Proposition louche

Le Goulot. Ce lieu boueux qui gardait toute la journée l'odeur persistante des viscères de poisson. Celles qu'on vidaient au petit matin, à la criée.

Un lieu indigne d'une bourgeoise tel que Katarina. Et pourtant, c'était par là qu'elle devait commencer si elle voulait réussir à se relever de sa désastreuse situation financière. C'était ici car, justement, personne ne la soupçonnerait jamais d'avoir des contacts dans ce lieu immonde.

Pour ne pas être reconnue trop facilement elle avait emprunter des vêtement vieux, tachés et élimés à Fanchon, sa gouvernante depuis toujours. Ainsi qu'une paire de sabot.

Ces godillots étaient affreux et elle devait se concentrer pour ne pas trébucher sur les quelques pavés irréguliers qui émergeaient de la crasse générale.


Si elle en croyait les informations qu'elle avait pu glaner, la boutique qu'elle cherchait n'était plus très loin. Mais à vrai dire, l'assurance de la gantière n'était que façade. Les rares fois où elle s'était aventurée dans ce quartier, c'était avec son père, pour venir visiter les tanneurs.

Eux aussi, d'ailleurs, devaient être dans une sale posture étant donné le peux de mammifères qu'on pouvait se procurer.

Tout le petit monde qui permettait à la ganterie de vivre s'écroulait. Ou plus justement, s'était écroulé. Oui, décidément, Katarina avait bien fait de ne pas s'entêter dans cette voie, de rebondir vers autre-chose.

Et justement, la boutique était là, devant elle. Offrant au passant sa façade à la propreté douteuse. Katarina imprima une légère halte devant et finit pas entrer.

L'ambiance à l'intérieur avait quelque chose de moite et étrange. Des petits bibelots étaient disposés dans un ordre tout relatif. Rien à voir avec les boutiques luxueuse telles que celle que Katarina avait pu tenir.
Ici, les choses étaient posées côté à côte. Quelques une en avant mais rien n'était fait pour mettre en valeur le remarquable talent de l'artisan, la délicatesse de la dentelle et la finesse des matériaux. Et pour cause! Aucun des objets ici ne l'aurait mérité.

Au fond de la boutique se tenait un petit comptoir éclairé d'une lampe à huile posée à côté d'une clochette.


D'un geste sûre, Katarina fit teinter l'objet et reprit son observation des bibelots hétéroclites de la boutique. Ils étaient si disparates que c'en était fascinant.

Tenir la boutique n'était pas ce qui passionnait le plus l'Azelle, alors elle passait le plus clair de son temps à l'arrière à bricoler des amulettes. La taille du bois commençait à lui venir, petit à petit : Cela faisait au moins deux semaines qu'elle ne s'était plus entaillé un doigt, et cette fois, même Biel ne pourrait pas dire que son symbole de Serus ressemblait à une araignée malade. Elle progressait. Indéniablement.

Elle laissait son esprit muser joyeusement sur la dangereuse pente de l'auto-congratulation quand la réalité vint, comme à son habitude, se rappeler à son bon souvenir et lui donner une brutale leçon d'humilité, cette fois sous la forme d'un son de clochette qui la fit sursauter et s'entailler légèrement le pouce. Elle poussa un juron probablement audible depuis le comptoir, lâcha le morceau de bois et porta le doigts à sa bouche. Puis elle lissa vaguement sa jupe chiffonnée, dissimulant les braies qu'elle portait en dessous, y laissant une petite traînée de sang qu'on aurait de toute façon eu bien du mal à distinguer tant le tissus était marbré de taches plus ou moins anciennes, que même les lavages réguliers n'avaient pas réussi à faire disparaître.

Écartant le rideau qui séparait la boutique proprement dite de l'arrière-salle, elle s'approcha du comptoir, tentant de prendre un air décontracté, et observa la cliente en coin.

Une fille du quartier, à première vue, frusques simples, sabots de bois qui tintaient maladroitement sur le plancher de la boutique. De la bonne graine de pigeon, fut la première pensée d'Azel. Les matrones dans le genre, à la recherche d'un talisman pour leur éviter un douzième gamin ou pour protéger leur aîné engagé dans la milice, ça faisait toujours de bonnes clientes, crédules, désespérées, et qui en plus revenaient.

Elle lui adressa un large sourire amical.

« Bien l'bonjour ma bonne dame ! Comment que j'peux vous aidez ? »

Elle repoussa sa natte, partiellement défaite comme toujours, derrière son épaule afin de se donner un air plus respectable. Observant toujours la cliente, elle fronça légèrement les sourcils. Quelque chose clochait.

Elle ne parvenait pas réellement à mettre le doigt dessus, mais il y avait dans l'attitude de l'inconnue un détail qui titillait l'Azalaïs, mettant ses sens aux aguets. La méfiance, ce monstre qui en elle ne dormait toujours que d'un œil, fut aussitôt éveillé par de vieux instincts et s'installa, attentif. Si elle ne se départit pas de son sourire, elle était soudain plus circonspecte.

« Ceux-là sont des amulettes d'essences rares, voyez ! », enchaîna-t-elle cependant avec une assurance feinte, en indiquant une série de pendentifs à breloques. « Accrochez-les au dessus de votre lit, et votre homme se verra saisi d'une vigueur nouvelle ! »

Elle adressa à sa cliente un léger clin d’œil tout en la jaugeant. La dame avait l'air correctement nourrie, pour commencer. Rien que ça, c'était louche.

Un sourire amusé se peignait sur le visage de Katarina pendant qu'elle écoutait la vendeuse faire son boniment. Son langage était aussi hirsute qu'un chat mal léché. Mais dans l'ensemble, tous les commerçants ont les mêmes ressorts, les même astuces de ventes. Et leurs produits sont toujours les meilleurs, ceux dont personne ne peux se passer.

Elle prit une des amulettes qui devait donner tant de vigueur à son homme. Homme qu'elle n'avait toujours pas... A vrai dire, elle avait présentement bien plus de chance de se faire égorger dans son sommeil que de se marier.

Le sourire de la gantière s'était figé pendant qu'elle examinait le breloque et s'effaça lorsqu'elle chassa ses morbides pensées de son esprit.

Et puis, soudainement inspirée, elle s'adressa à la vendeuse.

"Mon homme m'apporte pleine satisfaction, je vous remercie. Je chercherais plus tôt un collier ou un bracelet qui me garderait des mauvaises rencontres fit-elle aimablement.