Nous nous sommes retournés. Un panier trempé revenait doucement arrêter sa route sur le sable derrière elle. Il restait simplement une pomme dans le panier. Tout le reste avait disparu. Nous avons donc sourie et pensé que la Déesse nous invitait à festoyer avec elle. Nous avons partagés le fruit en trois et l'avons mangé."

C'était une belle histoire pour moi. Une histoire de famille, une histoire qui montrait que les Trois avaient un regard sur les humains, qu'ils les accompagnaient au quotidien. Quelque part c'était une histoire qui donnait de l'espoir. Du moins, moi ça me donnait de la confiance.

Je soupirais. Une nouvelle idée germait dans mon crane. Elle ne pourrait se réaliser prochainement, mais les Trois, s'ils approuvaient l'idée me laisseraient sûrement l'opportunité d'aller au bout de ce projet. Je tournais ma tête vers le bac où la guérisseuse ne me paraissait nullement prête à sommeiller.

-"Grisold, désires tu voir la mer ? Je pourrais un jour t'y emmener, si ta patience est grande."

Il me semblait que c'était la façon la plus juste de l'aider, à mon échelle. Car c'était ma parole de soldat, puis de milicien. Venir en aide aux bonnes gens. Et puis j'appréciais bien cette femme simple et pleine de spiritualité. Son expérience de la vie avait sans doute encore moult choses à m'apprendre, et ma soif de connaissance était loin d'être étanchée.

Et puis j'aimais bien cette femme simple...
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Grisold FolépineBannie
Grisold Folépine



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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires - Page 2 EmptyDim 3 Nov - 21:37




Duché du Morguestanc
Premiers jours de Juin 1166


Un, deux battements sur le bois. Ce bruit mat et doux avait sorti Grisold de ses songes mêlés de fumée d’un brasier funeste et de lin rêche. Le bruit lui rappelait quelque chose mais quoi ? Elle mit un certain temps à le retrouver. Le bruit de la pluie sur le battant des volets d’une chaumière oubliée. C’était les larmes qu’elle ne verserait plus, un passé qui fluait et refluait à sa mémoire comme une vague qui revient s’échouer sur les falaises abruptes de son histoire. Elle avança sa main vers ces doigts étendus sur le bois, glissant sa paume sur le panneau du coffre avant de s’arrêter juste à la lisière des phalanges solides qui y reposaient. Un effleurement à peine, implicite, de ce lien figuré par les rainures du bois. Elle laissa sa main là sans bouger, à proximité de la sienne, comme on n’ose pas toucher à une chose si fragile qu’on en vient à douter de son existence.

Elle se laissait désormais transporter par un autre récit, heureuse de ne pas rester dans ses propres ténèbres, imaginant le vent de la mer, et l’odeur iodée de l’eau portée par Anür. Les pratiques et les rites différaient pour beaucoup, elle même n’avait jamais réussi à approcher les côtes et elle se prenait à imaginer les oiseaux parcourir ces grises collines mouvantes à l’infini. Voguer vers l’horizon. Libre. N’était elle pas libre pourtant ? Le bannissement était il une forme de liberté ? Elle se sentait plutôt comme le gibier traqué. D’un côté la Fange de l’autre les hommes. Pour autant, elle avait toujours pris la liberté sans attendre qu’on lui donne. Allait-elle la saisir encore ?

— C’est un beau récit, Edmur le fils d’Adrianelle. Ta mère a l’air pieuse et ta soeur semble brave. Seulement tous les fils ont un père. Ou est le tien dans ton histoire ?


C’était probablement une question indiscrète mais cela l’intriguait tout de même. Grisold n’avait pour ainsi dire aucune origine, sauf celle qu’avait bien voulu lui donner Ma’, ce nom là étant seulement celui qu’elle lui avait donné il y avait fort longtemps quand elle avait commencé à parler. De fait, c’était une question épineuse, et comme le guerrier avait l’air de vouloir lui confier un peu de son histoire, peut être accepterait-il d’en parler à son tour. Elle observait cette vie comme un phénomène curieux, une ligne parallèle qu’elle aurait pu suivre si elle n’avait pas été Grisold. Revenant à Anür et ses rites, elle ajouta :

— Certains gestes, je les ai appris de Ma’... D’autres, je les ai trouvés. Je fais des rêves parfois. Mais depuis quelque temps, je fais moins de rêves. Les dieux sont en guerre.

Elle haussa doucement les épaules. Elle avait toujours eu l’esprit ailleurs. Elle avait le sentiment que les Trois envoyaient parfois leurs messages par le biais des rêves ou des cauchemars. C’est ainsi qu’elle mettait du sens à ses impressions, qu’elle ordonnait ses pensées. Mais depuis qu’elle avait été jetée hors de Marbrume, elle avait peu à peu perdu le fil de ses rêves, comme une chose qui se délite au gré du vent. Peut être était-ce la Fange. Les Trois avaient trop à faire ? Ou à croire que les hommes lui avaient amputé une partie de son esprit et mettait-elle seulement du temps à la retrouver.

— Mais je continuerai d’honorer les Trois, quoi qu’il arrive. Maintenant plus que jamais. Même si… je crois que les hommes doivent se retrouver pour lutter. Sinon, le faux dieu gagnera
.

Elle n’évoquait que peu ce nom maudit. Etiol. Mais elle était convaincue que les hommes qui l’avaient créé avaient donné substance à la Fange par son intermédiaire. Cette noirceur venait entacher la confiance des hommes en la Trinité et par là même la confiance qu’ils s’accordaient entre eux. Elle s’ébroua. Edmur voulait partager quelque chose d’heureux. Il voulait évoquer la vie, pas ce fléau qui dévastait l’humanité. Pas affronter la noirceur qui peuplait le monde et qu’il affrontait déjà chaque jour. Elle étira comme un sourire d’excuse :

— Mais je ne veux pas amener ça ici, maintenant. Cette cabane t’offrira du repos, jusqu’au matin. Rikni veille.

Elle était restée exactement dans la même position pendant tout ce temps, sa main posée non loin de la sienne. Mais elle fut sincèrement surprise par sa proposition. C’était la deuxième fois qu’on lui faisait. La première s’était soldée par un échec cuisant, mais peut être un message d’avertissement de l’ours qu’elle avait croisé sur sa route et qui lui avait valu une belle blessure à l’arrière du crâne. Cependant, la situation était toute autre. Elle réfléchit à voix haute :

— Voir la mer ? J’ai toujours voulu, oui. C’est le meilleur endroit pour célébrer Anür. Mais es-tu sûr, Edmur le guerrier ? Tu prendrais ce risque ? Pourquoi ?


De la patience, elle en avait à revendre, la chose allait sans dire. Mais elle était troublée par la tournure de cet échange. Elle songeait qu’il aurait voulu oublier cette rencontre au lendemain. La ranger dans un coin de sa mémoire et poursuivre sa vie. Il n’était pas léger comme l’homme de Sombrebois, ni insouciant. Il était conscient de chaque risque qu’il prenait et mesurait ses gestes comme ses paroles. Que pourrait lui apporter ce voyage avec elle, sinon des ennuis dont il se passerait bien ? Néanmoins, elle s’était un peu approchée pour mieux l’observer, comme pour y déceler une réponse sur ses traits ou dans son regard.

— Que pourrais-je t’apporter en échange, sinon des ennuis avec les tiens ?

Elle ne se considérait plus comme les “leurs”, ceux de Marbrume qui l’avaient rejetée. C’était une drôle de scission dans son esprit. Elle pensait que l’humanité devait se retrouver, mais elle avait conscience d’en être à la lisière, un pied dedans, un pied ailleurs. Elle avait tenté à deux reprises dans son existence de la rejoindre, cette humanité, et elle en était ressortie plus brisée et plus éclatée à chaque fois. Renoncer n’était pas dans ses habitudes, mais les marques persistaient, laissaient une empreinte peut être impossible à effacer.

Pourtant, malgré tout cela, elle avait diablement envie d’accepter la proposition d’Edmur. Peut être simplement pour partager encore ce sentiment de compréhension, égoïstement. Quelque chose l’avait toujours poussée en avant. Peut être était-ce stupide. Mais quitte à rejoindre les dieux bientôt, autant ne pas avoir de regrets sur cette terre. L’espoir était une chose difficile à vaincre dans le coeur de la sauvageonne.


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EdmurMilicien
Edmur



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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires - Page 2 EmptyDim 10 Nov - 1:15
Enveloppé de mes peaux, la chaleur gagnant mon corps las, je fermais les yeux de plus en plus longuement.
Le sommeil ne m'avait pas envahit, mon attention était toujours bien présente, mais mes paupières se soustrayaient de plus en plus à ma volonté, devenant toujours de plus en plus difficiles à relever.

Mon bras blessé n'était plus qu'une zone chaude qui me semblait vibrer doucement sans faire de mal. Le bois sous moi était certes dur, mais ça n'était pas la première fois que je dormais dans ce genre de situation, et ça ne serait pas non plus la dernière fois.

Mes doigts avaient caressés les rainures dans le bois de la paillasse de la guérisseuse le temps de signifier une présence. A présent, la femme semblait s'être remise de son chagrin surprise. Elle était venue plus proche, une partie de son corps s'était rapprochée de ma main, sans entrer en contact. Je ne savais pas de quoi il retournait. Que faisait-elle ? Et moi-même?

Grisold évoqua ensuite mon père. Il était vrai que je n'en avais fais nulle mention.

Bien vu...


Derrière mes paupières closes, je revis le visage fermé de cet homme que je n'aimais pas et qui me l'avais bien rendu. Ce fermier à ce point fou de ma mère qui n'avait jamais eu son amour, et qui s'était au moins juré d'avoir sa haine.

Je crispais mes doigts sur le bois, comme voulant fermer ma prise subitement dessus. Mes ongles raclèrent le côté de la paillasse sur quelques centimètres alors que je serrais le poing quelques instants avant de renoncer.
Devais-je penser à lui lorsque l'on évoquait mon père ? Ou à cet enculé, voir ces enfoirés qui avaient violé Adrianelle ?
Saurais-je jamais qui avait-été mon père ? Et puis est-ce que j'en avais bien quelque chose à foutre ?

J'étais qui j'étais, je m'étais construit sans père et putain, je m'en tirais tout aussi bien que quiconque !

-"Je ... N'ai pas de père. Du moins je ne connais pas ce tocard."

Lâchais-je d'un ton neutre. Peut-être un peu neutre agressif mon grand.
Je haussais les épaules.

Passons. Le sujet n'était pas palpitant. Ma main retomba au sol.
... Par contre, je me demandais qui pouvait bien être ce 'faux dieux'? Il me semblait avoir entendu que les sectes prêchaient des versions différentes des Trois, mais je n'avais encore jamais entendu parler de Faux Dieux.
Qui pouvait bien songer à instaurer un autre dieu que ceux que nous connaissions ? Quelle infamie dans l'ombre ourdissait de sombres plans basés sur le mensonge de divinités factices ?

Mon dos glissa de plusieurs centimètres et je me trouvais presque étendu sur le dos au sol de cette drôle de petite cabane biscornue au plafond se perdant dans l'obscurité. Les lampions achevaient de se consumer tout doucement, la lumière baissait. Je ramenais les genoux contre moi, et me tournais sur le flanc, me servant d'une épaule pour me caler au mieux. Face au lit de la femme, je me laissais guider par sa voix dans la pénombre rougeoyante.

-"Oui je suis sûr Grisold. Je ne sais pas si j'ai quelque chose à gagner dans ce voyage, mais il me parait certain que toi oui. Pour ma part, ma famille trouverait que c'est une bonne utilisation de mon temps libre. Ma mère approuverait. Ma sœur sans doute moins. Mais ces derniers temps, j'ai du mal à lire dans son cœur. Elle est comme renfermée. Et puis la mer appartient à Anür. Il ne s'agit pas d'un domaine bassement terrestre qui appartient à quelques élus. C'est le temple de la Déesse, et toi comme tout autre peux t'y rendre. Pour cela, tu dois connaitre le chemin. Et je le connais."

Je n'avais pas très bien compris l'allusion 'aux miens'. Aussi avais-je décidé qu'elle évoquait ma famille. Cependant, bannie, ou non, j'avais l'intuition de faire ce qu'il fallait dans cette histoire. Et puis, la plage, ça n'était pas Marbrume. Elle n'y serait pas un danger, ou, à priori, ne serait pas en danger.

Roulé en boule au sol, je me sentais à peu près bien. L'oreille sur mon baluchon, roulé comme un saucisson dans mes peaux, je sentais lentement la torpeur s'installer. La journée avait été forte en rebondissements.
La surprise d'un réveil loin des siens, la rencontre d'une femme répétant des danses endiablées dans la nuit,
une rencontre évitées de peu avec un fangeux, l'attente sous les racines de l'arbre, et les histoires dans une cabane haut perchée.

Quelles drôles de sensations alors que nous étions tous deux pressés comme des fruits dans un panier trop petit, craignant que le fangeux ne nous tombe dessus.

Je tapais une dernière fois du poing doucement sur le côté de sa paillasse.

-"Bon repos Zozold. Que Rikni te partage des rêves plaisants. Je crois que je vais tâcher de dormir maintenant. Demain je dois repartir, et une longue route m'attends. C'est un plaisir que ma vie croise la tienne... Pas de cauchemars, hein ?"

Mon bras ne me lançait pas spécialement. Cela me permettrait de m'endormir sans trop de difficultés. Les yeux fermés, les cheveux sur les épaules, je respirais de plus en plus profondément, écoutant dans le noir ce que la guérisseuse pouvait bien avoir encore à dire, si elle avait encore des choses à dire. Mais mon esprit s'éloignait déjà...
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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires - Page 2 EmptyLun 11 Nov - 13:17




Duché du Morguestanc
Premiers jours de Juin 1166



“Tocard”... Le mot était rude comme un caillou tranchant. Grisold observait ce poing rude se refermer contre le panneau de bois. Il s’accordait avec la réponse donnée par le guerrier. Elle avait touché quelque chose de douloureux. Elle se sentait plus douée pour traiter les douleurs du corps que celles de l’esprit et du coeur. Elle même se contentait d’être la fille de Ma’ mais parfois, elle se demandait si ce grand silence sur son origine n’était pas la raison de son étrangeté. Quoi qu’il en soit, elle étendit naturellement sa main vers la sienne, se saisissant des doigts qui s’éloignaient déjà. Etait-ce du soutien ? Elle ne se posait pas de question, se contentant de serrer doucement les phalanges entre les siennes, y partageant sa chaleur avant que le bras du guerrier ne retombe. Tu n’es pas seul. Non, bien sûr que non. Il ne l’était pas. Il avait une vie dans la grande fourmilière de Marbrume, une famille, une meute. N’était-ce pas plutôt à elle-même qu’elle s’adressait intérieurement ? A la place, elle se contenta d’énoncer cette vérité simple :

— Tu es l’enfant des Trois, Edmur. C’est suffisant.

Elle se contenta donc de se glisser de côté à son tour sur la paillasse non loin de lui, ses genoux ramenés contre sa poitrine, observant ses traits se relâcher peu à peu à mesure que le sommeil gagnait du terrain. La montagne s’apaisait, mais elle n’était pas tout à fait endormie. Alors qu’elle s’inquiétait de ses raisons et de la fiabilité de ses promesses, il invoqua le devoir. Pas celui de Marbrume, celui de sa propre conscience. Elle devenait probablement une de ses missions.

— Tu as l’air sûr de toi, Edmur. C’est bien. Mais comment t’y prendre est une autre question… Qui attendra demain. Tu es fatigué.

Elle se rencogna vers le bord de la paillasse, se rapprochant à une distance respectable tout en s’enfouissant sous quelques peaux. Elle avait soufflé sur un ou deux lampions pour diminuer la luminosité et les ombres dansaient sur les reliefs de la cabane tout comme sur les angles du visage de son invité. Elle n’avait pas encore trouvé la réponse. Mais pour une raison obscure, elle ressentait le besoin de retenir le moment entre ses doigts. Elle ressentait de nouveau l’envie de posséder quelque chose pour elle-même. Un sentiment dangereux. On était plus en sécurité quand on n’avait rien à perdre. Juste pour cette fois. Et demain, il serait loin, elle reprendrait sa propre route, avant qu’ils ne se croisent de nouveau, si les Trois le voulaient. Elle songeait alors qu’il frappait de nouveau contre le bois, la surprenant presque. Elle devait probablement somnoler, elle aussi.

“Zozold” était un drôle de surnom. Un peu ridicule, mais elle sourit légèrement. On l’avait déjà appelée “Griotte” alors… Il évoquait Rikni, la route, les cauchemars… Elle offrit sa paume en échange, le bras détendu. Qu’il s’en saisisse ou pas, le choix était donné.

— Je te montrerai le chemin pour retrouver la route qui mène à la ville-prison. Les cauchemars… ils n’ont pas de prise sur ceux qui peuvent les affronter. Cette nuit, je ne suis pas seule.

Elle sourit encore, doucement, une façon de le remercier à son tour pour sa présence.

— Dors bien, Edmur des Trois. Tu dois reprendre des forces.

Et sur ces quelques mots, enveloppée par la chaleur de ses peaux et par la sécurité de l’ombre à son côté, elle ferma les yeux paisiblement, son esprit se prenant à voguer loin au delà des cimes.

Elle était un oiseau flottant entre deux océans, deux lignes infinies l’une d’un bleu très clair comme l’horizon et l’autre d’un autre plus profond, comme la mer. Une sensation terriblement familière et étrangère à la fois. Elle allait toujours en avant, survolant les ruines éparses qui disparaissaient dans les hauteurs et nul danger ne pouvait l’atteindre. Elle perdait désormais de l’altitude comme on descend graduellement un escalier invisible. Elle atterrit bientôt dans une douce rugosité. Quelque chose qui filait entre ses doigts de pied, de ce contact chaud et granuleux, comme un liquide doré. Du sable. Ses plumes avaient disparu, et elle plongea ses mains dans cette douceur fuyante comme le temps.

Et alors qu’elle se redressait, elle sentit sur son visage le souffle puissant d’Anür, un parfum de sel comme les larmes d’une mère, et elle ferma les yeux un instant pour s’y plonger, pour écouter les murmures de l’océan. Sa mélopée était un tout, vaste, incompréhensible mais grandiose et sage. Toute douleur la quittait, se confondait avec cette puissance incontrôlable qui venait s’échouer contre ses chevilles nues. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle trouva le regard en deux teintes du guerrier, l'un pâle comme l'horizon, l'autre profond comme la mer, et elle sourit simplement. Elle avait sa réponse.

***

Aux premières lueurs de l’aube, contrairement à son habitude, elle dormait encore. Son visage était détendu, sa crinière brune étalée autour de sa tête comme le plumage d’un oiseau qu’elle rêvait encore d’être en cet instant. Les perles, les plumes colorées formaient comme un étrange ramage. Elle souriait légèrement, comme pour ne pas quitter la vision qui l’avait saisie durant la nuit, ses mains noueuses agrippées doucement à ses peaux, pour retenir encore un peu de l’instant de ce crépuscule particulier.



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EdmurMilicien
Edmur



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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires - Page 2 EmptyVen 15 Nov - 14:44
J'avais plutôt chaud. J'étais allongé sur un sol dur.
Mon dos était raide, la main gauche engourdie.
Je glissais doucement hors d'un état cotonneux, me sentant un peu fatigué après cette nuit interrompue de petits réveils.
Ouvrant de petits yeux, je vis du bois devant mon nez. Le bac, la couche de la maitresse des lieux.

Dehors, le chant des oiseaux gagnait timidement en intensité, alors que le soleil débutait vaillamment son ascension du ciel. Je me passais une pogne sur le front, les yeux en soupirant. Mon bras blessé me faisait clairement moins mal qu'hier, même s'il me tirait un peu quand je le bougeais. Comme s'il s'était figé dans une posture et qu'il refusait d'en adopter une autre.
Dérangeant, mais pas handicapant.

Je me redressais, faisant glisser ma couverture sur mes genoux. L'endroit était éclairé par quelques interstices entre les branches et les planches. On discernait les ombres du mobilier, la forme au repos de la guérisseuse, encore endormie.

Je passais mes bottes en grimaçant contre le froid qui envahie mes pieds. Et ça n'est à cet instant que je réalisais qu'hier soir, je ne m'étais pas attaché à quelque chose pour éviter de tuer autour de moi si je passais fangeux dans mon sommeil.
Pourquoi ? M'en foutais-je si j'emportais dans ma mort Grisold ? Ou était-ce que rien ici ne semblait pouvoir m'arrêter si je virais cadavre mordeur ?
Ou alors, m'étais-je assoupi calmement et en toute quiétude hier soir ? Pour la première fois depuis maintes saisons...

Pas bon ça.
J'avais totalement baissé ma garde. J'aurais pu devenir un vrai danger.

Je me passais une main dans la barbe. Y avait-il une forme de magie qui entourait Grisold la guérisseuse ?
Ses manières étonnantes, son apparence sauvage, naturelle, sa foi à toute épreuve.
Il se dégageait une aura particulière de cette femme, comme d'anciens sorts qui lui conféraient une protection magique. J'en voulais pour preuve tous les chamboulements dans ma tête depuis que j'avais croisé sa route.
Tout du moins, je savais que c'était comme si je n'avais pas été moi hier au soir. Enfin si, moi, mon caractère, ma façon d'être... Mais avec un méfiance inexistante, un lâcher prise plus prononcé que d'habitude.
Et je n'avais presque pas juré, putain ! Ou alors je n'avais pas joué à la gêner, la pousser dans ses retranchements, ou alors à tester qui était le meilleur dans tel ou tel domaine !

Ou alors ça ne venait pas de Grisold. Peut-être Rikni nous avait-elle ensorcelé tous deux faisant de nous deux pantins se côtoyant malgré les barrières qui auraient dû, en temps normal nous pousser à nous fuir, ou nous battre.

...

Je revis alors soudain ma main jointe à celle de la femme. Une présence qui tenait simplement ma main, contact rare, emplie de bonté. Les doigts joints alors que je cherchais le sommeil, alors que dans la pénombre nous racontions des histoires. Alors que je m'emportais quelque peu par rapport à mes liens concernant mon hypothétique père.

Avec un grognement étouffé, je me levais, roulant des épaules pour tenter de détendre un peu mon dos.
Je récupérais ma peau de bête et la rangeais dans mon baluchon de route.

Pourquoi avais-je maintenus ce contact hier soir avec la femme?
Un intérêt amoureux ? Je ne pensais pas. Un élan d'amitié ? Peut-être, mais il était un peu tôt tout de même. Et puis bon, c'était une bannie pas vrai ?
Mais était-elle bannie pour les bonnes raisons? Pour ce que j'en savais, elle n'avait même pas été bannie pour de bonnes raisons, sauf si elle avait omit de me raconter certains choses. Pour un peu, ma mère aurait tout aussi bien pu être bannie à ce compte là.
Et pourtant c'était une brave femme !

Je me tournais pour observer la bannie endormie. Comme si je cherchais dans son visage des raisons d'être expulsée du monde des hommes. Mais je ne voyais qu'une femme marquée par les épreuves de la vie. Une femme solitaire qui traçait sa voie, cherchant les Trois de tout son cœur.
Une femme simple qui se reposait du sommeil du juste, n'ayant rien à se reprocher sinon une marque posée sur sa peau, imposée par un homme qui ne savait pourtant rien d'elle.

Je pris dans mon baluchon une pomme verte, un peu acide, mais seul petit déjeuné qui me restais encore. La route allait encore être longue, et il allait falloir que je me mette en route tantôt.
Je pris la baudrier de Fureur, qui, hier au soir s'était montrée décidément bien discrète, mais par respect pour la femme, et son havre de paix, je décidais que je ne la mettrais sur prêt à l'emploi, sur mon dos qu'une fois en bas.

Une fois toutes mes affaires sur mon dos, je me rapprochais de la guérisseuse endormie, tentant d'être discret. Les doigts de la femme étaient refermés sur sa couverture, comme pour assurer sa prise sur son confort, malgré le fait que son esprit était bien loin, au Royaume de Rikni.
Entre ces mains, je glissais doucement la pomme verte qui serait sans aucun doute un élément positif pour bien démarrer la journée.

Une mèche de cheveux s'élevait et retombait mollement sur ses lèvres au rythme de sa respiration profonde. Tient donc, elle souriait en dormant, celle là ?
Je ne savais pas quelles visions lui accordaient la Déesse Serpent, mais ça avait l'air bien agréable.

Un demi sourire tira la pointe de mes lèvres.
Je ramenais la mèche en arrière, parmi ses semblables épars.

Puis je me tournais et posais la main sur la poignée de la porte.
En quittant la pièce, en refermant la porte, je démarrais une prière en murmurant pour moi même de ma grosse voix d'homme pas tout à fait réveillé.

-"Anür, Mère de toutes et de tous, accorde moi ta protection aujourd'hui encore. Guide mes pas vers la justice et la bonté. Serus, Père de la nature assure moi aujourd'hui encore ma pitance du jour. Rikni, Reine des guerriers, guide mon bras à la victoire pour que je t'honore de mes combats un jour de plus.
Veillez sur mon chemin. Et la miséricorde pour Grisold.
"

Bien, j'étais prêts.
Une fois parvenu sur la paroi entourant la bicoque haut perchée, j'observais autour de moi.
La forêt, l'endroit était méconnaissable. Hier soir, on ne voyait rien sinon des ombres noires se dressant sauvagement dans les airs, enfermant le ciel entre leurs ramifications arborescentes. Ce matin, éclairés d'une lumière d'or, les arbres présentaient gardiens assoupis d'une forêt espacée au feuillage coloré.

La perte de repère était totale.
Je ne reconnaissais plus l'espèce de clairière que j'avais cru discerner la veille. D'où avions nous bien pu arriver ?
Et il y avait plus grave.
Le sol se trouvait bien quatre mètres sous moi. Bien trop haut pour un saut hasardeux. Où avait-elle bien pu planquer sa foutue échelle ??
Je la cherchais quelque temps, écartant du feuillages de branches avoisinantes, voir si les cordes ne se trouvaient pas là.

Ben merde alors !

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Rien. Nul part je ne trouvais de quoi redescendre, et avec un bras en moins, je ne voulais pas m'aventurer à faire le casse cou pour parvenir au sol.
Il fallait se rendre à l'évidence : J'étais coincée tant que la guérisseuse ne serait point éveillée.

Je revenais à pas lourds vers la porte de la maison. Je ne pensais pas à toquer vu que j'avais quitté le domicile alors qu'elle était assoupie. Ou tout du moins il me semblait qu'elle l'était.
Je rentrais donc comme j'étais sortis...
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Grisold Folépine



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MessageSujet: Re: Visions crépusculaires   Visions crépusculaires - Page 2 EmptySam 16 Nov - 17:25




Duché du Morguestanc
Premiers jours de Juin 1166


A travers la brume épaisse du sommeil, la guérisseuse sentit quelque chose effleurer sa paume. Quelque chose au contact lisse et froid, à la forme ferme et ronde. Ses doigts se refermèrent autour de la sphère irrégulière avant qu’elle n’ouvre les yeux. Tout était baigné de lumière dans la cabane, le jour était déjà là depuis un bon moment et elle se surprit à cligner dans cette clarté éblouissante, un peu surprise et encore engourdie de sommeil. Elle se redressa doucement, un peu décontenancée. Quelque chose manquait. L’odeur légère du guerrier emplissait encore l’intérieur de son domaine, et fit ressurgir les souvenirs de la veille. Mais de lui nulle trace en apparence. Quelques indices fugaces indiquaient qu’il avait rangé ses affaires et elle voulut tendre une main pour toucher l’endroit où il avait reposé. C’est là qu’elle réalisa ce qu’elle tenait dans sa main. Une pomme verte et brillante. Probablement un cadeau laissé à son attention par Edmur. Elle pinça les lèvres pour réprimer le vague sentiment qui l’envahit à ce moment. Le plancher où il avait dormi était encore tiède. Et soudain, elle perçut quelques grincements et vibrations dans le bois. Il devait être dehors, sur la corniche. Elle mordit dans la pomme en tendant l'oreille.

Quelque chose pulsa dans ses veines, comme une chaleur rare réchauffe les os en hiver. Elle secoua la tête pour se morigéner et un sourire naquit malgré elle sur ses lèvres. Il ne risquait pas de retrouver la terre ferme par le chemin qu’il avait emprunté. Aussi, elle attendit sagement qu’il revienne sur ses pas. Ce qu’il ne tarda pas à faire. Lorsqu’il revint à l’intérieur, il découvrit la guérisseuse occupée à son pilon, broyant quelques herbes comme elle l’avait fait la veille. Penchée sur son ouvrage, couverte de la même robe qu’elle avait enfilée durant la nuit, elle fredonnait légèrement entre ses dents. La mixture serait bientôt prête. Elle sourit en coin, lorsqu’elle sentit sa présence non loin, le vague courant d’air de la porte lorsqu’il la referma dans son dos.

— J’ai fait un drôle de songe cette nuit. Un joli rêve et tu étais là. Assieds-toi, j’avais promis de m’occuper de ta blessure et de te guider. Je le ferai.

Elle termina son ouvrage et lui proposa un peu d’eau mêlée de la mixture qu’elle avait préparée la veille. De quoi chasser l’infection si la blessure s’avérait plus maligne qu’elle ne semblait. Ensuite, elle s’attela à soulever le cataplasme qui avait séché sur la plaie. Les pourtours en étaient toujours boursouflés et violacées, et du liquide en suintait plus que jamais. Elle grimaça tout en se penchant en avant pour renifler l’odeur qui s’en dégageait. Elle n’aima pas vraiment ce qu’elle y trouva. Avait-elle mal dosé ses plantes ou mal évalué la gravité de la blessure ? Toujours était-il qu’elle s’attendait à meilleur résultat. Dépitée, elle ajouta un peu plus d’herbes dans sa mixture, concentrant leurs effets. Edmur était une vraie montagne, peut être avait-elle seulement omis ce détail et surestimé l’efficacité de ses plantes. Elle n’en demeurait pas moins contrariée et appliqua un nouveau cataplasme sur la plaie. Elle s’exprimait de la manière tendue de ceux qui sont soucieux, sa diction plus hachée que jamais.

— Il faut tenir la plaie au sec. Et ne pas trop la couvrir.

Elle récupéra l’excédent de sa mixture qu’elle plaça dans un petit pot qu’elle referma avec soin avant de le donner au guerrier.

— Deux fois par jour jusqu’à ce que la plaie arrête de suinter. Tu nettoies ton bras avant. Quand ça sera sec, il faudra laisser le bras à l’air libre et laisser tomber les croûtes sans y toucher.


Elle y ajouta quelques herbes à fumer dans un petit sachet qu’elle lui tendit également.

— Pour la douleur. N’en abuse pas.

Se faisant, elle scrutait son regard comme pour deviner ses pensées. Allait-il croire qu’elle était une sorte de charlatan ? Avait-il des regrets ? Après tout, il avait voulu filer sans un mot. Elle ne dit rien de ses pensées, se contentant de placer une main douce sur son épaule avant de se détourner pour préparer son départ. Quelques réserves de nourriture pour le trajet, quelques vérifications d’usage pour ne manquer de rien en cas de blessure sur la route. Elle roula ses peaux qu’elle coinça avec sa besace et dénicha l’échelle de corde qu’elle remisait toujours au fond de sa cabane avant de la fixer à l’anneau de la trappe, au centre de son refuge. Elle sourit à Edmur :

— C’est ça que tu cherchais ?

Et après avoir vérifié la solidité de ses appuis, elle s’engouffra à nouveau par la trappe pour rejoindre le sol quelques mètres plus bas, l’échelle se tordant sous ses mouvements. Elle sentait la brise sur ses jambes et ses bras, le soleil sur son visage. La journée promettait d’être belle et chaude. Avec un peu de chance, ils ne croiseraient aucune créature sur la route et ils progresseraient rapidement. Elle se surprit à ne pas trouver grande satisfaction à cette perspective. Espérait-elle qu’ils se trouvent à nouveau en danger ? Non, c’était bien tout autre chose qui l’animait, et elle souffla du nez en attendant qu’il la rejoigne, comme pour chasser des pensées importunes. Ensuite, elle tira sur une petite corde le long de l’échelle qui remonta en s’enroulant sur elle-même jusqu’à la trappe. Elle dissimula la corde contre un des troncs, dans le lierre. Sans le regarder, elle éleva une main pour l’inciter à la suivre et désigna d’un geste la direction dans laquelle ils allaient se diriger entre les arbres.

La forêt semblait bien moins mystérieuse et obscure à cette heure du jour. La lumière filtrait doucement entre les arbres bien verts, la brise s’engouffrant dans les branches en portant une odeur d’herbe fraiche et de fleurs d’été. Une journée sans l’ombre d’une menace, tout un monde fourmillant d’une tranquille activité. Grisold se faufilait entre les herbes, toujours aux aguets, silencieuse, et malgré le soleil qui réchauffait sa peau, elle sentait que ses pas ne la portaient pas avec autant d’entrain que la veille. Elle aperçut bientôt le grand chêne sacré qu’elle avait rejoint la veille, le lieu où ils s’étaient rencontrés. Le temps d’une petite pause. Il ne restait que quelques lieues à parcourir pour retrouver la route entre Sarrant et Conques. Le guerrier s’était simplement trop éloigné au sud. Encore un peu et il serait peut être tombé sur le village des bannis. Grisold remercia les Trois qu’il n’en fut rien. Son destin aurait été tout autre. Elle déposa son baluchon au pied du grand arbre, retrouvant ses grandes racines comme on retrouve un ami. Elle baisa ses doigts et les posa sur l’écorce marquée et se laissa tomber au sol, tirant une gourde d’eau de ses effets. Elle proposa l’eau au guerrier :

— Nous allons rejoindre le nord et tu trouveras ta route jusqu’à Marbrume avant la nuit. Si tu suis le chemin que je vais te montrer, tu y seras d’ici quatre jours sans traîner.

Elle tira ensuite de sa sacoche quelques lamelles de viande séchée qu’elle partagea avec lui avant de mâchouiller pensivement. Elle accomplirait sa mission, comme convenu. Et que les Trois guident les pas du guerrier. Il s’était débrouillé jusque là, de même qu’elle survivait depuis toujours dans la nature, avec ou sans la Fange. Mais malgré elle, son esprit filait vers le ciel sans nuages, les impressions de la nuit marquant ses pensées du jour.


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