◈ Purification des âmes ◈
Quelque part dans Marbrume,
Décembre 1166
- « Mes frères, mes sœurs, l’heure est venue pour l’usurpateur de tomber, ce duc devenu Roi devra rendre sa couronne, de lui-même ou dans le sang. Notre ordre est désormais suffisamment étendu, nous avons des yeux et des oreilles partout où cela sera nécessaire, afin d’accomplir la mission qui nous incombe. Son couronnement a été un véritable massacre, il est encore déstabilisé. Nous ne devons pas faiblir, c’est maintenant qu’il faut frapper et qu’il faut réaliser la volonté des Trois. »
L’homme masqué tape du poing sur la table en bois, alors que sa carrure imposante ne laisse que peu d’espoir quant à sa détermination. Sa voix ne faiblit aucunement et le brouhaha perpétuel qui s’agite autour de lui ne semble pas le perturber le moins du monde. Il contourne le meuble, attrape la main d’une femme qui ne tarde pas à le rejoindre. Si son visage est invisible aux yeux de tous, sa chevelure d’un roux flamboyant ne peut qu’attirer l’œil. La dame reste silencieuse, s’incline poliment devant celui qui semble mener les conversations. Des voix s’élèvent ici et là, certains doutent, d’autres exigent une nouvelle attaque et pour les plus téméraires : la mort du Roi en personne. Comment l’atteindre cependant, comment le faire sortir de son château, comment l’approcher ou simplement l’effleurer du bout des doigts.
La réunion va se poursuivre, chacun évoquant son plan, son idée, la possibilité et après un long moment d’échange plus ou moins houleux le verdict tombe : il faut faire tomber les marionnettes qu’utilise le dirigeant pour l’obliger à sortir de son trou. Les sergents, les nobles influents, les prêtres responsables, les hauts prêtres, les commerçants qui le défendent. La peur doit s’abattre sur tous, l’inefficacité de Sigfroi de Sylvrur doit éclater au grand jour. Il n’y a que par la crainte que notre Ordre pourra faire valoir son pouvoir, les hérétiques doivent être purifiés. Le peuple ouvrira enfin les yeux sur ses dérives et devra se ranger dans le droit chemin ou sombrera.
Le sang coulerait encore à Marbrume, le rouge vermeil tacherait les draps, les bureaux, les rues. Tous ceux n’ayant pas suivi les préceptes de la Trinité à la perfection pouvaient craindre pour leur vie. C’était décidé. Fallait-il désormais définir les premières victimes qui trouveraient la mort dans les prochains jours. Le temps défila sans qu’aucune disparition ou décès ne soient déclaré. Les réunions s’enchaînaient néanmoins et la liste des futures cibles ne faisait qu’augmenter. En tête de liste le Roi bien sûr, puis le bailli, les capitaines, les dignitaires… Tous avaient néanmoins conscience qu’ils n’allaient pas pouvoir les atteindre immédiatement. La patience était l’art le plus précieux que les Trois avaient offert à l’Homme, fallait-il s’en montrer digne.
Les quelques regards se portant sur la liste, ou se la faisant lire avaient écarquillé les yeux. Les noms de sergents s’y trouvaient, des hauts bourgeois, de petits commerçants, des membres du peuple comme monsieur ou madame tout le monde, des hauts prêtres et prêtres responsables, des coutiliers, des nobles. Chacun s’était vue attribuer un nom, chacun devait ouvrir des portes pour amorcer des doutes dans la conscience collective. Le commanditaire et coupable principal ne pourrait être que le Roi, après tout n’était-ce pas lui le garant de la sécurité de tout ce beau monde. Ce fut acté, la première purification aurait lieu début Janvier.
Rue de Marbrume,
Crieur public,
Début Janvier 1167
- « La comtesse de Rivelac est morte retrouvée pendue, elle aurait laissé une lettre d’excuses aux Trois pour ses relations avec des femmes »
- « Le patron l’établissement « aux cuisses brûlantes » retrouvé mort, le corps du pauvre homme aurait été emboîté dans ceux de deux filles de joies… Plusieurs statuettes des Trois retrouvées à côté de lui »
- « Le sergent Mernel est mort, il aurait sauté du toit de la milice, le corps a été retrouvé au milieu de la caserne… »
- « La haute prêtresse Delapomme est morte…. Elle se serait ouvert les poignets dans les thermes du Temple…»
- « Un bûcheron aurait été retrouvé mort, empalé et brûlé, probablement dans cet ordre là … »
Ce jour-là, les annonces ne semblaient pas s’arrêter et c’est plus d’une vingtaine de personnes qui trouvèrent la mort dans des circonstances étranges. Les crieurs ne savaient plus comment parvenir à faire passer l’information et rapidement l’ensemble fut déformé, dégradé, jusqu’à se transformer en ce simple murmure : Les Trois auraient décidé de condamner les âmes déviantes. Chacun allait de son commentaire vis-à-vis des victimes et peu à peu la vérité semblait éclater au grand jour : Tous avaient été en désaccord avec les Trois, tous n’avaient pas respecté leur précepte à leur façon. Liaison entre personne du même sexe, infidélité, comportement déplacé, chantage, viol… À force de creuser la noirceur des morts semblaient ne connaître aucune limite et peu à peu la peur s’instaurait, se rependant comme une maladie contagieuse. Qui pouvait se vanter dernièrement de ne rien avoir à se reprocher, qui pouvait réellement se pavaner dans les rues sans se demander si le courroux des Dieux n’allait pas lui tomber dessus ?
La milice semblait débordée, les femmes miliciennes démissionnèrent rapidement par crainte d’être ciblées, d’être le futur corps. Aucun indice n’était trouvé sur place, aucun témoin sur les lieux. Certains sergents trouvaient la mort de leur collègue justifié, d’autres, injuste, et d’autres conservaient le silence. Le Clergé fut rapidement débordé par les fidèles souhaitant se confesser, se faire pardonner, chacun y allant de sa dose de dénonciation au passage.
Rapidement, la ville fut sous-tension sans que la milice, ou le clergé ne parvienne à se faire rassurant, régulièrement un nouveau mort était trouvé. On parlait de nouveau de couvre-feu, on parlait des sectaires…. Une rumeur autre émergeait d’autant plus : Tous les morts se seraient opposés d’une façon ou d’une autre au Roi. Ce dernier avait déjà montré sa façon de s’occuper de ses ennemis, l’affaire de Sarosse revenait dans les mémoires, alors n’aurait-il pas pu recommencer, sous couvert de faire appliquer les vœux des trois divinités.
Lettre à destination de la noblesse,
5 Janvier 1167
Ce matin-là tout était devenu différent ou presque, la méfiance régnait dans les rues et quelques voix s’élevaient ici et là, quémandant une audience auprès du Roi, exigeant de Sa Majesté une réaction, que tout ceci cesse, oui, tout devait cesser. Les miliciens étaient en difficulté et tous avaient en tête la catastrophe du chaudron et si tout recommençait ? Non, ce n’était pas possible. C’est ce qui poussa le Roi à rédiger une lettre à l’intention de la noblesse. La lettre était sobre, digne respectable, il évoquait avoir besoin du soutien de ses alliés, notifiant avoir conscience que ce courrier tomberait également entre de mauvaises mains. La noblesse avait toujours su diriger le royaume, rien ne devait changer avait-il dit, pourtant des individus semaient le trouble, menaçaient de dévoiler des secrets, des secrets concernant tout à chacun, personne n’était à l’abri et c’était à eux de prêter main-forte aux miliciens, à eux de représenter le Roi, à eux de se montrer respectable et redevable de l’absence de faim, du confort, de la sécurité. Si Marbrume devait sombrer, alors l’humanité toucherait à sa fin. L’ordre des chevaliers devait renaître. Un ordre capable d’assister la milice, les sergents, les coutiliers, un ordre digne du rang des nobles. Qui ne rêvait pas devenir propriétaire de son domaine ? Qui ne rêvait pas de voir ses dettes vis-à-vis de la couronne soudainement effacées, qui ne rêvait pas de récupérer un titre, ou d’obtenir une place dans les rangs de sa future armée en devenir.
La fange avait été une préoccupation essentielle, aujourd’hui l’Homme montrait que malgré les risques, il pouvait être aussi fourbe et trouble que cette monstruosité. Il est temps de retrouver le comportement respectable que l’humanité mérite, de cesser de subir, mais de reprendre, de conserver.
Le roi avait besoin de l’aide de l’ensemble de la noblesse, cette dernière allait-elle se ranger de son côté, ou se rebeller contre lui à son tour ? L’histoire ne pourrait que le dire.
8 Janvier,
Temple de Marbrume, grande salle
- « L’ordre doit être refondée ma mère et nous avons besoin de l’aide du clergé, vous le savez »
- « Vous aurez le soutien des représentants des Trois, les faits sont trop graves. Je vais échanger avec les capitaines et le bailli. La place de la noblesse n’est plus dans la contemplation, mais dans l’action. Le peuple à peur, mes prêtres ont peur… Il faut faire vite et trouver ceux dans nos propres rangs qui gangrènent nos esprits. Les entrailles du temple trembleront de nouveaux des hurlements des infidèles, faites vite et retrouvons notre paix définitivement. »
C’est ainsi que des nouveaux oiseaux furent envoyés, c’est ainsi que la rumeur se faufilant dans les rues que l’ordre des chevaliers sous la lame de Messire Beauregard cherchait des gens dignes pour le représenter, pour agir. Le Bailli avait approuvé, les deux capitaines aussi, à partir de ce jour, les nobles pourraient rejoindre la milice, les chevaliers pourraient rejoindre la milice officiellement afin de transformer peu à peu la caserne et ses troupes en une armée efficace. Avant ça, néanmoins, allait-il falloir nettoyer en profondeur les rangs, sans quoi, Marbrume n’aurait absolument aucune défense face à la cruauté des Hommes et peut-être même des Dieux eux-mêmes. Le temps était néanmoins responsable de bien des complications, comment refonder l’ensemble si rapidement, alors que chaque nouveau jour où le soleil venait à se lever, on espérait qu’aucun crieur n’annonce un nouveau mort aussi atroce que tous les précédents.
L’ordre avait fini par renaître, oui, et chaque noble était libre de le rejoindre, héritier ou non, à eux de définir ce qu’ils étaient en mesure de gérer, d’espérer, d’apporter. Des réunions semblaient avoir lieu ici et là, d’abord dans des tavernes, puis dans le clergé, puis enfin à la caserne avec les différents sergents, puis avec les coutiliers.
Allez-vous rester neutre, vous engager dans cet ordre nouveau pour le reconstruire ou vous rebeller contre Sa Majesté ? On murmurerait même que certains membres du clergé auraient abandonné leur fonction pour arborer le titre de chevalier, prendre les armes pour défendre leur dieu, n’était-ce pas une première pour les représentants des Trois ?