Marbrume


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 Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie]

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Mathilde VortigernFermière
Mathilde Vortigern



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MessageSujet: Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie]   Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie] EmptyJeu 25 Mar 2021 - 16:35
Le Labret - Usson,
15 Novembre 1166


Tout se sait, au Labret. Tout ce qui relève des événements de la vie ne reste jamais secret bien longtemps. De la plus petite anecdote du quotidien d'une fermière au plus grand coup d'éclat d'un milicien téméraire, tout est discuté, débattu, décortiqué, commenté et jugé par les petites gens en mal de ragots. Tous le savent, c'est sur la place du village, non loin du Temple, ou encore à l'intérieur des murs rassurant d'une auberge que les nouvelles sont partagées.

Depuis quelques jours, on ne parle que de la Comtesse et du Vicomte. La première, jeune mariée éblouissante, vient de perdre son frère, Zéphyr d'Auvray, mordu sur le chemin du retour par un fangeux. Refusant de faire courir un risque à qui que ce soit, le mordu s'est exilé dans les marais, loin des derniers hommes, pour y attendre la mort. D'aucuns estiment qu'il s'est lui-même donné la mort, ou qu'il a trouvé quelqu'un pour le faire et s'assurer ainsi de ne pas se relever dans la peau d'une goule. D'autres pensent qu'il a rejoint le village des bannis, s'il existe, pour y mener une dernière bataille courageuse avant de s'éteindre. Peu importe son destin, finalement, ce qui fait parler c'est le courage dont il a fait preuve en choisissant d'éloigner la menace qu'il représente... Depuis quelques jours, on coule des regards accusateurs vers tous ceux que l'on sait mordus et qui tentent de survivre au Labret en arguant qu'ils ne se transformeront pas. Voilà plusieurs mois qu'ils ont été exilés de Marbrume. Ceux qui ont réussi à rejoindre le Labret ont du rivaliser d'imagination pour dissimuler leur condition et se faire une place dans les fermes du plateau. D'autres ont joué la carte de l'honnêteté, au risque de se faire chasser à coups de bâton, jusqu'à trouver un lieu où s'établir. Les moins chanceux ont été renvoyés vers les marais. Rares sont ceux qui, à la connaissance des paysans, ont fait le même choix que le courageux d'Auvray, héros de Marbrume et bientôt héros du Labret.

Une fermière bien connue à Usson traverse la place, un panier d'osier sous le bras, la mine grave. On la regarde et l'on murmure. Elle aussi était une jeune mariée rayonnante, il y a quelques jours, jusqu'à ce que la triste réalité la rattrape. Elle avait trimé tout l'automne pour que tout le Labret participe au banquet du mariage grandiose du Comte et de la Comtesse, et avait réussi à cacher son histoire d'amour avec le marin qui lui avait sauvé la vie. L'histoire était romantique à souhaits et faisait peut-être rêver quelques jeunes paysannes. Ils s'étaient mariés à la hâte, en pleine saison des récoltes, en plein dans les préparatifs du noble mariage, gardant leur cérémonie aussi discrète que possible pour ne pas voler la vedette des noces qui s'annonçaient. La veuve Dumas, qu'il fallait désormais appeler madame Vort... Vorgit... Vortigern? -un nom étrange qui n'était clairement pas de la région-, avait tout fait pour faire passer le Labret avant elle. A peine était-elle sortie des cuisines, le jour du grand mariage, laissant toute l'attention se porter sur les producteurs et, bien entendu, les jeunes mariés. Elle aurait dû rayonner de bonheur, mais depuis quelques jours, on avait remarqué son regard sombre et on n'avait pu s'empêcher de faire le lien avec la mort récente du Vicomte de Terresang, son grand ami, peut-être même son amant.

Les discussions vont bon train, sur la place, mais Mathilde n'y porte pas attention. Elles sont aussi bruyantes à ses oreilles qu'une abeille dans le silence d'un matin d'été. Son pain est cuit, ses affaires conclues, ses livraisons menées à bon port. Après une longue prière au petit temple d'Usson, c'est d'un pas pressé qu'elle rejoint les écuries pour y retrouver la grosse Marguerite, dont les flancs semblent un peu plus arrondis.

***

La route n'est pas longue pour arriver au domaine Pessan. Elle n'est dangereuse que pour ceux qui relâchent leur attention au risque de tomber entre les mains de malfaiteurs ou de fangeux dissimulés dans un fossé. Mais de fangeux, il n'y en a pas. Le soleil est à son zénith par cette fraîche journée de novembre qui annonce sans doute un hiver hâtif et le repos tant attendu pour les gens de la terre.

C'est Guillaume qui l'accueille en courant au devant d'elle, pour réceptionner comme il se doit jument et non la fermière. Des deux, c'est Marguerite qui est la plus précieuse, la plus fragile, celle dont on doit prendre soin. Enfin c'est son avis à lui. Le palefrenier, poli et courtois comme à son habitude, n'a d'yeux que pour celle qui porte un poulain, une aubaine en ces temps où les animaux de ferme sont une denrée aussi rare que précieuse. Mathilde laisse donc sa jument entre les mains expertes de l'homme et, son panier sous le bras, fait son entrée dans la demeure des époux de Beauharnais, sans se faire annoncer, mais en saluant chaleureusement la domestique qui lui ouvre la porte.

- Bonjour. Je suis Mathilde Dumas… oh pardon, Vortigern... Je ne m’y fais pas encore! Je viens voir madame la Comtesse. Je sais que ce n'est pas vraiment le moment, mais s'il-vous-plait, dites-lui que j'ai de quoi apaiser un peu sa peine.

Devant l'air interloqué de la dame, Mathilde sourit légèrement. Tarte aux pommes et au miel d'automne. Je crois que madame la Comtesse aime le sucré, et le sucré c'est ce qu'il y a de meilleur pour vous consoler. Le sucre et sans doute l’amitié. Au Labret, la Comtesse ne doit pas avoir eu le temps de se faire des amis. Tout au plus peut-elle compter sur sa belle-fille et son mari, et sur cette domestique que Mathilde croit être la suivante arrivée elle aussi de Marbrume. Ilda? Son nom l’avait fait sourire lorsque, dans les cuisines, on parlait d’elle comme étant l’ombre de la Comtesse, au point que leurs noms se ressemblent étrangement. Quoi qu’il en soit, c’est en qualité d’amie que Mathilde se présente, laissant momentanément sa méfiante naturelle de côté. Idalie de Beauharnois vit un deuil, et la fermière entend adoucir un peu sa peine et la distraire de son mieux. Ça la distraira, elle aussi.
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Idalie de BeauharnaisComtesse
Idalie de Beauharnais



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MessageSujet: Re: Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie]   Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie] EmptyDim 28 Mar 2021 - 17:23
S'était-elle perdue dans ses pensées lorsque le comte et la comtesse lui avaient indiqué les plans de la journée? Parce que sur le seuil de la porte se tenait Mathilde Dumas - enfin, Mathilde Vortigern maintenant – et elle n'avait rien préparé pour accueillir cette amie du maître de la maison. Elle se sentit prise d'une légère nervosité, craignant de déplaire au comte de Beauharnais, qu'elle ne connaissait encore que peu. Elle espéra qu'il ne lui en voudrait pas de cet oubli.

« Madame Vortigern, entrez, je vous en prie », indiqua Ilda en écoutant la jeune femme.

Intérieurement, la domestique poussa un soupir de soulagement. Il s'agissait d'une visite surprise de la part de la fermière, elle n'avait donc rien à se reprocher. Et Mathilde ne venait non pas voir son ami, mais plutôt Idalie, à qui elle avait apporté une petite douceur.

llda fit un sourire quelque peu maussade à la fermière. C'était une belle attention pour Idalie, qui luttait pour garder la tête haute, mais ne parvenait pas toujours à contenir la tristesse qui la submergeait. Si la jeune femme continuait d'accomplir ses responsabilités avec efficacité, elle n'en demeurait pas moins marquée par le deuil. Un deuil étrange parce que non définitif, le sort du sergent d'Auvray restant mystérieux et laissant une triste ouverture à un espoir désespéré.

« C'est très gentil de penser à madame, dit Ilda, reconnaissante du geste de solidarité que posait Mathilde. Je suis certaine qu'elle appréciera. Suivez-moi, je vais vous mener au salon avant d'aller prévenir la comtesse de votre venue. »

Ilda fit signe à Mathilde de la suivre, puis s'assura que celle-ci était confortablement installée avant de la quitter pour aviser Idalie de la venue d'une invitée.

***

Mathilde s'était présentée sans prévenir, mais Idalie ne comptait pas pour autant la recevoir sans égards. Durant la courte absence de la comtesse, Ilda reparut ainsi auprès de la fermière pour déposer sur la petite table une théière fumante, des tasses, des assiettes et des serviettes de table. Elle en profita pour indiquer à l'invitée surprise que la comtesse la rejoindrait dans quelques minutes. Ce qu'elle fit évidemment.

« Je suis navrée de vous avoir fait attendre, Madame Vor... Mathilde, se reprit Idalie lorsqu'elle apparut, se rappelant la demande de la fermière au mariage. Je craignais de perdre le fil de mes pensées si je m'interrompais dans la rédaction de mon courrier. »

Idalie offrit un sourire d'excuse à Mathilde en s'approchant. Fidèle à ses habitudes, elle portait une robe de qualité, mais dépourvue de grandes extravagances, privilégiant les tissus aux couleurs pâles ou neutres aux tenues vives et chatoyantes. Ainsi, bien loin de l'éclat du rouge sang et de l'argent des Beauharnais, elle arborait une robe vert tendre parcourue de discrets motifs floraux blancs. Un pendentif ornait son cou gracieux, et ses cheveux étaient coiffés en un chignon simple, mais exécuté à la perfection par une Ilda habituée à maîtriser la tignasse sauvage de sa maîtresse.

Idalie sourit aimablement à Mathilde. Même si son monde s'était écroulé quelques jours plus tôt, elle tentait de masquer au mieux sa détresse intérieure. En noble bien éduquée, elle avait l'habitude de faire preuve de réserve et de dissimuler ses émotions. Elle avait cependant rarement été aussi ébranlée depuis sa fuite du domaine d'Auvray et, malgré les efforts d'Ilda pour cacher ses cernes, la fatigue marquait ses traits. Elle dormait peu et elle dormait mal, assaillie par de violents cauchemars que même les bras d'Aymeric ne parvenaient à calmer. Elle ne mangeait que peu, l'envie n'y étant pas, la faim non plus. Elle était curieuse de découvrir plus en profondeur Usson et le reste du Labret, mais ne parvenait pas à se convaincre d'organiser une escapade. Elle avait perdu tous ses repères en peu de temps, et Aymeric, Ilda, Alix, le reste de la maisonnée et les alentours de la demeure étaient ce qu'il y avait pour elle de plus rassurant en ces jours sombres. Elle se contentait ainsi de s'occuper des animaux, de la maison et du travail administratif, remettant à plus tard les grands projets dont Aymeric et elle avaient parlé avant leur mariage.

Idalie prit place face à Mathilde et défit d'une main les plis sur sa robe avant d'entrelacer ses doigts et de les laisser reposer sagement contre ses cuisses. Elle aurait sans doute pu se permettre plus de familiarité avec la fermière, mais certains réflexes étaient difficiles à perdre, en particulier lorsqu'on luttait pour ne pas perdre la face.

« llda m'a dit que vous m'avez apporté une tarte, mais même mon imagination ne lui a pas rendu justice, poursuivit-elle en regardant l'offrande de Mathilde. Elle est absolument magnifique. Vous n'auriez pas dû vous donner tout ce travail en plus pour moi, je vous sais incroyablement occupée avec votre ferme. Je vous remercie néanmoins de tout cœur et j'espère que vous accepterez de manger une part en ma compagnie. »

Idalie n'avait pas particulièrement faim, mais il était hors de question de ne pas honorer le dessert de Mathilde. Et puis, elle ne mentait pas : la tarte semblait être un véritable délice. Elle ne doutait pas qu'Alix ne manquerait pas d'en dévorer quelques parts.

« Comment vous portez-vous? demanda-t-elle. Permettez-moi de vous remercier encore pour tout le travail que vous avez abattu avant, pendant et après le mariage. Le succès des festivités vous revient en grande parte et je vous serai éternellement reconnaissante d'avoir contribué au succès de ce moment important. Tout était parfait. »

Jusqu'au départ de Zephyr. Zephyr qui avait insisté pour repartir par voie terrestre, et elle qui n'avait pas assez insisté pour qu'il rejoigne Marbrume en empruntant la voie maritime avec les autres. Idalie ravala la boule qui s'était formée dans sa gorge et se redressa légèrement sur son fauteuil. Le mariage. Il fallait qu'elle se contente de penser au mariage, et non à la suite. Ce n'était pas le moment.
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Mathilde VortigernFermière
Mathilde Vortigern



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MessageSujet: Re: Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie]   Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie] EmptyLun 29 Mar 2021 - 4:05
Mathilde avait beau fréquenter quelques membres de la noblesse depuis le printemps, elle n'avait toujours aucune notion du protocole lorsque venait le temps de rendre visite, ni aucune idée de ce qu'une simple rencontre pouvait impliquer comme préparatifs pour une personne comme Ilda. La fermière ne perçut donc ni le trouble ni le soulagement de la dame de compagnie lorsqu'elle annonça qu'elle avait apporté une collation. Docilement, elle suivit Ilda au salon, chargée de son précieux petit cadeau, non sans laisser sa cape de laine quelque part non loin de la porte. Naturellement, elle se doutait que le Comte et la Comtesse avaient bien des choses à faire, mais si elle avait été invitée à entrer, c'est que l'un ou l'autre serait capable de la recevoir. Et puisqu'Ilda semblait contente que l'on pense à sa maîtresse, c'est que finalement, Mathilde tombait peut-être à point.

Assise dans un fauteuil bien plus confortable que ses chaises de bois, à la ferme, elle ferma un instant les yeux. Lorsqu'elle les rouvrit, la domestique déposait de quoi agrémenter la discussion d'une infusion. Ça ne lui ferait pas de tort. Après ces semaines de travail, le moelleux du fauteuil et la chaleur de l'infusion seraient d'un réconfort absolu. Idalie arriverait dans quelques minutes. Mathilde hocha de la tête. J'espère que je ne vous dérange pas... Ce à quoi la domestique répondit par la négative avant de disparaître, laissant la fermière se perdre dans ses pensées, le regard fixant un point imaginaire quelque part au-delà d'une étagère.

Son esprit s'égara un moment du côté des morts, pour rebondir, d'une façon ou d'une autre parmi les vivants, et ceux dont le sort n'était pas réellement déterminé. Aux dernières nouvelles, Darius était encore en vie. Aucun tissu noir ne s'était rendu à elle. Mais son sourire moqueur commençait à se faire attendre. Que peut-on bien faire avec ces livres? De retour au présent, elle contemplait maintenant les reliures de cuir en se rappelant qu'Aymeric avait appris des tas de choses en lisant. Elle ne savait toujours pas si elle devait trouver cela ridicule ou fascinant, et ne put se faire un avis : un froissement de tissu venait d'interrompre sa réflexion. Idalie de Beauharnois faisait son entrée, et Mathilde se leva pour l'accueillir.

- Oh je suis vraiment désolée de vous interrompre dans vos occupations! J'ai profité d'un passage à Usson... tant qu'à faire la moitié du chemin, autant faire l'autre, je me suis dit. A côté de la fermière, la Comtesse était éblouissante malgré ses traits tirés. Une coiffure simple mais parfaitement maîtrisée, bien loin du chignon involontairement décoiffé de la brune, dont quelques mèches s'échappaient ça et là. A bien y penser, cela n'arrivait jamais, sauf quand il ne fallait surtout pas que cela arrive. Mathilde ne se rassit qu'une fois Idalie installée. Dans sa robe d'un vert tendre impeccable, la jeune mariée entamait une discussion aussi parfaite que sa coiffure. D'abord au sujet de la tarte, une improvisation maison sur la thématique de l'automne, puis sur son travail à la ferme qui touchait à sa fin, du moins pour quelques semaines, et enfin sur les festivités. C'était une belle fête. Elle a fait du bien à toute la région vous savez. Les occasions de se réjouir sont un peu plus rares en ce moment, et je vous avoue que celles d'être fiers de notre travail le sont tout autant. C'était très généreux de votre part à tous les deux de nous accueillir au banquet, et très généreux aussi de nous faire confiance. Jamais elle ne prendrait les remerciements pour elle seule. Elle avait certes couru dans tous les sens, profitant de la présence de ses gars à la ferme pour gérer de loin les récoltes, mais elle devait son succès à tous ceux qui avaient accepté de participer à la noce. Sans eux, sans tous les autres paysans, éleveurs, artisans, rien n'aurait été possible.

Mathilde garda le silence un instant, ne pouvait s'empêcher d'admirer toute la retenue dont cette femme pouvait faire preuve. Aymeric l'avait décrite comme une femme sensible et altruiste. Elle offrait à sa visiteuse une attitude que seule la noblesse pouvait tenir : parfaite en tout point. Alors, faisant fi d'un protocole qu'elle ne maîtriserait jamais, la fermière saisit le couteau laissé là par Ilda et coupa deux parts de tarte qu'elle déposa dans les assiettes laissées à cet effet. Puis, elle versa la tisane encore fumante dans les tasses, comme si elle était chez elle et que c'était elle, l'hôtesse, et reprit sa position dans son fauteuil une fois le tout servi.

- Mon père était tout pour moi. Quand il est mort, malgré mes amis, malgré mon époux à mes côtés, je me suis sentie infiniment seule et complètement démunie. Et vide. Je ne viens pas pour une discussion mondaine, madame. Mathilde ne maîtrisait pas l'art de la discussion, contrairement aux nobles qu'elle avait rencontrés. Aymeric, capable de parler pendant de longues minutes d'un sujet complètement anodin pour finalement faire le tour d'un sujet sans que son interlocuteur ait eu à intervenir, l'avait érigé au stade quasiment divin. Alexandre quant à lui était une exception : il était un taureau fâché lancé au triple galop. Dénué de subtilité, il était frontal, souvent trop... et c'est ce qu'elle avait aimé de lui. C'est ce qui lui manquerait. Elle sourit en pensant au vieillard maintenant mort. Le petit con. On parle de vous à Usson, de vous et de votre frère. J'imagine que vous n'avez pas eu le temps de vous faire beaucoup d'amis, depuis votre arrivée, et je ne peux pas prétendre être une amie, parce que nous ne connaissons pas vraiment, mais... Elle toussa pour s'éclaircir la gorge. C'était déjà toute une tirade. Il ne fallait pas qu'elle s'éparpille. C'est peut-être un peu prétentieux de ma part mais je voulais vous dire que je suis votre amie, et que je me fais du souci pour vous, et que si vous voulez pleurer toutes les larmes de votre corps sur mon épaule, crier toute l'injustice que vous ressentez ou juste vous goinfrer de sucre avec quelqu'un en vous remémorant les pires mauvais coups que vous avez pu faire en étant petite avec lui, eh bien je suis là.

Mathilde sourit, pour chasser une émotion. La compassion, c'était son fort, et si la Comtesse se mettait à pleurer, la fermière pleurerait aussi, réduisant à néant tout effort de consoler son amie. Alors, Idalie, comment allez vous, vous?
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Idalie de BeauharnaisComtesse
Idalie de Beauharnais



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MessageSujet: Re: Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie]   Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie] EmptyLun 29 Mar 2021 - 23:26
« Nul besoin de vous excuser, vous êtes toujours la bienvenue. »

C'était, pour certains, une simple formule de politesse, mais Idalie, elle, était sincère. La fermière, en plus d'avoir joué un rôle clé dans l'organisation du mariage, était une bonne amie d'Aymeric, et la nouvelle comtesse ne lui fermerait jamais les portes du manoir. Les deux femmes ne se connaissaient encore que peu, mais Idalie savait qu'elles seraient amenées à se côtoyer régulièrement, peut-être à collaborer, même. La noble appréciait déjà la fermière et l'accueillerait toujours avec les plus grands égards, que la visite soit prévue ou impromptue.

Idalie sourit en écoutant Mathilde, touchée d'apprendre que la fête qui s'était tenue au Labret deux semaines auparavant avait été une source de réjouissance et de fierté pour les habitants. Elle savait que l'événement s'était bien passé, mais d'entendre la fermière lui confirmer la joie de ses pairs lui mettait un baume au cœur.

« Vous en êtes amplement dignes, répondit Idalie à Mathilde. Tout le plaisir fut réellement pour nous. »

Idalie offrit un nouveau sourire à Mathilde. Elle était sur le point de proposer une tasse d'infusion à son invitée lorsque celle-ci décida de prendre la situation en main et de couper deux parts de tarte.

« Oh, j'aurais pu... », dit-elle avant de s'interrompre, légèrement déboussolée d'avoir été prise de court par Mathilde.

La fermière ne s'arrêta cependant pas là et se chargea de verser dans la tasse de chacune une eau fumante et parfumée. Idalie se retint de signaler à son interlocutrice qu'Ilda ou elle-même auraient pu s'occuper de tout cela, qu'elle était l'invitée et non l'hôtesse. À quoi cela aurait-il servi hormis mettre Mathilde mal à l'aise?

« Merci, vous êtes trop prévenante », se contenta-t-elle de dire en prenant la tasse entre ses mains pour profiter de la chaleur qui s'en dégageait.

Mathilde reprit alors la conversation, et Idalie fut surprise par le sujet abordé. La fermière n'était pas venue pour une simple visite de courtoisie. Elle s'était présentée au domaine Pessan pour la voir, elle, et lui parler de la tragédie qui avait frappé sa famille. Si Mathilde était là, devant elle, c'était pour lui offrir son amitié et une épaule sur laquelle pleurer. Alors, Idalie, comment allez vous, vous?

Idalie resta stoïque un bref instant, puis entrouvrit les lèvres. Je vais bien. Vous êtes gentille de vous inquiéter, mais je vais bien. C'était ce qu'elle aurait voulu dire. C'était certainement ce qu'elle aurait dit si elle s'était retrouvée face à une autre noble. Mais quelque chose dans le regard de Mathilde empêcha ces mots banals de sortir. Peut-être était-ce parce que la fermière ne voulait clairement rien tirer de sa tristesse, qu'elle n'allait pas l'utiliser contre elle pour lancer des rumeurs ou l'accuser d'être faible, indigne de ce titre de comtesse qu'elle venait à peine d'acquérir. Cette femme du peuple qui la connaissait à peine avait choisi de mettre ses activités de côté pour lui préparer cette tarte et parcourir le chemin jusqu'au domaine Pessan dans le simple but de lui offrir son soutien. C'était plus de bonté qu'elle en avait reçu parmi ses pairs depuis son arrivée à l'Esplanade.

Ses lèvres de nouveau scellées, Idalie baissa les yeux et observa un instant les volutes de fumée qui dansaient au-dessus de sa tasse. Lorsqu'elle reposa son regard sur la fermière, elle sourit tristement en coin, laissant quelque peu tomber le masque qu'elle avait l'habitude d'arborer.

« Je tente de tenir le coup », admit-elle tout bas.

Elle s'octroya une courte pause, en profitant pour boire une gorgée d'infusion, puis poursuivit :

« Mais je vis mon pire cauchemar. »

Idalie s'interrompit de nouveau, maîtrisant de son mieux ses émotions. Elle voulait éviter de pleurer devant Mathilde. Par pudeur en quelque sorte, mais aussi par souci de ne pas remettre la machine en marche et inquiéter Aymeric.

« Nous avions promis de nous protéger l'un l'autre et j'ai échoué, murmura-t-elle. Aymeric tente de me convaincre du contraire, mais il a tort. Dans mon cœur, je sais que j'ai failli à ma promesse. Je sais qu'une phrase que j'aurais dite, qu'un geste que j'aurais posé aurait pu le sauver. Mais j'étais heureuse, aveugle dans mon cocon de bonheur, et je n'ai rien dit, je n'ai rien fait. Et maintenant, il est trop tard. »

La noble s'attarda sur Mathilde, puis se détourna lentement pour regarder par la fenêtre.

« Parfois, je m'imagine partir à cheval pour le retrouver, pour montrer aux Trois que, cette fois, je ne peux accepter leur décision, avoua-t-elle. Je ne comprends pas leur décision. Je leur demande un signe, une explication, n'importe quoi qui pourrait m'éclairer, mais il semble qu'ils n'entendent pas mes prières. Ou peut-être les ignorent-ils dans un jeu cruel qui m'échappe. »

Idalie ravala, puis secoua doucement la tête, comme pour dire qu'elle regrettait ses dernières paroles. Les yeux brillants de larmes admirablement contenues, elle reposa son attention sur Mathilde.

« Je ne le ferais jamais, précisa-t-elle, au cas où Mathilde songeait à aller parler à Aymeric de cette rêverie. Je ne trahirais jamais la promesse que j'ai faite à Aymeric devant les Trois. Je me sens seulement.. si impuissante. Encore une fois. »

Comme beaucoup, Idalie avait perdu tous les siens. Dans la famille d'Auvray, seuls Zephyr et elle avaient réussi à rejoindre la capitale. Et maintenant qu'elle était Idalie de Beauharnais, le nom d'Auvray s'était éteint, comme s'il n'avait existé que dans un passé lointain.

« Je suis sincèrement navrée pour votre père, dit Idalie. Comment avez-vous réussi à surmonter cette épreuve, à chasser le vide et la solitude? »
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Mathilde VortigernFermière
Mathilde Vortigern



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MessageSujet: Re: Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie]   Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie] EmptyVen 9 Avr 2021 - 3:21
Je vais très bien, merci. C'était ce qu'Idalie aurait pu, et peut-être même du répondre. C'était ce qu'on répondait machinalement quand quelqu'un posait à la légère cette question parfaitement polie sans même réellement écouter la réponse. Lorsqu'on s'aventurait sur le terrain glissant des lamentations, souvent, l'interlocuteur coupait court à la discussion en prétextant un pain au four ou un amant caché dans l'armoire. Mathilde avait donc appris à dire les choses platement, en restant aussi factuelle que possible et sans jamais sombrer dans le mélodrame -enfin presque jamais-, pour ne pas mettre les gens mal à l'aise. C'était un exercice parfois difficile, et elle n'aurait pas été surprise que la Comtesse préfère balayer le sujet de conversation du revers de la main pour rester sur des banalités. Mais Idalie hésita, baissa les yeux... et la garde.

Parfaitement silencieuse, Mathilde considérait qu'elle avait suffisamment entrouvert la porte. Si la Comtesse souhaitait saisir l'occasion pour parler, elle le ferait. Sinon, la fermière accepterait le silence en guise de réponse. Il était un refuge confortable, du moins pour un moment. Elle le savait. Je vis mon pire cauchemar. A sa plus grande surprise, Idalie avait desserré les lèvres sans chercher à éviter ce sujet si délicat... et tout à coup, aux yeux de Mathilde, la noble dame dont la réputation était si parfaite en tout point gagnait en humanité.

La fermière ferma les yeux et prit une gorgée de l'infusion. Elle avait un parfum de fleur et un goût rappelant le foin sec. Les fleurs fraiches se faisaient particulièrement rares à ce temps de l'année, et il fallait compter sur les récoltes, soigneusement séchées et conservées, pour parfumer l'eau chaude et lui donner des vertus diverses. Mathilde préférait les infusions de l'été, agrémentées de fleurs encore jeunes et de petits fruits tout juste cueillis. Les framboises avaient sa préférence. La tasse rejoignit ses genoux, sans qu'elle rouvrit les yeux. C'était une façon pour elle d'écouter le plus attentivement du monde les mots emplis de regrets et de culpabilité prononcés par Idalie. Une phrase ou un geste auraient pu sauver ce frère désormais perdu. Il était là, le drame. Elle aurait pu le retenir un jour de plus au Labret et lui éviter, peut-être, cette mauvaise rencontre qui lui avait probablement coûté la vie.

Mathilde ne put s'empêcher de sourire intérieurement lorsqu'Idalie avoua ne pas comprendre la décision des Trois, restés sourds à ses prières. A Usson, on disait que la Comtesse était particulièrement pieuse. Comme cela devait être rageant de ne pas recevoir un signe de ceux que l'on prie si assidument... mais encore fallait-il être capable de repérer ce signe. Elle se souvenait des paroles qu'un prêtre du temple lui avait murmurées. Comment avait-il tourné ça, déjà? Mathilde fronça légèrement les sourcils mais fut interrompue dans sa réflexion par un changement de ton dans la voix d'Idalie, navrée pour le père Dumas. Mathilde haussa légèrement les épaules.

- J'ai d'abord refusé d'y croire. Pourtant, je l'avais vu malade, et sur son lit de mort. Mais lorsque tout a été fini, que le prêtre a été payé, que la cérémonie a été terminée et que je suis rentrée avec Philibert à la ferme, c'est là que j'ai réalisé l'ampleur de la catastrophe. Sauf qu'il y avait tellement à faire... c'était le printemps, je me suis littéralement noyée dans le travail pour oublier.

L'oubli avait duré des mois. Chaque coup de houe, de fourche ou de binette avait été une façon de dire aux Trois combien ils avaient été cruels. Et puis la Fange était arrivée, et avec elle le plus terrible des hivers. Pour survivre elle avait enfoui ses émotions, ses pensées, et n'avait pensé qu'à manger, dormir et échapper aux fangeux qui pullulaient au Labret... jusqu'à la reprise, après laquelle Philibert et elle avaient couru à la ferme pour la remettre sur pieds et tenter de cultiver quelque chose. Du travail, encore, jusqu'à l'épuisement. Tous les jours. Jusqu'à ce que Philibert soit emporté par un fangeux et que la veuve Dumas se retrouve réellement seule.

- Ça a été long avant que je ne le pleure réellement. Il s'est passé tellement de choses entre sa mort et le moment où j'ai réellement été seule à la ferme, sans plus pouvoir m'occuper de personne d'autre que de moi. Il était partout autour de moi. Dans les murs de la maison, dans le champ, et même sur la route vers Marbrume. Il était tellement partout que je l'entendais me parler n'importe quand. Mathilde fronça légèrement les sourcils et prit une voix un peu plus grave. Tu ne devrais pas faire ça, Mathilde. Sois plus prudente. Elle sourit, reprenant sa voix normale. Je lui répondais. J'ai beaucoup discuté avec lui, en fait. Je crois que ça m'a permis de comprendre qu'il était mort parce que c'était ainsi que cela devait être, et que même si j'étais la dernière des Dumas, je pouvais faire vivre ce nom à travers les souvenirs que je partagerais avec les vivants. Et puis il y a tout ce savoir qu'il m'a transmis, et que je transmets à mon tour.

Mathilde s'interrompit, juste le temps de prendre une gorgée, avant de reprendre. Je ne peux plus le serrer dans mes bras, et les Trois savent ô combien j'avais besoin de sentir son regard approbateur se poser sur moi... mais d'une certaine façon, il est encore vivant à travers moi. Je ressens encore de la solitude, et je crois qu'il me manquera pour toujours, mais je me sens plus sereine. Et vous le serez aussi, dans quelques temps, j'en suis certaine. Tout à coup, Mathilde ouvrit les yeux un peu plus grand, et se redressa légèrement. Dans la pénombre, le croyant demande aux Trois de lui envoyer un signe. Il espère voir apparaître une lumière, et ne réalise pas que le souffle dans sa nuque est ce qu'il attend de recevoir. C'est ce qu'un prêtre m'a dit quand j'ai osé suggérer l'idée que les Trois se fichaient bien de mes prières. Les signes des Trois peuvent prendre mille formes, encore faut-il que nous soyons capables de les saisir. Depuis cette discussion au Temple d'Usson, Mathilde était réellement devenue paranoïaque et croyait voir des signes absolument partout, même dans le chant d'un oiseau belliqueux.

- C'est difficile de vous dire de ne pas espérer le revoir. C'est ce qui est le plus raisonnable, mais qui peut réellement s'empêcher de s'accrocher à un infime espoir? J'ai croisé la route de plusieurs bannis qui avaient besoin d'aide, dernièrement. Des mordus, évidemment. Ai-je une tête à fréquenter occasionnellement des malfrats sanguinaires? Non, voyons! aurait-elle pu ajouter, mais elle s'abstint : il valait mieux glisser sur la plus simple des hypothèses. Je peux leur demander d'ouvrir l'oeil, lorsque je les rencontrerai. La plupart n'ont pas eu d'autre choix que de se réfugier comme ils le peuvent dans les marais, les pauvres. Je ne pouvais pas les accueillir mais je les ai aidés un peu, et ils me rendront certainement service si je leur demande des informations au sujet de votre frère. Sait-on jamais que quelqu'un l'ai croisé...

C'était peu probable. S'il avait voulu protéger une dernière fois sa soeur, il s'était probablement donné la mort, peut-être en se jetant à la mer ou en s'immolant, Mathilde en était convaincue. Rares étaient les mordus qui étaient certains de ne pas représenter un danger, à l'image du chevalier Corbera qui, un temps durant, avait travaillé auprès d'Alexandre. Qu'allait-il devenir, maintenant que son bienfaiteur était auprès d'Anür?

- Est-ce que... est-ce que vous envisagez de faire une cérémonie? Un hommage peut-être? A moins que ça ne soit trop tôt pour vous. Une cérémonie d'adieu, pour souligner la vie de l'homme et demander aux Trois de veiller sur son âme, c'était aussi admettre la mort. Or, si Idalie rêvait de partir à sa poursuite, elle n'avait peut-être pas encore tout à fait accepté l'horrible fin de Zéphyr.
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Idalie de BeauharnaisComtesse
Idalie de Beauharnais



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MessageSujet: Re: Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie]   Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie] EmptyDim 11 Avr 2021 - 19:09
Sa tasse entre les mains, Idalie écouta la fermière dans un silence religieux. Même si elles se connaissaient à peine, Mathilde avait accepté de s’ouvrir et de lui parler de la façon dont elle avait traversé son deuil. La jeune femme avait perdu son père, son premier mari et bien d’autres sans doute. La vie ne l’avait pas épargnée et, pourtant, elle se tenait encore droite. Elle était forte, assez pour gérer sa ferme et pour trouver l’énergie de prêter une oreille attentive à la détresse d’une noble dont elle ne savait pas grand-chose. Idalie ne pouvait s’empêcher de l’admirer et espérer qu’elle réussirait à se battre aussi bien qu’elle. Il le fallait. Pour Aymeric et pour Alix, mais aussi pour son frère, peu importe où il était. Peu importe s’il avait répondu à l’appel d’Anür ou non.

Idalie sourit légèrement lorsque Mathilde lui répéta ce qu’un prêtre lui avait dit un jour. Était-elle aveugle et sourde aux signes des Trois, trop accaparée par sa tristesse pour remarquer les messages qu’ils lui envoyaient? Était-elle le problème? Elle n’en savait rien. Elle ne savait plus. Elle ne cesserait jamais de prier, mais cet acte ne lui était plus une source de réconfort. Elle priait désormais autant de désespoir que de ferveur, et son cœur se brisait chaque jour où, au réveil, elle se rendait compte que le cauchemar était réel. Elle avait conscience d’en demander beaucoup aux Trois. À certains instants, elle en avait honte, même. Peut-être devrait-elle écrire au père Clay. Il avait toujours su la guider jusqu’ici, et elle avait plus que jamais besoin de ses conseils.

Au détour de son monologue, Mathilde fit une proposition qui surprit Idalie. La fermière connaissait des mordus et, par bonté, en avaient aidé quelques-uns. Elle offrit donc de leur demander de l’informer s’ils croisaient Zephyr. Idalie ne put masquer la lueur d’espoir qui emplit son regard. Au fond, elle savait que les chances qu’un banni de la connaissance de Mathilde croise son frère dans les Marais étaient infimes. Peu étaient ceux qui parvenaient à survivre en ces terres aussi vastes qu’hostiles. Mais comment ne pas espérer? Elle n’avait aucun corps à enterrer, juste une lettre qui en disait à la fois trop et trop peu.

« Je… », commença-t-elle dans un murmure alors que Mathilde recommençait à parler.

À la question de son invitée, Idalie secoua doucement la tête. Pas de cérémonie ou d’hommage. C’était beaucoup trop tôt. Elle devrait, pour la bienséance, inévitablement prendre parole un jour, mais elle attendrait autant qu’elle pourrait se le permettre. Elle commençait déjà à recevoir des lettres de sollicitude, voire de condoléances, et chaque missive lui était insupportable à lire, car la plupart d’entre elles puaient de fausse sympathie. Elle n’était pas étonnée de ces lettres; elle connaissait les codes de la noblesse. Elle se sentait simplement éreintée à l’idée de devoir répondre et de jouer le jeu.

« Non, pas maintenant,[ répondit-elle à Mathilde après un court silence. Ce serait trop… final. Et je suis incapable de ne pas entretenir l’espoir qu’il… qu’il est toujours en vie et qu’il réussit à survivre. L’espoir qu’il viendra me dire au revoir, me serrer dans ses bras une dernière fois. »

Idalie baissa les yeux. Malgré ses efforts pour se contenir, son regard s’était humidifié.

« Si les personnes que vous avez aidées peuvent garder l'œil ouvert, je leur en serais infiniment reconnaissante, murmura-t-elle. Si elles peuvent lui dire que je… que je le supplie de revenir, que je voudrais au moins le voir une dernière fois… Juste… juste pour le serrer dans mes bras et lui dire au revoir... »

Une larme perla sur sa joue, puis une autre. Embarrassée, elle les essuya doucement et aussi discrètement que possible du revers de sa main, mais le geste se révéla inutile, d’autres venant aussitôt prendre leur place.

« Je vous demande pardon, Madame Vortigern, s’excusa-t-elle, la voix légèrement tremblante. Je n’ai pas pour habitude de… Je suis désolée, vous avez tant vécu et vous êtes si aimable d’être venue me voir, je devrais savoir me maîtriser… »

Idalie luttait, mais son cœur n’aspirait qu’à se libérer de cette tristesse encore trop réprimée. Elle avait pleuré dans les bras d’Aymeric, trop de fois sans doute, mais ce n’était pas assez. Les larmes venaient sans prévenir, alors qu’elle écrivait un courrier, qu’elle brossait son cheval ou qu’elle s’habillait au réveil. Jusqu’ici, par contre, elle avait su les retenir face aux étrangers qui avaient croisé sa route.

« Vous n’avez pas à porter ma tristesse en plus de la vôtre, je… Je viens tout juste d’arriver et je suis déjà un fardeau pour Aymeric… Il est très patient, mais il ne devrait pas avoir à l’être, et je ne souhaite pas lui faire honte… »

Plus Idalie parlait, plus les larmes s’échappaient, devenant trop abondantes pour être effacées d’un geste de la main.

« Mon frère était celui qui me consolait, qui m’aidait à faire face aux épreuves, chuchota-t-elle. Il m’a donné mille et un conseils, sauf celui dont j’aurais besoin maintenant pour accepter son… son départ. »

Un petit sanglot. Une nouvelle excuse.

« Je… Je m’en veux, mais je lui en veux aussi, lâcha-t-elle, la voix étranglée. Il me manque tant. »

Un autre sanglot. Puis un autre. Elle craquait.

« Je suis désolée, Mathilde, ne… Vous n’avez pas à assister à… Je suis désolée, ne vous sentez pas obligée de rester… Je suis navrée… »
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Mathilde VortigernFermière
Mathilde Vortigern



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MessageSujet: Re: Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie]   Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie] EmptyJeu 15 Avr 2021 - 3:45
Pas de cérémonie. C'était un peu prévisible. Et totalement compréhensible. A partir de quand peut-on raisonnablement considérer un disparu comme étant mort? Après une semaine? Un mois? Un an? Mathilde n'en avait aucune idée. Les choses allaient vite, dans sa vie, depuis que la Fange avait envahi le Labret et le duché. Le royaume. Et tous les autres royaumes auparavant. Chaque disparition inexpliquée était désormais nécessairement le fait d'un fangeux, ce qui laissait peu de place à l'espoir. Les deuils s'enchaînaient à une vitesse folle. Un parent, un ami, un amant, un autre ami,... Un mois, elle avait attendu Alcide pendant un mois avant de lui rendre un dernier hommage au temple d'Usson. Un mois pour vivre un certain déni, accepter, pleurer, et clore l'histoire. C'était devenu son délai raisonnable à elle.

- Je comprends. Rien ne presse, murmura-t-elle, non sans voir la Comtesse baisser la tête. Je ferai passer le mot. Croiser un banni ne serait pas compliqué : il suffisait d'un message laissé au bon endroit et d'un peu de patience. Un nom, une description, et une histoire de dette pour justifier sa recherche tout en évitant de dévoiler une morsure qu'il aurait gardée pour lui ou un passé trop lourd à porter une fois qu'on a tout perdu. Mais la fermière gardait les pieds sur terre. Zéphyr était probablement mort, et elle n'aurait aucune nouvelle à partager à Idalie... mais au moins, elle aurait essayé, permettant à la Comtesse de rester dans la sécurité du domaine tout en songeant que dehors, de parfaits inconnus cherchent son frère. Je m'imagine partir à cheval pour le retrouver. Mathilde voulait éviter que cela se produise, pour qu'Aymeric, aux yeux si brillants d'amour, ne perde pas son épouse.

Le masque cédait. Idalie pleurait. Sa voix gagnait en fébrilité alors qu'elle bafouillait quelques mots. L'espace d'un instant, elle se sentit mal, songeant qu'elle avait un peu trop poussé la jeune mariée. Puis elle se ravisa. Mathilde n'était pas allée trop loin, du moins pas selon elle. Pleurer un disparu était totalement normal dans son monde. Vous n'avez pas à porter ma tristesse. Elle sourit. C'était un peu pour ça qu'elle était venue. Pour partager le fardeau, le rendre un peu moins lourd, un peu moins pénible.

La fermière se débarrassa momentanément de sa tasse et de sa petite assiette pour se lever. Vous n'avez pas à assister à ... Se maîtriser, ne pas être un fardeau, ni pour une amie, ni pour un époux. Savoir retenir ses émotions, masquer sa peine pour ne pas indisposer son entourage. C'était donc cela la vie d'une femme issue de la noblesse? Mathilde secoua la tête et préféra venir s'installer à côté d'Idalie, qui s'excusait bien inutilement. Avec une douceur quasi maternelle, elle posa une main calleuse sur celle, infiniment douce, de la Comtesse.

- Je ne me sens pas obligée de rester. Vous traversez une épreuve terrible, mais vous n'êtes pas seule. Vous avez le droit de pleurer, on a tous le droit de pleurer Idalie. En témoignaient les yeux maintenant embués de la fermière, les larmes de la Comtesse étaient contagieuses. Je suis sure qu'il ne vous a pas donné ce précieux conseil parce qu'il savait que vous ne l'écouteriez pas. C'est pas votre faute, vous avez du chagrin, c'est tout. Il faut dire qu'on vit une drôle d'époque et que les gens ont une fâcheuse tendance à disparaître sans prévenir. Tout le monde pleure à un moment ou à un autre, et c'est bien normal, que voulez-vous faire d'autre quand on ne peut pas se dire adieu, quand on est séparés? Mathilde ne regardait pas la Comtesse. Elle aurait aimé ouvrir grand ses bras pour l'y accueillir et la consoler, parce que c'est ce qu'on fait par chez elle, mais elle avait compris que les devoirs des nobles étaient un peu plus lourds à porter que ceux d'une simple fermière. Idalie s'était excusée, et dans le meilleur des mondes, Mathilde aurait peut-être du quitter la pièce pour lui laisser le temps de se ressaisir, avant de revenir pour recevoir d'autres excuses. Les nobles avaient vraiment de drôles de manières... Vous savez, notre seul devoir, à nous qui restons en vie, c'est justement ça : vivre. Je suis certaine que mon père m'aurait secoué les puces si j'avais osé baisser les bras. Alors tant que je le peux, j'essaie de vivre, certes en faisant des choix qui doivent parfois lui déplaire, mais je vis. Et lorsque nous nous retrouverons, eh bien nous aurons bien des choses à nous dire, mais il ne pourra pas me reprocher d'avoir baissé les bras, ah ça non!

Mathilde se tut un instant. Elle regardait les livres, qui symbolisaient si bien cette distance qu'il y avait entre les nobles et les paysans. Les uns savaient lire et apprenaient des tas de choses dans leur salon quand ils n'écrivaient pas de nouvelles connaissances à transmettre ; les autres savaient à peine tenir une plume trempée dans l'encre et devaient donc se fier à leurs pairs pour découvrir tout ce qu'il y avait à savoir. Elle finit par se lever et se diriger vers les ouvrages.

- Aymeric m'a dit qu'il avait appris beaucoup de choses en lisant. Y a rien sur le deuil, pas vrai? Elle tournait maintenant le dos à Idalie, une position bien confortable pour permettre à la jeune mariée de sécher ses larmes et de se recomposer une attitude décente. Un de mes amis est mort il y a quelques jours. Il savait lire, alors j'ai demandé à l'écrivain public d'écrire pour moi. Ça m'a pas empêchée de pleurer, et de pleurer encore quand j'y pense, mais... Mathilde prit une ou deux respirations. Sa gorge s'était légèrement serrée à la simple évocation d'Alexandre, qu'elle avait d'ailleurs insulté dans la lettre ... mais je lui ai dit ce que j'avais à lui dire et ça m'a fait du bien. Après j'ai brûlé la lettre, parce que... ben d'abord parce que je ne voulais pas que quelqu'un tombe dessus par hasard, et surtout parce que c'était la seule façon de l'envoyer à Anür. Peut-être qu'à la place de répondre à vos lettres, vous pourriez prendre un moment pour écrire à votre frère. Lui dire que vous pensez à lui, que c'est très mal élevé de partir comme ça, que vous le remerciez pour tout ce qu'il a été, et que vous comptez vous lancer dans plein de projets qui vont alimenter vos discussions quand vous vous retrouverez. Mathilde jeta un regard par-dessus son épaule. Idalie avait-elle repris ses sens? Elle en prit le pari et se retourna. A commencer par ces pauvres gamins dans les rues de Marbrume, livrés à eux-mêmes, sans autre métier en perspective que celui de voleurs. Alors qu'on pourrait leur apprendre à être de respectables paysans ici, au Labret! Respectables paysans. Mathilde sourit, elle était bien bonne celle-là.
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Idalie de BeauharnaisComtesse
Idalie de Beauharnais



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MessageSujet: Re: Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie]   Du sucre sur les deuils pour atténuer la peine [PV Idalie] EmptySam 17 Avr 2021 - 4:56
Malgré sa honte de pleurer ainsi devant son invitée, Idalie laissa Mathilde prendre place près d’elle. Elle ne se déroba pas lorsque la fermière, dans un geste rassurant, posa sa main contre la sienne. Un instant, elle eut même envie de serrer cette main réconfortante et d’enfouir son visage contre l’épaule de Mathilde pour laisser aller sa peine. Elle n’osa cependant pas, ayant encore trop de retenue pour se permettre une telle familiarité.

Tout en écoutant Mathilde, la comtesse ferma les paupières et prit de profondes respirations. C’était sa manière d’essayer de calmer sa tempête intérieure, d’ériger des barricades pour l’empêcher de tout balayer sur son passage. Mathilde avait raison : sa tristesse était normale. Pleurer était normal. Mais Idalie refusait de s’écrouler encore davantage, de peur de ne plus être capable de se relever. Elle devait rester forte. Aymeric et Alix comptaient sur elle. Ilda aussi. Et quelque part, Zephyr comptait sur elle pour ne pas les laisser tomber.

Idalie rouvrit les yeux et força un sourire lorsque Mathilde lui parle de son père, qui, selon elle, en aurait long à dire sur les choix qu’elle avait faits.

« Il serait fier de vous, j’en suis certaine, offrit-elle d’une voix plus calme, mais encore fébrile. Vous avez beaucoup accompli en des temps particulièrement difficiles… »

Idalie se tut, profitant du fait que Mathilde observait les ouvrages pour essuyer ses larmes et achever de retrouver sa dignité. Même si la question de la fermière était rhétorique, elle ne put s’empêcher de se demander si un livre sur le deuil existait et, si c’était le cas, ce qu’il pouvait bien dire. Elle aurait aimé n’avoir qu’à tirer un ouvrage de la bibliothèque pour avoir une réponse à ses questions. Elle aurait voulu pouvoir se plonger dans les paroles d’une personne plus sage qu’elle pour trouver du réconfort. Elle n’aurait ainsi pas à embêter Aymeric et, maintenant, Mathilde avec sa peine. Elle n’aurait pas à déranger les prêtres et les prêtresses. Elle n’aurait qu’à parcourir les pages de ce livre pour se sentir mieux. Si seulement…

Mathilde parla alors de la mort d’un ami, et Idalie comprit, au fil du récit, que cet ami était le vicomte de Terresang. La comtesse ignorait la véritable teneur des liens qu’avaient tissés la fermière et le noble, mais savait d’Aymeric qu’ils s’appréciaient. Elle avait également été attristée par la perte de cet homme qu’elle avait rencontré lors de la rénovation du Bonheur des âmes, mais sa tristesse était sans doute bien moindre que celle de Mathilde. La jeune femme avait même pris la peine de faire écrire une lettre en mémoire de son ami sang bleu.

Idalie sourit légèrement avec mélancolie à la proposition de Mathilde. La fermière lui suggérait de l’imiter et d’écrire à son frère pour lui dire sa façon de penser et lui parler de tous les projets qu’elle mettrait en branle au Labret.

« C’est une bonne idée, dit-elle tout bas, le regard encore humide malgré ses efforts. C’est… »

Idalie hésita. Elle avait visiblement le réflexe de taire ce qui était trop personnel, la moindre révélation pouvant servir d’arme aux plus mal intentionnés dans la noblesse. Elle se reprit cependant rapidement et poursuivit :

« J’avais une sœur, Gracianne… Quand nous sommes arrivés à Marbrume, je lui ai beaucoup écrit. J’ignore pourquoi. J’imagine… J’imagine que c’était une façon de la garder avec moi, même si je savais que… »

Nul besoin de raconter la suite. L’histoire était la même pour tout le monde. La Fange avait frappé. Les plus chanceux avaient réussi à rejoindre Marbrume. Les autres, pour la plupart, avaient péri aux griffes du fléau. Gracianne, qui avait quitté les terres d’Auvray pour rejoindre la cour, n’avait jamais franchi les remparts de la ville.

« Je suis navrée pour votre ami, dit Idalie après un court silence. Sachez que je suis également là pour vous si vous en ressentez le besoin, Mad… Mathilde. Vous serez toujours la bienvenue ici, peu importe le moment. »

Idalie marqua une pause et se redressa, défaisant machinalement les plis de sa robe. Ses larmes avaient séché, mais elle n’en paraissait pas moins atterrée et épuisée. Elle avait renfilé son masque, plus pour retrouver ses sens que pour se protéger de Mathilde. Il restait toutefois craqué, et elle ne faisait rien pour le réparer, laissant la fermière continuer d’entrevoir ce qu’elle s’employait à cacher aux autres.

« Aymeric vous apprécie beaucoup et je partage ce sentiment, poursuivit-elle. J’aimerais sincèrement apprendre à mieux vous connaître. Idéalement dans un contexte plus propice que celui-ci ou que celui d’un mariage avec une foule d’invités… »

Le regard d’Idalie se posa sur la petite table, où trônaient les infusions en train de refroidir ainsi que les parts de tarte coupées par Mathilde. Sans prévenir, la comtesse se pencha, attrapa la petite assiette et prit une bouchée du dessert. Une envie subite. Et passagère, sans doute, car elle ne mangeait presque rien depuis la sombre annonce. Il fallait la saisir quand elle se présentait. C’était sans compte qu’il aurait été impoli de ne pas faire honneur à la cuisine et aux efforts de Mathilde.

« Comme je vous l’ai dit lors du mariage, j’aimerais beaucoup découvrir votre ferme, reprit-elle. Et vous entendre sur la vie au Labret, sur ce que je peux faire pour aider la communauté. Vous semblez connaître cet endroit mieux que personne, je crois que j’ai beaucoup à apprendre de vous… En particulier si je souhaite réussir à lancer des projets comme celui d’offrir aux enfants orphelins un foyer où apprendre un métier. »

Idalie prit une autre bouchée de tarte et complimenta Mathilde sur ses talents de cuisinière. Elle avait retrouvé son caractère posé et seuls ses yeux rougis et son air fragile trahissaient son dérapage. Mathilde lui avait tendu une perche pour parler d’autre chose que de ce qui la bouleversait et elle lui en était reconnaissante.

« Songez-vous à prendre un apprenti? demanda-t-elle doucement. Aymeric m’a mentionné que vous pourriez être intéressée, mais il s’emballe peut-être un peu rapidement. Rien n’est amorcé encore et cela prendra assurément un certain temps. »
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