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 Le vent se lève ~ Valent d'Auvèrnha

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MessageSujet: Le vent se lève ~ Valent d'Auvèrnha   Le vent se lève ~ Valent d'Auvèrnha EmptySam 25 Juin 2022 - 20:34
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Usson au Labret
Domaine de Choiseul

Valent
d'Auvèrnha

Esmée
de Sabran

Le vent se lève.


Deux jours s'étaient écoulés depuis sa rencontre avec Roxanne du Val d'Asmanthe. Deux jours durant lesquels elle avait ressassé les mots et autres gausseries de la Châtelaine. Si elle avait admis son indéniable sottise, Esmée n'en demeurait pas moins blessée. La noble envoyée de sa Majesté le Roi avait moqué jusqu'à ses plus intimes convictions. À l'image d'un animal insatisfait et trop dangereux pour être ignoré, elle les avait rognées jusqu'à l'os, et jusqu'à les vider de leur substance. Ne restait alors que la déception. Une amertume vicieuse qui, pire que la colère, s'armait d'une humiliante déconvenue pour gangrener l'humeur déjà maussade de la jeune femme. Ainsi, le geste devenait rageur quand il chassait ce qu'il restait de désillusion dans un regard terni par l'épreuve. La date, sans aucun doute, aidait à galvauder l'enjouement habituel. Un an bientôt se fêterait dans les larmes pour transcender une douleur qui n'avait jamais trouvé à s'éteindre.

Dans le fief devenu refuge, dans ce nouveau monde découvert après l'apocalypse du couronnement, Esmée avait voulu croire à un nouveau départ. Une vie enfin simple, dans un lieu où elle apprendrait à respirer pleinement. Tout lui avait alors paru limpide, aussi évident qu'essentiel. Ni faste, ni réceptions, ni faux-semblants et plus jamais les apparences pour survivre dans un coffrage honteusement corrompu. Malheureusement, l'espoir comme les rêves instillaient leur cruelle souveraineté dans le naïf d'un coeur trop tendre. Et c'est ainsi qu'ils se brisaient toujours face à la réalité qui jamais n'omettait de se rappeler aux sots.

Un soupir chargé d'émotions trop longtemps contenues glissa entre ses lèvres pour mourir dans un presque sanglot. L'enfant avait définitivement peur de grandir. D'une main tremblante elle s'obligea toutefois à revoir ses priorités. Elle voulait apprendre et se rendre utile. Aider et enfin donner un sens à tout cela. Parce que les Dieux n'avaient pas pu vouloir la punir sans raison. Parce qu'il y avait forcément un but, un plan, un idée et une nécessité qui, tôt ou tard, se révèlerait au-dessus de cet épouvantable lit de souffrances. Ses doigts fins enroulés autour d'un morceau de ferraille rouillé, Esmée voulait y croire. Elle le voulait avec la force du survivant qui, pugnace, exigeait des réponses. Pourquoi ? Comment ? ... À quoi bon ? Tout cela n'avait pas de sens.

De toutes ses maigres forces elle frappa, encore et encore. Jusqu'à ce que la tête d'un clou à présent tordu n'en vienne à disparaître dans le bois injustement malmené. Jusqu'à ce que le bruit désagréablement enduré par l'intermédiaire d'une écharde fichée dans la peau fine, n'en vienne à résonner dans sa tête comme l'acariâtre d'un rire moqueur. Roxanne...
La Châtelaine voulait son retour à Marbrume. Ou tout du moins l'avait-elle encouragé. Comme son père, le Comte de Sabran, elle entendait l'utiliser, l'exhiber, la plier à la volonté d'un autre. Pourquoi ? Pour le bien du Royaume ? Elle le prétendait, mais cela tenait de l'absurde. À moins que...

Un fâcheux froncement de sourcils barra son front d'un pli soucieux. Quel outil politique pourrait-elle représenter au sein d'une Cour à la noblesse décriée ? Le Roi avait perdu de son influence. Même s'il s'était montré brave et valeureux, le peuple demeurait sceptique. Le couronnement unilatéralement décidé par cet ancien duc, ne faisait pas l'unanimité. Malgré le soutien du Temple, malgré le fastueux d'une cérémonie imaginée grandiose, la Fange demeurait cette épine dans le pied du nouveau monarque.
La Fange et ses adeptes. Les monstres et leurs homologues. Alors quel rôle pouvait-elle bien tenir au centre de cette échiquier écoeurant, si ce n'était celui du sacrifié ?

Les idées s'entrechoquèrent au point qu'elle s'en trouva nauséeuse. Elle n'avait toujours été qu'un objet. Un accessoire dédié au prestige de son nom, un ornement jeté aux pieds d'une société dans laquelle sa voix ne comptait pas. Par les Trois ! Le sacrifice n'avait toujours été prisé que par ceux qui en profitaient et elle les exécrait.
De rage, elle jeta l'outil qui avait servi à la catharsis de sa pensée contre le mur de la remise en bois. L'objet tonna au contact de la paroi, avant de se voir englouti par un amas de sacs, de barriques et de tonneaux récemment livrés. La frustration... Elle renouait avec cette scélérate et se rappelait son goût ferreux tandis que ses dents creusaient dans le tendre de sa lèvre. Alors agrippées au bois de l'établi poussiéreux, ses mains voulaient briser les chaînes invisibles qui limitaient ses pas. L'impossible dépossession se mua toutefois en un cri de détresse devenue sauvage. Aucun animal n'aimait se retrouver en cage. Aucun. Pour autant, les fondations de sa prison trouvaient leurs origines dans le moindre de ses actes, sinon dans son propre sang. Tout en fermant les yeux sur ce triste constat, la jeune femme choisit d'abdiquer. Tête basse et à trop chaudes larmes, elle renonça en se promettant de grandir une autre fois.

Cependant et alors qu'un bruit derrière elle aurait dû l'effrayer, elle se redressa pour ne rien laisser paraître de sa faiblesse. Sa triste mine avait pourtant de quoi alarmer. Tout juste fagotée d'une robe sans faste, le cheveux mal coiffé et le regard fatigué, Esmée n'avait plus rien de la muse qui, un jour, avait inspiré une trop nuisible obsession. Évaporé l'or de ses prunelles, délavé le rose à ses joues, elle était pâle et seulement effacée. Sa voix pourtant demeurait ferme alors qu'elle exigeait.

- Je t'ai dit de t'en aller Javotte, alors laisse-moi !




20 avril 1167



Dernière édition par Esmée de Sabran le Ven 1 Juil 2022 - 13:39, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le vent se lève ~ Valent d'Auvèrnha   Le vent se lève ~ Valent d'Auvèrnha EmptyLun 27 Juin 2022 - 2:24
L’éclat terni du fer bosselé fendit le ciel, éclipsant l’astre régnant pour projeter son ombre fatale à même l’opaque contenance de sa victime. De robustes mains bardées de cuir en maintenaient la hampe, instigatrices de son ascension mais aussi et surtout de sa subséquente chute. L’objet tranchant fit s'abattre sa lame du plus sec des mouvements mais ne retentit nul écho sordide : au crâne d’un potentiel adversaire s’était substitué le contour d’une simple bûche de bois condamnée à la scission. Ses deux parts jadis unies voltigèrent de leur "socle", une robuste souche dont le coeur vint acceuillir l'arme du crime. En fond, la silhouette du responsable recouvra sa posture et s'avança. L'or et l'ivoire qui faisaient son portrait détonnaient sans difficulté du reste de sa tenue toute faite d'anneaux d'acier et d'étoffes de jais : dans le cadre de son office, Valent d’Auvèrnha n'eût daigné porter autre habit. La senestre délestée de son couvert tanné fit bref passage contre un front maculé de sueur, preuve d’effort sinon d’une journée des plus ensoleillées. L’orée du camail matelassé lui cerclait le cou, dépareillé mais prêt à être ajusté d’un simple coup de poignet. Non loin, contre le mur de planches grossières, heaume et bouclier portaient une couleur très subtilement rendue par le reste de la panoplie.

D’une brève oeillade, le chevalier se fit le juge de sa performance en toisant la netteté de la coupe assénée au bois. Convenable, elle n’en était pas moins l'œuvre d’une arme qui n’était pas l’épée : celle-ci demeurait toujours perchée au flanc de l’homme d’arme, prête à être dégainée au moindre signe de trouble. Pour cette fois, lui avait-il bien fallu la troquer pour un outil plus à même de s’acquitter d’une tâche si simple que rébarbative. C’est cette “qualité” qui conférait d’ailleurs tout son attrait à l’activité utile comme exutoire, prisme focalisateur de l’esprit. Du fait de récents évènements par d’aucun considérés comme fâcheux, le loisir était devenu nécessité : Valent voyait son aigreur refluer à chaque coup de hache et la lancinante frustration du devoir mal rempli le quittait pour le temps d’une coupe, recentrant ses pensées sur la marche à suivre.

La déraison comme la candeur n’étaient peut-être plus native du champ de ses propres pensées, mais elles demeuraient en bien d’autres et la providence jugea bon de les infliger à la fille de bonne naissance dont sa présente charge exigeait la protection. Les plus minutieux détails n’étaient connus que de la principale intéressée mais le plus important s’était frayé un chemin jusqu’à lui; sa seule gravité suffisait à l’assombrissement de son humeur. Les sermons s’étaient suffisamment enchaînés dans ses songes pour que la composition d’une compilation ne lui apparaisse plus comme une tâche insurmontable. Porté à la franche action par l’impérieux motif d’une survie qu’il se devait d’assurer par convictions sinon par serment, le chevalier avait à cœur faire comprendre à la Vicomtesse que bonté et danger riment dans un monde au bord du gouffre.

En d’autres circonstances, le déroulement de cette journée n’eût dévié de celui des autres. Comme pour s’opposer à cette vision trop gracieuse, le destin capta l’attention du sire lorsqu’une suite de coups rythmiques bombarda le mur de la remise qu’il bordait. Assouplie par le temps et les éléments, la planche voilée qui comblait ce pan de la cloison vibra suffisamment pour que l’écu bardé d’or et de cramoisi en tombe à la renverse. L'interpellé se départit du bois pour recouvrer ses biens, l'œil rendu circonspect bientôt rivé sur l’abri pour outils. Ne s’était-il figuré qu’on doive y faire quelconque travaux; cette occurrence invita sa méfiance au moins autant qu'elle éveilla sa curiosité. Le pas lent mais délibéré qu’il adopta paracheva bien prestement de combler la distance, mais c’est le cri subséquent qui le vit passer l’entrée sans la moindre hésitation. Qu’allait-il donc y découvrir ? Ses sens, alertes, le préparaient à bien des trouvailles mais certainement pas à ce qu’ils lui communiquèrent finalement. Le tableau de la misère, peint sous ses yeux, s’affaissait contre l’établi retenu de si frêles mains qu’on les vit faites de porcelaine. L’idée de fêlure transparaissait à vrai dire de l’entière silhouette, la seule teinte de sa chevelure dépareillée permettant son identification. Du bref coup d'œil dont la gratifia Valent, nulle blessure ne parut clairement sinon pour celle que l’on avait assénée à ses idéaux.

Le silence, celui-là même que l’homme d’arme n’avait daigné briser lors de son entrée, se rompit d’une assertive déclaration. Ne lui étant destinée, se brisa-t-elle contre sa cuirasse ainsi qu’une flèche sans en transmettre l’impact. L'image de la servante au verbe singulier reparut brièvement sur la rétine de l’intrus et ses mots s’y conformèrent d’un ton caractéristique, profond et posé.

- La domestique est déjà partie.

Délesté de son urgence, le regard d’azur du chevalier se perdit momentanément dans l’intérieur diminutif de la remise. Un marteau, commun de facture, reposait en quelque emplacement peu propice au rangement : l’ayant saisi, Valent le rendit à son étagère avec soin puis s’en retourna vers le mur que l’héritière avait gratifiée d’une nouvelle pointe maladroitement fichée. Y passant un pouce, le chevalier constata sans mal que la frappe protubérait encore du plan mural. Non dissimilaire à celle qui l’y a plantée, songea-t-il distraitement. Désintéressé de la tentative, l’homme d’arme rendit toute attention à la fille du Comte; son buste s’infléchit sans que l’armure et son poids n’en entravent substantiellement les mouvements. Un raisonnable écart séparait entre les deux individus, l’interlocuteur peu enclin à briser la convention sur le simple coup de ses fantaisies.

- Faites excuse, Madame, et souffrez que je vous le dise : telle situation ne vous sied guère. Il importe plus que toute chose que vous ne vous isoliez pas ainsi. Je ne pense plus avoir à vous expliquer pourquoi.

Il était un brin de pitié mêlée d’irrésolution que s’affairait à ressentir le protecteur. Lui qui s’était immiscé dans le jeu des Sabran lors de la plus sombre heure avait pu assister au dénouement d’un acte des suites du couronnement du Roi. Cette femme à peine capable de se tenir à pleine stature lui paraissait l’ombre de ce qu’elle pouvait être : la tourmente ne parvenait à faire s’éteindre l’éclat de son regard et Valent aimer à penser y déceler le signe d’une résilience interne à cultiver pour l’avenir. Sa voix perdit de sa fermeté protocolaire, un air plus chaleureux se substituant à des traits usuellement durs.

- Parlez-moi.
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MessageSujet: Re: Le vent se lève ~ Valent d'Auvèrnha   Le vent se lève ~ Valent d'Auvèrnha EmptyMar 12 Juil 2022 - 0:27
L'agacement, tout autant que la surprise, s'affichèrent sur les traits fatigués de la jeune femme. Esmée connaissait son visiteur, bien sûr. Elle savait également ce qu'elle lui devait et l'avait reconnu rien qu'au timbre de sa voix. Cependant et malgré tout, elle n'était jamais parvenue à le considérer comme le "sauveur" que son père avait souhaité récompenser en lui offrant de s'installer à Choiseul. En vérité et c'était certainement part d'ingratitude déplacée, sa présence lui inspirait une forme de malaise. Un inconfort étrange, presque une gêne, qu'elle avait toujours veillé à tempérer par quelques sourires polis. Leurs rencontres étaient rares. Leurs discussions plus sporadiques encore. L'homme savait pourtant plus justement que tout autre, ce qu'elle avait enduré de souffrance.

Était-ce alors ce nébuleux trait d'union qui voulait rendre leurs échanges pesants ?

Esmée se satisfaisait de constater son habituelle indifférence pour ne pas avoir à répondre à cette question. Valent n'avait jamais été qu'un chevalier au service de son père. Un homme d'arme qui accomplissait son devoir avec le consciencieux du détachement, mais qui avait cette fâcheuse tendance à apparaître quand elle aspirait à demeurer seule. Le chasser était pourtant inconcevable quand ses mots s'armaient d'expérience pour dire le sensé. Le noble avait bien sûr raison.

Elle n'aurait pas dû se trouver ici, sans personne et sans protection. Elle n'aurait pas non plus dû offrir son secours à une étrangère et n'aurait très certainement pas dû l'accueillir sous le toit de son père, alors que ce dernier était absent. Évidemment, Esmée n'en doutait pas, Monsieur d'Auvèrnha avait d'ores et déjà été informé de sa très bête initiative. Sa question sonna alors comme un air de commisération qu'elle accueillit avec un peu trop de morgue.

- Que pourrais-je vous dire que vous ne savez pas déjà ? Ses mots, comme échappés de sa bouche, avaient un goût de cendres. Ainsi s'harmonisaient-il avec sa mine défaite, tandis que son regard embruni d'amertume se posait sur lui.

Comme à chaque fois, sa gorge se noua. Ses cheveux blonds et le bleu de ses yeux avaient cela de blessant qu'ils lui rappelaient trop férocement le souvenir d'une vie aujourd'hui sacrifiée. L'homme n'avait pourtant rien à voir avec le fantôme qui voulait se glisser dans ses pensées.

- Certaines choses ne changent pas et les leçons, même répétées, ne sont pas toujours acquises. Un constat qu'elle dressait sans réellement y croire.

Esmée n'était pas de ceux qui abandonnent facilement. Pugnace, elle avait le tempérament de son père. Un esprit batailleur qui ne concevait la défaite que dans l'abandon. Ses convictions, elle les cultivait avec le féroce d'un combattant, avaient la force de l'idéal. S'était-elle alors figuré devenir le parangon d'une rébellion qu'elle refusait de voir perdue d'avance ? Ou avait-elle seulement fait preuve de vanité, comme Roxanne l'avait moqueusement suggéré ? La question s'ouvrait sur ce que ses doutes lui inspiraient d'incertitude. Alors oui, peut-être bien. Peut-être n'était-elle que jeune, naïve et irresponsable. Peut-être n'avait-elle cherché qu'à s'arroger quelques mérites pour aider à sa propre reconnaissance.

Présentement avait-elle en tous les cas l'air décavé de ce que ses principes contenaient d'illusions.

Les cernes visibles sous ses yeux habituellement lumineux se faisaient alors les témoins de son souci. Comme les spectres affichés de ses nouveaux questionnements, ils disaient le triste de son état. La jeune femme n'avait pas dormi. Le confirmait de surcroît son teint devenu alpestre et presque livide. Cette pâleur, accentuée par le noir abyssal de sa chevelure dépeignée, lui donnait alors l'aspect maladif de l'affligé.

Consciente de ce que sa mine avait de lamentable, Esmée n'en voulait pas moins demeurer fière. Il n'était alors pas question de baisser la tête pour permettre à son regard de fuir. Si l'homme d'arme voulait prendre la mesure de son écoeurement, elle n'entendait pas le décevoir. Il pourrait alors tout voir. L'amertume et le dégoût, l'ironie et la rancoeur, mais également la colère. Un bouillonnement silencieux dont le feu, attisé de souffrances, menaçait.

Aucun animal n'aimait à se retrouver en cage. Aucun. Et tout savant qu'il fût, celui qui se tenait là goûtait aujourd'hui au talion de sa propre arrogance.

Reste qu'il n'entendait et ne voulait plus battre en retraite. Ainsi, dans un nouveau sursaut d'orgueil, Esmée releva le menton. Elle était prête à recevoir l'opprobre de son "sauveur", malgré la distance protocolaire qui les séparait. Elle l'exigeait même, dans ce que ses prunelles lui disaient de sa rogne.

Les remontrances plutôt que la pitié, la réprimande plutôt que ce masque trop affecté.



Dernière édition par Esmée de Sabran le Ven 9 Sep 2022 - 7:38, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le vent se lève ~ Valent d'Auvèrnha   Le vent se lève ~ Valent d'Auvèrnha EmptyJeu 28 Juil 2022 - 22:27
A tous égards, sinon pour sa propre perception des choses, Valent était sans doute un intrus. La simple remise, si simple assemblage de planches que le temps comme la nature ne parvenait à faire ployer, s'était transformée en quelque prison pour la noirceur d'une âme désabusée par la réalité d'un monde qui n'avait rien d'innocent. En d'autres temps plus sûrs, aurait-on considéré cette soudaine irruption comme déplacée voire impardonnable, mais il était bien des raisons qu'eut été capable de mentionner le Sire pour justifier ses actes.

En l'instant, pourtant, n'y pensait-il pas tant; trop accaparé par une vision de la déchéance incarnée dans des traits à la gloire ternie, le chevalier prenait la pleine mesure du contraste qui séparait deux âmes et qui, sans doute, participait de l'altérité permanentement imposée à leurs interactions. N'en avait-il jamais demandé grand-chose sinon la cordialité d'échanges qui, échappant à son contrôle, se teintaient toujours de quelque indicible miasme né de souvenirs opaques à son savoir. Ces mêmes ténèbres se retrouvaient-elles alors, piégées par l'esprit fracturé de héritière ? Ne servaient-elles qu'à accentuer le contraste qui séparait jour et nuit, or et jais.

Ainsi prostré, agenouillé vers celle que le sort avait désignée comme une charge à protéger, que pouvait donc penser ce "serviteur" à proposer pareille invitation sinon la simple extension d'une main métaphorique comme manifestation de sa simple humanité ? Son office ne recquiérait nullement d'endosser les poids plus insidieux dont s'alourdissaient les épaules de la fille du comte; eut-on prosaïquement résumé le rôle à celui de bouclier, de paire d'yeux vouée à l'éternelle déambulation. Valent s'opposait pourtant à ces préconceptions d'une seule injonction. L'idée d'une réponse titillait les arrières-salles de son esprit, sa psyché s'arrangeant ainsi qu'un écu suffisamment robuste pour endurer le poison que pouvait lui opposer la défaite personnifiée.

Nul acide ne vint finalement corroder son armure. Plutôt, les jets d'une blanche poussière née des derniers soupirs de la Flamme lui maculèrent le front, rougirent ses yeux et froissèrent sa gorge. Bien peu d'ardeur se risquait à surgir des braises d'un cœur brisé que d'aucun considéra jadis sans doute comme investi d'une grande passion. Il était un exercice de peine à contempler ce spectacle et Valent n'y prenait nul plaisir qu'une certaine empathie intrinsèque à son caractère. Ses expressions ne se défaisaient radicalement d'un masque de sérénité légèrement détaché, amené à l'existence par le biais d'un si simple sourire. L'opposition des idées se faisait-elle conséquemment la cause de réactions si subtiles que lisibles au creux des traits nobles d'Esmée ? La clé de compréhension d'un tel secret n'était pas véritablement connue du sire et ses propres considérations ne l'avaient menées à s'y pencher.

Valent savait beaucoup de choses ainsi que le soulignait la fille désemparée. La main du destin s'était posée sur lui lors de son arrivée en ville, ce jour fatidique de couronnement. Une succession d'évènements presque incongrus l'avaient ultimement menée au sauvetage de celle qu'il côtoyait en bien moindre condition. Attristant, sans doute, mais le chevalier n'était pas si sot que de prendre en extrême pitié l'effigie de fierté qu'il devinait encore sous cette couche d'affliction. C'eût été de toute manière nier l'erreur commise.

- Je ne vous demande pas de me parler du passé, Madame, mais de me faire part de l'instant. Je ne sais précisément ce qui anime vos pensées mais je sais que les embouteiller ne causera pas leur départ.

Son ton jamais n'avait empiété dans quelque domaine considéré comme répréhensible ou étranger au respect, mais s'était plutôt consigné à la simplicité d'une déclamation concise. Une certaine audace s'était tout de même emparée de sa voix, presque paternaliste en ses inflexions. Le dialogue avait supplanté la seule barrière du protocole et, s'il n'était nulle volonté de la part du chevalier de froisser sa charge, considéra-t-il pourtant sans jamais s'éloigner de l'idéal du rôle confié qu'il n'était pas une bonne chose pour la fille de Sabran que de rester ainsi prisonnière de sa propre douleur.

Lui-même avait intimement conversé avec celle-ci par le passé, se souvenait de ses doucereuses promesses et de l'abandon que supposait sa poursuite. Valent n'y avait alors cru, et se doutait qu'Esmée ne pouvait décemment y croire sans parjurer la pugnacité qui faisait son propre caractère. Semblable à son père d'une manière, et pourtant si différente en d'autres, la figure drapée de jais avait sans doute de quoi susciter l'intérêt mais c'est bien l'intensité d'un regard éternellement soutenu qui suffit à convaincre le sire. Y reposait la preuve que les braises luisaient encore de flammes en devenir; restait-il à les agiter d'un tison d'espoir pour qu'elles recouvrent leur brillance passée.

- L'Homme apprend continuellement. Son parcours est jalonné d'épreuves et d'erreurs, mais toutes participent à la construction de son être. La "leçon" peut être difficile à assimiler mais, à chaque fois, l'envisagez-vous avec davantage de clarté.

Un temps de silence, saisi par la nature et son lointain orchestre à peine audible au-delà de planches serties de clous maladroitement fichés. Une main, soustraite à son gant pour exhiber sa pâle chair, surgie des ombres striées d'un éclat de soleil pour parvenir avec délicatesse au devant d'une dame sans se soustraire à la galanterie du geste.

- Les choses, Madame, ne changeront pas si votre volonté est de vous morfondre dans votre douleur. De grâce, défaussez vos noirs atours et levez-vous. Affrontez le jour avec cette même fierté que je décèle en votre regard, dans l'angle de votre menton et dans les profondeurs de votre cœur.

L'instinct, de nouveau libre et pur, chantait sa litanie primale en des royaumes connus du seul esprit, du seul rêve. Il faisait la force du chevalier, le poussait à l'action en des moments de crise et attisait sa propre flamme sans jamais la laisser longtemps vaciller. Là, alors, un autre genre de survie était en jeu et le protecteur rendu si sensible par bien des cicatrices avait cherché à répondre sans qu'appel ne soit foncièrement émit...
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MessageSujet: Re: Le vent se lève ~ Valent d'Auvèrnha   Le vent se lève ~ Valent d'Auvèrnha EmptyVen 23 Sep 2022 - 1:37
Las, le regard de la jeune femme se posa sur la main tendue du chevalier et de ses pâles soleils voilés par l’épuisement, il effleura les doigts robustes qui en faisaient la poigne. Esmée, cependant, ne trouva aucun courage à puiser dans les blanches phalanges du guerrier et ce constat fit s’évader un lourd soupir d’entre ses lèvres sèches. La force qu’elle avait cru tapie au creux de son ventre – si tant est qu’elle ait un jour existé - l’avait tout simplement abandonnée. De sa hargne, de sa révolte et de sa rébellion, ne restaient plus que les tristes réminiscences d’un songe qu’elle avait un jour caressé d’espoirs. Sans doute avait-elle rêvé trop grand, trop vite et trop fort. Sans doute…

Sa bouche, pincée par le pénible de ce constat, laissa filer un insaisissable et très éphémère grondement. Elle n’était plus cette enfant naïvement attachée à l’illusion d’un monde naturellement juste. Esmée s’était même targuée d’avoir appris son indifférente cruauté dans la douleur. Pourtant et malgré tous ses efforts, jamais la Vicomtesse ne parvenait à se sentir autrement qu’imbécile quand elle avait affaire avec le d’Auvèrnha.

L’homme bien évidemment n’y était pour rien. Quand bien même il avait cette manière de se tenir, de discourir et d’affirmer son expérience d’une irritante voix de magistrat. L’agaçant voulait alors que ses paroles s’arment de sens pour dire la morale et son apologue. L’exaspérant, quant à lui, se résumait plus simplement par ce que la jeune femme possédait de fierté et d’orgueil.

- Oh Valent, par tous les Dieux, épargnez-moi les discours dévotement acquis à la faveur d’une chandelle aujourd’hui estimée plus chèrement que la vie.

Elle avait lâché ces mots d’un ton de fiel et d’une voix éraillée par tout ce qu’elle avait connu de désillusions, elle avait voulu se rendre désagréable. Certains, bien évidemment, n’auraient pas manqué déceler le véritable objet de cette très condamnable attitude. Esmée s’obligeait alors à parfaire le tableau de son animosité par quelque posture arrogante, tout comme elle se forçait à en affiner le portrait d’une malplaisante mimique. Sourcils dédaigneusement arqués, nez outrageusement redressé et sourire narquois accroché au coin des lèvres, la Vicomtesse dodelinait du chef pour mieux s’offrir l’outrecuidance d’un rire étouffé de moqueries.

- S’il est une leçon que j’envisage désormais avec plus de clarté, c’est qu’une main tendue ne s’avère pas toujours secourable. Voyez vous-même.

D’un haussement d’épaule hérissé de sa crâne dérision, elle se désigna comme l’exemple affecté à la parfaite illustration de son propos. Et le souffle qu’elle exhala dans le sibyllin d’un faciès devenu ironiste, ne pouvait que le confirmer. Sous couvert de satyre, Esmée condamnait. Elle le faisait alors sans jugement, sinon celui d’une auto-critique qui se voulait sévère à défaut de se prétendre objective. Parce que le cœur alourdi de trop de peines ne se voulait plus battre avec la même intensité. Parce qu’il aspirait finalement à s’éteindre et à ne surtout plus ressentir.

Une légère moue s’invita sur la ligne autrefois harmonieuse de ses lèvres craquelées par l’amer de sa déconvenue. Tout le monde la voulait de retour à l’Esplanade et si elle avait autrefois appréhendé son monde hypocrite et faux, elle redoutait aujourd’hui sa trop abrupte réalité. Rien, elle n’était rien d’autre qu’un pion sur l’échiquier de sa propre existence. Et son père la marierait au plus offrant, comme il l’avait prévu et annoncé. Et Anne, Roxanne, ou qui que ce soit d’autre au sein de ce tombeau forgé par les mains d’un tyran, en viendrait à sceller le sarcophage de sa damnation quand bien même son menton se dresserait jusqu'à en crever le ciel.

- Et puisque vous prétendez à lire jusque dans les profondeurs de mon cœur, dites-moi ce que ce traitre métronome est parvenu à gâcher quand je le pensais pourtant armé des plus purs sentiments.

Elle serra les dents pour ne surtout pas laisser exploser l’émotion qui, contenue dans sa gorge, en était venue à s’épancher dans sa voix devenue rauque. Et le grondement qui en resurgit se mua cette fois en un feulement atrabilaire, dont l’acerbe s’étiola en une plainte résignée. Fébriles, ses mains se portèrent à son front pour soumettre la peau marquée de soucis à la pression de ses paumes pendant que leurs doigts tremblants se perdaient dans ce qu’il restait de sa coiffure.
Quelques mèches de ses cheveux d’ébène ainsi dérangés s’échappèrent en boucles folles autour de son visage, avant qu’elle ne se détourne. Une nouvelle fois face à l’établi, elle jeta un coup d’œil achevé à travers la rudimentaire lucarne qui voulait éclairer les lieux.

Rien, il ne restait plus rien.

Ses épaules s’affaissèrent pour recevoir le coup de grâce que sa pensée voulait lui infliger, tandis que ses mains attrapèrent les bords de la table de travail pour l’aider à soutenir le poids de sa défaite.

- Allez-vous en.
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