Tonnerre et malédictions [PV Eric]

Il semblerait qu'elle ne choisisse pas la mise à mort, du moins pas immédiatement. Elle jugeait son ordre à mon sujet stupide semble-t'il. Il lui avait fallut quelques instants avant de parler à la suite de mes révélations.
Je demeurait silencieux, ayant tout dit. Seules les flammes, dansantes sur les parois, s'exprimaient de leurs crépitements. Je sentais un poids s'élever de mes épaules lorsqu'elle avouait ne pas avoir participé à ces exactions. Je percevais même un certain soulagement dans sa voix, lorsqu'elle précisa qu'elle n'aurait de toute façon pas pu y participer puisqu'en convalescence. J'étais intrigué, ma curiosité était piquée.
Je gardais cependant le silence, patientant. Elle n'avait pas terminé, poussa un soupir et resta silencieuse quelques instants de plus. Je ne disais mots moi-même, attendant pour la laisser poursuivre. Elle réfléchissait, s'interrogeait.

Lorsqu'elle ouvrit de nouveau la bouche, ce fut pour refuser ma vie. Elle faisait donc définitivement le choix de m'épargner. Elle avait prononcé ces mots sur un ton presque glacial mais je ne m'en offusquais pas, étant habitué à être mal considéré de toute façon.
Cependant, elle prit sur elle de se reprendre et de préciser ses dires. Elle se comparait à la noblesse et au clergé, arguant qu'elle ne cherchait pas de sous-fifre, qu'elle avait déjà bien à faire avec les vies des personnes sous son commandement. Devoir se soucier d'une vie supplémentaire ne la satisfaisait pas et elle confirmait que je n'avais pas de dette envers elle. Elle baissa la voix, comme si nous n'étions brusquement plus seuls.
M'entendre me faire massacrer par la fange, la veille au soir, derrière la porte, elle n'aurait pas supporté. J'en suis heureux, malgré tout. Cependant, je ne suis pas homme à considérer que sauver ma vie ne rien en retour.
Eric, que vas-tu dire encore?
T'occupe, laisse moi!

Tu m'as sauvé la vie et, malgré que tu sois milicienne, tu me la laisse quand bien même tu me sais déserteur. Je t'en remercie. Tu pourras compter sur moi peu importe la situation pour te venir en soutien.

J'avais parlé à voix basse, comme elle, inclinant légèrement la tête.
La douleur s'estompe doucement et alors, à la lueur du feu, je commence à défaire le pansement de fortune qu'Elisabeth m'a fait la veille. Je grimace, le tissu ayant légèrement adhéré à ma plaie. Le bandage une fois retiré, je me redressais péniblement pour observer la nouvelle cicatrice à la lueur du feu. La cautérisation était efficace mais la plaie, elle, était loin d'être propre. Je gémis et me détachais du rocher.

Il faut que je lave ça, si cela s'infecte tu te sera donné bien du mal pour pas grand chose.

Je me traînais alors vers le trou d'eau, claudiquant sur mes jambes pour parcourir les quelques mètres. Je m’assois sur le bord et me penche pour retirer mes guêtres et mes chaussures. Dans un grognement, je constate que je ne peux pas atteindre les lacets qui tiennent le tout, la blessure m'empêchant de me pencher assez. Je restais interdit un court instant avant de m'allonger au sol dans un petit rire nerveux.
Etre ainsi handicapé était une sensation terrible. Cette impression d'être prisonnier de son propre corps est tout simplement terrifiant.
Je laisse alors aller un soupir exaspéré.

Pourrais-tu m'apporter ma chemise? Que je la mouille pour essayer de nettoyer cette foutue blessure.

Compter sur lui...

Oui peut-être qu'un jour arrivera le moment où il pourrait lui rendre la pareille. La sauver, d'une façon ou d'une autre.

Peut-être ou peut-être qu'ils ne se reverraient jamais. Comme tant de gens qu'elle avait connu, qu'elle pensait revoir le lendemain ou la semaine prochaine, et qui étaient partis dans le domaine d'Anur ou bien dans une errance sans fin sur ces terres à chasser les vivants. A l'extérieur, cela pouvait arriver à n'importe quel moment. Élisabeth le savait mieux que quiconque.

Bien entendu, la pensée que son ancien mari n'ait pas été dévoré mais ai fui, déserté, ou quoi que ce soit d'autre. Qu'il l'avait attendue au Labret quelque part... Elle lui avait traversé l'esprit. Mais ce n'était pas son genre. Son genre était de se battre jusqu'à la mort pour son unité. Son unité qui avait complètement disparue dans la nature.

Élisabeth en était venue à avoir peur. Peur de s'attacher. A quoi bon si c'était uniquement pour se faire du mal lorsqu'ils n'étaient plus là? Pourquoi elle, était-elle encore en train de fouler cette terre maudite, et pas eux? Pourtant elle ne pouvait jamais trop s'en empêcher, notamment avec Clervie. La pauvre devait se ronger les ongles jusqu'au sang en ne la voyant pas revenir. A la moindre éclaircie elle devrait partir pour éviter que son groupe ne reparte sans elle. S'ils la pensaient morte, ils n'hésiteraient pas à repartir...

La demande du déserteur la tira un petit peu de ses pensées bien sombres. Elle se leva et s'exécuta machinalement. N'y connaissant rien à tout ça, elle lui tendit simplement son vêtement. Elle lui proposerait bien de son aide mais elle restait un peu inconfortable à cette idée.

A la place de ça, elle se rassit simplement proche du feu. Mais au final, elle ne put pas vraiment s'en empêcher.

« Si tu as besoin d'aide pour ça, tu peux toujours me demander. » proposa-t-elle alors. Après tout, il semblait un minimum indépendant et souhaitait sûrement garder cette indépendance en question. Un déserteur, peut-être, mais elle ne lui en voulait pas vraiment. Sa convalescence avait laissé des marques indélébiles dans son esprit. Devoir en plus expulser et séparer des familles, ou en exécuter certains, aurait peut-être été encore pire. D'un côté, elle l'enviait un petit peu, d'être libre, à l'extérieur, tout le temps. D'un autre, cela aurait sûrement été bien trop stressant pour elle aussi.

Mais après tout, elle supposait qu'elle pouvait également faire quelques aveux. Cela avait dû être difficile de s'avouer comme déserteur face à quelqu'un de la milice. Et il se posait sûrement des questions.

« J'ai été mordue pendant l'invasion. Je n'ai du ma survie que grâce à un noble combattant. On a été dépeints comme des héros, mais il n'y avait rien de bien héroïque à ce moment. Que la mort. Et passé ça, plus rien. Juste du dédain et de la peur pour ceux qui savaient ce qui m'était arrivé. »

La milicienne laissa passer un petit silence. La milice était un travail pour le moins difficile, mais le seul qu'elle était au final capable de réaliser. A part peut-être la chasse. Mais voulait-elle vraiment se voir fermer toutes les portes de Marbrume? Et du Labret aussi potentiellement?

« Je comprends les gens qui désertent d'un côté. Je trouve juste que la lâcheté est impardonnable. On sait pour quoi on s'engage, après tout... Mais si c'est pour fuir les ordres injustes, je comprends. »

Un nouveau petit silence.

« Nous les mordus, on est pas si différents après tout. Ça ne change rien. Rien à part le fait d'avoir vu la mort en face et d'avoir eu la chance de s'en tirer. N'est-ce-pas censé être une bénédiction des Dieux plutôt qu'une malédiction? Cela ne veut-il pas dire que l'on a encore quelque chose à faire en ce monde? »

Elle finit par soupirer. La futilité de leur présence en ce monde devenait de plus en plus évidente. Comment vaincre cet ennemi? Pourquoi étaient-ils restés vivants face au Fléau? Ne faisaient-ils que retarder l'inévitable? Si les dieux avaient voulu les voir morts, cela faisait bien longtemps que Marbrume était tombé.

Toujours la même question. Toujours le même constat. Toujours le même doute.

Les dieux, pourquoi nous gardaient-ils en vie? Uniquement pour nous faire souffrir? Quel genre de dieu leur infligerait cela si ce n'était des dieux cruels? S'ils étaient cruels, pourquoi les vénérer? Rikni semblait être la seule à lui sourire. Elle, et un autre.

Le Déchu. Le Quatrième. N'était-il pas au final le plus généreux de tous?

Je suis allongé au sol, la pierre froide sous mon dos me rappelle que je suis en vie et que je dois cette énième vie à la milicienne. Milicienne qui m’a sauvé la vie deux fois en même pas une journée. Enfin, elle me l’a sauvé une fois et épargnée une seconde fois pour être exacte.
Elle s’avance et dépose ma chemise à côté de moi avant de retourner près du feu.

Merci.

Les yeux clos, je l’entends me proposer son aide mais je ne réponds pas immédiatement. Evidemment, lorsque je me décide à dire quelque chose, elle se lance dans des explications.
Je me redresse pour m’asseoir, afin d’être plus présentable pour l’écouter, d’avoir moins l’air d’un poisson sortie de l’eau à côté de ma flaque.

Dans mon esprit, les choses se précisent. Je n’esquisse pas de gestes brusques de peur ou de dégoût lorsqu’elle avoue son secret. Evidemment, en qualité de mordue, elle ne pouvait pas rester sourde à mon histoire, c’est du moins ce que je me dis. Elle parle et je la laisse raconter son histoire sans intervenir. Je note une sorte de tristesse et de résignation dans sa voix comme dans ses paroles. Un désir que les choses soient différentes, ce qui est commun à tout un chacun en ces temps troubles. Elle achève sa confession sur une interrogation très personnelle, que je partage totalement.

Que tu sois mordue ne change rien au respect que je te porte Elisabeth. Tu m’as sauvé la vie, rien que pour cela je pourrais égoïstement remercier les Trois pour que tu es été mordue et non tuée. Je serais homme du Temple, je dirais c’était pour me sauver que la Trinité t’a épargné mais pour te forcer à l’humilité qu’elle t’a infligé cette épreuve.

Je pousse un gémissement en tentant de nouveau d’atteindre mes lacets.

En revanche, dire cela serait hypocrite de ma part. Je pense que les Trois nous éprouvent. Cependant, je ne constate pas cette épreuve d’une façon individuelle mais bien de façon globale. Ils éprouvent l’humanité toute entière, sans se pencher sur nos situations individuelles. Ils n’ont pas décidé que je refuserais de mettre à mort un mordu pas plus qu’ils ne t’on choisi pour être mordue. Je pense qu’ils mettent l’humanité à l’épreuve, pour voir comment l’on se comporte dans ce genre de situation complexe. Peut-être qu’ils observent nos réactions individuelles, mais je doute qu’ils nous ai choisi un sort personnel. C’est mon avis sur la question globale. Quand à savoir si être encore en vie signifie que l’on à quelque chose à faire dans ce monde, je dirais que oui. Il nous reste à vivre.

Je cherche ses yeux dans la relative lumière du feu et lui adresse un sourire timide.

Sur le plan personnel, j’ai envie de croire que tu as été épargnée pour que l’on se rencontre. Mais comme je serais mort sans cela, je peux difficilement être honnête en disant croire autre chose. Sur une vision toujours très égoïste, tu as été bénie pour me venir en aide…

Peut-être peut-elle voir mes joues rosirent légèrement, bien que dans la pénombre j’en doute. Je me relève maladroitement, laissant ma chemise au sol.

Pourrais-tu, d’ailleurs, appliquer cette bénédiction et m’aider à retirer mes guêtres et mes chaussures ?

J’espère qu’elle comprendra qu’il s’agit là d’une tentative d’humour. N’ayant jamais été quelqu’un de drôle, les rares fois où je me suis essayé à l’exercice je me suis montré plutôt pathétique. Je retiens mon pantalon, ce dernier ayant entamé de glisser de ma taille. Certes, le côté humoristique ressortirait peut-être mieux avec le pantalon sur les genoux, mais bon… Dans la précipitation à le retenir, encore gauche à cause de ma blessure, je vacille et glisse dans l’eau.
Allons bon !
Je n’imaginais pas être dans un ci pitoyable état.

Parler de ses malheurs aurait pu lui prendre une bonne partie de la journée. Ce qui tombait assez bien puisqu'elle n'avait pas grand chose d'autre à faire. Mais à vrai dire, ses malheurs, ses souffrances, ses blessures et ses épreuves n'étaient pas vraiment les siens. Au final, elle digérait assez bien ce qu'elle avait subi personnellement. Elle était partie de l'état d'esprit d'une jeune recrue motivée à celui d'une folle à moitié suicidaire dans la réalisation de son travail. Mais ce qui l'avait brisé n'était pas vraiment une énième blessure ou cicatrice qu'elle arborait comme tant de preuves de son implication.

Non, c'était tout ce qu'elle avait perdu.

Les histoires de tant d'amis et de proches qui avaient terminé leur histoire alors qu'elle subsistait. Au point que dans sa solitude, ses idéaux ses brisent, ses buts s'effacent. Même gradée, la joie avait été de courte durée avant que l'amertume ne revienne, plus forte encore. Chaque jour elle se demandait à quoi bon continuer. Même ses nouvelles amitié peinaient à la rassurer. Demain, ils mourront, d'une façon ou d'une autre. Et elle sera là pour pleurer de nouvelles larmes qu'elle ne pensait plus avoir.

La mort, à ses yeux, était de moins en moins une sentence. Et ressemblait de plus en plus à une délivrance.

Lui semblait garder la foi. Les dieux, leurs épreuves, leur magnanimité et leur générosité. Peut-être que Rikni continuait de guider les braves lames des guerriers dans un combat perdu d'avance. Mais comment expliquer les prouesses martiales de la fange sans y inclure la déesse serpent? Peut-être que Serus continuait de leur offrir de maigres récoltes. Mais n'était-ce pas juste assez pour les laisser tous mourir à petit feu de faim? Quant à Anur... Rien n'excusait cette raclure de maquereau.

« L'humilité mon cul. »

La remarque avait été sèche. Les dieux ne voulaient pas lui apprendre l'humilité. C'était certain.

« J'ai été humble, j'ai été une fervente adepte des Trois. J'ai prié au temple, encore et encore. Ils m'ont tout enlevé. Tout. Encore, et encore. Et ils continueront. »

Sa petite tirade finit par un petit rire nerveux alors que le sujet emmenait sa fragile santé mentale vers des méandres dont elle avait elle-même peur. Ah, cruelle existence et horrible destin. Dire que son seul espoir reposait maintenant entre les bras d'un Dieux qui lui vaudrait tous les tourments si cela se savait. Est-ce-que sa protection s'étendrait à ceux qu'elle chérissait? Ou devaient-ils la rejoindre dans sa sinistre hérésie pour survivre aussi?

« Et tu te contredis. Tu disais justement que les plans des Trois étaient globaux, à l'échelle de l'humanité. Mais tu restes convaincu qu'ils ont des plans pour toi, et pour moi. »

Elle soupira peu après avoir maugréé sa tirade. Les discussion théologique avaient le chic pour la mettre dans une rogne sans nom depuis peu. Depuis qu'elle avait constaté que les prêtres étaient bien incapables d'expliquer pourquoi une autre partie du Royaume vénérait officiellement Quatre Dieux. Et pas Trois. Incapables d'expliquer la propre foi qu'ils représentaient. Avaient-ils oublié la vérité?

« Espère juste que les Trois ne t'ont pas réservé le même sort que tous les autres que j'ai pu croiser. Sans quoi, bon courage pour voir l'année prochaine arriver. »

Alors, qu'il finit par enchaîner sur un petit trait d'humour, Élisabeth le releva à peine en roulant des yeux. Même si elle n'allait pas se gêner pour prendre cet échappatoire de cette discussion un peu merdique à son goût.

Mais bon, elle pouvait bien lui donner un nouveau petit coup de main, vu son état. Elle prit appui sur ses jambes et se releva... Juste à temps pour entendre le plongeon et de voir de l'eau éclabousser les alentours, luisant étrangement à la lueur des flammes.

« Par les putain de cornes de Serus, Eric! »

Elle avait sacré - question d'habitude de la part d'une ancienne paysanne - en se précipitant droit vers ce qui risquait peut-être bien d'être un futur noyé vu son état. Sérieusement, est-ce-qu'elle allait encore lui sauver la vie? Enfin, peut-être s'en serait-il sorti seul. Toujours était-il qu'elle se rua vers sa position, se baissa en tendant une main. L'appel ne fut pas très efficacement répondu alors elle ne tarda pas à attraper son poignet au passage, puis de tirer, faisant balancier de son poids pour le sortir de là.

Elle grogna sous ce nouvel effort jusqu'à le traîner le long de la berge, le souffle un peu court, en espérant ne pas lui avoir fait trop mal dans l'opération.

« Sérieusement, je me demande comment tu as fais pour survivre jusqu'aujourd'hui. Ce dont t'as le plus besoin, c'est d'une nourrice, pardieux! »

Elle se plaignait, certes. Mais bon, elle pourrait aussi un peu plus l'aider que cela, aussi...

« Vas falloir que t'apprenne à te débrouiller rapidement parce-qu'au premier rayon de soleil, je vais devoir rejoindre mes hommes! »

Alors, oui, c'était des paroles dures vu l'état d'Eric. Loin de leurs premières discussions. Elle jugeait de tout de façon que c'était mieux qu'ils ne restent que de simples inconnus, simplement pour le protéger. Sinon, sa blessure allait s'infecter, ou un fangeux allait le trouver dans cet état et il serait incapable de fuir ou d'escalader un arbre. Loin d'être bénie, elle était maudite. Et puis, à quoi bon devenir amis avec quelqu'un qu'elle ne reverrait sûrement jamais? Aucun intérêt, si ce n'était le condamner.