Une prêtresse en deuil (Pv Cassandre et Eléanor)

12 mai 1166

Ilias Seraphin était mort quelques jours plus tôt, découvert par la milice dans les derniers décombres de l'attaque des fangeux, le 11 mai. La blessure qui l'avait tué était une horrible morsure au cou, profonde, purulente. Il était pâle, vidé de son sang, une flaque brune séchée recouvrant la moitié de son corps et le sol. Les mouches tournaient autour de la plaie béante et en faisaient déjà leur repas. Il n'avait que 23 ans. Il regardait dans le vide, la peur se lisait encore sur le visage du macchabée en pleine décomposition. Il était mort seul, oublié de tous. Il n'aurait de toutes façons pas pu être sauvé. Par chance, la transformation en fangeux n'avait pas encore eu lieu, peut être grâce a cette blessure qui lui mangeait déjà la moitié du cou. Mais il avait tout de même fallut faire vite. Eléanor et ses parents avaient été appelés, car, là encore par chance, ceux qui avaient découvert le mort connaissaient la famille. Le jeune prêtresse était partie au bûcher de son frère le cœur lourd, avec encore un fol espoir de voir la vie briller dans ses yeux.

Tout espoir s'envola lorsqu'elle vit le bourreau, la tête de son grand frère adoré rouler à quelques centimètres de son corps. Il le fallait et elle le savait très bien. Mais elle n'avait pas réussi a rester digne. Elle n'avait pas pu contenir ses larmes lorsqu'elle avait vu sa mère s'effondrer. Elle n'avait pu empêcher ses sanglots lorsqu'elle avait vu son père lui même tenter de agripper à quelque chose pour empêcher ses propres larmes de couler. Un parent ne devrait jamais devoir dire adieu à un enfant. Jusqu'à présent, elle n'avait pas été touchée personnellement par la fange. Elle avait vu tant de gens tomber, mais elle avait su faire son devoir. Elle avait su rester droite, faire la part des choses. Elle avait déjà vu des femmes pleurer la perte de leur enfant. Elle avait déjà vu des miliciens tomber, blessés à mort. Elle avait vu la misère, la peur, la faim, la mort. Mais elle avait ressenti tout cela froidement, car cela ne devait pas l'atteindre. Elle devait faire son devoir, aider les plus faibles avec bienveillance, sauver ceux qui avaient encore un espoir d'être sauvés. Elle savait que si elle se laissait atteindre par les émotions des autres, elle ne pourrait tenir ce devoir.

Les flammes s'étaient élevées sur le bucher, autour des morts que l'on devait bruler ce jour là, les derniers qui avaient été trouvés. Le corps meurtri de son grand frère avait disparu lentement derrière le feu, et elle l'avait regardé partir presque avec soulagement. Ses larmes continuaient de couler mais elle ne les sentait plus. Elle se dit qu'au moins, son âme n'errerait pas en peine sur les terres du Royaume, avec les fangeux. Alors elle avait prié. Prié de toutes ses forces pour qu'Anür accueille le malheureux en son sein. Elle avait parlé à la Déesse, l'avait suppliée de laisser son frère entrer avec les autres âmes pures, elle lui avait dit combien c'était un homme bien avant de mourir, combien elle tenait à lui.

Elle avait du laisser ses parents se redresser seuls. Elle leur avait adressé un regard plein de larmes, leur disant silencieusement qu'elle devait partir et qu'elle serait toujours là pour les soutenir. Son père lui avait adressé un petit signe de tête, la main sur l'épaule de sa femme agenouillée et en pleurs, et Eléanor avait du repartir au Temple.
En arrivant, elle se sentait perdue. Elle avait le regard vide, les yeux rouges. Que faisait-elle là? Elle ne voulait pas rester dans le grand hall ou tous pouvaient la voir pleurer. Elle se dirigea machinalement vers les dortoirs, oubliant de voir les prêtres qui lui demandaient sur son passage:

- "Ma Sœur, avez vous besoin d'aide?"
Elle ne les entendait pas. Elle passait silencieusement dans les couloirs. Les larmes coulaient toutes seules, sans aucun sanglot. Elle s'effondra sur son couche, jusqu'au lendemain.

A l'heure que nous décrivons, le 12 mai 1166, Eléanor avait décidé de se réfugier dans les termes. Ceux ci étaient vides, à cette heure. Elle s'était précipitée là après l'office du matin. Elle avait envie de vomir.
Le souvenir de son grand frère était encore bien présent dans sa tête, l'horreur de sa mort la faisait encore pleurer. Son regard était vide. Elle laissait la chaleur du lieu l'envelopper et l'envahir, prostrée dans un coin en espérant que personne ne remarque son absence, se disant qu'elle devait être sortie faire la charité dans les rues du Labourg.
Elle n'avait plus envie. Elle ne pouvait plus le faire, cela, la charité. Pour quoi faire? Après tout, tous allaient un jour mourir de la morsure d'un fangeux, comme son frère. Pourquoi elle n'avait pas été choisie à sa place d'ailleurs? Des souvenirs heureux défilaient dans son esprit. Cela ne fit qu'accentuer l'ampleur de son chagrin. Son grand frère, elle ne le reverrait plus.
Elle avait les yeux rouges, la tête posée sur ses bras, qui eux-même entouraient ses genoux. Elle regardait dans le vide. Sa robe était humide et elle ne remarqua pas que la station assise prolongée sur le sol des termes la faisait petit à petit prendre l'eau. Elle semblait si calme, elle ne bougeait pas. Pourtant, à l'intérieur, elle était anéantie.

Cassandre n'avait pas revue la prêtresse de Sérus depuis leur rencontre l'avant veille. Si elle avait, ce jour là, pris un peu de repos et suivit les recommandations de la jeune femme – ce qui d'ailleurs lui avait fait le plus grand bien – Cassandre n'avait depuis lors pas arrêté. La course effrénée que menait le clergé pour soigner au mieux les rescapés semblait malheureusement ne pas vouloir faiblir et la prêtresse mettait tout son cœur à l'ouvrage pour aider les malades et les démunis. Pourtant, malgré tous ses efforts bien souvent trois succombaient là où seulement une âme survivait. Il y avait beaucoup de morts et trop peu de monde et de temps pour sauvegarder plus la population. L'affaire s'avérait grave et la Fange ne faiblissait pas. Elle ne perdait pas de terrain sur l'humanité. Pire, elle semblait résolue à exterminer en masse. Même avec un optimisme sans faille, il était normal de douter.

La prêtresse avait appris, non sans tristesse, que la veille des bûchers funéraires avaient été dressé pour purifier la ville des morts tués par la Fange et que certains y avait vu se consumer des proches. Malheureusement, ses compétences et ses connaissances faisaient qu'elle n'avait pu s'absenter des salles de soins pour soutenir ses semblables et elle avait dû, une fois de plus, se cantonner à ce qu'elle savait le mieux faire. Soigner.

Ce matin Cassandre s'était levée tôt pour rejoindre les autres prêtres et participer à l'office du matin. Elle avait, pour une fois, prit le temps de grignoter un quignon de pain pour retrouver un peu de force et se donner du courage pour sa journée de soin à venir. Les discussions allaient bon train et beaucoup étaient peinés par la tournure que prenaient les événements. Les morts qui s'accumulaient sapaient le moral des plus résistants et commençaient à peser sur les consciences. Distraite Cassandre avait vu passer rapidement – trop peut-être même – une ombre qui s'était faufilé hors de la salle pour se dirigeait vers les thermes. Quelques langues se délièrent, pourtant chargées de tristesse, et un prénom avait été évoqué. Eleanor.

Cassandre fronça légèrement les sourcils et tendit l'oreille pour entendre ce qui se disait non loin. Il était question de la veille et des bûchers, de la peine, des pleurs et des sanglots de la foule. Mais aussi des prières qui s'étaient alors élevés vers les cieux. La prêtresse entendit aussi une rumeurs sur l'anéantissement d'Eleanor devant ce spectacle, de ses pleurs irrépressibles, de...

La prêtresse de Rikni ne tenait pas à en entendre plus. Ceux-là étaient-ils incapables de sentiments pour ne pas comprendre la situation? La jeune femme venait sans doute de perdre quelqu'un pour agir ainsi. Cassandre suspectait d'ailleurs que l'ombre qui s'était glisser dehors n'était nulle autre qu'Eleanor. Agacé par ses comportements de colporteurs, Cassandre se leva un peu trop rapidement et quelques regards indiscrets se posèrent sur elle. Elle ne se permit pas de les remettre à leur place et se contenta de pester entre ses dents tout en quittant la salle à son tour.

La jeune femme se dirigea vers les thermes, bien résolue à aller aider celle qui se rapprochait le plus d'une amie. Elle se refusait à la laisser en pleine détresse alors que certains perdaient du temps à radoter sur le dos des autres à la place d'aller offrir leur services aux soignants ou à répandre la voix des Trois.

Cassandre ouvrit la porte qui menait aux thermes et s'engouffra dedans, puis en referma l'entrée.

« - Sœur Eleanor...? »

La prêtresse s'avança doucement en essayant de percevoir la jeune femme entre les bribes de vapeurs d'eau. Finalement, au bout de quelques instants, elle la trouva prostrée dans un coin, la tête dans les bras. Effectivement elle ne semblait pas aller bien du tout et malgré l'appel de Cassandre elle ne l'avait visiblement pas entendu s'approcher. La prêtresse de Rikni se pencha, puis finit par s'accroupir à son bord. Elle posa une main douce sur son épaule pour attirer son attention, ayant remarqué qu'Eleanor avait le regard dans le vague.

« - Sœur Eleanor, vous êtes trempée, vous risquez d'attraper mal... »

Notant une absence de réaction de la part de cette dernière, Cassandre alla se placer devant la jeune femme et tâcha de lui montrer au mieux son soutient. Les thermes étaient encore vide à cette heure, mais l'agitation ne tarderait pas à rattraper les deux prêtresse. Cassandre ne voulait pas qu'on voit Eleanor ainsi. Cela n'aurait fait que rajouter aux racontars agaçants la concernant.

« - Eleanor, je vous en prie, je ne souhaite que vous aider. Parlez-moi, dîtes quelques chose... »

L'inquiétude marquait les traits de la prêtresse de Rikni. Elle se sentait proche de la jeune femme et la voir dans un tel état d'abattement l'attristait profondément. Elle savait qu'Eleanor ne recevrait pas d'aide de leur confrères prêtres, ils étaient beaucoup trop occupés à détailler et parlementer sur sa différence. Dire qu'ils se prétendaient prêtres avec un tel comportement... La seule chose qu'elle espérait encore, s'était que la jeune femme s'exprime et lui explique la cause de ce mal-être qui la rongeait littéralement. Sans doute pouvait-elle l'aider, ou tout du moins la soutenir, mais sans savoir cela s'avérerait un peu compliqué.

Eléanor n'avait pas réagit lorsque la prêtresse de Rikni était entrée. A vrai dire, elle ne l'avait pas vraiment entendue, ni reconnu sa voix. Elle était perdue dans les méandres de ses pensées, pensant voir, entre deux flots de larmes, son grand frère enfant courir au milieu de la petite cour que ses parents possédaient. Il était plein de vie et de joie. Elle le reconnaissait bien là, extraverti, toujours à rire et à vouloir faire rire les autre. Un vrai petit saltimbanque. Un menu sourire se dessina sur le visage trempé de la prêtresse, qui s'effaça aussitôt. La douleur ne lui permettait pas cela, sourire.

Elle n'avait pas plus réagit lorsque la jeune femme blonde s'était accroupie devant elle. Elle ne la voyait pas encore, trop occupée à ressasser un mélange peu joyeux de ses souvenirs heureux et de la douleur qu'elle ressentait. Elle finit enfin par s’apercevoir que quelqu'un était là, devant elle. Elle pensait rester seule un bon moment encore! Elle avait légèrement sursauté à la douce main qui s'était posée sur son épaule, puis elle avait enfoui son visage dans ses coudes. Elle ne voulait voir personne, et quiconque la dérangerait maintenant essuierait le même refus. Elle pleurait toujours, son visage habituellement pâle était devenu légèrement bouffi et tout rouge à force de pleurer. Elle voulait se cacher loin, très loin de ce monde. Elle voulait retourner au temps de son enfance, là ou personne ne voulait tuer son grand frère adoré.

Mais la main ne partait pas. Elle restait là, posée doucement sur son épaule, en attente d'une réponse. "Partez" pensa-t-elle, "Je ne veux pas vous affronter aujourd'hui, ils ne peuvent donc jamais comprendre?". Voilà ce qu'elle pensait. Elle était pleine d'amertume et de rancœur envers ses frères et sœurs du Temple. Elle venait de perdre celui qui lui avait donné le courage d'affronter tous les autres, elle venait de le voir tué par la fange, puis par des humains. Il était mort anonymement, alors qu'il représentait tellement pour elle. Il n'avait jamais mérité cela. Pour quelle raison les Trois lui avaient ils infligé une mort aussi atroce? Et eux, elle les avait bien entendu le matin même en partant. Les cadets de la noblesse ne déliaient donc jamais leurs langues de vipère? Était ce si encré dans leur peau pour ne pas simplement voir qu'elle était, elle aussi, humaine?

- "Eleanor, je vous en prie, je ne souhaite que vous aider. Parlez-moi, dîtes quelques chose..."

Cette fois, elle avait reconnu la voix qui lui parlait. Elle se sentait tellement soulagée d'un coup. C'était la seule voix qu'elle aurait voulu entendre, une voix qui même lors de leur première vraie rencontre quelques jours plus tôt, lui avait déjà affirmé qu'elle se fichait bien de tout ce qu'on pouvait dire sur la prêtresse de Serus. Cassandre. Le visage de son frère lui sourit dans sa tête, et un nouveau flot de larmes vint se jeter sur les joues de la jeune femme. Mais elle accepta de relever la tête, lentement, fixant Cassandre d'un air hagard, une sorte de voile perpétuel de larmes posé sur les yeux. Alors sa petite voix s’éleva au milieu du silence laissé par la dernière phrase de la prêtresse, comme un souffle à peine perceptible. Elle peinait à distinguer celle qui était venue, non pas pour se moquer d'elle, mais vraisemblablement pour l'aider, au milieu des volutes de vapeur qui s'échappaient des bains. Le rideau de ses larmes n'aidait pas non plus, mais il finit lentement par se tarir. Et de sa toute petite voix, elle prononça une phrase, comme une supplication, elle voulait savoir si tout ceci était bien réel.

- "Ilias..." elle hésita quelques instants, comme si elle ne savait pas pourquoi elle prononçait ce prénom. "Ilias est mort?"

Cassandre était inquiète.
Elle ne connaissait la jeune femme que depuis peu mais elle lui avait jusque là inspiré la joie de vivre malgré les conditions de vie actuelle. Or là, Eleanor lui faisait un tout autre effet. Elle était dévastée, triste à un point au delà de tous mots, ce qui contrastait totalement avec l'idée que Cassandre se faisait de la prêtresse. Il était évident qu'Eléanor n'était pas comme ça sans raison. Cela lui semblait impossible.

Dans un premier temps, Cassandre eut peur que la jeune femme ne réagisse pas à sa présence. Et, au départ, ce fut le cas. Elle eut même l'impression que sa présence dérangeait. Seulement, Cassandre n'était pas de celle qui se laissait facilement abattre par la difficulté. Et en prime, elle était résolue à soutenir Eléanor. Elle décida donc de rester et s'était mise à lui parler avec douceur. Rapidement ses efforts payèrent et la prêtresse de Sérus leva sur elle un regard plein de larmes. Bouleversée, Eléanor ignorait ses vêtements humides d'eau et de vapeurs et ne se rendait pas compte qu'elle tremblait. Était-ce de froid ou de douleur, Cassandre n'aurait pu le dire avec exactitude, mais elle se doutait que ce devait être un complexe mélange des deux.

Pour la première fois depuis qu'elle avait franchi les portes des thermes, Cassandre sentait que sa présence pourrait peut-être apaiser la jeune femme. Même si elle avait encore l'air ailleurs, peu consciente de son environnement immédiat, Eleanor savait au moins que la prêtresse de Rikni était venue, et se tenait devant elle, prête à la soutenir. Cassandre s'était d'ailleurs accroupit devant elle afin de se tenir à son niveau et capter son regard. Parfois, en l'absence de mot, ces fenêtres de l'âme qu'étaient les yeux pouvaient se montrer très important. On pouvait y lire toute sorte de chose si tant est qu'on y soit attentif et, à ce moment là, Cassandre y lu une tristesse infinie, une douleur et un désarroi abyssal.

Pour la première fois depuis fort longtemps, la prêtresse de Rikni se dit que peut-être que les rumeurs qu'elle avait entendu un peu plus tôt étaient vraies. Cela pouvait expliquer bien des choses et dans le cas présent c'était plus que logique. Eleanor avait perdu un proche récemment, et si elle en croyait les racontars, il devait s'agir de son frère. Peut-être avait-il était brûlé hier sur un des bûchers funéraires. Peut-être en avait-elle été témoin. Pour Eleanor, qui semblait aimer la vie sous toutes ses formes, cela devait être un tournant horrible et inconcevable. Cassandre comprit pourquoi elle se trouvait dans une telle tourmente de larmes et de peine. Cette perte devait être un calvaire et sans doute percevait-elle cela comme une réelle blessure à l'âme. Il est des choses pour lesquelles certaines personnes douces et au bon cœur ne sont pas prêtes et Eleanor, dans toute sa gentillesse, devait en faire partie.

« - Ilias... Ilias est mort? »

Eleanor s'était exprimé dans un souffle, presque sans tonalité, à croire que sa gaieté l'avait abandonné. Le choc fut encore plus complet lorsque Cassandre nota son hésitation et sa question, comme si elle ne réalisait pas pleinement la perte, ou plus simplement si inconsciemment elle s'y refusait. Elle avait beau être prêtresse, Eleanor restait un être humain dévasté par un drame.

Cassandre ne pouvait que rejoindre la douleur de celle qui ressemblait le plus à une amie. Elle avait mal pour elle et savait ce que la perte pouvait causer. Elle l'avait vécu elle aussi, mais avec plus de détachement et son chagrin avait alors été moins grand, mais pas absent. La prêtresse serra les dents et soupira légèrement pour garder les idées claires. Ses yeux la picotaient et voir Eleanor ainsi lui causait beaucoup de peine, pourtant elle devait se montrer forte si elle voulait l'aider. A cet instant, la prêtresse de Sérus ressemblait presque à une enfant. Apeurée. Déboussolée. L'âme en berne.

Cassandre ne sut que faire pour la réconforter et elle se décida à la prendre dans ses bras un moment pour tenter de la calmer. Eleanor était gelée jusqu'aux os, frigorifiée de douleur et la jeune femme se refusa de rester les bras croiser en plus parlant simplement. Elle avait besoin de comprendre qu'elle n'était pas seule et qu'elle pouvait encore compter sur quelqu'un. Au bout de quelques minutes, Cassandre trouva la force de lui répondre avec douceur.

« - Je crois qu'il a rejoint le domaine d'Anür. »

Tout en prononçant ces mots, Cassandre caressait doucement les cheveux de la prêtresse de Sérus. Ces mêmes cheveux que tous voyaient comme une damnation. Ces mêmes cheveux qui la rendaient différente aux yeux des autres. Ces mêmes cheveux que Cassandre trouvait pourtant jolis et qu'elle estimait comme une offrande faite par les Dieux.

« - Eleanor, il n'aura plus jamais à souffrir, il n'aura plus jamais à avoir faim. Il sera en paix. A nous de nous montrer digne de lui désormais. »

Cassandre avait oublié les formules de politesse liées à leur condition. Elle les avait banni plutôt. Les deux jeunes femmes étaient seules, elles n'avaient pas à se plier à ses règles pour le moment et Eleanor n'avait pas besoin de voir la distance et les barrières que l'étiquette leur imposait. Elle avait besoin de soutien et Cassandre espérait l'aider à se relever de ce drame. Après tout, elles étaient amies, non?

Eléanor contemplait Cassandre sans vraiment la voir. Elle savait qu'elle était là, et cela lui suffisait déjà amplement. Elle n'attendait pas vraiment de réaction de la part de la prêtresse de Rikni, mais réussir à dire ces mots lui avait déjà fait un peu de bien. Oui, elle se rendait compte maintenant que son grand frère ne reviendrait plus. Les flots de larmes ne se tarirent pas pour autant, du moins pas tout de suite. La révélation de cette perte avait ouvert en elle une nouvelle blessure, laissant libre cours à ses pleurs. Elle se dit ironiquement qu'elle n'allait bientôt plus avoir assez d'eau dans tout son corps et qu'il faudrait peut être arrêter de pleurer, mais elle en était incapable.

Elle remarqua que Cassandre semblait triste elle aussi. Pourquoi? Avait-elle perdu quelqu'un durant cette longue bataille contre un ennemi bien trop puissant et cruel? Ou bien était elle seulement triste pour la prêtresse prostrée dans un coin des thermes et qui venait de lui révéler que son grand frère était mort? Soudain, la jeune femme blonde prit Eléanor dans ses bras. Elle se laissa faire, son chagrin lui avait enlevé toutes les forces dont elle disposait habituellement. Elle se sentait bien, là, au creux des bras de la prêtresse. Cela ressemblait à ses souvenirs, lorsqu’elle tombait dans la petite cour de la maison de ses parents et que sa mère la prenait dans ses bras pour la réconforter. Elle ferma les yeux et s'abandonna sur l'épaule de Cassandre, laissant couler librement ses larmes. La malheureuse robe verte aux couleurs de Rikni allait finir toute trempée, mais son... amie ne semblait pas y prêter grande attention. Elles étaient amies, hein?

Et puis la prêtresse prononça des mots qui la firent frissonner. "Je crois qu'il a rejoint le domaine d'Anür." Oui, surement, mais comment en être sure? Son frère était un homme bon et tranquille. Il n'avait pas d'histoires, il était gentil et avenant, il aimait sa famille et il faisait toujours de bonnes actions lorsqu'il le pouvait. Mais tout de même, comment savoir? Si Anür était en colère contre les Hommes, est ce qu'elle l'accepterai tout de même? La prêtresse lui caressait maintenant les cheveux, comme pour la rassurer. La jeune femme fut surprise par ce geste. Personne ne lui touchait jamais les cheveux, plus depuis qu'elle avait quitté la maison pour aller vivre au Temple. Cela la fit verser quelques larmes de plus, les dernières retardataires, puis le flot se tari enfin. Elle resta là, les yeux fermés et la respiration saccadée. Elle ne voulait pas quitter les bras de Cassandre, pas tout de suite. Elle ne se sentait pas la force d'affronter l’extérieur aujourd'hui. Elle n'arriverait pas a rester digne. Elle voulait dormir. D'ailleurs ses paupières devenaient lourde maintenant. Elle voulut résister quelques instants, assez du moins pour entendre les dernières paroles de son amie.

- "Eleanor, il n'aura plus jamais à souffrir, il n'aura plus jamais à avoir faim. Il sera en paix. A nous de nous montrer digne de lui désormais."

Surement... Mais encore une fois, comment savoir si l’âme de son frère n'était-elle pas devenue errante, âme en peine restée sur Terre parce qu'il n'aurait pas plu a la déesse à la queue de poisson. Elle hocha légèrement la tête, parce que ces paroles la rassuraient quand même un peu. Et puis, elle voulait montrer à Cassandre qu'elle avait entendu, que la jeune femme ne tentait pas de la rassurer pour rien. Puis ses paupières lourdes eurent raison d'elle, et elle se retrouva bientôt plongée dans un sommeil sans rêves.

Un flots cristallin ne cessait de s'écouler sur les joues de la jeune prêtresse et cela peinait d'autant plus Cassandre. Elle n'était pas habituée à ce genre de situation et ne s'était jamais réellement sentie proche de quelqu'un de la sorte. Eleanor était une des seules amie qu'elle avait et la voir dans un tel état ne laissait pas la petite blonde de marbre. Elle maintenait toujours la jeune femme contre elle, Cassandre ne savait que faire ni que dire de plus pour apaiser son mal. La perte d'un être cher était une des épreuves les plus douloureuse qu'on puisse connaître et s'en remettre était un vrai défi. La prêtresse de Rikni ne pouvait que soutenir au mieux son amie en espérant que cela ne la détruirait pas.

Cassandre avait prononcé ces quelques paroles qu'elle espérait réconfortante pour aider la jeune femme. D'habitude plus observatrice qu'autre chose, elle ne savait pas trop comment gérer la situation présente et tâchait de faire au mieux. Ainsi elle caressait avec douceur les cheveux d'Eleanor, ces cheveux qui faisaient tant débat au sein du Temple et qui la rendait pourtant unique. Elle n'avait d'ailleurs pas réagit aux mots prononcés et s'était contentée d'écouter avec un regard toujours aussi vague, lointain. Les larmes avaient fini par se tarir et laissaient des sillons humides sur les joues pâles de la prêtresse de Sérus. Elle en était même venu à fermer les yeux, comme pour ne plus voir ce monde qui la faisait tant souffrir avec cette injustice, et tentait de maîtriser sa respiration qui semblait presque saccadée par moment. Et Cassandre s'en inquiétait. Elle ne voulait pas qu'Eleanor fasse une crise d'angoisse, encore moins ici. La vapeur qui s'élevait des bains ne l'aiderait en rien à respirer et elle risquer de suffoquer, voire de s'étouffer si elle paniquait. Ce qu'il lui fallait s'était du repos, un bon sommeil réparateur qui lui permettrait peut-être de refaire une partie de ses forces. Cassandre n'eut d'ailleurs pas besoin de convaincre la jeune femme. Petit à petit la prêtresse pesa un peu plus contre son amie et cette dernière se rendit compte qu'elle s'était endormie.

La jeune femme soupira, pas rassurée pour autant, et regarda autour d'elle. Elles étaient toujours seules, entourées des bains d'eau et de vapeurs. Cassandre soupira en se demandant comment elle allait se débrouiller pour faire sortir Eleanor de là sans aide et sans attirer trop l'attention. Car elle ne voulait pas qu'on ajoute encore des rumeurs sur le dos de son amie. Elle faisait déjà bien trop l'objet de discussions à son goût, autant ne pas rajouter un éventuel contenu pour de nouveaux racontars. Cassandre la laissa néanmoins se reposer quelques instants dans la quiétude du lieux avant de tenter de la réveiller avec douceur.

« - Eleanor...? »

Ne la voyant pas réagir, Cassandre décida de l'adosser contre le mur le plus proche et elle se leva prestement. La prêtresse de Rikni alla tremper ses mains dans l'eau du bain et alla les appliquer sur la figure de la jeune femme. Sa peau était chaude et Cassandre ignorait si cela était dû à leur présence dans les thermes où si Eleanor avait de la fièvre. Malgré la température de la pièce, elle traînait dans une robe à demi mouillée depuis de longues minutes et cela ne devait en aucun cas aider. Il fallait dans tous les cas la sortir d'ici et aller la coucher, cela ne pouvait que l'aider.

La petite blonde passa une main mouillée sur le front de la prêtresse de Sérus et l'appela une fois de plus.

« - Eleanor, je vous en prie, réveillez-vous... »

Les premiers visiteurs n'allaient pas tarder à affluer dans le Temple, menant avec eux le peu d'offrandes et de raison qu'ils leur restaient. Il ne leur faudrait pas longtemps pour parvenir jusqu'aux thermes après ça. Il ne restait donc que peu de temps et Cassandre escomptait bien évacuer Eleanor avant cela.
Comme si elle avait inconsciemment compris, Eleanor remua légèrement et finit par ouvrir un œil.

« - Eleanor, nous devons partir. Les fidèles ne vont pas tarder et j'ai peur que vous soyez souffrante. Si vous arrivez à marcher, vous voulez bien venir avec moi...? »

Le sommeil s'était emparé d'Eléanor le plus naturellement du monde. La jeune femme n'avait pas résisté à son appel, ses paupières tombaient et ses yeux la piquaient a force d'avoir pleuré. Elle voulait fuir ce monde a tous prix. Que pouvait-elle y changer de toutes façons, à ce monde? Elle n'était qu'une prêtresse parmi tant d'autres et sa présence ne changerait rien au déversement de haine et de violence qui se déroulait chaque jour un peu plus à l’extérieur. Elle était plongée dans un sommeil lourd, ponctué par des images heureuses qu'elle ne connaissait pas. Elle se voyait rire et danser, mais elle savait que cela n'était jamais arrivé, pas même lors des rares fêtes auxquelles elle avait pu assister étant enfant. Intriguée, la jeune femme s'avança vers son double qui continuait de rire avec un homme qu'elle n'avait jamais vu. C'était comme une sorte de... Bulle. Oui, c'était cela, elle était entourée de bulles se déroulant à des endroits différents, des saisons différentes, mais elle semblait toujours heureuse. Pourquoi était-elle si heureuse? Eléanor ne comprenait pas comment tous ces doubles d'elle arrivaient à passer outre la mort de son frère. Ils ne devaient pas... Elle se remit a pleurer, en rêve cette fois. Elle n'arrivait pas a atteindre ces bulles qui s'éloignaient à chaque fois qu'elle faisait un pas de plus.

Ses larmes s'écoulèrent de plus en plus, mais elles venaient d'au dessus d'elle cette fois. La jeune femme leva la tête pour savoir d’où venaient ces gouttes d'eau chaudes qui lui tombaient sur le visage. Elle ne vit qu'un autre double d'elle même, perché juste au dessus d'elle et qui cherchait elle aussi à rejoindre des bulles, les mêmes qu'elle surement... Puis les bulles s'effacèrent et elles se retrouvèrent toutes les deux plongées dans le noir, les gouttes d'eau continuant de ruisseler dans ses cheveux et sur son front.

- "Ele...nor, nous ... tir. ... tarder et j'ai peur ... souffr... Si ... arrivez à ma...er, vous voulez bien venir avec moi...?"

Ces paroles douces étaient comme un écho provenant du fin fond de l'obscurité qui les entourait. Elle relava la tête mais elle était toute seule désormais. Elle entendit la dernière phrase beaucoup plus clairement que les autres, et elle ouvrit un œil prudent, ensommeillé.

- "Que... Que s'est-il passé?"

La jeune femme ouvrit son deuxième œil pour contempler une Cassandre légèrement affolée qui se tenait debout devant elle. Elle remarqua qu'elle était adossée au mur, et toucha son front. Elle sentit des gouttes d'eau chaude qui ruisselaient jusqu’à la naissance de son nez. La prêtresse essaya de se relever tant bien que mal, sans grand succès. La tête lui tournait et elle avait l'impression que des milliers de petites personnes tapaient l’intérieur de son crane avec des marteaux de forgeron. Ses jambes étaient en coton et portaient avec faiblesse ses soixante kilos. Elle avait l'impression que c'était soixante de trop d'ailleurs, elle aurait tant voulu pouvoir voler à cet instant. Elle se tenait la tête d'une main comme si elle avait peur qu'elle ne tombe par terre, et le mur de l'autre pour se soutenir.

- "Cassandre je... J'ai fait un rêve étrange... Je ne comprend pas..."

Eléanor sentait qu'il ne fallait pas rester là. Elle se sentait mal, son envie de vomir n'avait pas vraiment disparu. Elle arrivait un peu mieux à se situer mais à ce moment, la chaleur des thermes lui donnait des sueurs froides et l'étourdissait de plus en plus. Elle avait surtout besoin d'air frais. Elle dirigea un regard morne et toujours empli de tristesse vers son amie et lui tendit la main qui tenait sa tête.

- "Pouvez vous m'aider à... à sortir s'il vous plait?"