Le malheur arrive n'importe quand et n'importe comment [PV Victor][Terminé]

Triste jour qui réunissait différentes Maisons dans les jardins de la propriété du Comte de Rougelac. Frayer, Terresang, Rougelac, tous se recueillaient devant la dépouille d'Adélaïde, feu la Comtesse de Rougelac, Baronne de Nerra et Dame de Rougesoleil. Le Gouverneur de Sombrebois avait tenue à ce que la cérémonie de crémation se déroule dans les jardins du Manoir familiale et il eut ce privilège en accord avec la milice et le clergé, bien évidemment sous certaines conditions, narrées plus haut.

Mais comment en était-il arrivé là ? La perte d'Adélaïde était-elle inéluctable depuis les événements du couronnement du Roi ? Tant de choses avaient affecté la jeune femme dont deux avortements qui avaient plongé la Comtesse dans une profonde détresse. En accord avec son beau-frère par alliance, Victor avait laissé sa belle retrouver la joie de vivre au Labret durant l'été dans l'espoir qu'à son retour leur relation reprenne un nouveau départ.

Seulement cet espoir fut vain, de courte durée, lorsqu'un messager frappa à la porte de sa demeure le 29 août 1166. Funeste nouvelle... la Comtesse de Rougelac s'était donnée la mort, retrouvée pendue. Ce fut donc de ce drame que fut provoquer cette cérémonie qui mit en branle toute la Maisonnée pour accueillir les invités, proches, amis et parents de la défunte.

Tout du long de la cérémonie, Victor resta des plus discret, vêtu de tissus qui ne laissait place qu'à l'obsidienne. Son visage était fermé devant la dépouille de sa femme. Consumé peu à peu par le bûcher funéraire, le corps , le visage d'Adélaïde semblait étonnement serein et apaisé... les larmes embrumèrent la vision du Comte qui pourtant se retint d'en laisser un seul reliquat rouler sur ses joues. Quel gâchi... et au plus profond du mondain... il se sentait responsable de cette tragédie.

Autour de lui, il sentait finalement la présence des proches de la Comtesse se faire de plus en plus rare. Baissant la tête, il profita alors de l'occasion pour sécher ses larmes sur le revers d'une manche de sa tunique quand soudain la voix de son beau-frère lui parvint, toute proche, à l'oreille. Recevant ces sincères condoléances, Victor se décida a se retourner, affichant un visage triste et peiné, renforcé par des yeux rougit par une certaine forme de détresse. Le menton relevé, il dévisagea Alexandre un court instant avant de lui répondre en opinant du chef.

- Merci... Pardonnez mon intentionnelle mise à l'écart mais... ma souffrance est immense.

La mâchoire serrée, Victor était au bord des sanglots et il dû prendre une grande inspiration pour reprendre un semblant de contrôle sur ces émotions et sa prestance.

- Vicomte de Terresang, laissons les formalités d'usage de côté. Vous n'y verrez aucune objection si aujourd'hui je vous appel par notre prénom, Alexandre.

Il se retourna alors vers le corps qui se consumait toujours sous la bienveillance des membres du clergé et la surveillance de la milice. Mains jointes dans son dos, il baissa la tête.

- Triste fin... elle qui avait encore toute sa vie devant elle et qui assurément allait embrasser un grand destin... je lui avait promis tant de choses afin qu'elle puisse enfin s'épanouir.

Il déglutit difficilement. Biensure, il n'allait pas avouer sa part de responsabilité dans ce suicide, mais il s'exprimait avec une étonnante franchise qu'on ne lui connaissait que trop rarement.

- Je... qu'elle puisse trouver le repos auprès d'Anur... paix à son âme...

Il chuchota alors en fixant la dépouille et sortit d'une de ses poches quelques effets personnels qu'ils déposa sur le lieu de crémation.

- ... Mon cœur saigne Adélaïde...

Les larmes le submergèrent alors, il ne pouvait plus faire semblant d'être fort.

- Tu me laisse orphelin... tu laisse un grand vide en moi. Moi qui avait toujours eut peur d'aimer pour me préserver, tu m'as fait connaître ce sentiment qui a présent me fait au quintuple... plus mal que milles lames et milles morsures transperçant mes chairs...

Ses lèvres tremblèrent, des larmes perlèrent pour s'échouer sur le sol, sa vision se troublant plus encore.

- Je t'aime et je te hais Adélaïde. Tu m'as abandonné... et je t'en veux pour cela. Mais... je te pardonne, je n'ai point d'autre choix apres tout ? Pardonne moi à mon tour...

Il leva alors les yeux au ciel, accompagnant les volutes de fumées du regard.

- Je suis sûrement maudit...

Il posa une main sur sa propre poitrine à hauteur de coeur.

- Tu restera à jamais en mon cœur...

Alexandre avait probablement tout entendu du fait de sa proximité avec le Veuf. Ce dernier ne s'en cachait point devant son beau-frère qu'il savait proche de la défunte. Sans reporter son attention sur le Vicomte, le mondain rajouta.

- Vous qui avez pu la côtoyer ses dernières semaines au Labret, puis-je espérer que vous l'avez vu au moins une fois sourire et regouter à une certaine joie de vivre ? Mais... l'on dirait que rien n'aura suffit... hélas...

Larmes séchées, les yeux rouge de tristesse, Victor tentait alors pourtant de reprendre une stature de circonstance.

Alexandre avait été langue de vipère, le Comte de Rougelac semblait gravement atteint par la disparition de sa dulcinée … ainsi, il avait bien un coeur et celui-ci saignait d'après ses dires, jamais il n'aurait imaginé dire cela un jour mais : Le Comte Victor de Rougelac est triste et semble même pleurer … même en le pensant, le Vicomte se croyait dans une comédie créée par des Saltimbanques pour se moquer des nobles et pourtant ! Il eut même l'audace de dire quelques mots avant de fondre en larmes … okay, alors ce n'est pas le Rougelac que Alexandre connaissait mais il fallait dire qu'il savait ce que faisait la mort d'un être aussi cher et il ne savait pas ce qui s'était passé entre eux deux mais on aurait dit que leur relation avait été grandement améliorée ! Quel gâchis … Adélaïde avait peut être beaucoup perdu pendant l'invasion mais elle avait également gagné un mari , un homme qui l'avait aimé autant que le vieux seigneur l'avait aimé … bon sang, était-ce de sa faute ? Il déposa sa main valide sur l'épaule du Gouverneur de Sombrebois et lui adressa un sourire triste.

 « J'ai mené Adélaïde jusqu'au Labret pour qu'elle puisse revoir sa nièce, ma fille que j'ai retrouvée mais amnésique … elle devait m'aider à la ramener et c'est ce qu'elle a fait durant le mois qui a suivit, elle a longuement discuté avec elle, elle avait le sourire lorsqu'elle le faisait et qu'elle rentrait le soir… elle l'avait également lorsque je lui fit visiter mon domaine et les alentours d'Usson sans pourtant la mettre en danger… elle s'est même portée volontaire pour aider, ce qui n'était pas commun avec elle. »

Il avait la bouche sèche lorsqu'il parla de ses derniers moments de vie, ils avaient passé un mois formidable, il avait retrouvé une certaine forme d'amitié avec la jeune femme même si il ressentait qu'elle avait toujours une certaine forme de rancune envers lui … et ce sentiment la rappelait à l'ordre en la faisant fixer le Vicomte d'un regard noir de quelques secondes mais i était certain que c'était les meilleurs jours de sa vie.

 « Adélaïde a émit le souhait de retourner à Marbrume pour retrouver sa fratrie et votre personne mais … je pense que cela n'a était qu'un prétexte pour faire ce qu'elle a fait ... »

Il enleva sa main de l'épaule du Comte et se mit à réfléchir pendant un instant … 'fin réfléchir était un grand mot, il se mit à capter quelque chose plutôt … la jeune femme n'allait pas bien durant la semaine qui avait précédée son suicide … elle broyait du noir et ne mangeait presque plus.

 « La pauvrette semblait avoir retrouvée son humeur d'avant son départ, elle était plutôt sombre, elle ne voulait voir ni ma personne, ni les autres … elle avait même cessé d'aller voir ma fille, c'est un soir qu'elle m'a demandé de revenir … bon sang, si j'avais su, jamais je n'aurais loué ce navire pour que nous rentrions à la Cité … peut être qu'elle serait toujours parmi nous, je suis sûr que ce n'était qu'une passade dû à son avortement forcé durant l'invasion. »

Lorsque le Vicomte posa sa main valide sur l'épaule de Victor, ce dernier ne chercha nullement à se défaire de ce contact. Qui puis est, le sourire triste qui accompagnait ce geste n'était point dénué de sens. La prise de parole de son beau-frère par alliance. Tout portait à croire que le manchot était lui aussi affecté par la disparition de la Baronne de Nerra. En gage de bonne fois, Alexandre narra au veuf les dernières semaines qu'il avait passé en compagnie de feu son épouse. Le mondain avait-il réellement besoin de trouver une explication à cette terrible disparition ? Non, pas plus que du réconfort. Et pourtant, d'après les dires du Vicomte de Terresang, le suicide d'Adélaïde en devenait étrangement troublant.

Il retint de ce résumé de ce voyage de la Comtesse passé au Labret le fait que la jeune femme avait retrouvé le sourire et donc la joie de vivre, mais son désir soudain et hâtif de regagner la capitale ne semblait pas donner de fait le signe avant-gardiste de ce sinistre dénouement.

Le retour auprès de ses proches l'avait semble-t-il fait plus de mal que de bien et Alexandre semblait souffrir de prendre une part de responsabilité dans le suicide de sa protégée. Une réaction somme toute classique qui ne touchait pas exclusivement à l'univers personnel et sociale. Face à une conséquence négative, l'humain avait toujours cette esprit d'analyse qui le conduisait à mettre en cause certain fait, geste ou mot. Victor ne tenait nullement rigueur à son beau-frère et lui signifia après avoir reprit un peu de constance.

- Ne vous rendez pas responsable de sa mort. A votre place, aurais-je fais les même choix. Vous avez fait votre possible pour lui redonner goût à la vie. Mais... nous n'avons pas la capacité de dicter les choix des autres.

Il prit une grande inspiration et reporta son regard sur le cadavre qui a présent se consumait au point que ce dernier perdait en silhouette humaine. Un dernier regard puis Victor baissa les yeux et tourna le dos au bûcher non sans avoir murmurer une dernière prière. Avisant le manchot, Victor commençait à reprendre de mieux en mieux ses esprits invita son homologue à reculer de quelques pas, le temps que les prêtres et prêtresses achèvent la cérémonie de crémation toujours sous l'oeil attentif de la milice.

- Il me faudra du temps pour faire mon deuil et ne puis-je qu'apprécier votre présence et votre soutien dans ce moment que nous traversons ensemble. Nous ne saurons sans doute jamais les vrais raisons de ce suicide, mais je m'emploierai toutefois à écarter toute autre raison qui aurait conduit à cette disparition. J'imagine qu'une enquête doit toutefois être ouverte auprès de la milice.

Victor observa du coin de l'oeil l'héritier de Frayer très proche de feu la Comtesse avant de reporter son attention sur Alexandre.

- Puis-je vous offrir une coupe d'un puissant breuvage après la cérémonie et quelques herbes à pipes ? Il s'agit d'une thérapie pour moi dans ces rare moment difficile, ou tout du moins, cela nous permettra d'évacuer, que faire ce peu, toute la pression que provoque un événement... si lourd.

L'invitation était donné. Victor était conscient qu'il allait devoir longuement s'entretenir avec son beau-frère par alliance. Si la douleur lui tiraillait le cœur et l'âme, il savait que cette tragédie aurait des conséquences sur l'ordre des choses, sur les complexes échiquiers d'influence et d'alliance

 « Si seulement … ce seront nous les dieux. »

Dit-il avec un petit sourire triste tout en observant le corps se consumer une bonne fois pour toute, la dame de Rougelac, fille d'Aaron de Frayer et ancienne épouse de Rougesoleil était donc retournée à la poussière et devait séjourner à la droite d'Anür comme nombre de ses prédécesseurs … elle devait avoir retrouvée sa sœur, son père, ses enfants … il espérait de tout coeur que là où elle était, elle reposait enfin en paix …

Le Vicomte se disait que le Comte de Rougelac reprenait un peu plus ses esprits, cela ne devait pas être la première fois qu'il perdait une épouse ou une fiancée … oui, il était connu pour cela, la plupart des femmes assez courageuses pour se marier avec lui finissaient souvent sur un bûcher ou alors dans les bras d'un autre, il était donc rompu au deuil mais qu'importe … Alexandre aussi et pourtant cela ne lui faisait pas un bien de dingue, au contraire, Adélaïde avait encore toute sa vie devant elle et la voilà sur ce maudit bûcher !

Le mondain ne croyait pas à la thèse du suicide ou du moins, il avait des doutes … le seigneur haussa un sourcil à l'écoute de ses paroles … quelqu'un aurait tué Rougesoleil ? Et pourquoi ? Pour avoir épousé Victor de Rougelac ? … les kidnappeurs ?! On n'avait jamais su qui ils étaient, ceux qui avaient kidnappés la belle avant son mariage … qui étaient-ils ? Avaient-ils reçu l'ordre de la faire tuer ? Non, ce n'était pas cohérent … à moins que… non, cette pensée devait se trouver dans un coin de sa tête, il ne laisserait pas la milice s'occuper seule de cette enquête.

 « Oui … oui, une enquête … bien sûr, une partie de moi espère que cette atrocité ne soit pas l'oeuvre d'Adélaïde mais cela voudrait dire que quelqu'un nous en veux particulièrement et cela expliquera sa position dans ce bûcher aujourd'hui mais peut être que nous cherchons midi à quatorze heures.  »

Il l'espérait de tout coeur mais le suicide était une chose peu commune, pourquoi faire cela ? Non, cela n'avait pas de sens … bon sang ! Son cerveau était en ébullition, il fallait qu'il se calme au plus vite sinon, il allait exploser ! Le Vicomte passa sa main valide sur son crâne avant de s'apercevoir que le Comte observait discrètement Lucas.

 « Ce jeune homme n'a que treize ans et pourtant le voilà à devoir protéger sa jeune sœur pendant que ses deux aînées, son père et sa mère sont morts … nous vivons une époque troublée où les enfants doivent grandir plus vire. »

Et Alexandre se disait que le gamin n'allait pas pouvoir assumer seul les tâches qui allaient l'incomber, fort heureusement, il savait que Lucas était un jeune homme fort d'esprit mais allait-il le rester ? Il le savait proche de sa pauvre sœur, elle avait été son pilier durant la Fange et voilà qu'elle était morte … allait-il le supporter ?

Le Seigneur de Terresang ne fut pas surpris par l'invitation du Rougelac … se noyer dans l'alcool et dans les fumées des herbes à pipe ? Très peu pour le vieil homme mais peut être qu'un peu de picole lui reposerait l'esprit … 'fin vous avez compris, cela faisait un moment qu'il n'avait pas touché une coupe de breuvage alcoolisé (plus d'un mois!) et il n'avait pas envie de retourner dans sa dose d'alcool journalière mais qu'importe, c'était un moment assez triste et rare, le cerveau avait besoin d'un remontant.

 « J'accepte Comte mais … évitons de trop nous embrumer l'esprit, je vous rappelle que nous avons des choses à régler quant à cette tragédie et j'aimerais que nous soyons lucide pour parler. Vous comptez rester longtemps à Marbrume ? Je sais que vous êtes plutôt occupé avec votre gouvernance au bourg de Sombrebois. »

Instictivement, intuitivement, le regard des deux quadragénaires s'était reporté sur le jeune Frayer. Silencieux, Victor acquiesça pourtant aux dires du manchot d'un hochement de tête avant de lui donner la réplique.

- En effet... les enfants doivent grandir plus vite en ces temps. Mais j'imagine que vous serez encore là pour le chaperonner. Grand bien lui fasse.

Des enfants, un rêve interdit, inaccessible, tout du moins dans la légitimité de cet aspect. Le Comte fini par regarder une dernière fois le corps de son épouse se consumera avant de définitivement tourner le dos à ce macabre spectacle pourtant nécessaire et de coutume. Et qu'il s'agisse d'un suicide ou d'un meurtre maquillé, cela ne ferait de toute manière par revenir à la vie sa chère et tendre Adélaïde.

Alexandre fini alors par accepter l'invitation du Veuf même s'il le mettait en garde sur sa consommation modérée d'alcool. Faignant de s'en soucier, Victor lui adressa un sourire poli car pour son compte, il avait la ferme intention de noyer son chagrin dans l'alcool et l'herbe.

- Bien, rentrons en ce cas. Si vous avez quelques détails à régler avec le jeune homme ou votre bras droit, prenez votre temps, j'avertirai une domestique de vous conduire jusqu'à mes salons.

Ce faisant, il quitta les lieux, accompagné ou non du Vicomte de Terresang qui de toute façon le rejoindrait ce qui permettait de dresser le décor du huit clos qui allait s'en suivre : une vaste salle ? Non, Victor avait choisit le petit salon privé qui donnait sur les jardins et l'arrière cours. S'y trouvait deux confortable fauteuils dont les dossiers étaient si haut qu'on ne pouvait jamais savoir de dos si quelqu'un y siégeait. Tout deux étaient orientés vers une imposante cheminée où était fixé un somptueux tableau représentant le Comte, signé d'un des plus grand artiste peintre de Marbrume.

Quelques bougies avaient été disposées et allumées, parsemant la pièce d'une lueur subtile et intrigante. Un domestique venait de quitter le lieu, laissant sur une console un plateau argenté contenant plusieurs alcool liquoreux ainsi que deux pipes en bois et deux bagues à tabac. Victor ferma alors la porte après que son beau-frère ait pénétré les lieux avant de l'inviter d'un geste du bras droit à prendre place dans l'un des fauteuil.

- Mettez vous à votre aise Alexandre. Personne ne viendra perturber notre tête a tête.

Il prit alors la direction de la console et examina chaque carafe.

- Nous avons là de l'hydromel, de l'hypocrase et un tord boyau que j'affectionne particulièrement aussi, le Moretum, parfait en apéritif, ces notes de mûres et de framboises feront fantasmer nos papilles. Faite votre choix, beau-frère.

Pendant ce temps, Victor glissa pipe et bague à tabac dans la poche de son veston avant de servir deux gobelets celon la reponse d'Alexandre. Le cadre de leur entretien semblait donc posé. Puis, en revenant avec les deux gobelets, le sang bleu répondit à l'une des question que lui avait posé le noble guerrier devant le bûcher.

- Et pour vous répondre, je ne sais point encore quand vais-je retourner à Sombrebois. Sans doute avant la fin du mois, j'ai de toute façon bien des choses à régler, des obligations que je ne pourrais déléguer à une tierce personne. Pourquoi cette question mon cher beau-frère d'ailleurs ? Tenez, votre gobelet.

Alexandre soupira, il fit signe à Bertrand de Montbard qu'il partait avec le Comte de Rougelac, il regarda une dernière fois le jeune de Frayer, il était accablé et c'était compréhensible … bon sang, combien de temps il faudrait pour que la peine se résorbe une fois de plus ? Il avait le teint livide, il ne semblait plus aussi joyeux qu'autrefois et son entrain semblait s'être perdu dans sa douleur … Lucas de Frayer était un jeune homme digne d'un noble héritier et voilà qu'il ressemblait plus à un dépressif qu'autre chose mais le vieux seigneur savait qu'il allait se rétablir, la question était de savoir quand.

Il suivit alors Victor de Rougelac jusqu'au salon où se tiendrait l'entretien des deux hommes … c'était une habitude semble t-il chez eux. Les rencontres des deux hommes se passaient toujours à huis clos, principalement dans les salons de leur résidence respective, chez Terresang on mangeait, chez Rougelac on picolait. Ah et parfois on se trimballait à poil dans les thermes mais ça c'était une autre histoire.

Le salon était intime, très peu d'espace … cela faisait tâche avec la réputation d'étalage de richesse du Comte, à côté Alexandre avait fait prétentieux avec sa vaste salle de réception et les écus au mur qui avait accueilli le repas du futur mariage d'Adélaïde et le lien vassalique d'Ulysse de Sombreval. Il entra dans le salon en observant le tableau représentant le noble … hm, c'était pas aussi prétentieux que le Vicomte, lui aussi avait un salon avec ce genre de tableau, il représentait la famille Terresang, la première, avec Alice, Adélaïde, Lucas et Lécanore .. il était certain que le seigneur bancal n'allait pas revisiter ce salon avant un bon bout de temps.

Il s'assied en réfléchissant, boire dans un moment pareil était peut être judicieux mais son esprit devait rester lucide pour ce qui allait suivre.

 « Hydromel s'il vous plait, Victor. »

Il regarda son environnement, hm, au moins il était certain qu'ils n'allaient pas être dérangés mais Alexandre n'aimait pas être dans un endroit aussi réduit, sans doute son esprit de vieux guerrier mais qu'importe, il fera avec.

Il prit alors son verre tout en lui répondant, ils allaient enfin entrer dans le vif du sujet.

 « Je vous demande cela, car, nous avons des choses à décider sur les possessions de votre regrettée épouse et ... »

Il se cala dans le canapé tout en sirotant sa boisson.

 « Je n'ai que quelques jours, je dois partir avec un navire et un petit corps expéditionnaire pour le Domaine de Ventfroid, le Roi Sylvrur m'a mandaté pour aller y jeter un œil et éventuellement préparer le terrain pour rénover la place. »

Ce sera donc de l'hydromel pour son beau-frère. Victor le suivit donc sur ce choix et revient rapidement vers le Vicomte avant de se délester d'un des deux gobelets contenant le précieux breuvage dorée. Chemin faisant, le Comte alla s'approprier le second fauteuil béni par quiconque séant s'y installant. Et alors même qu'il portait le breuvage à ses lèvres, il esquissa un sourire à l'élocution de son protagoniste.

Alexandre n'avait honte de rien et cela m'étonnait guère Victor. Parler de possessions alors même que le cadavre de la principale intéressée était encore chaud ? Rougelac en ricana intérieurement de cette demande. Il faillit alors répliquer lorsque le manchot enchaîna sur une sujet aux contours bien plus intéressant. Ainsi, jusque là figé, gobelet aux lèvres, le mondain se décida à en vider une bonne traite dans sa gorge, ce qui lui fit un bien fou.

Silencieux, il sorti de sa poche le nécessaire pour son second petit plaisir de ce début de soirée où fin de journée. Bourrant la pipe d'herbe séchée, il fit durer le suspens de longues minutes durant avant qu'un nuage de fumée ne le tir de sa réflexion. Il tourna alors la tête sur son flanc droit pour dévisager son homologue.

- Aux dernières nouvelles, les possessions de feu mon épouse me reviennent de droit. Mais... si un objet sentimental vous tient à cœur, je puis décider de m'en séparer. Pour le reste... il vous faudra être plus précis, même si, par cette démarche hâtive, vous n'honorez point la mémoire de ma défunte femme.

Il retrempa une nouvelle fois ses lèvres sur ce précieux nectar avant de prendre de grosses bouffées d'herbes à pipes.

- Cette saloperie me tuera, croyez bien beau-frère. J'avais cessé d'en prendre depuis ma longue convalescence mais les Trois en ont décidés autrement. Bref, vous me parliez d'une expédition vers Ventfroid ? Intéressant... et que voilà une Grande faveur que vous fait le Roi je dois dire.

Il plongea alors son attention dans son gobelet, en y faisant tournoyer l'alcool de miel tandis que sa main libre tenait tout haut sa pipe. Cette position lui donnait l'allure du parfait intriguant de cours, efféminé peut-être pour certains nobles guerriers, mais il n'en avait que faire du jugement qu'on pouvait lui porter en cet instant.

- Ainsi... qu'elle affaire de succession ne peut elle attendre la fin de votre périple ? Je suis tout ouïe, mon trop bien aimé beau-frère.

Ces derniers mots étaient ils sincères ? Juste exagéré ? Tout simplement une pique taquine légère et sans importance ? Seul les Trois le savait.

 « Je vous signale, Victor, que nous sommes en guerre, j'aimais plus que tout ma chère belle sœur mais malgré notre chagrin, nous devons essayer d'avancer malgré notre deuil. Veuillez m'excuser d'être direct mais c'est un mal nécessaire. »

Il but une gorgée de son hydromel, il avait un léger goût de miel, ce qui était normal certes mais il semblait plus prononcé qu'à l'accoutumé, cela faisait du bien. Il reprit ensuite.

 « Je ne souhaite pas vous prendre par la force les possessions de feu votre épouse, ce n'est pas mon intention au contraire, nous pouvons par contre négocier . »

Ô vil gredin, toi qui semblait empli de tristesse il y a quelques instants, voilà que tu parles de marchandage ! Les derniers instants de la pauvre damoiselle n'auront été que cela : Du marchandage … sa vie en était le résumé mais il fallait faire vite, comme le Vicomte le disait, malgré la tristesse nous devons faire en sorte d'avancer, nous pleureront nos morts après la guerre.

 « Je sais ce que vous pensez, Adélaïde n'est morte que depuis trois jours et voilà que je saute sur ce qui lui appartenait mais non, au contraire, la scierie dont elle était la propriétaire doit continuer à fonctionner. »

Il attendit un instant, oh en voilà un méchant garçon qui veut les jouets des autres.

 « Je ne compte pas tergiverser, ce n'est pas pour moi mais pour l'Ordre. Ce dernier vous versera un loyer de 1 écu par mois pour utiliser la scierie se trouvant dans les Faubourgs, nous l'utiliseront pour débiter notre bois pour de futurs projets de rénovation, nous vendrons l'excédent au marché où vous aurez 30 % des revenus. Je vous laisse cogiter. »

Il but une seconde gorgée de sa boisson … hm, le miel se faisait plus présent, c'était son esprit qui lui jouait des tours ? Il avait l'impression de boire un pot de miel … il n'avait certainement plus l'habitude.

 « Quant à la faveur royale, c'est effectivement un énorme cadeau, une opportunité à ne pas manquer, c'est pourquoi je vais monter une expédition composée d'experts pour observer ce qui doit être refait sur le domaine, si les Fangeux sont toujours présents et surtout si il y a encore un minimum de vie, cela ne fait pas longtemps que le domaine est tombé … j'espère que sur le millier de personnes qu'il y avait là bas, il reste quelques pauvres âmes encore vivantes.

Si le projet est approuvé par le Roi de Sylvrur, ce dernier aura certainement besoin de toute l'aide des bonnes gens de la cité … et ils auront assurément la gratitude de ce dernier, vous voyez ce que je veux dire n'est ce pas ? »

Spéculer sur les possessions d'une femme dont le cadavre se consumait, malgré la verbe du Vicomte qui se voulait tout aussi affecté par la perte d'un être cher, tel était bien l'objet de cet entretien, sous couvert d'une opportunité qui semblait presser son beau-frère à tirer profit de la funeste situation qui le liait au Comte de Rougelac. Pourtant, Alexandre avait au moins la sagesse de ne pas chercher à récupérer le gagne pain de feu la Comtesse, non au lieu de cela, il s'efforçait de proposer une solution afin que la scierie puisse continuer à tourner à plein régime.

Pensif, le mondain se plongea dans une brève réflexion, analysant la proposition du manchot à chaque rond de fumée qu'il laissait filer d'entre ses lèvres sous forme d'anneaux qui s'élargissaient à mesure que ces derniers prenaient de l'altitude. C'est alors qui foudroya du regard son beau-frère, s'exclamant.

- Pour l'Ordre ? Cessez de vous cacher derrière votre guilde ! Cela sert vos propres intérêts, alors ne me prenez point pour le premier ou le dernier des imbéciles. Vous comme moi ne sommes plus de première jeunesse, laissez cela aux pourceaux et aux jeunes coqs.

Il l'avis alors d'un regard entendu, un souvenir d'Adélaïde traversant son esprit, ce souvenir d'elle qui la savait enthousiaste et déterminé à voir la scierie familiale continuer à gagner ses titres de noblesses dans le milieu.

- Évidemment qu'une telle offre ne se refuse pas. En mémoire à Adélaïde et pour ce qu'elle aspirait à faire de cet endroit, je vous accorde l'accès à la scierie, à vous et à votre guilde. Mais il faudra également respecter les commandes venant de Sombrebois car ai-je bien l'intention de débiter le bois que j'exploite là haut.

Victor se redressa alors, posant sa pipe dans une soucoupe métallique prevu à cet effet avant de regagner le meuble où il y récupéra la bouteille d'hydromel.

- Je vous ressert naturellement, cher beau-frère ? Afin de sceller cet accord et noyer un peu plus notre chagrin ? La soirée ne fait sue commencer apres tout, j'ose imaginer que vous n'avez point d'autre obligation en ce jour de deuil pour nos deux familles?

Il reprit alors place dans son fauteuil avant de réagir au second point évoqué par le Vicomte de Terresang et pas des moindre.

- Cela fait maintenant un peu plus d'un an que je n'ai pas remis les pieds à Ventfroid... c'était au mois de juin. Aviez-vous que lors de mon séjour, la Fange avait fait parler d'elle ? Je me souviens avoir contribuer à rapatrier la population jusque dans l'enceinte du château, puis... avoir assister du haut des remparts, en compagnie de Dame Ambre, à la lutte que mena le Seigneur Morion contre notre ennemi. Vous auriez vu cette nuit là les vastes terres de Ventfroid briller de milles feux... une bataille memorable.

Un lointain souvenir et pourtant encore bien présent dans son esprit. Il reporta alors toute son attention sur Alexandre non sans humidifier du précieux nectar sa gorge devenue sèche par le poids des mots.

- Je vous offre naturellement mon appuie et peut-être si vous me le permettez, puis-je également participer à cette expédition. Je crois que cela me ferait le plus grand bien... j'ai besoin de m'échapper l'espace d'un temps.

La gratitude du Duc, était ce un argument qui comptait dans la balance ? Certainement car Victor aspirait toujours à être reconnu par ses pères. Reprenant sa pipe, il l a ralluma pensif avant que ne lui vienne une idée.

- Je vois évidemment où vous voulez en venir mon cher beau-frère et cela me donne quelques idées pour vous permettre de mener à bien votre expédition. J'imagine que vous avez besoin de fond voir même de main-d'oeuvre ? Vous n'êtes pas sans savoir qu'une partie de la noblesse est toujours remise en cause sur l'Esplanade par le Roi en personne ? En grande parti des non natifs. Voilà une aubaine que cette expédition afin de conforter leur place.

Il se tut un instant, fixant Alexandre qui sans doute ne comprenait pas encore les mécanismes qui étaient en train de s'enclencher dans l'esprit du Comte de Rougelac.

- A quelle date aura lieu l'expédition, mon cher beau-frère ?

Se gardant bien de dévoiler pour l'heure son plan, tout venait à point à qui savait attendre.

Le regard foudroyant du Comte ne valait pas une merde de mouette, le Vicomte n'était nullement impressionné et il osa même faire apparaître un léger sourire sur ses lippes. L'Ordre était-il un prétexte pour tout ce qu'il avait entreprit aujourd'hui ? Non, certainement pas ! Il n'était pas de ce genre d'homme, il haussa un sourcil quand il demanda d'éviter les faux semblants, il but la dernière gorgée de son hydromel et répliqua :

 « L'Ordre ne sert pas mes intérêt, Seigneur de Rougelac, mais ceux qui sont dans le besoin ou en qui en ont besoin … vous sembliez bien désireux de servir mes intérêts quand vous avez demandé l'aide de l'Astre, Victor. »

Il attendit quelques instants tout en regardant le fond de son verre et reprit en portant son attention une nouvelle fois sur le mondain.

 « Si l'Ordre servait mes intérêts, je ne serais pas entrain de me saigner à blanc pour offrir un minimum de service aux miséreux de ce pays, bien au contraire, ne me prenez pas pour votre engeance mondaine, Seigneur de Rougelac. »

Eh beh pour quelqu'un qui pensait que l'Ordre servait les intérêts du Vicomte, il ne prit pas longtemps avant d'accepter la proposition du Maître Dirigeant de l'organisation … mais il avait raison, la défunte comtesse aurait voulu voir sa scierie continue à tourner malgré les déboires présents. Il se mit à sourire quand il entendit la condition, Il comptait bien débiter le bois qu'il exploitait, tient c'était plus le Baron de Sombrebois qui exploitait son domaine ? Le sanglier s'était-il fait rouler ? Bah, qu'importe, si tel était le cas, il n'avait que ce qu'il méritait.

Il tendit sa coupe vide, oui, il avait besoin de boire mais il ne pouvait rester longtemps et il ne comptait pas s'imbiber d'alcool pour tomber ivre mort sur le plancher.

 « Malheureusement, je n'ai que quelques heures. Je dois superviser l'achat de matériel et de vivres pou mon expédition, la moitié du matériel de l'Ordre se trouve au Labret au moment où je vous parle … d'ailleurs, je ne vous ai pas encore vu là bas, vous devriez venir visiter le nouveau quartier général de l'Ordre. »

Durant un instant Alexandre cru entendre de la bouche du Seigneur des Mondanités qu'il avait participé à la bataille de Ventfroid mais … en fait, il n'avait que aider au rapatriement des civils dans l'enceinte fortifiée, c'était déjà beaucoup pour lui qui ne sortait que rarement de la Cité donc il n'en attendait pas autant de lui mais en effet, le domaine était tombé seulement après une bataille mémorable à conter dans les chroniques. Il but une gorgée de son hydromel en attendant qu'il ait fini ses petites explications et cette fois un grand sourire se dessina sur ses lèvres caché par sa coupe.

 « Vous souhaitez donc venir, messire de Rougelac ? Pour une première expédition ayant pour but de reconnaître le terrain, nous commencerons par sécuriser une bâtisse qui nous servira d'avant poste pour les prochaines expéditions … il nous faudra reprendre peu à peu les lieux clés tels que les Faubourgs puis de l'Enceinte Fortifiée et ensuite du Château … soyons clair, cela dépendra entièrement des résultats de la mission de reconnaissance. Si vous venez, je ne souhaite pas devoir vous couver comme une nourrice couverait un nouveau-né, je ne vous donnerais pas le sein. »

Il hocha par la suite la tête, évidemment, une telle expédition aura besoin de financement et même si elle était l'oeuvre du Roi, il fallait que les nobles montrent leur gratitude envers leur suzerain et participent aussi bien militairement que financièrement. C'était le meilleur moyen de ne pas se faire virer de l'Esplanade à coup de catapulte.

 « Oui mais tout cet aspect sera uniquement valable après notre première expédition, je pense que c'est un bon moyen de montrer au Roi qu'il a l'appui des nobles présents et plus particulièrement des non-natifs … de toute façon, ils seront bien obligés, il y va de leur protection sur l'Esplanade. »

Il but une nouvelle fois dans sa coupe continua presque immédiatement.

 « Nous partons le 17 Septembre, l'heure n'est pas encore communiquée, car le Roi doit encore trouver un capitaine qui n'a pas peur de traverser la moitié de l'océan qui relie Marbrume à Ventfroid, cette mer infestée de pirate du Dauphinat mais je suis sûr qu'il trouvera quelqu'un … c'est également le temps nécessaire pour préparer le matériel et les vivres pour notre expédition qui durera une semaine et demie, au plus tard nous serons à Marbrume, le 22 ou le 23 Septembre si tout ce passe bien … je vous enverrais quelqu'un pour vous donner l'heure, si vous êtes toujours motivé à venir tâter le terrain avec nous. »

Laissant volontiers son beau-frère déblatérer au sujet de l'Ordre, de ses intérêts ou non, Victor continuait à panser ses plaies du cœur dans l'alcool et l'herbe. A dire vrai, il n'en avait foutrement rien à faire de savoir si Alexandre agissait pour son propre compte ou pas, cet élément n'était de toute manière pas à prendre en compte dans l'équation. Seul élément qui l'agaçait, l'appétence du Vicomte à le vouvoyer et user de formules de convenances. Par les Trois ! Leurs familles étaient à présent liées et ce même si l'objet de leur lien venait de disparaître ! Et quand bien même, ils avaient quelques mois auparavant briser le plus insolite des codes en devisant dans leur plus simple apparat.

L'alcool aidant sans doute, Victor semblait faire une fixation sur ce détails pourtant insignifiant. Fort heureusement, le manchot, en dévoilant plus en détails les objectifs de sa mission diligenté par le Roi en personne, regagna toute l'attention et l'intérêt que lui portait le Comte de Rougelac qui pour la première fois, délaissa hydromel et pipe pour appuyer son attention sur son homologue. Alexandre ne manqua pas d'ailleurs de le gratifier de quelques piques dont ne prit nullement ombrage le mondain, fort habitué à se voir dénigrer par les nobles guerriers de tout bord. Et si Terresang semblait pressé par le temps pour mener à bien cette expédition, cette dernière n'avait pour l'heure qu'un objectif de simple reconnaissance de l'état de cette place forte arraché par la Fange avant d'éventuellement procéder à sa reprise qui ferait donc parti d'une seconde phase sans doute déjà mûrement réfléchi par le Roi et ses proches conseillers.

Acquiesçant à plusieurs reprises, Victor garda le silence tout en poussant sa réflexion jusqu'à ce que son acolyte finisse enfin son plaidoyer. Lissant alors sa courte barbe de sa main gauche, le quadragénaire semblait pensif, pesant le pour et le contre quand a son éventuelle participation à cette périlleuse aventure qui pouvait lui tendre les bras. Quitter sa zone de confort ? Il l'avait initié déjà en investissant massivement à Sombrebois, seulement cela ne lui suffisait pas, en tout cas plus maintenant qu'il avait perdu l'être chère et aimé. Sa fortune tomberait sans nul doute dans les caisses royales à sa mort, il fallait qu'il s'y fasse une raison, alors pour un homme qui n'avait plus rien à perdre, cette expédition n'était-elle pas une forme de providence ?

- Alexandre, cessez donc les formules de politesse, les marques d'apparats avec moi. Pas de Seigneur, plus de Comte vous prie-je. Je crois que nous avons depuis longtemps brisé la glace et ce mariage aussi funeste soit-il à présent, n'a fait que renforcer nos liens. Victor sera donc bien suffisant, je te prie. Au diable les vouvoiement en privé, en tout cas sous mon toit.

Il se redressa péniblement avant de machinalement faire les cents pas dans ce salon des plus exiguë.

- Je ne crois guère que ton sein me convienne. Je dois t'avouer avoir déjà prit certaine mesure depuis la fin du printemps pour pallier à certaines de mes carences. Feu le Comte de Rivefière m'a enseigner la monte et l'usage d'une lame tout comme Ser d'Ergueil, mon maître d'arme.

Il se posta alors devant le fauteuil occupé par le Vicomte de Terresang, plongea avec une étrange décontraction les mains dans les poches de sa tunique obsidienne.

- Il n'y a aucune urgence à ce que j'aille visiter le quartier général de l'Ordre. Par contre je suis prêt à t'accompagner pour cette mission de reconnaissance en toute connaissance de cause. Je crois qu'il est grand temps de servir au mieux les intérêts du royaume. Cela me permettra en sus d'y gagner en notoriété, je ne m'en cache point devant toi, mais surtout d'être plus à même de convaincre ensuite la noblesse en périls de rallier notre cause ou plutôt celle du Roi sur ce projet à long terme. N'aurais-je aucun crédit à organiser des réunions avec ces derniers si je n'ai moi même pu voir de mes propres yeux l'état des terres de Ventfroid.

Sa main droite quitta la poche de sa tunique et se dirigea vers son interlocuteur pour ainsi signer leur accord.

Alexandre faillit s'étouffer avec sa boisson, le Comte de Rougelac venait-il de lui demander de le tutoyer ? Ha.Ha.Ha. C'était trop drôle, hilarant. Le Vicomte de Terresang ne tutoyait personnes mis à part quelques uns notamment Mathilde Dumas, il l'avait fait avec Aymeric de Beauharnais avant qu'il ne l'insulte et avec sa belle sœur, Adélaïde, mais … tutoyer ce vil gredin, ce mondain … non, ce n'était pas juste possible de le faire et il était où le respect ?

Ah … nan, excusez moi, on en avait pas pour le Comte Victor de Rougelac.

Il se mit à faire les cents pas devant le Vicomte et il haussa un sourcil en entendant que le … Comte de Rougelac … avait … attendez, pincez Alexandre, il croit rêver. Il avait eu des leçons de monte par le Comte de Rivefière ? Oui, ce même comte qui avait disparu peu de temps après l'invasion … d'après les rumeurs ce serait un suicide mais on avait jamais retrouvé le corps, bah qu'importe. Et des cours d'escrime par le chevalier d'Ergueil … tient, tient, tient. Le sacripant de Bérard ! Il semblait bouffer à tout les rateliers celui là ! Alexandre, Hector et maintenant Victor … bah qu'importe. C'était bien normal après tout ! Mais Victor de Rougelac qui savait manier une épée ? 'fin comme pourrait le faire un jeune écuyer qui avait prit ses fonctions il y a quinze jours … bon sang, Alexandre donnerait n'importe quoi pour voir cela mais pas maintenant, l'alcool et sa substance ne ferait pas bon ménage avec une arme à la main.

Il eut un demi sourire en entendant l'apprenti épéiste énoncer les raisons de sa possible venue à l'expédition pour Ventfroid … évidemment, qui ne le ferait pas pour la gloire ? Qui ne le ferait pas pour remonter dans l'estime de notre cher Roi ? Sous couvert de protéger les intérêts du royaume, bien évidemment … mais il était évident que le Comte de Rougelac serait un atout indispensable pour ce projet. Il se mit à soupirer, se leva à son tour tout en posant sa coupe puis serra la main du mondain.

 « Je préfère vous prévenir Comte de Rougelac que le tutoiement n'est pas dans ma nature avec mes pairs, je préfère rester à une certaine forme de distance et de respect mais soyez sûr que j'apprécie le geste que vous allez faire, il est clair que nous avons encore de grande chose à accomplir ensemble mais … je préfère vous prévenir une seconde fois … le bateau appareillera avec ou sans vous à l'heure qui sera prévu, prévoyez de voyager léger, je ne voudrais pas devoir engager des porteurs en plus. »

Contrairement au commun des mortels, lorsque le manchot soupirait ce n'était pas forcément pour exprimer lassitude ou agassement. Victor ne pouvait pourtant pas déceler ce que son beau-frère pensait vraiment de tout cela, mais une chose était certaine, entre ouvrir une porte était synonyme que le Comte possédait une once d'importance dans cette périlleuse mission qu'avait confier le Roi au Vicomte. Finalement, l'homme au crâne depuis longtemps dégarni se redressa avant de tendre sa main valide à son homologue.

Une poignée de main, un discours clair et sans détour, Alexandre n'avait rien d'un homme cherchant à duper Victor et ce dernier pouvait aisément le ressentir en cet instant. Acquiescant silencieusement d'un hochement de tête, il s'empressa alors d'aller récupérer la bouteille d'hydromel déjà bien entamée.

- Trinquons à cette mission mon cher beau-frère. Restons en en vouvoiement si cela vous sied.

Alors qu'il renflouait les deux gobelets, son esprit se perdit un instant dans un songe, se remémorant le défilé de cette journée. Il releva finalement le menton et leva son gobelet.

- Honorons la mémoire d'Adélaïde. Si elle vous appréciait, je n'ai nul doute qu'elle aurait souhaitait nous voir oeuvre dans des objectifs communs. De là où elle repose, puisse t elle nous voir et sourire devant cet accord.

Il retint une larme. Il avait un peu but ce qui n'arrangeait pas les choses mais pourtant il réussit à maintenir toute sa dignité.

- Je serais au port en temps et en heure avec le strict nécessaire. Cher beau-frère, je crois que cette aventure est autant important pour ma réputation qu'elle ne l'ai pour faire mon deuil.

Le mondain se doutait que le Vicomte, après avoir obtenu ce qu'il était venu chercher, prendrait rapidement congé, mais il lui fallait tout de même rajouter.

- Avant que vous ne partiez, dite à la fratrie Frayer que je ne les chasserais pas de la résidence de Nerra. Ils y sont chez eux, et ce malgré que j'en suis le légitime propriétaire.

Était-ce une information anodine ? Fallait il y voir autre chose entre ses lignes ? Avec Rougelac, on ne pouvait savoir ce qu'il pensait réellement.

Ils trinquèrent alors, ces deux hommes dont le destin avait été de se détester dès la première entrevue s'était changé pour devenir des partenaires d'affaires, des beaux-frères et maintenant des membres d'une expédition à haut risque … Le Vicomte de Terresang ne pensait pas que la situation allait changer à ce point, les dieux avaient un curieux sens de l'humour mais comme on le disait souvent : les voies des dieux sont impénétrables.

Le sang bleu but alors à la santé de la pauvre Adélaïde. Il ne pensait qu'elle serait heureux de voir Alexandre sourire … loin de là. Après tout, c'était lui qui l'avait amené dans cette situation, dans ce manoir avec cet homme qu'elle avait détestée dès le départ mais c'était également sa faute, c'était elle qui était venu trouver le comte, c'était elle qui lui avait avoué que le Vicomte cherchait un bon parti pour sa personne, c'est elle qui avait initiée un jeu avec lui … tout ça c'était sa faute et pas celle du noble Terresang.

Il hocha la tête à l'évocation de l'heure dont le navire partira, il n'espérait rien. Il n'espérait pas voir le Comte de Rougelac sur le port et de toute façon, cela arrangerait fortement le Terresang qui ne voulait pas d'un boulet entre ses pattes… cela l'emmerderait de devoir achever le Seigneur Victor alors qu'il se fera réduire en charpie par un Fangeux.

Il se tourna alors doucement tout en posant sa coupe sur la table près de lui puis entreprit de se rendre vers la porte du salon, il était plus que temps de partir et de laisser le comte à son début de deuil mais … il se retourna avec un demi sourire.

 « Je l'espère Comte. Ces enfants ont plus que besoin de garder un souvenir de leur sœur même si ils ont encore la Résidence Frayer à disposition. »

Il empoigna la poignée de la porte et l'ouvrit.

 « Mais j'ose espérer que si ils n'avaient pas eu un toit sous la tête vous auriez gardé cet état d'esprit. A bientôt, Seigneur Victor, Comte de Rougelac, Baron de Nerra. »

Il s'en alla donc et il espérait réellement que le comte oublie leur rendez vous.