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 [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient

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Léonice de RaisonBaronne
Léonice de Raison



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MessageSujet: [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient   [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient EmptyMar 17 Mai - 16:03
Les jours défilaient dans une lenteur teintée de vivacité ; le temps se distordait au gré des esprits malades, comme celui de la baronne de Raison. Ravi à un sort funeste, Léonice ne savait pas si son sort était plus enviable à celui de son dernier fils en vie. Chaque pensée au garçonnet se soldait par une douloureuse brûlure à la gorge ; malgré toute la force mentale dont avait pu faire preuve la noble au cours de ces dernières années, le monde autour d´elle n´était pas le seul à menacer profondément de s´effondrer.
Pour peu qu´il y ait encore des choses à sauver.
Voilà des jours, ou des semaines, qu´ils avaient quitté le domaine des De Raison pour partir dans la terreur et la précipitation. Ils croisèrent quelques poignées de voyageurs au cours de leur périple ; la plupart disparaissaient dans des hurlements tranchants dans la nuit et sous la pluie, avalés par les ténèbres d´un oubli qui ne retiendrait pas même leur nom. Systématiquement, la noble cherchait à ne pas faillir, à éternellement avancer ; sur ses épaules et celle du chevalier Dartigau s´appuyait le poids de leur maigre groupe. Au départ dix, deux hommes, dont l´un d´eux écuyer, périrent d´une malheureuse rencontre contre laquelle personne ne put rien faire.
Ils n´étaient plus que huit, mais le chemin était encore long ; interminable, comme certains l´éprouvaient ; même si en vérité, personne n´en savait rien. Le chevalier tentait de se repérer le plus à l´Est possible, en direction du Ducher de Morguestanc ; y étaient-ils ? L´avaient-ils dépassé ? Léonice admettait mentalement ne pas être la plus à même de donner des indications. Alors se contentait-elle de suivre ; d´apaiser les coeurs quand cela était possible ; de surveiller le Chevalier autant qu´elle ne craignait qu´il ne disparaisse.
Son coeur était douloureux des pertes, de cet effondrement chaotique et de tout ce que cela pouvait embarquer.
Surtout ; Léonice n´avait encore jamais interrogé le chevalier sur ce qu´il s´était passé avec les troupes du roi, à l´Ouest de ce qui fut son domaine.

Ce soir marquerait une prise de décision de son côté.
La nuit était tombée presque de manière miraculeuse ; ces terres hantées de traumatismes semblaient porter l´irréel aux heures inattendues. Chaque matin voyait son lot de soulagements ; chaque nouvelle nuit admirait le signe d´un cycle qui ne faiblissait pas, au contraire des hommes.
Léonice était épuisée ; comme tout le monde. Psychologiquement affaiblit par la terreur de revoir à nouveau ces créatures sorties tout droit des pires cauchemars, mais aussi physiquement par les longues heures de marche, les nuits trop courtes et la faim qui régnait en maîtresse sur chacun. Il leur était possible de survivre au prix de quelques denrées emmenées avec eux, et des rares récoltes d´eau qu´ils pouvaient prendre en passant près d´une rivière ; or depuis leur arrivée dans d´interminables marécages, la fatigue augmentait, les nerfs lâchaient progressivement.
La noble se devait d´être un parangon de calme.
Son visage était barré de ses cheveux sans discipline, qu´elle retenait tant bien que mal sous un foulard pour faire oublier aux autres leur couleur atypique. Sa tenue n´avait plus rien du prestige de quelques temps aupravant, malgré la qualité du tissu toujours visible. Une manche était déchirée, le bas était boueux au possible et ses chaussures avaient pris l´eau. La cape sur ses frêles épaules ne suffisait en rien à la réchauffer alors que l´automne attirait l´hiver ; Léonice en gardait pourtant le dos droit et, parfois, le menton levé.

Au milieu des marécages et de la fébrilité du moindre murmure, le groupe avait trouvé refuge sur un terrain presque sec, au moins un peu plus surélevé que la moyenne. Coincés au milieu d´arbres et près de rochers, si leur visibilité était amoindrie, il fut facile de penser que de potentiels monstres ne les verraient pas plus. Le groupe s´était arbitrairement disséminé à plusieurs endroits, sans communiquer, grignotant des restes de branches ou des racines pour faire passer une faim entêtante. Léonice s´était contentée d´eau ; et en apercevant le dos, un peu plus loin, d´Hector Dartigau, le soudain rappel de ses interrogations en suspens la poussa à se rapprocher de lui.
Léonice se positionna non loin, sans vouloir le surprendre, mais avec suffisamment d´attention pour ne pas faire plus de bruit que nécessaire ; quand sa voix s´éleva dans sa gorge, elle était en partie brisée par la fatiguée, mais ferme. Presque enchanteresse, Léonice s´épargnait les tentatives de charme pour se contenter l´humble demande, frôlant l´ordre sans embrasser l´impérieux.
«Chevalier. Racontez-moi.»
Ce qu´il s´était passé. Pourquoi son retour. Pourquoi… pourquoi tout. Léonice voulait savoir ; la connaissance en bouclier contre l´instabilité.
Ainsi lui serait peut-être possible de définir un avenir pour elle en connaissant le passé.
Car ils furent, et nous sommes ce que nous serons. On ne peut pas se diriger vers l´avenir sans connaître le passé.



Dernière édition par Léonice de Raison le Mar 17 Mai - 21:12, édité 1 fois
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Hector DartigauChevalier
Hector Dartigau



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MessageSujet: Re: [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient   [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient EmptyMar 17 Mai - 17:00
L'angoisse lui rongeait les entrailles alors que ses iris orageux scrutaient le sous-bois partiellement immergé. La végétation torturée, aliénée, lui évoquait le front, le dernier paysage qui avait été témoin de sa dignité, avant qu'elle ne soit piétinée, oblitérée par une couardise méconnaissable. Depuis lors, Hector dépérissait. Parfois incohérent, inintelligible, celui qui était d'ordinaire taciturne s'était prostré dans un mutisme lancinant, qui n'était pas sans nourrir l'inquiétude des serfs de la Baronne. A son insu, car rendu hermétique, il inspirait désormais un désarroi, spectre passé de ce qu'il fut jadis. Erratique, sa lucidité tranchante évincée par une démence silencieuse, le Chevalier menait toujours la marche. Fixant la moindre zone d'ombre susceptible d'abriter une paire d'yeux rubescents, la fatigue, la faim et la soif causant de régulières hallucinations qui se transformait rapidement en stupéfaction totale d'Hector qui restait là, figé, générant chez tous les témoins une épouvante maladive. Durant ces instants de faiblesse, tremblant, le trentenaire portait une main gantée au manche enlacé de cuir de sa lame, la dégainant avec une lenteur théâtrale, évoquant une résignation face à une adversité infranchissable, dressant mollement son bouclier...

Et il revenait difficilement à la réalité, les démons des marécages évaporés comme une cauchemar lorsque l'aube blanchit la campagne. Sa respiration sifflante pour seul glas de sa dignité, éclipsant le perpétuel clapotis de la vase, traduction de quelque danger sous-jacent, l'Apôtre reprenait sa lente démarche de vaincu en direction de l'Est. A plusieurs reprises avait-on tenter de créer un contact, sans qu'il ne daigne piper mot, que cela concerne à mi-mot les évènements aux côtés du Roi, ou leur destination. Son retour avait été soudain, chaotique, et dans la précipitation, personne n'avait daigné contester les invectives du surnommé Sans-Visage, en référence à son faciès rendu hideux, de naissance autant que d'expérience. Au lieu de quoi, ils se retrouvaient désormais loin à l'Est, sans vivre, sans toit, et sans espoir de retrouver la civilisation, dans les pas d'un homme que certains pensaient sans nul doute fou, voire lâche. Chaque soir, Dartigau se séparait du groupuscule, trouvant refuge dans des prières interminables qui le laissaient aussi épuisé que dépourvu d'une réponse de la part de sa Sainte. Lame vaseuse enfoncée dans un sol mou, sommet de son ventaille appuyé contre sa garde, à genoux dans une soumission qui aurait fait grimacer la Tempête, Hector s'acharnait.

Mais au même titre que ses comparses d'infortune, il perdait espoir.

Sa fuite se devait d'être un signe, n'est-ce pas ? Il était impensable que le féroce lige des de Raison ait ainsi tourné les talons, se heurtant à une sensation inédite, qui avait investi le vide usuellement comblé d'une dévotion aveugle pour Rikni. Une terreur irrationnelle, les hurlements déchirants des autres conscrits berçant chacune de ses tentatives de trouver le sommeil. Ternissant à jamais un honneur qu'il n'avait jamais considéré, mais surtout, entâchant les préceptes de sa divine. La rancoeur mutait en pulsions auto-destructrices, en noir désir d'annihilation qui bouillonnait dans ses veines sans jamais évacuer, alimentant l'animosité passive, froide, dont il exsudait à chaque instant. En l'état, c'était pratiquement tangible.

Hector n'était guère plus qu'un édifice sur le point de s'écrouler.

Sans doute que le signe le plus flagrant fut sa présence, à la tombée de la nuit. Loin de se cloîtrer dans des prières désespérées, sectionnant son contact avec la fatidique réalité, le Chevalier s'était lourdement assis sur une souche après la fastidieuse marche. Son regard électrique dans le vide, une main appuyée sur la garde de son épée encore suspendue au fourreau, l'autre sur son genou, la tranche de son bouclier frôlant le sol. Tout d'armure vêtu, il s'était avachi sur lui-même, sa carapace d'acier toute aussi souillée que sa fierté, maculée de vase et du sang des pillards ayant pris d'assaut le contingent de ce qui ressemblait désormais à des va-nu-pieds fugitifs. Sa longue cape arborant les armoiries de la baronnie s'était réduite à des lambeaux de tissus brunis et imbibés de boue autant que d'eau puante, gisant dans son dos à la manière du plumage d'un grand hibou juché là. S'il n'émettait pas le moindre son, inerte, dans une torpeur quasi-catatonique, Dartigau se redressa brutalement à l'approche de sa Dame, avec tout le fracas de l'acier propre à son carcan. Respectueusement, le Chevalier faisait volte-face, découvrant le faciès émacié et sale de la rousse, inclinant le chef sans parvenir à se pencher vers l'avant dans une révérence qui aurait, de toute manière, était estropiée par son armement. Mais les mots prononcés avec une douceur cristalline caractéristique lui glacèrent le sang, et, l'espace d'un souffle, Hector se vit la saisir au cou jusqu'à lui rompre les vertèbre, cédant au courroux qui puisait dans son âme comme une sangsue immatérielle. Les lourdes secondes de silence s'amoncelèrent sous le regard pesant du colosse carapaçonné, qui espéra, peut-être, que l'intimidation suffise à faire taire la baronne. Au lieu de quoi, à l'image de sa crinière partiellement dissimulée, la flamboyante madame lui tint aisément tête, soutenant les saphirs céruléens qui luisaient d'une angoisse singulière.

Ses lippes gercées s'entrouvrirent, et sa gorge asséchée causa une quinte de toux chez le Chevalier qui la réduisit promptement au silence au terme d'un grognement pratiquement bestial. Sa voix rauque habituelle était devenue erraillée, marquée par le voyage austère, spartiate, auxquels ils s'adonnaient - qui aurait sans nul doute éclipsé la foi aveugle d'autant de pèlerins, compte tenu de leur condition.

« Madame. Ne me forcez pas à mettre les mots sur la honte qui m'accable. »

Les mots étaient péniblement articulés, rongés par une sanité étiolée autant que par son mal-être physique. Si Dartigau n'était pas suffisamment lucide pour discerner son destin, sans doute était-il conscient qu'au mieux, le prochain arrêt dans une ville se solderait par sa carcasse suspendue au bout d'une corde.


Dernière édition par Hector Dartigau le Mar 17 Mai - 20:22, édité 1 fois
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Léonice de Raison



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MessageSujet: Re: [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient   [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient EmptyMar 17 Mai - 17:40
Elle revoyait leur périple comme on songerait au pire dans toute une vie. Les blessures que portaient le chevalier en son âme résonnaient dans toutes celles de ceux qui le suivaient ; et souvent, les mots de Léonice ne suffisait plus pour rassurer ses gens. La noble ne se laissa toutefois pas totalement abattre, même si l´errance et l´insécurité faisaient de bien mauvaises maîtresses. La perdition les épouserait tous si personne ne faisait rien pour raisonner le chevalier ; ou lui donner une voie. Sa voix, d´ailleurs,que Léonice n´entendait plus depuis qu´ils s´étaient retrouvés au milieu de la mort et de la Fange. Voilà également ce qui motivait la noble dépaysée à confronter le chevalier ; l´entendre, une manière de confirmer sa présence tandis que sa dame se sentait parfois enfant ; une enfant dont on attendait à la fois tout et finalement plus rien. Elle n´était pas celle qui lèverait son bouclier pour défendre les plus faibles ; ses mains ne sauraient tenir une épée, sa bouche ne pourraient prévenir une attaque suffisamment vite ou en remplacement d´un homme véritablement entraîné.
Léonice ne pouvait cependant pas rester les bras croisés à attendre la mort, la folie ou peut-être les deux à la fois ; Hector semblait dangereusement les faire tous pencher dans une route sans retour possible. La noble crut voir le chevalier se raidir, alors qu´embarqué dans un cliquetis de morceaux d´armures désunis il tentait de la saluer. Elle leva une main faible en sa direction, attestant d´une non-nécessité de se comporter avec tant de déférence ; bien que dans le fond, Léonice s´avoua ne pas en attendre moins. Leur quelques habitudes sociales étaient peut-être les ultimes preuves qu´un jour passé, les choses allaient bien mieux. On en venait à une nécessité arbitraire qui rassurait dans une naïveté accablante ; mais c´était ainsi.

Le regard que lui lança son chevalier ne tarda pas à la faire se sentir mal à l´aise ; perpétuellement en danger, il ne fallait pas grand chose pour pousser son coeur à sauter dans sa poitrine. Léonice ne céda pourtant pas à la démesure que la présence du chevalier lui insufflait ; si elle devait périr, le ferait-elle dans un panache qui caractérisait son titre de noblesse. Sans presser son interlocuteur, Léonice joignit les mains dans son giron, son regard passant parfois autour d´eux avant d´en revenir au visage balafré qu'elle devinait sous le casque. La voix qu´elle entendit n´avait plus rien à voir avec ce qu´elle avait connu de lui ; miroir en partie brisée d´un homme dont les morceaux pendaient autour de lui, les mots reflétaient un malêtre qui secoua brièvement Léonice. Cette dernière fixa l´homme accablé, pesant les prochains mots avec la finesse d´un artiste.


«Chevalier, les mots sont bien les dernières choses qu´il me reste.»


La dame fit un pas en avant, puis un deuxième, jusqu´à se hisser à hauteur de l´homme ; mais à ses côtés. Ne lui présentant plus que son profil, ses doigts s´étaient figés contre sa robe.


«Nous subsistons sous les mêmes couleurs. Votre honte et la mienne sont jumelles.»


Léonice continuait de savoir ; l´horreur avait manqué à lui faire perdre de sa splendide. Mais toute la candeur dont elle aurait pu faire preuve avait muté, détrônée par l´expérience, les échecs et l´insécurité. Aux yeux de Léonice, ce n´était pourtant pas une raison pour laisser ses épaules s´abattre ; pour laisser les boucliers mollement attendre l´impact ; pour s´arrêter au moindre obstacle.


«Chevalier. Racontez-moi. Et comprenez que notre fardeau est indissociable. Si vous m´avez sauvé, pourquoi me laisseriez-vous mourir dans l´ignorance ?»


Nulle accusation dans un ton qui n´en était pas plus mielleux. Léonice laissa ne se retourna pas vers le chevalier, de peur qu´il se sente plus acculé qu´il ne l´était encore ; mais elle voulait le faire parler. Un besoin peut-être capricieux, qui lui semblait toutefois nécessaire.
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MessageSujet: Re: [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient   [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient EmptyMar 17 Mai - 18:08
La présence glaçante du Chevalier meurtri en son âme et conscience s'était accentuée, à mesure que la Baronne s'approchait. A son insu, sans doute, brisait la distance avec un vortex chaotique, quintessence d'une tempête naissante qui emporterait avec elle son univers, ou le sublimerait. Un ouragan qui semblait poindre à l'horizon, cacophonie orageuse surclassée par le fracas d'une houle frénétique. L'Apôtre transpirait d'intentions et de leurs contraires, aussi instable qu'un pan de falaise rongée par l'écume. Lentement, il détachait ses deux iris azurés de la carcasse encore chaude de la rousse, lui épargnant les deux harpons de fer glacés qui s'y étaient logés similaires au froid qui leur sciait les reins, détrempés comme ils l'étaient.

« Ils sont venus à nous comme une déferlante. De crocs et de griffes. »

Les mots étaient crachotés, empreints d'une angoisse inédite. Si leur existence commune précédait la décennie en terme de temporalité, sa diction était aux antipodes de l'indomptable lige qui, son visage hideux figé dans un éternel rictus, se riait des efforts de ses opposants, frappant avec une puissance percutante et animé d'une célérité qui démentait son carcan. De tout temps avait-il été qualifié comme une force de la nature, façonnée dès le berceau par son oncle - réduit à l'état de minable rachitique qu'un coup de vent semblait éprouver. Éclipsant le mythe d'un quelconque Apôtre de la Tempête.

« Destriers et valeureux happés par la Fange, teintée d'un écarlate poisseux. »

Malgré l'effroi qui animait son verbe, Hector ne tressaillait plus, se refusant les sanglots. Le poing serré sous son gant de cuir martelait à rythme régulier, en silence, ses tassettes d'acier, son regard fixé dans l'obscurité naissante de la nuit - la scène vivide se rejouant sous ses yeux abyssaux avec une fraîcheur telle que le goût métallique du sang envahissait sa bouche. Son coeur accélérait à mesure que sa voix rauque formulait des mots qui lui semblaient pratiquement étrangers, récitant mécaniquement, détaché malgré sa terreur, animé par un devoir dont il était le seul réceptacle.

« En un souffle, mon oncle autant que le capitaine furent consumés. La première pensée m'ayant traversé l'esprit fut... »

Il reniflait - grassement, son odeur corporelle à l'image de son hygiène récente, ignorée au profit d'une vélocité accélérée dans leur voyage. Voyage qui s'avérait interminable, sans aucune alternative que ce soit, les destriers leur ayant été dérobés, ou dévorés par faute de vivres.

« "C'est tout ?" »

Pour la première fois, le Chevalier alimentait son récit d'un vague geste de la main cynique, sa voix se brisant sur la dernière syllabe, observant un instant de repos pour sa gorge irritée avant de reprendre.

« Toute cette... ferveur. Toutes ces heures destinées au maniement des armes. Une vocation longue d'une vie. Pour périr en une ou deux secondes. »

Un souffle nasal du nez qui trahissait une caustique hilarité, déraisonnée, exsudant d'une incrédulité effroyable. Mis en abîme face à l'insignifiance humaine face à la première véritable menace à laquelle l'Humanité fut confrontée dans son ensemble.

« Nous n'avions... Aucune chance. Alors, j'ai fui. »

Envers sa dignité et Rikni, il avait fui. De plus belle, le Chevalier s'avachissait sur lui-même, le dernier mot ponctuant sa phrase d'une voix aigüe, presque criarde, alors qu'il faisait disparaître son ventaille entre ses mains, pratiquement recroquevillé sur lui-même, indignement. Pitoyable et inapte à accomplir son seul destin lorsqu'il survint. Et à rejoindre sa divinité lorsqu'enfin il serait accompli. Esseulé en pleine tempêté face à laquelle il n'était rien, le Chevalier gisait, impuissant, se maintenant le crâne à la force de ses bras tant il aurait souhaité que sa nuque ne cède face au point de la culpabilité.


Dernière édition par Hector Dartigau le Mar 17 Mai - 20:21, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient   [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient EmptyMar 17 Mai - 18:49
Dans une finalité acceptée, le chevalier parla. Les premiers mots étaient imagés, Léonice plongea avec Hector dans des souvenirs qui lui semblait avoir vécu de par leur terreur. C´était comme si la brume et la boue s´ouvrait sous ses yeux pour lui transmettre l´immondice des choses par de là les frontières ; qui se payaient toutefois le luxe d´envahir leur royaume. Hector mettait finalement des mots sur ce qu´avait redouté en secret Léonice, sans oser transmettre les hantises qui assaillaient son esprit fatigué de marcher dans un terrain devenu hostile. Léonice revit son fils, lui-même happé par un, puis deux monstres, dans un hurlement qui sifflait encore à ses oreilles. Une supplique qui lui revenait par accoût et qu´elle ne soumettait plus à l´excès du déni. Sa progéniture avait périt ; son dernier lien de chaire avec feu son époux n´avait pas résisté au cataclysme qui les conviait à ce théâtre macabre. Léonice baissa la tête, murmurant une prière aux Trois alors que Hector lui confirmait la mort de son oncle ; l´un des plus valeureux de tous, et une personnalité que Léonice avait toujours su porter dans son coeur. Le cynisme de son geste pourfendit le coeur de la noble trop faussement assurée de son sang froid. Elle tressaillit, trembla le temps d´un battement de cil ; si Hector sombrait, qu´est-ce qui retenait Léonice d´en faire de même ? Tout ne serait-il pas plus simple s´ils se donnaient conjointement la mort, hurlant jusqu´à attirer suffsamment de créatures pour les dévorer ?…
Impensable. A peine l´idée caressa l´esprit de la baronne qu´un violent rejet la poussa à renifler son écoeurement d´elle-même. Si un part d´elle comprenait le désarroi du chevalier pour strictement ressentir la même chose vis à vis de tout ce en quoi elle croyait, Léonice sentit que partir sur ce chemin lui coûterait peut-être bien plus que la vie.

«Ainsi… les troupes du roi…»

Léonice n´eut besoin d´aucun mot supplémentaire pour entendre sa voix buter contre son crâne. Hector s´était avachit sous le poids d´un récit douloureux ; la baronne se sentit fébrile, et finit par chercher une réponse au-dessus de leur crâne ; dans une chape ombreuse qui ne laissait presque plus filtrer de lumière. Bientôt le noir les entourerait comme un manteau de mort, les laissant à la merci du vent et de la pluie, si cette dernière désirait les assaillir de toute sa force. Un instant de faiblesse rendit la baronne bavarde.

«J´ai regardé mon jeune fils se faire dévorer par deux de ces créatures, soumise à la faiblesse de bras trop faibles pour le rattraper.»

Elle fit une pause ; si sa voix n´était pas meurtrie, son calme tressaillait de temps à autres pour ponctuer ses phrases d´une douleur détachée mais présente. Un souffle, puis elle reprit.

«Il n´a jamais été question de chance, mais de survie.»

Léonice formait des idées en même temps que ses phrases ; sa tête se pencha de côté, signe que sa réflexion se portait vers l´avenir, et non plus vers d´horribles souvenirs qui ne sortiraient pourtant jamais de sa mémoire.

«Je vous dois la vie, Chevalier, et vous me devrez la votre. Vous devez vous racheter auprès de ceux qui peuvent vous pardonner. Vous ne pouvez pas mourir, ni céder, avant d´avoir essuyé votre âme.»

Nulle rédemption ne les attendait après leur trépas ; voilà toute la confiance que Léonice gardait des Trois et de la religion. L´état d´Hector lui donnait envie de pleurer, mais elle ne pouvait pas se permettre d´ignorer l´aspect utile d´une telle situation. Léonice ne voulait pas mourir, pas comme ça, et Hector était peut-être le seul à pouvoir la conduire en lieu sûr, quand bien même le danger pouvait accoucher tout près d´elle, en la personne du chevalier.

«Vous n´êtes jamais parti au front de l´Ouest. Entendez-moi, Chevalier. Vous faisiez partie du léger bastion resté sur le domaine pour nous protéger. Vous avez vaillamment repoussé un, peut-être deux fangeux, nous permettant de nous enfuir. Ils étaient nombreux, nous avons connu le désastre, mais nous avons la volonté de survivre.»

Léonice s´empêcha de trembler, mais déjà pouvait-elle sentir la fraicheur d´une lame sur sa nuque si ce mensonge venait à être révélé. Coupable par connivence, on ne ferait aucune exception pour celle qui aiderait un déserteur. Pourtant, le risque lui parut viable.

«Il doit y avoir un bastion… vous allez nous y conduire. Et vous consacrerez le reste de vos jours à vous faire pardonner un acte que vous tairez à jamais.»

Son regard était anxieux, mais ambitieux ; elle le glissa de côté pour observer la silhouette que formait le casque d´Herctor.

«N´est-ce pas, chevalier ?»
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MessageSujet: Re: [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient   [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient EmptyMar 17 Mai - 20:21
Hector donnait l'impression de s'écrouler sur lui-même. Le jeune Léonard, la poitrine gonflée d'une vie nouvelle, à l'aube de son existence, était tombé aux mains de la vermine impie. Des abominations qui l'avaient dépecé avant d'arracher la chair à ses os. Le Chevalier visualisait parfaitement la scène, au même titre que la vision de son oncle éviscéré s'était gravé dans sa rétine. Spontanément, il retenait un relent gastrique, un vomissement qui n'aurait eu pour effet que de l'affaiblir davantage, et non pas de le soulager. Affligé d'un mal invisible, sa psychée meurtrie lui conférait l'aspect d'un rapace malade, son plumage bruni par l'infection illustré en une cape loqueteuse. Mollement, il dodelinait du chef, réceptif au récit de la baronne, engendrant une nouvelle série de cliquetis sans conviction. Puis vint une échappatoire.

Pénitence.

Rikni ne lui pardonnerait sans doute jamais son affront. Il s'agissait là d'un interdit, que Dartigau ne serait jamais imaginé braver avant la Fange. Pourtant, sa seule mention du bout des lèvres de la jeune héritière suffit à embraser une étincelle d'espoir dans la carcasse de fer gelé. Ses iris céruléens se déportaient sur harnois et tassettes, défigurées par de profondes lacérations qui, si elles ne réduisaient pas l'envergure de ses protections, lui octroyait un aspect de survivant crédible. Mentir était-il un point de non-retour ? Quand bien même cela lui offrait l'opportunité de faire amende honorable ? Survivre afin de venger ses paires autant que protéger ce qu'il restait de la baronnie... En était-il ne serait-ce que digne ? Lui restait-il une quelconque tempête interne, à déchaîner sur les horreurs rôdant dans la vase ? Un ouragan à libérer pour décimer l'envahisseur qui réduirait sans nul doute son adorée au néant ?

Léonice élaborait leur histoire sans même qu'il n'ait à prétendre quoi que ce soit. Elle échafaudait un mensonge avec une aisance telle qu'elle s'attirait une crainte perceptible de la part du Chevalier - incertain qu'il ne s'agissait pas là d'une simple ruse pour le jeter en pâture à la potence dès lors qu'elle serait en sécurité. N'était-ce pas une tentative pour s'assurer qu'il tiendrait bon jusqu'alors ? Un paranoïa grandissante gangrénait le schéma de pensée, ajoutant aux émotions conflictuelles qui s'entretuaient dans le champ de bataille permanent qu'était devenue la psychée d'Hector.

« Je... »

Et presque aussi brutalement que son doute lui apparaissait la sculpture représentant la vénérée Tempête. Suspendue vers la voûte, son regard inquisiteur transperçant son abdomen imbibé d'un abyssal désir d'annihilation. C'était une opportunité. De mener à bien une dérisoire mais sanglante croisade contre l'engeance qui défiait toutes les lois imposées aux serviteurs de la Trinité. Une chance qui lui souriait de nouveau, afin de retrouver ses forces pour mieux riposter, abreuvant les sillons des champs désolés, abandonnés par les populations innocentes, du sang crasseux de la Fange. Une hostilité contre-nature pulsait en lieu et place de son coeur, une chaleur inédite croissant dans son poitrail. Avec une lenteur méthodique, soudainement doté d'une lucidité tranchante, l'éclat dans ses iris azurs réjuvénés de leur teinte électrique, le Chevalier se redressait.

Oui. Il lui restait une dernière tempête à offrir.

« Reposez-vous, Madame. Nous partons à l'aube pour Morguestanc. »

Un ultime regard, et le défiguré disparaissait dans l'obscurité afin de mener à bien une ronde dénuée de sens.
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Léonice de RaisonBaronne
Léonice de Raison



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MessageSujet: Re: [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient   [Terminé]Telles les ancres pleine d'encre qu'ils étaient EmptyMar 17 Mai - 21:11
Après la mort de sa première fille, Léonice trouva le courage d´un peu moins souffrir des deuils suivants. Sa jeunesse et ses préoccupations l´aidèrent dans l´ensemble, mais il y avait une blessure ineffable qui s´ancrait chez une mère quand on touchait à ses enfants. Léonard était son tout petit, son minuscule et fier garçon pour qui son amour dépassait toute logique ; il concentrait les espoirs d´une femme ayant grandit si vite qu´elle ne se souvenait déjà pas de ce à quoi ressemblait l´enfance. Au fond d´elle, elle savait que la mort de Léonard avait affecté tous les survivants du domaine de Raison. Plein d´esprit et vif de corps, à peine savait-il marché que le petit blond allait embêter les chevaliers pour demander à apprendre tout mouvement d´épées.
Tout cela s´était embrasé avec sa mort. Une boule incorrigible se noua dans la gorge de la baronne ; formuler de simples mots lui montèrent irrémédiablement les larmes aux yeux, alors qu´elle réalisait toute la violence de sa réalité. Elle s´accrocha tout de même à la proposition qu´elle venait de faire, s´épargnant de trop vives émotions alors que le mensonge épousait les formes de sa bouche. C´était bien le seul moyen que Léonice possédait pour s´en sortir ; exercer tout ce qui faisait d´elle une femme noble ayant toujours attiré l´attention.

Hector finit par briser le silence ; un simple pronom et une suspension dans la voix qui fit légèrement douter Léonice ; au bout du compte, sa réponse soulagea la jeune femme qui se voyait déjà argumenter jusqu´à ce que le Chevalier ne cède ; ce ne fut pas nécessaire.

«Entendu… vous aussi, reposez-vous, Chevalier Dartigau.»

Elle aurait pu s´assurer plus profondémment des marques qu´elle venait de déposer ; mais Léonice savait quand se taire, et cette occasion ne serait pas manquée. Marbrume… une ville qu´elle pensait si lointaine, mais qui pourrait en effet être un endroit où survivre. La baronne s´exécuta, exténuée, même si la nuit passa au milieu de songes étouffés de sanglots ; il y avait des choses que rien dans l´immédiat ne saurait guérir, et que les nocturnes aussi sombres alimentaient.
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