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 Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]

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Apollin de FierchantBaron
Apollin de Fierchant



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MessageSujet: Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]   Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor] EmptyVen 27 Mai 2022 - 19:15
L'Esplanade, Manoir des Fierchant, 12 Mai 1167

« Messire, messire ! Il faut à tout prix que…»

L’intendant de la maison Fierchant s’introduisit en toute hâte, haletant, dans la bibliothèque du baron, où ce dernier était en train de compulser quelques ouvrages dûment acquis concernant certaines techniques alternatives de tissage de la soie. Plongé dans sa lecture, Apollin se contenta de lever l’index, sans mot dire, pour stopper dans son élan le bon Hippolyte, qui s’apprêtait à poursuivre sa phrase. L’homme entre deux âges s’interrompit aussitôt, bien plus par le fait d’un respect envers son maître chevillé au corps depuis de nombreuses décennies que par la crainte de déranger sa lecture, alors même qu’il connaissait bien la passion du baron pour les ouvrages en tout genre, tel qu’en témoignait cette pièce, concentré de manuscrits et incunables impeccablement préservés malgré le cataclysme qui s’était abattu sur la ville. Et ceux-là ne constituaient pour autant qu’une fraction de la collection qu’avait possédé l’aristocrate, le reste ayant été irrémédiablement perdu avec la chute d’Ocreval.

Tapotant la page tout un affichant un air satisfait par-dessus ses traits tirés quelques instants plus tard, le seigneur d’Ocreval abaissa alors son doigt levé, signe que l’intendant sut immédiatement interpréter comme une invitation à poursuivre. Il reprit donc, de fait, sur un ton bien plus régulier et posé, ayant eu le temps de reprendre son souffle et organiser ses pensées.


« Messire, la Comtesse de Monfort de Brieu vient d’arriver à nos portes, et exige une entrevue immédiate. Il semblerait qu’une commande soumise à Octave il y a de cela plusieurs semaines n’ait pas encore été honorée, et la comtesse… sollicite quelques réponses à ce sujet.

- Je vois. Ma foi, puisqu’elle a fait le déplacement, il serait de mauvais ton de ne pas la recevoir, assurément. De même, il ne semblerait guère correct de la faire attendre plus que de mesure. Pour autant… »

Le baron tenta de se relever avec peine du siège dans lequel il était assis, mais arracha rapidement un cri de douleur lorsqu’il chercha à prendre appui sur son pied droit, et retomba lourdement sur le fauteuil, qui ne manqua pas de craquer sous le poids. Contrit, mais résigné, Apollin se réinstalla aussi dignement qu’il put sur son assise, ne manquant pas étendre sa jambe droite afin de porter le moins de poids possible dessus. Grimaçant au cours de l’opération, le baron fit cependant signe à son intendant de reculer lorsque ce dernier s’avança pour lui porter assistance, avec toute la bienveillance qui le caractérisait.

« Cela ira mon bon Hippolyte, si je suis quelque peu souffrant céans, je n’en suis pas pour autant impotent au point de nécessiter l’aide d’une tierce personne. Vous aurez tôt fait d’aller quérir la Comtesse et sa suite et les faire venir en ces lieux. Faites également chercher des sièges confortables dans le petit salon, que nos invités n’aient pas la disgrâce de devoir rester debout au cours de notre entretien. Et des rafraîchissements également, mais cela va de soi. »

L’intendant s’éclipsant après avoir opiné du chef, le baron referma l’ouvrage posé devant lui, et l’écarta pour faire place nette sur son bureau. Sonnant une petite clochette, il demanda également à la servante qui y répondit promptement qu’elle ouvre les tentures en un angle précis afin de laisser le soleil entrer pleinement dans la pièce sans venir frapper directement le dos des ouvrages rangés dans la pièce. Trouver l’ouverture convenable aux yeux du baron prit un temps conséquent, au cours duquel furent apportés les sièges, et vit même un bref passage de la gouvernante à la recherche de la dernière fille de la maisonnée, âgée de sept ans. Gouvernante qui fût promptement congédiée pour accueillir les visiteurs du moment.

Tentant une dernière fois de se relever à l’ultime moment, juste avant que la dame de Montfort ne fut introduite dans la pièce par son intendant, Apollin dut se résoudre à contrecœur à rester assis dans son fauteuil, se réinstallant du mieux qu’il put. Et pour parer à cette impolitesse, le baron préféra prendre les devants, inclinant respectueusement le chef tout en désignant les sièges installés pour l’occasion.


« Comtesse, vous me voyez flatté de me faire l’honneur de votre visite, et ainsi illuminer le morne quotidien du vieil homme que je suis. J’ose espérer que vous saurez pardonner l’outrecuidance dont je ferai preuve céans à votre encontre en ne vous octroyant pas tous les égards dus à votre rang et en vous accueillant en ce lieu inhabituel, mais de mauvaises humeurs accumulées dans la jambe restreignent fortement mes déplacements ces derniers temps, et je craindrais de m’affaler face contre terre dans le plus disgracieux des ballets à me relever pour m’incliner ainsi qu’il se doit. J’ose espérer que pour compenser ce malencontreux impair vous me ferez l’honneur d’accepter un rafraîchissement ainsi qu’une collation avant de creuser plus avant le sujet qui vous amène. »

D’un signe de la main, l’hôte se saisit à nouveau de la clochette, qu’il fit tinter, et au son de laquelle plusieurs serviteurs pénétrèrent dans la pièce, venant proposer des coupes à chaque invité avant de les servir en vin selon leurs choix. Apollin pour sa part se fit servir une coupe de vin blanc des plus liquoreux. Divers amuse-gueules furent ensuite proposés par les serviteurs, avant que le maître des lieux ne les congédiât finalement d’un geste de la main.

« Bien, maintenant que ceci est chose faite, j’espère votre Grâce que nous saurons prestement régler les griefs que vous auriez ce jour à porter à ma connaissance. Il me serait fort désagréable de ne pas savoir y remédier et vous laisser plus longtemps dans l’embarras. »
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Aliénor Montfort de BrieuComtesse
Aliénor Montfort de Brieu



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MessageSujet: Re: Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]   Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor] EmptyLun 30 Mai 2022 - 13:59
La plume caressait le papier une nouvelle fois, après avoir trempé nonchalamment dans l’encre noire. Un buvard avait absorbé quelques tâches tenaces, et un tissu retira l’excédent de liquide avant d’apposer de belles courbes bien tracées. Il s’agissait d’un grand manuscrit, ouvert à la quarante-septième page ; dès lors il était hors de question de se fourvoyer dans l’écriture de chaque ligne. Tout était dûment vérifié trois fois, et une réglette en bois suivait la progression de la main pour que l’œil ne dévie jamais. L’ensemble était peu aéré, collapsé en de petites marques séparées dans de jolies colonnes. La première portait pour entête « produit ». La seconde était en réalité la mesure de poids ou de longueur, puis venait le prix à l’unité et enfin la dépense finale avec le nom du vendeur. Certains fournisseurs revenaient régulièrement ; il s’agissait du primeur, du poissonnier et du boucher. On y voyait également les dépenses de soldes des domestiques à quinze ou sept sou la journée, versées à la huitaine ou au mois selon les désiderata des receveurs. Par ailleurs, on pouvait y voir inscrit des montant plus importants, voire colossaux, selon les contrats passés. Et tandis que certaines lignes indiquait une émission, d’autres, elles, étaient bien plus plaisante à lire et compulsaient les avoirs de la maison Montfort de Brieu. C’était une activité fastidieuse à laquelle s’astreignait hebdomadairement la Comtesse elle-même, assise derrière le grand bureau de bois sculpté.

Et s’il était vrai qu’elle s’imposait cette rigueur à la tâche, elle tolérait tout aussi mal qu’il n’en fusse pas autant des gens avec qui elle traitait. Ses consignes étaient claires : lorsqu’elle payait pour un bien ou un service, il devait être livré sans délai autre que celui convenu initialement, et de la qualité attendue. Alors, par la Sainte Mère, où était donc sa livrée de soie commandée plus tôt ? Sa main s’arrêta, reposant la plume sur l’écritoire, sourcils froncés. Par acquis de conscience, elle chercha dans l’ouvrage propre au recensement des meubles et immeubles de sa possession et n’y trouva, sans surprise, aucune trace de la lé. La famille de Fierchant avait pourtant bonne réputation dans l’ancien duché ; il fallait du courage pour cultiver des vers au milieu des marais, et plus encore pour acquérir une bonne renommée. Mais l’on disait en ville, depuis que la fange envahie le royaume, que le seigneur Apollin avait bien du mal à se remettre. Elle l’avait peut-être croisé une fois ou deux, au détour d’un banquet, mais n’avait jamais pris la peine de faire la conversation. Pour le moins, il lui avait fait l’effet d’un grassouillet gentilhomme, plutôt prompt à la bonhommie. Avec le temps, et l’expérience qui lui manquait alors, elle se demandait à présent ce que cachait cette apparente jovialité. Ses déboires physiques – on le disait volontiers atteint de goinfrerie – le tenait surement plus en retrait des affaires que dans sa jeunesse. Il était d’ailleurs étonnant qu’il n’ait pas encore décidé de céder sa place à son fils le plus âgé.

Mais Aliénor se fichait bien de comment il géra son entreprise ; terminant ses comptes, elle prévint tout-de-go son intendant de son intention ; si la soie ne venait pas à elle, elle irait à la soie. D’autant que son idée continuait de germer, insidieusement dans son esprit. Si d’aventure elle se lançait dans le projet qu’elle envisageait, alors des gens comme Apollin de Fierchant serait tout à propos pour soutenir son ambition. Là ! Elle ne mettrait pas la charrue avant les bœufs. Le vieil homme devait encore montrer ses qualités commerciales. Elle n’aurait pas l’audace de s’associer avec un mauvais travailleur. S’il était aussi avisé que bon vivant, alors elle veillerait à tisser une solide amitié. L’Esplanade n’était pas très grande : il valait mieux la jouer fine que d’affronter chacun de ses habitants. Et d’ailleurs, puisque le terrain de chasse était limité, il ne fallut guère longtemps à la Montfort et sa garde pour atteindre le pavillon du tisserand. On l’annonça à la porte puis, peu après, on la conduisait à l’intérieur de bâtisse – modeste mais confortable. Elle n’était pas là pour juger du décorum, mais elle devait admettre un certain goût dans le mobilier, sûrement bien plus qu’elle n’en avait elle-même. Elle laissait d’ailleurs bien volontiers cette tâche à la brave Clothilde, bien plus encline aux choses de la mode et à la beauté. Elle avait été bien chagriné de ne pouvoir l’accompagner ; la perspective d’une nouvelle toilette avait de quoi lui donner le sourire pour les deux jours à venir au moins !

Pour sa part, elle était plus enchantée de constater ce qu’elle savait déjà ; le gros monsieur avait une verve à la hauteur de son poids, un charme certain dans le maniement des mots qui ne pouvait laisser insensible quiconque avait de la culture et un cœur. Il était aussi fort incommodé par sa vie débonnaire, à en croire la patte folle qui le clouait présentement à son siège, dans une bibliothèque ravissante qu’elle aurait d’autant plus appréciée s’il n’avait pas fait mention du litige qui l’amener. Aliénor le salua avec respect, lui offrant même un sourire tout à fait sincère – chose assez rare pour le mentionner ici. On emmena presque aussitôt des petits amuses-bouches délicat, et du vin à la préférence. Si elle refusa la nourriture, elle saisit délicatement le pied d’un verre dans lequel on versa une robe rouge tout à fait satisfaisante eut égard à la situation des vignobles royaux.

« — Monsieur le baron, c’est à moi de vous présenter mes plus plates excuses de ne pas m’avoir fait annoncé plus tôt. Si j’avais connu votre état, croyez-bien que je vous aurez épargné ce mal. Puisse les Trois vous offrir une prompte rémission et un médecin assez compétent pour soulager votre peine.
Et quiconque vivait à Marbrume savait à quel point il était difficile de trouver un bon praticien ; la plupart se tournait vers les prêtres du Temple, qui dispensaient quelques soins mais surtout des prières, et il fallait croire beaucoup pour s’extirper du moindre mal ici-bas. Passant sur sa propre ironie, Aliénor faisait tourner le vin dans sa coupe pour l’aérer.
Voyez, Monsieur, pas plus tard que ce jourd’hui, j’ai remarqué que la livrée de soie que mon intendant vous a commandé il y a un temps raisonnable, n’était toujours pas parvenue ni à notre endroit, ni à celui de notre couturière. Comprenez-bien que cela me coûte de venir m’en plaindre ici ; sans plus rien à se mettre sur le dos, je n’aurais de choix que de déambuler nue ou dans des pièces trop usées pour être portée. Quoique, cela serait aussi cocasse que votre ballet ventre à terre. Nous pourrions alors comparer pareillement lequel de notre honneur sera le plus bafoué ; pour sûr, nos voisins apprécieraient le spectacle. »
Et quoiqu’elle usa d’un ton amusé et d’un large sourire, elle exigeait réparation. Quiconque ne respecte pas son propre contrat doit en payer le prix. C’est une loi élémentaire qu’elle avait assez appris à ses dépens.
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MessageSujet: Re: Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]   Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor] EmptySam 4 Juin 2022 - 14:33
Le baron d’Ocreval hocha la tête d’un air approbateur lorsqu’il nota le choix de boisson de la comtesse, satisfait de la voir accepter un honorable Castelboisjac dont quelques bouteilles avaient depuis peu rejoint la cave du manoir. Levant son verre à sa santé, l’hôte prit le temps d’énoncer quelques mots en réponse aux propos pleins de sollicitude prononcés par son impromptue invitée.

« La visite de votre Grâce ne fait nullement partie des maux qui peuvent d’aventure accabler mon quotidien. Oserais-je même suggérer l’égaiement qu’elle puisse apporter dans le morne quotidien qui est le mien ces derniers jours ? J’espère cependant en tout point que ce nectar pourpre obtenu après moultes tractations auprès de l’un de nos pairs saura ne serait-ce qu’infimement vous rendre la pareille. Le retour à une forme de troc pendant tout un temps a permis quelques fructueux échanges productifs de la sorte. Il est certain qu’il manquera à son propriétaire précédent, mais j’ai dans l’idée qu’il sera bien mieux apprécié en pareille compagnie. Il me sera sûrement agréable d’en profiter en tout cas une fois ce sirupeux breuvage dégusté comme il se doit. »


Sur ces mots, Apollin porta la coupe à ses lèvres, tant pour se désaltérer que formuler intérieurement ses prochaines paroles, prenant garde à l’angle d’approche qu’il se devait d’envisager afin de rattraper l’impair que semblait avoir fait son contremaître à l’encontre d’une aristocrate dont le rang n’aurait dû permettre telle maladresse en premier lieu. Le seigneur des lieux manqua soupirer en pensant au caractère de son bon Octave, imaginant sans grande peine la situation qui avait pu aboutir à cet impardonnable retard, sans doute après un rappel de délais prévus un soupçon trop marqué de la part d’un employé de la Comtesse. Personne n’était dupe en cette pièce sur la tournure que prendrait la discussion, et sur les nouvelles tractations qui ne manqueraient pas avoir lieu avant de parvenir à un nouvel accord, en tâchant de ménager les susceptibilités des uns comme des autres. Fierchant savait pour autant que le tort initial venait de ses gens, et qu’il lui reviendrait donc de revoir ses prétentions à la baisse quant à l’accord initial. Néanmoins, afin de se donner un temps supplémentaire de réflexion, tout autant que dans l’optique chercher à cerner son interlocutrice, le baron jugea tout opportun de poursuivre quelques instants sur son état de santé.

« Vous me voyez flatté de vous inquiéter ainsi de mon état, néanmoins je puis vous assurer qu’il ne s’agit ni de la première, ni de la dernière crise de la sorte. Et au bout de quelques années, et bien d’impuissants mires consultés, l’un d’entre eux – les Trois gardent son âme auprès d’eux, le pauvre ayant depuis trépassé – sut me conseiller un remède à base de colchiques dont on ne peut nier l’efficacité. J’en fais depuis quérir chez certains herboristes expérimentés de la cité. La mixture est cependant loin d’être anodine, empoisonnant autant qu’elle soigne, aussi ne m’y résous-je qu’ne dernier recours, au plus fort des crises intenses. En attendant, comme vous le suggérez si bien, je m’en remets aux Trois et à Leur bénévolence. Je vous épargnerai gracieusement la suite de mes mésaventures à ce sujet, tant leur évocation serait déplacée en pareille société. »


Après pareil préambule fort peu à propos, mais savamment destiné à démontrer l’état de faiblesse qui saisissait le seigneur d’Ocreval ces derniers temps, et possiblement créer un soupçon de sollicitude réelle dans l’esprit de son interlocutrice, le vieil homme enchaîna sur le cœur du sujet de leur discussion. Le baron ne put d’ailleurs s’empêcher un bref instant de lever un sourcil intrigué lorsque l’aristocrate qui lui faisait face formula son grief, indiquant qu’elle avait remarqué un retard de livraison. Ainsi donc la Monfort suivait de près les tractations réalisées en son nom ? A moins qu’elle n’ait eu d’attentes particulières en matière d’atours, ou encore une échéance particulière qui l’y aurait rendue plus attentive qu’à l’accoutumée ? La formulation avait toute son importance, en tout cas, et le baron ne s’y trompa pas : sous couvert d’un trait d’esprit dans la droite lignée de leur conversation, la Comtesse venait d’évoquer finement le camouflet que représentait pour eux deux la rupture d’un contrat initialement scellé par leurs employés, et l’intolérable atteinte à la réputation de l’une ou de l’autre si un nouvel accord satisfaisant ne venait à être trouvé. La jeune femme semblait ne pas avoir son pareil pour amener son interlocuteur à saisir le sens de ses propos sans même avoir eu à formuler de bout en bout ses attentes. Apollin eut ainsi rapidement confirmation qu’il faisait face à une redoutable esthète du verbe, qui ne souffrirait pas une réponse insatisfaisante.

« Je n’ose imaginer la marque au fer rouge dont mon âme serait profondément marquée de vous astreindre ainsi à souffrir pareille situation. Et ne puis envisager un instant d’en être à l’origine dès lors que ceci fût porté à mon attention. D’autres alentour seraient prompts à se gausser de tel spectacle, ainsi que vous l’évoquez, mais j’ose espérer pouvoir nous soustraire tous deux à pareille opprobre, et vous donner promptement pleine et entière satisfaction. »


Finissant sa coupe de blanc, le ventripotent hôte engoncé dans son fauteuil fit de nouveau tinter la clochette, une servante se hâtant alors d’entrer, un pichet et une nouvelle coupe à la main, afin de lui servir de cet intéressant vin à la robe pourpre après l’avoir débarrassé de son gobelet précédent, puis sortit à nouveau sans un mot. Prenant la coupe en main, Apollin la pencha délicatement selon différents angles, afin de faire tournoyer le liquide contre les parois du récipient. Le portant à ses narines, il en huma longuement le bouquet, appréciateur, avant de se décider à porter la coupe à ses lèvres, et en prélever une modeste gorgée. Gorgée qu’il prit le temps de savourer, la faisant côtoyer son palais de quelques effleurements linguaux. Satisfait dans son choix, le baron reposa lentement la coupe sur son bureau, avant de reprendre les tractations.


« Concernant ce retard, je ne puis que constater les faits que vous me rapportez – et que je n’aurais pas l’outrecuidance d’aller vérifier – et chercher à faire amende honorable au nom de l’ensemble de la maisonnée tout comme en mon nom propre. Le contremaître qui s’occupe habituellement de notre exploitation au Labret est un homme de qualité servant la famille depuis plusieurs décennies, doté de compétences rares, et sur qui la reprise de la production s’est grandement – si ce n’est entièrement – appuyée. Ce vilain le sait, et il se peut qu’au cours des dernières années, fort préoccupé par d’autres… situations, dirons-nous, je ne lui aie un peu trop donné les coudées franches. L’homme est compétent, mais prompt à l’emportement, et je crains qu’une vexation quelconque qui n’aurait pas été portée à ma connaissance n’ait interféré dans la bonne livraison de votre dûe commande. Nous allons donc chercher à y remédier de ce pas.»

Un double carillonnement s'accompagna de l’entrée d’Hipolyte, l’intendant du manoir, qui s’enquit immédiatement des désirs de son maître.

« Mon brave Hippolyte, faites donc mander qu’Isabeau nous rejoigne avec ses plus belles étoffes du moment. Y compris celles de la réserve familiale. Il serait impensable de faire attendre plus longtemps la Comtesse au vu des retards déjà accumulés, et j’ose espérer y trouver de quoi contenter sa Grâce. »

L’intendant s’en fût promptement hors de la pièce, s’inclinant bien bas auparavant. Alors qu’il refermait la porte, l’on put voir passer dans le couloir la gouvernante, toujours préoccupée. A l’autre bout de la pièce, une brève ondulation du grand rideau encadrant la fenêtre se produisit, sans doute liée à la fermeture de la porte en toute hâte. Ne restait plus qu’à attendre la couturière et ses lés.
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Aliénor Montfort de BrieuComtesse
Aliénor Montfort de Brieu



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MessageSujet: Re: Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]   Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor] EmptyVen 1 Juil 2022 - 14:00
Le Gras baron savait parler, pour le moins. Il compensait à n’en pas douter son physique disgraissieux avec un esprit plus affuté qu’une lame. On lui avait conté combien il était intriguant, ce Monsieur Fierchant, mais ne s’était jamais donné la peine d’en mesurer l’étendue. A dire vrai, la Comtesse était bien heureuse de l’entrevue, qui la sortait de son morne habituel et lui permettait de s’essayer à nouveau aux jeux de la langue et du bel esprit. S’étant longtemps tenue loin des intrigues de la Cour, elle avait sûrement perdu en qualité d’expression mondaine. Certes elle usa toujours de son aura et de son titre, avec finesse la plupart du temps, mais bien trop rarement avec des gens capables de lui tenir tête assez pour mettre en déroute chaque argumentaire. Aussi, lorsqu’elle trempa les lèvres dans le liquide, elle s’échina à observer de ses yeux gris la corpulente personne, tentant de découvrir tous les messages cachés dans les mots qu’il employait avec expertise, s’adonnant à un face à face plus dur qu’aucune joute armée. Si Aliénor appréciait le moment, - autant du moins que l’on appréciait une plainte -, elle n’en était pas moins en fâcheuse posture ; elle avait reçu une bonne éducation, complète, mais sa jeunesse jouait certainement en sa défaveur. Elle n’aurait jamais autant d’habilité que son hôte pour les lettres et la plaidoirie, et devait, faute de mieux, sauver quelques apparences trompeuses.

Elle continuait de le regarder avec attention, alors même que le son de sa voix doucereuse emplissait la pièce avec assurance. Elle eut, bien entendu, pitié de son état ; n’importe qui en aurait eu. Et lorsqu’elle s’aperçu du stratagème misant sur le pathos, il était déjà trop tard. Elle avait eu un moment de doute, visible, et un élan de compassion qui ne faisait que rarement bon ménage avec les affaires. Mêler les sentiments au travail n’était jamais une riche idée : une règle que lui avait enseigné Hugues, alors même qu’elle apposait le sceau familial sur la lettre qui la reconnaissait comme seule héritière encore vivante de sa famille. Elle avait beaucoup pleuré, à ce moment-là. Elle se souvenait sans mal de ses mains tremblantes, du doute qui l’assaillait, de l’envie de se rétracter. Mais le vieil entendant familial avait tenu bon, droit et implacable, qui à défaut de comprendre sa peine, lui avait permis de survivre et de s’établir dignement. Faute de courage, il lui avait inculqué la résilience indispensable au monde qui s’apprêtait à l’engloutir, bon gré malgré. Ce temps lui paraissait si lointain à présent. Pourtant, à peine une demie décennie s’était écoulé depuis le jour où elle avait abandonné sa vie d’indolence pour celle qu’elle était véritablement aujourd’hui. Plus forte, plus puissante, plus incisive ; elle était la Comtesse Vierge, seule maîtresse de son propre bateau. L’analogie n’aurait pu être plus exacte. La marée, les tempêtes, n’étaient rien d’autres que les remous aléatoires de la vie et de l’agonie du monde, et elle tentait de rejoindre un rivage. Elle tenait fermement la barre, essayant d’échapper à la noyade coûte que coûte. Un combat de chaque instant.

« — Je reconnais là le trait des bons et loyaux serviteurs. Ils ont des qualités indéniables qui font qu’on ne peut se passer d’eux, mais les bougres ne supportent nullement la critique, - envers eux-mêmes ou leur maître. Aliénor offrit un nouveau sourire, un éclat indéchiffrable dans ses mirettes grisailles. L’accusation voilée ne lui avait pas échappé, mais elle n’en tiendrait que peu de rigueur au Baron de la Soie. Il lui offrait un divertissement plus grand encore. J’ai moi-même ce problème avec certains de mes gens. Et à dire vrai, ce ne sont pas eux qu’il faudrait blâmer, mais la mollesse dont nous faisons preuve, par sympathie et égard à leur condition. Lorsqu’un chien mord, ce n’est que la conséquence de la mauvaise éducation de son maitre, après tout.

Elle avait prononcé la sentence avec une voix calme et amusée, mais ne cachait aucunement le coup porté au cœur de la dignité de l’homme. En s’y incluant, elle évita toutefois une bévue trop grande pour être rattrapée par un sourire ; elle espéra juste qu’Apollin se tiennent cela pour dit. Elle n’aimait nullement être remise en cause, de quelque manière que ce soit. Et si elle savait se montrer plus sucrée qu’un loukoum, affable et bien élevée, elle savait aussi sortir les griffes pour qui l’enquiquinait de trop près. Aliénor avait ainsi tenu à distance la majorité des hommes envieux, et de tous les conspirateurs qui aurait pu couper court à ses ambitions. Au moins, son hôte était-il prévenu.

Votre sollicitude pour le désagrément occasionné me va droit au cœur, Monsieur le baron. La ville gagnerait sûrement à avoir des marchands aussi honnêtes que vous, et vous me voyez ravie de pouvoir poursuivre plus avant notre collaboration. Elle s’arrêta un instant, laissant flotter le son jusqu’aux immenses bibliothèques qui couvraient les murs de la pièce. Une salle incroyable s’il en était, la Fange ayant dévasté le royaume, il ne restait plus que quelques rares ouvrages, qu’on disait vendus à prix d’or – pour ceux qui n’avaient pas été enfermés à double tour par le Clergé ou le Roi. Cela doit être difficile de maintenir son commerce avec les temps qui courent. Vous avez de la chance que vos fermes soient assez intactes pour continuer à produire, et que vos tissus soient encore autant prisés. Si je peux m’autoriser l’outrecuidance d’une question à ce sujet, comment faites-vous pour assurer la pérennité de votre entreprise ? Je doute que la vente de quelques livrées soient suffisantes pour tout ceci ».

Elle n’avait fait preuve d’aucun jugement lorsqu’elle désigna l’ensemble de la pièce, décorée avec goût et abritant des richesses allant du vin aux ouvrages entreposés. La Comtesse était réellement curieuse ; elle-même avait peiné un moment avant d’obtenir assez de rendement sur ses investissements, et une telle réussite dans un marché en déclin forçait à l’admiration. Elle s’accorda une nouvelle gorgée du vin sirupeux, prête à entendre les bons conseils de cet intriguant monsieur.
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Apollin de FierchantBaron
Apollin de Fierchant



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MessageSujet: Re: Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]   Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor] EmptyMer 6 Juil 2022 - 0:20
La réponse de la comtesse ne se fit pas attendre. Délicatement enrobée, elle n’en restait pas moins cinglante, démontrant bien la verve qui la caractérisait, et l’esprit vif qui l’habitait. Une autre aurait relevé la suggestion de tort partagé, voire s’en serait offusquée mais la Monfort, non content de ne pas relever directement, renvoyait l’orateur dans ses quartiers d’un soufflet parfaitement maîtrisé, flirtant délicatement avec le camouflet sans jamais en franchir la ténue limite. Agréablement surpris par le trait d’esprit de son interlocutrice, le Baron d’Ocreval hocha la tête en arborant un demi-sourire, sans mot dire pendant quelques instants. Nul besoin d’accélérer les échanges pour l’instant, chaque intriguant tissant sa toile à son rythme, abandonnant certains brins au second pour se saisir d’autres plus attrayants.

La pique suivante fût néanmoins plus amère, insidieusement distillée sous la forme d’un compliment des plus laudatifs, suivi d’un questionnement on ne peut plus direct sur l’état des finances actuelles de la maisonnée et ses capacités à les entretenir. Apollin décida de ne pas trop relever et tourner la première partie en dérision en forçant le trait autant que faire se peut, il eût été risqué de conserver trop longtemps le même registre au cours d’une joute verbale d’une telle subtilité. Aussi l’hôte sirota-t-il pensivement sa coupe de vin, réfléchissant soigneusement à la tournure de sa réponse.


« Je dois en ce cas vous faire une confession, Comtesse, si la ville y gagnerait, ce serait certainement à court terme uniquement, puisque de tels marchands mettraient à n’en point douter rapidement la clef sous la porte. J’ose me targuer d’avoir l’intelligence de m’être bien entouré, afin de freiner mon penchant pour les largesses, à défaut d’être un commerçant avisé. A l’impossible nul n’est tenu, dit-on, aussi ai-je préféré combler mes lacunes à l’aide de tiers que d’inutilement chercher à me perfectionner moi-même dans tous les domaines imaginables. Et j’ai compris ceci très tôt. »


Hochant doucement la tête en vidant la coupe qu’il tenait des dernières gouttes de son contenu carmin, le Fierchant resta à nouveau songeur quelques instants, une discrète grimace traversant brièvement ses traits alors que sa podagre l’élançait à nouveau, avant qu’il ne parte d’un tonitruant mais bref éclat de rire, tant pour détourner l’attention d’une mimique non voulue que pour relancer sur un autre sujet.

« Quant à maintenir un commerce en ces temps troublés, avez-vous vu les réactions initiales de nos semblables face à la… crise qui secoue, transperce et exsanguine le monde tel que nous l’avons connu ? S’il a bien fallu conserver une certaine activité mondaine, certains s’en sont donnés à cœur joie, bien plus que de raisonnable. Et ont de longs mois durant cherché à acquérir de nouveaux atours pour se montrer en société, toujours plus flamboyants. »


Sonnant à nouveau de la petite clochette, le seigneur des lieux somma à la servante qui entra de rapporter une bouteille de leur boisson, sans plus d’explications. Visiblement habituée, la femme d’un âge certain quitta les lieux sans un mot, probablement en direction du cellier. Puis il reprit ses explications, forçant légèrement le trait sur l’aspect néophyte dans le monde des affaires dont il s’affublait. Il savait pertinemment que son invitée ne serait pas dupe, mais il serait de bon ton de respecter les apparences. A moins qu’elle n’eût pour objectif avoué de chercher à tout prix à tester les limites de son hôte, voire à en provoquer le courroux. Mais avec le temps, Apollin les avait soigneusement cultivées et étendues, lesdites limites.

« Or donc, disais-je, il a suffi de respecter la seule loi ancestrale du commerce que je me sois donné la peine d’apprendre : celle de l’offre et de la demande. Répondre trop vite à la demande lorsque les stocks étaient encore conséquents n’aurait pu que me desservir, à l’époque il fallait cultiver l’engouement, créer le besoin. Ne servir qu’au compte-goutte initialement afin de créer l’attrait de la rareté, avant de finalement devenir obligé par la force des choses à le faire, mais le plus tard possible. »


La servante revint alors, chargée d’une petite amphore en terre cuite et de deux nouveaux gobelets, plus petits cette fois-ci. Servant un liquide sombre et sirupeux dans chacun des récipients, elle en disposa un à portée de main de chacun des convives, avant d’esquisser une révérence et quitter la pièce. Se saisissant de la nouvelle boisson, le baron en huma le bouquet sucré, avant d’en prendre une légère lampée.


« Huuuum. Ma Dame, j’espère que vous saurez apprécier ceci au même titre que les vins précédents. Voire même à un niveau supérieur. Car il s’agit ici des derniers vestiges d’une production que nous faisions en Ocreval. La Mûroise, une eau de vie à la mûre qui a connu un certain succès en son temps. Et dont je ne désespère pas un jour relancer la production, car il serait criminel de laisser pareille merveille agréable au palais tomber dans l’oubli. Mais je digresse un peu, je vous le concède. Et en même temps point autant qu’il n’y paraîtrait : lors des tractations, la maison a bien vite accepté le troc en lieu et place des écus sonnants et trébuchants, favorisant même parfois ces échanges au détriment de paiements proposés, ce qui n’a pas manqué créer la surprise par moments. Mais nous a permis de tenir notre rang jusqu’à ce jour. »

Sirotant à nouveau la Mûroise afin d’anesthésier autant que possible le mal qui lui rongeait la jambe, Apollin savait d’aventures que le lendemain serait terrible, lorsque la douleur se réveillerait de plus belle. Mais il ne pouvait se permettre d’apparaître trop affaibli au cours d’une telle discussion, aussi se devait-il de donner le change.

« Nous acceptons désormais plus aisément les paiements, ces derniers temps, pour deux raisons : la première est qu’avec une certaine, hum, stabilisation de la situation à l’heure actuelle, la monnaie reprend son sens, et que l’on peut plus aisément acheter les biens nous manquant au cours des derniers mois. La seconde, c’est qu’ainsi que vous l’évoquiez, notre ferme du Labret a tenu bon. Malgré plusieurs mois d’abandon, le climat plus stable du plateau, couplé à la clairvoyance de ma défunte mère, ont permis aux vers de survivre dans leur milieu naturel. Ainsi lors de la reprise du plateau, l’activité n’est-elle pas repartie du néant, mais de ses balbutiements, ce qui semble peu mais a fait toute la différence, et nous amène à ce jour.

Mais je dois avouer ressentir à mon tour une certaine curiosité quant à votre intérêt sur ce sujet. Auriez-vous quelque projet mercantile qui valût tel éclairage pour se préciser ?»
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Aliénor Montfort de BrieuComtesse
Aliénor Montfort de Brieu



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MessageSujet: Re: Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]   Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor] EmptySam 23 Juil 2022 - 14:07
« — Suis-je donc si prévisible cher Monsieur le Baron pour que vous sachiez lire en moi comme dans un libre ouvert ?

La Comtesse cacha un sourire habile dans le godet, laissant ses papilles tressaillirent au contact de l’alcool, qui loin de la délicate ivresse d’un vin, était bien plus corsée, plus dure et à la fois plus franche. Un excellent choix au regard de la tournure de leur conversation. Elle déglutit doucement, laissant le feu s’étendre jusqu’à son gosier, refreinant même un petit frisson ; elle n’avait jamais été grande amatrice de boisson, et subissait bien souvent son inculture dans les milieux mondains. Elle aimât certains grands cépages, répétant religieusement ce qu’elle avait entendu de la bouche de personnes plus compétentes qu’elle-même, et se cantonnait dans un champ très restreint, préférant bien souvent changer la discussion que d’avouer son incompétence. Son mauvais caractère empreint de cette fierté malhabile avait causé beaucoup de peine à Audouin, son père. C’était d’ailleurs pour cette raison qu’il l’avait envoyé à la cour de son cousin, à la capitale du duché de Morguestanc. Il espérait par cette manœuvre rendre la petite plus doucereuse et soumise, et lui offrir dans le même temps, une éducation à l’étiquette plus poussée que celle qu’elle avait reçu à Brieu. Non qu’elle en manqua, mais il soupçonnait ses gens d’être bien plus permissif avec sa seule fille qu’ils ne devraient l’être. Aussi, l’éloignement la préparait à son mariage futur et déjà arrangé avec le vicomte. Sûrement que sa disparition fût l’événement le plus heureux qu’elle eut connu avec l’arrivée de la Fange.

A dire vrai, son hôte était tout de même admirable. Connu dans ce qu’il restait d’humanité, le Baron de la Soie avait toujours su faire fructifier le labeur familial et offrait non seulement un produit d’une grande qualité, mais s’était toujours échiné pour ne point plier ni face à la demande, ni face à la concurrence. Cela était assez pour forcer le respect d’Aliénor qui bataillait chaque jour pour se maintenir hors de l’eau, et qui serait bien en peine de projeter son commerce sur plus de quelques années. Contrairement à Ocreval, la Montfort ne pouvait se targuer d’une quelconque pérennité ni même d’être parfaitement implantée. Pour l’heure, son titre et son habilité l’avait conduit à prospérer assez, mais les choses changeaient tellement vite qu’il était presque impossible de prédire de quoi demain serait fait. Du moins, c’était le constat qu’elle tirait à cet instant précis, dans la bibliothèque privée de ce gros monsieur ; et rien n’était immuable en ce monde. Aussi, force était de constater que la Comtesse Vierge n’avait guère l’intention de se complaire en passivité. Si l’avenir ne tournait à son avantage naturellement, et bien elle forcerait le destin comme on lui avait enseigné ! Adoncques, l’on pouvait se demander si ses petits travers n’étaient pas, finalement, une aubaine dans ce monde ravagé, dévasté par le chaos et le malheur ; elle ne faisait ni preuve d’abattement, ni de lâcheté. Aliénor avait la rage au cœur et la faim au ventre, assez pour qu’elle veuille planter ses crocs dans le monde entier si cela lui était autorisé. En réponse à l’Ignominie, elle avait choisi la bataille, l’envie sourde d’avancer sans se retourner car voilà bien une leçon qu’elle avait compris : ceux qui cessaient de courir finissaient par mourir.

Voyez, monsieur, je n’ai point votre adresse pour m’entourer dignement ; je n’ai personne et mon entreprise ne repose que sur ma maigre connaissance des choses et celle de mon intendant. Aussi, vous me laissez admirative par votre expertise, même modeste, car elle dépasse de loin la plus brillante de mes compétences en la matière. Elle inclina la tête respectueusement, un sourire franc collé aux lèvres. Si elle était bien plus honnête que précédemment, elle n’oubliait pas non plus d’y mettre la forme. Il y semblait particulièrement sensible. Et je prends le moindre de vos conseils avec le plus grand sérieux. Et puisqu’il faut savoir trouver de bonnes personnes, peut-être, monsieur, serez-vous assez curieux pour entendre mon projet et, qui sait, vous sentirez vous assez convaincu.

Les yeux brillants, le jeu de langue prenait enfin tout son sens. Elle ne s’était pas seulement déplacer au cœur de la maison du baron local pour se plaindre, mais surtout parce qu’elle avait besoin d’alliés. La précédente joute avait été une prémices, une espèce de mise à l’épreuve de l’intelligence de son hôte, pour s’assurer de ce qu’elle avait déjà entendu de lui. Elle était nullement déçue, s’étant élevé même au-delà de ses espérances. Maintenant, le véritable jeu de cour commençait, et son cœur se mit à battre à tout rompre dans sa poitrine. Elle était nerveuse, encore peu certaine de la viabilité de son projet, mais il était de toute manière trop tard pour reculer. Aliénor tentait de maitriser son anxiété dans le masque impassible qu’elle s’était forgé des années durant, croyant tromper celui qui se tenait face à elle. Il était aisé de jouer mais lorsque les événements prenaient une tournure plus dangereuse, le jeu paraissait bien moins attrayant. Trouvant de la force et du réconfort en buvant d’une traite la fin du petit verre de liqueur, elle le reposa en douceur pour se libérer les mains.

Vous le savez sûrement, mais mon commerce repose uniquement sur l’investissement. Je ne vends rien, ni ne produit rien ; je crois en certaines personnes qui en ont besoin. Ce sont des paris, qui étaient modestes et qui maintenant prennent de l’ampleur à mesure des années. Je suis une mécène qui aime à penser que l’ambition est la seule chose qui manque à ce monde. Et l’ambition ne saurait rester enfermer entre les murs épais d’une prison, aussi confortable soit-elle. Vous sembliez vous-même ne pas en manquer ; alors dites-moi monsieur, seriez-vous prêt à faire un pari avec moi ? »

Elle lissa un pli de sa robe, son rictus s’étant mué en quelque chose de félin. Elle se maudit de ne plus rien avoir pour se donner bonne contenance, mais elle tint vaille que vaille, prête à s’exposer d’avantage si le graisseux personnage donnait le moindre signe d’intérêt. Et la Comtesse Vierge, fière et digne, y croyait.
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Apollin de FierchantBaron
Apollin de Fierchant



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MessageSujet: Re: Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]   Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor] EmptyMer 27 Juil 2022 - 22:53
Enfin, la joute verbale allait se focaliser sur le cœur du sujet. La raison même du déplacement de la Comtesse de Brieu jusqu’au domicile du ventripotent baron. Car avec l’expérience venait une certaine forme d’anticipation, de recherche de double sens, et de conjecture sur l’intérêt de l’interlocuteur. En l’occurrence, le vénérable noble se doutait que le temps d’une comtesse était par trop précieux pour justifier un déplacement pour quelques toises de tissu. Aussi avait-il laissé le sujet dériver naturellement depuis son point initial, prenant garde à préserver l’honneur de son invitée en ne cherchant pas à minimiser la doléance initiale. Et comme anticipé, lentement mais sûrement, la véritable raison de la venue de la Monfort s’était dévoilée. Pudiquement, d’abord, en réponse à une perche tendue par le patriarche, la jeune femme paraissant sonder Apollin quant à ses capacités mercantiles, puis peu à peu de manière plus franche, la noble levant voile après voile l’opacité pesant initialement sur ses intentions, pour finalement en dessiner plus clairement les contours. Quelques circonvolutions semblaient néanmoins encore nécessaires avant de mettre à nu l’objectif effarouché de cette visite. Dans le même temps, la Mûroise semblait produire son petit effet, son goût sirupeux en première bouche révélant un bouquet bien plus puissant par la suite, mais tout à fait à propos. Ce tonifiant effet permettait généralement un regain d’assurance tout à propos pour entamer pareille conversation, encore fallait-il lui laisser le temps de galvaniser les forces des convives, aussi le Baron d’Ocreval se plia-t-il encore au jeu des duperies flatteuses que constituait pour l’instant cette conversation, tournure habituelle en haute société.

« Très chère, je ne me fais que peu de soucis sur votre capacité à vous entourer dans le futur. Vous évoquer un intendant qui semble digne de confiance, le reste n’est qu’expérience qui vous permettra de mieux cerner les gens et séparer le bon grain de l’ivraie par la suite. Quelques bévues pourront sembler inévitables, le tout est de ne point les laisser sans surveillance trop longtemps afin de pouvoir les réparer, et congédier tout incompétent ou faquin. Mais voici que vous attisez soudainement ma curiosité, ce qui est fort plaisant. Je suis tout ouïe. »

Sans un mot de plus, le vieil homme planta son regard dans celui de son interlocutrice, à l’inhabituelle couleur gris, mais qui loin de sembler terne paraissait au contraire en cet instant brillant et affûté. Il l’observa vider sa coupe d’une traite, mais se retint en premier lieu de faire prestement sonner sa clochette pour rappeler la servante, préférant respecter le silence que se ménageait la comtesse avant d’entrer dans le vif du sujet. Toute distraction en cet instant aurait été autant malvenue qu’offensante. Ecoutant sans mot dire la proposition de la Dame de Montfort, le Fierchant apprécia la finesse avec laquelle cette jeune femme semblait avoir rebondi de l’inévitable drame qui avait accablé sa famille. Car un drame était inévitablement survenu pour voir une jeune femme à la tête d’un Comté – comme dans nombre de familles nobles au cours des dernières années – et l’avoir amenée à gérer l’entièreté de sa maisonnée, là où son éducation n’avait guère dû lui en apporter les clés. En vérité donc la voir ainsi lui faire face en cet instant avec une proposition commerciale pouvait donc sembler un succès en soit, puisque ceci témoignait des capacités de la jeune noble à avoir su rebondir suite aux événements, et éviter l’irrémédiable ruine de sa maison, et le déshonneur de devoir par la suite dépendre uniquement des bonnes grâces du Roy. Non que le baron eût des griefs à l’encontre de la royauté, bien au contraire – il en était même un fervent partisan – mais Apollin n’aurait que peu goûté devenir entièrement dépendant de la Couronne, et n’avoir plus aucun poids propre, aucun projet. De ceci il s’était bien gardé en priorité.


« Si les Trois ont fait de l’Homme un être pensant, j’ose gager que ce fût pour le voir perpétuellement créer, refaçonner, imaginer. Certainement pas en tout cas pour se morfondre et se complaire dans l’inaction et l’oisiveté. Or, s’il est un trait de caractère qui peut nous préserver de telle déchéance, c’est bien l’ambition, je vous le concède volontiers. Je ne suis probablement pas le plus ludique des partenaires, néanmoins les bonnes conditions réunies pourraient bien me faire sauter le pas. Quelques garanties accompagnant le détail de votre proposition pourraient bien me décider. Une contrepartie assurée – d’une manière ou d’une autre, je suis certain que votre activité vous a permis de développer de nombreuses ressources et un œil avisé - pourrait être une autre porte d’entrée. Comme je vous l’ai dit, je me languis du temps où la Mûroise pouvait couler à flots, et je gage qu’ayant goûté ce nectar à votre tour vous abonderez en mon sens. »

Ponctuant sa tirade d’un tintement de clochette, l’hôte replet attendit que la domestique fût de nouveau sortie avant de reprendre ses propos. Dans le même temps, un nouveau frémissement agita l’un des rideaux dans le dos du patriarche. Pourtant, toutes les ouvertures de la pièce étaient présentement fermées.

« Mais sans doute pourriez-vous déjà vous épancher plus avant quant à la teneur dudit pari que vous entendez me suggérer ? »
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Aliénor Montfort de Brieu



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MessageSujet: Re: Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]   Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor] EmptyMer 2 Nov 2022 - 14:55
Si d’aventure Aliénor avait toujours su dessiner de manière très précise ses projets, ces derniers avaient été jalousement gardés dans sa tête jusqu’à récemment. Les rencontres successives avec la jeune Isolde puis le Comte aux Corbeaux avait précipité ce qu’elle avait redouté – et tant voulu – faire. Elle était assez vieille à présent pour comprendre certaines choses qui lui auraient probablement échappé quelques années plus tôt ; les jeux de cour n’ont en somme de ludique que le nom, et si elle avançait prudemment ses pions, c’était bien par soucis de ne pas finir la tête tranchée ou pire encore. Mais le temps n’était plus à la réserve : elle devait s’emparer de ce qu’elle croyait juste, et pour cela l’échiquier devait se modifier durablement. En regardant plus avant le Baron de la Soie, elle y voyait sans nul doute un fou. Il disposait d’une longue portée mais d’un déplacement restreint à une unique diagonale. Il était le gardien fidèle de tradition ancienne mais avec une longe assez leste pour entrevoir les possibilités d’un certain modernisme. D’aucun avancerait que ce genre de compagnon servait d’avantage ses intérêts que ceux de sa Reine. Et c’était bien vrai ; personne n’avait envie d’un sacrifice vain, ni de perdre le peu acquis pour une personne totalement étrangère. En considérant ces aspects les plus humains qu’ils soient, la Montfort croyait être capable de faire front commun.

Elle était sûrement naïve la jeune femme blonde assise là, dans ce fauteuil soudainement trop grand pour elle, avec un sang presque trop lourd. Elle se berçait avec les illusions qu’on lui avait toujours apprise. Comme un tendre souvenir, elle s’accrochait à cet espoir futile d’un jour changer les choses. Elle n’avait pas de rêve de grandeur, et n’aspirait pas non plus à voir son nom inscrit dans les registres historiques de la grande Bibliothèque. Bien sûr, elle ne s’en privera pas si l’occasion se présentait, pourtant cela n’avait jamais été une fin en soi. Derrière le visage placide, indéfectible masque, se camouflait encore l’enfant brisée et pleine d’espérance qu’elle avait un jour été. Le monde était bien trop cruel avec les simples d’esprit qui se laissaient aller à quelques sentiments trop doux ; elle qui avait tout perdu le savait que trop bien. Elle n’avait guère mérité le sort qui s’était acharné sur son nom, néanmoins, impuissante, elle avait regardé l’œuvre des Trois lui enlever une à une les brides de joie et ses souhaits enfantins. Et bien qu’elle aurait pu abandonner ici, oublier ses désirs adolescents, elle avait plutôt choisi de les enfouir quelque part, dans le Néant, cet endroit sombre qu’elle seule était capable d’atteindre. Une grotte intérieure à peine éclairée par une flamme vacillante, soumise à toutes les tempêtes du dehors. Un foyer dont les langues enflammées menaçaient chaque jour de s’éteindre.
Jusqu’à maintenant, elle tenait bon.

« — Croyez bien que cette offre nous sera en toute chose bénéfique, car sa réalisation dépendra autant de vous que de moi. Si bien que si l’un de nous fait défaut à l’autre, le contrat établit sera jugé caduque et que nous aurons tous deux forts à faire pour… Comment avez-vous dit déjà ? Corriger quelques bévues inévitables.

La jeune femme qui avait fait irruption plus tôt était revenue sur l’ordre de son maître, portant à sa main le même pichet qu’alors. Elle servit la dame en premier, puis le Gros Monsieur avant de s’enfuir après une brève mais polie révérence. Le personnel des Fierchant leur semblait tout dévoué, et ce fût tout ce qui inquiéta Aliénor lorsque le rideau se mit à bouger curieusement. Quelqu’un était-il caché là-dessous ? Fallait-il craindre d’être épié ici ? Elle n’en cru rien. Apollin était certes impotent mais pas stupide : en laissant quelqu’un trainer l’esgourde en douce, il exposait sa propre maison au déshonneur. La Comtesse vierge avait laissé entendre suffisamment le sérieux de la conversation pour penser qu’aucun de ses gens ne ferait l’affront d’espionner son hôte. Elle se racla la gorge toutefois, laissant son verre remplit intact.

Que diriez-vous de vous établir à Tourbière ? Les sols limoneux seraient une aubaine pour la reprise de votre vigne. Et si nous marchons de pair, eh bien je crois pouvoir vous assurer une main d’œuvre presque sans dépense. Elle ne sera certes pas des plus qualifiée, mais si nous prenons le temps d’envoyer une ou deux personnes de confiance pour la former, nul doute que cet investissement sera bénéfique à terme.

D’un geste lent, elle lissa un pli de sa robe.

J’ai pour projet de reprendre la ville. L’héritier de la baronnie est selon mes sources toujours en vie, quelque part dans la milice. J’ai déjà obtenu du Comte de Corbug ses hommes et son allégeance. Ces deux choses permettront sans doute d’obtenir l’appui de la milice extérieure, sinon quelques courageux en mal de combats. De plus, j’ai l’intention d’installer un béguinage pour décharger la cité des veuves et des orphelins les plus démunis, leur offrant un lieu géré par le Temple qui pourra servir de vivier pour d’autres projets, comme le vôtre. J’espère ainsi m’attirer la faveur des Trois et de leur dirigeant sur terre, afin qu’il concourt lui aussi à l’effort financier et matériel que cela représente. Elle marqua une pause, planta ses yeux d’acier dans les billes du noble boiteux. Ce que j’attends de vous, c’est votre réputation. Monsieur le Baron, vous êtes reconnu et respecté de nos pairs. Si vous parlez fort, et en bien, de cette ambitieuse affaire, nul doute que nous obtiendrons l’aide nécessaire pour que ni vous ni moi n’ayons à enfiler quelconque armure.

Elle avait joué cartes sur table.
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MessageSujet: Re: Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]   Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor] EmptyVen 9 Déc 2022 - 20:35
L'aplomb de la jeune comtesse était admirable, et son plan semblait déjà bien défini. Nombre d'appuis également semblaient acquis, ne lui manquait alors plus qu'un porte-parole, en somme. Rôle qu'elle entendait proposer au Baron d’Ocreval. Ainsi qu'une opportunité de remettre la main sur des terres plutôt fertiles. Cependant, un point semblait avoir échappé à la jeune femme, une perche tendue qu'elle n'avait su saisir – ou comprendre, peut-être -, une légère bévue quant aux aspirations évoquées par le ventripotent patriarche. En d’autres circonstances, avec un autre interlocuteur, une telle erreur de jugement aurait pu coûter cher, faire couper court à toute négociation.


Néanmoins le Fierchant jugeait également de l'ambitieux projet qui se dessinait sous ses yeux, jaugeait les éléments qu'elle lui avait fournis, le sérieux des gages qu'elle semblait apporter. Les gains qu'il serait en mesure de lui obtenir. Pesant longuement le pour et le contre, Apollin en profitait pour humer et déguster la mûroise, d'un air songeur. Finalement le vieil homme se décida, et leva délicatement son verre, pour faire miroiter le pourpre breuvage dans l’éclat des rayons solaire qui traversaient la fenêtre à croisillons.


« Avez-vous quelques connaissances en sériciculture, Comtesse ? Savez vous d’où provient la plus raffinée des soies ? »

L'aristocrate se délecta d'une gorgée du sirupeux nectar.

« Le ver à soie est un animal bien fragile assurément, mais aussi et surtout promptement enclin à faire la fine bouche. Son alimentation privilégiée si ce n’est exclusive, se constitue de feuilles de mûrier. Arbres que nous avons depuis quelques décennies réussi à acclimater au plateau du Labret, et nous a ainsi permis par l’œuvre des Trois de préserver une population minimale de ces délicats insectes. »

Plongeant ses yeux dans ceux de la Comtesse, un air bonhomme et détendu ostensiblement affiché sur ses traits, le baron acheva sa démonstration, sans animosité aucune, mais démontrant bien par là l'erreur d’appréciation commise par son interlocutrice.

« Or donc notre famille jugea bon de tirer amplement partie de ses mureraies, tant en Ocreval qu'au Labret, au lieu de se contenter d’en cueillir les fruits. Ainsi avons commencé à distiller de la mûroise. Les connaissances de ma maisonnée en matière de vignes restent donc frugales, dois-je confesser. Et mon intérêt ainsi somme toute relatif, bien qu'existant. Au contraire, trouvez-moi une distillerie avec un alambic en état de marche croulant sous les dettes dans les faubourgs et vous ferez de moi un partenaire commercial comblé ! »

La contre-proposition était donc ainsi clairement formulée par le vieil homme, les rabrouements savamment dissimulés dans ses propos, relevant plus de la remarque amusée que du reproche offensé. Mais l'attention du patriarche se déporta bientôt de la Montfort pour se focaliser sur la sensation de tirage qu'il ressentit brutalement sur sa manche droite alord que les rideaux derrière lui avaient bougé une fois de plus, et c'est les yeux écarquillés que le seigneur d'Ocreval découvrit la fillette qui est était responsable, et se contentait désormais de le fixer sans mot dire, la main toujours fermement serrées sur sur les crevés de son pourpoint. Décontenancé, Apollin ne sut que sire durant quelques instants, une larme perlant à la commissure de ses yeux.


« Garance? Mais mon enfant, que faites-vous ici... Je... »

Prenant une profonde inspiration le baron se ressaisit, et saisit la jeune enfant sous les aisselles, qui se laissa faire sans ciller ni le moindre mouvement, et l'installa sur ses confortables genoux. Puis le paternel se recentra sur son hôte.

« Toutes mes excuses, comtesse, cette reste habituellement en chambre à longueur de journée depuis certains événements. Je ne sais ce qu'il lui a soudain pris pour la retrouver ici, mais nul doute que son mutisme ne saurait briser le secret des affaires. Reprenons donc où nous en étions, si vous le voulez bien. »

Le chef de famille se savait avoir en l'instant fait montre de ce que d'aucuns appeleraient une faille qu'il eût habituellement fallu dissimuler au cours d'une transaction. Néanmoins escomptait-il que sa mansuétude antérieure pourrait peut-être trouver écho dans celle de son interlocutrice, selon le bon vouloir de cette dernière.
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MessageSujet: Re: Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]   Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor] EmptySam 11 Fév 2023 - 20:58
La Comtesse Vierge examina chaque mot de son hôte, comme l’on découpait une belle viande pour en extraire la chaire la plus tendre. Pour sûr, elle n’avait aucune connaissance ni en vin ni en ver ; c’était là des passe-temps qu’elle goutait peu, et à tout dire, qui l’aurait probablement ennuyé. Mais force était de constater que le ventripotent Baron, lui, ne comptait pas sa verve sur le sujet. Il aurait pu presque en devenir passionnant tant il mettait du cœur à raconter, les yeux dans les yeux, combien le maintien de son capital était difficile. Là-dessus, elle n’avait rien à y redire : elle-même était une femme d’affaire, et savait combien cette tâche pesait sur le quotidien de sa maisonnée. Car de son activité dépendait directement la dizaine de gens qu’elle avait à son service, et depuis peu, son nouveau vassal. Le chien de Colburg avait une fort mauvaise réputation quand il s’agissait de l’étiquette, mais sa compagnie de chevaliers était reconnue par ses pairs et la milice. Aliénor pourrait dresser le molosse en temps voulu. Pour l’heure, elle se fichait bien de ses manières tant qu’il était dévoué à sa cause. Mieux ! Une part de son esprit espérait toujours que le pauvre bougre trouve une mort fortuite dans l’entreprise. Au moins, cela lui enlèverait une épine du pied.

Puis l’épais voilage bougea à nouveau et s’extirpa bientôt une petite silhouette fluette. La gamine qui émergeait n’avait pas plus de sept ans, et ses mirettes implorant son père eurent presque l’effet de couteau dans son cœur. Combien elle l’enviait à cet instant, cette petite. Elle n’avait plus de père à qui tirer le pourpoint, ni même de mère avait qui broder durant les longues soirées d’hiver. Ses frères aussi l’avaient abandonné. Elle était seule, oui, seule. Une ombre passait sur son visage impassible, tandis qu’elle se laissa aller à la rancœur et la tristesse un battement de cils, serrant un peu plus la chevalière qu’elle arborait à sa main droite. L’aigle bicéphale était à la fois la clef d’une cage dans laquelle elle avait longtemps été enfermée, mais aussi le douloureux rappel qu’il n’y avait plus qu’elle. Sa gorge se noua. Elle ne pouvait plus se cacher dans les bras chauds et familiers d’Audouin, elle devait assumer la responsabilité de sa charge. Elle l’avait accepté, et même s’il lui coûtait toujours de l’admettre, la situation lui convenait sûrement plus que ce qui l’aurait attendu si la Fange n’avait jamais existé. Plongeant ses lèvres dans la liqueur fruitée, elle en avala une pleine gorgée. La brûlure laissée par le liquide finit d’emporter le reste de ses tourments.

« — Là, ce n’est rien mon cher. Vous deviez manquer assez à cette charmante enfant pour qu’elle vous retrouve ici. La Montfort offrit un sourire maternel à la petite en reposant sa coupe. Veuillez pardonner ma curiosité mais vous dites qu’elle est muette ? Est-ce un mal de naissance ? La pauvre enfant. Elle a beaucoup de chance d’avoir un père aussi aimant que vous.

Aliénor se rapprocha un peu du bord de son assise, se penchant vers Garance avec bienveillance. Elle ne voulait pas l’intimider, mais la gamine était aussi mignonne que son père était gros. Le distinguo entre les deux Ocreval était aussi déroutant que comique. Là, elle avait de la chance de tenir de la mère ! Ainsi, même muette comme une carpe, le baron pourrait toujours espérer de lui trouver un parti acceptable pour peu qu’elle ne soit pas aussi dénuée d’intelligence. Une chance que Léandre n’aurait de toute façon jamais connu ; son plus jeune frère avait tant manqué d’air à la naissance qu’il était devenu imbécile. Sa mère le couvait d’amour et de compassion, malgré les remontrances de son père et l’indifférence de son aîné. Au final, elle appréciait la compagnie de ce cadet ; il n’avait jamais su parler pour la contredire lorsqu’elle s’enflammait. Non, il riait aux éclats, riait encore et encore jusqu’à en avoir mal aux côtes. Que la vie était douce, durant ces jours heureux à Brieu.

A-t-elle déjà une tutrice ? Cela ne doit pas être simple d’élever des jeunes filles, seul, dans un tel…contexte. Il me croit savoir que ce n’est pas là le seul bijou que vous possédez. Peut-être pourraient-elles venir faire la lecture chez moi. Ma pupille, la baronne de Beaumont serait sûrement ravie d’offrir à ces demoiselles quelques leçons.

Elle se redressa, reprenant une posture plus digne, toujours le même sourire accroché aux lèvres mais son regard quitta l’enfant pour se concentrer à nouveau sur le père.

Bien sûr si notre affaire est concluante. Vous avez dit vrai ; je ne suis guère la mieux placée pour comprendre toutes les subtilités de votre commerce. J’espère que vous saurez trouver le cœur de pardonner mes lacunes. Considérez néanmoins cette distillerie comme votre. Mais que diriez-vous d’un partenariat plus durable ?
Voyez, messire, il se trouve que je travaille mes connaissances naturalistes depuis peu, et que vous me semblez hautement qualifié en la matière. En parcourant les registres d’archives disponibles à mon office, j’ai trouvé la mention de deux animaux sur lesquels j’aimerai investir. Et ce faisant, en établissant des élevages dans les marais, vous auriez accès à la meilleure teinture ainsi qu’à la plus belle nacre et aux plus belles perles de tout notre Royaume.
Doucement, elle lissa un pli de sa robe impeccable. J’ai toujours aimé les paris gagnants ».
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Apollin de FierchantBaron
Apollin de Fierchant



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MessageSujet: Re: Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]   Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor] EmptyVen 10 Mar 2023 - 17:31
Sans mot dire, le baron d’Ocreval remercia tacitement son invitée d’un léger mouvement de tête, maintenant toujours une main douce mais ferme sur le flanc de son enfant comme s’il craignait qu’elle ne basculât, alors même que son âge rendait la situation plus qu’improbable. La petite fille restait étonnamment impassible, ne cherchant ni à se défaire de l’étreinte de son paternel, ni à en réclamer une plus affectueuse. Elle restait sise, tout simplement, comme elle était manifestement restée droite comme un i derrière les rideaux quelques instants auparavant. Et le masque figé de ses traits fins ne laissait transparaître aucune émotion de quelque sorte que ce fût, au grand dam de son géniteur qui avait un instant espéré que la survenue d’une situation si cocasse eût pu suivre un déclic source d’une amélioration notable. Mais la route en semblait somme toute encore longue, et plus que cahoteuse, avant d’envisager une guérison.

C’est d’ailleurs doublement peiné qu’Apollin accueillit la question de la comtesse, un voile obscurcissant brièvement son regard alors que se rappelaient à lui les douloureux souvenirs liés à cet état de fait. Il entreprit néanmoins d’apporter une réponse qui saurait convenir, tout en évitant certains mots, certaines locutions, pour éviter de raviver trop brutalement les traumatismes de sa benjamine. Dans le même temps, il entreprit de faire à nouveau sonner la clochette pour appeler sa domestique, préférant dès lors épargner de trop vives réminiscences à l’enfant, aussi imperturbable qu’elle parût en l’instant.


« Et bien… Disons que l’exode vers Marbrume ne s’est pas déroulé calmement pour grand monde… »

Le Fierchant laissa traîner ses premiers propos tout en réalisant de petits mouvements concentriques à sa coupe de sa main libre, s’absorbant dans la contemplation du tourbillon qui se formait dans le nectar carmin, jusqu’à ce qu’une servante entre deux âges ne fît son entrée. Avisant la petite fille, elle comprit immédiatement de quoi il retournait, et entreprit de soulager le patriarche du poids plus moral que physique qui l’encombrait en cet instant, faisant délicatement glisser Garance des genoux de son père puis prenant délicatement la petite main dans la sienne pour la guider vers une autre pièce, l’enfant suivant presque mécaniquement, sans hausser un sourcil.

« La petite était encore au domaine familial, en compagnie de sa mère et son frère jumeau, lorsque les Fangeux sont arrivés. Ocreval a été évacué en toute hâte, mais si ma Garance a été de justesse extirpée de ce... charnier, les autres ont eu bien moins de chance. » L’hôte inspira profondément avant de poursuivre. « Valère, mon aîné, y perdit également femme et enfant. Ainsi que sa raison d’être, je suppose, puisqu’il rejoignit l’ost royal… »

Se perdant encore quelques instants dans la contemplation de sa coupe, le vieil homme en avala la fin d’une seule lampée, afin d’en ressentir toute la brûlure exquise descendre d’un coup jusqu’au fond de ses entrailles, avant de finalement se tarir. Signe dont le baron se saisit pour reprendre ses esprits à la visite actuelle, et embrayer sur les questions suivantes, espérant éloigner au plus vite ces sombres pensées.


« Ma foi, son état quasi-léthargique n’a guère permis jusqu’à présent de proposer à la petite une éducation complète, quand bien même sa nourrice cherche régulièrement à réveiller en elle un soupçon de la curiosité qui l’avait auparavant caractérisée. Je vous confierai néanmoins ne pas envisager pour l’instant de prendre le risque de la perturber en l’offrant à un environnement inconnu. Pour ce qui est de mes autres filles, et bien… Je crains que l’on ne vous ait quelque peu distordu la réalité. La seule à ne point avoir rejoint les Trois, Hermeline, a officiellement pris un autre nom depuis de nombreuses années déjà, et élève ses enfants dans la grâce des Trois. »

Hochant la tête aux propos suivants de la Dame de Montfort, un sourire étira son visage dans le même temps. Ainsi donc en revenait-on au cœur même du sujet qui avait motivé cette entrevue ! L’imposant aristocrate restant néanmoins quelques instants pensif, alors que l’effort mental qu’il faisait pour raccrocher les propos de la comtesse aux précédents perturbés par l’adorable intruse lui demandait toute sa concentration. C’était néanmoins loin d’être la première fois qu’il devait faire pareil effort après un interlude impromptu, et probablement pas la dernière avant qu’il ne rejoignît les Trois.

« Tourbière, avez-vous dit ? Serus m’en soit témoin, je ne connais pas à moitié aussi bien l’art de la vigne que je ne l’aurais voulu, néanmoins le bon vin commence à se faire rare, aussi viendra-t-il un jour à manquer si personne ne s’attelle à la tâche, ce qui serait fort regrettable. Et la main d’œuvre que vous évoquiez serait bien suffisante pour certains de ces ouvrages, tout en dégorgeant la cité de nombre de nécessiteux, et partageant le mérite avec le Clergé pour ne point trop briller et attiser les convoitises. Charmante idée ! Quant au Corburg, je dois vous avouer avoir eu quelques échos pour le moins… étonnants à son égard, mais je me garderais bien de prononcer mon jugement sur tels propos, tant les médisances peuvent parfois se faire insidieusement réalistes. »

Le Fierchant reposa lentement sa coupe sur le bureau alors qu’il réfléchissait aux derniers propos de son invitée, avant de rebondir dessus, d’un esprit aussi fin et aiguisé qu’il était adipeux et physiquement diminué. Et désormais tout à son sujet, désireux d’y focaliser l’entièreté de son attention, bien moins superficiellement que d’usage, lorsqu’il avait mille choses à penser à la fois pour le devenir de la maisonnée. Mais le tournant était peut-être là, celui à ne manquer sous aucun prétexte.

« Cependant, comme vous l’évoquiez à l’instant, une telle entreprise ne pourra que reposer sur un concours durable des différents partis, afin d’en assurer la pérennité. Il conviendra alors en premier lieu de constituer une assise solide pour exploiter le territoire, et quoi de mieux qu’un héritier, pour peu qu’il fût convainquant ? Mais vous avez piqué ma curiosité, bien que me prêtant bien plus de savoir que je ne puis m’en targuer réellement. Je vous en prie, pourriez-vous m’éclairer plus avant sur lesdites bêtes ? »
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Aliénor Montfort de BrieuComtesse
Aliénor Montfort de Brieu



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MessageSujet: Re: Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor]   Une leçon d'étiquette dans les règles de l'art [Aliénor] EmptyJeu 6 Avr 2023 - 18:42
« — Là Monsieur, croyez-moi les rumeurs sur le Colburg sont bien vraies ; cet homme est aussi rustre qu’on aime à la décrire et sa Roukerie, aussi brave. C’est d’ailleurs la seule raison qui m’a fait accepter l’offre. J’aime à tirer profit du meilleur de mes partenaires. Je ne demanderai jamais au Corbeau de faire preuve d’esprit, de la même manière que je n’oserai vous proposer de porter l’armure. A l’un les muscles, à l’autre la tête.

Aliénor sourit avec malice et honnêteté. Elle n’était pas venu ici pour quérir un concours militaire, de même qu’elle n’avait pas fait rentrer chez elle ce fils de chien pour sa verve. Elle avait appris les choses ainsi : un bon partenaire est un partenaire qui ne détient pas les pleins pouvoirs. Aussi, elle ne s’aventurerait jamais à courtiser un homme qui sache à la fois les affaires et l’épée ; cela aurait été contreproductif sur le long terme. De même, en se plaçant au cœur des interlocuteurs, elle s’assurait de ne pouvoir être facilement évincée. A toute entreprise, il fallait se rendre indispensable, irremplaçable. Elle qui n’était qu’une femme en plus de cela avait sûrement deux fois plus de travail que n’importe lequel de ses commensaux. Ainsi, lorsqu’elle serait en pleine possession de sa force, elle pourrait s’imposer sans souffrir de trop vives rebuffades. Bien sûr, elle ne se leurrait pas : il y aurait des contestations. Elle les entendait déjà. D’ailleurs, la Brieu les avait déjà entendu par le passé, de la bouche de son père et de son aîné. Elle avait toujours eu ce tempérament flamboyant qui, plutôt que de fasciner par la douceur de ses flammes ardentes, effrayait par la possibilité des dégâts d’un incendie. Aujourd’hui, l’analogie ne lui paraissait plus si juste que cela : elle n’avait jamais nourrit aucun brasier, et n’était pas d’un naturel chaud. Non, sa brûlure était plutôt celle du froid mordant, de l’indifférence douloureuse, de la glace épaisse que l’on ne peut briser.

Pourtant, sous ces apparences rigides, elle était aussi fragile que n’importe qu’elle autre. Et la pauvre enfant du sa Ventripotence lui avait amèrement rappelé le goût de ses propres larmes et du désespoir qu’elle ressentait, inlassablement, jour après jour. Elle n’avait certes pas fini muette, ou catatonique. Mais elle aurait pu. Elle avait faillit s’abandonner à la facilité du déni, de la peur, de l’impuissance. Oui, Aliénor avait glissé quelques temps vers la mort de l’âme avant qu’on ne la rattrape, in extremis. Elle remerciait les Trois pour avoir mis sur sa route son amie, pour lui avoir une seconde chance. Une deuxième vie, en quelque sorte, à laquelle elle avait juré de donner un sens. Aussi, elle avait laissé son commerce se faire, et ses ambitions germer doucement, comme ces graines qui ont besoin du chaos pour pousser. Elle avait eu besoin de cette ignominie, de l’angoisse permanente pour s’épanouir et trouver sa place en ce monde. Pourtant, bien que cela la rende particulièrement fière d’elle-même, ses accomplissements lui laissaient jusqu’à présent un goût de cendre sur la langue. Elle était tout bonnement insatisfaite ; elle voulait plus, elle méritait mieux. Rien d’autre que le monde. Bien sûr qu’elle ne rêvait pas vraiment de tout ça, cela lui donnait simplement une raison d’avancer et d’exister. C’était là tout ce qu’elle souhaitait, en fin de compte : elle voulait vivre.

Pour le reste, vous avez bien saisit ma volonté. Nous ferions alors une bonne action non seulement pour la cité, mais pour l’humanité entière. Voyez, je doute que le peuple nous tienne encore en haute estime quand la plupart de nos pairs se contentent de vivre alors qu’eux survivent. Avec un tel projet, ceux qui auront participé auront sûrement l’approbation d’une partie de la population. La reprise des villes extérieures a toujours été bien accueillie. Cela donne de l’espoir pour l’avenir, vous voyez ?

Elle retrouva un masque plus placide. Elle se surprenait même à apprécier la compagnie du baron. Elle n’était guère là depuis longtemps, mais il lui offrait une distraction bienvenue dans ses tâches quotidienne, et il lui apparaissait aussi que cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas conversé de la sorte. Quoique la raison fut ses affaires, c’était au moins plaisant de rencontrer du beau monde. Etrangement peut-être, elle se sentait moins seule.

Quant aux bêtes dont je vous ai fait mention, il s’agit en premier lieu d’une espèce de moule qui grandit dans la région. Les quelques mentions dans les archives parlent d’un cycle particulier, dépendant d’une truite s’épanouissant dans les marées. Il y a fort à parier qu’avec des connaissances plus approfondies que les miennes, et un peu de temps, nous pourrions en faire culture. Et ce faisant, vous auriez à disposition perles et nacre en quantité. De quoi améliorer vos services, avec la confection de robes brodées de perles.
Et puis il semblerait qu’un étrange gastéropode était utilisé autrefois pour obtenir une couleur unique sur les vêtements, une nuance de rouge inégalée jusqu’alors. Je pourrais tout à fait concevoir un élevage et m’associer à vous pour ouvrir une teinturerie dans laquelle, ayant des parts, vous pourriez trouver avantage. Finalement, j’importerai ma propre main d’œuvre, et offrirai une matière première d’exception qui aura tôt fait de rétablir l’ordre des choses ici, à Marbrume
».

Elle espérait avoir été assez convaincante. En tout cas, elle savait l’homme assez intelligent pour au moins s’adonner à la curiosité. C’était un début. Elle avait besoin de son soutien et de son appui. Si lui aussi voyait des intérêts à mener le projet à bien, alors nul doute qu’il se donnerait assez pour que cela fonctionne. C’était tout ce qu’elle attendait du gros Monsieur.
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