[EVENT] - La main à la pâte | ft. Gaston

Les travaux de la ferme étaient exigeants. C’était une vérité bien ancrée dans l’esprit d’Emma, bien avant même que son marché avec Mathilde Dumas eut été scellé. Le métier ne lui était pas inconnu, bien qu’il n'était, il y a quelques mois encore, qu'un souvenir d’une enfance lointaine. Le goût du travail lui était revenu au fur et à mesure de ses tâches, chaque goutte de sueur, chaque douleur dans les muscles, chaque effort lui rappelant qu’il était bon d’avoir une vie de villageoise, loin des marais et des dangers dissimulés dans la tourbe. De telle sorte que; malgré elle, la petite femme avait développé une forme de sentiment d’appartenance à cette communauté. Graduellement, la Ferme Dumas était devenue un véritable foyer, une bâtisse familière qu’elle souhaitait voir, cette dernière et ses occupants, prospérer et grandir. La prudence et la méfiance avaient fait place à la confiance, et la confiance s’était muée en loyauté.

Pouvait-elle prétendre nourrir de pareils sentiments envers Usson, le village voisin ? La situation était compliquée. Non pas qu’elle n’aimait pas le village lui-même et la familiarité qu’il lui inspirait ; à bien des égards, cela lui rappelait ses jeunes jours à Menerbes. D’ailleurs, elle finissait par connaître petit à petit ses habitants, au moins de vue. Cela dit, ces derniers demeuraient autant de regards susceptibles de percer à jour le secret de sa marque. Et Emma savait que le jour où elle serait découverte, beaucoup de choses changeraient.
Aussi avait-elle fait le choix d’une attitude à la fois avenante et discrète. Bertrand, son corbeau, ne l’accompagnait pas durant ses sorties au village - ou bien à distance respectable ; quant à elle, elle essayait de gagner la sympathie des uns et des autres par de petites attentions discrètes.

Aussi, quand le chantier des Jeux d’Été se lança, Emma en profita pour rendre service. Cela signifiait plus de travail pour elle, mais tant que les résultats étaient là, on pouvait difficilement lui reprocher de se battre sur deux fronts.

C’est en début d’après-midi qu’Emma rejoignit le chantier de construction. C’était une belle journée parsemée de quelques nuages paresseux traînant sous un beau ciel bleu. Les chances de tomber sur un Fangeux étaient plus maigres, mais pas inexistantes ; il était difficile de ne pas se rappeler de l’attaque de la veille, ce qui n’avait pas manqué de ternir le moral des troupes. La petite brune ne manqua pas de remarquer que les gardes postés autour du chantier ne semblaient pas particulièrement détendus malgré la journée plutôt clémente, et les ouvriers étaient clairement sur le qui-vive.

Ce n’est pas un endroit pour une femme, pensa-t-elle en voyant tous ces corps majoritairement masculins en action. Et pourtant, Emma s’efforça de vaincre son malaise et s’avança vers un travailleur au hasard, lui demandant de quelle manière elle pouvait rendre service. Avec un brin de circonspection, il désigna les différents chariots rondins taillés à l’entrée du chantier non loin d’eux, lui expliquant rapidement qu’il leur faudrait plus de bras pour tout décharger

« Mais il t’faudrait plus de muscles que ça. » ricana-t-il avec amusement, reprenant son marteau. « C’est gentil de vouloir aider, j’dis pas le contraire. Cela dit j’pense que tu f’rais mieux de retourner chez toi, t’y serais plus utile. »

« Va plutôt préparer un bon dîner à ton mari. » finit-elle en pensée, complétant les paroles de son interlocuteur. Penaude, elle se tint debout un instant à ses côtés. observant les chariots, puis la palissade, avant de finalement soupirer et de revenir sur ses pas. Elle ne lui en voulait pas d’avoir été honnête, car après tout, il était vrai qu’une femme ne pouvait pas s'atteler à une tâche si physique, surtout quelqu'un comme elle avec sa physionomie petite et fine.

Toutefois, en passant à coté du chariot, la petite employée de ferme ralentit la cadence de sa marche. Ses yeux scrutèrent les bouts de bois, soupesant leur poids en silence. Puis, finalement, après délibération, elle s’avança vers eux, ses mains attrapant l’un de ceux du haut de la pile avant de le tirer de toutes ses forces.

Non sans peine, le rondin se décala. Emma reproduisit son geste une fois de plus, insistant, pestant en silence, tandis que le rouge lui montait au visage. Elle ne s'aperçut pas des regards amusés de certains ouvriers qui avaient remarqué son acharnement, n'intervenant toutefois pas pour l'instant pour l'aider dans sa lutte.