« Un véritable chevalier n’ignore pas la peur, sachez-le, car seuls les dieux sont au-dessus de telles considérations, mais il la dompte et en fait sa force, comprenez-vous ? Je ne veux plus jamais vous voir ployer l’échine comme vous l’avez fait aujourd’hui, pour la peine vous porterez le peu de choses que nous possédons encore. Un mot, un seul et vous ne dormirez pas avant trois jours. Est-ce que c’est compris ? » — Adam de Corveil
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Les De Châtidras étaient une famille réputée pour former des chevaliers pieux et valeureux qui embrassaient la voie de la mort. Fidèle à la famille De Sylvrur, elle leur louait souvent autant précepteur d’armes que des soldats rompus pour leurs besognes martiales, quand bien même tous les porteurs d’armes ne pouvaient se targuer d’avoir le sang bleu.
Sylvère naquit au milieu d’une nuit printanière de l’an 1144, dernier d’une fraterie de cinq descendants, fils du Comte Ambroise de Châtidras et de son épouse Cunégonde De Châtidras, née De Sarrannes. Prévu comme le dernier parmi ses trois grands frères et sa grande sœur, il était promis à un avenir de chevalier, comme ses aînés. Il grandit dans le sillon de sa lignée, pavé de l’amour de sa mère, de l’autorité de son père, de la dureté de ses frères et de la compassion de sa sœur. Il s’avéra être un garçon timide qui s’écrasait facilement sous le caractère extraverti et moqueur de ses frangins. Il avait même, malgré lui, la réputation d’être un bâtard aux yeux extérieurs à la famille, tant son tempérament introverti contrastait avec le caractère vainqueur des autres De Châtidras. Lorsqu’un individu extérieur à la famille venait à s’en prendre impunément à Sylvère où à se moquer de lui, il était provoqué aux ordalies par l’un des trois frères et elle se soldait souvent par le sang.
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«
Je le fais pour ton bien, avait confié Sigeric De Châtidras, l’aîné.
Lorsque nous ne serons plus, c’est toi qui seras le chevalier De Châtidras de référence. Et à ton tour tu devras laver le déshonneur par le sang ; le leur ou le tien. »
Sigeric qui, par ailleurs, ne fit plus qu’un avec la voûte céleste lorsque Sylvère atteint ses neuf ans. Une rencontre malheureuse – ou heureuse, selon les points de vue – avec un adversaire digne de ce nom qui lui avait offert un combat mortel. Si l’honneur de la famille n’était pas entâché, la tristesse des aïeux, elle, était bien réelle.
«
Pourquoi faut-il se battre au nom de l’honneur ? Ne pouvons-nous pas éviter des massacres inutiles ? Sigeric serait encore des nôtres s’il ne s’était pas battu pour notre nom ! »
Telle était la première protestation manifeste de Sylvère, qui avait planté son regard larmoyant dans les yeux de son paternel. Le patriarche demeurait de marbre, répondant d’un silence de plomb, lorsque le cadet, Maelvon De Châtidras de son état, s’était redressé pour administrer un coup de poing bien porté dans l’estomac du plus jeune.
«
Il suffit parfois d’une réputation pour asseoir une victoire et éviter des effusions de sang plus grandes, triple imbécile ! La réputation gronde au-delà du Morguestanc là où le tonnerre hurle mais s’évanouit aussitôt. »
Ce soir-là, Sylvère rota du sang.
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C’est à ses quinze ans que Sylvère perdit Maelvon, qui connut également la mort dans une passe d’armes contre une famille ennemie. Une mort somme toute naturelle pour un chevalier qui avait fait vœu de prendre les armes au nom de sa famille et d’autres idéaux abstraits.
«
Ainsi nous naissons pour mourir de la sorte ? C’est pour ça que nous sommes plusieurs ? Devrai-je subir ce sort moi aussi ? »
«
Va savoir. répondit Adrien De Châtidras, le troisième de la lignée.
Il est dit que les meilleurs guerriers meurent soit sur le champ de bataille, soit de vieillesse dans leur lit. Qu’est-ce que tu en penses ?À nouveau, le parternel dardait un regard sévère sur le Benjamin.
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Ses vingts ans connurent un sombre tournant. Les De Châtidras furent les premiers à évaluer la rumeur d’un fléau qui ravageait les terres depuis l’Est. Cette fois-ci, c’est Adrien qui partit au combat, mais à la différence des deux autres grands frères, non seulement personne n’eut vent de ce qu’il advint, mais s’il était présumé mort, on ne récupéra pas son cadavre pour l’enterrer aux côtés de ses deux enfants.
«
Laissez-moi le rejoindre, père ! C’est pour ça que je vis !Hors de question, mon fils. Tu es le dernier qui me reste, celui qui me succèdera. Lorsque le temps viendra, ce sera à moi d’être le prochain rempart des De Châtidras. L’avenir de notre illustre famille reposera sur tes épaules. »
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La migration généralisée eut ainsi lieu. Grâce à la richesse de la famille, ils purent acquérir un bien sur l’esplanade de Marbrume lors de la migration généralisée. Lors de l’appel du roi à lever une armée pour bouter les goules hors du duché, Sylvère protestera pour faire partie des rangs de l’armée royale, mais Ambroise lui fera roter du sang en réponse, et lui enjoindra de rester au foyer avec Cunégonde et Milena De Châtidras, sa sœur aînée de deux ans.
Ambroise mourra avec le roi en octobre 1164, laissant Sylvère seul homme De Châtidras vivant à ce jour.
Le jeune homme, sous les supplices de sa mère, ne rejoindra pas la milice, mais se portera volontaire pour toute opération militaire d’envergure malgré les sequelles psychologiques laissées par la mort du roi. Notamment, sa participation à la reprise du Labret, si elle ne fut pas éclatante, fut la première réelle campagne militaire de Sylvère.
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Le chevalier chancela presque sous son armure lourde, l’air chaud circulant à peine sous son heaume, toussant le soufre qui irritait sa gorge. Les hommes et femmes, effrayés, fuyait en sens inverse, rendant la progression du fantassin lente et pénible. Ce jour qui avait connu des aurores d’espoir connaîtrait sans doute un crépuscule mortifère.
«
Le goulot… avait sussuré le chevalier sous son heaume.
Le goulot ! hurlait-on.
Il faut barrer la progression au goulot ! »
L’invasion provenait de ce quartier, sans qu’on n’eût déterminé encore sa cause exacte. Une brèche dans un rempart mal entretenu ? Un acte criminel ? L’heure n’était pas aux questions. L’heure était à l’action.
Ce jour avant-coureur d’un enfer abrasif, d’une descente au bas-fonds punitive, Sylvère avait pris la décision, envers et contre tout, d’avancer en première ligne, parmi les volontaires, parmi ceux qui voulaient sauver la cité à tout prix.
Au détour d’une bifurcation, un feulement strident avait retenti, précédant des cris d’effroi et un hurlement d’agonie. S’y engageant, il aperçut l’horreur encore une fois ; le prédateur, carnassier, exhumant une senteur presque corrosive, venait d’entailler la jambe d’un vieil homme à terre, le visage stupéfait, comme résolu à son destin.
Un cri de guerre jaillit du diaphragme, tandis que le jeune noble, l’épée tirée au clair, le bouclier en avant, chargea de tout son être, le visage de la Sainte Rikni bien en tête.
C’était lui, ou elle.
Il se heurta à un corps puissant et fut repoussé en arrière, au point de tomber sur son épaule droite. La douleur était délicieuse et il se sentait vivre ; mais la goule, elle, l’avait désormais en ligne de mire.
Une autre clameur horrifiée retentit…
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Sylvère se réveilla en sursaut, le corps poisseux. Reprenant ses esprits, c’était à se demander s’il avait été victime d’une terreur nocturne ordinaire.
La légende disait que Rikni psalmodiait dans les rêves de certains élus. Ce qui devait expliquer son mutisme accablant, encore une fois.
Mais quelle importance quand on bravait le sentier de la mort ?
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Sujet: Sylvère de Châtidras 
