« Debout ! »
Allongé sur une rampe de pierre d’un escalier extérieur donnant sur une place, le guérisseur décroisa ses bras et plissa le visage pour fermer un peu plus fort ses yeux avant de finalement les ouvrir. D’un air nonchalant, il observa son univers observable dans la position couchée qu’il arborait. C’est-à-dire des nuages sur un ciel bleu et les proues en bois, non pas de navires, mais des toits des maisonnées alentours. Puis, la petite bouille rouquine de ce sale gamin du palefrenier. Enfin, plus si sale, depuis qu’il avait rejoint la troupe du dernier espoir. Sauf cette odeur de cheval qui persistait à résister à mère Calubine, la maman qui s’assurait que les réfugiés qui arrivaient, savaient se tenir droit. Et bon dieu qu’elle savait manier le rouleau !
« Allez debout ! »
Bref, que de détails peu importants par les temps qui courent. Car déjà, on le rappelait à l’ordre. Et se frottant les yeux de ses poings serrés, il finit par bailler avant de demander d’une voix calme, posant son regard sur les créneaux des remparts de Marbrume.
« Déjà l’heure ? Combien de temps ais-je dormi, Gustave ? »
Et le môme de répondre :
« Euh… trois heures, je crois. Mais… C’est Eglantine ! Elle a dit, va vite le chercher, on a besoin de lui, c’est urgent ! J’voulais po vous réveiller moooaa…. »
Finit-il d’une moue furibonde. Alors que Klain soupirait longuement en se redressant sur son séant. Prenant le temps d’avaler la réalité que son sommeil fatigué sans rêves avait éloigné et qui contrastait avec sa vue du ciel et des encornures des maisonnées. Effectivement, s’il avait pu, il se serait contenté d’une observation verticale plutôt que la boue du Labourg, les rats et la pestilence. Où s’étendait devant lui l’occupation de ses nombreuses prochaines heures. Les centaines de tentes communes de réfugiées dont les draps étaient comme une mer déchaînée mue de milles pointes et dont les trois quarts des vagues étaient arrachées. Abris provisoires qui avaient oubliés leur statut de temporaire et fait de milles draps, couvertures, bâches et autres grands morceaux de tissus qui furent tendu lors des premières pluies. Oubliez l’atmosphère étanche, cela n’existe pas dans le Labourg.
Inspirant grandement l’air pur de sa rampe d’escalier en pierre usée par le temps, le guérisseur posa son regard grisé sur celui verdoyant du jeune homme avant de lui dire :
« Va prévenir Calubine de me préparer une tisane. Je suis dans ton sillage. »
Sur ces mots, il regarda Gustave ne pas demander son reste et de s’empresser d’aller transmettre les ordres du guérisseur, slalomant entre flaques et mendiants dans une course d’acrobate. Alors que descendant de sa couche un peu dure, Klain finit par s’étirer de tout son long pour se préparer au voyage. Il portait un pantalon de cuir et une tunique épaisse terre de sienne. Des chausses en cuir pour affronter la boue et un drapé de laine fine de couleur vert tilleul pour affronter le froid. Baillant encore, il se dirigea lentement vers le campement de réfugier pour aller voir pourquoi on l’avait réveillé si tôt, lui qui avait travaillé une bonne partie de la nuit et dont les heures de sommeil se comptaient sur les doigts de la main depuis plusieurs semaines.
Après moultes rues et ruelles plus ou moins pavées, après avoir vu quelques maisonnées insalubres, il finit par se frayer un chemin en travers de tous ces réfugiés qui faisaient la queue. La queue pour la soupe. Et bien vite, il fut accosté par églantine, une brave femme pleine de courage qui chapeautait toute cette partie du campement. Et après l’avoir attrapé par le bras, la petite tête blonde vint lui coller la tisane chaude dans ses mains tout en disant :
« Klain ! Enfin, te voilà ! Tiens, voilà ta tisane, on a besoin de toi ! Les ventres sont affamés, il y a du gruau mais plus de pains ! Les gens ne veulent plus en donner. Il faut que tu nous aides. J’ai bien envoyé Gustave faire le tour des boulangeries, mais il ne doit pas savoir y faire avec les mots. Il est revenu bredouilles. Un homme doit s’y atteler ! Un homme qui a rendu des services à la moitié de la ville. Quelqu’un a forcément une dette envers toi. Et emmène le, il apprendra les mots qu’il faut savoir utiliser. Allez, oust ! J’ai du travail. »
Et voilà que le guérisseur se faisait pousser dans le sens inverse. Ce réveil lui donnait déjà le mal de mer. Et c’est ainsi que titubant, buvant sa tisane lentement, il se dirigea hors du campement savant pertinemment où il allait entamer sa quête de victuailles. C’est qu’il connaissait une rue avec quelques échoppes dont des boulangeries. Et il se rappelait y avoir traîné une bonne dizaine de fois pour soigner les gens du quartier. Il savait que ces gens sauraient lui rendre la monnaie de sa pièce.
C’est ainsi qu’il poussa la porte d’une boulangerie. Ayant donné une liste de courses à faire au fils du palefrenier. En lui rappelant qu’il devait impérativement leur dire que c’était lui qui envoyait le jeune homme. Espérant quant à lui que sa foi en l’humanité frôle toujours, d'une profonde exactitude, avec la réalité.