[Défi] Chapitre 2 Une expédition pour le Renouveau [Alexandre De Terresang]

17 Septembre 1166
Quelque part à proximité d’Usson

A la surprise générale, j’avais plutôt bien supporté le voyage jusqu’au Labret. Les marins, qui m’avaient vu vomir pendant les quelques heures du trajet aller, étaient les plus surpris.
Il faut dire que suite aux évènements qui c’étaient déroulés dans l’avant-poste, j’étais un peu à cran. En effet, si la mission principale était une réussite, cela ne s’était pas fait sans mal.
Pour résumer, lors de la première traversée, nous avions essuyé une grosse tempête qui avait bien abimé le navire et causé quelques pertes.
Arrivés sur place, nous avions pu nous établir dans une sorte de baraquement pour y poser un quartier général. Avec les artisans, j’avais fabriqué des portes et volets mobiles afin de rendre la bâtisse plus sûre. Il c’était cependant avéré que nous n’étions pas seuls dans le bâtiment. Le Vicomte, accompagné d’un garde royal, étaient tombés nez-à-nez avec un groupe de survivants. S’agissant de bannis et Alexandre opérant pour le Roi, une bataille en avait découlée.

Tous les ennemis du Roi avaient péris et nous ne comptions aucun mort dans nos rangs…Pour le moment.
En effet, le Noble avait subi plusieurs méchantes attaques et était maintenant dans un état critique. Nous avions donc été contraints de rembarquer pour mener le navire en réparation et, surtout, trouver un soigneur pour De Terresang.
Pour ne pas perdre notre avancée, il avait été convenu de laisser sur place le Comte de Rougelac ainsi que quelques hommes.

Nous avions accostés aux environs de midi et, alors que le Capitaine travaillait à trouver du personnel pour réparer son bateau, nous trimballions le Noble en direction d’Usson. Il se trouvait enroulé dans la toile de ma brouette, ficelé sur cette dernière et je le poussais, escorté par le garde Royal et un milicien.

Aller Mon Seigneur, on ne dort pas ! Nous arrivons à Usson !

Spoiler:

J’alpaguais alors le garde.

Toi, pars en avant pour trouver un soigneur, qu’il se tienne près à notre arrivée !

Je fus encore une fois surpris de voir que le soldat m’obéit et parte en courant devant nous. En d’autres circonstances, je n’aurais jamais osé m’adresser ainsi à un soldat du Roi.
Je demandais au milicien de m’aider à pousser, afin d’arriver au plus vite. Malgré les pansements de fortune, ma toile prenait une inquiétante teinte pourpre par endroits.

Pour la première fois depuis quatre jours, le ciel s'annonçait clément. La tempête du 13 septembre avait causé des dégâts au Labret. Des chaumières s'étaient écroulées, faute d'entretien adéquat, poussant les occupants, parfois blessés, à trouver un refuge en toute hâte pour ne pas servir de repas à la Fange. Des granges avaient subit d'importants dommages, exposant les bêtes et les provisions à la colère des éléments. Plus grave, les champs de céréales avaient été abîmés par les vents et la pluie, et il faudrait que les paysans se hâtent de ramasser les épis avant qu'ils ne pourrissent au sol. La terre, gorgée d'eau, peinait à absorber les dernières gouttes de pluie. On pataugeait dans la boue et les flaques d'eau.

Trois longues journées et trois longues nuits passées à prier dans le silence le plus total, afin de ne pas attirer un fangeux. Mathilde et ses gars s'étaient retirés dans le grenier de la chaumière, qui avait tenu bon, tout comme les autres bâtiments. La fermière était certaine que la solidité des granges et de la maison avait été garanties par le travail de Philippe, fils de charpentier reconverti en paysan, qui avait mené les petits travaux tout l'été durant. Au quatrième jour, ils s'étaient risqués en bas pour allumer un feu et chasser l'humidité ambiante de la maisonnée. Et pour faire une soupe, premier repas chaud. Puis, un à un, les gars étaient sortis. Sans jamais s'éloigner à plus de quelques enjambées de la maison, ils avaient fait le tour de la propriété pour constater les dégâts qui, finalement, se limitaient à quelques arbres brisés par le vent, une chute de pommes et de poires dans le verger et des poules ayant décidé de réduire leur ponte, à cause de la nervosité.

Mathilde décida que pendant que les gars veillaient à ramasser les fruits tombés et récolter les oeufs, elle s'en irait ventre à terre à Usson pour aller se mettre au fait des nouvelles et voir si elle pouvait échanger des services avec d'autres paysans. Elle reviendrait sans doute avec Arthur. C'est sur le dos de Marguerite qu'elle s'en alla, armée, vers la petite ville, à quelques minutes à peine de sa ferme.


Midi est passé un moment déjà. Arthur se prépare à partir avec Mathilde. Tous deux savent qu'il y a du travail aux champs, même si la plupart des cultures encore en terre ont probablement tenu le choc et ne craignent désormais que les gelées. Les fruits du verger, eux, vont demander un travail considérable de nettoyage et de transformation rapide pour éviter de les perdre. Alors qu'elle se dirige vers les écuries pour y récupérer sa jument, la fermière voit un énième convoi arriver. Un blessé dans une brouette, un autre. Ils sont plusieurs à affluer vers le Temple depuis le début de la journée, afin d'y recevoir des soins. Même Hugo, le soigneur, s'y trouve, afin de concentrer les compétences en un même endroit. Mais Mathilde ne peut s'empêcher de hausser un sourcil lorsqu'un garde royal s'arrête à sa hauteur, essoufflé.

- Un soigneur, c'est urgent!
- Au Temple, ils sont tous là-bas... Un instant... Vous êtes... Sa phrase se termina en un juron, alors qu'elle se précipitait sur le chemin, à la rencontre du blessé. Un garde royal n'avait rien à faire là, à moins qu'il n'escorte une personne réellement importante. Et cette personne importante, à laquelle on avait confié des gardes royaux, ne pouvait qu'être de Terresang, parti il y a peu vers Ventfroid. Alors qu'elle parcourait la distance qui la séparait de ce qui s'annonçait comme une horrible nouvelle, Mathilde se surprit à prier les Trois pour qu'il ne s'agisse que d'un autre garde.

- Hey! Qui emmenez-vous? lance-t-elle avant même d'être à une distance respectable pour parler sur un ton normal. Est-ce que c'est grave? Les Trois fassent que non, les Trois fassent que non... Le coeur battant, Mathilde ralentit maintenant sa foulée pour s'approcher de la brouette, et pose son regard sur la toile, teintée de sang, et le visage du blessé. Putain de bordel de merde. Qu'est-ce qui s'est passé? Sa voix se brise, mais miraculeusement, ses jambes continuent de la porter alors qu'intérieurement, elle s'effondre déjà. Qui êtes-vous?

Alexandre s'était évanoui avec un petit sourire, il sentait la vie quitter son corps mais il avait combattu tel le guerrier qu'il avait toujours été … ce fut néanmoins un choc, il pensait que ses réflexes étaient toujours présents malgré l'âge mais il s'était vite rendu compte qu'il n'était qu'un vieil homme qui jouait au guerrier, maîtriser cinq adversaires à lui seul avait été un exploit pour sa pomme mais pouvait-il encore finir un combat sans devoir mettre en danger ses camarades ? Il sentait qu'on le transportait, une vive douleur à l'épaule gauche, une autre à la jambe du même côté … à croire que l'on s'acharnait pour faire d'Alexandre une pièce de deux faces. Le côté droit de son corps était intact alors qu'il pouvait à peine utiliser sa jambe et son bras gauche mais qu'importe.

Il ouvrit alors les yeux et c'est une lumière vive qui l'aveugle presque aussitôt … bon sang, où se trouvait-il ? Il tourna en rond pendant presque cinq minutes ce qui lui paru une éternité et un homme apparu enfin.

Vêtu tout de blanc, l'emplacement du coeur était ensanglanté, sa fine barbe était poivre et sel, son expression était sévère : une chevelure surmonté d'une tonsure au sommet du crâne, des yeux verts revolvers et plusieurs cicatrices sur le visage.

"P...père ?"
"Surpris de me voir, mon fils ?"

Il regarda alors autour de lui

"Un peu… c'est un rêve n'est ce pas ?"
"Qu'est ce qu'un rêve mis à part le réceptacle de la réalité ?"

Alexandre regarda alors sa main gauche qui n'était qu'une prothèse en réalité, il haussa un sourcil.

"Je suis mort , c'est ça ?"
"Pas encore, mon fils." Dit-il en prenant la main prothétique du seigneur de Terresang, celle-ci disparut dans une fumée blanchâtre pour laisser place à une main.

Alexandre recula alors, qu'est ce que c'était que cette sorcellerie si il n'était pas mort ? Il bougea les doigts disparus depuis presque un an et regarda d'un oeil averti l'homme face à lui.

"Où suis-je ?"
"Chez toi, mon fils."

Dit- il alors qu'une vaste forêt enneigée fit son apparition, aux pieds des deux hommes se trouvaient de larges plaques de marbres. Il regarda les noms et il avala difficilement sa salive.

"Les victimes de tes mauvaises décisions mon fils."

Alexandre s'agenouilla alors au devant d'une première plaque qu'il frotta de sa main droite, le nom apparu de sous la couche blanche, sa gorge se serra.

"Alice, ta chère Alice. Elle est morte par ta faute parce que tu n'as pas cru à la menace Fangeuse. Elle est morte avec les Sarosse alors que tu savais le conflit qui les opposait au Duc mais tu l'as quand même envoyé à la mort…

Alexandre sentit les larmes monter, oui, il savait que c'était sa faute. Il avait quitté sa femme pendant qu'il menait les dernières évacuations de ses terres… il observa le second nom … la lavandière…

La mère de ton fils, ton batard. Elle est morte parce que tu as voulu protéger ton aîné mais tu te fichais bien d'elle !"

Alexandre se releva alors , il sentit une larme perler sur sa joue … oui, cette pauvre Hélène … il avait fait en sorte de protéger Joris mais elle … elle n'était jamais réapparu, Alexandre avait toujours soupçonné sa belle famille.

"Ta seconde femme … t-t-t-t, la répudiation puis l'exil, et pourquoi ? Parce que monsieur n'a pas supporté que sa femme forcée ait une aventure, monsieur a été obligé de faire une scène et maintenant ? Elle est sûrement une créature."

Le Vicomte ferma les yeux puis sentit une vive douleur à la poitrine, cela lui arracha un hoquet de douleur … puis un autre … il tomba au sol..

"Qu…"
"Ton corps lutte, mon fils. Ton esprit ne veut pas rejoindre Anür."

Alexandre tenta de se relever et tomba sur une autre plaque de marbre… Adélaïde … cette fois les larmes ne se retenaient plus. Ses joues en étaient inondées.

"Ton amante, ta tentation et pourtant elle est morte. Par ta faute, elle est morte parce que tu as décidé de la vendre … et dire que tu ne voulais pas me ressembler."

Le Seigneur tapa du poing sur la plaque mortuaire, il détourna les yeux puis reporta son regard sur la gauche. Il se leva alors essuyant ses yeux… un nouveau coup dans le torse, il tenta d'encaisser mais fut mis à genoux rapidement.

"Je te ne v… vois pas Père !"

Victor apparu alors juste à côté de son fils, lui mit une main à l'épaule et se mit à rire.

"Me tuer à été la meilleure décision de ta vie, cher fils… c'est là que tu as prouvé que tu étais pire que moi, HAHAHAHA."

Alexandre tomba alors une nouvelle fois dans les pommes sous les rires de son patriarche.

***
Le soigneur du temple, du nom de Raoul, apparu alors dans sa tunique blanche tachée, il était l'assistant du prêtre local et ils avaient encore fort à faire à cause de cette maudite tempête, il sortie donc du petit temple d'Usson et fit signe à l'escorte du blessé de l'apporter dans le hall du temple … comme l'avait dit la fermière le terrain était boueux depuis trois jours et il n'était pas encore sain de laisser des blessures ainsi mais le temple était bondé et il n'y avait que l'entrée qui était épargnée.

"Bon sang.." Il prit la petite dague qui pendait à sa ceinture et découpa la toile alors qu on s'activait autour de lui.

"délogez-le de la brouette." Dit-il à l'attention de deux grands costauds qui passaient par là pendant que la fermière et les amis du blessés déblateraient.

Le soigneur examina alors les blessures de l'homme, il le tourna avec l'aide d'un des gaillards … les bandages avaient été fait a la va-vite mais c'était ce qu'il l'avait sauvé… il voyait une large plaie à l'épaule et sa jambe avait également été amoché… un combat assurément évidemment, c'était Terresang qu'il avait comme patient, un guerrier, c'était donc des blessures normales.

"Vos bandages lui ont sauvé la vie, je vais m'en occuper vous devriez partir, je vous enverrai quelqu'un pour vous prévenir de son état."

Alors que je poussais la brouette chargée du Vicomte, une jeune-femme arriva en courrant, l’air affolée. Je ne comprenais pas ce qu’elle criait mais je me doutais bien qu’elle s’inquiétait de l’état de mon chargement. Elle nous rejoins rapidement et, essoufflée, enchaîne les questions.

C’est le Vicomte De Terresang ! Il y a eu un problème à Ventfroid ! Conduis-nous à un soigneur, vite !

Je n’ai pas pour habitude d’ordonner quoi que ce soit à quiconque, mais cela semble avoir changé depuis que le noble est hors-course.
Alors que nous nous dirigions vers le temple, je répondis du mieux possible à la femme. Il faut dire que ma brouette est fichtrement lourde. En effet, sous les fesses d’Alexandre se trouve tout mon matériel. Dans l’urgence et la précipitation, je n’avais rien retiré, ce qui se traduirait sans doute par un mal de dos chez le noble. Cela dit, s’il en venait à n’avoir plus que mal au dos, sans doute ne me tiendrait-il pas rigueur de ne pas avoir veillé à son confort.

Nous sommes tombé sur des bannis à Ventfroid, De Terresang à sacrément prit, nous arrivons par la mer, j’ai fais aussi vite que possible.

Nous arrivâmes rapidement devant le soigneur, déjà bien aux prises avec des blessés dus à la tempête que nous avions essuyé plus tôt le matin.
Nous détachâmes Alexandre et le sortîmes de la brouette, le garde royale et moi, et à peine fut-il au sol que le soigneur découpait ma toile pour ausculter les blessures.
Je jetais un œil au tissu, irrécupérable. Il était plein de sang et maintenant réduit à l’état de lambeaux.
Le premier pronostique me parut encourageant. Notre rapidité avait sauvé la vie du noble, restait à le réparer.

Nous quittâmes le temple et notre petite troupe se regroupa, sans trop savoir quoi faire, sur la place, sous un arbre. J’étais complètement épuisé et me laissa aller contre ma brouette qui émit un bruit de ferraille.
J’avisais la jeune-femme, toujours là.

Pardon, je suis Erwan, forgeron de Marbrume. J’ai été recruté par De Terresang comme ingénieur pour son expédition.

Je fermais les yeux.

Il ne nous reste plus qu’à attendre.

Je me sentais doucement glisser, à quelques encablures du sommeil. J’espérais que le capitaine pouvait se débrouiller pour le navire, je n’avais plus la force de courir de gauche à droite pour trouver un charpentier.

- Venez!

Malgré la panique qui l'envahit, Mathilde écoute l'homme à la brouette en le guidant vers le Temple d'Usson. Il lui apprend que de Terresang et son équipe sont tombés sur des bannis à Ventfroid et que le Vicomte a pris cher. Comment pourrait-il en être autrement, quand on connait sa tendance à sauter dans la mêlée dès que l'occasion se présente? L'homme est arrivée par la mer, juste après la tempête qui ne les a pas trop ralentis.

Arrivés devant le temple, c'est Raoul, l'un des aides des prêtres, qui prend Alexandre en charge sous les yeux dépités de Mathilde qui se penche malgré tout sur lui pour lui murmurer : Rappelle-toi ce que je t'ai dit, vieux grigou, j'irai te chercher jusqu'auprès d'Anür, alors démerde-toi pour ne pas mourir. La fermière se redresse et croise le regard dubitatif du soigneur. Quoi?! lui lance-t-elle, sans se rendre compte qu'elle offre le spectacle d'une gueuse s'adressant de la pire des façons à un seigneur. Une larme, la seule qui finit par franchir la barrière de ses cils, coule le long de sa joue, reste en suspend contre sa mâchoire pour finalement tomber et s'écraser sur le crâne lisse du blessé qui est sorti de la brouette.

Vous devriez partir. Devant la consigne de l'aide-soigneur, Mathilde déglutit. Elle ne peut pas le suivre. Elle ne peut pas aider -que ferait-elle, elle qui ne sait pas soigner?-. Elle ne peut même pas lui tenir la main pendant qu'ils le soigneront, ni lui lancer les pires menaces juste pour le tenir en vie. Malgré les mots encourageants de Raoul, Mathilde se sent immensément vide. Son ami, à qui elle doit tant, est dans un sale état et il se peut très bien que cette fois, il ne survive pas à ses blessures.

Finalement, un garde la repousse gentiment pour l'inviter à s'éloigner avec les autres. Elle obéit, elle ne peut faire que ça. Par chance, l'homme à la brouette ne va pas bien loin, et elle s'arrête avec lui, sur la place, sous un arbre, l'air un peu hagard. Je lui avait dit que c'était pas une bonne idée, mais comme d'habitude il n'en fait qu'à sa tête. Mathilde soupire plutôt bruyamment. L'homme, lui, se laisse aller contre sa brouette, dont sortent des cliquetis indiquant que le Vicomte n'était pas sur un matelas confortable. Je suis Erwan. La fermière hoche de la tête. Mathilde Dumas. Je suis fermière, je travaille avec l'Ordre et donc avec de Terresang. Il a pas eu la brillante idée de prendre un soigneur avec lui hein? Elle lève les yeux au ciel. Crétin. Attends de voir la scène, quand tu vas te réveiller!

Erwan s'affaisse contre sa brouette. Mathilde fronce les sourcils et s'approche pour l'examiner du regard. Il ne semble pas être blessé. Il n'aurait pas pu pousser une brouette aussi chargée depuis le port s'il n'avait pas été en pleine possession de ses moyens. Vous préférez pas une paillasse confortable? Vous devez être épuisé. Je vais vous chercher de quoi boire et un truc à grignoter. Bougez pas, d'accord?

Mathilde n'attend pas la réponse, persuadée que le forgeron n'aura pas la force de se relever pour disparaître avec sa brouette. A grandes enjambées, elle traverse la place pour entrer dans l'auberge, d'où elle ressort quelques minutes plus tard avec une gourde d'eau fraîche et quelques biscuits que l'on vend aux voyageurs de passage, afin de leur donner un peu d'énergie. Mathilde se penche vers Erwan pour lui tendre ses trouvailles. Tenez. Il y a des lits de disponibles à l'auberge, j'ai demandé. Je peux vous aider à vous y rendre si vous voulez.

La femme semble connaître le Vicomte. A vrai dire et, ayant rapidement appris à faire avec les excentricités étonnantes du noble, que cette femme sans doute du peuple le connaisse ne m'étonnait guère.
Cela étant, je n'était pas franchement en état de vraiment y réfléchir. Alors que je suis nonchalamment étalé contre ma brouette, à l'ombre de l'arbre, la jeune-femme explique qu'elle avait prévenu De Terresang que l’expédition était une mauvaise idée. Alors que j'avais fermé les yeux, je me forçais à les rouvrir lorsqu'elle se présenta. Elle travaillait donc avec le noble, faisant partie de sa confrérie.

Salut à toi Mathilde.

Et je ne pus retenir un sourire entendu lorsqu'elle demanda la confirmation qu'Alexandre n'avait pas convié de soigneur.
Je relève la tête vers Mathilde, lui offrant ce rire contrit.

Pourquoi aurait-il eu besoin d'un soigneur? Après tout, il avait un forgeron avec une brouette.

Elle me jette un regard interrogateur alors que je suis littéralement vautré. Après une courte réflexion, elle me demande si je ne préfère pas une vraie paillasse. Elle enchaîne en proposer quelque chose à boire et à manger, m'enjoignant de ne pas bouger. Je laisse échapper un petit rire alors qu'elle trottine déjà.

Je ne risque pas de partir en courant non!

Je laisse aller ma tête contre la brouette, sentant rapidement la somnolence revenir à la charge. Mis à part l'estomac ayant mal vécu le voyage en mer et la panique durant la bataille, je vais bien. J'en suis heureux, mais j'en suis éreinté.
Je ressens un léger fourmillement, signe du sommeil qui me gagne lorsque j'entends Mathilde me parler de nouveau. Je sursaute et ouvre brusquement les yeux. Je tends les mains pour prendre ce qu'elle me tend. Je pose un biscuit sur ma cuisse, bois une gorgée d'eau avant de passer la gourde et le reste de la nourriture aux autres. Pendant ce temps, elle m'annonce que l'auberge peut nous accueillir et qu'elle peut nous aider à y aller. Je lève une main vers elle, le biscuit dans l'autre.

S'il te plais, arrête de me vouvoyer. Je ne suis que forgeron.

J'interroge ensuite mes compagnons, souhaitent-ils aller à l'auberge? Le soldat royal dit que non, qu'il va resté ici jusqu'à avoir des nouvelles du vicomte. Les deux autres n'osent pas faire différemment. Je me relève alors et m'adresse au soldat royal.

Moi, je vais profiter d'un bon lit à l'auberge, venez me prévenir dès que vous aurez du nouveau. Mathilde, je te suis.

Je relève ma brouette péniblement et emboîte le pas de la femme. Je suis encore surpris de cette sorte de pouvoir de décision que j'ai depuis qu'Alexandre est hors course. Ce serait pourtant le soldat qui devrait donner des ordres, n'étant moi-même qu'un homme du peuple. Je gardais pour moi cette petite satisfaction.
Nous arrivâmes à l'auberge, ma brouette pesant lourdement sur mes bras.
Je confis cette dernière au tavernier, emportant seulement les affaires qu'elle contient. Contraint de demander de l'aide à Mathilde pour porter tout cela jusqu'à ma chambre. Je suis en nage, sale, des tâches de sang sur la chemise et le pantalon, mon bazar sur le sol. Je constate que ma chemise est par ailleurs déchirée. Je pousse un soupir et la retire avant de la jeter au sol et de m’asseoir sur le lit.

Merci pour ta sollicitude Mathilde.

Pourquoi aurait-il eu besoin d'un soigneur? Après tout, il avait un forgeron avec une brouette. La réplique, qui aurait pu être hilarante si de Terresang était rentré sur ses deux pieds, l'avait faite grincer des dents. De Terresang, son ami, son voisin, son bienfaiteur était quasiment mort, et l'homme trouvait le moyen d'en rire. C'était à cet instant précis que Mathilde avait décrété que le forgeron était un petit con. Au moins autant que le Vicomte. Ces deux-là, de l'avis de la fermière, s'étaient bien trouvés... mais ça ne l'avait pas empêchée de parer au plus presser et d'aider l'homme à se remettre vaguement sur pieds, aux frais du Vicomte, fallait-il le préciser.

S'il te plais, arrête de me vouvoyer. Je ne suis que forgeron. C'est de la politesse élémentaire, mais Mathilde ne dit rien. Elle se contentera de continuer de le vouvoyer. Après tout, ils n'ont pas gardé les cochons ensemble. Erwan s'adresse aux autres gardes qui l'accompagnent. Ceux-ci resteront sur la place, en attendant les nouvelles. Mathilde lance un regard désespéré au garde royal, qui se contente de hocher de la tête. Il a peut-être compris qu'elle est folle d'inquiétude et qu'elle espère qu'il vienne la chercher. Peut-être pas.

Lors que le forgeron se relève, Mathilde murmure un C'est par ici presque éteint. Elle tourne les talons et jette un dernier regard vers le temple, où la vie d'Alexandre est tenue par les talents des soigneurs qui s'y trouvent. Bon sang... et s'il ne se réveillait pas? Mathilde secoue la tête pour chasser cette idée stupide. Bien sûr qu'il se réveillera, c'est Alexandre, un petit con de noble trop vieux que pour sauter dans la mêlée, mais pas assez vieux que pour avoir la sagesse de se retenir. Il a été mis hors service plusieurs fois, et il est toujours revenu en première ligne. Une larme coule sur la joue de la fermière, mais elle l'essuie du revers de la main avant d'arriver à l'auberge où Erwan se déleste de sa brouette... mais pas de ce qu'elle contient. C'est par conséquent une femme aux bras chargés qui monte les escaliers menant aux chambres à la suite d'un forgeron épuisé.

Mathilde repousse la porte d'un coup de hanches et entre dans la petite chambre pour y déposer les effets d'Erwan sur une petite table. La chambre est petite, rudimentaire. Un lit, une table, une chaise et un coffre. La literie parait relativement confortable, c'est sans doute le seul atout de l'auberge. Ça et les repas préparés avec les aliments frais des fermes des alentours.

Lorsque Mathilde se retourne, après s'est assurée que rien ne tomberait de la table, elle se retrouve face à un forgeron à demi nu, assis sur son lit. Elle reste un instant immobile, interdite.

- ...

Mais qu'ont donc les hommes à se déshabiller avec autant de désinvolture? Mathilde a viré au pivoine et cherche un point quelconque à fixer dans la chambre. N'importe où sauf le forgeron. Je... avec plaisir. Je vais vous laisser vous reposer, et je vais retourner sur la place pour guetter le soigneur. Je vous averti s'il y a du nouveau. Elle ne l'a pas regardé une demi seconde, horriblement gênée par la situation incongrue. Elle recule et finit par buter contre la porte dont elle saisit la poignée. Je vais demander à Sophie de vous apporter de quoi faire votre toilette. Oh, c'est le Vicomte qui offre alors abusez pas trop sur les repas, d'accord, sinon il va m'en vouloir. Enfin ça, c'est à condition qu'il se réveille.

Mathilde fait pivoter la poignée, ouvre la porte et se faufile dans le couloir. Ce n'est qu'une fois dehors, après avoir parlé à Sophie, la fille de l'aubergiste, qu'elle pousse un grand soupire de soulagement. Le rouge, qui lui était monté aux joues, s'estompe doucement. Immédiatement, le regard de la fermière se porte sur le temple, où rien ne bouge. Elle sent une immense angoisse monter en elle. Et s'il ne se relevait pas, cette fois? Elle traverse la place à pas lents, et rejoint les gardes qui patientent toujours. Le forgeron avait l'air exténué, elle n'a pas osé lui poser les mille questions qui lui traversaient l'esprit. Les gardes, eux, semblent un peu moins épuisés. Peut-être auront-ils des réponses pour elle, en attendant que le soigneur sorte pour les rassurer.

De violents coups se faisaient ressentir dans la poitrine d'Alexandre, il semblait être replongé dans cette demie-réalité que lui faisait voir son subconscient … ce n'était pas réel, non, cela ne l'était pas ! Il n'était pas dans les limbes ! Il n'était pas entrain de mourir !

 « Mon pauvre Alexandre, tu es si crédule. »

La silhouette lévitante de feu le père de Terresang revenait vers lui, ils se trouvaient désormais dans une grande salle aux pierres grises, richement décorée, les tables avaient été dressées, les bancs mis … le seigneur regardait les murs, il se souvenait de cette période… c'était lorsque les Frayer avaient juré fidélité aux Terresang après que cet enculé de Victor de Terresang qui était ici présent ne monte ces derniers contre le fiston pour qu'ils le tue … fort heureusement, Alexandre avait réussi à déjouer cette attaque et avait ordonné que la fille aînée, Alice de Frayer, soit donnée en tribut pour leurs fautes, ce qu'ils acceptèrent évidemment.

Alexandre se trouvait alors à la porte avec son défunt père, ils voyaient tout deux le jeune gamin de vingt piges devenu un véritable seigneur, un guerrier de renom assis à l'extrémité de la table en compagnie des grands noms du Vicomté et à ses côtés … la jeune Alice avec sa sœur, Adélaïde, qui ne semblait pas aimer le fait que son nouveau mari picole jusqu'à plus soif tout en chantant une ou deux chansons paillardes, le vieil Alexandre regarda cette scène avec une mine désapprobatrice quand il voyait l'expression de dégoût d'Alice, il se disait que cela avait été finalement lui le problème… bon sang …

 « Oh, tu t'es amélioré avec le temps, une ou deux catins de temps en temps, une lavandière par là … la belle sœur d'à peine la moitié de ton âge juste pour s'amuser mais … elle n'a jamais voulu de cette vie. Tu lui as ruiné sa jeunesse pour des fautes que son père avait commis. »

 « C'est faux ! C'est toi qui leur a fait commettre cet attentat ! Cette vile attaque ! Je n'ai fais que récupérer mon dû ! Mon pouvoir ! »

 « Hahaha ! »

L'ancien vicomte tapa de sa paume dans le torse du Brûlé et ce dernier se mit à terre, un genou au sol, il sentait une vive douleur dans sa jambe …

 « Ton corps lutte, le soigneur est arrivé à temps, on dirait. »

Il se baissa alors à la hauteur d'Alexandre et continua sur un ton calme.

 « C'est moi qui a payé le vieil Aaron, c'est vrai mais ce n'est pas moi qui a façonné ta personnalité, je n'ai pas pu. Tout ce que tu as fait est de ton fait, mon cher Alexandre, je n'ai rien fait, je n'ai pas pu le faire. »

Il lui adressa une nouvelle fois une petite tape sur son épaule, le manchot sentit une vive douleur dans celle-ci, une larme coula sur sa joue … il n'en pouvait plus de cette vie, de cette douleur … dès sa naissance, les dieux avaient décidé que le guerrier qu'il était serait destiné à souffrir mais allait-il avoir une longue vie ? Pourquoi ne pas en avoir une courte et vivre heureux ? Qu'est ce qui se serait passé si il avait choisis une autre vie… un rire tonitruant se fit entendre, le patriarche Terresang était … « mort » de rire.

 « Ne pense pas cela mon cher Alexandre, je ne vais pas te faire le plaisir de te montrer ton autre vie, je ne suis pas là pour cela et je n'ai pas à … « coeur » ton bonheur. » Il regarda alors le ciel … 'fin le haut et claqua des doigts.  « Je suis désolé mais notre entretien se termine ici mon cher fils, tu vas bientôt te réveiller. » Puis l'univers disparut, Alexandre se retrouva dans son corps dans un sommeil profond dû au lait de pavot administré par le prêtre pendant que les ténèbres prenaient place dans son esprit, il était gardé par les deux gardes royaux qui n'étaient pas restés à la capitainerie de Ventfroid en pleine conversation avec deux autres lurons de la garnison d'Usson. L'un des miliciens de l'expédition, Yvain, coupa un bout de sauciflard avec sa dague et reprit la discussion avant l'arrivée de Mathilde.

 « Un vrai Fangeux ! Il en a tué cinq ! »
 « Pas si fortiche, t'chef, m'gars ! I est sur une paillasse là. »
 « Pfeuh ! Il en a quand même occis cinq avec une patte folle et une main en moins m'gars, t'en ferais autant ? »
 « Hmm... » Commença alors le milicien Labrétien avant d'apercevoir la fine silhouette de la fermière qui venait souvent apporter des paniers à la caserne. Il se mit à sourire et fit un clin d'oeil à la demoiselle.  « T'es décidé à v'nir r'conforter les hommes dans leur garde de la nobliaille mam'zelle ? »

Les hommes autour de lui se mirent à soupirer notamment son compère qui était à la même affectation que celui-ci mais ce dernier avait un fin sourire aux lèvres, il pressentait ce qui allait se passer.