Marbrume


-14%
Le deal à ne pas rater :
Apple MacBook Air (2020) 13,3″ Puce Apple M1 – RAM 8Go/SSD 256Go
799 € 930 €
Voir le deal

Partagez

 

 La Mémoire des Songes [Apolline]

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
InvitéInvité
avatar



La Mémoire des Songes [Apolline] Empty
MessageSujet: La Mémoire des Songes [Apolline]   La Mémoire des Songes [Apolline] EmptyMar 15 Déc 2020 - 22:49





La Mémoire des Songes



22 septembre 1166
Demeure d'Apolline de Pessan



A l'abri sous une arche, Enguerrand attendait vaille que vaille la fin de l'averse.
La météo reflétait son état d'esprit alors qu'il venait de quitter ses fleurs de trottoir sur une note morose. En l'absence de matière première pour réaliser ses mixtures, les clients voyaient moins d'intérêt à venir risquer leur santé avec ses butineuses. Peut-être aussi que la découverte de nouveaux visages - et ce qu'ils apportaient en termes de curiosité ou d'espoir - compensait un peu les effets néfastes de la routine et faisait oublier un instant les appels de l'estomac.

En d'autres mots, il lui fallait trouver des solutions pour faire perdurer l'héritage d'une sacrifiée. Mais aussi - et il devait bien se l'avouer - pour diversifier ses sources de repas. Car tout était bon à prendre. Seulement, la période n'était pas prospère et plus rien ne lui revenait depuis la mort de Charlène. La gestion était moins son domaine, quand son penchant était davantage tourné vers les idées et les opportunités. Après plus d'un an déjà, l'affaire sombrait. Mais il était bien décidé à y remédier.

La pluie semblait lui offrir un instant de répits. Enguerrand en profita pour filer vers les remparts intérieurs. Paradoxalement, il aimait autant l'odeur de la terre soulevée par l'humidité que ces imposants murs qui séparaient l'élite des roturiers. Du moins ce qu'il en restait, dans le premier camp bien sûr. La traversée de l'esplanade lui rappelait une époque révolue où l'insouciance était encore permise. Et c'est avec cette pointe de nostalgie habituelle accompagnée d'un sourire en coin qu'il frappa à la porte de cette demeure qu'il visitait parfois.

Le prêtre patientait en faisant dos à l'édifice pour prendre le temps de balayer le décors du regard. Les mains dans le dos, l'atmosphère lui rappelait ce jour où il se trouva face aux abîmes d'une âme perdue. Ce jour où, sur les remparts aux portes closes, il comprit qu'il existait un désespoir si profond que l'essence même de la vie pouvait s'y déverser à l'infini. Mais il pressentait une complexité autrement insaisissable qui attisait sa propre curiosité.

Pourquoi avait-il l'impression qu'aujourd'hui était spécial ?
A moins que chacune de leur rencontre ne le soit.
Car il avait l'impression d'apprendre quelque chose de nouveau à chaque fois.
Sur la vie et ce qu'elle n'est pas.
Sur elle.
Sur lui-même parfois.
Revenir en haut Aller en bas
Apolline De PessanComtesse
Apolline De Pessan



La Mémoire des Songes [Apolline] Empty
MessageSujet: Re: La Mémoire des Songes [Apolline]   La Mémoire des Songes [Apolline] EmptyMer 16 Déc 2020 - 21:38


Apolline observait sagement la pluie tomber, bien à l’abri derrière le vitre de sa demeure, elle avise la buée qui se forme sous l’impact de sa respiration. La différence de température semble être réelle si bien qu’un léger frisson vient remonter le long de son dos, alors que l’enfant qu’elle n’est plus hésite un instant à venir dessiner une bulle sur la vapeur offrant ce trouble sur le verre. Ses doigts viennent lisser dans un geste répété les plis de sa robe d’un bleu sombre, avant de se perdre dans la chevelure. Son chignon est parfaitement épinglé, tombant légèrement sur le bas de sa nuque, son maquillage est léger est naturel refaisant parfaitement ressortir ses prunelles brunes. La comtesse, observe, attente, patiente, aujourd’hui le prêtre de Morret doit venir. Leur rencontre est habituelle, presque routinière, la dame ne souhaite avoir affaire qu’avec lui, par habitude, confiance. Un soupir vient fuir ses lèvres, un pincement de lèvres alors que le geste exutoire qu’elle réalise sur le tissu de sa tenue s’immobilise, ses doigts se font et se défont. Elle redoute cette conversation, celle ou lui aussi par obligation lui rappellera qu’elle doit se marier, pour la noblesse, pour l’honneur de sa famille. Il est en retard, ce qui la fait plisser le nez, se relever, elle entend l’eau chauffer dans la cuisine rien qu’en ouvrant la porte de sa chambre. Les petites mains terminent d’astiquer l’ensemble de la demeure, ne pouvant faire déshonneur à la famille, recevoir un prêtre est une chose qu’on ne doit pas louper, un honneur, une reconnaissance des Trois.

Lentement, la dame vient descendre les marches, s’autorise un bref regard vers celle qui s’affaire à réaliser quelques douceurs, quelques infusions. La comtesse laisse trainer un doigt sur un meuble, affiche un léger sourire alors qu’elle constate que le ménage est parfait. Sa robe longue traine légèrement derrière elle, la dame ne peut que réajuster un léger châle qui recouvre en partie ses bras et ses épaules. Le collier de pierre ornant son cou et discret, tout comme la bague qu’elle porte. Devant un représentant des Dieux, il ne faut pas trop en faire et puis après d’aussi nombreuses années à se côtoyer, à se confesser, à échanger, elle ne cherche plus nécessairement à se soustraire de sa vision. Après tout, on ne peut mentir à un prêtre, n’est-ce pas ?

La dame abandonne le grand hall, préfère laisser ses pas se perdre vers l’entrée, là où des fleurs, des tapis et des nombreux tableaux décorent l’endroit. Rapidement elle délaisse le lieu pour se déplacer dans le petit salon, là où aura lieu l’échange, elle constate avec satisfaction que les fauteuils sont mis face à face, que déjà les tasses son prêtes sur la petite table basse, les meubles sont remplis de bibelots tous plus précieux les uns que les autres, les murs le témoin des suspensions des représentations familiales, datant de bien trop nombreuses années pour la dame de Pessan ne se souviennent du nom de toutes les personnes représentées. Un soupir encore, simple et furtif, alors qu’elle écarte les rideaux du bout des doigts, avise celui qui vient de passer le portail et qui se dirige vers la porte de la demeure de la famille. Peu de temps après cette constatation, elle perçoit le tambourinant à la porte, affiche un petit sourire, alors qu’elle prend place sur l’un des petits fauteuils.


- « J’y vais, j’y vais madame, ne bougez pas ! » se fit entendre une voix féminine en dévalant les nombreuses marches

La petite brune dépoussiéra rapidement son tablier, offrant un sourire en passant à la noble dame qui patientait. La domestique ne put qu’ouvrir la porte, détailler de ses yeux tout aussi marron que ceux de sa maîtresse. Tournant la poignée, elle ne put que s’incliner dignement pour saluer comme il se devait le prêtre, se redressant, elle se décala pour lui laisser la place de rentrer, refermant soigneusement derrière lui, tout en prenant la parole.

- « Bonjour mon père » fit-elle en laissant un long moment ses prunelles sur sa silhouette « Madame de Pessan vous attend dans le petit salon » lâcha-t-elle « Suivez-moi je vous accompagne, puis-je vous délester de vos affaires en surplus ? » l’interrogea-t-elle tout en ouvrant en bras vers la porte ouverte

Bien évidemment, s’il le lui avait permis, elle l’aurait déchargé de tout surplus d’affaires pour l’accrocher dans l’entrée. Ceci fait, elle s’arrêta une fois arrivée à l’entrée du petit salon, offrant d’un bref geste du menton le signe au membre du clergé pour lui permettre de rentrer. Ce fut au tour de la maîtresse des lieux de la saluer, se relevant, venant une nouvelle fois lisser les plis de sa robe du bout des doigts.

- « Mon père » fit une dame de Pessan d’une voix plutôt douce « Croyez bien que je suis navrée de vous avoir fait vous déplacer par ce temps, j’espère que vous ne m’en tiendrez aucunement rigueur. Puis-je peut-être vous proposer une infusion bien chaude pour me faire pardonner ? » elle attendit, s’approchant de quelques pas pour effectuer une révérence parfaitement maîtrisée « Mais je manque à tous mes devoirs, entrez, je vous en prie, prenez place ! »

La sang bleu ne put que patienter, attendre qu’il prenne place pour se réinstaller, rabattant ses jambes l’une contre l’autre, laissant un peu en arrière ses talons vis-à-vis de son buste. Croisant ses mains sur le haut de ses cuisses, elle ne put que l’aviser un long instant, sans pour autant afficher le moindre sourire.

- « j’espère que vous vous portez bien ? » l’interrogea-t-elle par politesse, scrutant le moindre de ses mouvements « J’ai ouï dire que le temple avait accueilli récemment plusieurs naufragées » fit elle en détacha ses yeux de la silhouette masculine pour détailler la pluie qui avait repris à l’extérieur « Le temple à un noble cœur, j’espère que les nouveaux arrivants pourront aider à leur juste mesure » elle prit une légère inspiration avant de reprendre « Je ne sais pas si je vais avoir grand élément à vous évoquer en ce jour » osa-t-elle en se pinçant les lèvres.

Rapidement ce fut la petite dame de maison qui fit une nouvelle son apparition, les bras chargés d’un plateau constitué d’une cruche d’eau chaude et des petits gâteaux sucrés fait maison. Élément plutôt rare et signe par la simple présence de la richesse de la maison. Un large sourire sur les lèvres, la domestique, déposa l’ensemble sur la table basse, s’inclina sous le regard appuyé de la noble dame avant de disparaitre pour s’éclipser. Apolline s’était penchée, remplissant les deux tasses contenant quelques plantes d’eau chaude, savourant le visuel de la vapeur qui s’envole dans l’air.

- « Rien de tel qu’une infusion pour se réchauffer un peu, n’est-ce pas ? » souffla la comtesse « Avez-vous entendu parler du mariage à venir, messire de Beauharnais, le comte non natif, vient de voir son temps de veuvage se terminer et va prendre pour épouse dame d’Auvray, cadette de l’ancienne famille de Banneret, dont le frère est devenu sergent dans la milice » elle l’avisa un instant, poussant du bout des doigts le récipient « Tout le monde en parle, ils sont installés sur mes terres au Labret et je dois faire honneur de ma présence, oserais-je vous avouer que cela ne m’enchante guère, les mariages -et j’en suis navrée, pardonnez-moi mon père-, n’est plus à mes yeux aussi bienheureux que ce que mérite ses deux presque encore jeunes gens. »

Revenir en haut Aller en bas
InvitéInvité
avatar



La Mémoire des Songes [Apolline] Empty
MessageSujet: Re: La Mémoire des Songes [Apolline]   La Mémoire des Songes [Apolline] EmptyJeu 17 Déc 2020 - 23:31
Le soleil était éblouissant et son regard se plongeait dans ses yeux aux reflets d'émeraude. Elle riait à sa blague de jeune adolescent. Enfin, une blague... Il avait été sincère mais il lui manquait une certaine crédibilité pour que sa tutrice prenne la pleine mesure du sens de ses mots. Néanmoins, il avait réussi à faire sourire Seylia. Mal à l'aise, il réajusta sa position sur le banc, le rouge fixé sur ses joues.

Un cliquetis lui fit cligner des yeux. Soudain, la chaleur de l'instant s'éclipsa et l'humidité gagna ses chausses sous un ciel plombé de cumulus ombrageux. Enguerrand mit quelques instants avant de se retourner. Le temps d'inspirer et de se remettre du sentiment de nostalgie qui venait de l'envahir. L'avenir était terne. Et pourtant, sa position consistait à insuffler l'espoir aux âmes perdues...
La rencontre qui s'annonçait lui fit cependant reprendre des couleurs. Car, avec certaine personne, il était plus aisé de l'entrevoir. Était-ce simplement pour la femme en elle-même, ou la comparaison d'un passé bien plus sombre que le sien ?

- Bonjour, mon enfant, fit-il avec un sourire aux lèvres tandis qu'il passait le seuil. C'est toujours un plaisir d'être accueilli par ce joli minois.

Le prêtre sortit de sa poche une petite boîte emballée dans une feuille de papier, avant de laisser son long manteau à la domestique. Même en ces temps difficiles, il ne pouvait se permettre d'afficher la moindre difficulté. Ainsi espérait-il afficher une forme de stabilité pour devenir le pilier des esprits tourmentés. Il n'avouerait qu'à Rikni elle-même que cette méthode n'était utilisée que pour une petite poignée de ses fidèles, au risque de ne plus être en état d'écouter leurs requêtes.

Il veilla à sécher ses chausses sur le paillasson pendant que son manteau était accroché. Un instant qui lui servit à analyser l'entrée de la demeure. Tout était là où il devait être. Rien ne dépassait, comme à chaque fois. Et le moindre grain de poussière semblait avoir été soustrait des regards. Tout était à l'image de la maîtresse de maison. Ses sourcils eurent un mouvement de biais mais il ne se dépareilla pas de son sourire qu'il adressa enfin à son hôte en entrant dans le petit salon.

- Apolline. Je vous l'ai déjà dit. Votre amabilité et votre grâce sont de petits rayons de soleil. Comme en ce jour pluvieux. Je viendrai autant que cela me sera permis.

Utiliser son prénom n'avait rien d'anodin. Ce n'était pas une marque de familiarité, mais de respect pour le temps qu'ils avaient déjà passé à échanger sur bon nombre de sujets. Une manière de s'exprimer en privé qui devait lui permettre de trouver un peu de légèreté d'esprit. En public, la distance naturelle redevenait de mise. Ce qui se disait dans sa demeure restait dans sa demeure.

Le prêtre accepta la proposition d'une boisson chaude tandis qu'elle le saluait. Il posa sur elle un regard doux, ses doigts enserrant un peu plus la petite boîte, avant de s'avancer. Mais Enguerrand ne s'approcha pas tout de suite de la place qui était de toute évidence pour lui. Il fit le tour de la pièce, jaugeant les portraits un à un comme une salutation silencieuse à ses personnalités qu'il ne connaissait pas. Puis il s'interrompit devant la fenêtre aux rideaux écartés et apprécia la vue qui donnait sur le portail.

- Aussi bien que le permet la situation. En cela, je vous prie d'excuser mon léger retard. Il est difficile d'abandonner une situation qui nécessite une solution quand celle-ci ne semble pas vouloir se montrer.

Il se tourna vers elle, les yeux plissés avec une petite étincelle de malice.

- Mais il y en a toujours. C'est une certitude.

Enguerrand acquiesça pour lui-même - mettant fin à sa réflexion et à la patience de la jeune femme - et vint s'installer confortablement dans le fauteuil qui lui était destiné. Il croisa les jambes, puis les mains sur la petite boîte devant lui tout en gardant les yeux rivés sur elle.

Parfois, il se demandait si elle restait aussi rigide pour économiser son énergie. Mais voilà plusieurs fois que cette pensée lui traversait l'esprit : de toute évidence, lorsque l'estomac criait famine, la sensibilité menait à la violence. Alors si le corps avait cet effet sur l'humeur. L'inverse ne pouvait-il pas être vrai ?
Et si les tracas obligeaient le corps à agir, ou ne pas agir ? Un peu comme la peur qui glaçait le sang ? Si tel était le cas, quel était l'objet des pensées de son hôte ?

Un instant perdu dans ses réflexions, comme c'était souvent le cas, il fit mine de ne pas avoir perdu le fil et pinça les lèvres en copiant inconsciemment son interlocutrice.

- En effet. Son cœur est assez grand pour offrir le réconfort à qui en a besoin. Mais ses moyens seront-ils suffisants pour subvenir à ces besoins ? Cela est une autre affaire. Prenez deux chats et caressez le premier. Vous verrez sans doute le second vous réclamer la même attention.

Sans épiloguer sur la question, il préféra affirmer qu'il avait lui-même convaincu sa famille d'en accueillir quelques-uns. Cela n'était pas sans intérêt particulier... Enguerrand laissa en suspens les doutes quant au sujet du jour à aborder quand la domestique apparut pour leur laisser quelques victuailles. Le jeune homme inclina la tête dans sa direction pour la remercier et détailla ce qu'elle avait apporté, sans commentaire.

Le prêtre observait Apolline préparer leur infusion tandis que son visage était enveloppé de cette brume réconfortante. A la question, il releva subitement son regard. Comme s'il venait d'être pris sur le fait. Sur le fait de quoi ?

- En effet.

Une réponse pour deux interrogations. Alors qu'elle approchait la vaisselle vers lui, il glissa la petite boîte entre sa cuisse et l'accoudoir molletonné du fauteuil. Un geste de la tête la gratifia d'un remerciement et il saisit la soucoupe et son contenu.

- Il s'agit de cet homme qui a passé plus de temps dans les vapeurs de transpiration et la mélasse sanguine que devant un livre, n'est-ce pas ?

Ce qu'il se passait en dehors des remparts intéressait particulièrement Enguerrand. Alors quand un mariage fut annoncé en une zone difficile - certes sous protection mais néanmoins reculée qu'était le Labret - il avait cherché à en savoir davantage.
Le prêtre inclina la tête sur le côté. Un léger pli déforma la commissure de ses yeux comme une éventuelle réprobation.

- C'est que vous pensez n'avoir besoin de personne, Apolline. Et notamment d'un homme pour vous soutenir au quotidien ? Un homme sur qui vous pourriez vous reposer ? Certes, un époux qui ne pourra réparer ce qu'inflige le temps à ceux qui ont un cœur. Mais une présence à vos côtés pour envisager un avenir plus radieux ? Autant que cela se peut, du moins. Tel que le prévaut l'étiquette de la Maison à laquelle vous appartenez.

Il tendit une main franche vers le fauteuil qui se trouva face à lui pour qu'elle s'installe à son tour. Au passage, ses doigts agrippèrent délicatement l'une des gourmandises dont il croqua le bout avec un soupire de satisfaction. Puis il plongea son regard dans le sien en se penchant en avant.

- Entre nous, chuchota-t-il, c'est ce que je suis censé vous dire pour vous convaincre. Mais je suis mauvais à ce jeu là. Et vos préoccupations m'intéressent plus que de vous dire ce qu'il vous faut faire par devoir.

Il se recula avec un coin de ses lèvres relevé. Son attention se porta sur le contenu de la tasse dans lequel il plongea le petit gâteau.

La connaissant, lui servir sur un plateau le même discours que n'importe lequel de ses Frères n'aurait aucun effet. Lui-même n'était pas certain que les méthodes d'aujourd'hui étaient toujours celles qu'il fallait appliquer. A chaque ère, ses changements. Sinon, comment les Dieux eux-mêmes auraient pu défier la trame du temps ? Et des ères, il avait l'impression d'en avoir vécues plusieurs depuis quelques années. Ou peut-être qu'il sentait la corruption poindre dans son esprit depuis la découverte des activités de feu sa femme... Et cela ne le gênait nullement. Après tout, il restait fidèle à ses valeurs de justice et d’abnégation.

Il est vrai qu’habituellement ce sujet était subtilement évité par Enguerrand, sachant pertinemment que raviver les douleurs du passé ne permettait pas toujours d’aller de l’avant. Pourtant, c’était peut-être pour cela qu’il avait l’impression que ce jour était spécial. Il décida une fois de plus de contourner le propos. A demi mot…

- Dites-moi plutôt comment se déroulent vos nuits. Dans quel état d'humeur vous couchez-vous ? Et dans lequel êtes-vous au réveil ? Le monde nocturne est emprunt de sens. Il libère tout le potentiel de votre esprit et laisse libre cours à l’expression de votre âme.

Ses yeux d’azur - dont l’un était dissimulé derrière une petite mèche blanche - se figèrent dans les siens aux reflets de saphir, démontrant qu’il n’y avait aucune feinte d’intérêt dans sa question.



Dernière édition par Enguerrand de Charmoret le Dim 10 Jan 2021 - 17:59, édité 2 fois (Raison : Changement de couleur du dialogue)
Revenir en haut Aller en bas
Apolline De PessanComtesse
Apolline De Pessan



La Mémoire des Songes [Apolline] Empty
MessageSujet: Re: La Mémoire des Songes [Apolline]   La Mémoire des Songes [Apolline] EmptySam 19 Déc 2020 - 12:04


« N’est-ce là l’écho que votre bienveillance cléricale » souffla une comtesse sans défaire son regard de la silhouette masculine « Nul n’apprécie se mouvoir sous la pluie, puisses néanmoins ma demeure sécher rapidement l’humidité de vos vêtements. Permettez-moi de vous remercier davantage pour l’honneur de votre présence. »

Se redressant légèrement maintenant son buste droit comme la bienséance pouvait l’exiger, la noble ne put que suivre des yeux celui qui se mouvait dans l’espace de son petit salon. Aucun doute ne traversa l’esprit de celle qui avait l’habitude de maîtriser chacune des situations, elle savait son habitation aussi parfaite que ce qu’elle pouvait exiger, rien ne pourrait contrarier la vision d’un membre du clergé ou qui que ce soit. Le comte en personne lui avait transmis cette exigence, exigence qu’elle continuait à s’imposer sans jamais chercher y échapper. Patientant sagement, immobile, debout pour respecter la politesse, elle glissa simplement ses mains dans son dos, nouant l’extrémité de ses doigts entre eux. Son visage conservait cette neutralité habituelle alors que ses lèvres venaient se pincer dans un réflexe inconscient. Défaisant finalement une main du bas de son dos, la comtesse sembla balayer l’air de la main en signe de négation.

- « N’est-ce nullement moi qui vous murmurais le moindre reproche » elle laissa un petit silence « Suis-je suffisamment confuse de solliciter autant de votre temps, alors que bien d’autres ont davantage besoin de vous, non pas. » penchant légèrement la tête, elle inclina doucement son visage « Une certitude dites-vous ? J’aimerais avoir votre assurance.»

S’installant dans le même temps que son invité un peu particulier, elle ne put que rabattre ses jambes contre le fauteuil, sans les croiser, déposant ses mains sur le haut de ses cuisses, la noble venait lisser par habitude le moindre des plis de ses nombreux jupons. Relevant avec lenteur ses prunelles sur la silhouette qui accaparait désormais son attention, elle l’analysait avec une réserve toute maîtrisée. Affichant un premier sourire, qui n’était comme la plupart du temps que de façade, la dame laissa son dos appuyer contre le dossier de son assise.

- « Je ne doute pas un seul instant que vous êtes en mesure où que le clergé soit en mesure de caresser deux chats » un furtif sourire en coin pour celle que son propre sous-entendu amusait légèrement « Soyez néanmoins assuré du soutien de ma famille vis-à-vis du clergé, nos finances ne sont là que pour aider le plus grand nombre, n’est-ce pas ? Comment pourraient nous voir nos Dieux si nous n’aidons pas ceux qui représentent leur voix. »

Se penchant en avant, la dame ne put que faire là encore ce qu’on attendait-elle, servir les infusions, pousser la tasse, tout en offrant un sourire plus sincère. Enguerrand avait cette manière de s’exprimer, jamais le prêtre ne dépassait les limites, pourtant il lui donnait parfois la sensation d’en avoir envie. Sans détourner les yeux de son observation extérieure, celle qui aurait pu volontiers se mettre à rire conserva son amusement pour sa propre personne.

- « C’est une manière plutôt juste de décrire les combattants, je suppose » conclut-elle en le détaillant avant de pincer une nouvelle ses lèvres « Je ne prétendrais nullement pouvoir me passer de la présence masculine à mes côtés, mon père » affirma-t-elle tout en étant convaincu du contraire « Je ne puis que vous remercier de votre sincérité, Enguerrand »

Installé une nouvelle fois sur son fauteuil, la dame prit le partie de faire silence, de laisser l’homme de foi tremper son biscuit, réfléchir, prendre la mesure de l’endroit. Les rencontres n’étaient jamais évidentes pour celle qui voyait pourtant ce prêtre régulièrement, il fallait toujours à Apolline un temps pour réduire son masque, le diminuer ne serait-ce qu’un soupçon. Prenant une légère inspiration, humant le récipient, elle ne put que faire preuve que d’un soupçon d’honnêteté.

- « Difficile à dire » admit-elle « Je ne sais pas depuis combien de temps je n’ai pas passé une nuit entière et sans réveil, pensez-vous qu’une nuit sans songe est le signe de l’abandon de Rikni ? »

Apolline maîtrisait l’art des silences, elle en usait et abusait, pour laisser pleinement la place à l’autre, à son interlocuteur, ou simplement à ses réflexions. La dame avait fini par croiser ses jambes sous ses jupons, avalant une nouvelle gorgée sans avoir la certitude d’avoir envie de converser sur ce terrain précis. N’était-il pas là pour ça pourtant ?

- « Je revis ce jour-là, en permanence, chaque nuit » elle savait qu’il était inutile de préciser de quel jour il s’agissait « J’imagine ce que j’aurais pu faire pour l’éviter, pour agir différemment. Je vois le sang couler, mais le liquide pourpre n’appartient définitivement pas aux mêmes personnes que dans la réalité » elle fit une pause, tournoyant la cuillère se trouvant dans sa tasse « Je songe parfois à ce qu’ils auraient fait dans la situation inverse, je n’ai aucun doute sur le fait qu’ils auraient tous pu refaire leur vie, ici, ou ailleurs. Père dit qu’on ne peut que reconstruire une fois que tout est détruit, mais, mon père, je ne suis pas convaincue d’avoir envie de construire le moindre monument dans l’âme que les dieux ont choisi de voir préserver »

La dame avait fini par se redresser, laissant la moindre parcelle de tissu recouvrant son corps se réajuster à la perfection. Déposant sa tasse sur la table, elle avait fini par rejoindre cette fenêtre, pour aviser cette pluie battante qui dégringolait dehors. De là, la dame de Pessan pouvait ressentir la fraicheur se dégageant de la vitre, remonter le long de ses doigts et avant-bras, sans que cela ne la gêne le moins du monde.

- « J’ai ouï dire que vous aviez coutume d’user de plante pour raviver les souvenirs des songes » fronçant les sourcils « J’aimerais m’y essayer, pas ce jour, pas ici, mais je souhaiterais comprendre ce dont je ne me souviens pas. Mais, sans vous offenser mon père, je ne suis pas certaine que vous ayez le désir de découvrir ce que les songes que Rikni m’insuffle contiennent. » pivotant légèrement, s’appuyant sur le rebord de la fenêtre, croisant légèrement ses bras sous sa poitrine elle ajouta « M’accompagnerez-vous, à ce mariage ? Une dame de ma stature ne peut guère se présenter seule et je n’ai nulle envie de répondre favorablement à une quelconque invitation. Oh, j’imagine que vous devez être débordé ici, mais, je ne puis qu’insister, prenez au moins le temps d’y réfléchir mon père, je serais me faire de bonne compagnie. »

Revenir en haut Aller en bas
InvitéInvité
avatar



La Mémoire des Songes [Apolline] Empty
MessageSujet: Re: La Mémoire des Songes [Apolline]   La Mémoire des Songes [Apolline] EmptyLun 21 Déc 2020 - 23:28
Elle venait d'utiliser son prénom. Le petit sourire qui se dessina sur son visage fut bref et inconscient. D'une certaine manière, il maudissait la vie dans tout ce qu'elle pouvait apporter en maux. Un événement et voilà que le destin d'une personne s'en voyait changer. Paradoxalement, il y avait parfois du bon à ce changement. Et Apolline le cristallisait parfaitement. Qui aurait-elle été si les portes avaient été ouvertes ? Aurait-il un jour rencontré cette femme dont l'intelligence et la vivacité d'esprit ne pouvaient réellement s'exprimer derrière la carapace qu'elle s'était construite ? Lui aurait-elle assuré du soutien de sa famille envers les causes cléricales comme elle le faisait aujourd'hui ? Aurait-elle été si précautionneuse dans la tenue de sa maison et ses propres vêtements dont il jurerait que chaque pli était calculé, mesuré, surveillé...

A la vérité, toutes ces questions n'avaient pas lieu d'être. Bien qu'à un instant précis, plusieurs voies pouvaient être empruntées, il y en avait toujours une de choisie. Volontairement ou non. Et penser à revenir dans le passé était une ineptie. Revenir dans le passé... Un moment d'absence d'où il revint juste à temps pour l'entendre lui répondre. Ayant laissé trop longtemps tremper son biscuit, celui-ci se dissout ; au grand damne d'Enguerrand qui aurait apprécié sentir sur sa langue la délicatesse et le moelleux de sa surface tiède. Bien que leurs échanges soient habituels, voire attendus, il remarqua qu'elle abaissa son masque plus rapidement qu'à l'accoutumée. Il se satisfaisait de sentir une progression dans la confiance qu'elle lui accordait. Sa patience commençait peut-être à payer. Cependant, il fallait la connaitre un peu déjà pour constater cette évolution tant elle restait subtile. C'était en partie cela qui l'encourageait à chaque fois. Sinon, peut-être aurait-il abandonné bien plus tôt. Petit à petit.

- Oublier ses rêves ne signifient pas que vous n'avez pas échangé avec la Déesse. Tout n'est pas conscient et tout n'a pas besoin d'être expliquée. Parfois, il ne faut se fier qu'à son instinct. Voyez-y une forme de souffle divin, discret et insaisissable.

Et c'est en tout état de cause qu'il pouvait l'affirmer. Il avait la conviction que les Dieux n'étaient pas là pour dire aux simples mortels comment agir, mais plutôt de comprendre pourquoi le faire. Et cette nuance guidait son credo.

- Je peux seulement vous assurer que la Déesse Rikni ne pourra se satisfaire de laisser l'une de ses plus loyales fidèles, alors qu'elle est la preuve que le courage existe en ces terres meurtries. D'autres auraient abandonné. Pourquoi pas vous, mmh ? Viendra le jour où vous en prendrez conscience. Et croyez-moi, ce jour-là, je serai aussi présent.

Venait-elle de lui avouer le fond d'une pensée qui n'aurait jamais dû être prononcé à haute voix ? Sur l'instant, il conserva un sourire de rigueur. Le temps de remettre un peu d'ordre dans ses esprits. Il n'y avait aucun doute sur le ou les propriétaires du sang qui coulait en lieu et place de celui des siens. Enguerrand garda pour lui son opinion. Inutile d'attiser le feu de la colère. Ouvrir les portes aurait sans doute mis en danger le peuple de Marbrume tout entier. Mais cela, il ne pouvait l'affirmer puisque son arrivée sur les remparts s'était faite tardivement. Néanmoins, il était persuadé que le Roi - Duc alors à l'époque - n'avait pas même songé à cette idée, préférant se laisser envahir d'une satisfaction bien plus morbide. Finalement, tout reposait sur ce délai qu'aurait pu attribuer l'Autorité aux de Sarosse et ses partisans. Si le temps le permettait, alors il était en faute morale. S'il était déjà trop tard...

Oui, il aurait pu lui demander ce qu'elle aurait bien pu faire ? Se jeter sur le Duc ? Sur les soldats ? Que serait-il advenu si elle avait plongé de l'autre côté, sinon la tranquillité de ne plus être présente pour se poser ces questions ? Si cela pouvait être efficace ? Si la rivalité qui persistait entre ces familles n'auraient pas mis à mal la situation politique et sociale de Marbrume, quitte à détruire de l'intérieur le peu d'humanité qui restait ? Toutes ces questions, il était persuadé qu'elle se les était déjà posées. Cela ne mènerait nulle part. Toutes ces questions... lui-même se les était posées...
Son silence perdura un peu trop longtemps et elle enchaîna sur un tout autre sujet. Néanmoins, même s'il suivit son déplacement jusqu'à la fenêtre du regard, puis de tout son corps, une remarque lui brûlait les lèvres.

La silhouette de la jeune femme devant la fenêtre qui reflétait la grisaille au-dehors l'intima au silence, au respect. D'une certaine manière, elle l'intimidait par ce caractère marqué au fer rouge dans un corps comme le sien. Peut-être aurait-il perdu ses moyens s'il n'avait pas lui-même confiance en ses propres capacités de réflexion et d'adaptation. Après tout, ils étaient tout deux de sang bleu avec cette fierté mise à mal et ô combien malléable. Du moins, le pensait-il. Se laisser aller à une réflexion somme toute personnelle n'était pas de rigueur en ce moment-même. Il décida donc de reprendre où son professionnalisme s'était effacé. Enguerrand se leva à son tour et prit place juste à côté de son fauteuil pour lui faire face.

- Vous savez, Apolline, j'ai beaucoup réfléchi de mon côté. Et si je ne peux me permettre de m'épancher, bien que vous connaissiez une partie de mon histoire, ce dont je ne doute pas avec ces on-dit... Sachez que je comprends. Je pense que nous ne sommes pas si différents l'un l'autre, avec les nuances qui nous caractérisent. Mais j'aimerais que vous méditiez sur l'idée suivante pour notre prochaine entrevue.

Parce qu'il y en aurait d'autres. Il y veillerait. En attendant, il n'était pas vraiment pressé de partir.

- Je souhaite que vous vous interrogiez sur le sentiment qui vous accable au quotidien. La culpabilité, car c'est bien de cela dont il est question, n'est-ce pas ? Au-delà de toute considération pour le bien des vôtres, ou déconsidération pour ceux qui le méritent. Je pèse mes mots car... je pense comprendre ce que vous vivez, sans pouvoir l'affirmer avec certitude. J'aimerais que vous vous demandiez si cette culpabilité est belle et bien tournée vers votre inaction qui aurait valu je ne sais quel sauvetage miraculeux. Et non pas vers votre propre personne.

N'étant pas certain d'avoir été compris, il chercha un instant comment reformuler ses pensées. Un coup d’œil vers la petite boîte lui fit trouver les mots.

- Pensez-vous être égoïste envers vous-même ? Pensez-vous ne pas être capable de vous pardonner ? Peut-être que la culpabilité peut vous habiter car vous penseriez à vous avant de penser aux autres. A votre propre bien être que vous vous refusez. Non pas dans un passé révolu, mais aujourd'hui même. La culpabilité de ne pas avoir agit est la plus facile à expliquer, bien que je vous répète depuis longtemps que cela n'a aucun sens. C'est ce qui m'amène à penser qu'elle s'est peut-être muée en quelque chose de plus insidieux. Quelque chose que vous vous infligez vous-même, comme pour ne pas oublier.

Il inspira, scrutant le regard de son interlocutrice qu'il espérait ne pas froisser en se montrant un peu plus téméraire qu'à l'accoutumée. Mais de toutes les réflexions qui l'animaient jour et nuit envers ce que lui-même subissait, il lui semblait se retrouver en elle. Le passé était au passé. Et si les conséquences se reflétaient dans le présent, alors c'est que la gangrène n'avait de cesse de corrompre l'esprit. Le problème n'était donc plus ce qu'il s'était passé, mais bien ce qui se déroulait ici et maintenant.

Ce terrain était toujours glissant. Il en serait de même si on évoquait de pareille manière l'échafaud où il aperçut pour la dernière fois Charlène. Alors il tenta de poursuivre sans laisser le temps à la noble dame de lui répondre. Ce, sur un ton le plus léger possible.

- J'use en effet de moyens, comment dire, alternatifs quand les situations l'exigent. Mais cela, lorsqu'elles sont extrêmes et dans une confiance absolue. La preuve que cela vous soit répété montre que la confiance, même idéalement placée, n'est pas toujours confiée dans de bonnes mains. J'ai longtemps hésité à vous le proposer. J'avais le sentiment, en vous soumettant cette idée, de ne pas vous montrer avec quelle sincérité je vous écoutais. Comme si cela devenait plus simple avec quelque mélange insolite. Je préférais converser de la réalité avec vous plutôt que me restreindre à cet artifice, somme toute efficace. N'y voyez donc aucun manque de confiance en votre personne, au contraire...

Sa main caressa son menton sur lequel il sentait poindre les conséquences de la légère négligence de ces derniers jours. Il se pencha pour récupérer la petite boite et la fourra dans sa poche sans commentaire. Après quoi, son attention se reporta sur Apolline.

- Les songes sont le reflet de l'âme. Et il disposent donc de leur propre mémoire. Pour les visualiser pleins et entiers, cela nécessite parfois une aide et une volonté totale d'accepter ce qu'ils ont à révéler. Mais ils peuvent révéler la vérité d'un instant modifié par ses ressentis ou le déni. De cela, nous pourrons en reparler, lorsque vous serez prête. Sachez que je ne suis plus ici uniquement par devoir. Mais si j'ai hérité d'un don pour traduire les rêves de la Déesse, c'est ma volonté la plus profonde de l'user à bon escient.

Enguerrand récupéra un biscuit qu'il mordilla en l'observant, un sourire naissant au coin de ses lèvres.

- Pourquoi ne pas procéder à un échange de bons procédés ? Je vous accompagne volontiers à ce mariage et je serai là en soutien si vos souvenirs se font trop pressants. Ce serait d'ailleurs un honneur de profiter de votre charmante compagnie. En contrepartie, acceptez de vous soumettre à une séance durant laquelle vous plongeriez dans vos rêves, les plus profonds et parfois oubliés. Ce qui signifierait vous en remettre totalement à moi tout le temps qu'elle durera. Peut-être même serez-vous surprise de voir ce que vous y trouverez. Qu'en dites-vous ?


Dernière édition par Enguerrand de Charmoret le Dim 10 Jan 2021 - 18:00, édité 1 fois (Raison : Changement de couleur dialogue)
Revenir en haut Aller en bas
Apolline De PessanComtesse
Apolline De Pessan



La Mémoire des Songes [Apolline] Empty
MessageSujet: Re: La Mémoire des Songes [Apolline]   La Mémoire des Songes [Apolline] EmptyMar 22 Déc 2020 - 14:26


Insaisissable, tout comme l’ensemble des œuvres de la Trinité. C’est sans le moindre doute ce qu’avait dû penser la comtesse de Pessan, en pinçant ses lèvres dans une forme abstraite de sourire, alors que ses prunelles fixaient une nouvelle fois la silhouette cléricale. Hésitante, elle était toujours tiraillée entre ce besoin d’honnêteté et cette réserve que l’ensemble de ses agissements de l’ombre exigeaient. Un bref mouvement de tête, de haut en bas, en guise d’affirmation, de compréhension. Intérieurement, la dame restait soucieuse de ses apparences, du maintien de l’illusion que son rang instaurait. Curieuse, elle se demandait parfois ce qui pouvait bien se passer dans l’esprit d’un prêtre, d’autant celui-ci qui malgré sa croyance s’était vu sombrer cruellement, sa compagne ayant manqué de l’entrainer dans sa chute. Que son âme n’ère pas trop longtemps sur les terres d’un royaume amoindri et teinté de faiblesse. Relevant le menton en sa destination, alors qu’il évoquait souhaiter être présent lorsqu’elle déploierait une nouvelle fois ses ailes, un froissement de nez dans une grimace furtive et passagère.

- « Puissiez-vous avoir raison mon père, mais je ne sais pas si je vous souhaite votre présence lors de ce fameux jour, suis-je convaincue que vous devez avoir bien des fidèles à servir et aiguiller dignement. »

La noble dame avait rejoué de multiple fois la scène dans son esprit, elle s’était inventé bien des réactions, aucune cependant n’avait pu ne serait qu’un infime instant la soulager ou lui offrir la probabilité d’une fin différente. Avait-elle détesté les Trois à ce moment, le plus sincèrement et cruellement possible, aurait-elle pu délaisser la croyance des Dieux sans jamais se retourner, oui, réellement. Pourtant, la noble avait vu dans les agissements une autre finalité, un autre événement : celle que les coupables n’étaient peut-être par les dieux, mais les Hommes eux même. Eux qui avaient fini par se gonfler plus fortement que Serus, eut qui s’étaient imaginé avoir une lame plus habile que celle de Rikni, eux qui prétendait pouvoir se soustraire ou imposer des choix à Anür qui de base pourtant n’aspirait qu’à Amour et volupté. Et maintenant ? Elle s’était relevée, les sourcils légèrement froissés par sa contrariété, par son hésitation, par cette révélation de sa haine devenue presque viscérale pour le genre humain et les dernières déceptions ressenties ne venaient que le prononcer, le souligner, le sublimer.

Se mouvant jusqu’à la fenêtre, savourant la fraicheur enveloppant la vitre et de fait désormais une partie de son corps, Apolline observait cet extérieur humide, où les larmes du ciel n’avaient de cesse de se répandre ici et là, naturellement. Hésitante, elle ne l’était plus depuis longtemps, ayant bien trop l’habitude de jouer des pions sur un l’échiquier de la vie. Jamais personne ne l’avait mise en échec et mat depuis qu’elle s’était approprié les arts et les manigances des jeux d’intrigues. D’abord de basses échelles, puis du haut du gratin, la dame avait appris à laisser de côté sentimentalisme, amour et bienveillance au profit d’un tout autre projet bien plus sombre et pire que la fange elle-même. Un fin sourire étira ses lèvres, alors ses pensées vagabonder vers ce besoin de vengeance qui l’étreignait toujours davantage, un autre, alors qu’elle constatait qu’à aucun moment le membre du temple ne vint le rompre, le tordre ou le briser. Coulant un regard en coin pour suivre du mouvement le déplacement de celui qui représentait la voix des dieux, elle pivota très légèrement pour ne pas lui offrir davantage son dos en unique compagnie.

Sans le savoir, l’homme de foi se dirigeait vers un terrain glissant, osant évoquer ce sentiment qui donnait à de nombreuses reprises la nausée à la comtesse. Culpabilité de tout et rien à la fois, culpabilité de n’avoir été que témoin, culpabilité de n’avoir rien fait, culpabilité d’être vivant alors que les personnes plus importantes à ses yeux étaient mots dans des hurlements qui hantaient encore la totalité de ses nuits. Un frisson désagréable remonta le long de son dos, alors que ses bras venaient se croiser au niveau de sa poitrine, dans cette posture plus fermée, moins à l’écoute et moins ouvert à un quelconque dialogue. Comme piqué, à l’image d’un serpent blessé et condamné, elle ne put que mordre, qu’offrir en réponse la même dose de poison qui s’immisçaient dans tête, dans ses veines.

- « La ressentez-vous aussi, mon père, cette culpabilité vis-à-vis de votre femme ? Ne pensez-vous pas que c’est un moyen pour vous de ne pas oublier ou de trouver un coupable à un fait qui ne vous est pourtant nullement imputable ? »

Sa tête se pencha légèrement sur le côté, alors qu’elle replongeait vers cette neutralité habituellement. Prenant une légère inspiration, seuls ses yeux devaient parfois lui offrir encore cette étincelle de vie, perdue entre ici et ailleurs, entre passé et présent, sans ne jamais être réellement dans l’instant du moment. Était-ce parce qu’il enchainait sur autre chose que la dame avait silence, ou avait répondu à cette phrase dans un premier temps avant de trainer l’enchainement des mots qu’il avait formulés par la suite, concernant son utilisation des plantes, puis sur cet échange de bon procédé. C’était au tour de la comtesse de faire silence, de se refaire la conversation, les mots utilisés bien trop vite pour être traités convenablement ou pour lui offrir une réponse plus précise. Se redressant légèrement, s’approchant de la table pour récupérer sa propre tasse et y plonger ses lèvres, elle ne put que répondre au sourire du prêtre, par un équivalent, ou presque. Tout n’était jamais lisse avec la veuve, tout n’était jamais identique non plus. Déposant l’objet encore chaud une nouvelle fois sur le bord de la table basse, elle ne put que poursuivre avec une certaine hésitation.

- « Ceci étant dit » débuta-t-elle en faisant allusion à son pique formulé en toute connaissance de cause « Inutile d’imputer la faute à vos fidèles, aucun n’est réellement bavard » admit-elle simplement en laissant planer un infime doute quant à ses méthodes « Mais par le temps qui s’annonce, faut-il toujours avec un coup d’avance n’est-ce pas ? C’est ainsi que fonctionne notre royaume. Est-ce bien sans doute l’unique chose qui n’a pas réellement évolué. »

Elle attrapa une gourmandise, sans jamais venir la croquer, ou la porte à ses lèvres. La dame n’avait jamais été une très grande gourmande, bien au contraire, d’autant plus aujourd’hui alors que l’appétit semblait être comme son sommeil, un élément en voie de disparition sans le moindre doute.

- « Je ne m’offusque pas de la non-proposition initiale » admit-elle « Je pense qu’elle aurait été de toute façon refusée, aussi poliment puisse-t-elle être formulée ainsi vis-à-vis d’un représentant des Trois, mh. La réalité est une chose qui m’a de toute façon beaucoup plus intéressée que le reste » elle laissa un petit silence « Et serais-je bien curieuse de savoir ce qui vous pousse encore à venir me voir, si ce n’est uniquement votre dévouement pour votre devoir » elle laissa un petit silence parfaitement maîtrisé avant de venir -enfin- croquer dans le biscuit « Votre échange de bons procédés m’intéresse » nouveau silence « Je dois admettre que si je comprends le principe même de la confession, de l’échange, j’ai toujours eu du mal avec cet échange à sens unique »

Elle était convaincue que son intelligence lui permettrait très bien de comprendre ce qu’elle laissait entendre. Nul doute que ce n’était absolument pas dans les habitudes et les mœurs de l’instant, de l’époque ou du clergé.

- « Est-ce qu’il y a beaucoup de risque à se remettre entièrement à la pensée ou agissement d’un représentant du clergé ? » elle eut un léger mouvement de tête positif bien évidemment « Avant de m’engager entièrement à votre bon vouloir, peut-être pourriez-vous m’expliquer les différents risques et jusqu’où ce type d’événement peut aller ? »

Elle s’approcha de quelques pas, jusqu’à venir souffler de cette voix un brin plus douce.

- « Je suppose que cela reste dans le même ordre d’idée que tout ce qui peut se dire en confession reste en confession, il en va de même pour les agissements, n’est-ce pas ? » elle croqua une nouvelle fois dans son biscuit avant de reprendre plus simplement « Avez-vous toujours souhaité être prêtre, mon père ? N’avez-vous jamais eu d’autre envie ? »

Revenir en haut Aller en bas
InvitéInvité
avatar



La Mémoire des Songes [Apolline] Empty
MessageSujet: Re: La Mémoire des Songes [Apolline]   La Mémoire des Songes [Apolline] EmptyMer 23 Déc 2020 - 12:27
Il ne pouvait que s'y attendre. La vipère reprenait le dessus et dispensait son venin plus par instinct de conservation que réel danger à éloigner. Ainsi, il préféra la laisser poursuivre jusqu'au bout. Répondant à ses silences par d'autres silences. Conservant un visage neutre mais un regard empathique quoi que fussent ses critiques ou attaques. En vérité, cela lui faisait de la peine. Certaines problématiques étaient plus simples à résoudre, même dans le contexte actuel. D'autres étaient ancrées plus profondément. En tout état de cause, il avait perdu le contact agréable qu'il avait essayé de nourrir. Enguerrand savait à présent que ce sujet ne serait jamais abordé sereinement. Qu'il en soit ainsi.

Ce n'est qu'à sa question finale qu'il se décida. Stoïque, le prêtre se rassit, croisa les jambes et demanda à son hôtesse une nouvelle tasse d'infusion. Son ton n'était ni froid, ni chaleureux. Et c'était avec celui-ci qu'il poursuivit, comme pour énoncer un fait sans y adjoindre le moindre jugement de valeur. Il attendit néanmoins d'être servi, pour faire durer le mutisme. Aimait-elle en jouer, lui aussi.

- Pourquoi je suis ici ? Je vous l'ai dit. Je pense qu'au-delà du contexte, nous vivons et percevons les mêmes problématiques du monde. Leur source, du moins. Et notre manière d'aborder le passé converge.

Il planta son regard dans le sien, le plus dur qui soit.

- En revanche, il y a une différence fondamentale entre vous et moi. Je mets mon temps à votre disposition. Je ne suis pas ici pour vous prendre le vôtre. Et je mets votre réaction sur le compte de ce que vous savez. Donc n'oubliez pas à qui vous vous adressez.

Le prêtre but une gorgée du breuvage en fermant les yeux. Son ton reprit des nuances chaudes. Il n'allait pas débattre de son propre passé avec elle, de ses propres ressentis, pas maintenant.

- Mais je comprends, soyez-en assurée et mes manières qui peuvent vous sembler peu orthodoxes et vous choquer m'apprendront à me remettre en question pour mieux vous aider.

Cette femme était d'un caractère étonnant auquel il n'arriverait peut-être jamais à s'habituer. Peut-être aussi était-ce pour cela qu'il était ici. D'un sourire à la colère, en passant par l'hésitation, la tristesse, puis l'assurance. Il devait admettre que si l'humanité existait encore en ces murs, elle en était une digne représentante. A cette réflexion, son regard se fit un peu plus doux. Parfois, une mise au point était nécessaire pour assainir les bases. D'autant plus lorsque n'importe quelles oreilles pouvaient écouter aux portes...

- Un coup d'avance, comme vous le dites si bien. Non seulement cela n'a pas évolué depuis l'ère passée. Mais c'est aussi l'un des seuls paramètres que nous tenons fermement en main quand le reste glisse entre nos doigts, n'est-ce pas ?

Le regard du prêtre alla se perdre sur la multitude de tableau. L'un d'eux en particulier attira son attention. Il se leva en posant sa tasse sur la petite table et alla l'observer de plus près. Il lui semblait reconnaître l'homme sans pour autant le replacer dans ses souvenirs. Peu importe, il se retourna vers la Comtesse de Pessan qui abordait enfin un nouveau sujet. Ils avançaient. Un pas en avant, deux en arrière. Mais viendrait le jour où cela s'inverserait.

- Il existe un principe fondamental dans la noble et occulte pratique de l'alchimie, Apolline. Savez-vous lequel ? Le principe d'équivalence. Il n'existe aucune situation où l'unilatéralité puisse être appliquée.

Une petite lueur brilla dans ses iris, marquant la passion qui l'animait pour ces procédés à la fois concrets et métaphysiques.

- Brûler du bois vous donne du charbon. Dissoudre la sève d'une plante vous donne une infusion. Mettre la main dans l'eau froide vous refroidit la main et réchauffe l'eau. Imposer sa loi, c'est accueillir la gloire et le bâton. Tout n'est qu'échange équivalent. Et ce principe nous gouverne tous. Ainsi les Dieux, dans leur immense mansuétude, ont imposé l'équilibre du monde. C'est aux Hommes d'en prendre conscience pour décider la manière de vivre. Les lois sont d'hommes. Les inégalités sont d'hommes. Les statuts sont d'hommes. Mais tous les individus sont égaux devant les Éternels. C'est aux Hommes de décider de conserver ou non leur libre arbitre. Et en cela, nous avons un grand chemin à parcourir. Mais quoi qu'il arrive, l'univers - dans l'ordre ou le chaos - est toujours voué à retrouver son équilibre. Tout ce qu'il lui faut, c'est l'énergie pour l'animer. Celle-ci est plus difficile à trouver et...

Quel que peu gêné de lui avoir soumis ce monologue, il reprit place face à elle et s'humecta les lèvres. Sans en avoir trop dévoiler sur ses convictions, il pensait être allé un peu trop loin. Aussi décida-t-il de reprendre la parole sans tarder en pointant du doigt ses cheveux blancs.

- Voyez cela, par exemple. J'ignore ce que cela vous inspire, mais vous n'en faites jamais mention. Et bien croyez-le ou non, l'équilibre est rétabli par l'humour que les dieux ont bien voulu m'affubler. Probant, n'est-ce pas ?

Le prêtre se racla la gorge et bien qu'il but une gorgée tiède, il ne pouvait s'empêcher d'observer la réaction de la demoiselle du coin de l’œil.
Sa tête dodelina d'avant en arrière pour appuyer ses réflexions silencieuses, se remémorant les inquiétudes de la Comtesse. Un petit rictus glissa sur son visage.

- Pour répondre à votre question. Il existe toujours des risques. Je vous laisse à vos conclusions en ce qui concernent mes Frères et moi-même. La confiance ne se construit que dans le temps, au fil des obstacles franchis. Il ne tient qu'à vous d'en franchir un nouveau à mes côtés.

De sa poche, il en tira la petite boîte qu'il posa à plat sur son genou, sous les yeux de la Dame. Elle tenait aisément dans la paume de sa main.

- Les risques sont inhérents à vos perceptions, à votre nature profonde et vos résistances physiques. Il est impossible de prévoir à l'avance tous les tenants et aboutissants. J'ai vu les cas les plus robustes et les plus extrêmes. je ne pourrai donc m'engager sur ce qu'il adviendra de vous, si ce n'est que je veillerai à vous maintenir en totale sécurité.

Il se rapprocha à son tour, en penchant le buste vers l'avant.

- Voyez cela comme une confession la plus pure qui soit, quelles qu'en soient les conséquences. Mais je vous ai fait une promesse en retour. J'ai justement là quelque mixture qui pourrait vous donner une première impression si je réduis les quantités drastiquement. A vous de me dire si l'expérience vous tente. Mais si oui, il vous faut veiller que personne ne vous dérange. Au cas où... Mais n'hésitez pas à refuser.

Pour lui laisser le temps de la réflexion, il accepta de se livrer un peu plus. Plongé tout d'abord dans la nostalgie, Enguerrand finit par acquiescer.

- J'ai su très tôt que mon avenir se porterait aux côtés des Trois. Il y a tant à apprendre, à comprendre. Les êtres humains sont à la fois impressionnants et d'une faiblesse captivante. L'esprit est l'arme la plus redoutable, même si une épée vous ôte la vie plus facilement. Je souhaite atteindre le recul nécessaire pour voir le monde dans sa globalité. Il n'y a pas de coïncidences à proprement parlé. Tout est lié. Tout.

Il n'allait pas faire l'erreur de citer la Fange et la position du Roi. Son propre statut et la disparue nommée Seylia. La faim qui le tenaillait malgré son statut et la mort de sa femme. La culpabilité et la reconnaissance. Tout étant conséquences d'actes humains, tout était nécessairement rattaché aux mêmes racines du Mal.

- Nous sommes tous là où nous sommes pour une raison qui parfois nous échappe. Alors on l'accepte ou l'on se pardonne. On le vit et l'on rebondit. L'on avance ou l'on attend patiemment. Il y a une multitude de chemins à prendre. Mais une fois le choix effectué, il faut poursuivre sa route. C'est pour atteindre les connaissances qui me permettront de faire les meilleurs choix que je suis devenu prêtre. Et ainsi dispenserais-je à mon tour cette vision à ceux qui seront prêts.

Enguerrand hésita. Évidemment, ses activités parallèles n'avaient pas été préméditées. Que pourrait-elle en penser d'ailleurs ? Une question à la fois curieuse et dangereuse... Tout un tas d'autres interrogations venaient dans son esprit. Mais toutes, d'une manière ou d'une autre, pouvaient rappeler le passé de la demoiselle. Aussi se garda-t-il de les poser pour ne pas raviver la flamme impie qui la brûlait de l'intérieur. Il se contenta de l'observer, cherchant à lire sur son visage si cette entrevue lui permettait de progresser ou non.

Une conclusion lui parvint néanmoins. Elle n'était pas de ces nobles qui léchaient l'entrejambe du Roi pour s'attirer ses faveurs. Non. S'il lisait convenablement entre les lignes, elle n'avait plus confiance dans ce monde chaotique. Dans ses gouvernants ou représentants. Il ne doutait pas de sa Foi, mais le prêtre prenait la mesure du labeur et l'ampleur de la souillure. Le regard inconscient qu'il posa sur elle se fit plus qu'empathique. C'était autre chose, teintée de peine et d'ardeur. Pour autant, il ne pouvait trop se dévoiler. Ce ressentiment résonnait profondément en lui, mais elle ne devait en faire les frais... Et lui devait veiller à conserver son statut irréprochable, ou ne pas sombrer dans une naïveté docile.

Après tout, ne l'aidait-il pas pour aussi s'aider lui-même ?


Dernière édition par Enguerrand de Charmoret le Dim 10 Jan 2021 - 18:01, édité 1 fois (Raison : Changement de couleur dialogue)
Revenir en haut Aller en bas
Apolline De PessanComtesse
Apolline De Pessan



La Mémoire des Songes [Apolline] Empty
MessageSujet: Re: La Mémoire des Songes [Apolline]   La Mémoire des Songes [Apolline] EmptyLun 25 Jan 2021 - 19:17


Apolline s’était immobilisée un instant, le visage plus fermé, ses prunelles s’étaient plantées vers la silhouette masculine et si un infime instant, elle lui avait laissé entrevoir le fait qu’un simple prêtre sans distinction pouvait s’adresser ainsi, la dame ne put que s’autoriser une certaine correction, à sa manière. Ses lèvres se pincèrent, à deux reprises, avant qu’elle ne poursuive le mouvement qu’elle avait entamé, inclinant poliment la tête dans la direction du prêtre en signe d’un potentiel signe de regret qui ne l’animait pourtant aucunement.

- « Suis-je confuse que vous vous sentiez attaquer, néanmoins, ne puis-je que vous conseiller d’appliquer votre propre conseil, mon père » elle eut un léger sourire « Le jour où vos manières me choqueront mon père, l’humanité sera éteinte depuis bien longtemps »

Suivant des yeux les mouvements du prêtre, la dame trempa ses lèvres dans le liquide désormais tiède. Prenant une légère inspiration, elle s’appuya désormais sur son fauteuil, avisant la représentation des portraits de sa famille, aurait-elle sans le moindre doute voulu pouvoir replonger dans chacun des tableaux pour revivre les souvenirs capturés par la peinture. L’art était définitivement une manière de figer l’instant, une trace indélébile des émotions ressenties, des pensées soufflées à un moment précis, oublier, envolé, noyé dans le flot de l’existence. Trempant une nouvelle fois ses lèvres dans l’infusion, elle opina la tête à deux reprises. Était-ce bien l’unique chose rassurante qui ne changeait pas, bien qu’à ses yeux, l’art de la manipulation avait connu bien des améliorations, des revers, fallait-il désormais être affuté, car bon nombre cherchait à se faire une place. La dame n’avait pu que retenir un petit rire alors qu’il évoquait un principe d’équivalence, pleine d’amertume, elle aurait pu simplement le ramener tout droit dans la réalité. Là où les croyances n’étaient plus suffisantes pour survivre, là où elle-même n’était plus certaine d’avoir sa propre place.

- « Mon père, pardonnez mon offense, mais cela fait bien longtemps que je ne crois plus au principe d’équivalence. L’unilatéralité dites-vous, n’est-ce pas le principe d’égoïsme qui s’applique pour tout à chacun ? Ne faisons-nous jamais rien par hasard mon père, jamais sans attendre quelque chose en retour. Hormis, peut-être les membres de votre édifice religieux, vous qui êtes dotés de la plus clairvoyance des paroles, celle de nos dieux eux-mêmes. »

D’un geste du menton, elle répondit à sa comparaison avec les cheveux grisonnants de son interlocuteur, avisant un instant les lèvres qu’il humecta, elle eut ce même sourire en coin qui trahissait sans doute parfois des pensées plus obscures. Secouant doucement la tête, elle s’autorisa un léger mouvement d’épaule.

- « Je n’en fais pas mention mon père, parce que je sais parfaitement où se trouve ma place face un représentant des dieux, gradé ou non » indiqua-t-elle « Nul doute que votre humour ne suffit pas toujours, ni même votre autorité naturelle pour effacer ce mystère de votre apparence, n’est-ce pas ? » elle imaginait déjà quelques conversations dans les réunions les plus obscures ou elle participait visage toujours parfaitement masquée « Et je ne puis que vous souhaiter que cela ne vous apporte jamais quelques malheureuses aventures, faut-il, je suppose, pour ça, être un fidèle suiveur de notre très chère Trinité en personne. »

Effectuant un léger mouvement de tête avait-elle finalement repris position sur son siège, observant la boite qui venait de glisser sur la jambe du prêtre. Un récipient qui devait tenir dans une paume de main, la sienne ou celle du représentant des Trois sans aucun doute. Écoutant les différentes explications, la dame opina à plusieurs reprises, se mordant l’intérieur de la joue, sans doute piqué entre l’envie d’essayer et la raison qui l’a poussée sans la moindre hésitation à résister. Pouvait-il aisément la protéger de l’extérieur, mais pouvait-il seulement la protéger d’elle-même ? Offrant un sourire, elle s’apprêtait dans un premier temps à refuser tout simplement sa proposition. Son domaine n’était ni le lieu ne l’endroit pour s’adonner à ce genre d’expérience, aussi infime soit la quantité. Prise de court par la prise de parole de son interlocuteur, elle ne put qu’une fois incliner la tête en signe d’écoute plus ou moins attentive. Ce prêtre lui semblait à la fois utopiste et tiraillé, réaliste et naïf. Préféra-t-elle garder pour elle-même cette constatation qu’elle trouvait aussi amusante que triste. Croisant les jambes, elle se contenta de laisser entendre un « mhhh » de réflexion, plus ou moins dubitatif.

- « Goutez-vous à votre propre traitement mon père ? » interrogea-t-elle dans un premier temps, prenant la peine de prendre une inspiration « Je ne puis vous contredire sur votre propre vision, tout a en effet une raison et l’origine de ce mal n’est nul autre que l’homme lui-même, n’est-ce pas ? Combien de mari s’abandonne-t-il dans d’autres draps sans leur épouse ? Combien d’individus préfèrent-ils égoïstement leur personne au reste du monde ? Combien on ferme la porte plutôt que de l’ouvrir au plus grand nombre ? » un sous-entendu parfaitement ciblé évidemment « Faut-il un moyen de rappeler à chacun que tout ne tient parfois qu’à un fil, ou une morsure si je puis dire n’est-ce pas ? » elle se redressa « Tout n’est que facilité n’est-ce pas ? Pardonnez mon langage, mais est-il sans doute plus simple de s’abandonner dans le lit d’un inconnu que de lutter pour ne nullement lasser son époux, est-il sans doute plus simple que de prendre les armes plutôt d’insuffler la paix n’est-ce pas ? »

Avait-elle fauté ? Durant la vie de son époux jamais, depuis, tout lui avait semblé soudainement si différent et chaque manquement lui offrait une infime sensation d’être encore en vie. Pouvait-elle aisément comprendre pourquoi certains sautés des murailles de la ville, les enviaient-elles sans doute même un peu, elle dont les chaînes n’avaient de cesse de se faire toujours plus omniprésentes. Se redressant, tendant simplement sa main vers lui, attendant les doigts ouverts, elle opina :

- « Avez-vous déjà visité la couche d’une noble, mon père ? » l’interrogea-t-elle une étincelle de malice au fond des yeux « N’allez pas penser que je vous faire des avances, je vous propose simplement de mettre en œuvre votre proposition, dans un cadre plus réduit ou je ne risque pas de faire de mauvaise rencontre. Mettons que cela notre petit secret et que mh, disons que tout ce qui se déroule là-haut, reste là-haut, n’est-ce pas ? » l’invitant à la suivre, tout en refermant ses doigts pour l’inviter à poursuivre, elle ajouta « Cependant, pour respecter votre principe d’égalité, je ne puis que vous demander que de vous joindre à la pratique, n’est-ce pas ? Je m’en voudrais de troubler l’ordre établi des choses en vous privant de cette infime quantité de perdition et d’écoute avec vous-même et Rikni. L’ensemble se basant que la confiance, je suppose que vous n’avez rien contre l’échange équivalent non pas ? » elle fit une pause « Au cas où... Mais n'hésitez pas à refuser. »

Un fin sourire plus sincère prit naissance sur ses lèvres, alors qu’elle poussait la porte pour l’inviter à monter les nombreuses menant aux chambres et bureaux de la demeure. Soulevant les quelques jupons effleurant le sol, elle ne put que le laisser passer en premier avant de le suivre non sans l’aiguiller au besoin. Une fois en haut, elle rejoignit celui qui devait l’attendre depuis quelques instants. Indiquant d’un geste de la main une porte, elle finit par la pousser, pour dévoiler une chambre tout autant organisée que le restant de la demeure. À une différence prête, ici, nul tableau, nulle décoration murale, tout était fonctionnel et harmonieux à la fois. Un imposant tapis recouvrait le sol, un bureau se trouvait à gauche de la porte d’entrée, un peu plus loin une armoire imposante, une glace se trouvait dans une glace et reflétait l’imposante couche aux multiples draps et couverture. Autour de la couche un fin rideau transparent et dentelé, un fauteuil se trouvait non loin de la fenêtre, un autre juste en face et au milieu une petite table ronde sur deux pieds qui s’entrelaçaient.

- « Installez-vous, je vous en prie, mon père. » Souffla-t-elle en refermant la porte « Alors, dites-moi, avez-vous réfléchi à ma proposition ? »

[RP abandonné]

Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé



La Mémoire des Songes [Apolline] Empty
MessageSujet: Re: La Mémoire des Songes [Apolline]   La Mémoire des Songes [Apolline] Empty
Revenir en haut Aller en bas
 
La Mémoire des Songes [Apolline]
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Marbrume - Forum RPG Médiéval Apocalyptique :: ⚜ Cité de Marbrume - L'Esplanade ⚜ :: Quartier noble :: Résidences de la noblesse-
Sauter vers: