Faustine,Des cendres descendre
◈ Identité ◈
Nom : Montenoir
Prénom : Faustine
Age : 35 ans
Sexe : Féminin
Situation : Veuve
Rang : Prêtresse de Serus et soigneuse, plonge ses mains savantes dans la Fange. Descendante de la petite bourgeoisie, elle est née à Marbrume et y périra.
Lieu de vie : Temple de la Sérénité.
Carrière envisagée & tableau de départ avec les 4 PCs : Carrière de prêtresse. END +1, HAB +1, INT +2
Compétences et objets choisis :
» Alphabétisation ; Art (dessin) ; Chirurgie ; Traumatologie
» Objets : Tenue de prêtresse ; tenue civile (robe sombre) ; matériel de dessin (parchemin, fusain...) ; matériel de chirurgie ; nécessaire de premiers soins.
◈ Apparence ◈
Faustine est un rameau sec, branche prête à être brisée. Elle a pourtant le port droit, altier, presque aristocrate. L’on dit que son regard vif, d’un azur polaire, n’a rien à envier à celui d’un faucon. Allure de rapace, qui pourtant n’a jamais blessé aucune proie. Ses mains ciselées trahissent sa vocation. Le grain noir du fusain imprime son derme et s’incruste sous ses ongles soignés. Elle pourrait presque en imprégner sa peau. Quand ce ne sont pas les morsures des ciseaux ou des scalpels qui entaillent sa chair, par maladresse.
Ce que l’on remarque souvent en premier, c’est son visage. Faciès creusé par le temps et la solitude. Face lunaire dans la nuit de ses longs cheveux tombant en voile noir sur ses épaules. Souvent lourdement fardé, de couleurs sombres. Saltimbanque féminin, au masque-maquillage. L’on pourrait croire qu’elle ajouterait quelque gaieté à son expression fermée : rien de tout cela. Le charbon sur ses lèvres charnues et le khôl ceignant ses yeux ne fait que l’accentuer. Le contraste est saisissant entre l’expression marmoréenne et la couleur solaire de sa robe de prêtresse.
Dénudée, Faustine n’a plus le corps de ses vingt ans. Le tracé violacé des vergetures sur son ventre, ses seins et ses hanches trahissent la présence passée d’un enfant absent. Sa poitrine quelque peu tombante conserve une certaine fermeté. Quelques grains de beauté éparses constellent ses épaules, son dos et ses bras. Corps de femme mûre qui pourtant a trop vécu.
Faustine est toujours apprêtée. La chevelure prisonnière de multiples barrettes, parfois décorée d’une voilette. Depuis l’arrestation de son époux, elle joue l’endeuillée, lorsqu’elle ne se réfugie pas au temple. Lourdes robes noires, mains gantées, voile translucide devant son regard fardé, bijoux sombres et clinquants. Spectre fantasmé de la veuve éplorée. Visage parfait de celle qui a perdu son cher et tendre.
Mensonge.
◈ Personnalité ◈
Terrible menteuse.
Voilà quelques années que Faustine travestit la vérité. Elle la griffe, la déchire, lui ouvre les chairs. Se lèche les babines de son hypocrisie. Tout n’est que calculs. Tout n’est que faux-semblants. Quand on a été mariée à un hérétique, on le sait. Tout est mensonges, tromperies. Vérité étouffée sous les murmures crasseux. L’honnêteté prisonnière dans la gorge, bloquée par les pelotes de racontars tissés. Faustine calcule, fait et défait. Avare opportuniste, elle profite de son peu de liberté retrouvée – éphémère, elle le sait. Sans partager.
Elle aurait pu devenir l’image de la mégère que certains lui portent. Les années l’ont rendue pragmatique. Âcre. Amère. Désabusée. La colère au fond de l’estomac, bouillonnante, mais bien cachée. Mélange de pulsions domptées et d’innombrables frustrations. Faustine fait toujours preuve de retenue. Sèche, mais courtoise et raffinée. Elle prend bien soin de ne pas se dévoiler, de ne pas se laisser approcher de trop près. Fermée comme les remparts de Marbrume, mais sensible à ce qu’elle engendre. Elle s’immisce dans la société, s’y coagule. Figure de veuve indépendante et sans enfant. Elle sait que son cas est mal vu. Pas même de chair jeune pour reprendre l’héritage de son paria d’époux. La lignée stoppée, abandonnée. Elle-même ne veut plus réessayer. C’est trop dur. Trop intense. Et pourtant elle se dit qu’elle apprendrait enfin à aimer.
Faustine n’aime pas. Elle n’a jamais pu. Jamais su. Dans le monde pragmatique des mariages arrangés, l’amour vrai n’est qu’un fantasme de ménestrel. Le seul que son cœur lui autorise lui est interdit. Ici on mutile les femmes comme elle. Elle a essayé, parfois, de se plier aux normes, d’aimer les hommes – ne serait-ce qu’un peu. Inutile. Elle ressemble à ces statues de marbre au regard vide et aux traits effrités. Sculptée dans la roche lourde et froide.
Et au fond d’elle, quelque chose attend encore d’être brisé. Ce quelque chose qui s’immisce dans ses croquis. Il esquisse les courbes des Muses, illumine le regard des Vierges, fait ondoyer le drapé des déités. Il épouse leurs rires et fait danser leurs cuisses diaphanes à l’ombre d’un arbre ou sur le feutré d’un siège. Il instille la paix en sa créatrice. L’absolution. La création insufflée par le dieu qu’elle a choisi de servir. Sa dévotion pour Serus, elle, est sincère. L’on s’est étonné de voir cette femme si austère porter et chérir la robe jaune. Bénir les cérémonies de fécondité, alors que ses propres chairs l’ont trahie. Préparer avec soin sa couronne de fleurs, la veille de l’équinoxe de printemps. Serus est son mât lors des jours de grain. Il porte les lambeaux de ses espoirs. Elle s’en remet à lui, lorsqu’elle ouvre les carcasses putrescentes des Fangeux, à l’abri des laïcs. Car il est, peut-être, celui qui connaît le mieux ces créatures ni hommes, ni bêtes.
◈ Histoire ◈
Décembre 1131
Le premier cri.
La première bouffée d’air dans les draps souillés d’une chambre humide. L’enfant enveloppé de linges propres accueille l’aube de hurlements éraillés. Dehors, un homme attend. Il se gratte la tête, s’éponge le front. A comme l’impression de se tremper davantage. Il ne devrait peut-être pas. Sa dame est solide. Elle a les reins qui tiennent, les hanches faites pour l’enfantement. Leur premier enfant a survécu – un mâle, leur beau Renaud, quatre ans déjà. D’après l’accoucheuse, c’est une fille qui arrive. Qui déjà trouve son mot à dire sur le monde. Vu le cri inhumain qui s’échappe de la porte, elle n’en est pas satisfaite. Le père Montenoir s’amuserait presque de ce trait d’humour.
Jamais il ne se doutera, ne serait-ce qu’un peu, d’avoir eu raison.
Janvier 1144
« Petite sœur ! Allons dessiner ensemble, veux-tu ? »
Faustine lève les yeux de son ouvrage – une broderie maladroite en hommage à Rikni. Manque de se piquer le doigt, tant le geste est vif. Battant des cils, elle se redresse, pose son attirail et, comme fascinée, se rapproche de son frère. Ses lèvres carmin s’étirent en un léger sourire. Dessin. Voilà un mot qui lui rend la vie. Deux syllabes magiques, qui déjà font frissonner ses doigts fragiles. Elle ne parle pas beaucoup, Faustine. Ni dans son foyer, ni au temple où elle poursuit son apprentissage depuis trois ans. Une jeune fille calme, discrète. La passion cachée derrière un rideau de déférence. Elle a grandi sous l’œil attentif de sa mère et du clergé. Développe un intérêt de plus en plus aigu pour le dieu cornu de l’abondance, elle la fille si chétive, si pâle. Le père Montenoir a repris l’ancestrale entreprise de teinture. Il s’acharne à la tâche et n’a pas eu beaucoup de temps pour sa progéniture.
Faustine ne parle pas beaucoup, certes, mais Renaud n’a pas eu besoin de palabres pour déceler son attrait pour l’art. Il a suffi qu’il rentre de l’atelier de son maître, un jour, pour voir les prunelles de sa petite sœur briller. Depuis, il l’invite à accompagner ses progrès, quand elle peut sortir du temple. Elle a détesté être modèle. Elle se trouve laide Faustine, avec ses cheveux sombres, son regard livide, et l’adolescence bourgeonnant sur le visage en boutons disgracieux. L’iode dans sa bouche le lui a rappelé amèrement. Et les premiers saignements dans ses draps n’arrangent rien. Dessiner lui offre quelque répit. Elle apprend vite. Elle aurait pu briller, s’il en avait été autrement. Fatalité que son frère regrette, et qu’il essaie de compenser. Et ça lui plaît de jouer au professeur.
« Aujourd’hui, nous allons nous exercer au portrait ! Tu aimes ça, je crois ? »
La gamine hoche la tête. Car qui dit portrait, dit muse.
Et ce coquin de Renaud est particulièrement doué pour choisir les siennes.
Celle d’aujourd’hui a une pluie d’or tombant en volutes sur ses épaules. Des yeux qui ressemblent à des joyaux, de grosses orbites qui ont l’air de dévorer son visage maigre. Un sourire large, avec des quenottes ni très blanches, ni très droites. Bien sûr, il n’y a que les petites gens du Goulot pour accepter les offres d’un apprenti. Mais les plus belles inspirations ne sont pas les plus riches. Il y a quelque chose dans son expression que Faustine aime déjà. Une certaine aisance qu’elle n’aura jamais. Une ligne élégante, quoi qu’un peu maigrichonne sous les plis de sa robe. Sous le drapé, l’artiste en herbe croit déceler des jambes interminables, une poitrine déjà –
« Eh bien, que regardez-vous ainsi ? Vous me dévorez des yeux., dit-elle en souriant.
— … Rien. Rien du tout. »
La gêne éclot en fleurs rouges sur ses joues. La tête rentrée dans les épaules, sous le regard amusé de son frère, Faustine se cache derrière sa planche de bois pour commencer son travail.
Février 1146
Elle n’avait jamais vu Ambroise Pontaigu, avant. Du moins, pas vraiment. Il n’y a eu qu’un jeu de regards furtifs, désintéressés. Ni électricité, ni légèreté. À vrai dire, elle n’y a jamais vraiment réfléchi. Trop absorbée par ses études, et par son souhait de devenir soigneuse. Lui est un jeune homme banal, un ébéniste de six ans son aîné, aux cheveux coupés très court, d’un blond poudré. Un visage qu’on pourrait confondre avec un autre. Rien de ce qu’on trouve dans les ballades. Ici, l’amour est secondaire. Inexistant. Comme ces mirages contés dans les histoires d’antan. Seul compte le gain que ce mariage pourrait apporter à leurs deux familles.
Fais ton devoir, a dit sa mère.
Alors Faustine s’est maquillée. Elle s’est poudré les joues de rose pour rehausser son teint, disséminé du khôl autour de ses yeux, parée de son plus beau sourire carmin. Elle a enfilé sa robe blanche, toute cintrée autour de son corps vierge. Elle a caché ses cheveux noirs sous un voile argenté, incrusté de perles factices.
Fais ton devoir, a dit son père.
Alors Faustine s’est avancée à son bras, son visage lunaire masqué d’une voilette et de faux-semblants. Elle a marché jusqu’à son fiancé. Elle a écouté avec distance le clerc bénir son couple. Elle a cru savoir à quoi cela l’engageait. Elle a dit oui. L’a laissé nouer le ruban autour de son poignet gracile.
Fais ton devoir, a dit son mari.
Alors Faustine s’est laissé choir sur la couche nuptiale. Elle a laissé ses chairs se distendre, se tordre, se déchirer. Elle a laissé l’autre corps lui ponctionner son désir inexistant. Un instant, elle a cru n’être plus là. Absente de son propre corps, en-dehors. Elle a cru voir, à la place du visage ruisselant de son mari, le faciès terreux de la muse de Renaud - ce lâche de frère parti sur les eaux. Elle a laissé ses cheveux longs et ses grands yeux l’avaler. Sans rien dire. Sans rien faire. Et comme le sang d’une plaie, le rouge de ses lèvres a coulé.
Mars 1151
Jamais elle n’aurait pensé que le mariage l’ennuierait à ce point. Les autres femmes au temple lui ont dit que l’affection éclot petit à petit, qu’elle doit la soigner tous les jours, prendre soin du nouveau foyer. Balivernes. D’année en année, Faustine s’est affadie. Refroidie. Elle accueille les assauts lubriques de son époux en elle car tel est son devoir. Elle se sent comme Marbrume : crasseuse et morne. Elle a vingt ans, et l’impression d’avoir tout vécu. Gangrenée de lassitude.
Voilà deux ans que la prêtresse mène des cérémonies en l’honneur de Serus, bénissant des unions plus heureuses que la sienne. Elle laisse la sérénité du dieu cornu l’envahir, distribue les fruits de sa sagesse. Elle est connue, réputée pour cela. On lui prête un don pour offrir aux mères une grossesse féconde et des naissances sans troubles. D’aucunes ont accouché sous sa surveillance consciencieuse. Autrement, elle reste au temple pour dessiner. Se surprend à croquer le portrait de certaines fidèles et apprenties. Les hommes ne l’inspirent pas ; pour chacun d’eux, son mari compris, elle n’éprouve qu’indifférence. Néant. Elle a déjà demandé à Serus les raisons de cette anomalie. Déviance. C’est ainsi que les fidèles de la Trinité l’appellent. Mais des lèvres charnues de son dieu, n’est sorti que le silence. Alors elle l’imite, voilant ce qui doit être caché. Et lorsqu’elle rentre au foyer, il ne reste que sa froideur mutique.
Avril 1153
Cette nuit-là, la demeure Pontaigu n’a été que pleurs.
La sueur roule le long de son visage. Elle a un étrange goût de sel, un peu métallique. Humide. Tout lui semble humide. Ses draps imbibés de fluides coulent sur le sol en désordre. Ses cheveux noirs en éventail autour de son crâne se collent à ses joues. Son regard paniqué fixe le plafond du lit à baldaquins. Faustine se force à ne pas baisser les yeux sur son ventre rond. Gonflé, marbré de vergetures violacées, réceptacle d’un enfant qui ne vient pas. La douleur de son entrejambe en feu l’étourdit.
« Allez-y. Faites de votre mieux, ma sœur. Vous allez y arriver ! »
Un râle de douleur répond au conseil de l’accoucheuse. Que cette incompétente soit pendue par les tripes ! Les poings serrés sur les draps, prêts à les déchirer, Faustine tremble. De peur. Voilà plusieurs semaines qu’elle n’a pas senti l’enfant bouger. L’héritier des Pontaigu s’est montré silencieux, se contentant de descendre vers le bassin de sa génitrice. Trop tôt. Le doute instillé dans son esprit progresse. Il se cale une bonne place dans sa tête malade. Et la perspective la terrifie d’autant plus. Elle ne compte plus les heures de martyr passées sur cette maudite couche. Son mari est-il là ? S’inquiète-t-il ? Peu importe.
« Il arrive. Je vais vous aider. »
Gémissements. Le palpitant s’affole. Le souffle brûle. Faustine s’efforce, hoquète, exhale, s’étouffe, sanglote. Parfois elle abandonne, avant de reprendre de plus belle. Dans un énième hurlement, elle sent le petit être passer entre ses jambes. Tremblante, elle expire une dernière fois, les yeux fermés.
« Ma sœur… »
Faustine ne verra jamais son enfant. Elle ne connaîtra ni son genre, ni les causes de sa mort. Ne reste que sa douleur. La vue du cadavre enveloppé dans un linceul, préservé du monde. Le regard de son époux, méprisant, terrifiant, détestable. Et le nom qu’elle lui a destiné, gardé secret.
Lance, âme bénie aux côtés d’Anür.
Automne 1164
Jamais Faustine n’aura aussi mal compris Serus.
Au début, Marbrume a cru à des rumeurs. Et puis, ses propres marais ont dégurgité des hordes de Fangeux, créatures de crasse et de mort. Cadavres revenus à la vie, menés par l’instinct primal, bestial. Des aberrations. Faustine a prié. Faustine a questionné son dieu. Pourquoi ? Pourquoi laisser ces atrocités déambuler dans le royaume ? Pourquoi les laisser proliférer jusqu’aux portes de la ville ? Mais elle n’a obtenu que silence, et les borborygmes immondes des bêtes grattant les portes de leurs ongles fendus.
Et même son foyer, qu’elle a délaissé d’autant plus, lui semble dégouliner de noirceur. Ambroise a changé. Un jour, elle le voit revenir, le teint cireux. L’air fiévreux. Elle s’approche, tendant la main vers le front de son époux.
« Ambroise, vous me semblez troublé. Quelque chose vous taraude ?
— Rien…, fait-il en s’éloignant de la paume diaphane. Ce sont ces choses… Les Fangeux. Je me dis qu’ils sont un signe. Que nous avons mal fait certaines choses. Les De Sarosse en sont le tragique exemple. »
La prêtresse abaisse sa main, fronçant les sourcils. Elle a entendu les râles des nobles déchus, submergés par les grognements fauves des macchabées. Le Duc a fait ce qu’il fallait, en tant que chef, pour asseoir son autorité sur les autres familles : soumettez-vous, ou disparaissez. Mais en tant qu’homme, il s’est condamné.
« Les Trois n’ont que faire des querelles d’egos, balaie-t-elle.
— Et les Fangeux ? Serus vous a-t-il répondu ?
— Cela prend du temps…
— Tout comme votre fertilité. C’est à se demander si votre propre dieu ne vous a pas maudite.
— … Je vais prier. »
Elle fait volte-face, claquant la porte de sa chambre. Se laisse tomber à genoux devant le petit autel qu’Ambroise lui a fabriqué. L’ordure. Ses mains se joignent devant son front plissé, alors qu’elle ferme les yeux. Sourit.
Parfois, le silence d’un dieu est plus parlant que sa réponse.
Janvier 1165
Faustine ne se rappelle plus très bien ce jour de janvier. Mémoire défaillante, lambeaux du traumatisme. Remembrances de hurlements stridents, des pieds nus glissant sur la boue dans un bruit spongieux, des bras cadavériques attrapant les proies vivantes. L’époux introuvable. Elle ne sait plus si elle a failli mourir. Elle a peut-être attrapé une menotte, ou deux. Poussé des vivants à se retrancher dans les hauteurs de la ville. Elle a croisé le regard torve d’un Fangeux, la moitié du visage dévorée par la putrescence, trébuchant sur ses propres viscères. Cela, elle ne l’a pas oublié.
Elle n’a pas oublié son œil maudit, prunelle de brouillard, morte et translucide comme le blanc d’un œuf.
Elle n’a pas oublié les griffes acérées, prolongations effilées de mains longues et calleuses.
Elle n’a pas oublié la façon dont la bête a couru vers elle, la gueule pleine de crocs déformée par la faim, et comment elle s’est figée, terrorisée, avant que quelqu’un lui tende une main et l’emmène dans sa course.
Mais ce qu’elle n’oubliera pas, surtout, c’est le visage d’Ambroise, ce jour-là, devant sa femme échevelée et couverte de tourbe. Absent. Songeur. Mais pas inquiet.
1er mai 1166
Et l’horreur s’est répétée. Plus coriace, plus vorace, plus nombreuse. La couronne entachée dès le premier jour. Marbrume prête à tomber et ses ouailles avec. Faustine a cru être prête, cette fois, quand les macchabées sont arrivés. Mais cette foule grouillante et putréfiée de gueules cassées et édentées, de corps disloqués et exsangues, la pétrifie à nouveau. Sauvée par la masse des vivants, elle se réfugie au temple, grelottante, presque nue sous la robe déchirée par la sauvagerie macabre. Les lourdes portes se ferment sur les réfugiés couverts de boue et de sang. Les blessés l’appellent, et leurs voix ne sont que brume à ses tympans. Faustine ramène les lambeaux de sa robe de prêtresse autour de sa carcasse malmenée. Souffle, appuyée contre une colonne. Refoule ses sanglots, et se saisit d’onguents, d’une petite amphore d’eau de mer, et de cataplasmes. Il est temps de panser les blessures et de soulager la terreur.
« Sœur Faustine… »
Battement de cils. Elle se détourne, pour faire face à une créature fatiguée aux cheveux filasse et aux guêtres abîmées. Une adolescente malnutrie s’accroche à son bras ; sa manche est noire de sang.
« Ma fille… Un Fangeux l’a mordue. S’il vous plaît… »
Faustine hoche la tête, dardant la môme de ses prunelles glacées. Elle s’agenouille devant elle, prend son bras, essuie délicatement la plaie avec de l’eau. Chair marquée par de petits trous sanguinolents en croissant de lune, cerclés par des ecchymoses. Assez pour la condamner. Sa main applique un cataplasme sur la blessure, massant la peau avec énergie. Cela fait, la prêtresse s’empare de ses menottes maigres et les plaque paume contre paume.
« L'amour d’Anür. »
Elle ouvre avec douceur les mains.
« Le berceau de Serus. »
Elle enroule les doigts maigres pour former des poings.
« La force de Rikni. »
Faustine croise le regard impressionné de la jeune fille.
« Par cette prière, je t’offre la protection des Trois. Ne te mets pas en danger, et soigne ta blessure. »
La prêtresse se relève, et marche vers d’autres mains tendues. Son corps la lance. Elle se sent meurtrie de toutes parts, lourde, épuisée. Pendant des heures, elle a soigné et béni les rescapés terrés dans la maison des Trois. Et lorsqu’enfin les Fangeux ont été repoussés dans le Chaudron, elle s’est rendue chez elle. Il paraît que des criminels ont laissé les cadavres pénétrer dans l’enceinte de Marbrume. Des purgateurs.
Elle s’est promis de les retrouver, un par un.
15 mai 1166
Sur la place, sonne le vers final de son hyménée.
Ambroise Pontaigu s’avance sur l’estrade de bois, approchant son visage creusé tout près de la corde. Les planches gémissent sous son poids, annonciatrices de son sort prochain. Il tente de ne pas perdre contenance, mais tremble des genoux. Les vociférations de la foule lui donnent le tournis. Pleutre, lâche, fanatique, suceur de Fange. Sa mâchoire se crispe. Il observe la foule, cherchant le Maître des yeux. Son regard trébuche sur une femme qui le regarde. Faustine. Les iris d’acier le foudroient. Il ne l’a jamais vue aussi en colère. Elle a le visage de la colère des Trois, ceux-là même qu’il a cru servir. Et c’est pourtant elle qui l’a dénoncé, prise de doutes face à ses gestes, à ses paroles. Stupide bonne femme. Elle aurait dû comprendre. Ils auraient dû tous comprendre. À la place, le voilà condamné à mort, avec trois autres de ses frères. L’un d’eux est secoué d’un rire nerveux, incontrôlable.
Il ferme les yeux, alors que le bourreau lui enfonce un sac en toile sur la tête. Un frisson naît dans son crâne pour dégringoler dans tout son corps, lorsqu’il sent les nœuds rugueux de la corde lui gratter le cou. Myocarde qui s’affole à ses tempes. Il essaie d’entrevoir, à travers les mailles du sac, les contours flous du visage de son épouse. Va-t-elle le regarder mourir ? L’observer s’étouffer dans sa cage de tissu, se couvrir de honte et de pisse, se balancer au bout de la corde comme les Fangeux déambulent dans le Labret ? Félonne. Plus fidèle envers un dieu mutique qu’envers son époux. Qu’elle soit avalée par la fange. Déchirée par mille gueules putrides, semblables à celles qu’il a faites entrer dans les murs.
Sous ses pieds, la trappe s’ouvre. Sa nuque se rompt dans un craquement sinistre, couvert par les applaudissements de la foule. Parmi elle, Faustine demeure muette. Droite et stoïque, masque de fer. Son regard ne se détache plus du corps, là-bas, qui tangue au bout de la corde. Sa lèvre inférieure tremble. Ça y est. Il est parti. Sans un mot, la prêtresse se détourne, avalée par les acclamations de la plèbe. Libre.
◈ Résumé de la progression du personnage : ◈
Après la mort de son mari, Faustine se porte volontaire pour aider aux recherches sur la Fange. Elle est très demandée à la fois pour ses talents de chirurgienne, mais aussi de dessinatrice. C’est elle qui consigne les recherches sur parchemin, agrémentant les notes scientifiques de dessins techniques. De fait, sa présence au temple se fait moins régulière, bien qu’elle y exerce toujours en tant que prêtresse de Serus. La qualité de ses bénédictions la précède, mais elle est entachée par la déchéance d’Ambroise, Purgateur des plus zélés, condamné à mort peu après la dernière attaque des Fangeux.
Ses recherches sur la Fange l’ont endurcie. Elle s’habitue à la présence de macchabées, à leur anatomie déliquescente. Savante acharnée, elle prend à cœur son ouvrage, bien qu’il soit mal vu par les autres clercs. Cela entrave sans doute ses possibilités de carrière, mais Faustine ne s’en inquiète pas. Elle tente de profiter de sa solitude pour essayer de composer avec ses traumatismes. Pour l’heure, seuls son travail et sa tranquillité retrouvée comptent.
◈ Derrière l'écran ◈
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