Le pirate et la sirène [PV Cérène]

Pourquoi ne va-t-il pas plus souvent aux thermes quand il est à Marbrume? Tandis qu'il se débarrasse de ses vêtements, Darius se pose vraiment la question. D'abord, c'est un bain gratuit, et un bain, une fois de temps en temps, c'est sympa – surtout quand c'est gratuit. Ensuite, c'est une bonne occasion de se détendre et de passer un moment sans avoir un de ses hommes qui lui rote une chanson à l'oreille à l'auberge ou sur le navire. Finalement, il y a des bains mixtes – et ne dit-on pas que ce qui se passe aux bains mixtes, reste aux bains mixtes? (Non, on ne le dit pas, mais on devrait.)

Après avoir retiré ses vêtements et attrapé une serviette, Darius se dirige vers lesdits bains mixtes. Il est tôt, très tôt, et l'endroit est quasi désert. Le soleil n'est même pas levé, mais le pirate est en forme. Il a l'habitude d'être debout aux aurores pour prendre la mer lorsqu'il sait de source sûre qu'un convoi part de Marbrume ou du Labret. Ce jour-là, ce n'est pas le cas - le temps est mauvais pour un marin -, mais il s'est réveillé quand même sans réussir à refermer l'œil. Comme il a à faire en ville, autant en profiter pour se faire une petite matinée spa au temple – et peut-être même déposer une offrande à Rikni, au passage.

Lorsque Darius pénètre dans la section des thermes où hommes et femmes peuvent se mêler, il constate sa solitude. Dommage. Il hausse un peu les épaules pour lui-même et s'approche d'un bassin au hasard. Il dépose sa serviette et s'apprête à se glisser dans l'eau délicieusement chaude lorsque, à travers les vapeurs, il pense distinguer une autre personne, un visage connu, même. Il se redresse, le sourcil légèrement arqué, puis retire son pied du bassin. Son imagination lui joue-t-elle des tours ou cette femme qu'il croit voir là-bas est réellement Cérène, la jolie demoiselle qu'il a croisée lors d'une étrange soirée il y a quelques jours? Pour confirmer ou infirmer son hypothèse, il s'approche tranquillement, le pas nonchalant, la pudeur absolument inexistante. Un sourire étire ses lèvres lorsqu'il reconnaît la belle. Il aurait bien voulu continuer à flirter avec elle, il y a quelques soirs, mais la présence d'un milicien qui le regardait avec un peu trop d'insistance l'avait incité à faire preuve de prudence et à se barrer beaucoup trop tôt à son goût... Juste au cas où.

« Eh bien, le destin fait drôlement bien les choses, j'étais justement en train de me dire qu'il me manquait la compagnie d'une femme au nom divin et à la beauté ensorcelante, et de regretter en même temps mon départ hâtif de l'autre soir », dit-il en se rendant au bord du bassin occupé par la jeune femme, à l'opposé d'elle pour lui faire face.

Il lui offre un sourire en coin et en profite pour l'admirer. Elle semble être dans son plus simple appareil sous l'eau, ce qui est une agréable surprise... Cérène est réellement d'une beauté envoûtante, elle est sans doute l'une des plus belles femmes qu'il a croisées dans sa vie. Elle a tout pour elle : un regard irrésistible, une bouche sensuelle, un sourire charmant, une voix chaude, des formes délicieuses... Son charisme est indéniable et elle est joueuse, ce qui plaît encore plus à Darius, qui aime s'amuser, tenter d'atteindre l'inaccessible. Et comme il a bien envie de continuer ce qu'il avait entrepris l'autre soir, il se glisse dans le bassin avec elle. Vive les bains mixtes!

La chaleur des bains s’élevait en volutes, se mêlant aux murs, imprégnant la pierre de leur parfum humide. Les bains étaient habituellement vides, plongés dans un vide effrayant de brume opaque qui semblait à tout prix vouloir se remplir de vie. Parmi ce néant silencieux, Cérène est totalement dénudée et prend soin d’elle avant de débuter la journée. Venant toujours un peu avant l’aurore pour avoir le privilège de profiter du calme, et ses sommeils étant entrecoupés de cauchemars et d’insomnies depuis la Fange, il lui fallait bien trouver une occupation pour palier à cette angoisse rampante, toujours tapie dans l’ombre.
Dans la moiteur calme des bains, Cérène s'était avachie avec indolence tel un chat paresseux contre le rebord, ses doigts frôlant sa poitrine humide, sentant la chaleur étouffante irradier sous sa peau. Posant négligemment ses paupières mis closes sur le plafond. Elle réfléchissait et sa pensée se construisant, comme un édifice vertigineux, lui imposant ses évidences.

Premièrement, Oscar vieillissait. Sa démarche s’alourdissait de fatigue, ses épaules se tassaient par le poids des années, ses rides s’accentuaient en sillons, sa barbe s’épaississait de blanc. Oscar vieillissait et il s’éteindrait et son cœur s’en serra d’indignation à l’idée de le perdre. Mais même si l’idée de perdre Oscar était douloureusement insupportable. Son avenir se voyait bientôt soumis à la bonne volonté de Léandre qui n’a que faire d’elle. Elle ne faisait pas le poids face à cet héritage qu’il lui léguerait, il la chasserait car elle n’aurait le goût de l’écouter. Cela reviendrait comme se soumettre à lui, elle le contesterait en silence, d’un délicat sourire provocant. Il ne le supporterait pas.

Deuxièmement, si elle était chassée, que ferait-elle ? Un frisson d’effroi lui chatouilla la chute des reins avant de monter sinueusement jusqu’à sa nuque. Catin ? Elle grimace et sourit de cette question alors qu’elle en devine déjà la réponse. Non. Alors, pourrait-elle revenir à Kryss, la voudrait-il et l’accepterait-il ?
Et tandis qu’elle faisait ce constat, elle remarqua deux lumières qui brillaient dans sa direction au cœur de sa vision embuée. Ses iris rétrécirent brutalement, le paysage devint soudainement net et elle sembla se figer, comme un tigre pris en embuscade alors même que cela faisait un moment qu'elle ne bougeait plus.
Une voix moqueuse et rieuse qu’elle pense reconnaître. Mais ça n’est pas possible ou alors les Trois auraient un sens de l’humour très sarcastique.

Cérène abaisse son visage et s’efforce de lui sourire, comme ayant préparée sa réponse dès les premières secondes mais les mots ne sortent pas. Alors là, il est totalement nu face à elle. Des épaules charpentées, un torse droit et bien dessiné sans excès, des jambes sculptées par l’effort, des cicatrices éparpillées chaotiquement sur sa chair éveille un coup d’éclair dans son bas ventre et segmente d’un chemin électrique l’intérieur de ses cuisses. Cérène profondément intimidée et choquée de l’avoir face à elle, refuse néanmoins de détourner les yeux, sondant ceux de Darius avec provocation.

« — Tiens donc, quel hasard. Murmure-t-elle en arquant un sourcil amusé, chassant son trouble en évitant la curiosité déplacée de baisser le regard d’un cran, elle croise ses jambes sous l’eau. Moi qui me disais que le destin ne faisait pas si bien les choses... Un temps, tandis qu’elle reprend sans cesser de le fixer. Je me suis trompée »
Cérène se montre inébranlable, sûre d’elle mais le tremblement à peine perceptible qui agite la surface la trahie. Ses pupilles se fixèrent sur celles amusées de Darius comme pour y chercher un appui ou bien une sortie pour fuir à la dérobée. Elle ne trouva ni l'un, ni l'autre et se contenta de se glisser dans l'eau pour couvrir sa poitrine déjà dissimulée par sa chevelure mouillée. Et tout dans une délicate subtilité, pour qu'il ne le remarque pas.

« — Tu n’as pas peur que les femmes crient au scandale en te voyant te pavaner nu comme ça ? Et pour appuyer ses dires, elle désigne d’un geste de la tête l’entrejambe de Darius avant de se contenter d’un haussement d’épaule négligent et nerveux, l’air de dire qu’elle n’est aucunement mal à l’aise. Quel doux mensonge. La gêne s’étale et grimpe comme une plante rampante à l’intérieur de ses poumons.

Cérène ne comprend pas tout de suite, essayant de savoir où elle était exactement, puis comme l’idée gagnait en clarté dans son esprit assoupi, elle resta interdite.
Ses lèvres remuent d’elles-mêmes.

« — Ne me dis pas que nous sommes dans les bains mixtes. Misère, elle qui offre sa nudité alors qu’elle se pensait chez les femmes, heureusement qu’il n’y a que lui et pas d’autres loups affamés. Ses yeux s’écarquillent d’eux-mêmes sous la surprise avant qu’elle ne se reprenne de justesse en faisant un léger geste nonchalant du poignet, l’air de chasser cette pensée avant d’envoyer une nonchalante légère pichenette dans l’eau. Tu as donc évité une mise à mort dans ces bains. Une pause, tandis qu’un sourire lent illumine son visage. Je n’ai pas que la danse comme un talent, l’assassinat sournois en supprimant toute forme de descendance est aussi un atout.

Léger rire tandis qu’elle lui tourne le dos pour saisir une serviette.
Et trouver ainsi la première ouverture pour s’éclipser.

Cérène semble être fidèle à elle-même, du moins, fidèle à ce qu'elle a laissé entrevoir d'elle le soir où ils se sont rencontrés. Elle est moqueuse, confiante, provocante. Darius ne perçoit pas réellement sa gêne, pas pour le moment. Elle se sert bien de la carte de l'indifférence et, s'il remarque tout de même qu'elle prend la peine de se dissimuler un peu davantage, il pense simplement qu'il s'agit pour elle d'une façon de plus de jouer de ses charmes. Elle sait, après tout, très bien user de ceux-ci, et il l'a bien compris en dansant et en flirtant avec elle...

Quand la jolie demoiselle lui demande s'il ne craint pas que l'on crie au scandale en le voyant se pavaner nu et qu'elle désigne son entrejambe d'un geste de la tête, Darius rit un peu et hausse les épaules. Il n'est pas pudique, alors non. Et puis, il n'a pas fait un marathon comme ça non plus, il s'apprêtait à entrer dans les bains lorsqu'il l'a vue et a renoncé à entrer dans son bassin pour rejoindre le sien.

« Il faudrait déjà qu'il y en ait d'autres que toi ici en ce moment pour qu'elles crient au scandale », répond-il moqueusement.

Alors qu'il se glisse tranquillement, mais sûrement dans l'eau chaude du bassin, Cérène semble être frappée par une évidence divine. Cette fois, Darius rit de bon cœur. Comment a-t-elle pu se tromper de bains? Même la menace qu'elle lui fait vis-à-vis de ses talents en matière d'assassinat et d'émasculation lui tire un sourire amusé. Il n'a visiblement pas très peur et, surtout, il ne s'empêche pas de terminer de s'immerger dans l'eau face à elle. Calé jusqu'à la moitié du torse, il lâche un léger soupir de satisfaction. Mine de rien, la vie d'un pirate est exigeante physiquement et se délier ainsi les muscles dans l'eau chaude des thermes est hautement agréable.

« C'est marrant, j'ai moins envie de découvrir ce talent-là... »

Elle rit et lui tourne le dos pour saisir une serviette. Darius fronce un peu le nez. Déjà? Non, ça serait trop dommage.

« Tu pars déjà? », dit-il presque innocemment.

Il approche doucement dans le bassin, juste assez pour qu'elle ne soit plus dos à lui, mais perpendiculaire, et qu'il puisse la regarder. Quand il retrouve son visage, il s'appuie nonchalamment sur le bord du bassin d'un bras et laisse sa tête reposer contre son poing fermé. Il accrocha alors son regard au sien et lui sert un sourire enjôleur.

« Allez, reste un peu... Y'a personne ici et je vais te protéger si un mec débarque et essaie de te reluquer... Ce serait dommage de couper court à cette nouvelle rencontre que le hasard nous a si aimablement organisée, non? Ce serait insultant pour le hasard, même. Et nous sommes des gens polis. »

Son sourire se fait de plus en plus moqueur, de plus en plus charmeur. À son tour, il fait une pichenette dans l'eau, et quelques gouttes viennent rouler contre l'épaule de Cérène.

« À moins que l'idée d'être nue avec moi dans un bassin t'intimide tellement que tu te sens incapable de discuter tranquillement? », ajoute-t-il sans vraiment se douter qu'il a raison.

Il lui sert un regard provocateur et ponctue sa question d'un petit « Mh? » pour l'appuyer. Pour sa part, il est loin d'être intimidé, au contraire. Il est égal à lui-même, soit effrontément détendu. Et il semble avoir envie de reprendre là où ils ont laissé les choses la dernière fois, de poursuivre les discussions où se mêlent devinettes, provocation et séduction. La sirène mordra-t-elle à l'hameçon?

Beaucoup de choses venaient de se dérouler en très peu de temps. Remarque faite, tout s’était enchainé très rapidement. Depuis que Darius l’avait rejoint dans le bassin, il paraissait plus étroit qu'à son habitude et Cérène avait l'horrible impression d'être face à un requin ambitieux, ou du moins qui se donnait les moyens d’acquérir ce qu’il désirait, le tout avec une nonchalance ni feintée. Lorsque Darius se prit au jeu, elle déglutit lentement et avec nervosité. Si son jeu de séduction à elle crépitait, celle de « Alistair » rugissait tel un dragon, il n’était pas qu’homme de paroles et cela se sentait. En son for intérieur, elle savait qu’elle commettait une erreur. La différence était largement en la faveur de Darius et Cérène commença à trembler de manière quasi-imperceptible. Elle qui se débrouillait sur la terre ferme se retrouvait totalement démunie malgré les apparences. Tout comme les murs semblaient doucement se resserrer pour l'étouffer.
Elle se résolut néanmoins à lui tenir tête.

« — J’allais le faire, oui, partir. Répliqua-t-elle taquine, d’un haussement d’épaule nonchalant alors qu’il se déplaçait agilement vers elle, comme un prédateur marin mais suffisamment éloigné.

Tournant la tête vers lui, elle écouta sa tirade, en arquant un sourcil provocant. Faisant mine d’être touchée au plus profond de son âme, elle dépose une main exagérée sur son cœur.

— Proposition alléchante, grand prince. Mais si… Elle l’observe du coin de l’œil, posant son coude contre le rebord et pivotant dessus pour lui faire face, un demi-sourire en coin mutin, soutenant son regard. Si cet homme, c’est toi ? Elle se laisse retomber lentement, s'enfonçant agilement dans l'eau comme un serpent marin dans sa grotte. Poussant sa provocation un brin plus loin. Comment feras-tu pour me protéger de toi ? Elle le désigne d’un geste délicat du menton couplé d’un haussement de sourcil interrogateur et insolent. Elle se moque, le pique et ne s’en cache pas, concluant sa question du même « mh ? » interrogateur que le sien.

A cela, même si sa pique reste taquine, Cérène s’efforce de lui sourire en déglutissant la gêne qui lui couvre les joues. Perspicace Darius, il avait fait mouche sans même le savoir. Sa question était simple mais ô combien efficace. La réponse était évidente même si Cérène se refusait de l’admettre. D’un contrôle parfaitement inébranlable, elle sembla calme et sûre d'elle, sa main se posa juste à côté de ses lèvres, poursuivant sur le ton de la confidence et en murmurant du bout des lèvres.

« — Je pense que je peux survivre, oui. Il me semble que tu ne m’effraies pas... Elle sourit, avant de poursuivre. Du moins, pas assez pour que je me décide à prendre la fuite. Tu as parlé de destin toute à l’heure et je suis une personne polie. »

Et sur cette confidence, elle prit appui pour se trouver à un angle plus éloigné. S’il cherche à s’avancer, elle sortirait son index la surface et le secouerait négativement, large sourire insolent, histoire de lui dire de garder ses distances.
Mais tout à coup, elle poursuit à nouveau, taquine.

« — Je n’aurais jamais cru te croiser ici, Alistair.C’est étrange comment elle caresse son prénom, mais c’est plus fort qu’elle. Elle le contemple silencieusement, avant de poursuivre. Tu as décidément typiquement l’air de ces types à problèmes.

Et si cet homme, c'est toi? À son tour, Darius pose une main théâtrale sur son cœur, comme si on venait de lui révéler le tournant étonnant d'une histoire. Il offre à Cérène un sourire malicieux, satisfait quand il la voit s'enfoncer de nouveau sous l'eau. La belle a mordu à l'hameçon et, charmante et insolente, elle lui en donne maintenant pour son argent.

« Peut-être que tu as pas besoin d'être protégée de moi, peut-être que tu as rien à craindre de moi ... », répond-il d'un air illisible.

Il ajoute, cette fois en soufflant :

« Peut-être. »

Cérène continue, et il sourit avec un amusement certain quand elle lui dit qu'elle n'a pas peur et qu'elle est une personne polie. Elle s'éloigne alors et, par jeu, il tente de s'approcher de nouveau, tranquillement. Elle lui fait un petit signe de non de l'index et, comme pour montrer qu'il peut être sage, il recule avec une lenteur exagérée. Il s'installe à distance raisonnable, assez loin pour qu'elle ne se sente pas menacée, assez près pour laisser entendre qu'il pourrait se lancer dans une nouvelle tentative de rapprochement. Son sourire est comme lui : joueur. Et Cérène, avec tout ce qu'elle a de séduisant et d'espiègle, le lui rend bien. Elle caresse son prénom – son faux prénom, celui qu'il s'est donné au bal – d'un ton taquin absolument charmant. Il a l'air d'un type à problèmes, dit-elle. À cette réplique, il ne peut s'empêcher de rire un peu. Lui, un type à problèmes? La jeune femme n'a aucune idée d'à quel point elle a visé dans le mille, et c'est ce qui rend la réplique d'autant plus drôle. À qui pense-t-elle avoir à faire? À un brigand qui sévit dans tous les quartiers de Marbrume une fois le soleil couché? À un professionnel de la contrebande? À un mercenaire à la morale discutable? À un homme qui est connu pour s'acoquiner à toutes sortes de femmes? À un type qui aime juste chercher les emmerdes? Oui, elle pense à une de ces options, sans doute. Elle ignore probablement qu'il colle à chacune d'entre elles, en tout ou en partie.

« Vraiment? répond-il en arquant un sourcil. Quel jugement hâtif! Je vois pas du tout pourquoi tu pourrais croire une chose pareille... Qui te dit que je suis pas un type doux comme un agneau, un petit apothicaire, un gentil tailleur ou un brave milicien qui n'a jamais de problèmes, qui ignore même ce que c'est, une emmerde? »

Ses lèvres s'étirent en un sourire mutin. Sous l'eau, tandis qu'il est évidemment un type qui ignore ce que c'est, une emmerde, il trouve de son pied celui de Cérène et le caresse fugacement avant de le quitter. Son regard se fait doublement moqueur.

« J'ai aussi une étrange impression que tu dis ça tout en étant une femme à problèmes ou, à tout le moins, une femme qui a le don de tomber dans des situations... intéressantes. Je me trompe, Cérène? »

Il cajole exagérément son prénom de sa voix grave, l'imitant, histoire de jouer un peu.

« Mais allez, dis-moi... Quel genre de type à problèmes suis-je? Je suis curieux de t'entendre. »

Telle une pauvre damoiselle injustement agressée, Cérène lève les mains dans un geste d'innocence feinte afin de se donner une crédibilité ironique. Elle fit par doucement poser ses doigts sur le rebord derrière elle, étirant un long sourire charognard.
— Evidemment, insiste-t-elle avec une légère pointe de sarcasme, frôlant le ton scandalisé. Evidemment que tu n'es pas un homme à emmerde, que tu as tout de l’honnête tisserand. Après quelques secondes de silence, Cérène appuie sa nuque contre le rebord sans se départir de son rictus moqueur. Un honnête tisserand à emmerde, du coup. Finit-elle en se caressant le menton, mimant un soupçon de réflexion ironique. N’en témoigne ta cicatrice qui traverse ton front.

Elle sourit avec finesse en se contentant d’un léger haussement d’épaules. Elle, une femme à problèmes ? Evidemment, Cérène était enveloppée de mystère. Elle se nourrissait de cette atmosphère brumeuse et sombre qui l’entourait, s'habillant d'un passé nébuleux et inavoué. Il y avait chez elle une part dangereuse de réel secret, une zone plus noire et cachée ; à l'intérieur d’elle, oui, il y avait sûrement un monstre.
Pire encore, une sirène à l’appétit vorace et insatiable.
Sentant le pieds de Darius s’approcher du sien, elle ne bougea pas, non pas apeurée du contact mais plutôt surprise qu’il se tente à une audacieuse tentative d’approche, bien trop éphémère pour être relevée. Elle se contenta de le fixer, en arquant un sourcil ironique et provocant, l’air de dire « C’est tout ? ». Masquant sa légère gêne, elle se contenta de braquer son regard dans le sien.

— Moi ? Je ne vois pas de quoi tu parles. Sourit-elle, son regard s’allumant soudainement d’une étrange lueur. Ça m’arrive tout le temps de tomber face à des hommes nus. On appelle cela la providence. Taquine-t-elle avec ironie pour dire qu’évidemment, ce n’était pas du tout le cas.

Fermant les yeux pour profiter de la chaleur du bain, elle réfléchit à sa dernière question. Il n'a pourtant pas l'air exactement ce que l'on peut appeler un homme raisonnable et mesuré.

— Je t’entendrais approcher si tu t’y tentes à nouveau, fais attention. Murmure-t-elle, faisant résonner dans cette caresse une silencieuse et tacite menace. Tu es le genre de problème que l’on veut découvrir et que l’on regrette aussitôt une fois fait, une fois découvert. Un léger silence, puis elle rit. J’imaginerai plutôt quelque chose comme ça. Ouvrant lentement un œil, arborant un sourire en coin plein d’insolence. A moins que les aiguilles qui te permettent de tisser te fassent des cicatrices aussi visibles, comme tout honnête tisserand sans emmerdes ? Je n’en ai aucun doute, à vrai dire.

Terminant sa tirade, elle ne cherche ni à croiser son regard pour le jauger ou autre. Un léger bruit, au fond du bain, attire son attention et la fait légèrement se redresser. L'attitude dotée d'une certaine nonchalance, les bains lui permettent une économie dans les gestes, offrant une forme d'élégance et de charisme.

— Pis il paraît qu’y’a pas grand monde à c’t’heure là, on va avoir les meilleures places, ça, c’est sûr.
— Eh, moins d’bruit j’te dis, j’ai pas envie qu’on nous voie !
— Ca va, ça va ! Râle-t-il.

Roulant les yeux négligemment au ciel, Cérène tourne la tête vers Darius.

— Je peux compter sur ta discrétion ? Je t’offrirai une bière où je danse ce soir, en échange. En guise de compensation, disons.

Sans attendre ne serait-ce qu’une réponse, elle prend une profonde inspiration et s’enfonce dans l’eau. Bouchant son nez, elle regarde par de-là la surface, comptant naïvement sur sa solidarité.
Qu’il les éloigne vite, l’idée d’être vue par deux autres hommes était largement insupportable pour l’égo.
Les deux hommes, en train de s’avancer, levèrent la main en direction de Darius en lui adressant un sourire imbécile, visiblement déformé par l’alcool.

« Oh, hé ! S’écrièrent-ils en chœur avec enthousiasme, prêts à débiter les bêtises que leur dictaient les nombreuses bouteilles ingurgitées dans la soirée. On décuve, tranquille, hé ? »

Sa cicatrice. Darius sourit avec un air amusé quand elle la mentionne. La balafre ne manque jamais de faire réagir et de lui coller l'étiquettes de type à emmerdes qu'il mérite. L'ironie est qu'il s'agit de la seule cicatrice qu'il ne doit pas à un combat contre un ennemi quelconque. C'est une information qu'il se garde bien de partager. Il aime bien sa balafre faire son petit effet avant même qu'il ouvre la bouche, menacer ceux qui songent à s'en prendre à lui qu'ils ne sont pas les premiers à avoir essayé et que les autres avant eux ne sont pas parvenus à leurs fins. Ah, et accessoirement, la cicatrice lui donne un air qui plaît plutôt bien aux femmes – un avantage non négligeable.

À son tour, un sourire goguenard au coin des lèvres, Darius lève ses mains en signe d'innocence. Après avoir repris sa position initiale, il vient caresser de son pied celui de Cérène sous l'eau. Le jeu l'amuse, encore davantage lorsque la belle le provoque d'un haussement de sourcil. Il répond en arquant le sien. C'est un défi? semble-t-il dire alors qu'elle lui répond.

« La providence, bien sûr », la taquine-t-il.

Darius ne sait pas exactement quel genre de femme à problèmes Cérène est, mais il ne doute pas qu'elle cache quelques petits secrets de son côté. Il a vu l'étrange lueur illuminer son regard et elle est trop séduisante et trop provocante pour mener une petite vie tranquille.

Tu es le genre de problème que l’on veut découvrir et que l’on regrette aussitôt une fois fait, une fois découvert. Darius rit à cette réponse presque insultante, non sans s'être amusé au préalable de la menace. Lorsque Cérène ouvre un œil, un sourire insolent aux lèvres, il lui sert un air malicieux.

« Je suis un tisserand très maladroit, ricane-t-il. Mais heureusement que tu as fait de ton métier la danse et non la clairvoyance, car c'est marrant, j'ai pas l'impression qu'on regrette de me découvrir... Enfin, ça dépend qui, je vais te l'accorder. »

Il lui offre un nouveau sourire espiègle. Certaines personnes – des rivaux ou des ennemis - ont vraiment regretté d'approcher de trop près le problème qu'il est. D'autres, par contre, ne s'en sont vraiment pas plaintes...

Deux voix s'élèvent plus loin. Darius tourne la tête, tend l'oreille. Deux hommes semblent approcher et, à entendre le ton de leur voix, le pirate se doute qu'ils ont probablement passé la soirée à picoler et qu'ils ne sont pas très frais ce matin. Il repose son attention sur Cérène, qui lui lance un appel à la solidarité et entend bien ne pas être vue pas les nouveaux venus.

« Une bière? répète-t-il. Pourquoi pas, je suis curieux de te voir réellement à l'œuvre. »

Et sans plus de cérémonie, Cérène plonge sous l'eau. Darius espère qu'elle sait retenir son souffle longtemps, car il n'est pas dit que les deux types qui se dirigent maintenant vers eux vont partir rapidement, surtout vu leur état. Dans tous les cas, Darius se déplace dans le bassin, juste assez pour dissimuler discrètement Cérène d'un angle de vue visible pour les regards trop curieux. Il se donne ensuite un air taciturne afin de ne pas laisser croire aux autres qu'il a envie de discuter.

« C'est ça, répond-il aux intrus. Et j'aimerais rester tranquille, justement.

- T'entends ça? dit l'un des hommes à son compagnon. Y'en a qui ont l'alcool grognon, on dirait!

— Qui ça? demande l'autre.

— Ben lui!

— Ah, j'pensais qu'tu parlais d'moi! »

Les deux hommes éclatent d'un grand rire ivre. Darius se redresse un peu et leur jette un regard agacé.

« J'aimerais rester tranquille », répète-t-il, cette fois d'un ton beaucoup moins aimable.

Les cons se regardent et continuent à rire sans raison, chahutant sans même faire attention à Darius. Le pirate se dit qu'ils vont finir par partir d'eux-mêmes, mais que la pauvre Cérène ne pourra pas retenir son souffle jusqu'à ce qu'ils se décident à lui foutre la paix. Il réfléchit rapidement et se déplace dans le bassin pour être juste devant Cérène afin de la cacher entièrement au moment où elle sortira la tête de l'eau pour respirer. Elle aura alors droit à un gros plan sur ses fesses, mais il y a pire, non?

« En plus, avant d'entrer, j'ai vu trois femmes qui semblaient être sur le point d'aller dans les bains mixtes, mais renoncer parce qu'il y avait pas de bonne compagnie, si vous voyez ce que je veux dire. Si j'étais vous... »

Darius désigne la porte des bains, l'air de dire qu'ils feraient mieux de se dépêcher s'ils veulent avoir la chance de les rattraper et de les convaincre de rester. C'est gros, comme histoire, mais bon, ces deux-là semblent encore bien ivres et, en plus, ils ne paraissent pas être les esprits les plus brillants que le Morguestanc ait vus...

Les deux hommes ivres s’amusaient, hilares, presque sans porter attention à ce que Darius dit. Ils chahutaient en riant comme des enfants, se poussant du coude, pouffant à chaque réflexions ; deux bons gros cons. Ivres, il était plus facile de les berner, c’est pourquoi ils observèrent bouche bée Darius quand il mentionna la présence d’autres femmes.

« QUOI ?! s’esclaffa le plus ivre d’entre eux, mais tu ne pouvais pas le dire plus tôt ?
« Va, c’est par là, hé, je crois, je ne sais plus…
« Vas-tu te taire, bougre d’âne ? tu en fais du grabuge ! »

Et ils continuèrent à se lancer piques sur piques dans un brouahaha incompréhensible tout en s’éloignant, chahutant, manquant de tomber à chaque boutade.

« Ils en tenaient une sacrée couche, tu ne trouves pas ? »

Alors qu’il se tourne vers elle, il ne peut que voir Cérène accroupie face à lui, hors du bain, en train de le contempler d’une moue amusée, enveloppée dans sa serviette, la joue appuyée contre son poing, un léger sourire en coin. Elle laissa échapper un léger sifflement admirateur.

« Merci, sourit-elle avec malice, j’ai évité un moment tout à fait gênant, tu préserves mon honneur, tu as été une distraction parfaite » ri-t-elle sans se départir de son demi-sourire mutin tandis qu’elle se relève souplement en prenant appui sur ses genoux. « Comment puis-je te remercier, ô grand héro ? » Ironise-t-elle en prenant une voix faussement admirative sans pour autant écouter la contrepartie en toute bonne insolence.

Etirant ses deux bras au-dessus de sa tête, elle l’observa par le haut.

« Ma proposition tient toujours, tu sais ? Je serais à une taverne ce soir, proche du port, on l’appelle La Sirène Ecaillée, c’est plutôt ironique, tu ne trouves pas. » Faisant pianoter son index sur ses lèvres, elle le contemple silencieusement. « Mais peut-être qu’un maladroit tisserand ne se sentira pas à sa place au beau milieu de tous ces marins » Elle lui sourit avec plus de douceur, cette fois-ci « Je te laisse choisir, ne me dis rien, j’aime les surprises. » Conclut-elle tandis qu’elle lui tourne le dos, levant nonchalamment sa main en signe d’au revoir avant de se faire totalement engloutir par le brouillard de chaleur.

Le destin avait l’air ironiquement taquin, aujourd’hui.


La Sirène Ecaillée était une vieille taverne délabrée et sinistre, à l’épicentre d’un spectacle de désolation et à l’enchevétrement d’un quartier chaotique envahi par l’air marin la nuit tombée, les quelques planches en bois mal agencées laissent filtrer une lumière opaque au travers de la brume poisseuse. La ruelle où se trouvait la taverne n’était pas vraiment accueillante, encombrée d’ivrognes et de bandits en tout genre, de chats borgnes et des silhouettes qui se découpaient sur les murs telles des ombres chinoises menaçantes. L’établissement s’élevait étroitement entre deux maisons abandonnées, comme pour avertir qu’il n’y’avait aucun avenir dans ces murs. A l’intérieur, pourtant, tout était différent. Un réseau sous-terrain d’information, les échanges se faisant selon les bons-vouloirs des marins.

Mais ce n’était pas pour cela que la Sirène Ecaillée portait son nom.

Ce nom de Sirène ecaillée venait des quelques catins présentes, revêtant un aspect horrifique pouvant se montrer comme fort attrayant ou effrayant selon les dires. Cataloguées de Sirène épouvantables, la taverne avait choisi cette étrange histoire pour alimenter son mythe, afin d’attirer les plus courageux et rejeter ceux qui étaient fait d’une trop bonne morale.

Cérène était déjà à l’intérieur avec quelques membres de la troupe, même si la réputation de l’établissement n’était pas des plus glorieuses, les marins ayant peu l’habitude de côtoyer des femmes ne lésignaient pas sur la monnaie. Sans pour autant repartir avec des coquettes sommes, elle y trouvait modestement son compte.

Achevant une danse sensuelle et endiablée pour éveiller l’appétit des hommes pour qu’ils consomment l’une des sirènes à la laideur et suffisance détestable, Cérène s’était accoudée au comptoir pour un temps.

«Une chope, ça te dit, beauté ? » Propose le serveur, plus ou moins ravi de ses prestations, « je te l’offre »

Elle sourit et hoche la tête pour acquiescer, lorsqu’elle est servie, elle apporte la chope à ses lèvres et en boit plusieurs grosses lampées.

« Dis donc, c’est que tu essaies de boire comme un homme ? »

Se retournant vers la voix qui la hèle, avec des yeux qui semblaient dire qu’elle espérait mieux, un léger sourire mauvais fleurit sur ses lèvres.

« Elvire le boiteur, tiens donc, quel bon vent t’amènes ? Tu ne t’es pas encore perdu dans l’océan ? » Raille-t-elle avec taquinerie.
« Pas encore, non, navré de te décevoir. Tu as déjà fini de danser ? »

Elvire le boiteur, l’orgueil au couteau, qui sait se tenir debout quand tout s’écroule autour. L’âme fière et batailleuse, affermie par une exaspérante haute estime de soi. Un marin, oui, un sacré connard aussi à l’intransigeance invivable. Alors que son regard balaie l’assemblée, Cérène aperçoit Darius – Alistair – et lève sa choppe à son encontre pour lui dire qu’elle l’a vu, le tout accompagné d’un clin d’œil amusé.

« Qui est-ce ? Questionne Elvire, plus ou moins intrigué tandis que son regard se visse brutalement sur Darius ; semblant le reconnaître. Tu le connais ? »
« Plus ou moins », répond-t-elle d’un haussement d’épaules serein, « c’est un tisserand maladroit qui a sûrement perdu son chemin pour venir ici », sourit-elle en riant légèrement.
«Un tisserand maladroit, hein… »

Les deux intrus sont aussi cons qu'ils sont ivres et c'est sans grande surprise que Darius les voit mordre à l'hameçon et s'éloigner en chahutant. Satisfait de constater que son piètre stratagème a eu les effets escomptés, Darius pivote vers Cérène, qui a profité de la distraction pour sortir du bassin et s'enrouler dans sa serviette. Dommage, leur petit jeu l'amusait...

Après l'avoir remercié le pirate de ses prouesses, la jolie saltimbanque se relève et réitère son invitation. Darius plisse légèrement le nez à l'évocation de La Sirène Écaillée. En bon marin, il connaît l'endroit, mais il ne peut pas dire qu'il le fréquente assidûment vu la médiocrité de la bière et la laideur des catins qui y travaillent. Il devrait visiblement faire une exception ce soir-là...

« On verra bien où mes pas me mènent une fois la nuit tombée », répond-il, un sourire moqueur au coin des lèvres.

Darius suit la jeune femme des yeux tandis qu'elle s'éloigne, admirant sa démarche féline jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans le brouillard de chaleur, puis se cale de nouveau dans l'eau. Il compte bien profiter des thermes encore un peu, même si l'endroit est soudain bien moins intéressant.


Lorsqu'il passe la porte de La Sirène Écaillée, Darius balaie mécaniquement l'endroit du regard, passant en revue les personnes présentes. Il adresse un signe de tête à deux de ses gars, qui ont visiblement décidé de passer la soirée avec les catins les plus laides en ville – tous les goûts sont dans la nature –, puis salue de la même manière quelques marins de sa connaissance sans pourtant chercher à se joindre à eux. Après quelques secondes, son regard tombe finalement sur l'objet de son intérêt et de sa venue dans ce taudis : Cérène.

Chope à la main, la saltimbanque le salue d'un clin d'œil, auquel il répond d'un sourire en coin charmeur. Darius remarque ensuite Elvire, un marin qu'il a croisé à quelques reprises et qui est à peu près aussi honnête que lui – il n'est pas pirate, mais lorsqu'on lui offre une contrepartie intéressante, il est prêt à donner quelques tuyaux aux contrebandiers. Une aubaine lorsque l'on sait qu'il est particulièrement accro aux jeux de dés et qu'il a des dettes importantes.

« C'est un foutu connard, ton "tisserand", dit Elvire à Cérène tandis que Darius approche avec son habituelle nonchalance. Le genre de type qui jetterait sa mère parmi les Fangeux si ça lui profitait. »

Quelques secondes plus tard, Darius arrive à leur hauteur, salue Elvire d'un petit coup de menton sec dans sa direction, puis pose tranquillement son attention sur Cérène, laissant son regard la parcourir lentement de haut en bas avant de s'accrocher au sien.

« Je vois que t'as retrouvé tes vêtements », dit-il à son oreille tandis qu'il se penche vers le comptoir pour commander une bière.

Darius se redresse et offre un sourire espiègle à la saltimbanque avant de se saisir de la chope que le serveur lui tend.

« J'espère que t'as pas épuisé toutes tes danses pour Elvire! lance-t-il après avoir bu une gorgée. Il sait pas apprécier les bonnes choses de la vie – la preuve, sa catin préférée, c'est celle-là. »

Darius lui désigne le catin la moins séduisante du lot et ricane. Elvire se tourne pour voir qui il pointe et grimace en le traitant de malade.

« J'ai droit à une danse spéciale pour avoir agi en véritable héro plus tôt? », demande-t-il moqueusement.

A le voir aussi à l’aise et l’indice délaissé par Elvire, Cérène déjoue sans peine que Darius fait partie de l’un d’entre eux. A le voir saluer les hommes – des fréquentations mauvaises, pour sûr. Le cheminement se fait tout seul, évidemment que ça en est un, n’est-ce pas ? Un…

« Un connard, hein… » Répète-t-elle d’un sourire amusé tandis qu’elle l’observe louvoyer au travers de la foule comme un prédateur alerte, d’une nonchalance maîtrisée et des plus insolentes « J’ai failli attendre », Claque-t-elle d’une moue faussement ennuyée.

Il se penche vers elle comme un serpent avise sa proie. Mais elle ne bouge pas, visiblement peu impressionnée, sa nudité n’étant plus exposée et ne se sentant plus vulnérable, elle reprend de sa superbe et se permet même de contre-attaquer sur le même ton mâtiné d’humour langoureux.

« Toi, en revanche, tu as oublié ta couverture de tisserand dans les bains, il me semble. » Et sa tête pivote vers lui, le bout de son nez frôlant avec une farouche insolence sa barbe, son regard en biais se braquant dans le sien, ses épaules se haussent avec négligence, l’air de lui signifier que peu lui importe ce qu’il est. S’il agit ainsi, c’est sûrement parce qu’il risque gros en se dévoilant, Cérène n’est pas suffisamment invasive pour découvrir le pourquoi. « Mais ne t’en fais pas, ton secret est bien gardé avec moi. » Et avec une espièglerie charmante, elle reprend « Finalement, la clairvoyance me va bien, tu es bien un type à emmerde qui n’a rien d’honnête. »

Et il se redresse et elle se sent respirer à nouveau, elle avise Elvire d’un air mutin tandis qu’elle pivote pour voir la catin hideuse désignée par Darius. Elle rit de bon cœur et se mord la lèvre pour ne pas laisser l’explosion de son rire se répandre autour d’elle, peignant ses joues d’un léger ton rougi ; le regard mauvais, faussement vexé d’Elvire jongle entre les deux. Il murmure un « C’que vous êtes cons, putain, c’est pas croyable »

« Tu ne me l’avais pas dit ça, Elvire ! » S’amuse-t-elle et ce dernier maugrée dans sa barbe, Cérène prend un air faussement sévère et son attention se reporte sur Darius « Tu vois, tu l’as vexé, c’est malin. » Elle penche subtilement la tête sur le côté, son sourcil s’arque lentement tandis qu’elle le balaie de haut en bas, tout comme il l’a fait plus tôt. « Une danse spéciale ? C’est que tu perds pas le nord, Tisserand. » Elle se décolle du comptoir avec nonchalance et s’approche de lui en le fixant attentivement. Elle désigne l’étage d’un léger mouvement de la tempe « C’est en haut, mais, tu en auras pour ton argent. » Affirme-t-elle d’un sourire des plus charognards, bluffant un maximum pour le taquiner, il n’est pas censé savoir qu’elle lui ment.

Elle le contourne lentement avant de se positionner face à lui.

« Sinon, tu peux danser ici, avec moi. » Poursuit-elle doucement « Encore faut-il tenir le rythme, je te laisse choisir grand prince » une légère pause, tandis qu’elle reprend « Mais je ne te ménagerai pas. » Appuie-t-elle, elle est maîtresse de son art et sait particulièrement malmener le plus rustre qui s’amuse sur ce terrain là avec elle.

« C'est toi qui as proposé le tisserand, je te signale. Moi, j'ai suggéré un petit apothicaire, un gentil tailleur ou un brave milicien... »

Darius hausse les épaules avec nonchalance, l'expression amusée. Est-il un type à emmerdes qui n'a rien d'honnête? Se joue-t-il d'elle? Il ne dévoilera rien. Après tout, il pourrait bien être un simple marin comme la plupart des hommes qui se trouvent dans cette taverne. Ils sont loin d'être tous honnêtes... mais cela ne fait pas d'eux des pirates ou des contrebandiers de premier ordre pour autant. Darius laisse l'imagination de Cérène la travailler; il n'a aucun doute qu'elle en a à revendre.

Darius ricane devant la réaction d'Elvire, à qui il tapote amicalement l'omoplate. Le pirate pivote ensuite vers Cérène et lui sert un air innocent qui ne bernerait sans doute pas la plus naïve des jeunes femmes. Elvire n'est pas réellement vexé et, s'il l'était, ce serait sans importance. Darius n'est pas venu pour flatter l'ego de ses camarades marins, non. S'il se mêle à ses pairs, ce soir-là, c'est uniquement parce qu'il y a une splendide sirène parmi eux.

À la mention d'une danse spéciale, Cérène désigne l'étage, ce qui ne manque pas de faire lever un sourcil à Darius. Il n'est pas dupe, il commence à comprendre que la saltimbanque aime jouer d'abord et avant tout, et qu'elle ne compte pas réaliser la vision qu'elle a inévitablement fait naître dans son esprit grâce à ses sous-entendus. Elle est maline, il l'a bien vu aux thermes. Il la sent capable de lui faire miroiter de doux instants avec elle uniquement pour lui envoyer l'horrible catin dont il s'est moqué à peine quelques minutes plus tôt. La perspective ne manque pas de lui tirer un frisson d'horreur. Merci, mais non merci...

Le regard luisant, Darius prend lentement une gorgée de sa bière en écoutant la suite du manège de la saltimbanque. Il ne se retient pas de rire lorsqu'elle évoque l'idée de danser avec lui.

« Tu sais bien que je préférerais une danse privée, mais c'est trop louche venant d'une demoiselle futée comme toi, lance-t-il moqueusement. Tu dis que je suis un type à emmerdes, mais pour avoir des emmerdes, il faut bien que quelqu'un d'autre les apporte... J'ai l'impression que, ce soir, ce quelqu'un... c'est toi. »

Le pirate offre un sourire carnassier à la saltimbanque et s'appuie confortablement dos au comptoir en la regardant.

« Quant à danser avec toi ici... J'ai pas assez bu pour penser que je peux tenir le rythme d'une saltimbanque. »

Darius boit une nouvelle gorgée, puis sert un regard charmeur à Cérène.

« Danse pour moi, plutôt... Tu aimes jouer, alors jouons. Je suis un pauvre mari perdu en mer, dans une tempête terrible, lorsque soudain, à l'horizon... je vois une créature mythique et enchanteresse qui tente de m'attirer dans ses filets dans une danse gracieuse et hypnotique. »

Darius la désigne d'un geste de la main, effleurant brièvement sa taille du dos de ses doigts.

« Allez, tu peux le dire que je suis un metteur en scène incroyable et que c'est le succès assuré, cette idée. »