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 Nos frères, l'ultime famille

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Laura LucetCouturière
Laura Lucet



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MessageSujet: Nos frères, l'ultime famille   Nos frères, l'ultime famille EmptySam 13 Aoû 2022 - 13:01
1er juin 1167.
Usson, Labret.
Début d’après-midi.

En traversant l’entrée d’Usson et son petit barrage de miliciens affectés à la surveillance, Laura dut se mordre l’intérieur de la joue pour garder son sang-froid et afficher une mine neutre convaincante. Cachés sous sa manche gauche, les traces que les crocs du fangeux édenté avaient laissé sur sa peau l’avaient brûlé d’un feu d’angoisse et de culpabilité particulièrement réel pour son esprit méfiant, à tel point qu’elle crut un instant que la chemise qu’Aeryn lui avait prêté pour remplacer la robe sale qu’elle avait eu sur le dos pendant plus d’un an allait s’embraser d’une seconde à l’autre et révéler la supercherie aux soldats : pourtant, il ne se passa rien et, hormis le sinistre regard légèrement vitreux d’un jeune tout juste plus âgé que Pierrick qui semblait s’ennuyer ferme à faire le planton pour s’assurer qu’aucun individu louche ou qu’aucune engeance des marais ne sortait des bois, la petite couturière put entrer dans le plus grand village du Labret après avoir relevé sa manche sur son avant-bras droit, par chance immaculé de toute marque, son frère à ses côtés et la mercenaire marchant devant eux d’un pas assuré.

Pour arriver à leur destination finale, le trio devait traverser le centre-ville d’Usson qui, à cette heure où le soleil avait dépassé son zénith et irradiait de sa chaleur estivale tout le plateau, était bondé. Le marché battait son plein et la foule allait et venait, chacun faisant et menant sa vie sans se soucier de l’apparition de nouvelles têtes dans leur paysage, tout du moins, Laura, peu désireuse de se découvrir épiée, s’efforça de ne croiser aucun regard alors qu’elle suivait toujours Aeryn comme son ombre et ignora donc plus ou moins volontairement les éventuels coups d’œil curieux des ussonniens. Les grands yeux céruléens de la Lucet observaient plutôt les devantures des quelques commerces qui formaient le centre-ville : elle identifia le pain du boulanger, le marteau du forgeron, le Temple, naturellement, reconnaissable entre mille non loin de la caserne des miliciens… la vie suivait son cours aussi paisiblement que cela était possible dans un monde où la Fange régnait et Laura fut un peu surprise de se trouver choquée par cette vision de normalité qui tranchait nettement avec sa récente expérience de la forêt morguestanaise.

Il était évident que personne n’était au courant pour l’attaque de Sombrebois ; il y avait même de bonnes chances pour que les Lucet et la mercenaire soient les premiers arrivés du bourg forestier dans le coin. Au vu de la distance parcourue, tous trois avaient réussi à mettre peu de temps pour rallier le Labret. Il leur avait fallu ruser pour pouvoir se reposer à Balazuc où Pierrick n’était plus le bienvenu ; Laura n’avait pas fermé l’œil de la nuit lorsqu’ils avaient du s’arrêter à Piana, hantée par ce que représentaient pour elle ces ruines lentement englouties par les marais ; pour gagner du temps, ils avaient pu traverser Ménerbes afin de pouvoir plutôt dormir dans les faubourgs de Marbrume… cette nuit-là également fut pénible pour la jeune couturière et son aîné qui, pour la première fois depuis plus d’une année, revoyaient les murs de la cité-refuge dans laquelle ils étaient nés et qui, à présent, ne voulait plus d’eux ; le plus dur restait alors à venir car, à partir de Conques, il fallut avaler une grande distance pour rejoindre Sarrant avant la nuit tombée, une partie du trajet due presque se faire en courant et, paradoxalement, ce fut l’étape la plus risquée de leur voyage alors que Sombrebois, sa grande porte en ruines et ses blessés étaient bien loin derrière eux ; finalement Usson était apparue après la grimpe d’un dénivelé progressif jusqu’au sommet du plateau du Labret, véritable grenier de l’humanité survivante. Les Lucet et la Monclar étaient enfin arrivés au bout de leur voyage et découvraient que, pendant qu’ils avaient vu de près ce qui devait le plus se rapprocher des limbes d’Étiol, d’autres semblaient avoir tranquillement vécu leur quotidien rythmé par le travail et les emplettes.

Les yeux azur de Laura continuèrent d’épier les alentours et, finalement, elle s’adressa à son frère tout en passant non loin d’un petit attroupement agglutiné devant le primeur.

« - On dirait bien qu’il y a pas de couturière ici… tu crois que je pourrais m’installer ? »

L’aîné Lucet jeta un regard aux alentours, croisant le regard curieux d’une femme brune avant de se retourner vers sa sœur.

« - Tu essaieras mais je suis pas sûre qu’une affaire marcherait tout de suite, on connait personne et personne nous connait ici. »

La pointe d’espoir qui avait fait palpiter le cœur de la cadette de Pierrick au lendemain de cette nuit funeste du mois de mai s’était érodée, usée, aplanie au fil de son voyage jusqu’au Labret : repasser par Balazuc et Piana, revoir les murs de Marbrume et être sur le qui-vive à chaque instant de peur de voir des morts ou des vivants leur tomber dessus avait considérablement miné son moral et avait réveillé les inquiétudes et les questionnements de la jeune fille. Cette dernière se resserra contre le flanc de son grand frère, son esprit vagabondant un instant jusqu’à se souvenir de Gudrun et d’Isolde : l’adolescente espérait que les deux religieuses allaient bien et s’étaient remises de leurs blessures.

« - S’il le faut on commencera par travailler aux champs et après, quand on nous connaitra mieux, tu proposeras ta couture aux gens. »

Laura hocha doucement la tête, sans enthousiasme mais sans rechigner non plus. La cadette Lucet avait conscience de la précarité de leur situation et, s’ils voulaient gagner leur place à Usson, travailler la terre était un moindre mal comparé à des métiers autrement plus difficiles, ingrats ou dégradants. L’adolescente voyait bien au regard de Pierrick qu’il était également attristé à l’idée de ne pas pouvoir achever son apprentissage de potier bien entamé avec leur père avant la tragédie du couronnement mais, à Marbrume, ils avaient entendu dire que le Labret cherchaient toujours des bras supplémentaires ; ils apprendraient vite à se rendre utile, quitte à découvrir le métier de paysan.
La couturière leva le nez en direction des mèches vulpines qui ondulaient devant elle.

« - Tes frères habitent où, Aeryn ? »

La mercenaire ne s’était guère montrée bavarde sur le chemin mais Laura était à peu près sûre que ce n’était pas uniquement dû à la nécessité d’éviter d’attirer inutilement les fangeux. La rouquine avait toutefois indiqué aux Lucet qu’Ivaad et Kaël – ses frères – les accueilleraient sans trop de problème. Laura avait cru comprendre qu’ils étaient également des mordus mais ne l’avait pas relever et n’avait pas posé plus de questions que cela.


Dernière édition par Laura Lucet le Mer 16 Nov 2022 - 21:44, édité 1 fois
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Aeryn MonclarMercenaire
Aeryn Monclar



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MessageSujet: Re: Nos frères, l'ultime famille   Nos frères, l'ultime famille EmptyMer 7 Sep 2022 - 10:28


- Tes frères habitent où, Aeryn ?

La petite voix fluette de la jeune Lucet arracha la mercenaire à ses pensées torturées pleines de questions qui resteraient probablement sans réponses. Ces mêmes pensées qui l'avaient accompagnée et tenue occupée tout le long du trajet jusqu'à la conduire aux portes du mutisme, faisant d'elle une compagne de route fort peu agréable.
Surprise d'être ainsi interrompue dans ses réflexions trompeuses, Aeryn offrit à la petite mordue un regard quelque peu ahuri. Le genre à donner un air de poisson frit plutôt risible à un interlocuteur d'ordinaire si peu expressif.

Mais la mercenaire se reprit bien vite avant de bafouiller. Après tout, elle n'avait aucune idée de la localisation exacte de ses aînés, bien que, les connaissant, il serait plutôt aisé de se renseigner. Les Monclar ne passaient guère inaperçu avec leur carrure imposante héritée de Rodrick, bien connu pour ses allures de montagne invulnérable… Et puis, il y avait Ivaad et son tempérament que beaucoup aimaient qualifier de tempétueux tant il était instable. Nul doute que ce dernier avait dû causer quelques troubles dans le coin. Peut-être même avait-il commencé à accumuler quelques dettes…

-Je ne sais pas exactement, avoua-t-elle en haussant les épaules. Je sais qu'ils sont dans le coin, c'est déjà pas mal. La dernière fois que je suis venue, ils logeaient à l'auberge, mais je doute fort que ce soit encore le cas.

Cela semblait plutôt logique, dans la mesure où il leur était alors impossible de reprendre leurs activités initiales. Ivaad avait été lourdement blessé et ne pouvait donc plus se battre. Quant à Kaël, il était aisé de deviner que ce dernier n'avait pu abandonner son cadet dans ce village… Il aurait été irresponsable de laisser un Ivaad blessé sans surveillance … Aeryn était donc prête à parier que son aîné avait plutôt choisi de trouver un petit travail dans le coin. Peut-être louaient-ils une maisonnette dans le village…

-Quoiqu'il en soit, mieux vaudrait commencer par là, dit-elle en indiquant la fameuse bâtisse du doigt.Allons manger, il y aura forcément du monde à interroger.

Reprenant la tête de la marche, la rouquine guida ses deux acolytes jusqu'à l'intérieur. Même s'il ne s'agissait pas de l'heure d'affluence, il y avait là quelques personnes attablées autour d'un bol de soupe ou de quelques chopes de bière… Des voyageurs, sans nul doute, les villageois étant probablement encore affairés dans leur coin, afin de gagner leur croûte. Néanmoins, l'aubergiste était là… de même que la jeune femme aux cheveux d'or que Kaël admirait d'un oeil brillant lors de sa dernière visite. Sans doute le connaissait-elle ….

-Allez donc vous asseoir, je vais me renseigner.

Tout en leur indiquant une table libre, la mercenaire prit lentement le chemin du comptoir derrière lequel se tenait un tenancier fort occupé. La rouquine le salua poliment avant de commander trois repas qu'elle paya en avance.

-Allez donc vous installer. Marjolaine viendra vous apporter tout ça, lança-t-il sans même la regarder.
-Bien… Néanmoins, je cherche mes frères, Ivaad et Kaël Monclar. Ils ont logé chez vous il y a quelques semaines. Sauriez-vous où ils se trouvent.

Surpris, l'homme la dévisagea un instant. Sans doute se demandait-il si cette jeune femme face à lui n'avait pas été adoptée tant elle ne ressemblait en rien à ses aînés.

-Ils vivent à la sortie ouest du village, dans l'ancienne ferme des Prévert. C'est l'vieux Albert qui leur loue la barraque contre quelques travaux. Vous pourrez pas la rater, le toit a brûlé et toute une partie s'est écroulée...
-Euh… D'accord… Merci bien, souffla la cadette des Monclar avant de rejoindre les Lucet.

-Bon, et bien, il semble que mes frères ont trouvé un logement à la sortie du village, dit-elle en s'installant à table. Ça va vous deux ? Vous n'êtes pas trop fatigués ?

Peut-être préféraient-ils se reposer avant de se rendre à l'ancienne ferme des Prévert après tout. Le voyage fut long.

-J'ai encore de quoi payer pour trois paillasses et un bain si vous le souhaitez…

Les hésitations de la rouquine furent alors interrompues par l'apparition de la jolie blonde observée un peu plus tôt et qui devait donc être la fameuse Marjolaine. La demoiselle déposa doucement devant eux, trois bols de soupes fumantes et délicieusement odorantes tout en lançant quelques œillades timides aux trois individus.

-Vous êtes donc de la famille de Kaël ? demanda-t-elle avec hésitation.
-En effet, rétorqua Aeryn sans prendre la peine d'offrir la moindre précision. Vous le connaissez ?

Le sourire qu'affichait la rouquine exprimait une certaine satisfaction taquine. Une expression qu'elle avait volontairement emprunté à un certain milicien borgne…

- C'est… Un ami, répondit-elle en rougissant légèrement. -
S'il vous plaît, pourriez-vous le saluer de ma part ?
- Bien-sûr.
- Merci beaucoup ! J'espère que le repas sera à votre goût.

La jeune fille, visiblement fort ravie, quitta le trio pour mieux regagner la cuisine.

- Visiblement, mes frères ont quelques… alliés dans le coin, c'est tant mieux, lança la rouquine tout en observant les deux orphelins tour à tour. Personne ne viendra vous ennuyer s'ils vous savent liés à eux d'une manière ou d'une autre. Ivaad est… disons qu'il est un peu particulier, mais Kaël est un homme bien. Je sais qu'il veillera sur vous et vous aidera dans vos projets… D'ailleurs, avez-vous une idée de ce que vous voulez faire ?
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MessageSujet: Re: Nos frères, l'ultime famille   Nos frères, l'ultime famille EmptySam 10 Sep 2022 - 0:01
Aeryn parut surprise qu'on s'adresse à elle : il fallait dire que les Lucet l'avaient vite imité sur la route entre Sombrebois et Usson, tant par la nécessité de ne pas attirer la Mort-qui-marche et autres dangers des marécages que parce qu'ils avaient bien senti que leur guide et protectrice n'était pas d'humeur à palabrer en sus de son habituel caractère direct et concis. Que le silence entre eux ait été si abruptement rompu pouvait logiquement interloquer.
Qui sait ce que la mercenaire avait vécu et vu à Sombrebois ? Laura n'avait eu affaire qu'aux blessés et aux miliciens fous mais ignorait ce qui s'était exactement passé à l'extérieur du Temple ; naturellement, elle avait vite entendu parler de ces hommes en noir desquels aucun son n'avait émané si ce n'était celui de leurs lames tranchant la chair des combattants comme des innocents villageois ; la petite sœur de Pierrick s'était demandée si Aeryn avait du les affronter mais n'avait pas osé poser la question à voix haute. La guerrière avait beau avoir certainement l'habitude de se battre et de voir la Mort de près, cela ne signifiait pas pour autant qu'elle était habituée à toutes les situations pouvant se présenter à elle.

Après quelques marmonnements peu audibles et un aveu d'ignorance, la rouquine indiqua l'auberge comme point de chute logique, ses frères y ayant logé un temps et l'endroit étant, de manière générale, un vrai carrefour d'informations. Laura et Pierrick suivirent la mercenaire comme son ombre non sans continuer d'observer les alentours comme pour se repérer au plus vite ; la cadette Lucet remarqua même un petit groupe de filles de son âge avec de grands paniers tressés remplis de linge sous les bras en train de se diriger manifestement vers le lavoir.

La couturière revint à l'instant présent lorsque la voix d'Aeryn lui parvint de nouveau et que Pierrick lui tira gentiment la manche pour la diriger vers la table désignée par la guerrière. Les adolescents s'installèrent, ce qui permit à la jeune fille d'épier un peu les autres tables où les voyageurs comme eux semblaient majoritaires ; tous mangeaient, buvaient et discutaient tranquillement, sans se soucier plus que de raison de l'arrivée de nouvelles têtes dans la grande salle. Ainsi, Laura put les observer assez tranquillement, ses jambes se balançant lentement pour laisser ses souliers frotter le parquet déjà usé par de précédents consommateurs.
Le sentiment d'être à part par rapport aux ussonnais et même vis-à-vis des gens de passage se renforçait tandis que quelques brides de conversations lui parvenaient des autres tables, des discussions badines ayant pour sujet un transit de marchandises, une proposition de concours de boissons ou encore des commentaires plus crus sur les capacités au pieu de certains fanfarons. Doucement, la petite sœur de Pierrick prit conscience que cet abattement n'était pas uniquement du à ce qu'elle et son aîné avaient vécu à Sombrebois : de seconde en seconde, la jeune fille prenait conscience du gouffre qui s'était installé entre elle et le reste du monde depuis les incidents du couronnement ; avoir passé un an retenue dans les marais de Piana lui avait enlevé plus que son innocence et cette prise de conscience rendit son regard soudain bien dur. Seule l'arrivée d'Aeryn et la voix de Pierrick la sortirent de ses pensées tortueuses.

« - Ça va oui, bien contents d'être arrivés » répondit l'apprenti potier tout en regardant sa sœur, s'assurant que le sentiment était partagé. L'adolescente acquiesça et ne put empêcher son regard de pétiller lorsque la vulpine parla de la possibilité de prendre un bain : la jeune fille en rêvait clairement mais ce fut à cet instant qu'une jeune femme blonde s'approcha de leur table et posa trois grandes écuelles avec les cuillères assorties. Les adolescents eurent du mal à cacher leur soulagement en humant le fumet du précieux breuvage dans lequel flottait des morceaux de légumes et de viandes : même s'ils n'avaient clairement pas eu à se plaindre d'un manque d'approvisionnement grâce à l'expérience et la clairvoyance d'Aeryn, ils n'avaient rien pu manger de tel au cours de leur voyage et des bivouacs qui l'avaient jalonné ; la chaleur d'un repas préparé posément sans craindre de se faire becqueter soi-même par une bête bipède ou quadrupède cachée dans les fourrés avait quelque chose de puissamment réconfortant.

« - Merci » s'écria Laura autant envers la serveuse qu'envers Aeryn qu'elle avait vu payer l'aubergiste tout en s'emparant de ses couverts et en les plongeant dans la soupe. Bien que le bouillon était encore très chaud, la cadette Lucet le porta à ses lèvres et savoura le mélange de légumineux savamment cuisiné. C'était simple mais très efficace. Pierrick s'empara de la demi-miche de pain que la blonde avait apporté en plus des soupes et la rompit, en donnant un bout à sa sœur et un autre à la mercenaire, gardant le dernier tiers pour lui. Laura trempa la mie rassie dans son velouté et, une fois qu'elle fut bien imbibée, croqua dedans à pleine dents tout en jetant un coup d'œil un peu en biais à la serveuse qui avait rougi en parlant à la Monclar.

Cette dernière reprit la parole une fois la blonde assez éloignée. La petite couturière hocha la tête tout en continuant soigneusement de manger : si elle escomptait bien se faire une place dans le village, la jeune fille ne comptait pas pour autant mettre au rabais sa dignité pour exister aux yeux des villageois : ces derniers seraient fatalement intrigués ou méfiants vis-à-vis de sa présence mais ils n'étaient pas question qu'ils apprennent pour sa morsure ou pour sa captivité et les sévices qui y étaient liées ; Laura avait bien trop souffert de cela à Balazuc et sa situation avait été bien trop précaire à Sombrebois pour qu'elle tolère que cela se poursuive à Usson. La présence des Monclar allait certainement l'aider sur ce plan-là.

« - Pour l'instant, on va voir c'qu'on peut faire, ce que le village a besoin. On va sûrement se trouver aux champs mais ça s'ra déjà ça de pris. 'Fin bon, si j'trouve un potier, j'irais voir s'il a pas b'soin d'un jeune pour l'aider histoire qu'j'finisse mon apprentissage. »

« - Moi j'vais voir si je peux pas proposer ma couture. Faut qu'je vois si les gens en ont besoin dans le coin » souffla Laura par-dessus sa cuillère. Pierrick avait raison : ce serait un travail de longue haleine pour se constituer une clientèle mais c'était ce qu'elle faisait de mieux et ce qu'elle aimait, elle voulait donc au moins tenter sa chance.

La cadette Lucet jeta un petit regard circulaire autour de leur table et, constatant que personne ne semble s'intéresser à eux outre mesure, finit par ajouter à voix basse :

« - On dirait bien qu'personne est au courant… »

La couturière jugea qu'il n'était pas nécessaire de se montrer plus précise : cela ne faisait même pas une semaine que Sombrebois avait connu les limbes du malheur et, à eux trois, ils avaient sûrement battu un record de vitesse en se trouvant au Labret si peu de temps après leur départ. Pierrick regarda sa petite sœur avec gravité avant de pencher le nez en direction de son assiette sans mot dire.
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MessageSujet: Re: Nos frères, l'ultime famille   Nos frères, l'ultime famille EmptyVen 30 Sep 2022 - 11:22
Il était aisé à la rouquine d'imaginer à quel point l'intégration serait difficile. Les deux orphelins n'étaient finalement que des étrangers aux yeux méfiants des habitants d'Usson. Le plan du garçon semblait raisonnable puisqu'il s'agissait de venir en aide au villageois. Après tout, depuis que le chao avait envahi le duché, la main-d'œuvre manquait atrocement dans les champs régulièrement attaqués par la Fange. Nul doute que dans ce village, peuplé de femmes et de vieillards usés par le travail de la terre, un coup de main ne pouvait être que le bienvenu. Malgré tout, les jeunes gens avaient également des projets plus complexes se portant sur l'artisanat. Et même s'il semblait évident que ces derniers ne pourraient pas se développer dans l'immédiat, du moins pas tant que les Lucet n'aient gagné la confiance des villageois, Aeryn espérait que ces deux-là puissent un jour réaliser leur rêves.

- C'est bien, répondit la mercenaire en opinant du chef. Et puis, je suis ravie de voir que vous êtes capable de voir loin…

En effet, les orphelins, malgré leurs problèmes et leurs traumatismes, étaient encore capables d'avoir des rêves et des projets pour leur avenir. La rouquine quant à elle en était tout bonnement incapable et n'imaginait rien de plus que de retrouver ses frères. Elle voulait prendre du recul avec le mercenariat… Non, Aeryn en avait cruellement besoin… Comme elle avait besoin de se trouver elle-même. Néanmoins, la jeune femme n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait faire pour cela. En un sens, Ryn ne pouvait qu'envier ces deux jeunes gens pleins d'espoirs.

Mais voyant que les pensées de la plus jeune se portaient ailleurs, la rouquine veilla à chasser les siennes pour mieux se concentrer sur la conversation.

- C'est pas plus mal, rétorqua la mercenaire en observant autour d'elle. Je n'ose imaginer ce qu'il adviendrait du duché si les gens se laissaient envahir par la panique. Sombrebois n'a pas su résister avec des remparts… Que penser d'Usson et des villages alentours…

Les raisons de l'attaque de Sombrebois restaient obscures aux yeux de la mercenaire… Tout comme pouvait l'être l'origine des assaillants. Sans doute regretterait-elle plus tard de ne pas être restée un peu plus longtemps dans le bourg. Peut-être en aurait-elle appris davantage… Peut-être pas.

-Essayons de ne pas trop y penser pour l'instant. Mangeons… Vous aurez besoin de toutes vos forces pour supporter trois Monclar, dit-elle sur le ton de la plaisanterie.

Le repas terminé, les trois jeunes gens prirent la route indiquée par les villageois. La ferme abandonnée dans laquelle vivaient les frères de la rouquine se trouvait légèrement en retrait du village et bordait un grand champ de blé dont les pousses encore vertes pointaient fièrement vers le ciel. En approchant de la bâtisse en piteux état, l'attention de la mercenaire fut attirée vers le toit d'où provenait un bruit étrange que la jeune femme fut bien incapable identifier. Néanmoins, elle reconnut aussitôt Kaël occupé à remplacer la chaume.

-Hey ! héla-t-elle en agitant les bras. Depuis quand les guerriers se chargent de la couverture ?

Le mercenaire perché, se retourna aussitôt dans la direction du trio.

-Depuis que la pluie vient agresser le guerrier dans son sommeil ! cria-t-il en souriant avant de rejoindre l'échelle adossée au mur.

Tandis qu'il descendait pour venir à leur rencontre, la porte s'ouvrit en grinçant sur un Ivaad appuyé sur une canne. Cette vue désolante vint pincer le cœur de la rouquine qui supportait bien mal de voir son grand-frère aussi diminué.

-Dis donc, ça va pas de gueuler comme ça ? Tu veux p't'être attirer les goules ? Y'a pas d'remparts ici !
- C'est vrai, puis t'as pas l'air suffisamment en forme pour les affronter...
-Fais attention à ce que tu racontes, gamine. Je peux encore te malmener, railla-t-il avant de désigner les deux orphelins du menton. Qui est-ce ?

Kaël les rejoignit alors, un chiffon à la main.

- Je vous présente Pierrick et Laura Lucet, je suis justement là pour eux , rétorqua-t-elle avant de se retourner vers les deux adolescents. Et eux, ce sont mes frères : Kaël et Ivaad.

-Et bien, je suis enchanté de vous rencontrer tous les deux. Mais, entrons, nous serons beaucoup mieux à l'intérieur pour discuter.
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MessageSujet: Re: Nos frères, l'ultime famille   Nos frères, l'ultime famille EmptyLun 3 Oct 2022 - 15:38
Aeryn était satisfaite de savoir que les Lucet avaient quelques pistes pour leur avenir dans le Labret. Le demi-sourire que Laura lui avait retourné à ce moment-là n'avait pas brillé pas par son éclat ou sa joie mais avait au moins eu le mérite d'être là. Que pouvaient-ils faire d'autre de toute façon ? Ne pas envisager la suite, c'était les condamner à moisir dans le marasme des souvenirs du couronnement et de Piana ; à Sombrebois, la solidarité avait redoré le blason de cette ville perdue au milieu des bois mais cela n'avait pas pour autant suffit pour que le frère et la sœur acceptent d'y rester comme le leur avait proposé Sœur Gudrun.

En parlant du bourg forestier, la mercenaire estima que l'ignorance était pour le moment le moindre mal dont pouvait souffrir les ussonniens et leurs voisins. Pourtant, la nouvelle allait finir par faire le tour : eux étaient les premiers arrivés mais un certain nombre de convois étaient en préparation lorsqu'eux s'étaient déjà mis en marche. Balazuc avait été mis au courant le lendemain même de l'attaque, Ménerbes avait du rapidement en entendre parler également et, après Marbrume, les voyageurs et colporteurs allaient apporter la nouvelle jusqu'aux villages encore habités les plus reculés du Morguestanc. Comme le long de la Grand' Rue des Hytres où, lorsqu'une rumeur juteuse passait d'une oreille à l'autre, elle partait des Portes du Crépuscule à l'aube et arrivait à celles de l'Esplanade au couchant, Usson finirait par avoir vent des événements de Sombrebois et l'imagination de tous s'activerait alors afin de se figurer l'incident. Tout en continuant de manger goulument, Laura se fit l'intime réflexion que leur passage à Sombrebois avait plutôt intérêt à rester secret ou, tout du moins, à être minimisé au maximum si quelqu'un venait les interroger : elle allait devoir en discuter au calme avec Pierrick.

Une fois restauré, le trio reprit sa route qui était à présent bien plus courte et sécurisée. Légèrement excentré du village, un corps de ferme délabré ressemblant à bien d'autres fit son apparition en bordure d'un champs de blé en pleine croissance ; ce qui le différenciait des autres granges était l'homme qui s'évertuait à en refaire le toit. Une moitié cachée derrière son frère et l'autre derrière Aeryn qui interpella le travailleur, Laura épiait les alentours. Son attention fut ramenée par la voix agacée d'un homme qui s'appuyait sur une canne mais qui ne semblait pas assez âgé pour avoir besoin de soutenir le poids des ans sur un bâton ; quoiqu'il en soit, il semblait encore assez vivace pour houspiller la rufine qui ne se formalisa que d'un commentaire que la petite couturière sentit grinçant. Tel le chaton sauvage qu'elle était, la cadette Lucet resta soigneusement proche de son frère lorsque l'homme diminué les désigna du menton et qu'Aeryn les présenta. Celui que la mercenaire présenta comme étant Kaël se montra bien plus amical une fois descendu de son toit et les enjoignit à les suivre à l'intérieur. Les Lucet emboitèrent le pas aux Monclar et passèrent le pas d'un battant qui n'avait plus de porte que le nom tant le bois avait souffert du passage du temps.

Avec un ameublement plus que chiche autour d'un modeste foyer aux braises tout juste rougeoyantes, il était difficile de qualifier cet intérieur de chaleureux ou de confortable. Une partie de la longère restait inhospitalière du fait de trous dans le toit s'ouvrant sur un sol détrempé et poussiéreux mais les frères Monclar avaient au moins eu le temps d'aménager une partie du logis afin que celui-ci soit sec et habitable. Le regard bleu de Laura parcourut les lieux avec l'acuité de la petite maîtresse de maison qu'elle avait été fut un temps jusqu'à ce qu'elle croise son homologue en la personne d'Ivaad ; la mordue se figea une seconde sous le faisceau de ces iris glacées et perçantes avant de se rapprocher de nouveau de son frère qui avait trouvé place autour du brasero. A ce moment-là, ce furent les yeux de Kaël qu'elle vit posés sur son visage : lui aussi avait un regard azuréen mais bien plus doux et avenant, comme toute sa personne en fin de compte. Il reprit d'ailleurs bien vite la parole pour s'intéresser aux invités d'Aeryn.

« - Alors comment ça se fait que vous soyez collés aux basques de ma petite sœur vous deux ? »

« - Aeryn nous a récupéré à Sombrebois pour nous amener jusqu'ici pour qu'on trouve un coin où s'installer. On était de Marbrume avec Laura » commença Pierrick tout en se massant machinalement le ventre.

« - C'est qu'on peut plus trop y vivre alors on cherche à s'installer ailleurs. »

« - C'est lequel de vous deux qu'est mordu ? »

La question d'Ivaad eut le même effet sur les Lucet que s'il leur avait craché un mollard bien chargé au beau milieu de la pièce. Pierrick leva un regard rond de surprise et brillant d'un léger éclat d'inquiétude tandis que les yeux de Laura, eux, ne luisaient plus que d'un évident sentiment de résignation. Par les temps qui courraient, rares étaient les personnes à pouvoir assumer ne pouvoir plus vivre dans la cité refuge pour une autre raison qu'une morsure discriminante. La couturière prit une profonde inspiration et, les paupières plissées par une détermination retrouvée, releva sa manche gauche pour présenter aux deux hommes les stigmates qui lui avaient valu l'exil forcé : une dizaine de marques de dents irrégulièrement réparties et aux bords approximatifs piquant sa peau d'albâtre juste sous son coude.

« - C'est moi. Mais j'suis pas marquée, c'est tout ce que les miliciens du village savent. »

Sous-entendu : il était essentiel que cela reste ainsi. Laura contint difficilement le frisson que lui provoqua cet instant, le premier où elle montrait ouvertement sa morsure à d'autres personnes ; le caractère inédit de ce moment était renforcé par le regard de son frère aîné qu'elle sentait lourd et grave sur son profil. La petite couturière s'efforça de ne pas se démonter et de poursuivre sur sa lancée, pressentant qu'elle allait avoir besoin de cran si elle voulait cohabiter sereinement avec les Monclar, en particulier cet Ivaad qui faisait presque passer la franchise d'Aeryn pour un exemple de tact et de délicatesse.

« - Et les vôtres ? » demanda-t-elle tout en laissant sa manche retomber sur son bras gauche.
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