Marbrume


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 Un retour aux sources.

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Sixtine DeConquesPrêtresse apprentie
Sixtine DeConques



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MessageSujet: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptySam 21 Mai 2022 - 16:07
8 mars 1167.
Village de Conques.
Fin d'après-midi.


La journée n'avait pas été très agréable pour Sixtine.
Assise à l'arrière d'une chariote, elle avait été balloté tout le jour sur le chemin irrégulier et caillouteux séparant Marbrume du village de Conques. Pourtant, ce n'était pas ses fesses endolories et son dos perclus qui lui donnaient ce sentiment d'avoir passé une journée particulièrement longue et éreintante.

Sixtine n'avait jamais vu un Fangeux de ses propres yeux. Elle avait trouvé refuge à Marbrume avant que ces monstres ne parviennent à Conques et elle s'était toujours trouvée en sécurité lorsque ces engeances des marais avaient fait irruption dans la ville. Pourtant, le regard alerte de l'apprentie prêtresse a scruté le couvert des arbres toute la journée, angoissée qu'elle était de faire la rencontre de ces choses qui terrorisaient l'humanité depuis des dizaines et des dizaines de lunes maintenant. Les Dieux semblaient avoir de bien curieux projets pour la jeune femme, elle qui pensait ne jamais remettre les pieds au village de son enfance, elle qui pensait qu'elle resterait au sein de Marbrume jusqu'à la fin de ses jours.

Conques… c'est là qu'elle était née et qu'elle avait vécu une grande partie de sa vie. A quoi ressemblait le bourg aujourd'hui ? Celui-ci avait été abandonné plus d'un an aux Fangeux, avant que William Legrand ne fasse preuve de sa bravoure et ne reconquiert le territoire. Combien de maisons étaient encore debout ? Et la sienne ? La grande maison en plein centre du village, édifiée par Gurranq le bourgmestre, celui qui avait reçu des mains du Duc du Morguestanc le titre de banneret après avoir repoussé une bande de brigands assoiffés de sang et de richesse... était-elle toujours là, elle ? Sixtine n'était même pas sûre de s'en émouvoir mais elle repensa soudain à sa mère. La brune soupira et secoua doucement la tête. Non, elle devait garder l'esprit clair et ne pas se replonger dans ses tourments.

Les yeux gris sombre de Sixtine se posèrent finalement sur le jeune homme qui lui faisait face. Elle ne connaissait guère cet Amaury, bien qu'elle l'ait aperçu à quelques reprises au Temple lorsqu'ils étaient tous deux apprentis. La brune avait appris le matin même que le jeune homme avait été ordonné prêtre plus tôt dans l'année : cela ne l'avait guère étonnée, du peu qu'elle savait de lui car elle l'avait toujours vu absorbé par son travail dans la grande bibliothèque du Temple. Autant dire qu'elle avait été étonné de savoir qu'une mission attendait le jeune prêtre à l'extérieur et qu'elle avait été désigné pour le seconder. Était-ce une volonté des prêtres responsables de la faire sortir davantage du Temple ? Ce n'aurait pas été étonnant ; si Sixtine se pliait très volontiers à tous les travaux demandés par ses supérieurs, elle avait toujours fait preuve de plus de retenue lorsqu'ils lui demandaient de sortir des murs protecteurs du domaine religieux.

Tout de même, quel curieux compagnon de route elle avait là : il avait à peine décroché quelques mots bégayants au début de leur périple et, depuis, s'était tut. L'absence d'interaction était telle que Sixtine n'était même pas sûre de savoir exactement ce pour quoi on les envoyait tous deux à Conques avec dans les bourses assez d'argent pour pouvoir passer deux nuits à l'auberge.

« - Père Amaury, qui devons nous voir à Conques ? Pourquoi nous a-t-on réclamé ? »

Baste de ce silence gênant entre eux deux entrecoupés uniquement par les grincements de la carriole, les soupirs du canasson et les discussions des badauds qui les accompagnaient dans ce voyage. Sixtine souriait sincèrement à son interlocuteur : ce n'était pas dans ses intentions de lui faire peur mais ce jeune clerc donnait l'impression de pouvoir se faire manger même par un moineau.
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptyDim 22 Mai 2022 - 13:51

« Un retour aux sources. »
08 mars 1167

N’y avait-il pas un paradoxe à se sentir libre d’exister au sein de remparts inviolables ? Pouvait-on survivre emmuré ?
Quiconque voyait le jour au cœur de Marbrume le pensait sûrement, quoique la Fange et ses invasions sournoises eussent pu malmener ce postulat, jadis irrécusable. Quiconque naissait au-dehors, en des bourgades ou hameaux possédant pour seule limite cet horizon inaccessible recelant de contrées lointaines, terreau de l’imagination, ne pouvait que le nier. Pour ceux-là, le dernier bastion de l’humanité revêtait des allures de tombeau quand l’extérieur si chéri augurait un trépas certain. En découlait alors une triste vérité : vivre prisonnier ou mourir libre.

Les yeux clos, Amaury prit une profonde inspiration qui lui parut purifier l’air stagnant de la cité, trop longtemps inhalé. Peu lui importait la vulnérabilité du modeste convoi auquel il prenait part, la présence de quelques badauds et celle d’une prêtresse censée faire office d’assistante ou l’imminente proximité de leur destination ; pour la première fois depuis ce qui lui semblait une éternité, le religieux respirait de nouveau.
Fort mal reçue par ses pairs, son escapade improvisée au Labret lui avait valu d’être momentanément privé de tout ce à quoi il aspirait : la peinture et l’extérieur. Pieds et poings liés, l’ecclésiastique avait dû s’accrocher au maigre espoir de jours meilleurs pour endurer ce quotidien imposé – celui que l’on présentait volontiers comme la norme du prêtre respectable. Entre corvées, prêches et confessions, Amaury avait néanmoins pu compter sur quelques instants de répit pour parfaire ses connaissances ou en découvrir de nouvelles.

Ainsi, si le garçon s’était employé à prendre sur lui, à taire son besoin de liberté, afin de se voir officiellement consentir une mission par-delà les remparts, il n’avait assurément pas envisagé un déplacement à Conques. Comme le mois de mars s’installait, c’est en effet vers la fête des fleurs que semblaient se concentrer toutes les réflexions de la hiérarchie cléricale. Amaury guettait avec attention un appel au volontariat qui tardait encore.
Plus il y songeait cependant, plus le prêtre trouvait à cette expédition des allures d’épreuve plutôt que de récompense. Là où il avait d’abord discerné une concession de la part de ses supérieurs, entre les missions d’une fonction et les aspirations d’un individu, là où il avait cru deviner la reconnaissance de ce qu’il s’était convenablement comporté tout le mois de février, le garçon voyait désormais l’esquisse d’une expérimentation dont l’issue impacterait son cheminement à venir.
Du bon déroulement de cette mission à Conques dépendraient peut-être ses sorties futures.

Une détermination grandissante naquit de ces ressassements, repoussant l’homme de foi dans un mutisme toujours plus éloquent. Rien, des œillades ou des murmures, ne troubla une concentration accrue, accentuant bientôt le pli de ses sourcils froncés. Il fallut que son nom résonne pour l’arracher à ses réflexions dans un sursaut et une surprise manifeste.
Cette surprise, il l’avait déjà connue le matin même, lorsque l’un des prêtres responsables l’avait informé de la présence d’une apprentie pour l’assister. De quelques années son aînée, Sixtine lui avait paru immédiatement familière, sans que le garçon ne se l’explique d’abord. Il lui avait fallu quelques instants pour se remémorer de brèves entrevues au croisement de couloirs, en un temps où l’un et l’autre étaient encore en formation. Toutefois, si leur supérieur ne le lui avait pas soufflé, son prénom ne lui serait assurément pas revenu.

L’étonnement passé, la gêne prit aussitôt le pas sur ses émotions. Il y avait en effet, dans le regard et le sourire de son interlocutrice, quelque chose de trop sincère et familier pour qu’il n’en rougisse pas malgré lui, cependant qu’ils étaient si proches l’un de l’autre et entretenaient désormais les balbutiements d’une conversation. Afin de se ménager une contenance relative, Amaury reporta son attention sur le paysage environnant. Enroué par un silence prolongé, il s’éclaircit discrètement la gorge avant de daigner enfin répondre.

— J’ignore l-les raisons de notre dép-placement, confessa-t-il d’une voix difficilement audible, on ne m-m’a parlé que d’un r-rituel pour la f-famille Soileux, sans d-davantage de précisions.

Quoique perplexe devant ce mystère, Amaury devait bien admettre être fort peu au fait de la norme, en matière de mission extérieure. Était-il coutumier de garder ainsi le secret sur la nature de la cérémonie à accomplir, jusqu’à ce que les fidèles eux-mêmes l’exposent au prêtre chargé de la conduire ?

— Nous n-ne devrions pas t-tarder à arriver, annonça-t-il en levant les yeux sur les teintes crépusculaires du ciel, il s-semblerait que les S-Soileux nous accueillent ce s-soir, à l’auberge, af-fin de partager un rep-pas et nous exp-poser le but d-de notre venue. Le rite doit av-voir lieu demain.

À bien y réfléchir, Amaury connaissait tout de cette affectation, sinon son objet principal. N’était-il alors pas étrange qu’on le lui ait ainsi dissimulé ?
D’un lent mouvement de tête, il chassa ces questionnements et préféra se concentrer sur sa consœur. Un regard avorté vers elle le convainquit d’observer de nouveau les alentours.

— Ains-si, sœur Sixtine… Comment… Comment se d-déroulent vos ens-seignements ? Quand p-pensez-vous être ord-donnée ? s’enquit-il en tâchant de s’intéresser à son interlocutrice – sauf à ce que son seul dessein soit de détourner l’attention de lui, j’av-voue avoir été s-surpris d’ap-prendre que vous ét-tiez encore en f-formation. Est-ce v-votre première mis-sion en dehors de M-Marbrume ?
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptyDim 22 Mai 2022 - 16:59
Le prêtre mit un certain temps avant de répondre : d'abord surpris par la prise de parole de Sixtine, il se mit ensuite à rougir de manière quelque peu surprenante du point de vue de la brune. Il fallait dire que, tout au long de sa jeune vie, la demoiselle avait surtout connu des hommes très sûrs d'eux - enfin, surtout sûrs de leur statut et de leur domination sur la femme qu'elle était - et voir un représentant de la gente masculine paraitre intimidé par sa présence lui était tout à fait inédit. Bien que ne représentant pas le parangon de la virilité, les autres prêtres du Temple étaient pour la plupart nimbés dans une aura d'importance qui incitait au respect, ce qui n'était pas le cas d'Amaury. Non pas que Sixtine n'éprouvait aucun respect envers lui, bien au contraire, mais, étrangement, elle ne se sentait pas obligée de baisser le menton et de faire profil bas comme elle l'aurait fait devant n'importe quel autre clerc auquel il aurait fallu qu'elle s'adresse. Derrière l'étonnement, la brune appréciait curieusement d'avoir affaire à quelqu'un dont l'humilité ne semblait pas pouvoir être feinte.

Avec peine, le jeune prêtre lui avoua que lui-même ignorait les raisons de leur venue à Conques, seulement qu'ils devaient s'adresser à des membres de la famille Soileux une fois arrivés sur place.
Ce nom parla à Sixtine mais elle n'était plus bien sûre : était-ce la famille de tisserands qui avait vécu au Nord du village avant la Fange ? A moins que… s'ils devaient les rencontrer à l'auberge de la Vieille Branche - qui était le seul établissement du genre pouvant correspondre à Conques - peut-être s'agissait-il des taverniers ? La mémoire de l'apprentie prêtresse lui faisait défaut, d'autant plus que, même si elle avait grandi dans ce village, elle n'avait eu que peu l'opportunité de l'arpenter en long en large et en travers, muselée par son père comme elle l'avait été.
Les lèvres charnues de Sixtine se pincèrent en une risette un peu plus timide : qu'elle n'ait pas été mise au parfum de la cérémonie par son prêtre responsable, cela pouvait se concevoir ; mais pourquoi n'en avait-il pas informer Amaury ? C'était tout de même un peu étrange comme façon de procéder.

Un instant, la brune crut croiser le regard de son confrère mais celui-ci retourna à son observation de la nature environnante avant de la questionner un peu. Machinalement, Sixtine lissa le tissu de sa robe sur ses genoux.

« - Eh bien, tout se déroule à merveille selon moi. Pour ce qui est d'être ordonnée… je n'en suis pas encore bien certaine. Vous devez sûrement l'ignorer mais je suis entrée au service des Trois il y a seulement deux ans. Bien que je reçoive beaucoup d'encouragements de la part de nos prêtres supérieurs, je crains d'avoir encore beaucoup de choses à apprendre avant de pouvoir compter comme une de vos consœurs, Père Amaury. »

A l'issue de son entretien, les clercs l'avaient prévenu qu'il fallait compter au moins trois années avant qu'elle ne puisse intégrer pleinement les ordres en tant que prêtresse. Bien qu'elle voyait elle-même ses progrès au fil des semaines, Sixtine n'avait pas la prétention de pouvoir accélérer le processus et entendait travailler chaque jour nécessaire jusqu'à son ordination.

« - Il s'agit effectivement de ma première sortie de Marbrume… autant au nom du Temple que depuis… eh bien, depuis la Fange. »

Un petit frisson secoua ses bras et la brune laissa sa tête dodeliner quelque peu.

« - Si je ne savais pas Conques protégée par le nouveau bourgmestre, je ne vous cache pas que j'aurais eu toutes les peines du monde à quitter les bancs de notre Temple. J'ai appris… j'ose espérer ne pas être indiscrète… que vous aviez officié un temps au Labret. Ne craignez vous donc pas l'extérieur ? Vous êtes bien plus courageux que moi », rit doucement la jeune femme, sa bouche délicatement dissimulée derrière ses longs doigts fins.

William Legrand… le Roi lui avait délégué de grandes responsabilités, ce devait être un homme très occupé. Le verrait-elle au cours de son séjour ? La brune n'éprouvait aucun ressentiment envers le Roi et le nouveau bourgmestre de Conques : le premier n'avait fait que punir justement une personne qui avait abusé bien trop longtemps de son statut tandis que le second n'avait récupéré que la juste récompense à ses prises de risque et ses exploits. Sixtine était curieuse de voir celui qui avait reprit Conques aux griffes des créatures, celui qui avait réussi là où son père avait lamentablement échoué, là où il n'avait même pas essayé, trop occupé à s'empiffrer et à s'enivrer… mais elle avait une mission à mener avec le prêtre Amaury et elle ne s'en détournerait pas pour satisfaire sa petite curiosité.
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptyLun 23 Mai 2022 - 20:34

« Un retour aux sources. »
Puisant dans les récits de son interlocutrice un répit susceptible d’apaiser sa gêne, Amaury écoutait avec intérêt ce que lui livrait Sixtine. Maintenant qu’il s’y attachait enfin, relayant au second plan ses tourments et questionnements habituels, le religieux trouvait rassérénants les grincements de la chariote sur le chemin accidenté, les murmures timidement échangés entre une poignée d’étrangers, le défilé quasi régulier des arbres qui les encerclaient, le bruissement léger d’un vent tiède de fin de journée.
Avant même qu’il ne le réalise, cette berceuse naturelle avait endormi son agitation pour ne laisser plus planer qu’une certaine forme de quiétude.

Sans hésiter, cette fois, ses iris céladon s’ancrèrent aux prunelles de la prêtresse à l’instant d’évoquer la Fange. Sixtine avait-elle souffert du fléau ? Qui, sinon lui, avait été épargné ?
L’attention de nouveau portée sur le paysage, les sourcils de l’enlumineur prirent un pli sérieux à l'évocation du Labret. Non content de constater que sa stratégie s’était avérée vaine, cependant que le sujet revenait à lui, Amaury réalisait combien les rumeurs pouvaient déformer la vérité.

— Je n-n’ai pas...

De lui-même, l’ecclésiastique s’interrompit. Il n’avait pas officié sur le plateau, mais s’y était réfugié en avançant ce prétexte aux locaux. Était-ce toutefois là, la version que ses supérieurs avaient préféré livrer aux autres clercs et apprentis ? Un service momentanément concédé à Usson pour ne pas inspirer la rébellion dans le cœur des plus vaillants ?
Empreint d’une soudaine mélancolie, le regard du garçon s’échoua sur le plancher de la charrette.

— Il n’est de c-courage qu’en ceux qui, vol-lontairement, ont choisi de r-réinvestir le Labret pour y vivre, p-point en ceux qui y ont été dép-pêchés par la force ou p-par leur fonction. Malgré vos craintes et r-réserves, vous v-vous y seriez p-probablement rendue comme m-moi, sœur Sixtine.

Il lui semblait qu’une éternité riche de questions et d’inquiétudes s’était écoulée depuis sa fuite improvisée. Souvent, le garçon songeait aux Labrétiens rencontrés, priant pour que les Dieux les protègent des assauts réguliers de la Fange, sans jamais avoir la certitude d’être entendu et exaucé. Faute d'avoir eu l'audace d'envoyer une lettre, il envisageait alors, selon son humeur, tantôt le pire, tantôt le meilleur.

D’un bref mouvement de tête, le religieux chassa ses appréhensions. Se torturer ainsi l’esprit ne l’avancerait en rien.

— Je ne d-désespère pas d’y retourner un jour. L’air y est l-là-bas moins… étouffant, c-comme on me l’a si j-justement fait remarquer, se remémora-t-il dans un demi-sourire, qui s-sait ? Peut-être à l’occasion de la f-fête des fleurs. T-toujours est-il que si vos p-peurs s’apaisent en présence d-d’un bon administrateur, je vous c-conseille Usson, à l’occasion. C’est un joli vil-lage et le Comte de Sabran s’emp-ploie à préserver ses gens de la moindre m-menace. Le chemin pour s’y rendre est plus long et ép-prouvant, mais… j’aime à croire qu’il en v-vaut la peine. Pour ma part, je ne regret-te rien, avoua-t-il en levant enfin les yeux sur son interlocutrice, se déplacer hors des r-remparts apparaît plus difficile, à présent, mais p-pour avoir été formé sur les routes, je n’en tire auc-cune crainte. Pas plus qu’en la cité, à t-tout le moins. Après tout… la Fange est p-parvenue à s’y infiltrer.

Posées sur ses genoux, les mains du prêtre s’y unirent finalement, comme pour marquer la solennité de ses allégations. D’une manière somme toute brutale – il en convenait volontiers –, Amaury cherchait toujours à relativiser cette invulnérabilité que semblaient inspirer les remparts de la ville. Sans avoir assisté au déroulement tragique du couronnement du Duc, le religieux restait convaincu que cette prétendue impunité se trouvait à l’origine du drame.
Dresser un mur, fût-il immense, ne causerait jamais la disparition du monde par-delà. Trop souvent, les Marbrumiens l’oubliaient pourtant, quand les habitants des villages environnants côtoyaient cette évidence au quotidien.

Les paupières closes, l’enlumineur soupira discrètement, avant de préférer à la Fange un propos moins délicat.

— Je n-ne suis probablement pas le plus ind-diqué, mais si la c-cérémonie de demain vous inspire des qu-questions, n’hésitez pas à me les p-poser. Qu’il s’agisse du rituel ou d-d’autres sujets religieux, d’ailleurs, ajouta-t-il en reportant son attention sur Sixtine, l’ap-prentissage de la prêtrise est l’af-faire d’une vie, selon moi. P-par exemple, mes connaissances en mat-tière de soins restent perf-fectibles. Si nos supérieurs se m-montrent confiants quant à v-vos progrès, ayez donc f-foi en leur jugement, l’encouragea-t-il dans une ébauche de sourire, la d-durée des ens-seignements dépend de la d-détermination et des f-facilités de chacun. D-du reste, pour la m-maturité qu’il ap-porte, l’âge est un f-facteur crucial. Vous av-vez ainsi toutes vos ch-chances d’être p-pleinement intégrée dans nos rangs d-d’ici peu.

Désireux d’appuyer les efforts de la jeune femme, le garçon s’était employé à énoncer un état de fait, sans réaliser ce que l’expérience, tirée d’un âge plus avancé que le sien, pourrait insinuer. Et tandis qu’un raccourci malheureux laisserait entendre que, parce qu’elle serait supposément vieille, Sixtine pourrait être prochainement ordonnée, le rouge teinta les joues du religieux.

— C-ce n’était p-pas une c-critique ! se défendit-il aussitôt, seulement… un c-constat.

Les poings du prêtre quittèrent alors le foyer de ses genoux, ses doigts s’étirant bientôt sur ses paupières pour les frotter. Pourquoi ne parvenait-il pas, au quotidien, à s’exprimer aussi aisément que lors des confessions qu'il recueillait ?


Dernière édition par Amaury le Sam 13 Aoû 2022 - 7:12, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptyMar 24 Mai 2022 - 1:11
Lorsque Sixtine évoqua le Labret, elle vit que le sujet tirait quelque souci à son interlocuteur. Avait-elle bien fait de parler de ce que certains parmi les clercs dont elle avait inopinément entendu les murmures avaient vu comme une entreprise louable mais risquée de la part d’un des leurs ? Finalement, lorsqu’Amaury reprit son hésitante parole, c’était pour réfuter ce que l’apprentie avait interprété comme étant du courage, y voyant plutôt un devoir auquel il a simplement répondu. Les lèvres de la brune se pincèrent à l’idée qu’on aurait pu lui demander de rejoindre le Plateau en lieu et place des bancs du Temple. Le Père Amaury semblait avoir tout de même vécu une expérience enrichissante là-bas, de l’autre côté des marais, car, par la suite, il évoqua le village d’Usson en des termes fort élogieux qui intriguèrent son auditrice.

Sixtine fut intérieurement étonnée d’apprendre de la bouche de son vis-à-vis que celui-ci avait fait ses classes en nomade. Elle savait cela possible mais elle qui ne l’avait toujours croisé qu’à la bibliothèque du Temple… sa surprise put se lire sur ses épais sourcils haussés mais ces derniers se renfrognèrent aussitôt à la mention des introductions de la Fange en Marbrume.
L’apprentie prêtresse se tortilla un peu sur son assise, tant pour soulager ses articulations endolories que pour essayer de contenir la gêne inquiète que faisait remonter chez elle ces souvenirs déplaisants. La jeune femme voyait en quoi son confrère avait raison mais la craintive demoiselle qu’elle était ne pouvait s’empêcher de se sentir plus à son aise entre les quatre murs du Temple et, a fortiori, de la ville, plutôt que progressant sur un chemin de terre s’enfonçant dans la vaste forêt du Morguestanc. Pourtant, elle n’allait pouvoir se voiler la face beaucoup plus longtemps : des gens vivaient en dehors de Marbrume, autant de braves âmes qui méritaient qu’on fasse attention à elle et que les clercs se déplacent jusqu’à eux pour les guider dans leur profession de foi.

Lorsqu’Amaury se proposa de répondre aux éventuelles questions que Sixtine pouvait se poser quant à la cérémonie qu’ils allaient présider le lendemain, la jeune femme hocha la tête, un nouveau petit sourire aux lèvres. C’était pour cela qu’on l’avait envoyé auprès du jeune homme après tout : peut-être avait-elle suffisamment de jugeote pour ne pas être un poids mort mais il lui restait encore bien des choses à apprendre et aller sur le terrain était une façon de procéder comme une autre, peut-être même plus formatrice de par son côté ‘manuel’.
Avec la même modestie qui le caractérisait depuis le début de leur échange, Amaury reconnut avoir encore des lacunes malgré le fait qu’il n’était plus apprenti, notamment en ce qui concerne la médecine. Sixtine soupira intérieurement en repensant aux enseignements des prêtres soigneurs qu’elle avait toujours eu grande peine à suivre et, surtout, au 1er mai 1166. Paradoxalement, la maladie l’avait sauvé ce jour-là : tout ce qu’elle avait vu de l’horreur fut ces blessés qui étaient parvenus à se trainer jusqu’au Temple, ces réfugiés rampant aux pieds des statues des Trois, ces naufragés en quête de réconfort et de réponses. Alors elle avait essayé de prêter main forte à ses collègue malgré la fièvre, la nausée et l’angoisse mais il n’avait pas fallu deux heures avant qu’elle ne retrouve son lit, trop éprouvée par l’effort et la vision de tant de pauvres hères meurtris dans leur âme et dans leur corps.

Sixtine cilla plusieurs fois lorsque, rouge comme une pivoine, Amaury se défendit précipitamment. La jeune femme, surprise, étouffa un nouveau petit rire derrière sa main : pensait-il l’avoir offensé ? La brune n’avait pourtant rien entendu de bien licencieux. Elle avait bien du mal à croire que ce prêtre qui avait voyagé jusqu’au Labret pouvait être si craintif.

« - Vous l’avez dit vous-même, l’apprentissage est l’affaire d’une vie. Il n’y a pas d’âge pour découvrir, se tromper et en tirer des enseignements. Le tout est de les accepter. »

« - Mon Père, ma Sœur… »

Sixtine tourna la tête en direction du conducteur du chariot, un quadragénaire dégarni dont les traits étaient tirés par la fatigue et l’inquiétude.

« - S’cusez moi d’vous arrêter mais vous d’vriez r’parler que quand on s’ra à Conques. Y commence à faire noir, l’Fangeux vont s’rapprocher des routes, on a déjà eu d’la chance qu’ils nous aient pas approché d’tout l’jour... » chuchota le cocher, le regard dérivant de temps à autre vers les taillis bordant la route.

Les pommettes de l’apprentie prêtresse rosirent lorsqu’elle se rendit compte que, entrainée dans sa petite discussion avec le Père Amaury, elle n’avait plus pris garde au danger qui les entourait toujours, omniprésent, insidieux, dissimulé sans l’être dans ces marécages brumeux.

« - Milles excuses » souffla Sixtine avant d’adresser un pauvre sourire à son vis-à-vis.

« - Vous autres vous la bouclez aussi !... » pesta le charretier aux autres membres du convoi avec autrement moins de délicatesse et de manières.

Le reste du trajet se déroula dans un silence lourd et inquiet, tous ayant été rappelé à la précarité de leur situation. Certes, les convois passaient de nouveau un peu partout dans le duché mais ils n’étaient jamais à l’abri d’une attaque. Sixtine ferma un moment les yeux, implorant les Dieux d’excuser leur imprudence et de leur permettre de tous arriver à Conques en toute sécurité.
Après près d’une demi-heure, les palissades du village furent en vue. Les gardes de l’entrée s’enquirent des marchandises et de l’identité des visiteurs puis ils firent prestement entrer le convoi, refermant aussitôt les portes derrière les derniers arrivés. Une fois le chariot arrêté, Sixtine mit pied à terre pour la première fois de la journée, un sac d’affaires prêtées par le Temple en bandoulière. La jeune femme s’étira discrètement, son regard observant attentivement les alentours.

Conques semblait n’avoir guère changé depuis la dernière fois qu’elle en était partie, au cours de l’été 1164. Cependant, la brune avait des doutes quant à cet état de fait : après tout, ils se trouvaient tout près du cœur du village, si dégâts il y a eu, c’était ici qu’ils avaient été réparé en premier. Sixtine reconnut en un clin d’œil la Vieille Branche : la taverne ressemblait plus à une grande étable qu’autre chose mais elle était fidèle à ses souvenirs si l’on omettait un trou dans le toit qui était en train d’être rebouché au vue des échafaudages dépassant légèrement de l’ouverture. Pourtant, ce n’était pas cela que la religieuse observait : son regard était davantage levé car, au-dessus de la Vieille-Branche, le toit d’une autre maison était visible. C’était la grande maison du bourgmestre. C’était la maison dans laquelle elle était née, dans laquelle elle avait grandi, la maison qu’elle ne pensait jamais revoir un jour.

En sentant Père Amaury bouger à côté d’elle, Sixtine reprit ses esprits et se racla doucement la gorge. Mieux valait qu’elle évite de montrer qu’elle connaissait l’endroit : l’idée d’être affiliée à la famille du banneret déchu qui avait abandonné le bourg à son sort n’était pas des ses intentions. Intérieurement, la jeune femme espérait bien que personne ne la reconnaitrait.

« - On dirait que notre destination se trouve droit devant » souffla l’apprentie prêtresse tout en désignant l’enseigne de l’établissement qui pendait toujours à l’énorme branche noueuse d’un vieux chêne dressé juste à côté de l’entrée.
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptyMer 25 Mai 2022 - 14:24

« Un retour aux sources. »
Jamais silence ne fut plus salvateur que celui exigé par le charretier. En effet, Amaury avait tant craint de froisser son interlocutrice qu’il n’osait plus dire mot, conscient, néanmoins, que cela pourrait être tout aussi mal interprété que ses paroles. L’intervention du conducteur ménageait ainsi l’espoir d’une incertitude qui le couvrirait peut-être, cependant qu’il apparaissait malaisé de deviner ce qui, du cocher, de la jeune femme ou du prêtre lui-même, inspirait à ce dernier un mutisme retrouvé.
Acculé par de trop nombreux questionnements superflus, prisonnier d’une bonne volonté envahissante le poussant à sans cesse vouloir bien faire, le religieux mit à profit le reste du trajet pour taire ses tourments et recouvrer un calme nécessaire.

Au cœur du bourg de Conques, enfin libéré de l’inconfort et de la promiscuité de la charrette, Amaury renoua avec une contenance de façade. Muni d’une sacoche en bandoulière pour seul effet, à l’instar de Sixtine, l’ecclésiastique prêta son concours aux autres voyageurs et au cocher, avant de rejoindre cette dernière.

— Al-lons-y, en ce cas, décréta-t-il après quelques instants, dans un sourire discret.

Sitôt, l’enlumineur ouvrit la marche en direction de l’auberge et profita d’être en tête pour parfaire une observation préalable, jugée trop sommaire.
Du temps où il accompagnait le Père Harold dans ses prêches à travers les villages, Amaury avait probablement plusieurs fois séjourné à Conques sans, pourtant, en garder un souvenir impérissable. Paradoxalement, il lui semblait conserver une image plus précise de ces bourgs aujourd’hui rasés par le fléau. Peut-être son âme d’artiste le justifiait-elle : se remémorer pour mieux reproduire ensuite, et ainsi rendre hommage.

— M’Père ! M’Mère !

Sorti de l’auberge précipitamment, un homme se rua sur les deux religieux pour se saisir de leurs mains et les serrer à tour de rôle, avec un entrain et une joie non feints, l’œil pétillant d’autant de fierté que d’espoirs.

— M’Père ! M’Mère ! répéta-t-il avec le même engouement, par el’ Trois, v’s êtes vraiment v’nus ! C’qu’on n’y croyait pas, v’savez. On n’est pas ben riches et pas ben importants, alors… Par el’Trois, v’s êtes là !
— Soileux, je p-présume ?
— Oui-da, m’Père ! Vous prés’mez bien ! Ah ! Où qu’sont mes manières ? ‘Scusez-moi v’Grandeurs, c’que c’est l’émotion qui cause. Moi c’Dacco ! J’coupe el’seigle comme el’père faisait, pis el’père du père avant, pis… ‘fin v’s avez d’la culture, v’comprenez.

Le garçon accueillit les effusions et le langage de l’homme d’un sourire bienveillant. Chaque halte dans les bourgades lui inspirait toujours une douce nostalgie, tant la sobriété des paysans et leur franchise demeuraient plaisantes. Rien ne lui semblait similaire, en Marbrume.

— Voic-ci Sixtine, annonça l’ecclésiastique en désignant la jeune femme d’un mouvement de la main, elle me s-secondera lors de la c-cérémonie. Je suis Amaury.
— Hohoho ! Quand ma Nantilde va s’voir qu’el’Temple a envoyé deux prêtres rien qu’pour nous... Elle va d’v'nir aussi rouge qu’el’coqu’licot en été ! se réjouit l’individu, v’nez don’ à l’auberge ! L’voyage a dû v’s épuiser. El’souper est bientôt prêt, v’s aurez el’temps d’poser vot’bataclan avant d’casser l’graine. Parce qu’y faudra êt’ en forme pour d’main !

Ni une ni deux, Dacco tourna les talons en direction de la taverne. La trentaine environ, il avait l’allure émaciée des gens de labeur, occupés à longueur de journée. Quoique son visage grossier parût taillé à la serpe, ses traits resplendissaient tant de gaieté et d’insouciance, pour l’heure, qu’ils lui conféraient un air assurément sympathique.

— Nantilde ! s’exclama le paysan, à peine entré dans l’auberge, t’d’vin'ras jamais ! El’Temple n’s a envoyé deux prêtres ! Nantilde !

En lieu et place d’une jeune femme apparut un homme plus âgé, la face bouffie et rougie par une consommation excessive d’alcool, probablement en partie responsable d’un handicap rendant son avancée difficile et alimentant son embonpoint.

— Walbert ! Où qu’c’est qu’elle est ma Nantilde ?
— Aux cuisines. Elle veut qu’tout soit parfait. Têtue comme une mule, par les Trois.
— Ah ! s’exclama Dacco avec un entrain intact, v’Grandeurs, j’vous laisse aux bons soins d’not’ tavernier. J’vous r’trouve au souper, j’m’en va prév'nir ma Nantilde !

Amaury suivit les trottinements du paysan avec un sourire presque attendri, qu’il perdit néanmoins en réalisant être l’objet d’une observation accrue de la part de l’aubergiste. Prétendre qu’il dévisageait tour à tour ses deux clients semblait encore bien loin de la vérité.

— Nous...
— Je sais, je sais. V’s êtes les curetons qui vont s’occuper de la cérémonie demain. J’vais vous montrer vos chambres, v’nez.

Après avoir éprouvé la démarche légère et souple de Dacco, il fallut composer avec son contraire : le dénommé Walbert se déplaçait avec peine, rendant son pas lent. L’ascension réussie des escaliers frisa ainsi l’épopée la plus remarquable, tant Amaury craignit à de multiples reprises de devoir soutenir l’homme. En nage, l’aubergiste se fit pourtant un devoir de les conduire jusqu'à deux portes en vis-à-vis.

— Voilà, c’est ici, haleta-t-il en épongeant son front dégarni d’un mouchoir crasseux, vous s’rez l’un en face de l’aut’, mais j’vous laisse déterminer qui va où. C’est plus ou moins pareil. Prenez le temps de vous installer, l’souper sera prêt dans quelques minutes.

Mais alors qu’il entamait un demi-tour, le propriétaire s’immobilisa dans le couloir.

— Dites donc, vous… V’seriez pas déjà passé par l’auberge ? s’enquit-il en dévisageant de nouveau l’enlumineur, avec… avec un aut’ cureton, non ?

Les sourcils soudain haussés, Amaury fixa le tavernier quelques instants, incrédule, puis sourit.

— C-certainement. Vous av-vez bonne mém-moire.
— Oui… M’est avis que j’vous ai aussi vue, vous, surenchérit-il en posant ses yeux de fouine sur le visage de Sixtine, cette fois, mais où et quand ?


Dernière édition par Amaury le Sam 13 Aoû 2022 - 7:48, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptyJeu 26 Mai 2022 - 12:36
Avisant l’auberge, Amaury ouvrit la marche, suivit de près par Sixtine qui épiait les alentours d’un discret regard en coin. Elle n’eut pourtant pas le temps de se replonger dans ses souvenirs, un cri déchirant le calme relatif de la place qu’ils étaient en train de traverser.
Un homme avait ouvert en grand la porte de la Vieille Branche et s’approchait à grand pas des deux clercs. Un peu surprise de prime abord, les fines mains de l’apprentie prêtresse se resserrèrent sur la bandoulière de son sac avant de se détendre à la vue particulièrement détendue et joviale de leur assaillant. Une partie de l’esprit de la brune songea à corriger le paysan, elle n’avait encore nullement le statut d’être appelée Mère : toutefois, la jeune femme ne pipa mot tant l’homme ne pouvait s’empêcher de s’extasier de leur présence à elle et à Amaury, le laissant lui prendre les mains avec une joie indéniable et communicative. Lorsque le dénommé Dacco expliqua qu’il était fermier, Sixtine pensa au fait que ses premières idées concernant la spécialité de la famille Soileux étaient fausses : elle avait vraiment passée peu de temps en dehors de l’austère maison familiale en fin de compte.

Lorsqu’Amaury prit le temps de la présenter, le sourire poli que Sixtine arborait s’élargit un peu.

« - Ravie de vous rencontrer, Dacco. »

Celui-ci n’en revenait pas que le Temple ait envoyé à sa demande deux religieux et les invita prestement à le suivre jusqu’à l’auberge, claironnant sous le regard torve des derniers badauds traversant la place à pas pressé que sa Nantilde – son épouse, présuma intérieurement Sixtine – allait en être toute émotionnée. L’apprentie prêtresse et le Père Amaury lui emboitèrent le pas sans tarder, la nuit commençant vraiment à tomber sur le bourg.

Le rez-de-chaussée n’était qu’une immense pièce où des tables vermoulues et des chaises bancales étaient hasardeusement disposées, quoique plus rapprochées et serrées à proximité de l’âtre unique dans lequel un feu crépitait. Sur la droite, un escalier étroit montait à l’étage ; en-dessous de celui-ci, dans l’ombre, une porte était quasi dissimulée, donnant certainement vers les cuisines. Tout du moins, c’est ce que supposa Sixtine en voyant Dacco s’y diriger à grandes enjambées après que l’aubergiste lui ait indiqué que Nantilde s’y affairait avec une volonté de fer.
Émue par une telle démonstration d’allégresse qu’elle sentait d’une pleine et entière franchise, Sixtine laissa un sourire rêveur flotter sur ses lèvres un moment, ne détournant les yeux de la porte battante de l’arrière-salle que lorsque le tavernier rouvrit la bouche. En croisant les billes noires qui lui servaient d’yeux, le sourire de la brune s’affaissa quelque peu mais elle en conserva un brin, autant par politesse que pour dissimuler sa gêne, la nuque tout de même un peu raidie. Personne n’aimait se faire dévisager et Sixtine ne dérogeait pas à cet état de fait : le malaise était d’autant plus prégnant que ses craintes quant au fait d’être reconnue étaient particulièrement vivaces dans ce petit bourg à quelques lieues de Marbrume qui l’avait vu naitre dans une famille assez peu recommandable.

Celui que Dacco avait appelé Walbert prit finalement l’initiative d’emmener les deux ‘curetons’ à leur chambre. L’escalier branlant crissa, gémit, couina sous le poids combiné d’Amaury, de Sixtine et de l’aubergiste qui devait égaler leur poids à tous les deux. Par sureté, la jeune femme laissa une marche entre elle et son confrère, priant intérieurement pour que celui-ci ne finisse pas écrasé par un malheureux coup du sort. Son aimable sourire toujours pendu aux coins des lèvres, la jeune femme hocha la tête lorsque Walbert leur présenta les portes de leur chambre et leur indiqua que le repas serait bientôt prêt. Il reprit ensuite la direction de l’escalier, Sixtine se serrant un peu contre le mur pour le laisser passer, le nez quelque peu agressé par la forte odeur de transpiration mais l’homme s’arrêta en cours de route, s’adressant d’abord à Amaury qui avait manifestement déjà mis les pieds à Conques ; la brune se sentit alors légèrement pâlir lorsqu’elle croisa de nouveau le regard chafouin du tavernier. Par les Trois, vite, trouver quelque chose à dire !

« - Je ne saurais dire, je n’ai l’honneur de vous rencontrer qu’aujourd’hui Walbert. »

Les épaisses lèvres rouge de l’aubergiste se pincèrent et ses joues se gonflèrent avant de se vider dans un soupir las d’où des relents d’alcool étaient perceptibles de loin. Pourtant, son regard luisait toujours d’un curieux éclat inquisiteur qui mettait Sixtine de plus en plus mal à l’aise au fur et à mesure que le contact visuel s’éternisait.

« - Un honneur… qu’est-c’qui faut pas entendre… » marmonna le bougre tout en daignant cette fois partir pour de bon retourner derrière son comptoir, le pas laborieux, les mains crispées sur la rambarde tremblante de l’escalier.

L’apprentie prêtresse soupira le plus silencieusement possible avant de tourner un regard aussi serein que possible en direction du Père Amaury, soulagée d’avoir désamorcé la situation sans mentir éhontément. Après quelques instants d’hésitation, tout deux finirent par choisir leur chambre ; Sixtine entra dans la sienne afin de reprendre plus tranquillement ses esprits, échauffée par ce qu’il s’était déroulé quelques instants auparavant. Savait-il vraiment qui elle était ? C’était dur à dire et cela n’était pas pour rassurer la DeConques. L'apprentie prêtresse jeta un bref coup d’œil à la chambrette : un lit aux draps usés, une table sur laquelle était posée une vasque pour la toilette et deux chaises. L’ameublement était sommaire mais suffisant : peu de personnes devaient s’attarder à Conques au point d’avoir besoin de s’installer durablement à la Vieille Branche, particulièrement depuis le Fléau.

La jeune femme posa son sac sur le lit et prit le temps de faire redescendre la pression à l’aide de grandes respirations. Manifestement, le tavernier ne l’avait pas reconnu, sinon, il ne se serait sûrement pas gêné pour faire savoir à tout le monde qu’elle était la fille du salaud de banneret qui n’avait pas levé le petit doigt pour aider le village dont il avait pourtant la charge. Il lui fallait donc rester calme et détendue – et éviter de se retrouver seule avec cet inquiétant aubergiste beaucoup trop physionomiste à son goût.

Sixtine redescendit l’escalier et trouva Amaury déjà attablé et accompagné : Dacco était debout face à lui, fébrile, un sourire jusqu’aux oreilles ; à ses côtés, une femme était en train de poser deux grandes écuelles contenant de la soupe sur la table ainsi qu’une belle miche de pain. En s’approchant, la brune la détailla rapidement : des cheveux blonds noués en un chignon fouillis, un visage presque parfaitement rond à la tendre bonhommie et, le plus notable, un ventre proéminent qui la faisait peiner dans sa tâche. Nul doute qu’il s’agissait de la fameuse Nantilde, d’autant plus que la voix de Dacco portait sans peine jusqu’à l’autre bout de l’auberge.

« - V’voyez comme qu’elle cuisine bien ma Nantilde ! N’amour, M’Père j’vous l’assure, la pus bel’chose qu’el Trois m’aient donné, qu’soient bénis ! »

« - Mon Dacco, arrêt’, t’ennuies l’Père alors qu’il va becqu’ter ! » s’exclama Nantilde avec toutefois une sourire tendre, se redressant avec peine. Une de ses mains caressa doucement le haut de son ventre rendu particulièrement gros par l’amaigrissement de ses bras : nul doute, la cuisinière était enceinte, un constat qui tira un doux sourire à Sixtine que Dacco finit par apercevoir.

« - M’Mère, z’arrivez juste à temps ! Ma Nantilde elle vous a fait d’la bonne soupe ! Excusez d’pas pouvoir vous donner meilleur qu’ça mais l’pain y a d’mon seigle d’dans ! » s’écria fièrement le paysan tout en s’écartant prestement, laissant la jeune femme accéder à la deuxième chaise.

« - Merci Dacco » sourit Sixtine tout en prenant place, relevant les yeux sur Nantilde. « Toutes mes félicitations pour cet heureux événement ! »

La cuisinière rougit jusqu’au front, roucoulant dans sa gorge, une expression de pur ravissement aux plis de ses petits yeux et de sa bouche fine.

« - Oh merci M’Mère, z’êtes trop bonne ! »

« - Savez, ‘vec ma Nantilde, grâce aux Trois, ça fait d’z’années qu’on s’est mariés. Des p’tiots, on a t’jours voulu en avoir mais… y z’ont tous r’joint Anür… »

Le regard de Sixtine se plissa légèrement, peiné par la tristesse qui transperçait soudain la voix tout à l’heure encore si joviale de Dacco dont les mains se tortillaient l’une dans l’autre, manifestement ému par le souvenir de trop nombreuses fausses couches et morts infantiles.

« -Moi j’dis qu’la grande Anür, ‘les trouvait trop beaux nos bambins ! ‘Les a rapp’lé ‘vec elle mais l’est pas cruelle la grande Anür ! Pour sûre, l’a béni not’ mariage ! Y en a y sont pus heureux après mais nous, toujours ! » claironna Nantilde avec une foi manifestement inébranlable qui fit battre plus fort le cœur de Sixtine.

« - J’mais dira du mal d’la grande Anür, pour sûr ! Nos p’tiots, y sont bien ‘vec elle, pour sûr ! Juste, si on pouvait d’en avoir un à nous d’p’tiot… juste un, M’Père, M’Mère, pour l’cajoler, pour lui montrer comment qu’on fait l’seigle itou… ‘fin du coup, c’pour ça qu’on a d’mander al’Temple, pour qu’ma Nantilde soit bénie par l’bon père Serus ! Savez, moi j’le prie tous l’jours pour l’seigle, j’mais j’oublie, et j’fais mes offrandes à toutes l’récoltes, bonnes com'mauvaises ! Alors s’il pouvait faire pousser aussi not’ p’tiot et l’rendre fort… ah M'Père, M'Mère, j's'rai l'pus heureux des hommes ! »

Une bénédiction de fécondité : c’était donc pour cette cérémonie qu’elle avait été dépêché avec le Père Amaury. Un sourire attendri toujours accroché aux lèvres, Sixtine prit une grande inspiration enthousiaste avant de se tourner vers son confrère à sa droite.


Dernière édition par Sixtine DeConques le Dim 29 Mai 2022 - 0:46, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptySam 28 Mai 2022 - 20:18

« Un retour aux sources. »
Un sourire affable et une légère inclinaison de son buste ponctuèrent une répartition des chambres, somme toute élémentaire. La porte close après son passage, Amaury éploya son regard dans ce qui lui servirait de refuge pour les deux prochaines nuits. Un espace modique, intelligemment agencé, où il prit la peine de se rafraîchir brièvement après un voyage éprouvant.
À n’en pas douter, la faim ne le tiraillait guère, malgré le trajet enduré. Peut-être, justement, en ce qu’il s’était avéré trop long au goût du prêtre, celui-ci n’aspirait-il à présent qu’à se reposer. Toutefois conscient des obligations justifiant sa présence en ces lieux, le religieux se débarrassa de son sac, saisit une cruche d’eau et en versa un fond dans une vasque, elle-même disposée sur une commode simple, surplombée d’un miroir. L’enlumineur plongea ses mains dans la coupe, se rinça soigneusement le visage, puis s’épongea à l’aide d’un linge laissé à portée. Ainsi modestement requinqué, il rejoignit le rez-de-chaussée où l’attendaient Dacco et Nantilde – du moins le présuma-t-il, au regard de leur proximité et du ventre proéminent qu’arborait cette dernière.

— Ah ! M’Nantilde, r’garde don’ qui v’là. C’el père Amaury, comme que j’te disais. M’père, j’vous présente m’Nantilde !
— Ench-chanté, Nantilde, murmura le garçon dans un sourire.
— M’père, salua la cuisinière, installez-vous, v’nez !

Sur le point de s'exécuter, Amaury se ravisa lorsqu’il constata combien Nantilde s'activait en dépit de son état, mais n'eut pas l'opportunité de dresser le couvert, sitôt dissuadé par le couple. Quelques banalités meublèrent alors la discussion jusqu’à l’arrivée de Sixtine, orientant peu à peu la conversation vers la cérémonie du lendemain.

Attentif aux propos échangés, Amaury approuva, d'un sourire bienveillant, la sagesse des considérations de l'épouse. Rares étaient les hommes et les femmes – mais surtout les mères – en mesure de relativiser la perte de leur enfant, peu important la ferveur de leur croyance envers les Trois. Les deux Conquais semblaient y parvenir remarquablement bien, en dépit de souffrances qu’Amaury s’imaginait sans peine, tant la voix de Dacco ne recelait plus son enthousiasme premier.
Cette tolérance, vis-à-vis de ce que certains qualifiaient volontiers de caprices divins, n’empêchait néanmoins pas la persistance d’un désir égoïste, encouragé par les saintes écritures. Se marier, fonder sa propre famille. C’était pour contribuer à cette ultime étape, pour contrer toute convoitise d’Anür par le truchement de Serus, que le Clergé avait été sollicité.

Il n’avait pas fallu longtemps à Amaury pour comprendre ce que l’on attendait de lui, moins longtemps encore pour se remémorer ce que nécessitait une bénédiction de fécondité. Couramment usitée dans les thermes du Temple, exceptionnellement dans des bains privés, elle impliquait de bénir les époux, entièrement nus.
Désormais pleinement conscient du rite espéré, le religieux trouvait ainsi à cette expédition, non plus des airs de défi, mais bien davantage des allures de punition.

Très tôt, l'enlumineur avait développé une pudeur exacerbée, abreuvée par ce qu’il cultivait d’anormal. Quelques œillades curieuses jetées à son dos, alors qu’il n’était qu’un tout jeune garçon, avaient en effet suffi à implanter en lui l’idée que les marbrures striant son échine alimenteraient autant de craintes que d’incompréhensions. Ces marques démultipliées depuis lors, il apparaissait aujourd’hui impensable de se dévoiler devant quiconque, mais tandis qu’Amaury s’était rapidement soustrait à l'observation des autres, ceux-ci s’étaient également trouvés hors de sa portée. De fait, si le corps d’un homme nu le mettait déjà mal à l’aise pour la seule gêne inspirée par cette exhibition, celui d’une femme le tétaniserait certainement.

Cependant que le clerc fuyait la compagnie au cœur des thermes et déclinait toute invitation à s’y détendre et disserter, il se demandait si la teneur de ses craintes n'avait pas été révélée. Se pourrait-il alors que ses supérieurs, conscients de ce trouble, aient sciemment choisi de lui confier cette mission en taisant l’objet du déplacement, dans l'espoir de parachever une sanction jusque-là jugée trop douce ?

Longtemps silencieux, le regard figé dans le vague, Amaury parut revenir à la réalité en battant plusieurs fois des paupières. Ses prunelles croisèrent alors celles de Sixtine, de Dacco, de Nantilde. Sans doute demeuraient-ils dans l’attente d’une réaction de sa part.

Assurément, les palpitations frénétiques de son cœur démentaient le sourire paisible qui étira peu à peu ses lèvres. De l'avis du prêtre, certains blocages ne pouvaient être surmontés ; à tout le moins ne le pouvaient-ils pas de toutes les manières. Ainsi, tout ce que lui inspirait la nudité relevait de troubles trop profonds pour être balayés à l’occasion d’une bénédiction, fût-elle au profit de gens fort sympathiques.
En l’instant, peu importait au garçon de devoir échouer au seuil de la potentielle épreuve suggérée par ses supérieurs ; peu lui importait de renoncer à sa liberté pour les semaines, peut-être les mois à venir. Amaury saisit la seule parade que lui instilla la situation.

— Le Temple vous ac-corde sa b-bénédiction, puisque n-nous sommes là. Je suis s-sûr qu’il en ira de m-même de Serus, affirma l’ecclésiastique d’un ton apparemment serein, j’aim-merais toutefois vous p-proposer quelque chose.
— Tout c’que vous v’drez, m’Père ! Hein Nantilde ! Tout !
— Sœur Sixtine est enc-core en ap-prentissage. Il serait cert-tainement formateur, pour elle, de m-mener la cérémonie. Sous m-ma supervision, b-bien entendu, précisa-t-il en observant d'abord le couple, puis sa consœur, s-seulement si vous don-nez votre accord, Dacco et N-Nantilde… et s-si vous le v-voulez bien, sœur Sixtine. Nous pour-rions p-profiter de ce bon rep-pas pour en discuter et déf-finir les mod-dalités du rituel. Qu’en p-pensez-vous ?
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptyDim 29 Mai 2022 - 13:53
Lorsque Sixtine posa les yeux sur le Père Amaury, celui-ci semblait émerger d'une longue et intense réflexion. Il se passa quelques secondes supplémentaires avant que le jeune homme ne retrouva sa langue sous le regard un peu inquiets du couple de paysan qui n'était manifestement pas habitués à un aussi long silence de la part d'un interlocuteur.

Au fur et à mesure des bégaiements du religieux et du développement de son idée, l'apprentie prêtresse se sentit un peu pâlir mais s'efforça de rester digne, les mains jointes devant elle, entre son écuelle remplie à ras bord de soupe et son quignon de pain. Était-ce une manière d'éprouver ces connaissances et de mettre vraiment la main à la pâte ? Il fallait dire qu'au Temple, la théorie avait une place prépondérante sur toute forme de pratique lorsqu'il s'agissait de certains détails de la vie de clercs, notamment les bénédictions. Les prêtres exécutaient, les apprentis observaient, c'était tout.
Cependant, Amaury n'était pas fait de ce bois-là, Sixtine l'avait en partie saisi lors de leur voyage en chariot jusqu'à Conques et, elle devait le reconnaitre, cela lui plaisait : l'idée de pouvoir faire ses preuves sur le terrain directement l'enthousiasmait autant que cela faisait bondir son rythme cardiaque. De plus, le jeu de regard que s'échangeait Dacco et Nantilde signifiait que la situation leur paraissait quelque peu incongrue et cela fit un peu trembler la voix de la brune lorsqu'elle reprit la parole.

« - Ce serait un honneur… Père Amaury. Dacco, Nantilde, s'il vous plait prenez place avec nous. Vous ne mangez pas ? » s'enquit la jeune femme tandis que le couple s'exécutait.

« - On a becqu'té tantôt M'Mère ! Z'ennuyez pas p'r'nous et mangez ! »

« - Savez comment qu'ça s'passe l'bénédiction, M'Mère ? » demanda Dacco avec ce que Sixtine perçue comme un soupçon d'inquiétude dans la voix. Disait-il cela car il la savait maintenant encore en formation ou car l'idée que la cérémonie soit guidée par une femme chamboulait tous ses aprioris ? Cela blessa un peu la brune mais elle n'en démontra rien.

« - Comme l'a dit le Père Amaury, je suis encore en apprentissage donc j'ai appris comment se passe la bénédiction de fécondité de Serus. Permettez-moi de vous expliquer comment cela va se dérouler. »

Sixtine attendit l'approbation de son supérieur ainsi que celle de Dacco et Nantilde avant de reprendre la parole.

« - Pour commencer… euh… est-ce que vous avez une baignoire ? Ou même une grande cuve ? Quelque chose dans lequel vous pouvez prendre un bain ? »

Dacco et Nantilde se regardèrent avec de grands yeux ronds qui firent comprendre immédiatement à la brune que ce n'était pas le cas : après tout, ce n'était pas étonnant, les paysans de Conques ne devait pas avoir ça chez eux. Mais celui qui s'espérait futur père de famille ne se démonta pas.

« - Euh alors non, on a pas ça nous mais… a-attend-Walbert !!! Oy, Walbert ! »

Le tavernier qui était affalé sur son comptoir émergea d'un sommeil manifestement assez profond, l'œil torve.

« - T'y-aurais pas d'quoi prendre un bain 'ci ? Comme qu'une cuve ? »

L'aubergiste se plongea dans une laborieuse réflexion avant de marmonner quelque chose à propos d'un bac qui se trouverait normalement au sous-sol.

« - Merci Walbert ! V'l'aurez vot' cuve ! Après ? »

« - La cuve devra être remplie d'eau. Je… le Père Amaury et moi préparerons le bain. Quand celui-ci sera prêt, Nantilde, vous devrez rentrer dedans. »

« - Mais M'Mère… si j'dois m'mett'e dans l'eau, j's'rais sans habits… »

« - En effet… »

Au regard en direction d'Amaury et aux joues rouge pivoine de son interlocutrice, Sixtine comprit où était le problème pour la paysanne. L'apprentie prêtresse leva un peu les mains en signe d'apaisement.

« - N'ayez pas peur, Nantilde, le Père Amaury a déjà pratiqué cette bénédiction et votre mari sera là aussi… et puis, si vous êtes d'accord pour que ce soit moi qui officie, c'est moi que le Père Amaury regardera, pour s'assurer que je ne fasse pas d'erreur. Vous n'avez pas à vous sentir gênée. »

Dacco prit la main de Nantilde sur la table, constatant également que son épouse n'était pas plus rassurée. Sixtine chercha à s'occuper les mains et rompit le pain qui lui était alloué.

« - Il est normal que vous craignez de vous montrer nue devant d'autres personnes que votre mari, Nantilde, mais le Père Amaury et moi ne sommes pas là pour vous jugez ou vous mettre mal à l'aise. Nous sommes venus car vous et Dacco avez demandé l'aide de Serus pour que votre enfant puisse venir au monde en bonne santé et puisse grandir avec vous. Considérez-nous comme… comme des intermédiaires. C'est sous le regard de Serus que vous et votre enfant serez bénis, pas sous le notre. »

Sixtine fit une pause, laissant le temps au couple de digérer les informations qui venaient de leur être livrées et s'assurant du coin de l'œil auprès du Père Amaury qu'elle n'avait pas dit de bêtises.
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptyLun 30 Mai 2022 - 19:59

« Un retour aux sources. »
La pâleur soudaine de Sixtine ainsi que les œillades réciproques entre Dacco et Nantilde alimentèrent la frénésie d’un cœur palpitant. Amaury redouta de devoir se livrer pour échapper au rituel, craignit de refuser aux deux paysans la modeste faveur sollicitée, en raison d’une peur viscérale sur laquelle il n’avait aucune emprise.
Qu’elle acceptât par obligation, par opportunité ou simplement par envie, sa consœur le dispensa pourtant de recourir à de telles extrémités. Ainsi rassuré de déceler une issue dans ce qu’il avait cru être une impasse, le garçon esquissa un sourire plus franc, certainement facilité par l’avènement d’une nouvelle perspective. Sixtine volontaire, ne restait plus qu’à convaincre les deux Conquais. Contrairement à ce que le religieux s’était imaginé, ce fut néanmoins d’eux que vint la résistance la plus tangible.

Tachant de ne rien montrer du trop grand soulagement qu’il tirait de l’initiative de la prêtresse, l’enlumineur acquiesça à sa proposition et entreprit de leur verser à chacun un verre d’hydromel, afin d'accompagner leur repas. La cuve, le bain. Autant d’étapes incontournables mentionnées et surmontées… Du moins jusqu’à ce que Nantilde réalise ce que son immersion impliquait.
Pour taire une compassion qu’il se figura trop palpable, le clerc aspira à quelques gorgées, mais n’eut pas l’occasion d’en avaler plus de deux. En effet, comme Sixtine évoquait d’autres bénédictions de fécondité prétendument menées, la seconde s’étrangla dans son gosier et l’astreignit à quelques toussotements discrets pour ne pas interrompre l’apprentie. Au moins la rougeur de ses joues serait-elle attribuée à sa maladresse, et non à une gêne exacerbée par le sujet abordé.

— Hm... médita Dacco, avant de reporter son attention sur Amaury, ç’va m’Père ? Vous v’lez un coup dans el’dos ?
— N-non… Merci, Dacco, murmura l'intéressé d’une voix encore enrouée, qu’il tâcha de rétablir en se raclant la gorge, c-c’est… l’hydromel. Je ne m’at-tendais pas à ce qu’il s-soit alcoolisé, prétendit-il dans un sourire rassérénant.
— Oh ? Euh… bah s’vous v’lez, y en a sûr’ment d’aut'. Comme çui qu’on donne aux gamins. ‘tendez là ! s’exclama l’homme en bondissant de sa chaise.
— Non ! N-non, Dacco… Ça ira. M-merci, lui assura l’enlumineur en reportant son regard sur Nantilde.

Manifestement peu à son aise, la cuisinière s’emmurait dans un silence de plus en plus tenace. Lorsque ses prunelles croisèrent celles d’Amaury, elle changea sitôt de centre d’intérêt, inspirant au garçon un sourire franc.
Qu’il devait être désagréable pour quiconque, d’escompter un rite dont les modalités égratignaient son essence même. Souffrir, surmonter, espérer, adjurer, avant une nouvelle désillusion. Il n’était jamais plaisant de choisir ce qui, du mal ou du remède, s’avérait le moins pénible. L’ecclésiastique ne pouvait que compatir. Trop souvent, on malmenait des aspirations qu’il pensait pourtant simples et sans prétention.

— Je vous prie de c-croire, Nantilde, que si je pouv-vais laisser Sixtine s-seule, réaliser la b-bénédiction, je le ferais, affirma-t-il d’une voix sincèrement douce, elle n’est t-toutefois pas encore ordon-née prêtresse. Vis-à-vis des d-dieux, sans doute n’y aur-rait-il pas de dif-férence, mais le Temple ne le ver-rait pas de cet œil. Je dois être p-présent.

De souci, le visage de la cuisinière parut se ratatiner sur lui-même. Ses lèvres se pincèrent, ses sourcils se froncèrent. Il apparut alors évident qu'Amaury n'avait pas énoncé ce qu'elle escomptait. L’espace d’un instant, le religieux envisagea d’admettre son propre malaise dans l’unique espoir de rassurer la future mère. Finalement, une idée tardive l’en préserva.

— Sœur Sixtine a r-raison : si je dois s-seulement la surveil-ler, je n’aurai besoin que de la r-regarder, elle, pas vous. Le rituel implique peu de contact avec les ép-poux. Pour l’es-sentiel, ce sont des prières adres-sées à Serus, expliqua-t-il en souriant davantage, puisque sœur Sixtine et m-moi-même devrons p-préparer le bain, que diriez-vous de prévoir aus-si un drap ? Nous pour-rions envisager de t-tendre un fil, puis d’y suspendre une t-toile. D’un c-côté, la cuve, où D-Dacco et vous vous t-trouveriez, de l’autre, moi. Sœur Sixtine serait f-face à nous tous et ce faisant… le r-rituel pourrait être conv-venablement mené, sans que j-je vous voie n-nue. À aucun moment.
— Ça… ça marcherait, ça ? hasarda Nantilde, sa voix retrouvée.
— P-pourquoi ne s-serait-ce pas le cas ? Tant que la d-disposition, fût-elle or-riginale, n’emp-pêche pas la bonne cond-duite de la bénédiction, il n’y a p-pas lieu de s’en of-fusquer.

Un nouveau regard entre les époux précéda l’ébauche d’un timide contentement sur le visage rond de la femme.

— Si c’possib’ comme ça, j’veux bien.
— Si v’dites qu’el’grand Serus, ça l’gên’ra pas, et qu’ça va comme ça à m’Nantilde, moi ça m’va.
— Bien, acquiesça Amaury, peut-être pour-rions-nous prévoir la cérémonie demain en f-fin de matinée, avant le d-déjeuner. Vous pour-rez ainsi festoyer l’ap-près-midi, si vous le s-souhaitez, suggéra le prêtre en reportant son attention sur sa consœur, quant à nous, peut-être pour-rions-nous aller voir cette c-cuve dès ce soir, avant le c-coucher. Si vous n-n’êtes pas trop fatiguée, à t-tout le moins. Qu’en dites-vous, m-ma Sœur ? s’enquit le garçon en prenant enfin une première cuillerée de soupe.
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptyMar 31 Mai 2022 - 19:20
Les paroles rassurantes de Sixtine parurent avoir davantage d'effet sur Dacco que sur Nantilde : lui, le père de famille frustré, n'aspirait qu'à une chose, étreindre un jour le minot qui pourra cultiver ses champs après sa mort, quelque que soit la démarche à suivre pour parvenir à cette bienheureuse conclusion, tandis que la tant espérée future mère, elle, se voyait déjà devoir se montrer devant un homme qu'elle ne connaissait que depuis quelques instants dans son plus simple appareil. Cet obstacle suffisait à la renfrogner et la voix douce de l'apprentie prêtresse ne parvint guère à l'extraire de sa pudique retraite.

Amaury intervint alors avant de venir à la rescousse de son assistante. Lorsqu'il évoqua son rôle d'élève encore en apprentissage et donc la nécessité pour lui d'assister à la bonne mise en œuvre de la bénédiction, Nantilde parut encore plus chagrinée. De la part d'une femme à qui l'on a du rabâcher que la seule personne qui la verrait nue serait son mari, cela n'avait, hélas, rien d'étonnant. Sixtine commençait à douter que leur entreprise allait trouver un consensus mais, soudain, le jeune prêtre eut une idée audacieuse et quelque peu saugrenue qu'il exprima au couple. La brune sourit largement, cachant son amusement derrière une morsure dans son quignon de pain au seigle : si l'image qu'elle avait de la situation de la cérémonie était plutôt inhabituelle et qu'elle n'était absolument pas enseignée comme telle par les précepteurs du Temple, il n'en restait pas moins qu'elle finit par trouver grâce aux yeux de la femme enceinte qui s'était tout de même ménagée un temps de réflexion.

Sixtine regardait le père Amaury tout en trempant sa cuillère dans son bol de soupe aux légumes. Manifestement, respecter à la lettre les directives, les recommandations et les normes du Temple n'était pas sa première qualité : entre cette version revisitée de la bénédiction de fécondité et le fait qu'il la laissait officier en premier ordre là où aucun autre prêtre ne lui aurait laisser pour toute marge de manœuvre la possibilité de tenir les vêtements des bénéficiaires de la bénédiction… bien que cela ne la déplaisait pas d'éprouver ses connaissances, l'apprentie ne s'était pas attendue à de telles initiatives et commençait à se questionner. La jeune femme mit ses interrogations de côté au moment où son supérieur s'adressa de nouveau à elle, lui proposant d'aller s'occuper du bac le soir-même.

« - Volontiers, Père Amaury. Dacco, Nantilde, pouvez-vous vous fournir le drap ? »

« - J'crois ben avoir ça que'qu'part al'maison » sourit Nantilde avec franchise, a priori vraiment soulagée par la proposition atypique du religieux.

« - C'est… ah, viv'ment d'main ! Tout l'village s'ra au courant, j'vous l'dis M'Père ! » s'enthousiasma Dacco, soudain de nouveau fébrile et très impatient d'arriver au lendemain.

La joie du couple était très communicative et le repas se poursuivit dans une bonne ambiance somme toute plutôt intimiste car, ce soir-là, ils étaient les seuls dans l'auberge de la Vieille Branche.

Lorsque le repas fut intégralement avalé, le couple insista pour débarrasser les deux clercs puis montèrent dormir dans une chambre prêtée par Walbert afin de leur éviter d'avoir à traverser le village de nuit. Sixtine et Amaury, eux, s'équipèrent de chandelles et descendirent dans le sous-sol mentionné tantôt par le tavernier. Au beau milieu de la pièce trônait effectivement une grande cuve : la brune pencha sa source de lumière et grimaça un peu en constatant la propreté douteuse du bac qui devait davantage servir à laver le linge voire les légumes que les gens.

« - Que Rikni nous vienne en aide et nous donne la force de surmonter cette épreuve », sourit la jeune femme avec de la bonne volonté, trouvant sur une étagère des chiffons. Laissant celui du haut de la pile couvert de poussière de côté, Sixtine en prit deux et en tendit un au Père Amaury : un peu d'huile de coude n'allait pas être de refus. Dans un tonneau, de l'eau était stockée : Sixtine trempa son torchon et se lança dans le nettoyage sommaire de la cuve.

« - Je vous remercie pour cette opportunité, Père Amaury. Je ne vous cache pas que je ne m'attendais pas à cela… mais cela ne me déplait pas. Je maitrise mieux les déroulés des cérémonies, des bénédictions et des prêches que l'entretien du jardin ou la médecine. J'espère faire honneur à Serus, demain », reconnut la brune, toujours souriante. « Tout de même, votre proposition pour le déroulé de la bénédiction était bien surprenante. Mais le tout est que vous ayez trouvé une solution pour qu'on puisse mener à bien notre mission. »

Si l'apprentie prêtresse était plutôt du genre à suivre les règles, faire preuve d'un peu de souplesse en fonction de la situation ne fait pas de mal non plus. Elle restait toutefois intriguée par le rôle extrêmement passif que le Père Amaury semblait déterminé à garder au cours de la cérémonie.


Dernière édition par Sixtine DeConques le Jeu 16 Juin 2022 - 20:58, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptyVen 3 Juin 2022 - 20:33

« Un retour aux sources. »
Aussi plaisante soit la compagnie, quiconque se nourrissait de piété et de calme préférait à la bonne ambiance, aux cris de joie et aux rires, le silence et l’isolement. Dans le sous-sol de la taverne, guidé par la lueur d’une modeste bougie, Amaury renoua ainsi avec un quotidien embrassé depuis longtemps et se crut, l’espace d’un instant, aux côtés de ses frères enlumineurs. Si la présence de Sixtine ne malmenait pas l’illusion, sa voix la brisa, amenant cependant aux lèvres du prêtre un sourire discret.
Comme la jeune femme s’écartait en direction d’étagères supportant quelques chiffons, le garçon déposa sa chandelle sur un empilement de tonneaux, en prévision du travail à accomplir. Il remonta les manches de sa toge sur ses bras, accueillit le tissu offert par sa consœur d’un signe de tête, puis imita ses gestes avec application.

— Ne m-me remerciez pas. Chac-cun trouve son c-compte en cet-te adaptation, tempéra Amaury, penché sur la cuve, mon mentor me don-nait des ouvrages à ét-tudier, mais l’essentiel d-de ses enseignements n-ne se limitait pas à la t-théorie. C’est en l-l’écoutant, en l’observ-vant que j’ap-prenais le plus. J’ai ainsi pu r-remarquer combien l-les cérémonies d-divergeaient d’un monde et d-d’un milieu à l’autre, murmura-t-il pour ne pas troubler la quiétude des lieux, la solen-nité que l’on n-nous inculque c-convient aux citad-dins, quand les ruraux s’at-tachent plus à l’efficacité qu’à l-la forme. La plupart ne con-naissent pas le déroulement d-des bénédictions. Ils at-tendent quelque chose des dieux et s-sollicitent le Temple en ce sens. Lorsque l-leurs vœux sont ent-tendus, ils ignorent ce qu’ils d-devront accomplir pour obtenir ce qu-qu’ils souhaitent, mais sont prêts à t-tout sacrifier, poursuivit-il, ne s’interrompant brièvement que pour essuyer la sueur perlant à son front, la théorie s’ap-plique également fort bien aux n-nobles et aux hauts b-bourgeois. Les préceptes tirés de l-leur éducation porteront cert-taines exigences que la solen-nité de nos rites comblera. V-vous aurez tout le l-loisir de le constater une fois ordon-née.

Amaury suspendit son ouvrage pour essorer son chiffon, gagna le tonneau rempli d’eau pour y replonger le morceau de tissu, puis reprit sa place et sa besogne. L’exercice avait beau être d’une simplicité enfantine, il n’en restait pas moins physique, tant la crasse paraissait ponctuellement incrustée. Du reste, la profondeur de la cuve ne facilitait pas la tâche.

— L’habitude viend-dra avec le temps, et peut-être n-n’aurez-vous pas même à v-vous adapter, si vous ne quit-tez jamais Marbrume, mais… en ce qui m-me concerne, j’ai ap-pris à déceler l’es-sentiel en chaque rite, déclara-t-il, un sourire au coin des lèvres, l’intimité l-liée à la b-bénédiction de fécondité, écho de c-celle qui doit exister au s-sein du couple, me semble, p-par exemple, être un él-lément important. À ce titre, ne f-faut-il pas faire en s-sorte de préserver cet-te intimité ? Si l’épouse ne s’imagine p-pas nue devant un autre homme que son m-mari, sera-t-elle s-sensible aux prières ? Sera-t-elle r-réellement prête à accueillir les f-faveurs de Serus ? Qu’est-ce qu’un drap tendu, s’il lui as-sure l’apaisement et la r-réceptivité nécessaires ?

Bien que concentré sur le récurage, le prêtre s’accorda quelques secondes pour appuyer sa question d’un regard à l’adresse de sa consœur. Il ne reprit qu’après l’avoir croisé.

— Peut-être me f-fourvoyé-je, néanmoins. Peut-être nos r-responsables me reprocheront-ils c-ces écarts de conduite, lorsque nous serons de ret-tour à Marbrume, s’imagina-t-il soudain, j’ai le s-sentiment d’être un bien p-piètre prêtre, depuis mon ordon-nancement.

Manifestement loin de l’affecter, ce constat semblait l’amuser au contraire, au regard du rire léger venu secouer ses épaules. Sans doute accordait-il plus de poids aux dieux et aux gens qu’il servait, qu’il n’en vouait et n’en vouerait jamais à sa hiérarchie. Que celle-ci déverse donc son courroux sur lui ! Peu lui importait, si les premiers se trouvaient satisfaits par son travail. Aider son prochain, n’était-ce pas là le cœur de sa fonction ? Qu’y changerait un formalisme superfétatoire ?

— Quoi qu’il en soit, ne v-vous inquiétez pas du r-rituel à venir. Je s-suis sûr que Serus sera f-fier de vous et p-parlera à travers votre voix, lui assura le prêtre, souhaitez-vous n-néanmoins répéter le proces-sus ? Maintenant, pendant que n-nous nettoyons, ou demain, p-peut-être, juste avant la cérémonie ?
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptySam 4 Juin 2022 - 19:04
Pliée en deux afin de toucher la fond de la cuve où s’étaient incrustées terre, mauvaises herbes et fibres textiles usées, Sixtine prêtait tout de même une oreille attentive à la voix du Père Amaury qui lui contait son expérience particulière en tant qu’aspirant prêtre auprès de son mentor, un apprentissage où l’observation et l’adaptation avaient eu une place prépondérante comparé à la rigueur ankylosée et à la théâtralité ampoulée que certains responsables au Temple semblaient prendre plaisir à maintenir et à transmettre aux novices. Le jeune clerc ne paraissait pas rejeter pour autant la nécessité de leçons théoriques que Sixtine estimait elle-même nécessaire afin d’acquérir un savoir commun mais avoir appris à honorer les Trois sur les routes du duché avait donné à Amaury un autre point de vue que l’apprentie écoutait avec attention : ce dernier connaissait mieux les paysans, fermiers et autres habitants de la campagne morguestanaise qu’elle et chaque instant étant l’occasion d’apprendre, la brune garda donc l’oreille tendue tout en allant laver son torchon souillé.

Si elle ne s’était pas un jour tenue assise sur un banc dans un bureau étroit du Temple, Sixtine n’aurait jamais su en quoi consistait la bénédiction de fécondité ; elle n’aurait jamais appris minutieusement toutes les étapes permettant de mettre les fidèles dans les bonnes conditions afin d’être présentés au regard bienveillant de Serus ; elle n’aurait également jamais assisté à une démonstration faite par un prêtre du Dieu cornu dans les thermes du Temple auprès d’un couple de bourgeois marbrumiens. La jeune femme maitrisait la théorie et ses enseignants la considérait souvent comme assez solide dans ce domaine-ci mais, sans récuser ce fait, Amaury aborda la question sous un autre angle : celui de l’essence même du processus. L’efficacité de la cérémonie reposait sur trois choses : un bain dans lequel les croyants se plongent nus afin de revenir à l'état tel que Serus les a voulu à leur naissance, des extraits de plantes et de bois de cerf à mêler à cette eau et la ferveur des bénéficiaires et de l’officiant de la bénédiction. Si les thermes n’étaient pas disponibles, tout bain faisait l’affaire afin de mener à bien le sacrement ; en dehors de ce détail technique, rien n’était imposé, un drap ne devait donc a priori pas poser de problème afin que Nantilde et son enfant soient bénis par le Père du panthéon.

Amaury tempéra toutefois cette idée, rappelant rapidement à Sixtine le fait que leurs responsables ne seraient sûrement pas d’accord avec l’arrangement qu’il avait trouvé. La novice se pinça les lèvres à cette idée mais cela ne paraissait pas peiner le prêtre de savoir qu’il marchait certainement hors des sentiers battus.

« - Selon moi, ce n’est pas tant le drap que le fait que je vais officier qui risque d’offenser nos supérieurs, mon Père. Je veux bien revoir avec vous le déroulé de la bénédiction afin de ne pas faire d’impair. Quitte à prendre votre place, autant que j’en sois digne. Mais si cela ne vous dérange pas, pouvons-nous faire cela demain matin ? Le trajet en chariot a été éreintant… » rit Sixtine, admettant sans vergogne sa maigre résistance aux voyages.

La jeune femme n’osait imaginer tout ce qu’avait parcouru Amaury comme distance au cours de son apprentissage, préférant plutôt reporter son attention sur le bac dont le nettoyage avait bien avancé. Le métal irrégulier et de qualité médiocre avait retrouvé un peu de son éclat si tant est que cela fut possible au vu de l’âge supposé de l’objet et de sa saleté avérée. Toutefois, il allait falloir se contenter de cela pour le sacrement de demain : la seule autre cuve qui pouvait faire office de baignoire devait se trouver dans la maison du bourgmestre et Sixtine ne se voyait pas aller leur réclamer leur bassin afin de procéder à une bénédiction de fécondité.

Lorsque les deux religieux remontèrent en direction de leurs chambre, ils traversèrent la grande salle à présent plongée dans la pénombre, cette dernière n’étant déchirée que par les quelques tâches rougeoyantes que les braises de l’âtre jetaient encore sur le plancher. Sa bougie à la main, Sixtine ne put s’empêcher de chuchoter à l’adresse de son confrère qui la suivait de près :

« - C'est comme si vous aviez pressenti que Nantilde n’aimerait pas avoir affaire à un homme en lui proposant que j’officie. Vous avez un instinct sûr, Père Amaury. »

Le prêtre ne pouvait pas se douter des craintes de la paysanne au moment où il avait fait cette suggestion. Sixtine ne le regrettait pas, trop heureuse de pouvoir s'essayer à l'exercice de la bénédiction de fécondité, cependant, la synchronisation avait quelque chose de surprenant qui titillait la curiosité de l'apprentie prêtresse.
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MessageSujet: Re: Un retour aux sources.   Un retour aux sources. EmptyMer 7 Sep 2022 - 14:20

« Un retour aux sources. »
D’aucuns prétendaient les Hommes intrinsèquement égoïstes, s’inspirant du comportement des foules en panique et des attitudes de chacun en temps de crise, pour asseoir leurs assertions. Devant la survenance d’une catastrophe au beau milieu d’un attroupement, l’instinct primait et avant de songer seulement aux autres, l’on entendait sauvegarder son existence. C’est ainsi qu’au couronnement du Roi, le rassemblement du peuple s’était improvisé aussi dangereux que la Fange, pour quiconque se voyait trop faible ou trop lent pour suivre un improbable mouvement. C’est ainsi également que la famine astreignait aux pires agissements pour assurer sa propre subsistance, éventuellement élargie à un cercle familial restreint.
L’analyse ne s’en trouvait-elle toutefois pas biaisée, par l’application d’un rationalisme impitoyable à des situations exceptionnelles ? La survivance escomptée démontrait-elle réellement l’égoïsme naturel des individus ? Ne pouvaient-ils pas être prodigues, au contraire, en des circonstances différentes, voire en situation de crise ? Que dire de ceux qui vouaient leur vie au service des autres ?
Les prêtres étaient, semble-t-il, de ceux-là. S’oublier au profit d’autrui, toujours le privilégier, quitte à inhiber ses propres émotions et souhaits.

Amaury s’était longtemps cru généreux ; plus prompt à écouter ses interlocuteurs qu’à s’entendre lui-même. Aujourd’hui, pourtant, il doutait.
Alors que l’idée d’être rabroué par ses supérieurs l’avait presque amusé, la perspective d’emporter Sixtine dans sa chute ne lui avait pas même effleuré l’esprit. Cette esquisse dépeinte par la novice à l’occasion d’une remarque anodine, lancée sur le ton de la plaisanterie, avait sitôt plongé le religieux dans une réflexion marquant son front d’un pli soucieux, que seul un chuchotement parvint à renverser.

Étonné par le propos de sa consœur, l’ecclésiastique l’observa quelques secondes avant de se laisser aller à un rire discret. Nulle joie ne semblait pourtant en tinter la sonorité.

— Ne voyez, en ma sug-gestion, ni instinct, ni bonté, ni nob-blesse, ma Sœur. Comme je vous l’ai d-dit, mon apprentissage atypique d-de la théorie et de la p-pratique a forgé des méthodes peu tradition-nelles. Au mieux, les c-circonstances m’ont inspiré une op-portunité pour vous. Au pire, elles n’ont été qu'un p-prétexte à l'égoïsme, souffla-t-il en détournant les yeux, peu de gens s’int-téressent aux débuts. Ils se c-contentent des fins. Qu’importe les origines d’un f-fait, pensent-ils, si celui-ci sat-tisfait tout le monde, verbalisa-t-il en gravissant les marches de l’étroit escalier, je crois, au contraire, que si les f-fondements d’une situation ne dictent pas néces-sairement son issue, ils enseignent la v-véritable couleur de l’âme qui les a é-rigés. Autrement dit : même les plus mauvais des-seins peuvent aboutir aux plus beaux d-dénouements, si la chance daigne se m-manifester.

Chemin faisant, les paroles de l’ecclésiastique l’amenèrent aux portes en vis-à-vis, à hauteur desquelles le tavernier les avait conduits, plus tôt dans la soirée. La pénombre ambiante, modestement troublée par la lueur pâle des bougies, prêtait à l’auberge un calme confinant au lugubre. Une atmosphère propice aux plus sombres pensées, à laquelle Amaury semblait particulièrement réceptif.

— Ne vous méprenez p-pas sur mes intentions, sœur Sixtine, car elles s-sont moins louables qu’il n’y paraît. Je ne f-fais pas exception à la règle : l-l’organisation de cette cérémonie nour-rit également mon propre int-térêt, affirma-t-il dans un sourire attristé, comme s’il était le premier navré des procédés employés, jugés détestables par l’hypocrisie qu’ils revêtaient, reposez-vous, ma Sœur, c-car une rude journée nous at-tend demain, poursuivit-il en saluant son interlocutrice d’un léger mouvement de la tête, bonne nuit, Sixtine.

Un pas en arrière poussa le prêtre dans la chambre, à l’intérieur de laquelle il lança un regard circulaire. La nuit esquissait un nouveau profil à la pièce, tout en ombres dégradées et contours saillants. Sur le lit, Amaury devina le ventre rebondi de la besace confiée par son supérieur. Aux quelques affaires qu’il avait ajoutées, il ne doutait pas qu’on eut placé le nécessaire requis pour la cérémonie du lendemain. Ce fut vers elle, finalement, que se portèrent les pensées de l’enlumineur à l’instant de s’endormir.
Vers elle et ce qu’elle recelait d’une originalité que le Clergé condamnerait peut-être.
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