Une dernière bataille ,[RP Solo, Aeryn Monclar]

2 juin 1167
Usson, Labret,


-Hé, La marmotte ! Tu comptes dormir encore longtemps ? On n'est pas à Marbrume ici !

La jeune femme ouvrit les yeux, lentement, difficilement. Elle n'avait que très peu dormi finalement, inquiète qu'elle était de voir la fange briser la petit porte d'entrée de la chaumière pour se fondre à l'intérieur et briser le semblant de vie qui lui restait. Pourtant, sa paillasse se trouvait hors d'atteinte, dans ce qui fut autrefois un grenier récemment aménagé par Kaël. L'endroit n'était accessible que par une échelle que l'on remontait chaque soir. Les créatures pouvaient bien entrer, tout saccager, mais en aucun cas les atteindre. Il faut dire que les deux frères connaissaient bien la fange et savaient comment s'en prémunir…maintenant qu'ils se trouvaient tous deux marqués par les crocs de ces saletés.

Elle se redressa, tout aussi lentement qu'elle avait ouvert les yeux, juste le temps de rassembler ses idées. Cela ne faisait finalement que trois jours depuis son arrivée au Labret… Trop peu de temps pour que le fait de s'éveiller ici lui paraisse évident. Et puis… Il s'était passé tant de choses récemment, si bien que toute sa vie avait été bouleversée par cet enchaînement étrange et inquiétant d'événements.

-Bon, tu te dépêches ! On a du boulot, princesse !
-Tu trouves vraiment que j'ai une tête de princesse ? lui demanda-t-elle en pointant du doigt sa frimousse suintante de sueur, ses yeux creusés par des cernes évoquant sa fatigue et ses cheveux roux ébouriffés.
-Qu'est-ce que j'en sais, j'ai jamais vu de princesse au réveil, moi, souffla Ivaad avant de croiser les bras. Dans tous les cas, il faut te lever. Ici, on n'a pas le temps de traîner.
-Je sais, je sais, j'arrive.

Le petit déjeuner ne variait que très peu. Du pain rassis, trempé dans du lait tantôt accompagné d'un œuf, tantôt d'une tranche de lard, tantôt de rien du tout. Ce jour-là, c'était rien du tout. Ses frères s'étaient habitués à vivre seuls tous les deux et n'avaient certainement pas prévu de se retrouver avec une bouche supplémentaire à nourrir.

Aeryn s'installa devant son tranchoir humide. Elle avait beau être affamée, elle n'en restait pas moins honteuse de causer du tourment à ses aînés. Heureusement que les Lucet avaient trouvé refuge ailleurs, finalement, sans quoi il semblait évident que le repas matinal aurait été bien plus maigre.

- Où est Kaël ? demanda-t-elle après avoir longuement observé la pièce. Il ne mange pas ?
-Il n'est pas encore rentré.
- Comment ça ?

Il est vrai que la jeune femme s'était couchée très tôt mais elle se souvenait parfaitement que son aîné était bien présent la veille au soir. Alors, où était-il allé après qu'elle fut montée ?
Traînant sa jambe derrière lui, Ivaad vint prendre place face à sa jeune sœur.

-Il lui arrive de prêter main forte à la milice locale. Il n'est pas aussi bon archer que notre Elwin, mais il se débrouille suffisamment bien pour les aider.
- Et ils l'acceptent malgré….Enfin, tu sais …
-Malgré la morsure ?
Elle agita la tête.
-Je me demande dans quel monde tu vis, Ryn… La milice extérieure n'est pratiquement composée que de mordus. Kaël ne fait donc pas exception.
- C'est vrai… souffla-t-elle tout en remuant sa tranche de pain à l'aide de son couteau.
-Allez, mange. Nous avons à faire ce matin.
- Qu'as-tu prévu ?
-Nous allons commencer par réparer la barrière autour du pré. Autrefois, il servait à accueillir les moutons du propriétaire, mais les fangeux l'ont brisé lors de l'invasion et les bestioles ont pris la fuite. Il faudrait donc la réparer et la renforcer pour qu'il puisse en racheter.
- D'accord, répondit-elle en opinant du chef.
-Ensuite, nous irons te chercher des vêtements… Tu ne peux pas rester avec cet uniforme.
- Ça ne me gène pas … D'autant plus que je peux bien vous emprunter une chemise ou deux…Il me reste quelques pièces, mais je préfère les investir dans de la nourriture…
- Ryn… Ici, nous ne sommes pas à Marbrume. Les gens ne nous connaissent pas encore et, dans notre situation, il nous faut faire bonne figure pour être acceptés. Tu ne peux pas te balader dans le coin avec ce genre de vêtements…
- Comment ça ? Quel de quel genre de vêtements parles-tu ? lui demanda-t-elle tout en mâchant.
-Et bien… Des vêtements d'hommes …
- Hein ? s'exclama-t-elle. J'en ai toujours porté, ça n'a jamais posé de problème !
-Ça en posera ici… Écoute Ryn, je suis assez bien placé pour savoir comment tu as été élevée… Mais Rodrick est mort et tu n'as plus besoin de te comporter comme un homme. Il est grand temps que tu redeviennes Aeryn Monclar, notre petite sœur.
- Mais je suis Aeryn Monclar ! s'offusqua-t-elle avec virulence. La jeune femme s'était brusquement levée pour frapper ses deux poings sur la table. Je l'ai toujours été ! C'est sur que occupés comme vous l'étiez à protéger vos p'tits culs vous ne pouviez pas vous en rendre compte,mais j'ai toujours été Moi ! Vous pensez p't'être que c'est en changeant de vêtements que l'on change de personnalité ? Tu peux bien me faire porter une robe de satin que je serai toujours aussi rustre.
- Certes… Mais tu seras plus facilement acceptée dans le coin, répondit-il calmement, bien loin d'être impressionné par la fureur de sa cadette.
- Et donc ? Faut-il mentir pour être accepté ?
- Non, il faut s'adapter, Ryn. Chose que l'on ne t'a jamais appris à faire et il va falloir remédier à cela. Allez, mange.

Mesurer, scier, planter. Tout en travaillant à la réfection de cette maudite barrière, Ryn n'avait cessé de ruminer. Ivaad se tenait non loin et s'affairait de son côté sans réellement prêter attention à sa sœur qui le lorgnait pourtant d'un regard furibond. Il n'avait pas besoin de la regarder pour le savoir. Après tout, l'estropié connaissait trop bien sa cadette pour cela. Pour Ryn, il n'y avait rien de plus simple que de laisser sa colère s'exprimer et, au fond, ce silence bordé de quelques regards courroucés révélaient un certain effort de la part de l'ancienne mercenaire.

Autrefois, Aeryn aurait probablement hurlé avant de cogner aussi fort que possible sur son frère. Une chose était sûre : Elle avait changé. Assez du moins pour se comporter d'une manière plus civilisée qu'à l'accoutumée. Il ne savait pas à qui ou quoi il devait ce changement, mais il en ressentait tout de même une certaine satisfaction. Ryn pouvait bien rester piquante dans ses propos, elle n'était plus cette tornade dévastatrice qu'il avait toujours connu.

La colère d'Aeryn, bien que présente restait sourde. Et pour cause, elle n'avait, au fond, rien à dire. Devoir s'adapter pour la jeune femme revenait à apprendre à lire. Rien de tout cela lui paraissait logique et pourtant, elle savait également qu'il n'y avait rien de plus juste… Tout du moins, si elle voulait s'ouvrir. S'adapter revenait au fond à évoluer … Mais comment faire ? Elle avait pourtant essayé et, en un sens, était même réussi. En se faisant des amis, entre autres… Des amis que la mercenaire avait perdu de vue… Notamment en leur tournant le dos, comme elle avait pu le faire avec ses coéquipiers.

La rouquine venait de planter son sixième piquet tout en soupirant lorsque Kaël vint les rejoindre. Il marchait d'un pas volontaire et non pas lourd comme l'aurait fait un guerrier revenant de la bataille… La nuit avait dû être calme, tout du moins, c'est ce que supposa la rouquine tout en déposant sa masse pour mieux d'observer. Le jeune homme arborait une mine fatiguée, mais réjouie tout de même. Sans doute avait-il rencontré la belle aubergiste qui aimait tant lui offrir de grands sourires.

-Et bien, te voilà enfin. Tu en as mis du temps, lança Ivaad sur un ton évoquant la taquinerie.
-Oui et tu m'en vois désolé.
-À d'autres ! Je reconnais bien de sourire sur ton visage. Tu as dû passer un très bon moment en bonne compagnie.
-Je vois que l'on ne peut décidément rien te cacher.

Sa masse reposant au sol, la jeune femme observait ses aînés avec curiosité. Quelque chose avait également changé chez eux. Ils semblaient plus… sereins… plus normaux aussi. À les voir ainsi, Ryn avait l'impression que rien ne pouvait être plus aisé que d'oublier les dangers et les malheurs que l'humanité se devait d'affronter chaque jour. Ils vivaient, tout simplement.

Tout en les observant, Aeryn ressentit comme un violent pincement au cœur. Elle avait beau être ravie pour eux, elle ne pouvait s'empêcher de culpabiliser. Elwin aurait été merveilleux au milieu de cette scène pleine de camaraderie. Lui aussi aurait adoré taper dans le dos de son aîné et aurait probablement lancé une ou deux âneries… Log aurait sûrement renchérit juste après et tous auraient éclaté de rire… Avant de se faire réprimander par un Rodrick peu sérieux finalement. Il était fort aisé de visualiser le léger rictus qu'avait l'habitude d'arborer son père. Celui chargé de sa fierté et d'une malice depuis fort longtemps oubliée qu'il n'offrait qu'à ses fils et dans de très rares occasions. Elle avait presque oublié cela… Comme beaucoup d'autres moments, quelques détails de sa vie qui n'avait pas toujours été atroce. Des bons moments parmi les siens, la mercenaire en avait vécu quelques-uns. La plupart lorsqu'ils se trouvaient dans leur maison en pleine campagne… Quand elle avait le droit d'être elle-même.

Comment et pourquoi avait-elle pu oublier cela ? La réponse semblait simple à présent : pour mieux se protéger…

-Ryn ? l'interpella son aîné. Quelque chose ne va pas ?
-Hein ? Non, tout va bien, je me remets au travail, dit-elle avant de se retourner prestement afin d'essuyer rapidement son visage afin de chasser la bien vilaine larme qui s'y baladait