[Animation Mai]Mélange de rêves et de plantes

Eléanor n'avait jamais été a une cérémonie des rêves. Elle n'en avait jamais ressenti le besoin, et même si elle était une fervente croyante de la Trinité, Rikni était la déesse avec laquelle elle se sentait le moins d'affinités. Cependant, cette fois ci, elle avait demandé a en faire partie car ses songes, qui avaient pourtant toujours été clairs jusqu'ici, devenaient troubles et elle se demandait ce que la Déesse à la longue queue de serpent lui réservait. Elle était si jeune, venait de tomber amoureuse. Mais elle ne savait maîtriser ses sentiments. Son amie Cassandre, prêtresse de Rikni, lui avait conseillé au détour d'une conversation d'assister à une cérémonie pour y voir plus clair. Pourquoi pas, après tout?

Elle sourit à la vieille prêtresse qui venait d'arriver, le regard toujours bienveillant. Elle ne lui en voulait pas, au contraire. Elle savait, pour s'être parfois occupé de ses ainés, ce que la vieillesse pouvait engendrer comme difficultés. Et puis elle n'était pas si en retard que cela, après tout Eléanor n'était arrivée que quelques minutes auparavant. Elle avait salué celui qui l'accompagnerait, sans obtenir de réponse. Peut être était il déjà plongé dans ses songes? Elle n'y avait pas prêté grande attention, et se concentrait sur les derniers rêves qui étaient apparus dans son esprit les nuits précédentes quand la prêtresse était arrivée. Elle la connaissait de vue et de nom: Emerence. Elle avait toujours trouvé que c'était un très beau prénom.

- "Bonjour ma Sœur." répondit calmement la jeune prêtresse de Serus de sa jolie voix douce. Elle suivit les indications de la vieille prêtresse et s'installa aussi confortablement qu'elle le put sur le doux tissu qui venait d'être installé, pendant que celle ci remplissait de petits récipients d'un mélange d'herbe qui, elle croyait se souvenir, était sensé les relaxer d'avantage. La tête commençait à lui tourner, mais ce n'était pas désagréable et elle se dit que c'était sans doute normal. Elle entendait plus faiblement les instructions d'Emerence, mais elle déchiffrait assez bien ce qu'elle disait pour les suivre à la lettre. Eléanor ferma les yeux et se représenta la déesse, sa longue queue de serpent s'enroulant lentement autour de ses songes. Son regard et son port fiers ne la jugeaient pas, mais l'invitaient à se libérer de ses angoisses.

Dans le même temps, elle inspirait, expirait plus encore de ces odeurs qui lui tournaient la tête et qui ne semblaient pas vouloir la lâcher. Elle n'entendit qu'un très léger "On visualise ses questions, ses doutes, ses rêves et on laisse son esprit partir dans les réponses. Puis on formule oralement, pour soit même l’ensemble." Puis plus rien. Son esprit était parti vagabonder dans les méandres de ses rêves. Elle ne remarqua pas le départ de la vieille prêtresse, l'esprit trop embrumé. Etait-ce sensé faire cet effet? Elle n'en savait trop rien. Elle se sentait... Bien. Son esprit se dirigea naturellement vers les songes ou Lydian apparaissait. Elle sourit sans s'en rendre compte en se rappelant a quel point il lui avait fait peur les premières fois. Elle tenta de visualiser la question qui la taraudait le plus : Lydian voudrait-il d'elle? Elle qui se sentait si maladroite, qui n'avait aucun atout que les femmes nobles qu'il fréquentait ont. Elle ne se sentait pas jolie, malgré tout ce que Cassandre avait pu lui dire pour la convaincre de ne pas se laisser abattre dans cet amour.

Elle vit de nouveau la déesse la regarder, non plus avec un regard fier mais bienveillant. Et, sans qu'elle s'en rende compte, Eléanor se mit à pleurer.

Cela fait un moment qu'il n'a plus fait de cérémonie des rêves. Il y a plusieurs raisons à cela. La première, c'est qu'il n'a pas réellement besoin des plantes pour ouvrir son esprit et atteindre l'abandon et la ferveur nécessaire pour adresser ses messages à la divine Rikni. S'il est "prêtre généraliste", dans le sens où il étudie autant Anür et Serus que Rikni, Aaron a une nette préférence pour cette dernière. Si beaucoup la voient comme la déesse de la guerre, lui la voit comme la déesse des combats. C'est par Elle, via Elle, qu'il justifie le besoin de progresser, de transgresser, de savoir. Aux yeux de notre Prêtre, Rikni est la déesse qui permet d'étudier, qui autorise à apprendre, qui permet le savoir. Quand Rikni accepte un milicien comme étant son combattant, Elle ne juge pas son potentiel guerrier actuel, mais sa capacité à apprendre à combattre. Alors, quand il coince sur une question dogmatique, c'est Elle qu'il prie. Il a étudié l'interprétation des rêves et des signes et se plait à analyser les siens. Cela lui fait un jeu intellectuel de plus.

Mais parfois, il est bon de retrouver les rituels qui depuis les temps ancestraux ont fait leurs preuves. L'aide des plantes apporte cette dose de relaxation qui permet d'oublier ces ennuis terrestres pour élever son esprit et recevoir les signes des Trois, s'ils ont des choses à nous communiquer. Et des questions, il en reste beaucoup dans l'esprit d'Aaron. L'ouvrage qu'il finalise en contient pas mal. C'est un ouvrage théologique contenant un flot de questions qu'il se pose depuis des années mais que la crise de la Fange a ravivé. A-t-il seulement le droit de se poser certaines questions sans virer hérétique ? Cette cérémonie pourrait être un guide, un indice, pour parachever son ouvrage. Si les Trois daignent lui répondre, car Aaron n'a pas la prétention d'imaginer qu'ils en ont quelque chose à faire de lui.

Il est arrivé en avance aux thermes, a mis sa robe de lin, celle qui permet de se baigner et a attendu. Le premier arrivant est une prêtresse grisonnante, ce qui de prime abord rassure Aaron. C'est qu'il est plus attiré par les jeunettes et il n'a pas envie d'avoir l'esprit obscurci par du désir. Et là, mauvaise surprise, la "vieille" est jeune. Elle doit avoir à peine vingt ans. Et immédiatement il ressent de la compassion pour elle. Lui aussi a grisonné très jeune, il avait à peine douze ans. La mort de son frère a été un choc tel qu'il a vieilli d'un coup. Cela arrive parfois. Il imagine donc que sa sœur a subi un choc aussi violent que lui à l'époque. Mais mieux vaut se centrer sur soi. Il la salue de la main sans la regarder et ferme à nouveau les yeux pour se détendre, préférant ne pas tenter d'observer la plastique de sa sœur ou ses yeux, assez hypnotiques. Mais bon, en théorie, d'autres doivent venir, puis un ou une herboriste. Avoir trop de monde permet de se recentrer sur soi sans s'intéresser à l'autre.

Bon, l'herboriste arrive. Emerence, de mémoire. Elle doit vivre dans ce Temple depuis que le monde existe, ou presque. Un puits de connaissance, de l'humour et très compétente, c'est ce qu'il a entendu d'elle, car il n'a jamais discuté avec. Elle, elle l'a connu petit. Elle sait les doutes qui ont habité le Temple quand il était encore étudiant et qu'il s'intéressait aux femmes et à l'architecture des corps. Alors, ça n'est pas à lui qu'elle sera venue confier ses doutes. Et comme Aaron ne recherche pas particulièrement à se sociabililser, car discuter l'empêche d'étudier ou de travailler, Emerence et lui ne se connaissent finalement que de réputation.

Aaron sait se concentrer quand il n'a pas un sujet qui le perturbe comme pourrait le faire sa jeune sœur. Alors, le cadre intimiste d'Emerence, il n'apprécie pas vraiment. Mais il suit les instructions et s'allonge, et respire profondément. Dans un premier temps, il se dit que ça fait vraiment longtemps qu'il n'a plus pratiqué parce que les plantes lui font un énorme effet. Mais il réalise rapidement qu'il y a un problème de dosage. Il lève un bras pour le signaler mais voit son bras flotter hors de son corps, en totale indépendance, et... il éclate de rire. Un rire silencieux, pour la simple raison qu'Aaron est né muet. Alors, comment signaler le problème quand on ne peut parler et que nos membres ne nous obéissent plus. Il tente bien de bouger quand quelqu'un vient solliciter Emerence pour une urgence, mais visiblement sans effet.

Il est seul avec la jeune grisonnante et ça le fait rire à nouveau. Lui ne peut plus vraiment être taxé de "jeune" mais il avait déjà l'air vieux à douze ans. Bon, vaudrait mieux s'éloigner de ces fumées, ça doit être la dernière pensée intelligente qu'il a eue. Car juste après, il voit que la jolie Mère pleure. Ca la rend moins jolie. Serus galope autour, sans se noyer dans l'eau. Qu'est-ce qu'il fout là, lui ? D'ici à ce qu'Anür sorte de l'eau... Voilà qui pourrait effrayer n'importe qui. Sa Sœur doit avoir peur, sans doute. Alors, autant la calmer avant de s'éloigner de là. Des humains, même prêtres, n'ont pas à se trouver sur le terrain de jeu des dieux. Aaron arrive à attraper Eleanor, glisser la main sous sa nuque et la soulever pour qu'elle pleure sur son épaule. Ils sont assis sur le sol, ce qui est déjà mieux que coucher.

- ... !

Oui, il vient de lui parler. Tout va bien se passer qu'il lui a dit. Sauf qu'aucun son n'est sorti, mais il n'est plus en état de le réaliser, là. Serus l'observe, Aaron avoue son impuissance d'un geste, celui de soulever les épaules, pour signifier au dieu Cerf qu'il ignore ce qu'il fout là et ce qu'il convient de faire. C'est bien la première fois qu'il voit le dieu Cerf, il ne se souvient même pas l'avoir prié, même pour l'inviter à lui donner du succès dans ses tentatives de conquêtes féminines.

Le flot de larmes ne tarissait pas. C'était comme si tous ses doutes, toutes ses peurs, tous les évènements les plus tristes qu'elle avait vécus avaient enfin trouvé le moyen de s'échapper de son esprit. Pourquoi cela lui arrivait il maintenant? Elle ne pouvait répondre a cette question, pas que les élément de réponse ne lui manquent, mais tout simplement parce que les effets du surdosage se faisaient de plus en plus sentir, et que toute pensée cohérente avait simplement disparu. D'ailleurs s'était-elle seulement rendu compte qu'elle était en train de pleurer? Elle aurait voulu poser toutes ses questions a Rikni, et n'en avait pas les moyens. La Déesse restait muette. Tout en Elle n'était que sérénité, alors que sa longue queue de serpent continuait lentement, très lentement à s'enrouler autour de... De quoi d'ailleurs? Cela ressemblait à un tronc d'arbre, mais les têtes humaines qui étaient gravées dessus n'étaient pas naturelles. Elle en reconnut quelques unes, dans la brume épaisse qu'étaient devenues ses pensées. Des morts, des visages marquants qu'elle ne pourrait oublier, qu'elle n'avait pu sauver. Son frère.

Elle sentit à peine la main large qui soulevait sa nuque, l'emmenant se blottir sur l'épaule de celui qui l'accompagnait dans cette cérémonie pour le moins étrange. Elle sentait son corps flottant dans un vide qu'elle ne pouvait décrire, et ne vit pas tout de suite qu'elle s'était retrouvée, à moitié assise, dans les bras d'un homme qu'elle ne reconnaissait pas. Le visage de son aimé lui revint, lentement, comme si il avait peur de s'approcher d'elle. Elle se sentit pourtant bien mieux lorsqu'il lui apparut. Ses larmes finirent par s'arrêter, et, les yeux rouges et la bouche rouge, elle observa avec un calme nouveau celui qu'elle aimait. Il se tenait aux cotés de Rikni, mais bien plus petit qu'elle, ce qui la fit soudainement rire. Un rire léger, timide dans la folie qu'avait provoqué les plantes.

Elle ne s'était pas rendu compte non plus que son compagnon avait essayé de la rassurer, de lui dire que tout irait mieux. Elle ne l'avait pas entendu, pas vu ses lèvres bouger. Elle ne connaissait pas tous les prêtres du Temple, il y en avait trop. Elle avait peut être, une fois, entendu parler de cette homme muet qui passait son temps à étudier. Elle avait maintenant compris qu'elle était à moitié allongée sur son épaule. Mais elle n'eut pas la présence d'esprit de faire le rapprochement, car déjà cette épaule rassurante qui la tenait s'effaçait. Peut être était-il toujours là, caché derrière ses hallucinations, mais elle ne le sentait plus, et elle paniqua quelques peu. Elle commençait à s'agiter, la perspective de se retrouver encore une fois seule dans le vide l'effrayait.

C'est alors qu'apparurent, cette fois en même temps, les deux autres Dieux. Anür, enveloppée de son aura bleue, magnifique, et Serus, son regard bienveillant rivé sur la jeune femme. Ils lui parlèrent, tous trois, mais elle ne comprit pas ce qu'ils voulaient lui dire. Elle ne vit pas son corps se redresser lentement, lourdement, et se diriger seul vers l'eau des thermes. Elle pensa que les Trois la guidaient, mais peut être était ce le prêtre qui l'y emmenait? Lui avait-il été affecté par les vapeurs du mélange? Son esprit ne redevint pas clair non plus lorsque ses pieds nus touchèrent l'eau chaude. Son corps s'enfonça toujours lentement dans l'élément d’Anür, et la Déesse la regarda faire tranquillement. Elle fut contrainte de s'asseoir, mais elle n'y avait pas pensé. Son esprit commença a retrouver sa clarté et petit a petit, les Dieux disparurent. Le dernier à partir fut Serus, et elle le remercia d'avoir veillé sur elle tout ce temps. Elle aperçut Lydian qui la regardait désormais avec un air bienveillant, lui qui savait pourtant toujours tenir ses émotions.

La tête lui tournait toujours, quand elle s’aperçut qu'elle était assise dans un des escaliers immergés du bassin. Un léger mal être s'était emparé d'elle, et elle ne comprit pas tout de suite ce qu'elle faisait là. Elle porta ses doigts fins a son front, comme pour le soutenir. Elle crut pendant quelques instants que sa tête allait tomber, mais fut rassurée quand elle vit que ce n'était pas le cas. Elle voulut demander à son compagnon de cérémonie ce qui leur était arrivé, mais elle sentit sa bouche pâteuse, et eut du mal rien que pour l'ouvrir. Aussi ses mots se firent lents à sortir lorsqu'elle dit:

- "Que s'est-il passé?"

Le fait de serrer contre lui une femme, fut-elle prêtresse, fait disparaître les Trois pour faire apparaître les femmes qu'il a "connues". Le "co" est de trop, et cette assertion lui vaut un fou rire. Donc, il voit apparaître ces femmes qu'il a vu nues, et comme il n'est pas soigneur, on peut se douter qu'il les a vues ainsi dans un cadre très intime et ce qui le surprend le plus, c'est qu'il y en a certaines qu'il avait oubliées depuis. Pour un homme qui a une mémoire impressionnante, c'est étrange, mais dans les faits, c'est surtout qu'elles n'ont pas été marquantes.

Plus étrange encore, certaines lui sourient, mais pas toutes, alors qu'il pensait leur avoir laissé à toutes de bons souvenirs. Enfin, toutes, sauf sa dernière amante. Mais vu les événements qui ont suivi leur séparation, elle s'en est mieux remise que lui... et dans le fond, c'est elle et elle seule qui a rompu. Mais si d'ordinaire Aaron fait le fier à bras... ou joue au sourd, alors qu'il n'est que muet, ici, la pression se fait lourde sur lui et le regard qu'elles lui lancent est désapprobateur. Bon, certaines étaient mariées, même si pas toutes, dont les prostituées, mais lui ne l'est pas, et il voit ses mains nouées, puis il se voit porter la mariée vers une porte dont il ignore à quelle maison elle appartient. Et des maisons, en tant qu'architecte et maître d’œuvre, il en a vues. Et en tant qu'amant, il en a franchies, aussi. Mais là, il a les mains nouées à celles d'une femme et pour franchir le seuil de ce qui pourrait bien être leur demeure de couple, il la porte, comme un époux porte la mariée.

Pourquoi elle est grise, la mariée ? Lui sait pourquoi il l'est, il a mal supporté la mort rapide de son aîné et sa douleur s'est manifestée ainsi, le rendant poivre et sel. Les Trois lui ont-ils choisi une épouse jeune qui lui ressemble ? Elle n'a pas l'air heureuse, et même s'ils sont dans les thermes, il ne peut deviner pleinement sa silhouette et si elle est "généreuse". Il ne fait pas le difficile, mais il aime avoir les mains occupées, à choisir. C'est son épouse, il pourrait vérifier. Mais non, il préfère la poser sur l'eau, et pas pour que l'ondée chaude lui dessine les courbes, mais parce qu'elle est lourde. Oh, il est costaud, c'est un gars qui sait bosser manuellement, en tout cas bien plus que l'intellectuel qu'on pense qu'il est, mais s'il la pose, c'est que lui n'est vraiment pas très bien et que s'il continue de la porter, il va s'effondrer. Alors, si son épouse, mais l'est-elle vraiment ?, espérait une nuit de noce, c'est foutu. Tiens, leurs mains sont dénouées, c'est dénué de sens, ça. Et si ça n'a pas de sens, c'est qu'il rêve.

- ... !

Vive l'avariée, qu'il a crié, avant d'éclater de ce rire étrangement silencieux, mais normal pour un muet. Puis il a soupiré fortement. Il a oublié l'avariée, ces courbes potentielles, il essaie de comprendre. La fumée n'est pas celle d'une eau trop chaude et d'une rosée matinale, l'odeur est trop forte. Rien ne va, il a du mal à rester debout mais il veut le faire, par fierté. C'est une forte tête, de l'orgueil il en a. Son cerveau se bat pour retrouver une logique... logique. Ce sont les bains, une zone isolée des thermes pour être plus précis. C'est une cérémonie. Sans cérémoniante ? La femme qui est là n'est pas herboriste, il les connaît toutes. C'est que quand il remplit les boxs, il va puiser dans les réserves que les herboristes remplissent, et parfois il passe commande en indiquant que pour l'heure, ce qui se vide le plus, c'est ceci ou cela. A certaines périodes, ce sont des éruptions cutanées, à d'autres des estomacs qui se vident, lors des fêtes des lotions pour diminuer les ecchymoses. Il ne sait pas c'est quoi actuellement, ni même le jour qu'on est. C'est que les plantes doivent être fortes. Et si la pièce est fermée, c'est que le dosage était pas bon. Pourquoi ils ne sont que deux ? C'est un piège, on veut le voir fauter avec cette jeunette pour le virer ? Ca serait une première mais bon, certains peuvent s'inquiéter de lui. Maintenant qu'il s'assagit, il devient un candidat à une promotion. Sauf qu'il faudrait qu'il se marie. Il aurait dû postuler pour épouser la Pessan, tiens...

Rikni est son amie, et même avec une faute de dosage, il doit pouvoir interpréter Ses signes. Et ici, il est clair, il est temps pour lui de se marier. Cela ne le réjouit pas. Et pour mon Œuvre, votre Divinité, dois-je poursuivre ? Elle, elle l'entend, même s'il n'est pas muet, et il revoit les murs de la pièce où ils sont. Solides, les murs. Jamais un fangeux ne devrait pouvoir rentrer. Oui, c'est l'architecte qui peut sauver l'humanité de la fange, en protégeant l'humanité tout en évitant les pièges que les murs pourraient provoquer. Alors, il doit bien étudier, réfléchir à ses nouveaux plans. Voici les missions que les Trois lui confient. S'il sort vivant d'ici.

Tiens, son épouse est une Sœur ? Ce n'est surtout pas son épouse. Pourquoi elle est si malheureuse ? Aaron ne lui a rien fait, il le sait. Les plantes ne le poussent pas vers les femmes. Oh, tout reste possible, mais il n'est pas attiré par les femmes pour le sexe. Jamais il ne niera aimer le sexe, bien sûr, sinon Serus ne se démènerait pas autant pour que tout croisse et se multiplie, Anür n'aurait pas architecturer les corps pour qu'ils s'emboitent aussi bien et Rikni n'aurait pas imaginé mille et un stratagèmes pour qu'hommes et femmes s'attirent malgré leurs défauts, mais Aaron est un étudiant, un assoiffé de savoir, et s'il aime les femmes, c'est dans un cadre scientifique, professionnel, pour percer leur mystère et comprendre pourquoi, alors que l'homme a tous les pouvoirs, ce sont elles qui commandent à la maison. Des hommes refusent et battent leurs femmes, parfois à mort, pour la faire plier, en vain, et d'autres, plus malins, acceptent, pour peu qu'en société la femme laisse croire que l'homme décide. Et pour Aaron, c'est parce que pour l'homme le plaisir est simple et rapide, et pour la femme rare et complexe. Alors il faut que l'homme maîtrise le mystère féminin pour rester le maître, et il s'y attèle. C'est peu romantique, mais c'est du boulot. C'est pas vraiment quelque chose dont il peut parler tel quel. Être muet a parfois du bon.

Que s'est-il passé ? Il hausse d'abord les épaules, à moitié immergé dans l'eau. C'est la force de l'eau qui l'empêche de tomber... et s'il tombe, ça ne sera pas douloureux. Puis il la regarde et se pince le nez, pour lui signifier que non, définitivement, ça ne sent pas bon. Et il ne songe même pas à espérer que la Mère pense qu'il estime qu'elle pue et que c'est pour ça qu'il l'a conduite à l'eau, car dans les faits, il trouve juste que la situation est mauvaise. Il fait semblant d'inspirer trop fort, puis mime être proche de l'évanouissement, il indique le feu puis écarte les bras pour montrer une grosse quantité. Une grosse erreur de dosage, c'est sa seule théorie possible à l'heure actuelle, malgré les vapeurs. Il faudrait éteindre le feu, il faudrait sortir. Mais il n'est capable ni de l'un, ni de l'autre. Et là, pour la première fois depuis longtemps, face à son impuissance, les épaules d'Aaron s'affaisse et il baisse la tête, comme un boxeur groggy incapable de rejoindre son coin et qui sait qu'il ne combattra pas le prochain round.

Eléanor venait tout juste de sortir de la brume qui entourait son cerveau. Elle s'était déjà rendu compte qu'elle avait les jambes immergées, mais elle n'avait pas encore très bien compris ce qu'elle faisait là. L'homme à côté d'elle haussait les épaules, comme si il avait entendu ses pensées... Ah non, elle lui avait demandé ce qu'il s'était passé, elle s'en souvenait. Il lui répondait donc. Apparemment, il était bel et bien muet. Il s'agitait maintenant dans tous les sens pour tenter de lui indiquer quelque chose. Il s'était pincé le nez... Que... Comment? Eléanor tenta de renifler autour d'elle. Trouvait-il son odeur dérangeante? Elle rougit violemment, et des larmes montèrent à ses yeux. Il s'agitait de plus en plus, cet homme grisonnant qu'elle ne connaissait pas. Et, par les Trois, elle ne comprenait rien! Elle oublia son embarras pour tenter de se concentrer sur ce que lui disait... tentait de lui dire... le prêtre. Il respirait fort, puis manqua de s'évanouir.

- "Attention!"

Eléanor tenta de le rattraper, mais l'homme s'était déjà redressé et il écartait les bras comme pour montrer quelque chose d'énorme. Bien, elle comprenait à présent. Il essayait de lui mimer ce qu'il s'était passé. Elle tourna son regard vers là ou étaient toujours étendues les serviettes, et posés juste à côté, les petits bols.

- "J'ai compris." Dit elle lentement en s'inclinant vers son interlocuteur "Vous voulez dire qu'il y a eu une erreur de dosage, et que nous nous sommes trouvés mal à cause de cela c'est cela?" A bien y réfléchir, elle pensait aussi que c'était le cas. Elle avait déjà entendu parler de certaines cérémonies des rêves, mais les hallucinations n'étaient pas aussi fortes. Elle ne savait pas ce qui serait advenu d'eux si son compagnon n'avait pas eu la présence d'esprit de les amener dans l'eau. D'ailleurs, l'avait-il réellement eue? Maintenant, il avait l'air complètement abattu, comme si cette petite séance l'avait vidé de ses forces. Elle non plus n'était pas au mieux. Elle sentait encore un mal être au creux de son ventre, et sa tête commençait à lui faire une misère. Effectivement, la vieille prêtresse n'avait pas du y aller de main morte avec ses plantes. Elle voulut attirer l'attention de son compagnon avec sa main, avant de lui indiquer les escaliers du bassin à côté d'elle d'une voix toujours légèrement pâteuse.

- "Venez vous asseoir mon Frère, je ne voudrais pas que vous tombiez mal dans cette eau, je ne pourrais vous rattraper à temps."

Elle émit un petit rire, elle ne savait pas très bien pourquoi. Peut-être étaient-ce encore les plantes qui lui jouaient quelques malicieux tours, alors que ce qu'elle venait de dire n'avait rien de particulièrement drôle. Ou peut-être était-ce juste pour inciter le prêtre à venir la rejoindre, pour qu'il se sente plus facilement à l'aise avec elle. Elle n'arrivait pas à se résoudre à aller éteindre les flammes qui permettaient aux arômes de se diffuser dans la pièce, mais elle savait que si l'un d'eux ne le faisaient pas, ils allaient bientôt retomber dans la transe de laquelle ils venaient tout juste de sortir. Un long silence s'installa, et elle commença petit à petit à se remettre, alors que les arômes se rependaient de plus en plus autour d'eux. Une porte claqua derrière eux, elle sursauta mais n'avait pas la force de se retourner.

- "Oups! Excusez moi, mon Frère, ma Sœur, j'ai mis plus de temps que prévu. Eh ben dites donc, j'ai vraiment mal fait mes préparations! Ça empeste dans toute la pièce!"

Le combat est difficile entre la lucidité et l'importance des effets des produits lui paraît un temps un combat perdu d'avance et dépenser de l'énergie pour converser avec la prêtresse grise par pantomime l'épuise. Il est ravi de constater qu'elle a assez de lucidité pour comprendre ce qu'il lui a dit par geste mais est déçu qu'elle soit, malgré sa jeunesse, aussi incapable que lui d'y trouver une solution.

C'est avec un geste passablement agacé qu'il refuse son invitation à s'asseoir. Il comprend l'inquiétude de sa Sœur s'il venait à chuter et se noyer et réalise que venir vers l'eau n'était pas son idée la plus brillante, mais d'un autre côté, ça n'était pas une idée réfléchie mais les produits qui l'y ont poussé. Et s'il parvient à tenir debout, il pourra réagir et tenter quelque chose, puisque la seule autre personne présente en semble tout aussi incapable, bien que secourable. Il se dit qu'elle vaut la peine d'être un peu plus connue mais dans l'absolu, ça n'est pas la seule et Aaron a fait des choix, priorisant les recherches aux contacts sociaux.

Le bruit d'une porte qui s'ouvre est pour notre prêtre une excellente nouvelle. Quiconque rentrant dans la pièce réalisera qu'il y a un problème et aérera, au minimum. Mais le bruit suivant lui ôte tout espoir, la porte se referme. Et comble de l'horreur, la responsable de la situation en a pleinement conscience mais semble inapte à envisager un début de solution. Elle "s'excuse" et c'est tout. Et forcément, avec les effluves de ses plantes, elle sera dans les paradis artificiels dans quelques minutes. Et là, c'est la colère qui prend le contrôle d'Aaron et c'est un phénomène assez rare. Sa dernière colère devait remonter à la pré-adolescence, quand il s'est énervé sur le fils de l'architecte pour ce qu'il estimait être une erreur de calcul, alors que dans les faits il ne maîtrisait pas encore un aspect des règles architecturales, puisque ces connaissances dans le domaine n'étaient que théoriques. Depuis, il a appris à contrôler ses sautes d'humeur, mais là, c'est impossible.

Il faut qu'il lance quelque chose à la tête de la vieille. Et son regard se porte sur un récipient creux qui porte une bougie. S'il vise bien, il pourrait décapiter la vieille et la perspective le fait sourire. Mais après avoir ôté la bougie, l'association se fait. Récipient creux, eau... Récipient creux, eau et feu ! Va falloir marcher et marcher droit. Remplir le récipient, c'est pas le plus difficile, se relever et le tenir droit, c'est moins simple. Marcher pour sortir de l'eau, escalader les escaliers sans foutre un coup de genou à sa Soeur, ça n'est pas aussi évident que ça semble l'être quand des fumées toxiques vous brouillent les sens.

Il arrive devant la vieille avec les yeux qui piquent à cause de la fumée. La Mère herboriste tente de dire quelque chose mais elle a dû sentir instinctivement que ça n'était pas à faire. Même blessé par la fumée, le regard d'Aaron peut exprimer énormément de choses, à moins que ça ne soit ses mimiques. S'il a songé à jeter l'eau à la figure de leur tortionnaire, il a le bon réflexe de le vider sur le feu qui empeste. Cela ne l'éteint pas complètement, cela fait que des fumées se dégagent encore plus, mais ce qui continue de brûler brûle beaucoup moins, et ça n'est pas du luxe.

La vieille a droit à la spécialité aaronesque, qui consiste à envoyer un taquet sur l'arrière du crâne d'une personne fautive. Et elle peut s'estimer heureuse qu'il ne sache pas se battre, car c'est à coups de poing qu'il aurait bien réglé l'affaire, ou en l'étranglant, mais il a une autre priorité. Il se dirige vers la porte et l'ouvre en grand avant de sortir en titubant et se diriger vers un bassin dans lequel il plonge, avant de sortir la tête de l'eau et d'aspirer une grande goulée d'air un poil plus frais. Celui lui fait un peu de bien, mais il réalise qu'il devra sortir pour retrouver assez d'air et pour purifier son esprit, mais au moins, désormais, il a le sentiment de pouvoir le faire.

Sa Sœur et la Mère herboriste ? Le cadet de ses soucis. Il a fait sa part, qu'elles se démerdent. Et pendant qu'il quitte les thermes pour remonter et rejoindre le parvis, dans sa tête, il imagine déjà les mots qu'il couchera sur le parchemin pour porter plainte contre la vieille herboriste. Elle a atteint l'âge où on ne peut plus lui confier des responsabilités. Qu'elle s'amuse à recevoir des confessions ou à trier les dons, mais plus à jouer avec des cérémonies qui réclament un sérieux qu'elle n'a plus. Parce qu'avec ses conneries, sous l'effet des plantes, il aurait pu être violent, ou sa Soeur. Et s'il avait subi sa lubie maritale, convaincu qu'il portait son épouse dans ses bras, elle aurait pu se retrouver en mauvaise posture, voire pire, et c'est pas la vieille qui aurait eu des problèmes. Aaron ne pardonnera pas, c'est certain !

Eléanor avait sursauté en entendant la porte claquer derrière eux. Elle avait entendu la voix de la vieille prêtresse, familière mais lointaine dans ses souvenirs. D’où pouvait-elle bien l'avoir entendue? Ah, oui évidemment, c'était elle qui aurait du présider cette cérémonie. Elle se retourna lentement, voyant son compagnon qui a déjà réagi, lui. Comment avait-t-il fait pour se relever aussi vite? Ou peut-être est-ce Eléanor qui devient trop lente. Elle le vit se tenir devant leur Sœur, légèrement chancelant à cause des effets des plantes. Il eu la présence d'esprit de verser de l'eau, pour elle apparue comme par magie dans ses mains, sur le feu. Une épaisse fumée s'éleva, chargée des senteurs et des substances qui leur avait fait tourner la tête quelques minutes plus tôt. Puis il lui assena un coup derrière la tête, et cette fois ce fut la vieille femme qui chancela. Il se dirigea vers la porte, les laissant là toutes les deux. Il sortit, laissant la porte grande ouverte. On entendit le bruit de quelqu'un qui plonge dans l'eau saine des autres bassins du Temple, puis plus rien.

Eléanor se précipita - même si c'était un bien grand mot - vers la Mère qui était tombée sur son assise après avoir reçu le coup que leur Frère lui avait assigné. Elle le comprenait, dans un sens, même si elle estimait qu'user de la violence n'était pas forcément le meilleur moyen de régler un problème comme celui là. Elle releva la prêtresse toujours légèrement étourdie à côté d'elle.

- "Pardon ma Sœur, comment vous sentez vous?"
- "Je... Je crois que ça va mais j'ai la tête qui commence a tourner..."

Hmm, il fallait sortir d'ici et vite. La tête d'Eléanor aussi tournait de plus en plus, elle s'était relevée vite et elle s'était approchée trop près des fumées qui se dégageaient des récipients. Elle passa une main sous l'épaule opposée de la vieille femme et attrapa son autre bras pour le passer au dessus de son épaule à elle. Elle referma la porte derrière elles, histoire que la fumée et les odeurs enivrantes des plantes n'envahissent pas tous les thermes. Son compagnon de cérémonie n'était déjà plus là. Il avait du quitter l'eau et remonter dans le grand Hall. Peut-être irait-il porter plainte contre la vieille femme qui n'avait plus tous ses moyens. La prêtresse eut pitié d'elle.

- "Ma Sœur, sans vouloir vous offenser, vous n'avez plus autant de moyens que dans votre jeunesse... Il va falloir penser à passer le flambeau à de plus jeunes que vous. Cela vous pèsera surement au début, mais vous vous sentirez surement mieux après. Et puis vous aurez plus de temps pour prendre soin de vous."

La vieille femme la coupa, levant une main tremblante devant le visage de la jeune.

- "Je sais cela."

Silence. Eléanor n'osait pas dire grand chose. Elle respectait ses ainés, mais elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer ce qui aurait pu advenir d'elle si... Si quoi d'ailleurs? Elle n'était pas vraiment éclairée sur ce qu'il s'était passé durant cette séance. Mais en tous cas, la sensation de l'eau chaude sous ses pieds lui avait fait un bien fou, alors que les plantes continuaient à envahir sa tête. Elle devait penser à faire purifier cette salle lorsqu'elle remonterai. En attendant, il fallait ramener la prêtresse à son lit. Elle n'allait sans doute pas se sentir bien après avoir inhalé les vapeurs, et surtout après le coup qu'elle avait reçu derrière la tête. Et puis elle n'était pas toute jeune, et Eléanor craignait que tout cela ne lui soit fatal, surtout qu'elle la sentait s'alourdir sur son épaule à mesure qu'elles marchaient. Elle penserait aussi à aller quérir un prêtre guérisseur. Elle voulait s'assurer que tout irait bien pour elle. Elle ne se préoccupait pas tant que ça de ce qui était advenu de son compagnon de cérémonie. Il avait réussi à sortir, puisqu'elle ne le voyait plus. Des traces humides au sol en témoignaient.

Eléanor fera tout ce qu'elle avait prévu, et plus encore pour la prêtresse. Elle restera à son chevet une bonne partie de la journée, puis voyant que son état se stabilisait, reprendra ses activités quotidiennes. Cependant, cette expérience fort déconcertante lui passera l'envie de recommencer une telle cérémonie. Elle ne tenait pas vraiment à ce qu'il lui arrive quelque chose qui, cette fois, pourrait être bien plus grave que de simples hallucinations...