Où je vais, tu vas - et vice versa [Rowan]

En ces jours sombres, rien n’avait son pareil que la mer et ses horizons. Elle était recluse, dangereuse et même imprenable et pourtant recrachaient maintes choses utiles tout en tenant à l’écart les dévoreurs de chairs. Assis dans le sable, le vent frappant son visage, le rouquin avait le regard loin. Fut un temps, pas si éloigné, hommes et femmes prenaient le large pour des terres meilleures. Aujourd’hui, ce n’était plus que fables et rêves oubliés. Pourtant, il en était persuadé, quelques parts, derrières ces vagues déchainés devaient bien se trouver une forteresse. Combien était-il ? Comment vivait-il ? Parfois Rowan y voyait un avenir, d’autre fois une illusion.

Mais l’horizon s’assombrissait à vue d’œil. Prudent, le goupil fut forcé à reprendre la route et ses recherches. Seul, il devait impérativement rejoindre le bourg le plus proche avant la tombée de la nuit, mais une chose attira son attention. Une cabane, un abri abandonné qui peut-être renfermaient encore quelques trésors. Mais les trésors de plus en plus rares et les démons de plus en plus présents, il lui fallut un temps et bien du courage pour finalement oser y pénétrer.

Un sourire soulagé et pourtant rempli de déception se dessina sur ses lèvres sèches alors qu’il constatait la demeure complètement vide. Il n’y avait à priori rien ici, rien pour lui du moins. L’espoir était parfois tel un poison dont il ne parvenait guère à s’habituer. Amer, il s’apprêtait à reprendre la route lorsque…

« Hé »

Merde. Sa main s’était instinctivement posée sur la manche de son épée alors qu’il se retrouvait subitement. Il n’avait rien entendu, rien vu venir. Il avait baissé sa garde et… et… ses yeux s’écarquillèrent à la silhouette qui se présenta à lui. Elle ne lui était pas inconnue. Et lui était même familière, peut-être trop. Par les Trois, qu’est-ce que ce saligaud foutait ici ?! Un éclat de rire s’échappa finalement de lui.

« Hahaha ! Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Le destin me lie à ton cul ! D’vrais l’accepter d’puis le temps.»

Abandonnant tout geste hostile, un sourire largement amusé illumina ses lèvres alors qu’il s’avança à lui pour échanger une accolade.

« Qui aurait pensé que j’revienne à croiser cte tronche de con, hein ? »

Main posée sur son épaule, il était bien étrange pour lui de le voir encore debout. Ni amis ni ennemis, leur chemin s’était bien trop croisé pour qu’il ne soit sans lien. Ils ne comptaient plus non plus combien de fois, ils avaient croisé le fer, mais… Peu importe.

« Mais j’vois que tu t’es fait d’nouveaux amis. »

Le sérieux reprit bien vite le dessus lorsque le banni remarqua la présence de plusieurs gars. Pas difficile de deviner ce qu’il devenait et ce qu’il foutait ici désormais. Il le connaissait assez dans ses magouilles pour comprendre qu’il devait avoir découvert une cachette bien à lui. Décidément, même la fin du monde ne parviendrait à le changer.

« Tu m’présentes ? »

Même si l’atmosphère entre eux se voulait détendue, la situation restait délicate. Jamais Darius n’avait été un allié et à l’heure d’aujourd’hui, c’était souvent du chacun pour soi. En clair, Rowan n’était pas tiré d’affaire et il avait l’avantage du nombre.  

Bien vite, les tensions s’affaiblirent lorsque le renard reconnut quelques autres visages familiers. Peu serait rassuré à voir ces faces, mais pour Rowan, ce n’était ni de bons ni mauvais gars. Au contraire, c’était même des compagnons de beuveries tout à fait agréables. Il changea donc quelques saluts avec certains d’entre eux avec amusement avant d’écouter les interrogations du meneur. Elles étaient justifiées. Après tout, même les plus valeureux des miliciens ne s’aventureraient certainement pas ici et seul qui plus est. C’était trop dangereux, trop risqué, sauf pour ceux qui n’avaient plus rien à perdre et… le rouquin n’en était pas loin.

« J’me suis pas fait beaucoup d’amis ces dernières années. »

Fit-il d’abord en prenant la bouteille avant d’en engloutir quelques gorgées.

« Tout l’contraire même. »

C’était presque ironique d’ailleurs de le recroiser ainsi. Si par le passé, des deux, le pirate était celui qui représentait le plus l’idée dont on se faisait d’un hors-là-loi, aujourd’hui les choses avaient bien changé. En quelque sorte, Rowan avait même largement dépassé le terme en devenant certainement l’une des pires choses engendrés par la fange.

Le sourire était à ses lèvres, mais ses yeux balayèrent le groupe avec sérieux et méfiance. D’ordinaire, il était plutôt du genre à baratiner son entourage afin de masquer son identité. Malheureusement, c’était chose plutôt difficile dans la situation actuelle. Toutefois, les pirates n’étaient pas hommes à se soucier de statue. Au contraire, les hors-la-loi étaient sans doute les premiers à accepter de commercer avec les siens.

« L’Duc m’a laissé un souvenir. »

La plupart l’avaient certainement déjà deviné. Que cela soit par son apparence, son attitude, les circonstances ou ses paroles, les déductions étaient facilement effectuées. Maintenant, pour ne laisser planer aucun doute, le rouquin tira légèrement sur sa propre manche pour laisser alors entrevoir la marque maudite. Celle qui le condamnait à un sort pire que la mort dans l’esprit de la population.

« J’ai gueulé un peu trop fort sur la gueule d’ce fils de pute dans les rues d’son royaume. »

Avait-il ajouté prenant les devants sur la question qui suivrait après ses déclarations. Un sourire de mépris apparut alors sur ses lèvres en repensant à celui qui représentait alors tout ce qu’il haïssait dans la société. Carte sur table, Rowan n’avait pas grand-chose à ajouter sur sa situation avant de répondre plus en détail sur la question initialement posée.

« J’longeai la plage, voire si la mer avait recraché quelque chose d’intéressant. »

Nerveux, évidemment, le banni n’avait pas pour habitude d’exposer sa situation ouvertement. Néanmoins, il avait bien peu de chance que Darius ou l’un de ses hommes décident de l’attaquer. Ça serait d’ailleurs sûrement la première fois qu’ils viendraient à respecter la loi.

« Et en voyant vos faces de rats ici, j’devine qu’même la fange n’peut plus rien faire d’vous. Mh ? »

Visiblement, le rouquin ne s’était pas trompé. Contrairement à l’effroi que sa marque aurait pu engendrer ailleurs, ici, il ne voyait que curiosité voir désintérêt. Et étonnement, cela lui faisait du bien : de ne pas à avoir à se cacher, à mentir et fuir ce qu’il était désormais devenu. Non, ici, il pouvait être lui-même et continuer à boire avec les plus grands buveurs du royaume. Même la pitié ne faisait pas partie de leur regard et c’était tant mieux, car lui-même ne se considérait pas à plaindre. Oh, c’était dur et même un miracle chaque jour qu’il soit encore vivant, mais il savait son âme corrompue.

« Après tout ça, de plus en plus de gars, de femmes et même d’gamins se sont retrouvés jeter dehors…. Beaucoup sont morts, mais certains chanceux comme moi on peut rejoindre d’autres… jusqu’à un village, ou un truc qui y ressemble, se construisent. On fait ce qu’on peut pour survivre maintenant. »

Pas de doute que les pirates soient au courant de l’existence de ce village, maintenant à quoi il ressemblait, où il se situait et surtout qui s’y trouvait restait un mystère bien gardé de ses habitants et pour cause : ils ne pouvaient faire confiance à personne.

« On s' démerde comme on peut. » Fit-il en reprenant la bouteille avant de la faire passer. « Et ouais, ça arrive qu’certains nous demandent nos services… faut dire qu’on vit là-dedans alors on est l’mieux placé à se risquer le cul à se déplacer. » Ça arrivait même plus souvent qu’on voulait bien le croire. La survie poussait à bien des retranchements et certains préféraient nettement faire prendre le risque à d’autres en échange de quelques broutilles ci et là.

« C’est pas luxe, alors on prend toujours ce qu’on trouve. »

Conclut-il finalement pour revenir à sa recherche sur la plage. C’est qu’ils avaient tous été jetés sans aucun moyen de survie et avaient donc dû retrouver et piller tout le matériel nécessaire.

« Puis ça donne l’occasion d’faire chier ces aristos en leur prenant ou en brûlant leur fonds de commerce ! »

Fit-il avant de rire un bon coup, appréciant réellement cette vengeance personnelle.

« Assez d’parlez de moi…. J’pensais pas qu’ils y auraient encore des fous comme vous dans ce bas monde. Z’avez encore de quoi tourmenter c’pauvre navire marchand avec ce vieux rafiot-là ? Comment z’êtes arrivés par-‘ci ? »

Les rires, les verres, un peu plus et Rowan pourrait presque se croire au bon vieux temps. Quelque part, cette bande de crapule l’avait bien manqué et les retrouver ici lui faisait plus plaisir qu’il ne voudrait l’avouer. Un geste amical, une tape dans le dos de Darius l’échappa d’ailleurs à nouveau lorsqu’il crut bon de l’insulter encore et toujours. Comme lui, comme tous, les informations données étaient mesurées et cela sans doute pour des questions de sécurité. De nos jours et même auparavant, personne ne pouvait réellement faire confiance à autrui et Rowan était désormais très bien placé pour le comprendre. Il ne chercha donc pas à en savoir plus sur les raisons de leur présence ici exactement et encore moins sur ce qu’ils pouvaient transporter à bord.

« Quand t’as plus rien, tu trouves toujours des utilités… »

Fit-il en premier lieu lorsque l’intérêt du pirate était à nouveau dévié sur ses activités. Le renard devina assez aisément où voulait en venir ce dernier. Il était clair, que leur avantage était le commerce illégal avec la citée même et… oui, travailler ensemble pourrait peut-être être intéressant… Il sourit.

« Mais, on se concentre sur les nécessités…. Pis, il y a toujours bijoux ou autres babioles en tout genre que ces dames aiment toujours autant porter, en plus de quelques restes. »

Ce genre de chose que seuls les cons de la ville s’amusaient encore à troquer. Nul doute que lui et sa bande sauraient trouver preneur, ne serait-ce que pour les joyaux ou le matériel utilisé. Puis, il y avait parfois tissus, babioles, outils que les bannis ne pouvaient se passer. Mais restait donc maintenant à voir exactement où ce cher Darius voulait en venir et peut-être lui proposer.

« Ça t’intéresse ? »

Curieux était son regard alors qu’un nouveau sourire illuminait son visage. Parler affaire, ici et maintenant, il y avait que les fous et opportunistes pour le faire… et heureusement, tous ici présents en faisaient partis.

Un rire franc lui échappa lorsque le saligaud lui retourna la question. Cela faisait plaisir de voir que certaines choses ne changeaient point. Il lui accorda une tape à l’épaule avant de continuer d’avancer sur la place, reprenant peu à peu son sérieux. L’idée d’une telle entente entre les deux était bien alléchante et très franchement, Rowan ne voyait aucune raison de refuser. Oh, il ne ferait pas aussi facilement confiance en un autre pirate, mais les deux se connaissant depuis belles lurettes, il savait bien que Darius était un bon homme d’affaires. Évidemment, cela ne voulait pas dire qu’il lui accorderait confiance aveugle, mais il savait qu’il pouvait compter sur lui tant qu’il y trouvait sa part.

« Et dire qu’il y a peu, je te pourchassais à travers toutes les contrées… »

Plus il y repensait, plus cela lui faisait bien rire. Jamais il n’aurait cru un jour être celui qui ferait directement affaire avec lui et sa bande. Comme quoi…. L’avenir était bien imprévisible. Il lui jeta un bref regard au coin, amusé, avant de lui répondre avec complicité.

« Ça m’intéresse. »

Sans surprise, il acceptait d’engager un marché avec lui. Et il devait bien avouer déjà le préféré en tant qu’allié qu’ennemi. L’association entre eux deux et leur groupe ne pouvait qu’être avantageuse, chacun ayant son domaine d’expertise et son territoire de chasse.

« Je ferai en sorte de collecter pour toi un tas de babioles… en échange des ressources plus utiles à la survie. »

Confirma-t-il alors simplement avant d’ajouter. « On pourra également échanger nos informations si besoin… nos yeux et oreilles ne trainant pas dans les mêmes coins. » Oui, Rowan voyait déjà plus loin qu’un simple échange de marchandise. Le réseau était important, surtout en ce moment. L’avantage était que leur organisation était bien complémentaire et nul doute deviendrait bien plus redoutable et efficace s’ils s’entraidaient. « Il nous faudra convenir d’un lieu de rendez-vous et d’une fréquence… » Un endroit tranquille qui puisse leur permettre de faire leur affaire sans risque.

« Tu as une idée ? Je te dis tout de suite, le village n’est pas proche de l’océan malheureusement. Il va falloir ruser. »

Parce qu’il fallait encore pouvoir transporter la marchandise jusqu’au point de rendez-vous et la ramener ensuite. Peut-être devrait-il envisager de construire un second camp… Difficile à dire et imaginer avec toute l’armée à ses trousses. Un âne ou deux semble aussi devenir de plus en plus nécessaire au bon fonctionnement de ses déplacements.

La localisation du village pouvait parfois devenir un véritable problème. Ici en était le parfait exemple, car Rowan chaque transaction lui demanderait plusieurs jours de marches. Une bonne semaine même. Toutefois cela valait pratiquement pour tous ses déplacements, c’était donc un problème majeur qu’il devait régler d’une manière ou d’une autre, un jour ou l’autre. Néanmoins, il ne pourrait pas tout régler magiquement en quelques jours, alors chaque chose en son temps.

« Non, je préfère éviter les complications inutiles. »

Fit-il en premier lieu en reposant son regard sur lui. Ils étaient d’accord sur ce point. Leur partenariat était en partie possible, car ils se connaissaient relativement bien, avoir un tierce personne au milieu pourrait rapidement rompre la balance. Et puis c’était aussi une histoire de confiance, en affaire du moins.

« J’ai plusieurs jours de marches avant d’atteindre le littoral… J’pense donc qu’on partira plus sur tous les deux mois… histoire de prendre moins de risque et de me laisser le temps d’amasser ma part. »

Arrêté sur la place, Rowan croise les bras, maintenant en profonde réflexion. Il était évidemment d’accord sur les difficultés de se rencontrer à chaque fois, néanmoins, pour le bon déroulement de l’échange et surtout le début des négociations, cela lui paraissait nécessaire.

« On pourra se donner rendez-vous ici, pour commencer et se rejoindre vers les derniers jours du mois juin, y attendre un peu l’autre parti si nécessaire. Ton idée n’est pas bête, mais faudra attendre d’être sûr que notre système tourne avant de pouvoir faire ce genre d’échange interposé. Tu n’crois pas ? »

Surtout qu’il fallait encore négocier exactement la notion d’échange des marchandises, quoi contre quoi et il était évident que le banni ne pourrait certainement ne pas ramener toujours la même quantité d’objets, ni même la même valeur et vice-versa.

« Faudra aussi qu’on regarde ce que t’es prêt à me donner pour ce que j’apporte… Et j’espère que tu s’ras pas trop radin. »

Il sourit au coin, il savait bien que son camarade pouvait parfois être difficile en affaire. Toutefois, il espérait aussi qu’il prenne compte des risques que prendrait Rowan à venir jusqu’à lui. Le début était naturellement imparfait, mais le banni espérait bien que leur partenariat évolue positivement à travers le temps. Les premiers mois seraient des essaies et ils auraient toute la place pour améliorer et corriger les failles, du moins en partant du principe que tous deux voulaient que cela fonctionne.