Le Goulot, Marbrume | 11 Juillet 1166.
C’était une de ses journées où Violette se retrouvait d’une humeur bien trop mélancolique pour avoir ne serait-ce qu’une seule petite once d’envie de travailler. Enfin, de travailler plus que ce qu’elle n’avait déjà fait ce matin. Remplacer sa mère en tant que couturière auprès d’Augustin de Montereau, nouveau bourgeois qui avait fait fortune au sein de Marbrume quelques années auparavant, n’était pas vraiment de tout repos. Pas que son employeur était maltraitant ou mauvais payeur, loin de là - et elle en savait quelque chose - mais son exubérance constante et son énergie inépuisable, surtout en matière de palabre, pouvaient rapidement s’avérer épuisant pour qui n’avait pas l’habitude ou, en ce qui concernait la jeune femme, ne le supportait plus. Et puis, qui lui en voudrait de ne pas retourner à ses basses besognes ? Elle n’avait plus qu’elle-même à loger et nourrir désormais, sa jeune soeur Moufette s’en sortait très bien toute seule et quand bien même, il y avait toujours leurs oncles et leur tante pour subvenir à ses besoins si elle le demandait.
Toute à sa morosité, la prostituée prit un chemin que ses pieds menus chaussés de ses bottines de cuir brun connaissaient par coeur alors que son charmant minois orné de ténébreuses boucles folles striées d’argent dissimulait derrière un triste air songeur mille-et-une pensées aussi sombres que nombreuses, caracolant toutes en une assourdissante cacophonie dans son esprit embrumé. Ses pieds la ramenaient chez elle. Ou plutôt, là où aurait dû se trouver sa maison. Un lieu auquel elle ne pouvait plus accéder depuis l’érection d’un mur d’enceinte protecteur, assurant de conserver les immondes bêtes au cœur de ce qui était désormais appelé Le Chaudron.
Un profond soupir gonfla sa poitrine, un frisson la saisissant, cascadant le long de son échine telle une goutte d’eau glacée, lui faisant resserrer les pans lâches de son châle miteux à la teinte prune terne et affadie par le temps passé ; baissant la tête afin de dissimuler la détresse dont elle n’arrivait pas à se débarrasser, se cachant savamment derrière l’épais buisson sauvage de sa chevelure.
C’est sur la route du retour qu’elle le sentit. Le coup qui lui coupa le souffle pendant un court instant. Qui lui fit écarquiller les yeux et relever la tête après un mouvement de recul. C’est avec un air un brin hagard qu’elle posa ses pupilles malachites sur la fillette prostrée au sol qui tentait maladroitement de se relever puis sur la béquille en miette, piétinée par un cheval dont le cavalier ne semblait prêter aucunement attention à ce qui se passait autour de lui ; ses oreilles captant vaguement les geignements horrifiés de la frêle silhouette aux boucles cuivrées.
Un battement de paupières bordées de ses longs et épais cils noirs. Suivi d’un deuxième. La prostituée posa ses iris smaragdins sur la petite fille en colère et paraissant souffrir le martyr au vu de sa posture, un de ses sourcils sombres se haussa et ses lèvres pleines s’ourlèrent, appliquant sur son visage une moue dédaigneuse.
«
Je veux bien avoir une crinière aussi superbe que brillante mais tout de même. Je ne pense pas ressembler à un vulgaire canasson. » débita-t-elle tout en resserrant ses bras fins sous son orgueilleuse poitrine alors qu’un sourire amusé venait remplacer le mépris feint que ses lippes affichées une poignée de secondes auparavant. «
Mais il est vrai qu’au vu de ta condition, tu sembles en avoir bien besoin. » enchaîna la sauvageonne, détaillant sans gêne ni scrupule la petite poupée face à elle. Violette se pencha finalement légèrement en avant, amenant son petit minois fripon au niveau de la frimousse tachetée de son. «
Que puis-je faire pour être pardonnée petite demoiselle ? »