Marbrume


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 [Terminé] Au cœur des ténèbres

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Gyrès de BoétieComte
Gyrès de Boétie



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MessageSujet: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptyVen 20 Mai 2022 - 17:16
AU COEUR DES TENEBRES


Une épopée sombre et gothique vers les funestes entrailles de Marbrume, featuring le joyeux paladin Hector Dartigau

[Terminé] Au cœur des ténèbres Sandro10



"Par moi l'on va vers la cité dolente ;

Par moi l'on va vers l'éternelle souffrance ;

Par moi l'on va chez les âmes errantes."




Si je ne suis point riche, je peux néanmoins me vanter d’avoir en ma possession moults trésors. En effet, y a-t-il bien plus précieux qu’une bibliothèque dense et fournie ? Le livre alimente l’âme et la conscience. Il éduque, guérit de l’ignorance et de la bêtise. Il fait vivre à travers ses pages, permet de découvrir le monde ainsi que l’étendue du génie humain, tout cela sans bouger de chez soi. La lecture constitue, pour moi, une porte de sortie me permettant de m’évader des turpitudes et des horreurs de ce bas monde. Existe-t-il meilleur odeur que l’encre noir séchée et le papier collé ?

Je peux me targuer, cher lecteur, d’avoir sur mes étagères quelques ouvrages rarissimes que seraient prêt à s’arracher à prix d’or nombre de fins connaisseurs, même ici en Marbrume. Je conserve ainsi en mes murs d’illustres ouvrages, tel que les Périlleuses et Amusantes Aventures de l’Ingénieux Chevalier de Roitelac, récit satirique écrit il y a de cela deux siècles par le baron d’Ambroisie, ou bien encore les Contes de Longdubas, roman rédigé il y a fort longtemps par un moine lubrique ayant préféré conserver, pour d’évidentes raisons, l’anonymat. Mais il me faut te présenter désormais le joyau le plus précieux de ma collection, une œuvre provenant de l’Orient lointain et mystérieux : le dénommé Shâhreddîn. Les sublimes miniatures de cette épopée ésotérique, qui conte la vie d’illustres princes et princesses du Levant, n’ont jamais cessé de m’envouter. Tu te demandes certainement, lecteur, comment pareil ouvrage est tombé en ma possession ; il m’a été cédé par mon ancien amour, belle courtisane issu des chaudes terres de l’Est. Bien que ne disposant que d’une traduction sommaire des vers du Shâhreddîn, je nourris un immense intérêt pour la calligraphie si particulière du parler oriental dans laquelle cette majestueuse épopée fut composé.

Mais pardonne mon égarement, ô lecteur. Revenons en à mon propos initial.

J’aime donc collectionner divers ouvrages, comme d’autres aiment amasser richesses et maîtresses. De cette saine passion résulte chez moi une fâcheuse tendance à traquer nouvelles acquisitions. Une forme d'avidité, si je puis dire les choses crument. C’est de ce défaut si caractéristique de ma personne que découle l’histoire que je vais en ces lignes te raconter.

Depuis quelques temps, j’entendais en effet dire autour de moi qu’un exemplaire des Commentaires & Récits de Solaire de Ligefeu était en circulation en notre bonne cité de Marbrume. Cette rumeur m’a été confirmé, lors d’une de ces réceptions littéraires auxquelles je me rends quelques fois, par une bonne connaissance de mon entourage. Moi qui refusait de croire pareil sornettes, me voilà assaillit par le doute : et si le dernier exemplaire de cet éminent ouvrage, que l’on croyait perdu depuis des décennies, était bel et bien ici, si près de moi ? C’était là une occasion inespéré de mettre la main dessus.

Tu te doutes cependant qu’un problème demeurait. Si personne parmi mes estimés congénères n’avait encore revendiqué la possession de l’ouvrage, c’était pour une bien fâcheuse raison : en effet, il se murmurait que le possesseur du livre de Solaire de Ligefeu n’était autre qu’un bouquiniste séjournant dans le Labourg, sinistre quartier des Bas-Fonds de Marbrume. Un lieu où n’osait se rendre pas même le plus téméraire des chevaliers, tant la haine du sang-bleu faisait de l’endroit un véritable coupe-jarret pour quiconque se targuait d’avoir une noble ascendance.

Y aller seul, c’était prendre inévitablement le risque d’être au mieux dépouillé de tous ses biens, au pire laissé mort, les doigts sectionnés et la tête arraché, au fond d’une obscur ruelle. C’est pourquoi il me fallait solide escorte dans mon périple, car même les plus périlleux obstacles ne parvenaient à freiner mon envie de posséder tel trésor. Ainsi, à défaut d'avoir à disposition le plus téméraire des chevaliers, il me fallait m'épauler du plus fou.

Fort heureusement pour moi-même, je connaissais le moyen de trouver assistance dans cette descente aux Enfers. Une très bonne amie de ma connaissance, la baronne Léonice de Raison, avait à son service un loyal chevalier, un certain Hector Dartigau, qu’elle « prêtait » volontiers à ses plus dévoués camarades. Demandant à l’occasion d’une rencontre à la belle baronne s’il m’était possible de m’attacher temporairement les services de son fidèle garde du corps, cette dernière répondit favorablement à ma requête. Elle m’indiqua toutefois qu’Hector était d'un caractère quelque peu « spécial », et faisait souvent preuve d’excès de zèle dans sa tâche. Je n’avais cure de cette indication ; qu’importe le caractère du chevalier, du moment qu’il inspirait de par son allure la peur à autrui, il me serait bien utile. J’étais prêt à supporter le moindre de ses défauts.

Grand mal m’en fit.



Dernière édition par Gyrès de Boétie le Ven 15 Juil 2022 - 21:57, édité 12 fois
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Hector DartigauChevalier
Hector Dartigau



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MessageSujet: Re: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptyVen 20 Mai 2022 - 23:01
Le Sans-Visage furetait dans les ruelles, précédé du funeste cliquetis de son carcan orné de lacérations rappelant le fléau impie lorgnant sur Marbrume comme ultime bastion d'un ennemi au bord de l'extinction - au même titre que la ville s'était perchée au-dessus de l'océan, comme en précision d'une terre qui se putréfiait autour d'elle. Son bouclier harnaché à l'avant-bras gauche, son ventaille vissé sur le crâne, animé par les sinistres perles orageuses enfoncées dans son crâne comme deux joyaux macabres, Hector achevait méticuleusement son inspecteur du périmètre. Naturellement, il arriverait en retard, ayant donné rendez-vous au Comte dans l'une des ruelles extérieures qui les mènerait au coeur du nid à rat dans lequel Léonice lui avait ordonné de se rendre en compagnie d'un homme de lettre. Si l'idée de mener sa meurtrière croisade au coeur d'une apostasie enracinée au pied de leur cité de refuge ne lui déplaisait pas, le fait d'assurer la protection d'un homme qu'il imaginait aussi bedonant qu'excentrique, selon les termes de la Baronne, n'était guère pour l'enchanter. Au moins avait-il déjà la certitude que personne n'avait suivi le dénommé de Boétie, évinçant la paranoïa qui rognait sa sanité comme un parasite dans sa moëlle épinière. Désormais focalisé sur la tâche à venir, l'Apôtre s'engageait dans la ruelle humide et si étroite qu'un homme seul suffisamment large d'épaule peinerait à progresser, ses croquenots crissant légèrement sur les marches rudimentaires et détrempées qui le mènerait dans les entrailles de Marbrume.

***

L'homme n'était plus rien qu'une statue de chair, taillée à vif par la lame de son implacable bourreau, vernie par le sang qui, quelques instants plus tôt, coulait dans ses veines. Golem frêle et difforme modelé par la dévotion d'un tortionnaire, il ne lui restait plus d'humain que le peu qui ne lui avait pas été arraché par l'acier. L'atmosphère était pesante, suffocante, comme imprégnée des malsaines intentions de l'Apôtre. S'il avait été capable de parler, ou même de murmurer, il aurait sans doute levé les yeux au ciel et imploré son Dieu hérétique. Mais il semblait que ce dernier ne puisse lire sur les lèvres, ainsi il les remuait en vain, souffrant en silence. Le poignard allait et venait sur sa peau, sous sa peau, lui arrachant, bien au delà de ses entrailles, sa dignité. Il attendait son dernier souffle comme un criminel sa libération, il rêvait sa délivrance comme on rêve de ses plus grands espoirs. Elle ne venait pas, toutefois : comme si la Mort elle-même, plus grande des sadiques, se plaisait à se faire désirer, à venir lentement, à pas feutrés, à petites enjambées, savourant son instant de triomphe. Le sourire glacial de son tortionnaire, ses lippes livides et pâles dévoilant un rictus carnassier, angoissant. C'était une peur primitive, qui continuait de le ronger de l'intérieur, une inquiétude viscérale, qui s'insinuait dans son être comme un serpent pernicieux, glissant dans son être comme l'once de folie qui semblait poindre. Un frisson qui grouillait le long de son échine. Une terreur sublimée, animale, primitive. Une sentiment d'injustice ; une rancoeur asphyxiante qui empêchait ses poumons meurtris de se gonfler, de s'emplir d'un oxygène sans doute porteur d'une odeur âcre, et propre au sang qui maculait tous les outils de son bourreau. Celui-ci allait et venait, comme ses couteaux, d'une table à l'autre, s'emparant de nouveaux instruments, sans que ses traits ne perdent leur tranchante cruauté. Lorsque ses iris céruléens s'abattaient sur lui, c'était comme si le hachoir d'un boucher labourait son épiderme déjà en pièces. Ils partageaient le froid de l'acier ; l'effroi de la mort. Si seulement il pouvait encore pleurer. S'effondrer. Mais il ne le pouvait plus. Sa gorge lui donnait l'impression d'être plus rugueuse que sa chair mise à vif et cherchant à cicatriser depuis plusieurs heures.

Abandonné aux affres de l'agonie depuis une éternité. Plongé dans une semi-léthargie, funèbre spectateur d'une scène bien trop morbide. Au même titre que sa vie, sa sanité s'étiolait. Et tout ce dont il avait pu se vanter de son vivant - car c'était bien son statut, un cadavre en sursis -, sa verve, son art de la rhétorique, sa naturelle humanité, lui étaient arrachés. Ne subsistait qu'une amère souffrance, et un fielleux sentiment résiduel de peine. Même le goût métallique du sang ne lui parvenait plus, sa langue sectionnée un peu plus tôt résidant sur une table adjacente, crasseuse. L'ouverture dans sa gorge avait été méthodique ; afin qu'il ne puisse s'étouffer du sang réagissant à la scission de l'organe, vidant sa cavité buccale. De temps à autres, son tortionnaire réajustait une curieuse sculpture, dont l'utilité lui était bien inconnu. Il le maintenait presque artificiellement en vie, et ce uniquement avec des connaissances anatomiques. Au-delà d'un meurtre, c'était un crime contre son espèce. Le Bourreau ne dissimulait même plus son exultation de décimer un apostat, se traduisant par de légers tremblements malgré sa précision chirurgicale. Il tiquait, par instant, comme si le plaisir insensé était proportionnel à la souffrance infligée à son patient. Aux mains de ce malade, la victime n'était qu'un pantin de viande. Et les lames continuaient de le lacérer, de le déchiqueter comme les griffes d'une bête dégénérée. L'expertise aberrante, ajoutée à la dextérité horrifiante du meurtrier, n'avait rien de commun. Ce n'était pas une étude, ou une torture à proprement parlé. Simplement la déferlante de pulsions malsaines. Il s'attelait à la tâche avec une fascination macabre, les sillons tracés par les lames s'infectant presque aussi vite qu'ils étaient tracés. C'était une invitation à l'agonie, dans sa forme la plus pure. Une moisson sanguinaire, cruelle, hymne morbide jouée par un orchestre squelettique, une mélodie sépulcrale basée sur les craquements des os, le chuintement des couteaux, et le crépitement des flammes du brasero résidant au fond de la pièce. Les ombres dansaient, tout autour d'eux, sur les murs ternis, narquoises. Au-delà de l'exaltation du meurtre, il y avait un noir désir qui croissait au fond du tueur.

Une bile noirâtre, qui emplissait son esprit, et enfiévrait son corps. Une rage viscérale qui grouillait dans ses entrailles, se déversant dans ses veines comme un feu vorace, une coulée d'acier fondu, qui forgeait et changeait son corps. Soudainement, l'auteur du carnage se figeait, ses traits se tirant sensiblement, alors que sur son faciès se composait une moue contrariée. Il échangeait un regard avec sa victime, et ses yeux vitreux, pivotant d'un demi-tour, lui présentant son dos, s'éloignant de lui d'un pas avec une théâtralité tout à fait simulée. Ses jambes se fléchirent, alors qu'il s'emparait d'une épée abandonnée là, la calant sur son épaule, se retournant vers son patient sans se défaire de cette expression de déception innocente qui contrastait affreusement avec la nature des actes précédant cette fin de soirée. Sa Divine n'en aurait sûrement pas tiré suffisamment de satisfaction. Une fois encore, il échouait. D'une torsion du poignet, l'Adepte logeait son instrument dans l'abdomen de l'hérétique dégénéré. Ses iris azurés suivaient le mouvement des ombres projetées tout autour de lui par le brasero. Et maintenant que le son des lames et du sang coagulé s'était tu, si ce n'était l'infâme gargouillis ayant succédé au meurtre en bonne et dûe forme, relents intestinaux, seul le crépitement du bois consumé par les flammes, aussi voraces et avides que leur écho mortel, juché non loin, subsistait. Glissant une main dans sa crinière corbeau, le jeune homme se redressait, étirant ses deux bras au-dessus de sa tête, poussant un soupir d'aise.

Qu'à cela ne tienne.

Les suivants compenseraient pour celui-ci.

***

Sa descente dans le boyau infâme s'achevait enfin au tournant d'un escalier trop escarpé pour être emprunté par qui que ce soit d'autre que des malfrats prestes sur leurs pieds. La longue cape brunie dans son sillage, divisée en lambeaux putréfiés à l'image de la Baronnie tombée aux mains de la Fange, sa silhouette étouffait la dernière étincelle du soleil qui daignait filtrer jusqu'ici, la lumière résiduelle transformée en vain éclairage malgré le rendez-vous soigneusement agencé en plein jour. Son apparence repoussante, sale, son harnois crasseux et moucheté d'autant de sang que de boue, n'était pas arrangée par l'odeur dont il exsudait sans ses habituelles préparations pour se présenter à la Cour les rares fois où Léonice l'appelait à son côté. Ce qui complétait néanmoins la pression asphyxiante dégagée comme une aura d'imminente menace était la lame qui pendait à son flanc, trop courte pour être noble, et étrangement adaptée à l'environnement claustrophobique qui serait le leur dans cette épopée viscérale. La boucherie du combat rapproché n'était aucunement étrangère au Chevalier qui tenait, pour l'heure, davantage du tueur. Son attelage de tissu évoquait le plumage sali d'un rapace, frôlant le sol et imbibée de l'humidité malade du lieu. Sa voix rauque s'élevait, se réverbérant sur les murs du coupe-gorge dans lequel le Comte s'était, peut-être, sciemment engagé en sachant qu'il y laisserait très probablement la vie, compte tenu de la rancoeur de la haute pour lui. Peut-être était-ce, quelque part, l'un des espoirs du Sans-Visage.

« Sire ? »
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Gyrès de BoétieComte
Gyrès de Boétie



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MessageSujet: Re: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptySam 21 Mai 2022 - 16:19
Par l’entremise d’un intermédiaire, j’apprenais que l’excentrique chevalier me donnait directement rendez-vous au cœur des Bas-Fonds, dans un quartier non loin du Labourg. Quelle idée saugrenue ! Me retrouver seul en ces ruelles délabrées et malfamées ? Ce n’était pas moi que le chevalier retrouverait, mais mon cadavre sans vie. Hélas, je n’avais pas moyen de discuter des modalités de rencontre, car Dartigau était visiblement un impassible négociant. En effet, l’homme avait apparemment des « choses à régler » (à quoi peut-donc bien s’occuper homme de pareil métier ? Etrangement, je n’avais point envie d’en savoir plus) avant notre rendez-vous, et ne pouvait se rendre disponible à un autre moment. Prenant mon mal en patience, j’acceptais donc de le retrouver directement dans les Bas-Fonds.

M’étant revêtit d’habits de basse manufacture pour me dissimuler dans la masse populaire, j’attendais là, au croisement de deux rues étroites et insalubres, l’arrivé du paladin de Rakni. Malgré mes vêtements de jutes, je voyais au regard curieux des passants que ceux-ci n’étaient pas dupes quant à qui j’étais, comme si ma seule attitude trahissait ma noble condition. Je devais être trop propre sur moi-même pour pouvoir prétendre appartenir aux classes pauvres de Marbrume. Décidemment, l’habit ne faisait vraiment pas le moine.

J’entendais autour de moi jurons graveleux et affreuses quinte de toux. Les murs étaient couverts d’urine séché et, sur les pavés désossés, des morceaux de merde attiraient mouches et autres parasites volants. L’étroitesse des rues et la proximité des maisonnées me donnaient l’impression d’étouffer, moi qui n’était pourtant point sujet à la claustrophobie. Nul rayon de soleil, alors que nous étions en pleine journée, ne parvenait en ce lieu plongé dans la nuit éternelle. Mal à l’aise, je rabattais davantage mon épaisse capuche sur ma tête, espérant passer inaperçu aux yeux des quelques malandrins parcourant ces rues esseulés. J’attendais anxieusement l’arrivé du Chevalier, qui n’était décidemment pas ponctuel.

Mais alors que je tapais nerveusement le pavé du pied, je remarquais le silence qui s’était fait. Les ruelles alentour étaient désertes, et j’étais désormais seul. Alors que, encore quelques minutes auparavant, la présence d’autrui constituait pour moi une menace terrifiante, ma soudaine solitude me plongea davantage dans l’inquiétude. Sur mes gardes, je prêtais attention au moindre bruit insolite, me mettant en tête l’idée qu’un quelconque croquemitaine allait surgir de l’ombre pour m’emporter dans la nuit noire. Que voulez-vous ? la peur suffit à détraquer même l’homme le plus raisonnable.

Et là, je l’entendis. Un étrange cliquetis, qui se faisait de plus en plus insistant. Pris de panique, je m’adossais au mur crasseux d’une bâtisse, cherchant à couvrir mes arrières. Je me maudis mille fois au moins de mon impétuosité et de mon avidité, qui allaient me conduire droit à ma perte. Et ce foutu chevalier, incapable de tenir un horaire !

Le bruit aigu se rapprochait. Clic, clic. Tendant l’oreille, je ne parvenais néanmoins pas à en distinguer la provenance. Par la gauche ? Par la droite ? D’où l’assassin allait -il surgir ? J’étais paralysé par la peur, me préparant à toute éventualité.

« Sire ? »

Je poussai un terrible cri d’effroi lorsque je vis l’abominable monstre sortir de la pénombre. L’allure d’Hector, qui avait tout du cauchemar ambulant, m’inspira de grands frissons d’horreur.

« D.. Dartigau ? C’est bien vous ? »

Avant même que le paladin n’acquiesce, je connaissais déjà la réponse. Carcan sale et usé, gants noircit par la crasse, cape en lambeau, heaume cabossé, odeur de puanteur asphyxiante : pas de doute, il s’agissait de la description que l’on m’avait faite de Dartigeau. Malgré son allure massive et inquiétante, l’homme ne dégageait étrangement pas d’aura hostile. A bien y regarder, son armure tenait plus de l’alliage de matériaux grossiers que du haubert scintillant d’un preux chevalier. J'aperçus, malgré la noirceur des lieux, des traces de sang encore fraîche sur ses gantelets. Je devinais aisément à quoi était occupé mon « nouveau compagnon ».

« Excusez ma surprise, mais avouez que votre démarche n’a rien de bien avenant, si je puis dire. Même si je doute qu’il s’agisse du sentiment que vous souhaitez inspirer à autrui ».

M’approchant de lui, je dû retenir discrètement ma respiration tant l’air était pestilentiel à ses côtés. Grands Dieux, quelle odeur ! Un véritable pot de chambre sur pattes, dont les relents constituaient tant d’agression pour mes délicates narines. Je ne m’expliquais pas de quelle manière la baronne de Raison, elle si belle et si gracieuse, pouvait s’encanailler avec créature aussi hideuse.

« Eh bien, mon brave, maintenant que vous êtes ici, nous pouvons entreprendre ce pourquoi j’ai requis votre aide. Contentez vous de grogner, d’agiter un peu votre épée dans tous les sens si quelconque marouflard s’en prenait à nous, et tout se passera pour le mieux. »

M’écartant hâtivement du paladin, tant son odeur m’était insoutenable, je lui sommais d’un geste amical de me montrer le chemin, lui qui avait l’habitude de naviguer en ces eaux putrides.

« Je vous suis, cher ami. Dépêchons, je vous prie. Plus vite nous sortirons d’ici, et mieux nous nous porterons tous les deux. Je vous remercie d’ailleurs gracieusement pour votre aide aimable ».

J’étais prêt à m’engager en cette catabase qui me mènerait au cœur même des lieux les plus infâmes de Marbrume, dus-je endurer la compagnie de tel personnage.

« VOUS QUI ENTREZ, LAISSEZ ICI TOUTE ESPERANCE. ».






Dernière édition par Gyrès de Boétie le Jeu 26 Mai 2022 - 10:50, édité 3 fois
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Hector DartigauChevalier
Hector Dartigau



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MessageSujet: Re: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptyDim 22 Mai 2022 - 11:04
Le Pénitent observait un instant de stupeur, alors que le cri d'effroi échappait à -supposément- Gyrès lors de son arrivée. Le Comte haut en couleurs s'était vêtu simplement de sorte à se fondre au possible dans le décor, renforcé par son teint soudainement blêmit. Seul son port de tête ordinairement haut et altier trahissait sa réelle éducation. A défaut d'affirmer l'évident, le Chevalier opinait mollement du chef, renforçant l'aspect inquiétant de pantin de viande qui accompagnait ses mouvements presque désarticulés, lorsqu'il ne marchait pas au devant du conflit. S'il ne se froissait pas lorsque le sang-bleu mentionnait l'aura de terreur qui l'enveloppait aussi sûrement que le linceul lui servant de cape, sa deuxième remarque, elle, fit mouche. Décidant néanmoins de ne pas se formaliser - prévenu par Léonice du caractère... Pernicieux du concerné, quoi que son visage aux traits juvéniles avait le mérite de ne pas s'embarrasser de faux-semblants, livre ouvert pour qui faisait preuve de jugeotte -, le Chevalier s'engageait volontiers dans l'escalier encore humide, répliquant avec une fermeté et un manque de verbe qui contrastait affreusement avec les palabres du de Boétie.

« Ne paniquez pas, qu'importe la situation, et tout ira bien. »

Facile à dire, engoncé dans un carcan constellé de sang dont l'odeur de putréfaction prévenait avant autant d'efficacité que l'instrument de tuerie au fourreau sur son flanc gauche l'adversité, certes. A chaque pas le long de ces vollées de marche, sa cape déjà hideuse, à l'image de son faciès mutilé, trempait dans la vase informe mêlant humidité, pourriture et excréments humains négligés. Difficile de dire s'il était essentiel que leur passage se fasse dans pareil dépotoire - mais Rikni seule savait ô combien torturer Gyrès et sa sacro-sainte propreté dans un tel lieu apportait une satisfaction extatique à son fidèle. Durant cette escapade, au moins, le Comte serait contraint de contempler ce que le bas-peuple, auquel aurait dû appartenir le Chevalier assurant sa protection, appelait leur quotidien. C'était une maigre victoire, compte tenu du fait qu'assurément, le noble repartirait avec ce qu'il jugeait probablement être son dû, et oublierait bien vite cette déconvenue.

Ils approchaient.

A peine franchissaient-ils la dernière marche, débarquant ainsi dans une ruelle sensiblement plus large - assez pour accueillir une chariotte et ses bêtes de somme -, que le piège se refermait sur eux. De deux ruelles adjacentes jaillissaient les silhouettes aguerries et armées des détrousseurs, les cueillant à l'instant précis où ils avaient pénétré dans le coeur des bas quartiers. Contre les deux murs bordant la cage d'escalier qui aurait pu servir d'échappatoire à Gyrès, d'où ils avaient amorcé leur sinistre descente vers les enfers, étaient adossés deux autres brigands. Le quatuor arborait des gambisons en piètre état, recousus par endroit et matelassés, sans doute arrachés aux Miliciens éventuellement égorgés au tournant d'une ruelle. Aguerris, épées courtes et coutelas à la ceinture autant que dans leurs mains gantées, ils convergeaient, mués par un singulier instinct de meute, de sorte à respecter une distance de sécurité d'approximativement un mètre avec les deux sang-bleus ayant fait l'erreur de s'aventurer sur leur territoire. De stature moyenne, ils n'étaient intimidants qu'à cause de la froide lueur de cruauté dans leurs iris. Bien nourris, en dépit de la famine, il y avait fort à parier que les fauteurs de trouble ne nécessitaient pas pareille prise. L'avidité humaine frappait de plus belle, alors qu'un cinquième individu quittait le couvert. Légèrement plus fin que ses comparses, une sale trogne balafrée et creusée par la vie, on devinait à son sourire suffisant la satisfaction maladive qu'il tirait d'avoir ainsi coincé un si gros morceau. Il y avait fort à parier, après tout, que l'arrivée tardive d'Hector n'ait pas suffit à faire taire toutes les langues qui étaient aisément déliées, au Labourg. Surtout lorsqu'elles concernaient une descente des privilégiés.

Hector n'avait pas moufté. Un silence pesant s'installait à mesure que l'atmosphère s'alourdissait d'une tension électrique. Cinq contre un ? Peut-être Gyrès aurait-il le temps de prendre les jambes à son cou, si le Chevalier se jetait dans une mêlée héroïque afin d'accomplir son devoir. Au lieu de quoi...

Le Pénitent s'avançait d'un pas vers le chef des brigands, opinant du chef.

« C'est bien lui. Quand vous en aurez terminé, esquintez-moi, que je puisse vanter ma tentative de ravir ce pauvre Comte à son funeste destin. »

Les iris orageux harponnaient le visage du poète par loisir, écrivain par passion, auteur par talent, alors que les rires narquois et sardoniques noyaient la scène, une main tapant l'épaule d'Hector avec fraternité tandis que le chef le dépassait d'un pas, les quatre autres s'apprêtant à bondir comme autant de prédateurs déchaînés sur le noble de Boétie.

L'escapade tournait bien vite au cauchemar.
Gyrès n'avait-il pas abandonné tous ses espoirs au sommet des marches, après tout ?
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Gyrès de BoétieComte
Gyrès de Boétie



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MessageSujet: Re: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptyDim 22 Mai 2022 - 21:11
« Au milieu du chemin de notre vie,

Je me retrouvai en une forêt obscure,

Car la voie droite était perdu.

Ah, dire ce qu’elle était est chose dure,

Cette forêt féroce et âpre et forte

Qui ranime la peur dans la pensée !
»1

Je fredonnais ces vers d’un poème étranger, qui perdait certes une partie de leur lyrisme rythmique dans leur traduction en langue langroise, mais qui retranscrivais parfaitement mon état d’esprit en cette situation.
Car je descendais vers les intestins funèbres de Marbrume, en des lieux que nul autre sang-bleu n’avait encore jamais arpenté. Le ventre gargouillant et nécrosé d’une cité maudite, avalant et engouffrant pour toujours en son sein les quelques fols imbéciles s’aventurant en ces ténébreuses travées.

Je faisais parti de ces fols imbéciles, et j’étais accompagné en cet instant du plus fou des hommes.
Je suivais péniblement le chevalier Dartigau, habitué des lieux, tandis que je pataugeai dans mes vêtements trop amples. Sa démarche singulière, brusque et rugueuse, ne faiblissait elle pas. J’avais du mal à suivre la cadence en ces escaliers étroits et humides, manquant même de glisser à maintes reprises sur le pavé mouillé des marches. L’obscurité ambiante n’arrangeait rien à cette tumultueuse descente au cœur des ténèbres, aucun flambeau n’illuminant notre passage en ces rues abandonnés du regard du roi.

« Vous n’avez pas pensé à apporter une torche ? Peut-être êtes-vous nyctalope, mais ce n’est pas mon cas », lançais-je, exaspéré, à l’attention du paladin, après avoir une fois encore manqué de m’écraser la tête la première contre le sol.

Celui-ci ne pris même pas la peine de grogner pour marquer sa réception du message. Décidément, l’animal n’était pas bien causant. Il avait tout du butor taciturne incapable d’articuler plus de trois mots. Certainement pas par bêtise, mais plutôt par mépris du langage et des coutumes humaines. Ce mutisme n’arrangeait en rien mon humeur, pas plus que l’odeur de pourriture qui accompagnait le sillage de mon guide de circonstance. Heureusement, j’avais sur moi un épais mouchoir, que j’appliquais sur mon nez. Mais malgré son épaisseur, il ne parvenait pas à filtrer l’air pollué provenant du chevalier.

« Vous devriez, à l’occasion, vous refaire une beauté. Simple suggestion de ma part, car même si je sais que votre numéro de gros bras à l’âme torturé nécessite que vous paraissiez effrayant, avez-vous vraiment besoin de sentir aussi mauvais ? », lançais-je, taquin, à son adresse. « Vous me faites penser à l’archétypique du dârque sasou’ké (comprenez : âme malmené) du théâtre antique illonien, » continuais-je sarcastiquement de disserter.

Alors que nous poursuivions notre route infernale, je ne pus m’empêcher de tressaillir lorsque mon pied buta dans ce qui s’avérait être un cadavre en décomposition. Les entrailles à l’air, le pauvre homme avait été dévoré par les charognards et les insectes, qui s’était goulument repu du peu de chair qu’avait le malheureux. En effet, des mouches d’une taille que je n’avais jamais suspecté vrombissait autour de moi. Je balayais activement ma main devant moi pour éloigner les infâmes bestioles aux allures de titans ailés, ce qui, j’en suis quasiment sûr, ne manqua pas d’amuser mon guide. Je suis convaincu de l’avoir entendu glousser, lui que je croyais incapable d’émettre un son (à défaut d’une parole) autre qu’un bruit gras et poreux.

Notre avancée s’accompagnait de son lot d’horreurs et d’infortunes. Nous croisions ainsi parfois des pauvres manants, qui tenaient plus du mort-vivant ou de la bête que de l'humain, sur notre route. Ceux-ci rampaient, murmurant d’inaudibles râles de souffrance à notre adresse. Damnés créatures, à jamais coincé en cet enfer non pas bâti par Etiol, mais par l'Homme. Condamné à errer, à se traîner ainsi sur ce sol putride, loin du regard des Dieux et des puissants, qui les avaient de toute évidence abandonnés.

Cette vision ne manque pas, aujourd'hui encore, de me tourmenter. Je nous jugeais bien misérables, mes semblables et moi, au vu de l'horrifique condition de ces pauvres gens. Nous vautrer ainsi dans le luxe, en quête de pouvoir et d’influence, tandis que certaines personnes, en raison de leur basse naissance, n’avaient pour autre sujet de préoccupation que de lutter quotidiennement pour leur survie. Toute la misère du monde, réuni en ce microcosme marbrumien. La famine au cœur même de ces épais murs. Tandis que nous festoyions grassement, ne nous limitant point en faste grandiloquente.

Mais ne continuais-je pas malgré tout ma route, sans délier ma pesante bourse pour en gratifier ces tristes êtres ? Valais-je mieux que les élites marbrumienne que je méprisais ouvertement ? Cet argent ne serait-il pas plus utile pour acheter du pain que pour acheter un livre ?

Soudain, mon guide taciturne se retourna vers ma direction, coupant court à mes réflexions. Il semblait inquiet. Et cela n’avait rien pour me rassurer.

Je compris moins vite que lui, car mes sens n'étaient pas aussi aiguisé que les siens. J’entendais les bruits de pas frénétiques, quand soudain, lorsque nous débouchâmes en une large ruelle, je constatais que notre passage nous était bloqué par de crasseux malandrins. De crasseux malandrins, qui mettaient en évidence la rapière attaché à leurs ceintures. Et qui tenaient de larges couteaux en leurs mains gantées.

Me retournant, apeuré, je ne pus qu’observer que nous étions pris au piège. Deux autres hommes nous avaient pris à revers, et toute tentative de fuite nous étais proscrite. Un cinquième larron à la mine balafrée et édentée fit alors son apparition ; d’après ses manières, il semblait être le chef des bandits. Le regard bestial qu’il apposait sur moi me donna d’intenses frissons de terreur pure. Car je lisais en ses yeux un intense désir meurtrier. Ma bourse seule ne lui suffirait pas ; il en voulait assurément à ma vie. Avait-il compris qu’il avait affaire à un nobliau ? Sans doute, au vu de la minutieuse organisation du traquenard.

Paralysé, je ne pus qu’aboyer après mon dévoué protecteur :

« Dartigau ! C’est le moment pour vous d’agir ! Montrez ce que vous avez dans le ventre, parbleu ! »

Le Paladin de Rakni s’avança vers le chef des brigands. J’étais prêt à le voir brandir son épée, à faire quelques impressionnants moulinets, et tonner à l’adresse des bandits qu’ils avaient le choix entre déguerpir et mourir. Mais j’avais sans aucun doute lu trop de mauvais romans de chevaleries, car je n’étais guère préparé à ce qui allait se dérouler sous mes yeux.

« C'est bien lui. Quand vous en aurez terminé, esquintez-moi, que je puisse vanter ma tentative de ravir ce pauvre Comte à son funeste destin. », dit Dartigau, d’une allure fraternelle, au seigneur des malandrins.

Mon visage blêmît davantage. Voulant articuler quelques mots, j’étais incapable de prononcer autres palabres que d’incompréhensibles bégayement. J’étais déconcerté face à cette trahison.

« Dartigau, sale bâtard édenté ! Vous acoquiner avec de tels assassins, vous, le prétendu homme de foi ! Tout ça, ce n’est que des conneries pour cacher votre nature de barbare sauvage ! », parvins-je enfin à hurler, crachant tout mon fiel à l’adresse de ce maudit traître.

Le félon ricana. J’étais désemparé, encerclé et désarmé. Les tueurs s’approchaient, couteaux en main. Je n’avais plus que quelques instants à vivre, j’en étais persuadé.

« Je n’ai que sur moi cette modeste bourse, messires, dis-je tout en leur montrant ma maigre besace cachée sous ma longue tunique, je suis sûr que nous pouvons trouver un arrangement, entre honnêtes gens ? »

Leur absence de réponse et le redoublement de leurs ricanements suffit à me faire comprendre que tout était perdu. Je ne ressentais plus que la terreur dans ce qu’elle avait de plus pure. J’allais mourir ici, en cette ruelle poussiéreuse, poussant mon dernier soupir sur un sol odeur de selles.

Moi qui ait survécu des mois aux Fangeux et aux intrigues de cour de Marbrume, n’avais-je donc tant vécu que pour vivre cette infamie ?


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MessageSujet: Re: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptyLun 23 Mai 2022 - 20:29
Gyrès jouait son rôle à merveille. Les insultes tant attendues fusèrent, arrachant un ricanement narquois au Chevalier qui se laissait dépasser par le balafré qui lui frappait amicalement l'épaule. Après tout, ce n'était pas tous les jours qu'on lui livrait un sang-bleu de tel calibre directement dans son quartier. Un territoire où il semait une terreur innomable, lui et ses quatre acolytes ayant dépouillés des carcasses pour se revêtir d'armure qui ne furent jamais les leurs, et d'armes qui appartenaient jadis à de vaillants serviteurs de la Trinité. Obtenir leur attention ne fut pas aisé ; les amadouer, par contre, fut d'une simplicité aberrante. Et il le sentait.

La tempête approchait.

Le son de sa respiration cédait sa place aux battements frénétiques de son coeur à mesure que la fureur purificatrice se déversait dans ses veines, sa température corporelle lui donnant l'impression d'atteindre des définitions infernales. Hector sentait la moindre appréhension transformée en tics nerveux sur son visage masqué, l'exultation du conflit naissant en son sein comme autant d'arcs électriques, la scène se déroulant comme sous l'eau. Les seconds s'étiraient vers l'infini, alors qu'il faisait volte-face dans le dos du balafré avec une lenteur théâtrale, pratiquement destinée au Comte qui blêmissait, son teint devenu diaphane, semblable à celui d'une apparition.

« J'sais pas ce qui me surprend le plus ! Le fait qu'on va réellement te faire la peau gratuitement, ou que les gens te détestent suffisamment pour nous laisser te dépecer ! »

Narquois, le Balafré tirait l'un des coutelas ornant sa bandoulière, jonglant, la lame glissant entre ses doigts avec une expertise qui évoquerait celle d'un pirate armé d'une pièce. Ses quatre acolytes s'esclaffaient comme autant de hyènes, s'apprêtant à converger d'un bond coordonné sur une proie sans défense, tandis que le chef des bandits pivotait de sorte à aviser son partenaire criminel, le noble Dartigau.

La pointe de l'épée jaillissait de sa nuque, déchaussant les dents de son rictus dans une bouillie de sang et de gencive arrachée. La vermine restait là, debout, s'étouffant dans son sang autant que sur l'acier du Chevalier qui avait dégainé avec une célérité fulgurante, son outil de tuerie logé avec une précision chirurgicale dans la gorge de l'homme, ne s'affichant que dans un dégradé d'écarlate poisseux au niveau de la fosse occipitale du crâne détroussé de sa vie, protubérance infâme et aussi grotesque que son hôte. Mollement, silencieux, le Pénitent extirpait sa lame de la colonne vertébrale sectionnée nette, prouesse compte tenu du tranchant tout relatif de la métallurgie d'époque, une torsion du poignet achevant de ravager la gueule du balafré qui s'effondrait en vomissant ses dents dans un spasme, à la stupéfaction générale. La surprise était telle un fil suspendant les mains d'un pianiste dramatique au-dessus de son instrument, pas même rompue par le bruit humide de la viande qui heurtait les pavés, débarrassé de l'étincelle de vie fictive qu'un parasite dans son genre pouvait amalgamer au cours des années. Ce fut la désinvolture avec laquelle le Chevalier s'exprima qui mit le feu au poudre.

« Je voulais m'assurer qu'il sache qui l'envoyait auprès d'Anür. »

Un cri de rage, et le séide souhaitant s'affirmer fondait sur Hector, tirant sa rapière. Une fente, et la pointe de son arme sifflait en direction du coeur du traître, ce dernier faisant mine de ne pas réagir. Son appui gauche se déportait légèrement vers la gauche, accompagnant ainsi le coup qui crissait lamentablement sur la plaque de son harnois, suscitant une grimace chez son détenteur. Non content d'être des charognards, ils n'avaient clairement aucune idée du réel usage de pareil instrument, bien inapte à transpercer la plaque lorsque sa gorge n'était protégée que d'un gorgerin. Le piège à loup se refermait dans un chuintement sonore, caractéristique de l'air tranché par l'acier.

La tranche du pavois remontait brutalement, fracturant net le coude porteur de la rapière, tandis que l'épée courte d'Hector traçait deux arcs-de-cercles vifs de mort pourpre consécutifs. Le premier ouvrait la gorge pleinement exposée de son adversaire, et le second l'éventrait dans un nouveau bruit immonde, à mesure que ses viscères giclaient hors de sa panse. Immédiatement, l'homme tombait, lâchant son arme pour tenter de retenir ses entrailles dans une vaine mimique à mesure qu'il se vidait de son sang - et son crâne recevait un brutal coup de croquenot de la part du Chevalier, lui broyant partiellement le visage en plus de l'écarter de son chemin. Implacable dans sa démonstration macabre, ses genoux se fléchissaient déjà. Une nouvelle vermine châtiée par l'Apôtre de Rikni, qui exsudait désormais d'un imminent danger viscéral. Une épouvante animale, irrationnelle. Ses appuis quittèrent le sol.

Et le chaos explosa.

Le trio convergea immédiatement sur un Gyrès dont ils comptaient visiblement se servir comme d'otage, leurs coutelas scintillant comme autant de crocs argentés vers le Comte. Prévisible. En un instant, Hector était sur eux, oiseau de proie à la vélocité qui démentait la lourdeur de son armement. Propulsant tout son poids derrière le bouclier verrouillé contre son flanc, il percutait un premier assaillant, l'envoyant gésir au sol après avoir emmené au sol avec lui un second comparse. Depuis l'angle mort du de Boétie sifflait la lame du Pénitent, menaçant de s'incruster dans la cavité oculaire du dernier adversaire contraint d'estropier son élan assassin, alors que la sénestre harnachée au bouclier saisissait le Comte par le poignet, une brutale traction l'éjectant derrière lui à mesure que les trois brigands retrouvaient esprit, cohésion, et dignité, malgré la lueur de crainte dans leurs yeux porcins.

Sans doute auraient-ils pu s'épargner la descente vengeresse du Sans-Visage, en menant des vies dignes des préceptes de la Trinité. Au lieu de quoi, dans leur fange, les voilà qui faisaient face à un augure de carnage, présage de condamnation à mort qui exultait dans la boucherie. Voilà ce dont il puait ; son affection pour la guerre, le meurtre, le sang. Troquant son existence de spectateur pour celle d'un acteur dans les moments où enfin sa violence pouvait s'exprimer, tractant témoins et victimes dans son univers monochrome et binaire, d'entrailles et d'acier. Ses iris orageux, emplis d'une cruauté sans nom, d'une malveillance infinie, dissimulées sous le couvert d'une piété dérangée, un zèle purificateur, harponnaient le visage de Gyrès, vraisemblablement en sécurité malgré la brusquerie de sa rescousse.

A cet instant précis, c'était comme si l'air tout autour d'eux se mettait à vibrer, prit d'une terreur incontrôlable. Accompagnant les frissons spinaux qui se répandaient le long des échines, vulgaire traduction de l'épouvante primale qui emplissait leurs poumons, c'était sans pareil. Le Pénitent inspirait une terreur animale, un effroi sublimé. Une pression incommensurable, se dégageant de la simple présence de l'entité dont la malfaisance était uniquement éclipsée par l'imminente menace naturelle qui alarmait les instincts de survie. L'environnement crépitait d'une tension malsaine, comme précédant une tempête. Et cette angoisse s'imprimait lentement dans le psyché des témoins. Oui, il allait les tuer. Au moindre faux pas, le trépas serait immédiat. Il ne pipait mot, sa cape donnant l'impression de graviter autour de lui, similaire à un étendard animé par le noir désir d'annihilation qu'il rendait enfin visible aux yeux de tous, fielleux d'hostilité. L'insistance de son regard ne signifiait qu'une évidence macabre, conformément aux mythes d'outremer évoqués par le Comte.

Je n'ai pas besoin d'aide. Juste d'un spectateur pour mon carnage.

Et la mêlée s'amorça. Les lames se heurtèrent au bouclier, son propre instrument d'acier chassant régulièrement les vicelards qui tentaient de le submerger, conscient néanmoins qu'une proximité prolongée signifiait une exposition au couperet sifflant. Dans la confusion, l'aisance du Chevalier était frappante. Sa vision périphérique semblait absurde, sa capacité à percevoir le danger et à y réagir était la traduction de réflexes cognitifs fulgurants. Malgré le sous-nombre, pas un seul instant ne semblait-il fléchir, quoi que grandement aidé par sa carapace impénétrable et régulièrement erraflée autant que par son bouclier. L'espace d'un souffle, les criminels eurent l'ascendant sur leur opposant esseulé. Le suivant, ils étaient happés par la tempête d'acier.

Le bouclier heurtant une tempe, désorientant l'un des bandits en l'envoyant s'écraser contre son confrère, toute la lucidité tranchante d'Hector se focalisa sur leur troisième compagnon. Son coup de pied atteignit le brigand qui rebondissait contre le mur proche avec un grognement, se fendant de côté juste à temps pour éviter une lame qui lui aurait fendu le crâne, égratigant la roche où il se situait un instant plus tôt. Leur résilience était salutaire, un correct exercice pour celui en quête de rédemption par la voie des armes. Et la valse martiale reprenait. S'ils n'étaient pas individuellement doués, leur capacité à opérer en groupe, quoi qu'estropié par la soudaine mort de deux d'entre eux, était remarquable.

Ce n'était, malheureusement pour eux, pas suffisant. Rôdé par la guerre dans le sens large du terme, les innombrables escarmouches ponctuant les trois décennies de son existence en ce perpétuel purgatoire, Dartigau était forgé d'un tout autre acier. Il ne bronchait pas lorsque des coups atteignaient son casque, la commotion le faisant au plus fléchir durant un battement de coeur. Il ne perdait jamais du terrain, campant sur ses positions, sachant le Comte derrière lui. Icône d'horreur autant que figure galvanisante, la sinistre détermination de l'Apôtre était contagieuse. Sa glaciale résolution de transformer la ruelle en abattoir pour l'apostat, le traître et l'hérétique. Le combat était incessant, mais il sapait leurs corps vers des seuils absolus d'épuisement, tandis qu'il s'épanouissant dans le carnage, renforçant sa soif de sang avec chaque mutilation qui était infligée.

En l'état, rien ne semblait pouvoir l'arrêter.

Le status quo s'instaurait malgré tout, tous puisant dans leurs réserves, le souffle court et les muscles endoloris, meurtris, les échanges brutaux ponctués d'échecs théâtraux grâce aux réflexes surprenants des bandits autant que la supériorité de l'armement du Chevalier. Ce dernier restait perpétuellement en mouvement, conservant soigneusement son équilibre, mortellement lucide. Il percevait l'adversité, établissant un plan d'action qu'il exécutait prestement, tuant dans l'oeuf les tentatives de prise en tenaille et autres vulgaires subterfuges annihilés par une dextérité martiale infiniment supérieure. Si l'affrontement donnait l'impression de s'éterniser, ce fut trente laborieuse secondes mettant à l'épreuve les quatre hommes. Trente longues secondes où aucune erreur fatale ne fut commise malgré le sous-nombre pour l'un, la létalité d'une blessure pour les autres. Et qui laissèrent les moins endurants épuisés. L'excès tant attendu par Hector.

Un déluge de coup d'une violence inouïe.
Un ouragan d'acier.

Le poitrail à moitié défoncé, l'un des bandits s'effondrait à genoux avant de basculer sur le flanc, le second titubant de côté, l'oeil crevé par un coup de garde lui ayant explosé l'os zygomatique, le troisième hurlant à l'agonie, sa rotule broyée d'un brutal croquenot.

Le Pénitent sentit sa force.
Et il se mit à rire.

C'était un son à glacer le sang, qui rongeait la sanité comme la sienne peinait à le maintenir hors d'une démence dont il ne se pensait pas encore atteint. Les suppliques impuissantes des brigands tombèrent sur une oreille rendue sourde par l'excitation du massacre, son épée débitant avec une facilité déconcertante thorax et bras porteurs d'armes vainement pointées dans sa direction. Exalté, l'aspirant champion faisait volte-face, sa lame dégoulinant de carmin poisseux, son armure et ventaille cabossés par les coups reçus, le renforcement en cuir de son flanc imbibé de rouge - sans qu'on puisse identifier s'il s'agissait du sien ou de l'une de ses victimes. Bras écartés, ses iris orageux embrassaient le visage de Gyrès, avant de glisser vers le ciel, implorant Rikni d'être témoin.

Témoin de sa frénésie meurtrière face à l'impie. Témoin de sa ruse pour attirer la racaille jusqu'ici en se servant d'un cancrelat sans foi afin de s'assurer qu'ils agissent conjointement à ses plans. Témoin de l'aube de sa purification, de sa véhémence absolue pour tous les blasphémateurs et transgresseurs des lois suprêmes et commandées par le corps divin. Un soupir d'aise franchissait ses lèvres tétanisées dans un rictus mauvais, murmurant d'une voix basse et extasiée. Au coeur d'une scène devenue un charnier de matière fécale et de dépouilles mutilées.

« Nous ne connaîtrons plus la peur. »

Un pantin de chair défectueux, animé par un vide abyssal, un besoin viscéral d'obtenir une salvation conférée par une entité métaphorique.

Une existence inepte pour un bouffon inapte.
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Gyrès de Boétie



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MessageSujet: Re: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptyMar 24 Mai 2022 - 17:02
Tu te doutes, perspicace lecteur, que je ne suis point mort en cette embuscade, pour pouvoir ainsi te la conter. J’écris en ce moments ces lignes bien au chaud chez moi, entre deux tasses de thé, mais je n’oublierais jamais le cauchemar apocalyptique dans lequel je fus plongé.

Ainsi donc cerné de toute part, je n’avais armes que mes cris et mes hurlements.

« A moi la garde ! La maréchaussée ! On m’assassine ! On me tue ! Arrière, outrecuidants bâtards ! », dis-je en agitant mes mains devant moi, faisant semblant d'être prêt à en découdre (alors que je n'ai jamais été aussi inoffensif qu'en cette occasion).

Je savais que mes suppliques resteraient vaines et se noieraient dans les échos du lointain, mais l’homme désemparé, ne pouvant se résoudre à son sort, emploie toute forme de moyens, même les plus désespérés, pour se tirer de pareil situation.

En mon for intérieur, je regrettai déjà les propos impies que j’avais pu prononcé par le passé à l’égard des Trois. Je recommandais mon âme à Anür et à sa miséricorde, moi qui, bien que n’étant point du Clergé, ai malgré tout au cours de mon existence servit la Déesse par mes poèmes faisant les louanges de l’Amour. Acculé, je voyais la mort s’approcher à pas lents. Mes bourreaux, un sourire dévoilant leurs dents crasseuses aux lèvres, s’apprêtaient à se jeter sur moi, pauvre brebis ainsi égaré parmi les loups.

Puis, l’impensable se produisit.

Je vis une épée surgir du cou du Balafré, dont les yeux exorbités semblaient prêt à éclater en leurs orbites. D’horribles bruits de glotte broyé sortaient de ce que l’on pouvait encore appeler sa bouche, tout comme des torrents de sang dans lesquels flottaient des morceaux de dents noirs. Le corps sans vie du malandrin s’écroula bruyamment sur le sol, laissant découvrir l’identité de son assassin.

C’était ce maudit Dartigau, tu t’en doutes. Mes agresseurs, tout comme moi, le regardâmes d’un air horrifié. L’espace d’un instant, nous semblions réunit autour d’une même émotion : la terreur dans ce qu’elle avait de plus pur. La terreur face à cette mise à mort d’une brutalité inouïe. Les bandits ne prêtaient même plus attention à moi, paralysés par l’abominable exécution orchestrée par le Paladin fou ; moi-même, je sentais mes genoux tremblotant s’entrechoquer. Quelques secondes s’écoulèrent ainsi, dans la stupéfaction générale, silence quelques fois troublé par les glapissements spasmiques du Balafré, vautré dans une mare de sang, qui, bien qu’aux portes de la Mort, tentait misérablement de s’accrocher à la vie.

C’est alors que Dartigau profita du climat horrifique qu’il avait sciemment instauré pour se permettre une petite blagounette provocatrice. L’un de mes assaillants, pris d’une colère soudaine, et voulant venger pareille trahison, se jeta inconsciemment sur le monstre à apparence humaine. Moi-même, alors leur prisonnier, j’étais prêt à m’égosiller pour le retenir, car ce pauvre fou se jetait dans un piège mortel dont je devinais aisément l’issu.
L’échange fut bref, mais dominé intégralement par le Paladin de Rakni, qui marqua sa victoire en étripant et en égorgeant en un seul geste brillamment exécuté son adversaire. Les tripes volèrent de toute part, tandis que le sang du malheureux vaincu venait recolorer un peu plus les pavés de la sinistre rue d’un rouge ocre scintillant. S’effondrant au sol, l’homme articulait d’inaudibles balbutiements, qui s’achevèrent dans un horrible craquement : le Chevalier Noir venait d’écraser le crâne du pauvre bougre de son lourd soulier, enfonçant un peu plus sa face dans le mélange de sang et de boue parsemant alors le sol.

D’ici, ce spectacle paraissait à la fois démoniaque et bouffonesque. J’étais face à une vision de l’Enfer, dont je voulais m’extirper au plus vite. Si Dartigau était en toute logique mon sauveur en la présente situation, je le percevais plutôt comme un démon vengeur, pris par une rage incontrôlable et destructrice. Cet homme m’effrayait plus que les bandits qui voulaient m’ôter la vie quelques instants plus tôt. La situation s’était inversé : les prédateurs étaient devenu des proies. Les proies d’un insatiable tueur.

Mais j’étais trop indulgent à l’égard de ces voyous, qui ne trouvèrent rien de mieux pour riposter que de s’en prendre à moi, pauvre innocent coincé au milieu de cette meute de fous sanguinaires. Si ceux-ci espéraient qu’Hector Dartigau retiendraient ses coups en se servant de moi comme otages, ils se trompaient, à mon avis, lourdement. Encore aujourd’hui, au vu de la folie meurtrière dans laquelle était plongée à cet instant le Paladin, je ne sais ce qu’il serait advenu de moi si ces bandits avaient pu mettre en œuvre leur entreprise.

Fort heureusement, cette question n’eut pas besoin d’être élucidé, car, comme un oiseau de chasse, le Chevalier Pénitent fondit sur ses adversaires, les devançant, et taclant violemment de son pavois l’un de mes assaillants, l’envoyant valdinguer sur un autre. Je n’eus même pas le temps de pousser le moindre cri que Dartigau me saisit violemment du poignet, quant de l’autre main il défiait le troisième larron, pour me propulser derrière lui. Je ne pense pas avoir besoin de te préciser, lecteur, avec quelle délicatesse le crasseux maître d’arme m’envoya bouler par terre. Au moins pour lui étais-je en sécurité, en étant dans son dos. En sécurité, oui, mais dans quel état ! J’étais à mon tour couvert d’hémoglobine, étant tombé la tête la première dans les viscères du bandit précédemment éventré. Je restais là, étourdi, quelques instants, n’entendant que cris et bruits d’aciers s’entrechoquant.

Lorsque je repris mes esprits, je vis que le festin sanglant ne faisait que commencer. Dartigau dominait outrageusement ses adversaires, du haut de son expérience évidente de combattant. Les pauvres hères tombés entre ses serres n’allaient pas faire illusion longtemps. Je voyais, à l’expression des malfrats, que ceux-ci restaient terrorisés par l’homme en armure noir, duquel dégageait une aura maléfique, n’osant commettre de gestes trop précipités à son encontre, la moindre erreur pouvant être fatale. Le cadavre encore chaud de leurs deux comparses venait leur rappeler que le moindre écart signifiait la mort. Le Paladin, lui, se battait avec une véhémence et une hargne inouïe, comme s’il voulait annihiler chaque atome ou parcelle de ses adversaires.

L’au bout d’un moment, la fatigue l’emporta sur les trois brigands ; le Paladin saisit cette occasion pour entamer sa danse meurtrière, telle la Faucheuse en action. Tout alla très vite, à tel point que je ne pouvais tout distinguer dans la pénombre ambiante : j’entendis des hurlements de souffrance et de terreur, suivit de suppliques désespérés. Rien n’y faisait : l’on ne pouvait amadouer un être inhumain. J’eus des sueurs froides lorsque j’entendis le râle des mourants, et le bruit sec d’une épée sectionnant membres et têtes dans un bruit glaçant.
Un silence de mort s’instaura dans la sombre ruelle repeinte de rouge. Dartigau trônait là au milieu des membres et des organes de ses adversaires, qu’il avait tué sans aucune pitié. Dans ce spectacle macabre, Il me paraissait… exalté. Semer la destruction était pour lui un plaisir immense, ce qui se devinait aisément dans la pose triomphante qu’il venait d’adopter.

A bien y réfléchir, ce qui venait de se dérouler n’était pas un combat. C’était un massacre brut et violent. Et cet homme n’était pas un homme. C’était un prophète des Ténèbres, un héraut de la fin des Temps, apportant la mort et la destruction dans son sillage.

Je restais là, par terre, abasourdi, pendant quelques instants. J’haletais bruyamment, comme si j’avais perdu ma respiration, bien que je ne me sois nullement battu. Restant silencieux, j’avais peur qu’en rappelant mon existence au Chevalier démoniaque, celui-ci, toujours sous l’emprise de sa rage incontrôlable, ne décide de m’occire, juste pour s’amuser. Après de longues minutes d’un silence assourdissant et pesant, je décidai de prendre les devants :

« Dartigau ? Etes-vous mort ou juste complètement abruti ? »

Je mordis immédiatement mes lèvres, en punition de mon impétuosité. Il ne fallait surtout pas froisser ce fou furieux, et dans ma bêtise, je ne pouvais m'empêcher de décocher un trait cynique à son encontre. Fort heureusement, le Paladin ne répondit rien. Il semblait pris dans sa transe mystique, et ne faisait guère attention à ma personne. Je me levai lentement, de peur que par un geste brusque, je ne réveille l’impitoyable sentinelle. Puis, soudain, celui-ci sembla reprendre vie, ce qui ne manqua pas de m’effrayer.

« Nous ne connaîtrons plus la peur », tonna t-il de sa voix rocailleuse, comme s'il assénait un mantra, mais il prononça ces mots dans une tonalité que je ne lui connaissais guère. Il semblait… apaisé, heureux. Cela changeait de ses grognements constants, mais cela n’avait rien de rassurant.

« Euh… Oui, oui, si vous voulez. Parlez pour vous, mon cher. Car je ne pense pas que c’est vous qui avez chié d’émotion dans votre froc. Et… si nous nous remettions en route ? J’aimerai, vous le comprendrez sûrement, partir au plus vite. »

Je voulais mettre le plus de distance possible entre moi et cet endroit. Après une telle désolation, je refusais de rentrer chez moi les mains vides. Et je ne pouvais décemment pas regagner la surface sans Dartigau. Quitte à subir à mes côtés un meurtrier cinglé, autant que j’aille au bout de mon infernal voyage.



Dernière édition par Gyrès de Boétie le Jeu 26 Mai 2022 - 11:03, édité 3 fois
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MessageSujet: Re: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptyMer 25 Mai 2022 - 22:33
Le son de sa respiration emplissait son crâne alors que sa poitrine s'allégeait du poids de son noir désir d'annihilation. La sérénité se propageait dans ses veines comme un venin insidieux, le débarrassant de sa vigilance, de sa discipline, de son essence guerrière. Exalté dans le meurtre, le charnier qui les entourait devenu sa toile. Une peinture morbide, dégradés de rouges sanguinolents employés avec une expertise approximative, la lame souillée qui dégoulinait encore d'hémoglobine au creux de sa dextre se rappelant comme un pinceau, un instrument qui ne parviendrait qu'à profaner l'art à l'occasion duquel il était sollicité. Virtuose du carnage, Hector était néanmoins arraché à sa transe, sans filtre aucun, son subconscient surgissant à la manière d'une déferlante pour répliquer à l'adresse du Comte, son poignet agrémentant sa diatribe de violents gestes armés.

« Oui, oui, j'ai bien compris que vous étiez pressé et important, Comte. Monseigneur, Sire. Nous allons hâter le pas, n'ayez crainte. Je vous l'avais après tout spécifié, mais vous semblez plus adroit avec les lettres qu'avec les instructions claires et audibles. Laissez-moi vous dire. »

C'était ça. Une ivresse de la victoire, la brutalité et férocité se distillant en dopamine, en divagations quasi-orgasmiques qui nuisaient inexorablement à son comportement habituel. De sinistre et funeste, Hector devenait une curieuse entité sardonique et cynique, néfaste par essence. Et aussi instable que ses viscéraux arcs-de-cercles qui fendaient l'air dans un sifflement horrifiant.

« Je vous ai méprisé au bout de quelques mots seulement. "Contentez-vous de grogner" ; quelle excentricité. Vous êtes-vous seulement déjà demandé si c'était votre intellect, ou au contraire, l'arrogance que vous semblez attribuer à vos pairs qui vous rend invivable pour les autres ? Oh, non, non, je ne voudrais pas que vous vous remettiez en question pour autant, Sire. »

Narquois, son attitude était antithétique, aux antipodes de ce qu'on attendait d'un Chevalier. Il se rapprochait dangereusement de Gyrès, baissant néamoins son arme, usant désormais de sa sénestre harnachée au bouclier pour agrémenter son monologue insipide, dérisoire, de grands mouvements.

« Honnêtement, vous êtes un gâchis d'espace, Monseigneur. Une vermine qui n'apporte rien au peuple de cette cité qui, avec chaque jour qui passe, ressemble davantage au dernier charnier de l'Humanité qu'à son bastion. Que faites-vous pour y contribuer ? De ce que je sais, vous lisez et contez vos poèmes. Vous êtes davantage concerné par le fait de retrouver votre ouvrage que par l'éviscération sommaire de cinq brigands ! Voyons, Monsieur, ne devrions-nous pas leur mettre le feu avant que l'Impie ne les fauche ? Ou désirez-vous peut-être que cinq Fangeux ne se relèvent dans la basse-ville pour exterminer la vermine qu'il vous peine d'observer ? »

Un éclat de rire soudain, avec lequel le Chevalier manquait de s'étouffer tant il semblait étranger au concept même d'hilarité. Saccadé, nerveux, haché et contre-nature. Désormais, Dartigau haletait lourdement, martelant chaque mot avec la même ferveur qu'il n'avait porté ses coups, impitoyable et implacable malgré le fond creux de son discours. Il n'y avait plus aucune barrière dans sa jouissance, son élan putréfié d'honnêteté, le goût métallique de son sang l'enivrant avec la même aisance que le désespoir des victimes acculées un instant avant d'être envoyées à Anür. La psychose était désormais évidente, et Gyrès, malheureusement pour lui, était dans une proximité qui l'empêcherait très probablement de fuir le Chevalier, compte tenu qu'il s'agissait autant de son territoire que de son terrain de chasse.

« Vos rations auraient tellement plus d'utilité chez ceux qui travaillent nos champs, protègent nos murs, assurent la sécurité de chacun. N'est-ce pas hilarant ? Pourquoi est-ce que vous ne riez pas face à cette absurdité, Monsieur ? Ne prenez pas peur. Je ne vous déteste pas, et je n'ai pas l'intention de vous tuer, ce serait contrairement aux préceptes de ma Sainte. Qui plus est, j'affectionne tout particulièrement votre vivacité d'esprit et votre verbe acéré ! Vos insultes, plus tôt, ont faits mouche ! Il m'était difficile de ne pas laisser tomber le masque, tant j'ai failli céder face à vos pitreries ! "Sale bâtard édenté !" »

Et malgré sa prévention passée, il dépassait Gyrès en direction des entrailles de la ville, ignorant les cinq corps gisant dans leurs entrailles derrière eux, secouant son épée sur laquelle le sang commençait à sécher. Un nouvel éclat de rire, alors qu'Hector articulait péniblement.

« Vous m'avez servi d'appât pour débarrasser le Labourg de ces scélérats, car puisque ma Dame n'attendait rien de vous en retour, j'ai pris le loisir de vous faire payer un prix. Somme toute, nous obtenons tout deux notre dû ; je vais vous accompagner jusqu'à votre livre, Comte. Dites-vous que pour la première fois depuis votre arrivée ici, vous avez contribué à la sauvegarde des hommes que vous méprisez tant ! Je dois admettre que pareilles péripéties à vos côtés obtiennent un côté lyrique dont je ne lasserai jamais ! Allons, secouez vos braies pour évacuer votre honte, et pressons le pas ! »

Car le dégénéré Dartigau semblait bien décidé à arpenter les bas-quartiers en secouant son épée sanguinolente et en grognant, comme l'avait suggéré plus tôt de Boétie. Un animal sous tous ses aspects, qui s'était débarrassé de son étiquette lorsque celle-ci s'était noyée dans le sang et sa morbide extase.

Après tout, ne peut prendre offense que ce qui peut s'en défendre.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptyJeu 26 Mai 2022 - 12:12
"Alors se turent les mâchoires laineuses

du nocher du marais livide,

qui avait les yeux cerclés de flammes."



Qu’elle ne fut pas ma surprise, et mon angoisse, lecteur, lorsque j’entendis le chevalier me parler avec une telle véhémence ! Moi qui le croyait mutique, je ne pouvais qu’être étonné face à une telle verve, que je n’avais point soupçonné. L’homme, au vue de la violence de ses propos, ne me portait décidemment pas dans son cœur. J’avais du expressément l’exaspérer pour qu’il se permettre telle attitude. Désormais, je craignais que, d’un coup de poing colérique, il ne m’ouvre le crâne et ne déguste ensuite mes entrailles.

S’approchant de moi en adoptant une posture intimidante, ce qui ne me manqua pas de me faire frémir, le paladin me crachait au visage tout son soûl, m’assénant son implacable rhétorique empreinte de rancœur. Il joignait son discours de grands gestes passablement menaçants, me forçant à reculer pour ne pas prendre de coups malencontreux. Son rire glauque et étouffé, qui le coupa un instant dans sa logorrhée, m’effrayait.

Néanmoins, ses mots, bien qu’emplit d’une agressivité sans pareille, avaient, je le reconnais, un fond de vérité. En effet, grâce aux remontrances du paladin de Rikni, je mesurai à présent pleinement la vanité de ma quête. Je ne pouvais décemment pas éclipser de mon esprit le carnage s’étant produit sous mon regard, et, pourtant, je n’avais d’yeux que pour un livre chimérique, dont l’existence n’était même pas attesté, faisant abstraction en mon esprit du charnier auquel je venais d’assister. Peut-être que Dartigau avait raison, malgré ses dures palabres : moi qui méprisait ostensiblement mes semblables, j’étais tout aussi hors-sol et vaniteux qu’eux.

Mais, aussi juste que puisse être son discours, et aussi terrifiant pouvait il lui-même être, je n’allais pas rester coi face à ce déferlement d’insanités proférés par le Chevalier fou. Tu ne me connais que trop, lecteur, pour le savoir : ma fierté excessive m'empêche d'accepter aussi passivement les sermons et les psalmodies de qui que ce soit, fusse t-il de Rikni en personne.

« Eh bien, Dartigau, quelle éloquence ! Quelle ferveur ! » répondis-je narquoisement, en clapotant dédaigneusement dans mes mains. « Vous voulez du lyrisme, je vais vous en donner ! Moi qui vous prenait pour un barbare décérébré, je vois que vous savez cogiter et habilement déclamer. Malgré tout, prenez-garde à ne point vous étouffer, car il me semble que vous gosier n’est que peu habitué à articuler plus qu’une poignée de phrasées. Comptez les rimes, comptez les alexandrins, ô vous, maudit insolent et fieffé gredin ! »

Sans savoir pourquoi, ni comment, alors que j’aurai du faire preuve d’un peu plus d’humilité face à cet individu bestial irraisonnable et irraisonné, ne serait-ce que pour sauver ma vie et mon âme, je ne pouvais garder mon calme face à ce corniaud dépourvu de toute forme de culot.

« Mais ne jouez pas avec moi le défenseur de la veuve et de l’orphelin (et cessez d’agiter votre doigt crasseux sous mon nez ! Est-ce là une manière de s’adresser à quelqu’un ?) ; je me passe de vos remontrances et de vos blâmes, vous qui de la bête, plus que de l'homme, tenez l'âme ! J’ai vu le plaisir orgasmique que vous avez pris à massacrer ces malheureux, sans éprouver ne serait-ce qu’une once de pitié, même lorsqu’ils vous suppliaient ventre à terre de leur pardonner. Vous ne valez pas mieux que ces inquisiteurs qui brûlèrent des villages entiers sous prétexte d’impiété, car de pauvres paysans osèrent se servir dans les provisions que le curé de la paroisse locale gardait jalousement en son temple, tandis qu’eux crevaient de faim en plein hiver ! Cela vous va bien, de soulager votre conscience meurtrière en déclarant que vos victimes n’étaient rien d’autres que des hérétiques. Qu’en savez-vous ? Pensez-vous vraiment valoir mieux qu’eux, vous et vos sacro-saints préceptes ? Ces hommes, que vous avez exécuté avec grande joie alors qu’ils mandaient misérablement votre clémence, n’avaient-ils pas une femme, des enfants à nourrir ? Une mère, un père ? Un frère, une soeur ? »

J’exultais désormais de rage, face à ce butor qui jouait aux donneurs de leçons, alors qu’il était encore couvert du sang de ses malheureuses victimes, et tremblait toujours d’exaltation. D’autant plus que le paladin, sans gêne aucune, avouait explicitement qu’il m’avait volontairement fait patienter, pour attirer à moi truands et tueurs.

« Mais monseigneur Dartigau se fout bien de tout cela, tant qu’il peut jouir en démembrant et en étripant de tristes sires ! Ah, mais en effet je ris, Dartigau ! Je me fends la poire, même, devant l’absurdité de votre cause, et face au culot qui est le vôtre ! Et, surtout, devant le pathétique de la présente situation ! Vos préceptes ne que des prétextes permettant de vous faire à la fois juge et bourreau, et de cacher derrière le signe de la Justice toute la sauvagerie qui est la vôtre, maudit cuistre ! Maintenant que je vous ai payé votre droit de passage, démoniaque nocher naviguant sur le fleuve des Enfers, transportant les vivants vers la mort sous le signe de l’arbitraire, peut-être pourrons nous y aller ? Ou voulez-vous, devant vous, encore agiter inlassablement votre épée ? Peut-être maniez vous en expert la rapière, mais vous tenez plus du vil malandrin que du noble spadassin. »

Sans l’attendre, je partais, furibond, droit devant moi, laissant dans mon dos le carnage sanglant dont s’était repu le chevalier malfaisant. Lui-même ne réagit pas, pris de court par ma réaction. Que la peste emporte cet animal vorace ! Que le psittacose étouffe cet éhonté rapace ! Peut-être allais je au-devant de menus ennuis, mais je ne pouvais supporter davantage pareil compagnie.

« Je pars, Dartigau. Si vous voulez bien me suivre… A moins que vous préfériez expliquer à la baronne ma soudaine disparition, et affliger son cœur d’affliction ! »

J’arrêtais l’espace d’un instant mon pas, afin d’asséner une dernière tirade :

« Néanmoins, je tiens à reconnaître que vos mots m’ont touchés et fait réfléchir. Pour cela, bien que vous êtes un infâme malappris, platement, je vous remercie. Et vous avez gagné mon respect à défaut de ma sympathie, chose qui n’est point donné à n’importe qui. »


J’avançais désormais seul vers l’obscur.







Dernière édition par Gyrès de Boétie le Jeu 26 Mai 2022 - 20:58, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptyJeu 26 Mai 2022 - 20:54
L'hilarité sardonique du Chevalier accompagnait la réplique acerbe et étrangement mélodieuse de son associé d'infortune. Son éclat, antithétique avec la funeste icône de destruction qu'il incarnait, se réverbérait autour de lui comme une cacophonie dissonnante qui alimentait d'autant plus le rire exubérant d'Hector, qui trottinait pour rejoindre le Comte sans parvenir à se résoudre au silence. Abandonnant derrière eux les cinq carcasses massacrées sans aucune once d'intérêt, le Pénitent rejoignait son voisin en secouant toujours son épée autour de lui, sa crise de démence inhibant étiquette et concepts sociaux les plus primitifs.

« Vous êtes si adroit avec le verbe, Monseigneur ! Je ne cache même plus mon admiration ! Je n'en attendais pas moins, et je suis pourtant fendu d'un rire tel que je n'en ai plus connu depuis la Fange ! Merci, Comte de Boétie ! N'ayez crainte, je n'ai qu'une seule parole pour les fidèles de la Trinité, plus de ruse, de menace, ou de mélange meurtrier de ces deux concepts ! »

Pourtant, le colosse d'acier ricanait toujours, conscient d'avoir peut-être atteint en son coeur un Gyrès qui, à défaut de modifier son comportement, il savait capable d'écrire sur le sujet. Quel genre de réaction pourrait-il en tirer ? Qu'obtiendrait-il de sa part, à terme ? Rikni, si médusée par la scène, devait au moins s'être vue arracher un sourire pour l'occasion. Pénitent, bras armé, apôtre ou bouffon, qu'elle le considère comme bon lui semble, sa simple attention était suffisante pour l'épanouissement du Sans-Visage qui, enfin, retrouvait son calme malgré sa respiration sifflante. Ses reins étaient sciés par le rire qui s'était évaporé - avec toute trace de vie dans le quartier, à mesure qu'ils s'y étaient enfoncés, déambulant comme deux conquérants dans une cité abandonnée -, mais Dartigau retrouvait sa fière démarche empreinte d'une lourdeur massacrante qui n'avait, désormais, plus rien de métaphorique. Sa lame courte frôlait le sol, n'ayant même pas pris la peine de l'essuyer, silencieuse chappe de menace qui planait autour du binôme comme une ultime mise en garde pour les individus suffisamment désespérés. S'il compatissait - à vrai dire, l'empathie était un sentiment parfaitement étranger, mais au moins pouvait-il s'en convaincre - à la famine qui ravageait corps et esprit comme les trompettes de la ruine, sa mission était clairement définie, et sa Divine n'espérait de lui qu'un triomphe éclatant.

« Je vous épargne les réprimandes concernant les ignominies prononcées à l'égard de ma foi envers la Trinité, mais je n'oublierai pas de vous ajouter à mes litanies et cantiques. Je trouve notre alchimie singulière, je dois bien l'admettre ! J'espère, d'aventure, que vous supplierez mes services à ma Dame à nouveau. Oh, les péripéties qui nous attendent, sous le prisme de Gyrès de Boétie ! »

Nouveau ricanement qui n'était pas sans évoquer celui d'une hyène charognarde festoyant sur les tripes d'une dignité piétinée, à mesure que les ruelles s'élargissaient malgré la nature délabrée des édifices. Les iris orageux du Chevalier labouraient les culs-de-sacs et rares visages exposés, une lueur de défiance imprégnant celle de cruauté qui régnait déjà en maîtresse dans les saphirs céruléens. Il se surprit à marcher aux côtés d'un Comte fulminant, aussi amusé par la tournure des événements que sincèrement épris pour la personnalité chatoyante de sa victime psychologique, contrainte de subir les élans frénétiques et crises de démence de son protecteur d'un jour. Ce dernier avisait les enseignes en décomposition, suspendues par des chaînes craquelées qui les reliaient aux poutres de bois rudimentaires élevées pour être reconnue - comme le bras tendu d'un survivant proclamant son existence à un monde le persécutant. Enfin, il s'immobilisait, avisant une grossière sculpture de livre qui était hantée par le spectre d'une vie d'antan, balottant au gré d'un vent encore chargé de l'odeur des viscères de la vermine pourfendue.

« Ce ne serait pas l'échoppe du receleur que vous cherchez, par hasard, mon bon Comte ? »
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MessageSujet: Re: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptyVen 27 Mai 2022 - 21:07

« Maintenant il s’en va par une voie secrète, entre les murs de la cité et les supplices, mon guide, et moi je vais sur ses talons. »



Il me faut avouer que j’étais rassuré de voir que le Paladin, ne prenant grief de mes propos, s’évertuait à me suivre, car, au bout de quelques pas seulement dans mon avancée solitaire, l’angoisse me reprit à nouveau. Parcourir ces rues poussiéreuses et malfamées seul, sans escorte, était un acte de folie. Qui sait quelle créature pouvait se terrer dans la pénombre de ces lieux oubliés et cachés ? « Quiconque s’enfonce dans le contraire du jour se sent le cœur serré ; quand l’œil voit noir, l’esprit se fait trouble ». Plus je cheminais, plus les ténèbres se faisaient épaisses.

Mais, fort heureusement, Dartigau me rejoignit assez vite ; je n’eus donc pas besoin de ravaler mon arrogance et de le supplier de m’accompagner jusqu’au bout de ma quête. Je n’étais cependant pas préparé à le voir aussi hilare, l’homme se tordant de rire dans tous les sens. Je ne savais s’il fallait considérer positivement ou non cette humeur si particulière et inhabituelle chez le Chevalier, qui riait aux éclats. L’écho de sa voix se répétait sur des lieux à la ronde, brisant le pesant silence de ces landes désertées. Son pas lourd et brut faisait trembler le sol, le Paladin soulevant sur son passage les pavés souillés d’excréments et de pourriture parsemant notre chemin.
Malgré tout, bien que je n'aurai pas pensé ça quelques instants plus tôt, je trouvais sa présence rassurante en la présente situation. Car nous continuons de nous engouffrer dans les entrailles ténébreuses et lugubre de la cité glauque, insouciants, errants en ces solitudes contiguës que l’on pourrait qualifier de limbes de Marbrume. Nous descendions, à chaque nouveau pas, un peu plus dans le ventre d’une quelconque déité infernale, l’antre d’Etiol même, qui broyait de ses mâchoires, tel un moulin à chanvre, les inconscients s’avançant en son sein. J'avais les membres ankylosés par les précédentes effarouchés et je me sentais épuisé. Malgré tout, il nous fallait continuer, nous qui touchions au but.

Dartigau ne cessait de rigoler et d’agiter frénétiquement son arme devant lui, étant encore à ce moment sous l’emprise de sa démence meurtrière. Je ne pouvais cacher mon exaspération face à ses gestes brutes et peu maîtrisés, ayant peur de perdre quelques membres dans l’affaire.

« Quand vous arrêterez de secouer votre épée dans tous les sens comme un chiard avec son sabre de bois, peut-être pourrons-nous avancer sereinement ? Car, vous m’en excuserez, mais j’ai peur de perdre une oreille ou une main avec vos incessants moulinets. »

Rien n’y faisait. Le vil chevalier continuait de ricaner de plus belle, ne cessant désormais de répéter inlassablement à quel point il m’appréciait. Nous étions étrangement devenu les deux meilleurs amis du monde à ses yeux rongés par la folie.

« Vous surestimez un peu trop votre compagnie, mon brave. Loin de vous supplier, je chercherais plutôt à vous fuir, à l’avenir. Diantre, pourquoi donc, mais pourquoi donc par les Trois, la baronne s’est-elle attachée les services d’un animal fou à lier comme vous ! Au moins, il est vrai qu’on ne peut pas dire que vous n’êtes pas efficace. »

Son rire était contagieux. Dans notre catabase vers l’Enfer, voilà que je sombrais moi aussi dans la folie. Mes digues mentales cédant à la fatigue, je ne pus m’empêcher d’éclater en rires amusés à mon tour.

« Aha, Dartigau, m'esclaffais je, moi qui vous prenait pour une brute sanguinaire affublé d’un parfait idiot, je dois avouer que vous ne manquez pas d’humour. »

Les silhouettes taciturnes des rares habitants que nous rencontrions semblaient se dissiper lorsque nous avancions. Les rares dont nous apercevions le visage arboraient une gueule cassée, rongée par la variole, le choléra ou la syphilis. Au vu de leurs expression craintives et haineuses, ils n’appréciaient pas beaucoup la venue d’étrangers en leurs contrées, n’aimant visiblement pas que l’on trouble leur solitude. Je devais d'ailleurs avoir piètre allure, les habits couverts de sang et la face barbouillé.

Nous débarquâmes dans une nouvelle allée, plus grande que les précédentes, faiblement éclairé par une lugubre clarté. Cette rue était une forme d’ensemble glacial, régulier, hideux, où le désespoir baillait. Partout des baraques et des plâtras, de vieux murs noirs comme des linceuls ; une monotonie décorative. En raison des ténèbres environnantes, le lieu semblait de prime abord glauque ; mais je n’osais m’imaginer la laideur que pouvait revêtir pareil endroit à la pleine lueur du jour. Partout, c’était obscur, fâcheux, mélancolique, blafard, fâcheux, sépulcral : j’avais l’impression d’être ainsi parvenu en un cimetière. La joie de vivre, ici-bas, n’existait pas ; il n’était que le rare privilège des heureux élus de ma caste.

Dans la rue, des enfants, groupés tumultueusement, allaient pieds nus, fétides, boueux, poudreux, dépenaillés, hérissés, jouant à la pigoche couronnés de bleuets, chantant ingénument leur répertoire de chansons malpropres. Parmi-eux, l’on pouvait distinguer quelques filles laides, maigres, fiévreuses, gantés de hâle. Le Labourg ; voilà pour ces enfants toute la terre. Jamais ils ne se hasardent au-delà. Une contre-société, évoluant en marge du reste de la populace. Ils sont là, ou pour mieux dire, ils existent là, loin de tout regard.

« Un lieu habité où il n’y a personne, un lieu désert où il y a quelqu’un », marmaonnais-je.

Regardant à l’intersection le nom de l’avenue dans laquelle nous nous engagions, je pus voir qu’il s’agissait de la « Rue des Potiers ». De ce que je savais, le bouquiniste que nous cherchions habitait dans les parages, ancien quartier des maître potiers de Marbrume il y a de cela des siècles.

Une bise glaciale s’élevait, me faisant frémir. Le froid de la nuit, à défaut de la chaleur du jour, parvenait à s’immiscer en ces délabrés faubourgs. Nous touchions à la fin du voyage, et il ne fallait tressaillir davantage.
Alors que je parcourais du regard les abris (car l’on ne pouvait décemment pas qualifier ces bâtiments des « maisons ») composant la sinistre rue pour trouver la librairie tant recherché, Dartigau me désigna du doigt une triste bâtisse grise, coincé, ou plutôt écrasé, entre d’autres bâtisses de pierres sombres. Une pauvre enseigne aux inscriptions illisibles pendait misérablement au-dessus de son entrée ; l’on y lisait difficilement, en plissant fortement les yeux, « Chez Blaurus, libraire[ ». A côté de la « porte » (si tant est qu’une planche de bois usagé puisse être appelé une porte), une triste fenêtre couverte de poussière laissait mollement transparaître une faible lumière, trahissant la présence d’un individu au moins à l’intérieur. Les abat-jours horizontaux y manquaient ça et là, et étaient naïvement remplacés par des planches clouées perpendiculairement.

« C’est bien là », dis-je à l’adresse de mon compagnon d’infortune. « Je dois néanmoins vous prévenir, Dartigau : l’homme détenant cette boutique est un ancien de la haute, tombé en disgrâce et excommunié des beaux quartiers par le Clergé car il se prêtait volontiers aux arts occultes. Je sais très bien que tous ceux que vous soupçonnez vaguement d’impiété ou d’hérésie sont directement passés au fil de votre espadon, quand vous ne leur écrasez carrément pas le crâne de votre talon, mais je vous prierai, pour cette fois, de faire preuve de retenue. Ais-je votre parole ? Le jurez-vous sur Rikni ? »

Le Paladin secoua mollement la tête en guise d’acquiescement. Hélas, je devais m’en contenter, car je n’avais que peu de moyens de pression à ma disposition pour tenir en laisse le carnassier mâtin. Je m’en tenais donc à cette réponse favorable, certes assené de manière peu enthousiasmante ; mais j’espérais que Dartigau tiendrait malgré tout parole, lui qui prétendait être un homme de foi.

Nous entrâmes alors dans la ténébreuse masure, poussant la « porte » qui plia immédiatement sous la pression légère de mes doigts. Une odeur pestilentielle de renfermé vint boucher mes voies respiratoires l’espace d’un instant ; mais habitué comme je l’étais désormais à l’odeur de Dartigau, je n’eus guère de mal à retrouver mon souffle.

« Bonjour ? Y a-t-il quelqu’un ? » m’écriais je pour alerter de notre présence.

Ne recevant nulle réponse, je décidais de franchir le seuil et de m’engager dans la bâtisse. Le parquet d’un noir peu rassurant craquait sous mes pas, et semblait manquer de céder à chaque avancée de Dartigau. Ne parvenant pas à distinguer grand-chose dans la nuitée, nous nous approchâmes de la seule bougie de la demeure, assez étroite, situé à quelques pas. Je manquais plusieurs fois de trébucher, butant ou heurtant ça et là étagères ou objets étranges posés par terre. Mes yeux s’habituant progressivement à l’obscurité, je distinguais désormais les horreurs savamment entreposés sur les murs : crânes d’animaux en tout genre, dont certains à l’allure bien exotiques, bocaux abritant yeux et viscères (d’hommes ou de bêtes, je ne tenais guère à le savoir), curiosités d’un genre particulièrement dérangeât . Je manquais de pousser un cri d’effroi, lorsque j’entendis une voix caverneuse face à moi :

« Qui est là ? Qui s’avance donc ainsi en mon antre ? »

Saisit un moment par la peur, je bravais ma crainte en répondant d’un ton calme et posé :

« Messire Blaurus ? Pardonnez moi cette intrusion, mais j’ai entendu dire que vous déteniez en votre charmante boutique un ouvrage bien rare. »

Un long silence se fit entendre. Je n’osais plus rien dire, de peur d’offenser le maître de céans. C’est alors que je vis, à la clarté de la bougie, un homme de taille moyenne, marchant recroquevillé, couverts de bandages et le visage balafré, s’avancer vers nous. Individu hideux, qui semblait avoir été homme à une époque désormais lointaine. Il nous dévisageait tous deux, moi et Dartigau, d'une mine inquiétante.

« Peut être bien. Avez-vous de quoi payer ? »

« Il se pourrait. Pourrais-je d’abord voir l’objet de mes recherches et de ma descente en ces lieux peu choyant ? »

L'étrange individu poussa ce qui s’apparentait à un grognement, puis de plus en plus à un rire gras et sarcastique.

« Vous êtes un sang-bleu, n’est-ce pas ? Je vous félicite d’être parvenu jusqu’ici sans encombre ; rare, très rare sont ceux à avoir accomplit cet exploit. Et cela faisait longtemps que je n’avais pas parlé à quelqu’un de mon rang, entouré que je suis toute l’année de gueux et de cul-de-jattes ».

L’homme avait la critique facile pour le bas-peuple, lui qui ne ressemblait pas à grand-chose non plus. Au moins s’était-il adapté à son milieu pour passer inaperçu.

« Je reviens avec ce que vous cherchez. Attendez-moi ici un instant ».

Le bouquiniste estropié s’en alla à nouveau dans les ténèbres, nous laissant seuls, moi et Dartigau, dans le noir.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptyLun 30 Mai 2022 - 21:26
Sa férocité débridée remplacée par une apathie hilare perceptible, Hector n'adressait qu'un signe de tête à son voisin pour spécifier son accord, quand bien même le seul terme d'occulte avait suffit à lui hérisser le poil. Fort heureusement, le bain de sang encore frais dans sa mémoire suffisait à tarir ses élans zélés et ponctués de litainies de haine, ainsi se pensait-il apte à offrir un quelconque solace à leur hôte dans l'attente d'une inexorable future descente dans les entrailles de la cité, où il viendrait ravir l'apostasie qui s'était terré dans une librairie. Ainsi, le duo s'enfonçait dans l'antre putride abritant un mal, si d'air inoffensif, probablement tout au plus insidieux. A l'instar du Comte, le Chevalier ne frémit pas lorsque les putrescents signaux olfactifs se frayèrent un chemin à travers le carcan métallique incarné par l'odeur du sang et celle, plus salé et fugace, de sa transpiration, sudation suscitée par la sommaire exécution des blasphémateurs.

Mollement, le Chevalier s'enfonçait dans la bâtisse, le plancher miteux craquant sous ses solerets de plaque, la pointe de sa lame frôlant les lattes noircies par la pourriture exécrable qui y résidait - y discernant là un signe de corruption, d'impiété évidente. La chaleur se propageait dans son thorax encore contrit des coups reçus durant la mise à mort des brigands, ses iris orageux scrutant la semi-pénombre ambiante. Incisif, il rendait leurs regards furibonds aux abominations décrépies entreposées sur les multiples étagères, qu'elles flottent dans un liquide ou qu'elles ne prennent la poussière, persuadé que les démons y furetant craignaient la présence vertueuse s'imposant dans la masure tordue. Arpentant la pièce, la lame courte se redressa légèrement, dans un réflexe martial à la célérité inquiétante, alors qu'enfin le teneur de la boutique se manifestait face à eux. La voix du Comte suffit néanmoins à braver l'élan assassin du Chevalier qui retrouvait une posture passive alors que l'abominable Blaurus se dessinait. Plus hideux encore que le Sans-Visage, l'amas ratatiné de chair grotesque peinait à se déplacer, sa colonne vertébrale tordue semblant presque céder sous le poids de ses péchés, ses lèvres boursouflées et fendues suffisant à Hector pour qu'il ne retrousse ses propres lippes, comme un limier qui gronderait à l'égard d'un concurrent.

L'affreuse sonorité s'apparentant à un rire - peu théâtral, loin du sardonique du Chevalier en pleine boucherie - força Dartigau à se crisper, son souffle nasal franchissant le couvert de son ventaille comme une bise chargée de tension avant un orage. Enfin, la vermine à l'arrogance aussi déplacée que son échine dorsale délocalisée sur l'hémisphère droit de son dos leur épargna sa présence, disparaissant dans la pénombre sous-jacente qu'il semblait se plaire à entretenir dans sa putride demeure. Sans doute le Pénitent n'aurait-il pas ressenti un tel mépris à l'égard du cafard humanoïde, si ce dernier avait appris de sa chute vers la plèbe à faire preuve de respect envers pairs et compatriotes. Lui, qui se sentait pourtant étranger même parmi sa propre famille, étant après tout capable de guerroyer pour protéger les serviteurs de la Trinité, loyaux, faibles et innocents sans distinction. Ou s'en était-il persuadé, à mesure qu'il avait découvert son addiction au carnage ? A mi-voix, Hector vociférait, non sans conserver son hilarité euphorique de plus tôt qui rendait presque la déclaration jubilatoire.

« Il s'agit très clairement d'un hérétique, vous vous en doutez. Mutilations, dons de son corps à l'occulte... Si ce n'était pour vous, mon bon Comte, vous vous doutez que je serai déjà en train de lui arracher la tête pour jeter sa carcasse vérolée aux rats qui prolifèrent dans l'obscurité, j'espère. »

La quasi-totalité de la déclaration s'était produite alors qu'il faisait volte-face, conservant néanmoins le fond de la bouteille à la limite périphérique de son champ de vision, lame maculée de sang séchée toujours ancrée dans sa dextre. Après tout, même si Gyrès ne l'en sommait pas, l'apostat n'était qu'à quelques minutes du trépas - ou quelques jours, lors de sa prochaine patrouille dans ces bas-fonds corrompus.
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MessageSujet: Re: [Terminé] Au cœur des ténèbres   [Terminé] Au cœur des ténèbres EmptyMar 31 Mai 2022 - 14:10
« Je pense plutôt que ses mutilations sont dû à son passage à la question, mon cher Dartigau, plus qu’à son attrait prononcé pour les arts sombres. Vous savez, vous n’êtes pas le seul tortionnaire fanatique à sévir en ces murs ; c’est même le métier de certains. Imaginez un peu l’avenir radieux qui s’offrirait à vous si vous décidiez de vous régulariser, et que vous intégriez les rangs des inquisiteurs du Temple ! Vous serez rémunéré pour vos méfaits, et l’on vous offrirait même une armure toute neuve, scintillante de propreté. Vous pourrez enfin vous débarrasser du tas de métal rouillé que vous trainez sur vous en alliant ainsi l’utile à l’agréable. N’est-ce pas tentant ? »

En guise de réponse, le Paladin fou se contenta de rester quiet. C’était sans aucun doute un solitaire forcené, qui n’agissait que selon ses lubies, et l’idée d’être rangé dans la légalité devait profondément l’ennuyer. Dans sa démence, l’impression d’agir en justicier des bas-fonds, à la fois traqué par les criminels mais aussi par les forces royales, car profondément incompris dans sa noire croisade, devait être source de satisfaction. Être payé pour trancher des membres et perforer de la chair ? Quelle barbe ! Cela perdrait de son intérêt. Le Paladin n’est qu’un humble pénitent armé jusqu’aux dents, qui n’agit pas pour l’argent, mais au nom de sa déesse… Ou plutôt, pour satisfaire ses envies sadiques. Recevoir des gages pour son action serait une insulte à sa vocation, voyons ! Je pense plutôt, pour ma part, qu’être encadré par des lois, même maigres, freinerait sa folie, et par conséquent, le plaisir que le Pénitent retire de son activité sanguinaire.

« Mais je vous remercie de maîtriser ainsi vos pulsions, mon bon Dartigau, et, en plus, vous sacrifier ainsi pour mes beaux yeux ! Quel honneur ! Il resterait donc un semblant de conscience humaine chez l’animal enragé que vous êtes devenu ? », dis-je, taquin.

L’animal en question ne put s’empêcher d’effriter à nouveau son gosier dans un fou rire sardonique provoqué par mon trait teinté d’ironie. Bien étrange personnage que ce Dartigau ; alors qu’iil m’inspirait la terreur quelques instants plus tôt, je me retrouvais désormais à plaisanter sur un ton léger avec lui, comme si nous étions les deux meilleurs amis du monde, de vieilles connaissances liés par une complicité imbrisable. Coincé dans la galerie des horreurs en attente du retour de l’heureux propriétaire des lieux, détendre l’atmosphère me paraissait être un bien moindre mal pour passer le temps, mais je ne pouvais m’expliquer la sympathie que j’éprouvais pour le Chevalier noir en cet instant.

Scrutant l’obscurité pour distinguer ce qu’entreposait ainsi en son échoppe le besogneux, je ne pu que constater le foutras ambiant dans lequel vivait le noble reconverti. Ca et là étaient éparpillés babioles et fioles d’alchimies, livres ésotériques aux couvertures flétries, babioles illicites, étranges statuettes d’idoles mi hommes mi bestial que je ne parvenais pas à reconnaître… Tout ici semblait hurler « impiété », et je ne pouvais que sentir à quel point Dartigau tentait ardemment de se contrôler face à la débauche hérétique dans laquelle il avait mis les pieds pleins.

Soudain, j’entendis la jambe boiteuse du maître de céans traîner sur le parquet frétillant, acte annonçant son retour. Avait-il trouvé ce que nous venions chercher en sa triste demeure ? S’approchant à hauteur de la seule bougie posé sur ce qui lui servait de comptoir, l’homme et sa gueule hideuse de crapaud blâfard surgirent tous deux précipitamment dans mon champ de vision, déposant sur la table le lourd ouvrage qu’il avait dans les mains.

« Voici donc les Récits et Commentaires de Solaire de Ligefeu, une rareté en son état. Excusez-moi pour l’attente, mais mon arrière-boutique devient un vrai fourbi, et il m’est difficile de déblayer le passage avec mes membres débiles. Est-ce bien ce que vous veniez chercher, monseigneur ? », ponctua le sinistre libraire dans un horrible raclement de gorge.

J’acquiesçais promptement, trépignant d’excitation à l’idée de détenir pareil trésor. Moi, Gyrès de Boétie, mettre la main sur l’unique œuvre de Solaire de Ligefeu, le moine errant ! Une somme d’érudition, à porte de bras !

« Simple question sans importance, mais comment avez-vous acquis pareil œuvre ? », ne pus je m’empêcher de demander, tout en maintenant fixement un regard émerveillé sur l’œuvre en question.

De son œil erratique, Blaurus le déchu me toisa d’un air suspicieux, et me stoppa immédiatement dans mon avancée vers le comptoir.

« C’est une question sans importance, en effet. Mais Il nous reste une question à régler : nous n’avons pas parlé du prix, messire. Et c’est autrement plus important que de savoir de quelle manière j’ai fait l’acquisition de cette marchandise ».

Une marchandise ? Quel homme sot ! Réduire ainsi tel objet au rang de marchandise ! Le rabaisser au même rang qu’un vulgaire morceau de pain ! Malheureusement, outre mon indignation, il me fallait gérer une autre préoccupation, somme toute plus urgente : je me doutais fortement que l’escroc qui se prétendait bouquiniste allait tenter de m’arracher à prix d’or l’œuvre. Or, je n’avais pas sur moi plus de deux cents écus, un bien maigre pécule.

« Puis je d’abord vérifier l’état de la marchandise, avant d’émettre un prix ? »

Bien que son regard était teinté de méfiance, l’homme difforme m’invita d’un geste de la main à s’approcher du comptoir. Sur mon passage, je ne pus empêcher mon pied tremblant et pataud d’écraser ou de buter divers objets parsemés ça et là sur le sol ; assénant de timides « pardon » afin de m’excuser de ma maladresse, je pus enfin constater de mes propres yeux le livre du moine de Ligefeu. Sa couverture était d’un rouge ocre, brillant de milles feux, bien que sa flamboyance était atténué par la poussière accumulé au fil des ans, ornée de fils d’or sur son contour. Je pris délicatement le précieux livre entre mes mains, constatant au passage son poids (bons dieux ! Il devait peser une livrée au moins) ! Le feuilletant, je regardais ébahi les gravures soignées inscrites sur le papier jauni du manuscrit. L’ouvrage devait avoir au bas moins plus de deux siècles, et il avait traversé les âges pour se retrouver maintenant en ma possession, en ce lieu.

« Eh bien ? Combien en donnez-vous ? » insista d’un ton impatient le mutilé.

« Je peux vous en offrir… au vu de la qualité matérielle de l’œuvre, qui, franchement, laisse à désirer… disons… deux cents écus ? » osais-je, gêné, dans un souffle à peine plus fort qu’un murmure, tant j’avais honte de l’impertinence de mes dires.

Ce qui s’apparentait à un couinement offusqué fut la seule réponse de mon interlocuteur, qui paraissait s’étouffer dans son ricanement narquois.

« Ainsi soit-il, mon bon sire. Après tout, vous êtes bien la seule personne à me demander ce genre de babiole. Il n’y a bien que des sang-bleus comme vous et moi pour dépenser pareille somme en telle futilité broutillesque. Va pour deux cents écus. Votre venue en ces tristes lieux est une véritable aubaine pour mon négoce, et je salue votre courage. J'étais comme vous, auparavant, vous savez ; toujours en quête illimité de connaissances ; et regardez moi, aujourd'hui. Tout cela n'était que vanité. Prenez garde, néanmoins, à ce livre, qui ne contient rien d'autre que les mornes élucubrations d'un bien triste personnage ».

M’étais je fais enfler ou mon talent rhétorique de négociant avait-il suffit à convaincre le vieil homme estropié ? Il m’importait peu, sur le moment, tant j’étais ravi d’avoir conclut avec brio telle affaire. Je déposais ma bourse dans la main rachitique du libraire, et m’empressais de prendre l’ouvrage en mes dextres.

« Merci pour tout, messire, dis je à l’attention du maître de céans. Dartigau, nous pouvons y aller ; et cessez de racler le sol de la pointe de votre épée ! Vous êtes chez quelqu’un ! », tonnais je à l’encontre de l’impoli paladin.

Nous repartîmes donc sur nos pas, après que j’eus échangé un sourire poli avec messire Blaurus, qui, malgré son effrayante apparence, ne paraissait pas bien méchant. Des sueurs froides parcoururent néanmoins aussitôt mon dos, car je savais pertinemment que Dartigau, qui s’était montré bien calme durant la transaction, reviendrait un jour brûler l’échoppe, avant d’avoir passé au fil de l’épée son propriétaire. Il devait déjà méditer sur la manière dont il s'y prendrait, et sur le moment. Je le voyais déjà contempler de ses yeux fous les flammes dévorant l'antre du bouquiniste, et de se repaire des cris de douleurs émanant de ce dernier. N'avais-je pas condamné par mon égoïsme la vie d'un pauvre homme, que la vie avait déjà tant suppliciée ?
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