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 Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits

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Cérène BoiserelSaltimbanque
Cérène Boiserel



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MessageSujet: Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits   Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits EmptySam 10 Aoû 2019 - 12:24
Un soleil timoré perce légèrement le brouillard accumulé par la chaleur des jours d’étés, stagnant sur la ville basse comme un voile poisseux. Le pâle soleil filtre faiblement la couche collante et humide comme la flamme avide d'une bougie chancelante ; menaçant de se perdre dans les ruelles rejetant des soupirs nauséabonds et obscurs. Au cœur de ce cloaque des quartiers infâmes et abruptes, sur les sinistres façades trônent des fenêtres vulgairement barricadées par des miteuses planche en bois pour repousser le chaos rampant de la Fange. Dans les ruelles enchevêtrées s’entassent les orphelins, le regard éteint.
Un spectacle de désolation.
Une main chaude et rassurante se dépose sur son épaule la chasse de son tumulte de pensées. Redressant la tête doucement, son regard s’entrechoque à un sourire solaire.

Bah alors, qu’il commence, à moitié taquin. Toi qui étais toute enjouée d’essayer de faire revivre les rues, tu me fais peur à avoir cette ombre sur le visage depuis qu’on est rentrés au Goulot.

Cérène l’observe comme un chat attentif, avant de sourire doucement.

Je réfléchissais à comment ça avait changé, ici… Commente-t-elle, pensive. Mais tu as raison Théo, se reprend-t-elle confiante, on va faire en sorte de changer ça au moins pour aujourd’hui.

Il sourit tandis qu’ils s’établissent dans l’une des artères principales du Goulot, là où les quelques silhouettes ne ressemblent plus qu’à des spectres hagards. Théo s’adosse à l’un des murs miteux, en face d’eux, un groupe d’orphelins des rues dévorent un rat cru. Il retient une expression d’effroi. Un des jeunes adolescents scrute Cérène en mastiquant la viande, essuyant d’un revers du poignent nonchalant les quelques jets sanguins dégoulinant de ses lèvres, visiblement très intrigué de voir une telle beauté dans un lieu désormais hanté par la crainte. Il offre un coup de coude à un autre qui s’arrête et les fixe aussi, d’un air plus ou moins mauvais.
Son attention se concentre sur Cérène.

Bon, commente Théo en voyant qu’ils sont désormais la cible de ces deux jeunes, on a au moins l’attention de l’un d’eux. Tu es prête ? Murmure-t-il toujours de peur d’éveiller les fantômes du Goulot, il pose sa lyre entre ses doigts, tapotant avec nerf dessus. Bon sang, mais que fout Gustave ? Il a dit qu’il nous rejoindrait là … Poursuit-il toujours, avant de s’embourber dans un mutisme anxiogène.
Calme-toi, lance doucement Cérène pour l’apaiser. Il va venir, je le sais. Ne montre pas que tu as peur, ils en joueront. Sourit-elle en désignant d’un geste de la tête les deux jeunes qui s’approchent, visiblement plus intrigués. Nous sommes au Goulot, ici. Murmure-t-elle.

Au loin, se découpe une large silhouette qui leur fait signe. Gustave, le percussionniste de la troupe s’avance d’un pas hâtif vers eux. Théo l’assassine du regard.

Je sais, je sais… ! Me fixe pas comme ça, j’étais en train de… j’ai fait ce que j’ai pu ! Répond-t-il d’un rire gras et de bon cœur, dégageant son tambour accroché à son dos, il en émet un léger coup qui résonne comme un écho timide et vrombissant qui fait retourner les quelques âmes aux environs. C’est parti.

Théo accompagne les quelques sons vibrants de sa lyre, et la masse compacte de personne s’amasse timidement autour d’eux.
Cérène joue pleinement son rôle en charmant les personnes aux alentours de quelques gestes teintés de sensualité, tout en faisant des mouvements circulaires sur elle-même pour les attirer, tels des marins éperdus se faisant charmer par une Sirène. Sa nonchalance reptilienne et mâtinée de lascivité ne manque pas de capter l'attention, ses gestes, époustouflant d’une forte féminité, ondulant lentement ses hanches d’un mouvement lascif, retenues par le foulard de sa mère lui ceinturant la taille.
Et son chant s’élève comme une nuée d’hirondelles, elle irradie d’une bourrasque incendiaire et ambrée, happant les quelques spectateurs pour les asservir, d’une mélancolie cruelle et d’une force sinistre, d’un chant envoûtant et puissant, comme une Sirène laissée à l’abandon. Ses notes coulent comme de l’acide jusqu’aux âmes pour les éveiller en plein cœur, ouvre la cage thoracique, brise les côtes, pour en faire jaillir toute cette obscurité hors d’eux, le temps d’un instant. Séduisante et séductrice, Cérène laisse sa voix prendre en puissance comme une vague s’abattant sur les écueils. Accompagnant ses notes d’une danse évocatrice, s’exposant au public comme une tigresse ensorcelante. Embarquée dans une passion frénétique, elle s’oublie dans ses gestes devenus bien plus langoureux, les quelques personnes autour disparaissent.

Il n’y a plus que la musique, il n’y a plus rien d’autre que la musique.

Prenant de l’élan, elle dresse élégamment l’une de ses jambes vers l’avant, juste au-dessus d'elle, pour exercer une roue sans les mains. Atterrissant souplement sur ses appuis, la musique s’éteint brutalement sur cette pirouette. En face d’eux, de timides applaudissements. Le poing sur le cœur, Cérène se penche vers l’avant, haletante, encore perdue tandis que ses yeux fouillent dans la foule.

C’est une obsession qui s’installe et qui ne se déloge plus.
Est-ce que la Sirène a-t-elle réussi à attirer à elle les réponses corrosives qui la rongent tant ?
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Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



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MessageSujet: Re: Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits   Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits EmptyDim 11 Aoû 2019 - 22:18





Le Dépotoir
Mai 1166


Alaïs rêvassait. Ou elle ruminait. Ou bien elle tergiversait. Depuis l’attaque des Fangeux, elle se sentait flotter entre divers états dont rien de bien productif n’émergeait. La joie de découvrir une nouvelle famille, le soulagement d’être en vie, la peur d’une nouvelle attaque, l’angoisse sourde de l’inconnu, de ce qui avait pu arriver aux autres, à son père. Le décompte des choses perdues n’était pas compensé par celui de celles gagnées en cours de route. Mais du moins, cela tempérait un peu l’amertume et le sentiment d’insécurité. Elle s’était prise d’affection pour Kraker, le nain grincheux et à sa manière elle trouvait le repaire des Macchabées charmant. Elle avait pour ça des critères tout à fait subjectifs mais qui la réconfortaient à sa manière. Et elle tentait de se montrer à la hauteur de ses nouveaux comparses, rendant sa couronne toute propre et pimpante à Kryss, après un petit passage chez la tisserande qu’elle connaissait. Voilà a moins une chose qu’elle pouvait faire, et qui donnait l’impression que les choses rentraient dans l’ordre, un pas à après l’autre.

Un drôle de tintement la tira soudain de sa torpeur. Qu’est ce que c’était que ce bruit ? Elle tendit l’oreille, perchée qu’elle était sur quelque hauteur, comme à son habitude. Pencha la tête. Et perçut une mélodie, presque lointaine. Le son léger d’une lyre, le battement plus sourd d’un tambourin… On jouait de la musique, elle en était certaine ! Bondissant sans réfléchir sur ses pieds, Alaïs regagna la terre ferme et suivit l’air qui semblait enfler dans les rues crasseuses et encore dévastées par ce dernier assaut de la Fange. Qui pouvait donc avoir encore l’entrain de jouer si joyeusement au milieu des ruines ? Elle perçut un attroupement, à mesure qu’elle se laissait tirer par la mélopée. Une voix s’en échappait, chaude et envoûtante. La jeune saltimbanque n’en demandait pas tant pour s’approcher encore afin d’y mieux voir, le coeur soudain égayé par ce divertissement bienvenu.

Elle se faufila entre les badauds amassés là, et put enfin distinguer le petit groupe qui jouait pour tirer le quartier de sa morosité. Une jeune fille magnifique dansait, comme une flamme au milieu d’un brasier éteint. Elle ondulait au rythme de la musique, faisant luire et virevolter sa chevelure d’ébène au milieu de la crasse du Goulot, et sa voix suivait ses pas, comme une formule magique, un enchantement des sens. Bientôt Alaïs tapait des mains en rythme, son sourire s’étirant sans qu’elle s’en aperçoive, et elle ne lâchait plus la danseuse des yeux, comme tout le reste de la foule qui restait captive de ce charme. Son corps lui-même se tendait pour suivre la voix de l’ensorceleuse, comme on attire les rats au son du pipeau, ou qu’on fait danser les serpents d’une flûte. Elle ordonnait et les captifs s’exécutaient de bon coeur, enthousiastes et insoucieux de leur propre sort.

La musique s’éteignit cependant, et la voix de la chanteuse avec elle, qui déjà courbait souplement le dos pour saluer ses victimes charmées. Alaïs applaudit à s’en rompre les mains, transportée autant que le reste de la foule, et charmée de trouver une échappatoire à sa morosité. Elle siffla même entre ses doigts alors que quelques passants s’éloignaient déjà et chercha quelque chose dans le fond de ses poches, n’y trouvant qu’un pauvre quignon de pain. Rien qui puisse égaler le talent de la troupe et de sa meneuse et elle s’en trouvait presque honteuse, soudainement, s’approchant néanmoins comme pour conserver encore un peu l’instant.

“C’était magnifique ! Vous ne partez pas déjà, j’espère ?”





Dernière édition par Alaïs Marlot le Lun 7 Oct 2019 - 19:29, édité 1 fois
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Cérène BoiserelSaltimbanque
Cérène Boiserel



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MessageSujet: Re: Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits   Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits EmptySam 31 Aoû 2019 - 15:51
Une décharge vive irradie son crâne et elle se redresse d’une aisance reptilienne comme un serpent élégant. Son mouvement est doux et onctueux, presque au ralenti. Relevant la tête, ses yeux verts remontent lentement et viennent se plonger dans ceux d’une autre jeune fille, qui lui fait face. Eclaboussés d’un teint laiteux, ses traits lissent son visage d’une effronterie féline, le segment de ses yeux aériens brillent d’un éclair attentif et espiègle.
Elle lui fait étrangement penser à un chat sauvage ou de gouttière, peu importe.
Un petit clin d’œil enjoué s’accroche à ses paupières. Merci.
Un fin sourire étire ses lèvres.

Je te remercie, murmure-t-elle doucement. Elle l’observe un instant en laissant ses yeux dériver sur son visage, tu es du Goulot, j’imagine ? Question subtilement polie puisqu’elle connaît déjà la réponse, les seules silhouettes demeurantes ici ne peuvent être que du Goulot. Plus doucement, elle reprend en désignant Théo et Gustave derrière elle. Nous sommes venus ici, mes amis et moi, pour chanter, pour vous. J’ai vécu au Goulot, et…, Son air semble un peu plus sombre et lointain. Elle occulte le reste de sa phrase. Nous voulons aider, à notre manière, en distribuant un peu de joie. »

Elle lui sourit mais ses yeux sont tristes tandis que Théo s’avance, faisant une grotesque révérence à Alaïs.

Salut, demoiselle ! S’esclaffe-t-il sur un ton chantant tandis qu’il éloigne leur conversation. Sans s’en préoccuper, il poursuit gaiement. Ça t’a plu, alors ? Son sourire est coquin et son regard rigole. On connaît pas trop le Goulot, nous, et on a pas besoin d’argent, enfin si, mais aujourd’hui c’est de voir des sourires comme les tiens notre monnaie et…,
Bon sang, mais qu’est-ce que tu déblatères, Théo ! Surenchérit Gustave d’une voix caverneuse en se massant les tempes, il pousse un ricanement sinistre tout en poursuivant sa moquerie. Laisse-là s’exprimer, bon sang ! Son regard rieur se pose sur Alaïs. Ne t’en fais pas trop pour lui, n’hésite pas non plus à lui dire de se taire, Théo est insupportablement bavard quand il s’y met.

Gustave se redresse et s’étire.

Bon, vu qu’on a terminé pour ici, il nous faut trouver un autre endroit pour poursuivre. Il se gratte la nuque avec frénésie, Théo continue d’observer Alaïs en lui parlant en faisant des grands gestes avec ses mains. Cérène, des idées ?
Cérène semble pensive, son index caresse lascivement l’arc supérieur de ses lèvres pour prolonger sa réflexion. Finalement, elle pivote vers Alaïs.

Tu saurais nous conseiller une partie du Goulot ? Questionne-t-elle, son ton est plus tendu qu’elle ne l’aurait aimé. Pourquoi cela ? Peut-être parce qu’ils ne sont pas très loin du Dépotoir. Des vestiges de souvenirs remontent comme une bile amère et lui déchire les poumons. Une violente contraction de son cœur achève de la tirer de ses rêveries. Oh. Semble-t-elle se reprendre presque aussitôt. Excuse moi d’être impolie, je m’appelle Cérène.

Et elle lui tire un sourire comme s’il s’agissait d’une belle révérence.
Théo fait jouer ses doigts sur les cordes et sourit à nouveau.

Allez, hop, en avant toute ! Ses doigts descendent et montent habilement en pinçant l’instrument qui murmure une jolie mélodie entraînante. Allez, en avant toute ! Insiste-t-il, à nouveau.

Gustave fait tonner son tambour comme un tonnerre grondant. Cérène se tourne vers eux en leur lançant un vif regard appréciateur. Elle s’avance vers Alaïs, presque ronronnant et murmure, complice :

Accompagne-nous, ça te changera les idées !

Et la petite troupe s’anime dans les rues sinistres du Goulot, quelques ruelles désertes se succèdent, où seuls quelques silhouettes encapuchonnées avançant têtes baissées, redressant la tête parfois en voyant cet étrange petit groupe déferler de la joie dans les rues éteintes.

Et le cœur de Cérène s’écrase fort dans sa poitrine, où Alaïs les emmène-t-elle ? Les murs lui semblent familiers, presque à lui tendre les bras, comme un vieil ami retrouve une vielle amie.
Un soupir léger qui noie cette sensation de malaise.
Tant pis.
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Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



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MessageSujet: Re: Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits   Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits EmptySam 31 Aoû 2019 - 16:52




Le Dépotoir
Mai 1166


Alaïs s’était laissée emporter par le tourbillon de la troupe de la chanteuse qui disait s’appeler Cérène. Souriant aux uns et aux autres, elle tournait les yeux sur chacun d’eux, parvenant tout juste à suivre les échanges animés et si vivaces qu’ils en illuminaient la rue d’éclats de voix rieurs. Elle était charmée par leurs manières et par la complicité qu’ils semblaient partager tous ensemble. Comme un air de famille, qu’elle développait peu à peu avec la troupe des Macchabées et elle ne pouvait s’empêchait de faire le parallèle entre les deux. Cela dit, la troupe de Cérène semblait mieux nourrie que ses compagnons qui luttaient chaque jour pour trouver un quignon de pain à se mettre sous la dent.

Elle se présenta autant pour Cérène que pour ses compagnons qui la dévisageaient :

— Enchantée ! Moi c’est Alaïs. Mais mes amis m’appellent Al’ ! Et bien sûr que je viens du Goulot, enfin j’y vis, mais je suis née au Labret ! C’est une longue et triste histoire, et elle attendra un peu, je crois ! Vous êtes un vrai souffle d’air frais ici ! Pour sûr qu’on ne peut pas être triste quand on te voit danser, Cérène ! J’aurais aimé avoir quelque chose à vous donner… Mais ça devra attendre aussi, je crois...

Elle préférait laisser la tristesse de côté pour le moment, la danseuse avait fourni assez d’effort pour faire sourire tout le monde sans qu’elle n’en sape les effets avec son passé et sa misère actuelle. Et comme la troupe voulait déjà reprendre la route et continuer de répandre sa musique dans tout le quartier, il vint une idée toute naturelle à Alaïs. Pourquoi ne pas leur présenter Kryss ? Il était certain que le chef des Macchabées raffolerait de ce genre de spectacle, et elle voyait une opportunité de créer une belle amitié entre gens de la balle.

— Je connais bien un endroit où votre musique sera appréciée à la hauteur de son talent ! Je gagne parfois ma vie en faisant quelques cabrioles, de mon côté et je peux dire que mes amis ne sont pas avares de quelques bonnes farces. J’aimerais vous les présenter ! C’est une troupe un peu particulière mais ils sont attachants ! C'est comme une nouvelle famille pour moi !

Elle n’en dit pas plus et familière déjà avec la danseuse, glissa son bras sous le sien, dirigeant la troupe vers le Dépotoir qui lui servait de refuge depuis quelques jours déjà. Les ruelles étaient sombres mais l’odeur ne paraissait plus si infecte en compagnie de si joyeux amis. Elle interrogea Cérène, tandis qu’elle marchait :

— Et si vous n’êtes plus du Goulot alors, où jouez vous ? Je ne crois pas vous avoir déjà croisés, sinon je m’en souviendrai, je me balade de ci de là pour trouver de quoi manger !

Elle terminait de discuter lorsque les contours penchés et torturés du Dépotoir apparurent sous leurs yeux. Al’ s’exclama un grand sourire aux lèvres, hélant ceux qui se trouvaient là :

— Eh salut tout le monde ! Regardez un peu qui j’ai trouvé dans la rue !

Puis, présentant la troupe avec une large ouverture du bras, elle ajouta avec emphase :

— Troupe de Cérène, bienvenue au Dépotoir ! Voici mes joyeux lurons de la troupe des Macchabées !

Nul doute qu'elle ferait son petit effet.




Dernière édition par Alaïs Marlot le Lun 7 Oct 2019 - 19:28, édité 1 fois
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Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



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MessageSujet: Re: Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits   Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits EmptyJeu 19 Sep 2019 - 1:16
Un enfant courrait à travers les ruelles funestes, les vêtements quelque peu arrachés, le visage poussiéreux des longues journées à mendier, espérant nourrir sa petite sœur malade et sa mère mourante, tous ayant trouvé refuge il y a de ça quelques mois lorsqu'ils rencontrèrent le délirant bouffon des rues au grand chapeau à grelots. Et il sprintait comme un dératé, si insistant et si vite, épuisé mais le cœur en vrille de joyeuseté, esquivant les adultes aux grandes jambes et les chiens errants creusant dans les monticules de déchets ou s'abreuvant des urines s'écoulant à travers les latrines brisées. Et il ne s'arrêterait pas, se l'était-il promis en quittant le fameux repaire des « Monstres du Goulot » car là-bas, en la « Place aux rats », vint une fougueuse danseuse qu'amena l'intrépide acrobate de la macabre bande. Elle avait dansé avec eux, se souvenait-il, lors d'une soirée au milieu d'un impressionnant feu, et une farandole, et une histoire de cannibale, et des rires et des chants, et jamais il ne s'était autant amusé avec ses deux amis en compagnie de la troupe du saltimbanque maigrelet. Alors, devant l'en avertir au plus vite, il allait le rejoindre en son repaire de fortune, là où depuis la triste nuit fangeuse perdit le sourire à une nouvelle le rongeant depuis et, sans cesse, dans son habitacle putride, complote maintenant seul.

Le petit bout d'à peine neuf ans, de ses frêles gambettes, continuait sa folle course, et bientôt y parviendrait, arriva à une bifurcation, s'engouffrant en une très étroite ruelle ne menant nulle part, ou plutôt si, une bouche d'égout fracassée de moitié qu'il poussa de ses deux petites mains avant d'y descendre par l'échelle rouillée et, à travers les méandres nauséabonds des égouts du Goulot, se boucha le nez et courut aussi vite qu'il le put, s'éclaboussant les mollets de déjections et autres morceaux flasques et peu ragoutants s'accolant à sa peau, et enfin s'introduisit dans un interstice, l'exposant à un dédale de couloirs. En empruntant un à gauche, et puis un à droite, la noirceur prônant jusqu'à d'autres bouches d'égouts au-dessus de lui où la populace marchait et d'où le faible rayonnement du soleil perçait les trous des plaques métalliques pour réchauffer l'eau tarie. Le bougre connaissait le royaume souterrain pour l'avoir sillonné et, finalement, arriva enfin au bout d'un couloir fumant des atroces émanations, poussa une porte en bois assiégée de l'humidité et se retrouva en une salle plus vivable que tout ce qui s'y trouvait en dehors. Le galopin se plia en deux, respirant fort et de façon irrégulière mais tant content de l'avoir trouvé, toujours à comploter contre lui-même dans sa quête. Le bouffon squelettique était là, devant son vieux tableau moisi d'où la cartographie de la Cité de l'Humanité était découpée, certains morceaux par terre, d'autres reliés par un bout de tissu, une œuvre étrange à l'image d'une toile d'araignée qui n'avait de cesse de tourmenter le gentil maigrichon qui ne l'avait remarqué entrer, concentré dans ses affaires.

Kryss parlait tout bas, chuchotant des choses, grimaçant souvent, les bras hésitant à changer de place les fins cordons, à en fabriquer d'autres ou a les retirer, indécis, perplexe, songeur en parlant dans ses dents. Le cœur lourd, il n'avait plus le sourire, il lui manquait un élément important, un élément vital qu'il ne pouvait s'empêcher de le faire souffrir à l'image d'une irréversible vérité qu'il n'accepterait jamais. Et parfois, des larmes montantes redescendaient, ravalant son désespoir pour continuer ce qu'il faisait. Il n'était plus que l'ombre de lui-même depuis cette nuit cauchemardesque, après ses péripéties avec la féline garçonne et ses retrouvailles avec Kraker en l'église des pires calamités, et ensuite Mograth, doux géant qui s'était caché dans une benne à ordures, vivant lui aussi et en bonne santé au grand bonheur de leur chef. Il n'en manquait qu'un et prononcer son nom lui était devenu une véritable torture, mais ne pouvant s'en empêcher se devait de le faire sans arrêt, pour se rappeler et pour continuer à l'aimer, et surtout espérer…, espérer le retrouver.


« Où es-tu, mon garçon… ? murmura-t-il en fixant son chef d'œuvre.
Je t'en prie, Rhoark, ne me fais pas ça », en tremblota le fou du roi de sa voix.

Chaque jour passé était une preuve qu'il ne reviendrait plus, se le disait-il contre lui-même avant de s'engouffrer des journées entières dans les bas-fonds humides du Goulot pour se punir d'y avoir pensé en étudiant par cœur tous les recoins de « Marbrume la Crade », ne la connaissant que dans sa cartographie. Il souffla, éperdu dans ses délires malheureux, et sentit la présence d'un petit bonhomme derrière lui qui se redressa, moins essoufflé maintenant, le sourire aux lèvres de ses pommettes creuses. Le saltimbanque s'en retourna, à son épaule droite étaient gravées deux cicatrices, souvenir éternel de la terrible nuitée, il y a bien des jours maintenant. Il ne portait pas son chapeau à grelots, l'ayant posé sur une chaise croulante non loin de lui, celui-ci fut rafistolé par une habile tisserande à la bonne initiative de sa tendre et rebelle Alaïs. Ce dernier, comme son propriétaire, avait deux belles cicatrices lui aussi, recousu ici et là, si bien qu'il était difficile de les cerner. Sa marotte, quant à elle, était sagement restée dans la roulotte, se reposant.

Le fou arqua légèrement ses fines lèvres, s'empara de son verre d'eau et s'approcha de l'enfant terrible en le lui apportant.


« Courir, courir, courir, tu n'as jamais rien fait d'autre que courir, toi ! en rit-il, un peu forcé pour lui faire plaisir mais sincère tout de même.
— Tu sais qui j'ai vu ? Tu sais ou pas ? lui demanda le garçonnet tout excité.
— Si je savais tout ce que tu voyais, je ne pourrai plus m'occuper des miens. Allez, dis-moi, sacré morpion !
— La belle danseuse de feu ! »

Kryss se figea un instant, le souffle bas et le cœur battant, un rictus nerveux et levant les yeux vers le plafond égouttant en s'en mordant la lèvre inférieure.

« Elle est revenue…, dit-il à haute voix sans le vouloir d'un nouveau tremblement de la voix.
— C'est une bonne nouvelle, non ? On va faire le feu et la fête, comme la dernière fois ? Et oublier toutes les vilaines choses !
— Je ne pense pas, non, répondit le bouffon un peu sèchement avant d'ébouriffer la chevelure sale de l'enfant pour le rassurer. Mais tu sais, tu es le meilleur des fouineurs ! Et plutôt très rapide, et ça j'aime beaucoup ! » en termina Kryss d'un clin d'œil complice.

L'enfant comprit qu'il était temps pour lui de partir et retourner au « Dépotoir », s'approcha du bouffon qu'il aimait et l'enlaça, ce que fit d'une brève émotion son idole en lui tapotant la tête avant qu'il ne reparte aussitôt, laissant le désaxé désarmé face à tout cela. Il se retourna une dernière fois vers son tableau au fond de la salle, accroché au mur, et partit enfin, lui aussi vers l'extérieur, en direction du fameux repaire des gentils monstres du quartier.

Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits Egouts10

Ils étaient tous là, ou presque, Kraker était sorti de la « Poubelle », ému comme un père à sa fille en voyant rappliquer Cérène avant de la prendre dans ses bras, et Mograth les rejoignit, grand qu'il était en revenant de ses joyeusetés enfantines à travers les plus tristes ruelles depuis les fangeux et porta, après le nain, la flamboyante danseuse, la soulevant en l'enlaçant d'un rire communicatif, et finalement le géant posa un baiser sur la joue d'Alaïs qu'il aimait tant, la remerciant de l'avoir amenée ici sans vraiment savoir qu'elle avait déjà goûté à tout cela. Cérène était à nouveau chez elle, autant que tous les gens présents, à savoir les deux musiciens, celui au tambour et l'autre à la lyre. La troupe d'Oscar, certainement. La grande famille réunie, se disait le tendre bouffon en les observant tous de son point de vue, un peu en retrait, dans le coin de la rue, son chapeau sur la tête. Le regard profond, triste même. Il ne manquait que le cabotin hurleur en ce beau tableau…, et lui aussi, mine de rien. Mais voilà que Kraker l'eut aperçu de son regard vif de petit homme bosselé et, discrètement, lui fit un geste de la main, l'invitant à venir d'un sourire étrange sur son faciès d'éternel bougonneur, car il connaissait la souffrance de son chef, la comprenait du mieux qu'il le pouvait mais trop profonde pour être décrite. Kryss hocha la tête et se mit à marcher, tranquillement, sans aucun pas de danse ni maladroite folie acrobatique, pas de lever de bras ni de cri ou de chant, juste à s'avancer sans que personne ne s'en rende compte, comme un enfant timide, un peu hésitant, jusqu'au regard verdoyant de Cérène s'y étant agrippé à la seconde où elle l'aperçut et, lui, ne pouvant dévier le sien d'elle, lui sourit d'une mine mitigée en continuant son avancée, se ressassant leur dernière rencontre et l'erreur de l'avoir rejetée, encore une fois.

Il s'amouracha d'abord de la première personne sur son chemin, sa douce féline, lui tapota l'épaule, puis l'embrassant sur le front comme il aimait le faire.


« Al' nous ramener une surprise ! s'en réjouissait le colosse à l'attention du bouffon étonné.
— Comment le savais-tu, Al' ? lui demanda-t-il en s'entremêlant en son regard bleuté avant de balancer sa tête légèrement vers elle. En fait, tu n'en savais rien…, en sourit-il en reprenant le regard vert de Cérène. C'est extraordinaire toutes ces coïncidences amplificatrices qui nous attirent les uns aux autres. Tous liés par une force invisible », en conclut le saltimbanque rêveur.

Le chef de la troupe s'approcha d'elle, un peu timoré depuis la dernière fois, toujours d'un fond de tristesse dans le regard et la voix.

« Je suis content de te revoir, et plus que tu ne le crois, jolie Sacriponne. »

Bien sur qu'il était ému, et pourquoi ne le serait-il pas ? Mais bientôt chamboulerait tout cela, car une nouvelle aller tomber, et le meilleur moment était certainement celui-ci. Alors, voyant le petit fouineur revenir de la roulotte des monstres avec quelques bouteilles de vin s'en retourna vers l'espiègle nain.

« Tu es incorrigible Kraker, tu aurais pu aller les chercher toi-même ! lui lança-t-il tout en fuyant volontairement l'échange avec la Sirène de braises.
— Je sais, mais il avait tellement envie de nous aider, en haussa les épaules le sacré bougon d'un fin sourire.
— Et toi, Al', tu ne l'a pas empêché ? Eh ben, bravo ! » lui lança le gringalet d'un regard un brin taquin, se souvenant du vin qu'ils partagèrent ensemble à « L'Écumeuse ».

Il se retourna vers Cérène, ne pouvant l'éviter, son corps trop prés du sien pour ne pas ressentir la chaleur émaner d'elle. Elle n'avait pas encore réagi, ni pris la parole, et lui avait peur.

« J'ai quelque chose à vous dire, à tous, mais trinquons d'abord, tu veux bien ? lui demanda-t-il comme à vouloir sa permission, espérant se faire pardonner du mal qu'il lui a fait, toujours ancré en lui depuis la courte discussion qu'il eut avec Eurya. Tu veux bien ? » répéta-t-il comme un petit garçon à la recherche de réconfort.
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Cérène BoiserelSaltimbanque
Cérène Boiserel



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MessageSujet: Re: Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits   Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits EmptyLun 7 Oct 2019 - 11:46

Levant les yeux vers la troupe, Cérène freine un sanglot soudain. C’est qu’il faut la comprendre, voir Mograth, Kraker… [Où est Rhoark ?] la soulage presque instantanément. Chassant les larmes naissantes d’un revers de poignet élégant, elle se rue vers eux. Gustave et Théo se moquent gentiment, décidément très taquins.

« Bah alors, Cérène, tu nous présentes pas ? Plaisante Théo tandis que Cérène pivote vers eux, comme prise en faute d’un flagrant délit de tendresse.

Je vous présente Kraker, balance-t-elle, très enthousiaste, elle désigne ensuite Mograth. Et celui-ci, c’est Mograth. Ca c’est Théo et Gustave, on se représente ensembles désormais ! Je suis contente de voir que vous allez bien. Murmure-t-elle avec une soudaine pudeur. Elle se tourne face à Alaïs et lui saisit les mains avec reconnaissance. Je les connais très bien, j’imagine que tu es -

Elle n’a pas le temps de finir sa phrase qu’une silhouette se détachant des ombres s’avance vers eux. Cérène se redresse presque mécaniquement et relâche Alaïs. Elle l'observe silencieusement, un tic nerveux agite sa paupière, mais sa bouche demeure calmement close. Avec une vivacité surprenante, son regard surpris oscille entre Alaïs et Kryss. Cérène se fige, serre les dents, contrôle le tremblement brusque qui a agité tous ses muscles. Elle laisse l’image poisseuse s’imprimer dans son crâne et gangréner le fruit pourri d’une jalousie illégitime de ce baiser apposé sur ce front. Son regard dérive, glisse au sol, avant de se planter jusqu’à Kryss comme une flèche acérée. Une lueur vive, électrique, brûle dans ses yeux comme des braises d'émeraudes dans la pénombre.

Kryss, Qu’elle ronronne langoureusement, l’orgueilleuse Salamandre. Sourire froid, glacial même. Ça fait longtemps. [/color]Son regard bascule jusqu’à Alaïs ; est-elle dangereuse ? Elle perd le fil. Un sourire plus doux s’étire sur ses lèvres. J’imagine qu’ils sont ta famille désormais…, s’avançant d’un pas vers elle, elle en est désormais très proche, lorgnant dangereusement sur elle comme un prédateur curieux. Son ton se fait tendre mais absent. Ils prendront soin de toi, comme ils l’ont fait avec moi. Elle coule un regard jusqu’à Kryss. N’est-ce pas ?

Elle sent son cœur hystérique qui irradie de milliers d’aiguilles l’intérieur de sa cage thoracique. Et cette question qui revient comme une marée montante dans ses pensées « Qu’a-t-elle de plus que moi pour avoir le droit de rester ? » et ça résonne comme un coup de fouet dans ses battements agités.
Elle voudrait la tordre, la bouffer. C’est plus fort qu’elle. Le désir intense de la saisir à la gorge, son teint laiteux tranchant avec sa peau de miel. Elle pourrait la dévorer.
Elle cligne des yeux, se reprend.
La secousse, puis la brûlure intense de la jalousie lui embrase le cœur et écrase le reste.

La voix de Kryss retentit derrière son dos et elle pivote face à lui doucement, très, trop doucement d’une paresse feintée. Il est proche et elle ne le remarque que maintenant. Son corps répond au sien. Son âme appelle la sienne. Ils auraient pu se prendre dans les bras l’un de l’autre, elle se serait fondue en lui en remerciant les Trois de l’avoir épargné de la Fange. Elle aurait pu lui hurler dessus, lui cracher sa colère de ne lui avoir rien dit et de s’être tût dans le silence, elle aurait pu le gifler, le griffer, et tant d’autres choses encore.



Rien ne se passe, que de la distance. Cette étendue boisée carbonisée n’est plus qu’un épais tapis maculé de cendre.
Un éclair de rage segmente son cœur et l’alourdit d’une rancœur tenace jusqu’à taper dans sa gorge.
Un bref silence s’installe entre eux et écartèle les secondes. Mais ce n’est pas le monde qui arrête de tourner ; c’est Cérène. C’est Cérène qui s’est suspendue. Ses sourcils se haussent, elle le fixe sans s’attendrir.
Elle se permet juste de répondre doucement, d’une politesse qui ne lui ressemble pas.

Fais donc. Cela va de soi. D’un pas vif et félin, elle le contourne mais l’effleure d’un frôlement abrupte, comme un coup de vent mal chassé. Elle ne s’arrête pas et continue sa route jusqu’à l’attroupement qui s’attable et s’exclame par des éclats de voix joyeux. Battant retraite vis-à-vis de Kryss, voulant conserver une attitude digne devant tout le monde, elle applaudit des mains pour capter leur attention, reprenant un sourire espiègle. Bon, je vais vous montrer de quoi nous sommes capables ! Nous sommes là pour nous amuser, après tout. N’est-ce pas ?

Théo et Gustave ayant assisté à la scène ne sont pas dupe du jeu de comédienne de Cérène. Ils sont juste très étonnés, de la voir aussi blessée et tentant de le masquer, s’échangeant un regard entendu et délaissant la taquinerie. Gustave s’avance vers eux, à côté de Cérène. Son tambour résonne dans ses mains.

Bon, toi tu me caches des choses, murmure-t-il, sa voix masquée par la première vibration. Il va falloir m’expliquer tout ça.

Cérène hoche la tête sans conviction, chassant cette curiosité d’un geste vif et droit du menton, Gustave se replie, abandonne, il a compris : ce n’est pas le moment.
La musique électrise ses mouvements, fait onduler ses hanches comme la flamme langoureuse d’un feu taquin pour enchanter le public. Elle invite les quelques enfants et les autres à se joindre à elle, tout en prenant soin d’esquiver Kryss.

Elle finit par s’éloigner discrètement pour s’abreuver tandis que la musique résonne toujours, le cœur agité dans la poitrine ; elle se sert un verre de vin pour calmer la tension qui la crispe.
Entre la foule, elle aperçoit Alaïs et elle lève sa coupe.
Son regard balaie la foule et se retrouve à capturer celui de Kryss.
Cérène lui envoie un sourire vénéneux. C’est qu’elle est féroce, la Salamandre, elle est contrariée. Elle brûle de tout, de cette jalousie incontrôlée, de tout.
Elle brûle, la Sirène, elle souffre.
Alors tout le monde souffrira avec elle.
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Alaïs MarlotVoleuse
Alaïs Marlot



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MessageSujet: Re: Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits   Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits EmptyLun 7 Oct 2019 - 19:32




Le Dépotoir
Mai 1166


Elle avait commis une erreur. Une grave erreur. Vraiment ? Elle ne savait plus. La belle danseuse connaissait le prince des saltimbanques. Et après tout, qui ne connaissait-il pas, le joyeux bouffon ? N’avait-il pas parlé une fois d’une ensorceleuse ? Ou bien était-ce un des Maccabées ? Maudite tête en l’air qu’elle était. Elle ne se souvenait plus. Mais les idées s’entrechoquaient comme les verres et les godets tintaient à l’unisson. Elle aimait lire les sourires et les expressions des visages des vivants, fugaces moments comme des ailes de papillon. Et les ailes de Cérène étaient de feu, tandis que Kryss marchait à pas discret sur une corde bien trop fine, même pour lui.

Elle avait senti le souffle chaud de la salamandre sur sa joue, et la bienveillante chaleur s’était transformée en brasier menaçant. Il fallait se méfier du feu. Alaïs connaissait cette flamme ardente. Elle était du même charbon, du même tison. Elle ne bougea pas d’un pouce quand la belle danseuse l’effleura. Défi ou réflexe de survie ? Avait-elle quelque chose à se reprocher ? Elle aimait Kryss, et n’avait jamais réfléchi à la nature de cette affection, comme il lui donnait la sienne sans explication de texte. Devait-elle fendre la petite foule vers la danseuse, lui expliquer ? Etait-ce sa place ?

Alaïs tanguait sur ses pieds, et préféra attraper une coupe que lui tendait généreusement Kraker. Elle lui sourit d’un air complice, comme à son habitude de garçonne effrontée. “L’air et le feu font bon ménage, tu crois ?” Elle préférait le vertige à l’ivresse, et elle trempa ses lèvres dans son verre pour se percher un peu en hauteur, où les chats se mettent à l’abri des coups de pied. Elle effectua quelques uns de ses petits sauts de félin, dansant sur les murets, toute à sa songerie. Le cours de ses pas ramenait ses idées en file bien ordonnée. C’était si simple. Un pas devant l’autre, étendre les bras, comme un oiseau qui rêve d’avoir des ailes. Kryss avait quelque chose à dire, elle atterrit devant son nez, pencha la tête avant de lui rendre un de ses sourires comme on tend un miroir. Elle secoua les grelots en espérant en faire tomber on ne savait quel mystère.

— Qu’est ce que tu caches dans ta couronne, mon bon prince ? Pourquoi je sens que tu vas nous jouer un tour ?

Elle piqua un baiser sur sa joue, de la même manière qu’il l’avait embrassée plus tôt et souffla à son oreille.

— Je crois que si tu ne vas pas la voir, ta sirène va mettre notre joyeux Dépotoir à feu et à sang. Ce n’est plus l’heure des regrets, tu sais ? Il faut braver la tempête !

Elle l’encouragea d’une oeillade canaille dont elle avait le secret avant de l’attraper par les épaules et le tourner doucement dans la direction de l’ire qui couvait, en plein dans la gueule du démon.

— Sauve-nous. Et hisse les voiles, matelot !

Elle espérait qu’il ferait les pas qui lui manquait encore, et retourna danser avec Mograth, dont elle attrapa les grosses mains, pour le faire valser, ou tout du moins tourner un peu sur place. Géant et félin font parfois bon ménage, bien qu’il faille prendre garde à l’atterrissage, ce qui n’effarouchait pas l’acrobate.

— Fais moi voler, Mograth !

Le gentil géant s’exécuta galamment, prêtant ses mains et sa force à l’acrobate qui tourbillonna dans l’air avant de se réceptionner dans un saut assez habile pour faire rire le joyeux gamin qui les regardait.




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Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



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MessageSujet: Re: Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits   Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits EmptySam 12 Oct 2019 - 18:07
Si seulement…
Si seulement pouvaient-ils mieux se comprendre l'un l'autre, partager la kyrielle de vives émotions qu'eux seuls pouvaient faire naître ensemble, les belles comme les moins belles, leurs déceptions et leurs peines, sans larme ni haine, d'un langage indéfinissable, sans mot ni geste insondable, une langue multidimensionnelle reliant la totalité de leurs ondes émotionnelles en une parfaite compréhension. Se le voulait-il au plus profond de lui, le bouffon squelettique aux remords dramatiques en essayant avec difficulté de garder le reflet verdoyant aux flammes grandissantes de la jeune femme en ses nuageux iris de saltimbanque déchu.

La Sacriponne était froide, si froide qu'elle gela de ses flammes le cœur de Kryss d'un regard assassin mais digne, empli d'une colère qu'il ne connaissait que trop bien lui étant exclusivement destinée. Et les gelures fissurèrent un peu plus l'écart entre eux. Cérène aurait bien pu lui ouvrir le ventre et s'amuser avec ses boyaux pour assouvir sa furie intérieure, mais elle l'aimait aussi et lui le savait. Sa réponse fut brève et sans joie, d'une platitude extrêmement stoïque à l'en faire pâlir. Il était désolé, mais elle ne voulait pas le savoir. Alors, il n'insisterait pas pour reprendre sa place dans le cœur de la belle danseuse, pas maintenant tandis que son âme ébouillantait tout son être. Un frôlement, et divinement elle s'en alla, le quittant comme un moins-que-rien. Et comment pouvait-il lui en vouloir, il avait fauté, comme à son habitude en cette relation chaotique qu'était la leur. Et la soi-disant fête commença d'un claquement de main au milieu de tous.

Gustave se mit à jouer de son tambour, et Théo de sa lyre, et elle commença à danser, l'aguicheuse Salamandre, et de sa souple échine, balançait son bassin, invitant à la rejoindre tous les êtres présents en la « Place aux rats », en occultant sévèrement le triste bouffon devant gérer le poids d'une perte rongeant son cœur depuis la Fange et celle d'une froide retrouvaille. Les regardant…, la regardant…, il lui parlerait, mais pas maintenant car les flammes en les yeux de Cérène étaient bien trop proche de la poudreuse couvant en son cœur.

Et le vin fut partagé enfin, comme un vicieux poisson à travers les veines de tous ces artistes en le « Dépotoir » des Macchabées, et les coupes se levèrent… Kraker en offrit quelques-unes, par-ci par-là, de son petit corps bosselé, de ses pas chancelants et de son sourire sur ce visage d'éternel bougon. Et le petit marmot, lui, sautillait dangereusement autour du fétide puits d'où quelques victuailles et bouts de bois trainaient, sous l'œil attentif du grand Mograth, protecteur qu'il était. Les trois fantaisistes de la Troupe d'Oscar animèrent ainsi la petite place des « Monstres du Goulot » et la féline garçonne, comme à son habitude, se mit en retrait dans les hauteurs de briques et de pierres par d'agiles sauts silencieux, belle et rebelle demoiselle.

Sentant le désarroi en le Chef de la troupe au grand chapeau tintant, elle atterrit devant lui d'un sourire espiègle et doux, lui demandant l'envers du décor, connaissant bien son maigrelet fripon. Et sans réponse, car rapide dans ses mots, elle apposa ses fines lèvres sur sa joue tel un papillon se posant sur une fleur, réchauffant un peu plus le garçon immobile lui souriant maladroitement. Sa courte chevelure dorée, lisse et sans faille, l'amusa quelque peu, frôlant le visage pâle de la garçonne, dévoilant par saccade son regard océan tandis qu'elle insistait pour qu'il fasse le premier pas vers la furibonde Cérène. Elle était lucide et comprit bien vite, ce qui n'étonna pas plus le maigrichon bouffon.


« Alors, tu as compris que c'était l'ensorceleuse dont je t'avais parlé, sacrée féline. C'est elle, oui, la danseuse de braise, redoutable et innocente à la fois. Nous nous comprenons toujours très mal, elle et moi. Mais tu as raison, Al', je vais aller la voir, mais un instant de plus pour une attente oblige afin de calmer le feu en elle », se perdit-il dans les mouvements subtils des courts cheveux de sa compagne de troupe.

Mais ni une ni deux, la Macchabée l'emmena dans ses pas jusqu'à la Salamandre enflammée, ne l'ayant écouté que partiellement sûrement ou, maligne qu'elle était, ayant vu là plutôt une opportunité de les réunir à un moment parfaitement imparfait mais étant indéniablement le seul propice pourtant.


« Vers un naufrage certain ! se le dit en lui-même Kryss marchant vers Cérène, et abandonné par Alaïs partie voltiger dans les bras de Mograth au grand plaisir du garçonnet à proximité s'extasiant à cela. Allez, abruti, un peu de courage… », se forçait-il de se répéter.

Elle tournait sur elle-même, ses bras ondulant comme des flammèches sortant de son corps, et ses doigts propulsant la chaleur de son aura nonchalant à l'approche de son ennemi de cœur. Elle ne l'avait regardé, et en même temps l'avait pris pour cible sans jamais le quitter du regard, le ressentant tout simplement. Il ne le savait que trop bien. Et de quelques pas ne les séparant, Kraker surgit entre eux, un verre de vin à la main, tendant celui-ci d'un joyeux sourire lui disant de prendre garde à ses mots et ses gestes. Kryss s'empara du verre et l'en remercia d'un léger hochement de la tête en s'abreuvant, les lèvres imbibées de l'écarlate mixture avant que le nain bienveillant ne continua sa mission, une bouteille à la main, servant ici et là à chacun en évitant respectueusement le bambin et Mograth qui ne buvait jamais.

La sulfureuse chimère était là, devant lui. Elle dansait mais ne tournait plus, figée et, cette fois, le regardait, leur forêt incendiée en ses deux perles vertes. Il en fut surpris et en profita donc, un petit haussement des épaules, l'air déprimé. Il fit trois pas, elle ne bougea pas.


« Tu m'as retrouvé, Sacriponne. Tu as réussi, n'est-ce pas ? Bien sûr que oui, les yeux de Kryss se mirent à luire de son monologue, ses lèvres éperdues dévièrent une demi-seconde d'un spasme entre tristesse et soulagement. Tu as cru nous perdre depuis les fangeux…, tu as dû avoir tellement peur pour nous. Et, je suis sûr que tu as tout fait pour nous retrouver, n'est-ce pas ? Le bouffon du roi lui offrit un timide sourire, mais trop peu expressif sur ce visage décadent renfermant des émotions en vrille. Merci, jolie Salamandre, reprit-il en levant un peu plus le regard en le sien. Et me voilà devant toi, comme si de rien n'était, même pas une accolade…, et c'est tout ce que tu voulais de moi, et moi aussi. Je suis désolé. J'ai beaucoup de choses qui cogitent dans ma drôle de caboche depuis l'invasion fangeuse. En fait, je n'ai plus que ça à vivre…, je me suis perdu et le suis encore. Un peu torturé le stupide maigrelet à grelots », en conclut-il en agitant légèrement sa tête, le regard envahi de brume liquide, la lèvre inférieure un tantinet tremblotante mais soutenue par un sourire forcé.

Kryss se retourna, regardant tout ce petit monde s'amuser, puis reprit le regard de Cérène, impassible peut-être.

« Mais je vais tout t'expliquer, j'aimerai juste que tu m'aides à rassembler tout le monde en cercle au milieu de la place. Mais avant ça que tu puisses me dire si tu m'en veux encore, si je dois m'inquiéter de nous », en finit-il en lui caressant la joue de sa fébrile main, un peu hésitant pour ne pas la brusquer.
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Cérène BoiserelSaltimbanque
Cérène Boiserel



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MessageSujet: Re: Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits   Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits EmptyLun 9 Déc 2019 - 12:41
Evidemment qu’elle l’occulte, qu’elle l’ignore, observant de loin l’échange qu’il a avec Alaïs, réfléchissant à vive allure à ce lien qui semble l’unir à la jeune féline. Serrant la mâchoire à se la rompre, laissant la jalousie orchestrer ses pensées, elle se surprend à la détester si fort d’un seul coup et pourtant tiraillée dans le raisonnement que ce n’est pas juste. Et elle en brûle, s’en consume d’envie, la jeune salamandre, peu habituée à se sentir autant en péril. Dans son cœur coule l’acide, alors elle serre les dents en silence, se pare d’un air digne et joue les intouchables, se dérobe de lui, le feu au coin des yeux. Et elle se pavane, danse, masquant ses cicatrices à fleur de peau par un ultime sarcasme.

Elle pose son regard sur Kryss d’une telle intensité qu'il pourrait avoir l'impression d’être fauché par une bourrasque d’infinis crépuscules d’émeraudes. Elle se passe la langue sur sa rangée de dent inférieure sans le quitter du regard, une lueur mystérieuse dans les yeux. Cérène se sent brutalement à l’étroit lorsque Kryss grignote la distance entre eux, comme si l’espace s’était réduit à chaque pas de lui vers elle. Il s'avance doucement alors que la danseuse de braise se trouvant devant lui est aussi dangereuse qu'elle en est belle pour être supportée, aussi mortelle qu'un serpent tapi dans l'ombre.

Cérène se dresse lentement vers lui, son visage venant se prostrer à quelques centimètres du sien lorsque ses paroles se noient d’hésitation, un sourire provocant et d'un éclat aussi flamboyant que vicieux tandis que sa chevelure de jais devient un nid grouillant de serpent sifflant et s'agitant furieusement dans l’air.
Un souffle qui claque comme un baiser froid tandis que sa main se pose sur sa joue creuse.

Tu n’es pas le seul à observer de loin, mon fripon. Abat-elle avec sarcasme, faisant finement écho du fait qu’il l’avait toujours surveillé, dans l’ombre du Goulot. Sa main descend sur le col de son haut qu’elle fait mine de réajuster. Je peux être tenace, tu le sais. Murmure-t-elle. Mais visiblement, je n’étais pas au courant de tout… Fit-elle subtilement allusion à la présence d’Alaïs dont la nature de leur lien lui échappe toujours. Elle est charmante, tu les choisis bien. Remarque-t-elle avec amertume, sa combativité faisant presque place à une vulnérabilité touchante.

Les serpents retombent en la chevelure ébène le long de ses épaules tandis qu’elle s’écarte de lui, impérieuse et dangereuse.

Le contact de la main nue de Kryss, bien trop délicat et prudent sur sa peau de braise lui envoie une vague de frissons. Ses pommettes se mirent à s'empourprer timidement de gêne tandis qu'elle lui stoppe la main avec douceur avant qu’il ne sente et devine le feu incontrôlable qui l’envahit.

T’inquiéter de nous ? Répète-t-elle avec ironie, un rire incrédule s’échappant de ses lèvres délicieuses tandis que les traits de son visage se durcissent subitement, remontant dans son palais le goût amer du rejet. Il me semble que tu as été clair la dernière fois, non ? Elle darde un regard sévère sur lui, insistant une nouvelle fois. N’est-ce pas ce que tu voulais, finalement, me tenir éloignée de toi puisque tu as peur de moi ? Elle soupire à nouveau, sa voix suave se grave dans une lassitude résignée mais à la fois si combative. Alors pourquoi devrais-tu t’inquiéter, Kryss l’Osselet. Elle s’approche à nouveau, frôlant son torse de son buste, relevant et braquant ses yeux perçants dans la brume opaque de son regard où elle y décèle milles éclats de tristesse. Pourquoi ? Demande-t-elle à nouveau, comme brutalement happée par la mélancolie de Kryss.

Elle observe chaque parcelle de son visage. Se met devant lui pour lui faire barrage et avorter toute fuite de sa part.

Je ne te laisserai pas partir, Kryss. J’ai failli vous perdre avec ce qu’il s’est passé, je ne veux plus que ça se reproduise. C’est plus fort que moi, je m’y refuse. Elle reprend avec une détermination désarmante. Je ne veux plus prendre le risque de penser à vous voir disparaître, alors ne me chasse plus si je ressens le besoin de vous voir…, Elle insiste avec un peu plus de fermeté d’une voix grave mais si chaude. De te voir. D’un sourire en coin moqueur, elle reprend, tandis qu’elle murmure un peu plus bas, au niveau de son épaule avec un semblant de défi. De toute façon, que tu t’y opposes ou pas… Une pause, tandis qu’elle reprend avec lenteur. Je ne t’écouterai plus. »

Sa main se pose à nouveau sur son visage, son pouce caressant les reliefs de sa peau creusée et ternie.

Quel mal te ronges tant, Kryss ? »

Cérène réprime un frisson, retire sa main, se recule d’un pas pour s'éloigner.
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Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



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MessageSujet: Re: Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits   Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits EmptyDim 29 Déc 2019 - 23:48
Le ciel s'ombragea de quelques nuages gris camouflant la radieuse sphère de feu au-dessus du quartier poisseux aux drôles d'odeurs. Et l'heure était absente, loin des cœurs et des maux, et la notion du temps échappa bien vite aux absurdes énergumènes du Goulot valdinguant ensemble tels des hurluberlus, rigolos spécimens. Alors, la fête continua, et la danse, et virevoltant en chœur sans aucune frayeur, les saltimbanques s'entremêlèrent dans une étrange farandole tandis que le vin et la folie les alimentaient, et à foison, la décadence toujours plus jouissive.

Un doux frisson s'empressa de redresser le corps rachitique du bouffon aux premiers mots de la magnifique Cérène au caractère bien trempé.
« Vilaine Sirène, pensa-t-il d'un sourire profond. Toujours à piquer de son discours et de ses gestes, à torturer ses victimes obstinées à l'aimer, des esclaves hurlant d'entre les barreaux de son cœur de braise, mais que dis-je, à transpercer, continua pensivement le bouffon aux grelots, étant sans aucun doute le plus téméraire d'entre eux. Et aux dernières paroles de l'aguicheuse danseuse s'en retourna vers Alaïs semblant s'amuser comme une féline funambule sur les balcons de briques et de pierres en observant tout ce petit monde détaché de la réalité. A cela, Kryss sentit une épaisse couche de jalousie s'échapper des lèvres délicates de sa belle moitié, Cérène l'en enduisait de toute sa haine et, gluante à souhait, s'engouffrait en la gorge fine de l'artiste au grand chapeau vert, l'empêchant ainsi de s'exprimer. Elle était parfaite, et effroyable, un monstre d'une beauté inégalable, incendiant l'attention du maigrelet fripon de sa coulée de sang bouillonnant à travers ses veines chaudes de Salamandre désabusée, le croyait-elle. Si tu savais, petite idiote. Elle te ressemble par instant, et quelques fois par moment, mais jamais ne t'égalera », pensa-t-il en enrageant de ne pas pouvoir le lui révéler, ou de ne pas le vouloir par simple caprice de timbré amoureux. Alors, il n'en dit que quelques brides tout haut.

« Vous êtes pareilles…, presque. »

Mais ça n'aurait suffit à la frivole fille de la troupe d'Oscar, alors d'un élan de tendresse lui afficha un sourire qui rarement ne pouvait enjoliver son visage amoindri de ses régurgitations quotidiennes d'anorexique heureux.

« Toute mon attention n'est portée qu'à toi. Tu le sais, mais jamais tu ne me croiras », lui dit-il tandis que la main chaude de Cérène emmitoufla sa joue creuse de gringalet bouffon.

Et de nouveau, elle s'écarta, ressassant leur dernière rencontre autour du feu, et surtout son rejet envers elle.
« Je te déteste, ignoble déesse, pensa-t-il. Pourquoi ? se répéta-t-il la question de la jeune fille. Et, lui, crétin qu'il était aurait voulu lui dire les mots doux et les jolies rimes, les vers et les poèmes qu'il avait écrit pour elle. Mais se tut. Timide…, ou juste stupide ? Moisi ringard ! » se traita-t-il en lui-même tandis qu'elle continua, délivrant un message d'amour le concernant à lui en faire mal, une douleur agréablement souffreteuse mais néanmoins délicieuse.

Le Chef des Macchabées hocha la tête, ému mais soutenant une fierté non assumée, car non existante finalement. Elle lui parlait, lui révélant des choses qu'il aimerait lui dire. Elle était forte, ou faible, ou encore était-il ingrat de supporter ce qu'il souhaitait lui dire…
« Sacrée drôle de caboche, je te hais… », s'en mordit-il la lèvre inférieure en s'en voulant tant.

« Alors, ne m'écoutes plus, jolie Sirène. Je t'en prie, lui demanda-t-il d'un brin de tristesse pour ne plus fauter de la sorte. Sois plus forte que moi, en finit-il avant de s'engouffrer en sa tête brisée. « Comme tu l'as toujours été », avoua-t-il en la regardant désespérément, le regard embué de larmes mais le sourire forcé d'une maladresse exacerbée que Cérène discerna aussitôt, bien évidemment. Quel mal me ronge ? » répéta-t-il les mots de la jeune femme d'un haut le cœur bouleversant ses pensées.

« Si tu savais, je vais si mal, mon amour, sanglotait-il en lui, se voulant de la chérir, de s'effondrer dans les bras de sa dulcinée, et prendre soin d'elle jusqu'au dernier des battements de son misérable cœur. Et pourquoi donc ne pouvait-il pas lui dire ces mots tout haut ? Crétin, imbécile… », se dit-il. Elle éloigna sa main de sa peau, attendit une réponse claire et précise de sa part, ce qu'il ne pouvait faire, bien incapable, trop fier et orgueilleux le borné personnage. Il en esquissa même un sourire, arquant d'un côté ses lèvres d'un rire jauni par l'énervement, le désarroi de ne pas pouvoir aller plus profondément dans les choses. Puis se redressa légèrement.

« Nous allons rassembler tout le monde en cercle, et tu sauras tout », lui confia-t-il avant de la quitter, interpellant de son regard les membres de sa troupe, et Cérène en fit autant avec la sienne.

Mograth s'assit en premier, tenant sur ses genoux robustes le garnement des rues un tantinet excité depuis ses dangereux tours autour du puits crado, et Kraker l'accompagna d'une bouteille de vin en ses mains, lui qui savait. Ensuite s'en vint Alaïs, descendant de son perchoir, et Théo s'en suivit, jouant de sa lyre de quelques notes en fond d'ambiance, et Gustave ayant posé son tambour prés de lui tandis que Cérène s'installa entre eux, telle une reine et ses deux gardiens. Tous intrigués du discours du Chef au grand chapeau à trois branches qui se plaça au milieu du cercle, debout du haut de son mètre soixante-dix tout fluet qu'il était. Le bouffon des rues malfamées respira intensément, comme à son habitude, avant de révéler ce qu'il avait à dire, s'engouffrant dans les regards curieux en évitant celui de Cérène, de peur de voir son visage s'atrophier de colère, encore une fois. Il souleva légèrement les bras, puis exposa les paumes vers le ciel mélancolique aux rayons perçant les nocives brumes tachant le firmament bleuté.

« Je vais m'en aller ! en sourit-il exagérément, d'un rire gauche n'exprimant qu'une partie de son triste sentiment. Je vais m'en aller », répéta-t-il plus bas en baissant les bras, se rendant compte de la gravité de ses mots.

Le colosse infâme eut le cœur lourd car comprit en son Chef que ce n'était pas une simple blague, une ritournelle romanesque d'une histoire absurde comme il en avait l'habitude d'entendre chez son mentor quelque peu siphonné. Et l'enfant sur lui sentit une pression autour de sa taille quand le géant l'enserra fort contre son puissant corps. Kraker, le nain bosselé, baissa la tête, anéanti de cette décision qu'il savait pertinemment présente car étant le seul à connaître réellement la toxicité des troubles de Kryss.

« Qu'est-ce qu'il dit ? demanda le marmot sur les genoux du grand homme, un peu perturbé face au silence pesant s'en suivant.
— Chef aller partir…, lui répondit avec un tremblement dans la voix le gentil bonhomme en l'enserrant plus fort contre lui. Je pas comprendre…, je pas savoir pourquoi, je savoir rien, moi, en baissa le regard Mograth complètement perdu, sentant de grands changement se profiler pour la troupe des bas-quartiers.
— Tu es ridicule…, tu n'as que ça en tête, bougre de con ! s’énerva Kraker en frappant du poing sur le pavé craquelé avant de se relever. Je m'en doutais, je le savais ! » s'en rongea-t-il les ongles d'une pointe d'émotion après s'être de nouveau assis.

Kryss eut le regard quelque peu luisant d'humidité, et les jours, longs qu'ils étaient depuis l'attaque fangeuse, traversèrent son esprit fragmenté. Le maigrichon fripon, ne sachant quoi dire, haussa les épaules, retenant ses larmes et ses mots, ou presque. En fait, non, il était déterminé, trop peut-être, avec de l'espoir à l'en tuer sur le coup. Il s'en mordit la lèvre inférieure, laissant une pointe de liquide écarlate caresser sa commissure.

« J'ai perdu Rhoark… », s'efforça-t-il de révéler à l'assemblée.

Le bouffon tourna deux fois sur lui-même, fermant les poings et les balançant contre son visage, puis les frappant doucement contre ses lèvres comme un vagabond sans repaire, un aliéné défroqué d'un membre de sa famille.

« Je l'ai abandonné depuis l'attaque fangeuse. Et je tourne en rond, des jours que je m'enferme dans mes égouts à échafauder des plans innombrables pour le retrouver. Mais je sais qu'il est vivant, sinon pourquoi aurais-je encore espoir ? Ça n'aurait aucun sens, n'est-ce pas ? dit-il sans attendre de réponse, ayant peur de celle de Kraker. Et pour cause, ce dernier répliqua instantanément.
— Rhoark est mort ! Tu le sais, on le sait ! Chef, reviens à toi ! Tu t'engouffres dans tes putrides dédales sous le Goulot, avec tes cartes et tes plans abracadabrantesques, imaginant un voyage incongru sans queue ni tête pour retrouver un mort ou pire, un fangeux ! » lui hurla le bougon petit homme en se levant de nouveau.

Le bouffon du roi serra plus fort les mains, se les frappant contre son visage grimé en balançant de gauche à droite sa tête de tintements venant de son chapeau gigantesque.


« Mais si, mais non. Tu te trompes, espèce d'excréments sur pattes ! Il a peur, quelque part, il nous attends, couvert de boue, frigorifié, quelque part en « Marbrume la Crade ».
— S'il est devenu Fangeux, soit il est mort, soit ils l'ont éjecté de la Cité ! Ouvre les yeux, Chef ! Ça va faire plus de quatorze jours ! Par la Sainte Trinité, comprendras-tu ? surenchérit le nain bosselé de sa voix tremblotante lui aussi. Imbécile ! »

Le squelettique jeune homme, ne voulant l'écouter plus, pénétra en le regard de Cérène, bien plus profondément que d'habitude, et bien plus tristement aussi. Cette fois, c'est lui qui avait besoin d'aide, et honteux qu'il était de l'être, le devint tout de même en reprenant de son charisme perdu.

« Je vais parcourir Marbrume de fond en comble, s'il le faut. Et je le retrouverai, seul ou avec vous, en conclut-il d'une terrible sincérité, placardant tous les sujets de l'assemblée sur le sol.
— Tu n'as jamais quitté le Goulot, Kryss l'Osselet ! Tu ne connais rien au monde extérieur ! Arrête, bon sang ! lui cria Kraker, perdant pied face à la détermination bornée de son Chef qu'il aimait tant continuant dans sa lancée en ignorant ses dires.
— « La Poubelle », étant bien trop grosse et en piteux état, restera ici, parlait-il de leur roulotte cramoisie. Je me suis arrangé avec les criminels de l'église abandonnée, prés de l'« Écumeuse ». Ils m'ont rafistolé leur ancienne caravane dans le vieux cimetière vaseux. Nous pourrions tous partir ensemble, vivre de nos loufoqueries en traversant la dernière Cité de l'Humanité, ensemble, répéta-t-il, et en même temps rechercher Rhoark. C'est tout à fait possible !
— Quoi ton plan ? demanda Mograth le cœur battant mais de plus en plus curieux.
— Eh bien, nous irions d'abord faire des emplettes au Port à l'Est pour les premiers jours et ensuite vivrons de nos spectacles de rue en avançant, tout petit doucement. »

Kraker se rassit, boudeur qu'il était, songeant à cela alors que le bouffon relança de plus belle l'attaque, essayant par tous les moyens de les convaincre tous.

« J'ai besoin de tout le monde, avoua-t-il en partageant son regard gris en celui de ses convives. Venez, joignez-vous à moi pour ce Grand Voyage qui nous permettra de rencontrer de nouvelles têtes ! Et par la même occasion de faire de nous la Troupe de Saltimbanques la plus Célèbre de « Marbrume la Crade » ! lança-t-il, des étoiles pleins les yeux.
— Non, non…, répliqua le nain. Nous sommes connus du Goulot, Chef, mais en dehors, on nous chassera comme des pestiférés, des monstruosités ! Les gens auront peur de nous, nous finirons dans les bas-fonds des geôles, oubliés de tous ! »

Le Chef de la troupe se retourna vers son plus fidèle membre, l'air désemparé.

« Je n'irai pas sans toi, Kraker. Alors, ne me fais pas ça.
— Je te suis…, tu le sais bien, accepta sans plus de parlote le nain d'un sourire affligé. Mais tout ça finira mal, je le sais, alors autant que je sois là pour te soutenir quand le moment pour nous sera le dernier. »

Le Chef des Macchabées se tourna vers Mograth qui acquiesça de la tête, prêt à les suivre n'importe où, tandis que le bambin sur ses genoux ne dit rien, un doigt dans son nez pour extirper un morceau brun-vert coincé sur la paroi de chair. Théo et Gustave, quant à eux, se regardèrent perplexe avant de bifurquer leur regard vers Cérène, attendant sa décision. Et le bouffon la regarda dans le blanc des yeux, car sans elle, il n'y arriverait pas mais l'accepterait avec dureté si elle refusait. « Rhoark avant tout, et rien d'autre que la famille », lui lança-t-il d'une moue sincère et déroutante venant d'un endroit bien plus enfoui que sa folie.

Alaïs, elle, s'écarta, les yeux en pleurs, fixant le regard du saltimbanque macabre qui comprit bien vite et accepta. Car elle aussi avait une famille à retrouver, et bien trop longtemps abandonnée maintenant.

« Tu dois retrouver ton père au Labret, je le sais Al'. Je ne t'en veux pas. Je te comprends, vraiment », la rassura-t-il, les bras le long du corps avant de les ouvrir délicatement.

La féline garçonne s'avança vers lui et se laissa aller dans ses bras de toutes les émotions possibles tandis qu'il l'enlaçait en se remémorant leur rencontre ; l'attaque des boueux, le sombre perchoir, le cadavre du sans-abris, les fangeux hurlant, les étroites ruelles, les latrines inondées et toute cette putride histoire qui les avait liés à jamais. Et elle resterait dans son cœur comme une éphémère passade dans sa vie qui jamais ne pourrait s'effacer en lui. Et quand Kryss lâcha prise, la féline jeune femme disparut pour ne pas perdurer ce sentiment d'aurevoir, laissant un regard humide, un bref sourire et une évasion des plus silencieuses entre deux murs.

Le moment était important et pénible. Le bouffon n'aurait cru ressentir autant, se reprit et affirma sa présence de son attitude rocambolesque d'un léger pas de danse avant de reprendre le regard de la divine Sirène.


« Si toi aussi tu pars, Sacriponne…, dit-il avant de continuer en lui-même pour ne pas blesser les autres, j'aurai tout perdu.
— Bah, allons-y, camarades ! Pour une toute nouvelle aventure ! Un nouveau voyage pleins de rebondissements ! Et tant pis pour les conséquences ! Au pire le rejet, au mieux la célébrité ! s'écria Kraker sous l'étonnement de Kryss, s'étant persuadé de cette décision. Plus rien à perdre, se le convainquit le nain.
— Et puis, nous vivrons comme tous les jours, à sillonner les rues et faire rire le peuple, à l'effrayer ou même le faire danser, et en vivre ! Ça va être marrant ! s'enorgueillit Kryss avant de se figer en le vert émeraude de la sévère danseuse. Pour Rhoark », finit-il d'un sourire espiègle mais empli de tendresse et surtout d'espoir.
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Cérène BoiserelSaltimbanque
Cérène Boiserel



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MessageSujet: Re: Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits   Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits EmptyVen 3 Jan 2020 - 18:02
Alors surgissant sur cette place aux rats, Kryss se tenait immobile droit, calme et bienveillant.
Un peu comme avant. Une étincelle, une braise qui tira violemment Cérène en arrière, la plongeant dans une marée de souvenirs comme pour essayer de la noyer.
Réveillée par les assauts incessants des cauchemars, le sommeil pourchassé par l’angoisse, elle était allée dehors pour refroidir sa tête brûlante. Au cœur de la place au rat, non loin du puit fétide, il se tenait immobile, droit, calme et bienveillant.

«—
… Kryss ? Questionne-t-elle entre la surprise et l’amusement, frottant l’un de ses yeux encore endormis. Qu’est-ce que tu fais, ici, aussi tard ?
Sa silhouette fantomatique se figea et s’étira sous les rayons crus de la lune lorsqu’il pivota vers elle, déployant une ombre chinoise menaçante en son dos.


Discret, comme s’il ne voulait pas déranger. Comme s’il allait prendre la mesure de l’impact de ses prochains mots.

Elle se revoit, assise à côté de lui. Partageant une bouteille de vin de « L’écumeuse » en échangeant quelques blagues complices, et quelques piques bien placées, Kryss affreusement taquin – Cérène répliquant avec une timide espièglerie, encore si peu sûre d’elle. Elle était si faible, si vulnérable, délicate, presque morte et sur le point de se rompre tant ses fondations étaient fragiles. Un tremblement, un soupir du vent et elle se serait effondrée.
« Pourquoi m’as-tu sauvé, ce soir-là ? »
Cette question lui a toujours brûlé les lèvres. Pourquoi s’était-il arrêté ce soir-là, près d’elle. Pourquoi l’avait-il choisi ?

Son visage se dessinait dans ce brouillard d’obscurité et de fumée noire, pâle et doux, surmonté d’un regard bienveillant et tendre. Ses fines lèvres traçaient un délicat sourire sur sa peau lunaire. Kryss s’était avancé en se penchant doucement, vaporeux, presque inexistant. Comme la nuit s’abattrait sur le soleil.
Une pichenette sur le front.


« Tu n’as toujours pas compris, petite idiote ?
»


Un silence, tandis que Cérène répondait d’un fin sourire sous son regard appréciateur.

«—
Si, j’ai compris. Un silence de quelques secondes, profond et électrique, lourd de signification. Une légère pause où le temps ne parût plus exister. Rien d’autre que la famille. » Et alors qu’elle le répétait à voix-basse, elle l’entendit également ressortir entre les lèvres de Kryss.
S’ensuivit un houleux débat entre Kraker et lui, inquiet de la survie et avait-il raison ? Assurément, c’était audacieux et osé. Kryss qui s’était toujours épris des bas-quartiers dans la puanteur de Marbrume, affectionnant les catins qui l’avaient élevé, les relations peu recommandables et y ayant vécu pratiquement toute sa vie, était prêt à tout délaisser pour retrouver l’un des siens. Rhoark avait disparu et Cérène étouffa les sanglots étranglés dans sa gorge. Elle ne put s’empêcher de ressentir le désarroi de Kryss ; elle aussi y avait perdu. La Fange n’épargne pas, jamais. Jamais. Etait-ce pour cela qu’il avait fait taire sa présence ? Un battement de cœur révolté et douloureux comme un coup de poignard agita sa poitrine.
Pas Rhoark, pitié. Que les Trois le protègent.

Cérène leva la tête et le fixa intensément pour sonder ses pensées. Sa respiration se fait courte et saccadée, sa poitrine se soulève profondément. Elle jugea Kryss d'un regard sombre et sévère, pleins de reproches.

« C’est un ami à toi, j’imagine… ? Questionne Gustave avec amusement.
Il est désaccordé. »
Cérène avait lâché ses mots d’un ton nonchalant, comme si elle parlait à elle-même.
« Et désemparé, il a besoin de toi. Murmure Théo. Tu peux pas le laisser tout seul, comme ça… »
«— Je sais, je sais. Complète-t-elle sans trop savoir quoi ajouter de plus. Si je le laisse, il… Elle ne préfère pas y penser ni poser de mots là-dessus. Il faut que je reste avec lui. Un temps, du moins. »

Le regard persistant de Théo était si brillant que Cérène en détourna le regard, tout en se redressant

« — Tu es amoureuse, n’est-ce pas ? »

Cérène dos à eux, s’arrête très légèrement, comme une enfant prise en faute avant de faire doucement volte-face vers Gustave. Ecartant légèrement la tête sur le côté, un sourire étrangement tendre et d’une profonde tristesse scintille sur ses lèvres. D’un geste discret, elle remonte son index sur ses lèvres en ajoutant un clin d’œil espiègle.
Gustave la contemple silencieusement. Elle lui avait dit une fois, silencieusement, que son coeur ne pourrait aimer qu'une seule fois.

Je vois. Je comprends mieux certaines choses, mais es-tu sûre ? Il se gratte l’arrière de la nuque. Ce que j’veux dire, c’est que… Tu sais, Oscar et la troupe… Claudine, et Léandre… »
Mes jours sont comptés dans la troupe et tu le sais, elle pose le regard sur Théo, vous le savez. J’ai une épée au-dessus de la tête. Fit-elle sans cesser de regarder l’horizon tout en haussant les épaules avec nonchalance. Oscar vieillit, il partira, c’est ainsi que cela est fait. Dès lors que ça arrivera, Léandre succèdera à la troupe, ce sera ma fin et tu le sais bien. Elle bascule la tête vers lui. Je ne peux pas l’accepter, je préfère partir de moi-même. Et l’aider. Elle désigne Kryss d’un geste de tête, en pleine conversation. Cet idiot sera perdu une fois hors du Goulot, si je ne le guide pas un peu. » Conclut-elle en gloussant, le sourire moqueur.

Gustave fait un léger rictus et Théo se gratte l’arrière du crâne.

« — Tu vas vraiment partir comme ça, je veux dire, sans revenir ? Murmure-t-il. C’est un peu triste, j’aime pas trop ce genre de truc. Puis tu sais, ‘fin, c’est toujours ta maison là-bas. Tu auras toujours ta place, mh ? »
« — Vous savez que je ne peux pas partir sans revoir Oscar. S’il vous plaît, qu’elle reprend plus bas en voyant le regard appuyé et curieux de Kraker sur eux, je ne veux pas qu’ils entendent tout ça. On pourra en parler une fois de retour ? »

Les deux hochent la tête, visiblement d’accord. Théo s’avance vers Kryss et lui saisit les épaules.

«— Ravi d’avoir fait ta connaissance, grand saltimbanque fou ! J’espère que tu trouveras ce que tu cherches. En tout cas, sache que moi je cherche des choses que parfois je ne trouve pas et que je ne perds jama- »

Gustave lui envoie une claque sèche sur le haut du crâne.

« — Vas-tu te taire, bougre d’âne ? Bon sang… Il se tourne vers Kryss tout sourire. On te la laisse quelques instants, mais pas trop longtemps, d’accord ? Il prend un air faussement menaçant de père possessif. A-t-t-e-n-t-i-o-n. »

Les deux musiciens saluent le reste de la troupe et quittent la place aux Rats, décidant d’aller se rafraîchir à une auberge pas très loin pour ne pas que Cérène ne rentre seule après. Cette dernière reste un peu en retrait avant de s’avancer vers Kryss, les mains jointes derrière son dos, de pouvant s’empêcher d’émettre un sifflement admiratif, suivi d’un léger applaudissement.

« — Tu es courageux, Kryss l’Osselet, c’est indéniable, il faut savoir le reconnaître. Un stupide courageux. Ou un être stupidement courageux ? Haussement de sourcil amusé et moue moqueuse. Je t’avoue que j’hésite encore. »

C’est vrai qu’il est courageux, Kryss l’Osselet, à sa manière. Mais n’est-ce pas ça, aussi, qui le rend si séduisant ? Ses coups de têtes incontrôlables, sa fierté beaucoup trop grande pour un corps si maigre, son refus d’aveux et qui alimente les non-dits, ses excès de colère innommables. N’est-ce pas pour cela qu’elle a jeté son dévolu sur ce pantin désarticulé et à la raison bafouée de folie ? N’est-ce pas parce qu’il se refuse à elle qu’elle l’aime toujours un peu plus, finalement ?

«— Je viens avec toi... Un doux sourire illumine son visage, tout doucement, tandis qu’elle observe Mograth et Kraker à côté, elle bascule légèrement la tête. Avec vous. Pour un temps, du moins. Le temps qu’il vous faudra, je serais là, avec vous. Avec toi.Un léger silence, tandis qu’elle reprend. Rien que la famille, n’est-ce pas ?
Et elle baisse les yeux, légèrement.

« — Je vais vous aider à retrouver Rhoark.

Et le flash incessant de eux, toujours ce soir-là, côte à côte, plongés dans leur sphère chaude et si particulièrement étrange. Douloureuse par moment, si salvatrice les autres fois.
Et la voix de Cérène, qui s’élève dans cette nuit froide. [i]


« — C’est ça, oui. [i]Avait repris doucement Cérène
. Rien d’autre que la famille. »
Puis elle avait délicatement posé sa joue contre son épaule.


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Kryss l'OsseletSaltimbanque
Kryss l'Osselet



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MessageSujet: Re: Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits   Des jours qui ne ressemblent plus qu'à l'ombre des nuits EmptyDim 5 Jan 2020 - 3:47
Le temps semblait long, l'attente interminable, longeant les tréfonds vers une chute insondable. Le jeune homme cassé la fixait, elle discutait avec les siens, et les Macchabées s'étaient relevés, le nain râleur rejoignant le géant simplet pour en discuter, eux aussi. Et le petit bout, enfant des rues, seul, s'avança timoré vers le gentil bouffon un peu tristounet.

« Et moi, dis, je vais faire quoi ?
— Toi, sacripant, tu vas garder « La Poubelle » en attendant notre retour. »

Le garnement écarquilla ses petits yeux marrons, se retournant vers l'énorme roulotte derrière eux, prés des latrines brisées. Et ne voyant nullement s'approcher le squelettique saltimbanque eut un sursaut d'étonnement quand celui-ci posa une main à son épaule.

« Te voilà gardien de notre maison, sacré veinard, en sourit Kryss en s'agenouillant à sa hauteur, une jambe pliée, un genoux contre terre.
— Oui, m'sieur l'Osselet, vous pouvez tous compter sur moi !
— Mais je le sais, tu es le plus grand des fouineurs, jamais rien ne t'échappera ! Et puis…, hésita-t-il avant de continuer en se mordant les lèvres, tu me fais penser à moi quand je n'étais pas plus haut que toi. »

Les yeux pleins de magie, le bambin aux habits souillés fut tant ravi que sa respiration en fut disharmonieuse, la poitrine de petit homme vibrante et les iris scintillants. Le maigrelet fripon se releva et l'enfant s'en alla plus loin, observant de sa nouvelle responsabilité cette place immonde avec gaieté devenue son éphémère royaume. Le maigrichon garçon au grand chapeau fut à son tour surpris quand Théo vint le saisir par les épaules et apposer quelques mots semblant maladroits pour son compère musicien. Gustave lui sourit ainsi, acceptant de partager, pour un laps de temps seulement, leur reine avant de quitter tous deux la « Place aux rats ». « Des choses introuvables qu'on ne perd ? » s'en interrogea Kryss d'une mine songeuse en ressassant les mots du joueur de lyre. Mais ni une ni deux, son attention vola en éclats quand, taquine qu'elle était de ses mains jointes en son dos, Cérène s'avança en sa direction avant de l'acclamer de quelques tapotements à son attention et d'un ton quelque peu hautain qui, curieusement, rassura un tantet le Chef des Macchabées. Le jeune homme esquissa un léger rire partant vers le bleu du ciel grisonnant par instants. Il haussa les épaules comme à accepter avec honneur les paroles de la danseuse aux flammèches couvant en ses yeux. Elle accepta de le suivre et lui ravala sa fierté, et s'évada dans le sourire qu'elle lui porta, l'emmenant à mille lieues d'ici, transcendant ses névroses et autres euphoriques mélancolies.

« Avec nous, oui,… avec toi,… avec toi prés de moi..., voulut le préciser en lui-même quand elle se pencha pour apercevoir les deux autres membres de sa famille. Ensemble. »

Elle baissa le regard, de ceux qui étaient lourds de sens, les plus précieux pour Kryss, pour finalement émettre des mots qui firent du bouffon l'être le plus heureux de tout le Goulot. Un bonheur étrange car sans sourire ni rire mais d'une chaude sensation implosant en son cœur et traversant tout son être d'un frisson agréable. Le frêle garçon, de sa carrure d'affamée, s'approcha d'elle, d'un pas, puis d'un deuxième et enfin d'un dernier, et lui prit la main, la serrant dans la sienne.

« Ecartons-nous un peu, je dois te parler », lui dit-il d'une sincérité troublante comme il ne l'avait jamais fait envers elle auparavant.

Les deux artistes se cachèrent sous l'ombre d'un balcon d'une vieille bâtisse abandonnée de la place, loin des yeux curieux.

« La stupidité et le courage sont étroitement liés, tout comme la folie et l'amour. Le seul point commun entre toutes ces choses est la passion. La passion de vivre et de partager même dans les plus ignobles des moments. Alors, quelle importance ? Tant que nous sommes ensemble », lui sourit Kryss en dérobant les deux mains de la jeune femme dans les siens.

La pénombre ne dévoilait que partiellement leur visage, leurs dents blanches, les reflets luisants de leur regard, trois grelots dorés voltigeant et une longue chevelure ondulé châtain-clair. Le Chef de troupe baissa le regard à son tour.


« J'ai peur, Sacriponne…, j'ai peur de faire une erreur et de tous nous guider vers un dessein dramatique que je ne pourrais pas contrôler, lui avoua-t-il avant de relever le regard en le sien, serrant délicatement ses mains dans les siennes. Te souviens-tu de la petite fille dans l'histoire du « Cannibale constipé » ? Tu sais, si le danger nous menacerait sérieusement, rien que d'un seul membre de la troupe, je n'hésiterai pas à faire de même et me sacrifier au prix de devoir m'éteindre pour vous. »

Battant la chamade, le cœur du maigrichon intensifia la cadence, puis se calma directement tandis qu'il lâcha les mains de Cérène pour y poser ses paumes sur les joues chaudes de sa bien-aimée non-avouée, emmitouflant son doux visage ambré de ses frêles doigts avant de poser son front contre le sien, le bout de son nez contre le sien, et se mettre à réciter un poème de son souffle chaud s'échappant de ses fines lèvres grimées de barreaux noirâtres.

C'est tout là-haut que nous sommes perchés,
En l'arborescente canopée du plus grand des arbres de notre triste forêt,
Regardant de notre cabane cette kyrielle de lucioles brûlantes s'élever de nos déboires,
Et l'écorce noire nous protégeant de plus belle, pilier dérisoire de tous nos espoirs,
Nous portant, et nous supportant, tous les deux contre nos maux partagés,
Etrangement pourtant, au-dessus de notre étendue toute incendiée, ensemble, enlacés.


Je t'aime, Cérène, en conclut-il en lui, brisant les chaînes d'un sentiment depuis trop longtemps enchevêtré à ses pensées, pansant une partie de sa folie.

Le duo resta là, sous les ruines de ce vieux balcon, sans bouger, quelques secondes ou quelques minutes, ne savaient-ils pas, mais pas assez pour l'efflanqué à la peau diaphane. Et même l'éternité aurait peiné de ne pas être à leur place à cet instant précis où les émotions les plus fortes s'embarquèrent dans une valse insoupçonnée.
Pas assez,… mais peut-être trop pour Rhoark, pensa l'idiot freluquet à la courte chevelure noire à mèches pourpres en se détachant partiellement d'elle.

« Dans trois jours, à l'aube, nous nous retrouverons tous à « L'Écumeuse ». Je suis sûr qu'Eurya sera ravie de te revoir,… et moins de notre départ, se contredit-il lui-même d'une moue incertaine de peur de défier le regard de sa mère adoptive. Mais nous serons ensemble », lui serra-t-il une dernière fois les mains avant d'en libérer une d'un doux regard grisâtre.

Et d'un dernier élan, d'une réminiscence passagère d'un passé pas si lointain leur appartenant exclusivement, apposa un autre sentiment inavoué.

« J'ai honte de te dire ça, mais bien que j'aime Rhoark, je t'aimerai toujours plus, vilaine ensorceleuse. Et qu'importe tous les autres, toi, tu resteras ma jolie fille sous la pluie. »

Le bouffon se retira de quelques pas à reculons, puis l'invita à le suivre, gardant l'une des ses mains dans la sienne en la tirant vers lui, le cœur en vrille, un peu trop pour continuer. Alors s'échappa aussi vite de ses rêveries avec elle.

« Tu viens, Sacriponne ? Un dernier verre avec les autres avant le grand départ. »


Fin du rp:
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