[Convocation]Les profondeurs d'un océan

Kaïne observait la foule d’un regard aussi morne en apparence qu’attentif sous la surface, laissant son esprit vagabonder non sans noter ça et là des alliances de conivences qui s’effectuaient par un simple regard ou un verre passant d’une main à l’autre après un court passage sur un plateau. Tous ces gens qui croyaient être discret dans leurs enfantillages politiques. Si Abielle avait été là, elle aurait sans aucun doute pris grand plaisir à ajouter de la discorde dans tout cela juste en jouant de ces codes éculés et si simple à détourner de leurs intentions premières.
Elle aurait pu faire s’effondre ce parti politique avant même son émergence sans aucun effort, et juste pour se divertir.
Mais cette dernière était occupée ailleurs.

Une main se posa sur son épaule et elle ne fut pas surprise de découvrir Isolde de nouveau à coté d’elle. L’expression de son visage en revanche la prit de court de manière nettement plus marquée, si bien qu’elle laissa son regard courir vers la porte du balcon qu’elle l’avait vue emprunter un peu plus tôt. Était-il possible qu’en si peu de temps… ? Non. Enfin si, techniquement, mais elle n’imaginait pas une seconde Isolde se vautrait dans le foin avec un inconnu, aussi charmant soit-il, pour revenir ensuite à la soirée comme si de rien était. Non, la flamme qui animait la jeune femme n’était pas si dévorante. Mais tout de même… il s’était passé quelque chose sur ce balcon qui avait fait rejaillir un peu plus de la femme que Isolde cachait en elle.

- Autant que l’on peut s’amuser à une soirée de ce genre. J’ai même croisé un reptile des plus intriguant. J’ai l’impression que les chemins tortueux que tu as pris avaient eux aussi un intérêt notable. Il faudra que tu me racontes tout cela ! dit-elle avec un intérêt sincère et typiquement féminin qui semblait presque surprenant vu son habituel contrôle amusé.

Elle commençait sans doute à un peu trop apprécier cette jeune prêtresse. Les amis étaient une chose envisageable. Elle en avait eu plusieurs durant sa courte mais intense vie. Mais le chemin qu’elle suivait ne souffrait pas d’obstacle émotionnel.
Si elle devait un jour enfoncer une lame dans cette jolie gorge, ce serait plus douloureux si elle laissait cette graine prendre racine. Elle le savait pour l’avoir vécu. Elle reporta son attention sur la foule sans que son visage ne laisse rien paraître de sa réflexion et reprit d’une voix amusée.

- J’étais entrain de me demander si je ne cambriolerais pas un manoir afin de m’emparer d’un cadeau qui me permettrait de courtiser une inconnue et peut-être finir dans son lit. avoua-t-elle avec tant de naturel qu’on eu pu croire à une plaisanterie.

En quelques jours Kaïne avait pu se faire une idée plus précise de la personnalité d’Isolde et si la plupart de ses découvertes n’avaient été que des confirmations de ses premières conclusions. Une chose était sûre en son cœur, elle n’était pas femme à juger autrui impunément et son esprit était plus ouvert que celui de la grande majorité de la cité. Evoquer un crime qu’il soit judiciaire dans le premier cas, ou moral dans le second, en sa présence, ne représentait aucun risque. A part peut-être celui d’éveiller son avide curiosité et celle-ci était une des forces de sa compagne.
Alors pourquoi se priver de la titiller ?

- Tu n’es pas encore prête, mais si l’envie te dit, je t’emmènerais quand j’estimerais que c’est le cas. dit-elle joyeusement en passant sa main dans la sienne pour l’entrainer vers la piste de danse qui reprenait doucement son activité après le discours. Elle n’était pas tout à fait convaincue que le vol fasse partie des projets de la prêtresse dans sa recherche de briser les convenances. Mais sa soif de liberté semblait si intarissable et indéfinie qu’elle n’avait pas le cœur à lui en refuser le potentiel excès.
On pouvait bien inviter une amie à jouer non ? Même si cela était une mauvaise idée.

Le reste de la soirée s’avéra moins riche en rebondissement du moins émotionnel. Comme promis, Kaïne enseigna par la pratique à Isolde les nombreux aspects de la séduction ayant pour objectif de d’obtenir quelque chose ou de contrôler sa cible. Elle commença par aborder en sa compagnie des groupes au hasard et a prendre la paroles en poussant certaines intonations ou sujet en avant. Puis l’encouragea à faire de même, maladroitement d’abord mais bien vite plus efficacement. Comme les touches d’un orgue, il suffisait de savoir dans quel ordre les presser pour obtenir la mélodie voulue. Et si la prêtresse ne parvenait pas encore à déterminer le choix de la symphonie selon l’individu en face d’elle, il suffisait que sa guide lui glisse à l’oreille la solution pour qu’elle l’emploie avec une relative mais notable réussite.
Entre chaque essai elle la corrigeait ou lui apportait des précisions sur le sourire à afficher, la courbure de cou à posséder, ou le battement de cils nécessaire à la fin d’une phrase.

Elle ne tarda pas à la pousser vers des hommes séparés des groupes avec des instructions précises, comme obtenir une dance sans jamais la demander ou une invitation à une autre fête ou maisonnée. Si les attitudes d’Isolde possédaient encore une certaine rigidité mécanique dû à l’inexpérience, son audace et sa beauté de miel suffisaient amplement à combler les espaces laissés vide. Il lui faudrait des semaines, voir des mois, pour que toutes ces mimiques deviennent une seconde nature et qu’elle y parvienne sans y réfléchir et sans guide. Mais la courtisane du bien reconnaître que c’est une mention plus qu’honorable qu’elle devait lui remettre pour son premier essai. Surtout qu’elle prenait un malin plaisir à la faire boire entre chaque essai malgré les protestations très relatives de sa protégée.

Bientôt elle se retrouvèrent à glousser entre chaque défi qu’elle lui imposait, sélectionnant éhontément dans la foule leur prochaine victime allant parfois jusqu’à la montrer du doigt sans gêne. Ce qui n’empêchait que rarement la réussite de l’approche. A la fin de la soirée, elles étaient aussi désirées que détestées selon le sexe des convives. Et elles avaient même obtenu pour Isolde une promesse de fiançailles qu’une jeune noble plus facile à berner que les autres avait promis de faire envoyer à leur père le banneret. Le pauvre serait sans doute déçu de voir l’épouse qu’il obtiendrait si sa demande venait à être acceptée.

Kaïne en profita même pour approcher et questionner à demi-mots le fameux Tombechêne sur sa collection. Sa « sœur » et elle vantant ses choix et sa largesse avec assez d’assiduité pour que l’orgueil de l’homme lui fasse en dire un peu trop avant que son épouse ne vienne faire barrage d’un quelconque rapprochement. Mais comme l’avait souligné Cérène, ce n’était pas là un homme qu’une femme voudrait fréquenter dans ses moments les plus sombres. Cependant, malgré l’amusement, la courtisane fit en sorte que jamais leur petit tour ne croise la route d’Ombreciel. C’était là un joueur trop expérimenté et bien placé pour risquer un faux pas. Surtout que depuis le petit discours, le visage élégant semblait bien moins amène qu’auparavant.

- Pas si mal pour un premier essai ! s’entendit-elle dire à la jeune femme tandis qu’elle se laissait aller sur la banquette du carrosse avec un long soupir d’aise bien que celle-ci ne soit finalement pas si confortable. L’alcool avait cette magie d’améliorer significativement l’appréciation des petits plaisirs.