Quand un homme et une femme s’aiment.
Anne était une simple servante au service des de Piana, une jeune femme du commun sans grandes ambitions. Elle ne brillait pas par grand-chose, tout juste bonne dans son travail. Un boulot que lui avait dégoté son père grâce à une connaissance. Le seul avantage d'Anne c’était sa jeunesse, ses formes et son doux visage.
Un avantage qui attira rapidement le regard du maître de maison, Philibert, flattée par les intentions d’un homme mature et noble, elle se persuada seule d’une relation d’amour, s’offrant entièrement à lui.
Comme c’était à prévoir, une grossesse pointa rapidement le bout de son nez et contrairement à ce que la jeune femme s’était imaginé le chevalier avec qui elle avait partagé la couche n’était pas des plus heureux d’apprendre la nouvelle.
Elle fût congédier rapidement, obtenant une belle somme en échange de son silence. Une somme qui ne suffit pas à calmer la colère de son père, qui désespéré était prêt à marier son irresponsable de fille au premier venu.
Peu encline à accepter un autre amour que l’homme qui l’avait engrossé, Anne récupéra l’argent et s’enfuit pour rejoindre la grande ville, persuadée de pouvoir s’en sortir seule.
Il fallut peut être quelques semaines de plus pour que l’écervelée se rende compte des conséquences de son choix, la pauvre femme était bien vite arrivée au bout de ses économies. Elle se retrouvait incapable de payer sa chambre, et le tenancier de l’établissement dans lequel elle louait commençait à perdre patience.
L’homme avait d’abord fermé les yeux devant la promesse d’un paiement régulier, préférant taire ses questions sur la femme célibataire qui se présentait à elle, mais maintenant que l’argent manquait et que Anne commençait à se faire grosse, entachant par la même occasion la réputation de son auberge, il préféra la jeter à la porte.
Maintenant, le bon sens aurait voulu qu'Anne choisisse de rentrer à Piana, et qu’elle espère que son père la reprenne. Pourtant ce ne fut pas sa décision, après quelques jours dans la rue, désespérée, terrifiée par l’idée de rentrer chez elle, elle préféra trouver un métier qu’on ne recommande pas aux jeunes filles de bonnes familles.
Naître dans un bordel
Improbable chance, ou incroyable malheur, Anne réussit à trouver un emploi dans une maison de passe.
Aux belles poules, sans laisser beaucoup de place aux suppositions quant à ce qu’on y faisait, c’était ainsi que s’appelait la maison. Une vieille bâtisse décrépit de l'extérieur, perdu dans les rues sinueuses du goulot, pas très loin du port de là d’où viennent les clients récurrents et là surtout où les autorités ne mettent jamais trop leur nez.
Au début, c’était un simple travail de boniche, faire le ménage, s’occuper des filles de la maison et servir les rafraîchissements. La maquerelle de l’établissement avait imposé ses conditions dès l’arrivée, une fois l’enfant mit au monde, celui-ci devait être abandonné et Anne aurait ensuite à se prostituer pour rembourser la mégère de sa charité. Quelle femme, cette Guilaine, il faut en parler un peu.
Guilaine n’était plus toute jeune, elle avait exploré le métier de prostituée sous toutes ses coutures, se servant de ses clients comme des marches sur l’escalier de la réussite, dans son ascension elle avait appris à lire, à écrire et même à gérer le commerce bien particulier des femmes auprès de son amant de maquereau. Après la mort de celui-ci, elle avait été toute désignée pour récupérer l’affaire.
Le plan ne se déroula pas comme prévu, à la naissance de son enfant, Anne refusa d’abandonner sa petite fille, provoquant la colère de sa patronne. La jeune mère supplia qu’on la laisse envoyer une lettre au père, espérant encore que quelque part celui-ci ait envie de prendre son enfant sous son aile.
Illettrée, elle fit rédiger la lettre par sa taulière qui en apprenant la paternité voulut bien retarder l’échéance, pensant à raison qu’il y avait moyen de se faire de l’argent.
Contrairement à ce qu’avait espéré Anne, son premier et seul amour n’avait aucune intention
de récupérer l'enfant et de mettre son honneur en péril, il se contenta de promettre une pension inquiet tout de même pour l'avenir de sa progéniture, lui demandant à nouveau de ne pas divulguer son existence.
C’est dans un arrangement bancal que l’enfant put rester aux côtés de sa mère, la tenancière gardant l’argent envoyé par Philibert pour payer les soi-disants frais de la charge de l’enfant.
Grandir avec les filles de la nuit
La situation ne resta pas longtemps paisible, à peine Anne avait-elle fait quelques mois dans le métier qu’un client un peu trop éméché l’avait mortellement étouffé pendant la passe. Le genre d'événements qu’on balaye sous le tapis pour éviter les enquêtes et autres scandales.
Trop nouvelle dans le métier, avaient expliqué les filles de la maison, elle n’avait pas su reconnaître les clients à ne pas faire monter, et encore moins comment les arrêter. Enfin ça c’était une façon de se rassurer, en vérité la mort aurait pu frapper n’importe laquelle d’entre elles ce soir là.
Dans tout ce bordel, il restait une question importante, qu’allait-on faire de l’enfant maintenant ?
Pour la pension c’était clair, Anne était morte sans avoir remboursé tout ce qu’elle devait, il était donc évident que la maquerelle se devait de continuer à percevoir l’argent. Pour l’enfant par contre, la solution de facilité aurait été de la laisser à son sort, personne n’en aurait jamais rien su.
Guilaine se sentait jugée par les Trois, sa décision serait méticuleusement observée par Anür, un jour ou l’autre. Pouvait-elle chasser une enfant innocente, dont la mère venait de mourir sous sa garde ? Le tout en gardant l’argent réservé au soin du nourrisson ? Cela aurait été horriblement cupide. Terrifiée par la déesse, elle garda Mélisende à sa charge.
Ironiquement, elle passa pour une sainte auprès de ses filles, celles-ci ne connaissant pas l'existence du père de l’enfant dans l’histoire et encore moins de la pension.
Donc c’est ainsi, que contre tout ce que les mœurs aurait pu conseiller, Mélisende appris à marcher et parler dans un tel milieu. Dans sa petite enfance, Mélisende à encore le souvenir d’avoir été choyée par toutes les femmes présentes autour d’elle. Sa vraie mère, elle ne l’avait pas vraiment connu, mais elle en eut de nombreuses autres.
Quelques rares filles furent jalouses, celle qui avait dû se séparer de leur enfant, vivait mal l’idée de voir tous les jours une petite fille s’épanouir sous leur nez, mais pour la grande majorité c’était une bouffée d’air frais. Et puis s’épanouir, on ne va pas tellement exagérer, Guilaine se permettait grandement les économies sur beaucoup de choses au sujet de sa pupille.
En grandissant Mélisende avait prit ses habitudes, elle connaissait les règles de la maison par coeur, la nuit elle n’avait pas le droit de descendre, alors elle restait sagement dans le grenier, bercée par les bruits des rires, des cris, des verres et d’autres dont elle ne connaissait pas encore l’origine. Par contre, le jour, une fois que tout le monde était bien sagement endormi, toutes les pièces ou presque lui étaient accessibles.
Elle devait faire attention à ne pas déranger les travailleuses bien sûr, mais elle était enfin libre de parcourir les lieux interdits de nuit.
Son oisiveté fût de courte durée, l’argent que recevait la maquerelle pour Mélisende ne couvrait pas tous les frais, même en la limitant à de maigres repas et elle ne pouvait pas harceler le noble de père au risque que celui-ci décide de tout arrêter ou pire. Alors elle fît ce que tout le monde aurait fait, faire travailler la petite, tant qu’elle gardait sa promesse à Philibert de ne pas la prostituer un jour, tout irait pour le mieux et l’enfant rembourserait les dettes.
C’était fini d’errer paisiblement la journée, maintenant il fallait récurer, changer les draps, laver le linge et s’assurer de réussir à décoller des tâches vieilles d’avant sa naissance.
Malheureusement la petite était d’un naturel défiant et curieux, plus elle grandissait, plus elle s’intéressait à la vie de nuit de la maison, perdant rapidement son innocence. La réalisation des corvées étaient souvent discutables, parfois elle passait la matinée à paresser, trop fatiguée d’être restée éveillée la nuit d’avant.
La taulière du sévir, il fallut de nombreuses corrections pour la mater avant qu’enfin Mélisende fasse son travail correctement, mais jamais elle ne réussit à la débarrasser de son petit regard hautain qu’elle devait tenir de son sang noble.
A ses neuf ans, elle commençait déjà à sortir pour les courses ou se chargeait de temps en temps des messages, assez rapidement elle avait appris à connaître les gens des quartiers dans lesquels elle prenait le temps de flâner au risque de se faire corriger à son retour. On l’appréciait facilement, avec ses petites tâches de rousseur et son air malin.
L’apprentissage
A ses onze ans les choses prirent un nouveau tournant, Philibert lui avait trouvé un apprentissage chez un marchand. Il avait fait suivre la nouvelle dans sa dernière lettre et exigeait que Mélisende s’y rende.
Le chevalier de Piana n'était pas irréprochable mais on ne pouvait pas lui enlever une certaine sensibilité vis à vis de ses enfants, même pour sa bâtarde. De cette manière, sans s'investir de trop près, il espérait bien permettre à sa fille de s'élever. La maquerelle s’exécuta non pas sans râler à qui voulait l’entendre de la main d'œuvre qu’elle perdait, surtout que Mélisende en attendant serait toujours logée au bordel à ses frais, ou plutôt ceux de son père.
Le marchand en question, Patrice Perrault était de la petite bourgeoisie, plus proche des travailleurs aux mains calleuses que du bourgeois, c’était un passionné de son travail, il n’était pas des plus éduqués pourtant il savait y faire avec le client. Il vendait un peu de tout dans son échoppe de la Hanse, des objets du quotidiens, des bibelots, de la camelote en somme. Rien de très glorieux, mais cela ne l’empêchait pas de gagner sa vie.
Il apprécia grandement Mélisende dès les premiers mois car la petite se révéla douée pour apprendre les ficelles du métier, bien plus que son empoté de fils, Jean.
Son fils, c’était un gaillard de quatre ans l’aîné de Mélisende, né avec ce que son père avait déjà créé il en était devenu fainéant et arrogant. Son père n’avait jamais su comment s’y prendre avec lui, veuf, il s’était retrouvé seul à élever le garçon.
Elle le croisait très peu à l’échoppe, Jean passait déjà le plus clair de son temps à traîner ailleurs qu’au travail.
De son côté Mélisende avait développé une passion pour le commerce, elle apprit vite avec le bordel que quelque chose se monnayait bien mieux que les babioles, les informations. Elle connaissait déjà quelques fripouilles du coin qui recherchaient souvent la dernière demeure la moins gardée, les patrouilles de gardes ou même les départs de marchandises intéressantes. Le genre d’informations que detiennent les hommes, et ces hommes ne sont jamais aussi bavards qu’une fois avinés dans les bras d’une femme, ce qui faisait de Aux belles poules l’endroit parfait pour recueillir les informations. Non pas que Mélisende se mit à faire du charme aux hommes, ça ce n’était pas quelque chose qu’elle aurait pu accepter de faire, elle se contentait de laisser faire les filles de la maison.
Elle avait réussi à faire quelques économies, rien de bien méchant, un sous ou deux d’ici de là, elle partageait les récompenses avec les femmes du bordel, leur donnant de plus en plus envie de bavarder.
A ses quatorze ans, son petit commerce avait déjà bien pris forme, les renseignements prenaient différents formats, elle pouvait vous trouver de quoi faire chanter votre rival, retrouver votre mari en train de cuver à l’autre bout de la ville, ou même savoir où acheter certaines choses.
Elle ne s’arrêtait plus aux femmes de la maison, elle avait maintenant de nombreux contacts de ci de là, dispersé un peu partout, des prostituées d’autres quartiers, des voleurs, des marchandes et même parfois les enfants des rues. Jean le fils du commerçant la fit chanter pour obtenir sa part, découvrant ses actions par le simple fait de lui aussi traîner dans les milieux louches, elle n'eut d'autre choix que d’accepter. L’avantage resta qu’il avait été quelque peu éduqué. Son père avait réussit à lui payer les services d’un tuteur pour lui apprendre à lire, un avantage dont l’idiot avait peu usé jusqu’ici.
Guilaine ne savait plus comment la gérer, elle comprenait bien que la jeune fille trainait dans tout un tas d'embrouilles qui finirait par lui apporter des ennuis, les disputes entre Mélisende et elle ne faisaient que monter en tension.
Puis les choses finirent par éclater, lorsque la maquerelle lui annonça ses fiançailles avec Jean. Philibert avait tout arrangé de son côté avec Patrice pour épargner à sa fille de la rue et lui offrir un foyer respectable, mais le chevalier aurait mieux fait de s’abstenir.
La dispute devint si forte qu’elle réveilla les filles de la maison, la maquerelle hurlait contre Mélisende en tenant un bout de papier à la main. Mélisende qui demandait une raison ne trouva qu’un ultimatum, soit elle épousait le fils du marchand, soit elle prenait la porte.
Quel que soit son choix Mélisende se retrouvait expulsée de l’endroit où elle avait grandi. Elle préféra partir le soir même.
Elle rassembla ses économies, et décida de faire une petite inspection de la chambre de la tenancière car curieuse de tout, elle avait toujours eu le flair, et sa seconde profession l’avait bien entraînée à creuser les détails. Depuis longtemps Mélisende savait que quelque chose, ou certainement quelqu’un se cachait derrière les généreuses opportunités de sa vie et que ce n’était pas Guilaine. Au fond d’elle, elle espérait, voir se doutait que son père avait quelque chose à voir là dedans.
La curiosité est un vilain défaut, et parfois une violente claque dans la figure, elle fit lire la lettre qu’avait tenu Guilaine lors de leur dispute à Jean, qui eut un rire bien gras, ravi d’apprendre à Mélisende la vérité sur l’origine de leurs fiançailles. Il savait très bien de qui son père, Patrice, avait reçu la dot et c’est avec une grande suffisance qu’il révéla l’identité de son père à Mélisende.
Mélisende devait maintenant choisir entre un mariage arrangé ou sortir du chemin simple de la vie pour se diriger vers l’inconnu. Sa soif d’indépendance et d’aventure fut vite tues par la peur, Mélisende avait à peine quinze ans, et à cet âge là l’idée d’être pris en charge est rassurant.
C’est avec des regrets qui la poursuivent encore qu’elle accepta de se marier à Jean.
La vie d’une femme presque rangée
Le mariage ne commença pas sur d’aussi mauvais auspices que Mélisende avait imaginé, son maître de commerce, maintenant beau-père la traitait d’autant plus comme sa fille. A mesure qu’il vieillissait, il laissait de plus en plus Mélisende gérer l’échoppe en dépit de Jean qui n’était toujours pas à la hauteur. Elle alternait entre son propre marché discret et celui de l'échoppe, sans trop d’ennuis. Jean n’était même pas une si grande menace que ce qu’elle à quoi elle s’était attendu, après les premiers mois il s’était rapidement lassé de sa femme pour se tourner vers les prostituées.
Ironiquement cela lui permettait de garder un œil sur lui, s’assurant qu’il ne mettait pas leurs affaires secrètes en péril.
Il y eu presque un enfant une fois quand elle eu dix-neuf ans, mais le corps maigrelet de la jeune femme était incapable de le garder. Mélisende en fut presque soulagée, terrifiée à l’idée de devenir mère.
Le quotidien changea brutalement à la mort du père Perrault, Jean hérita de l’affaire. Il se mit en charge des comptes et des achats, laissant à Mélisende le soin de la vente. Cela ne plut guère à la jeune femme qui voyait son mari détruire petit à petit tout ce que son beau-père avait construit.
L’une des plus grosses bêtises de Jean arriva un an après, l’idiot de négociant qu’il était, était revenu les mains vides. Il avait dépensé une partie de la somme des achats aux jeux sur le chemin, et s’était pris la tête avec l’un de leur fournisseur en essayant de négocier.
Avec rien à vendre pour les jours à venir, Mélisende savait qu’ils couraient tous deux à la faillite. Elle prit les choses en main, choisissant une voie qu’elle avait toujours évité, elle préférait rester observatrice dans le milieu des voyous, ne servant que de messager ou presque, mais c’était urgent.
Elle utilisa donc ses connaissances pour récupérer de la marchandise à moindre prix, de la marchandise obtenues dans de sombres contextes et dont l’origine est plus que floue.
La manœuvre leur permit de subsister un mois de plus, mais Jean qui y avait vu un commerce lucratif et bien plus aisé, voulut continuer sur cette voie. Il voulait transformer l’échoppe de son père, un honnête travailleur, en repère de recel d’objets volés.
Mélisende refusa du mieux qu’elle put, elle prévint Jean du jeu dangereux auquel il voulait prendre part, elle le savait bien trop bête pour que la chose ne dure sans impunité. Elle dû se résoudre tout de même à mélanger ses deux affaires et à fournir à son mari de quoi vendre.
C’est à cette même époque que Mélisende rencontra Florence, une fille de la nuit qui se montra utile plus d’une fois. Du même âge ou presque que Méli, les deux se lièrent rapidement d’amitié, Florence se prouva d’un grand soutien en l’aidant à se remonter le moral pour oublier l’anxiété que lui provoquait Jean. Mélisende avait même pris l’habitude de dormir dans la chambre que louait Florence pour s’épargner de rentrer à son foyer après avoir passé la nuit à se saouler.
Bien sûr des fois elle devait attendre de l’autre côté de la porte que son amie finisse avec un client avant de se coucher, mais pour quelqu’un qui a grandi dans un bordel ça n’avait rien de très dépaysant.
Un retour aux sources
Ce à quoi Mélisende s’attendait finit par arriver, la bourde de Jean fut monumentale. Déjà l’idiot avait prit les devants, se justifiant que Méli n’avait pas été là ces derniers jours et donc qu’il avait bien fait. Lui qui était tout fier, il se vantait d’avoir acheter des objets aussi luxueux à bas prix, il perdit vite la face quand Méli lui expliqua les choses. Les objets de ce genre étaient si difficiles à revendre sans éveiller les soupçons que c’était évident qu’un voleur inexpérimenté devenait vite désespéré à l’idée de s’en débarrasser, et maintenant c’était eux qui avaient hérité de la soupe chaude. Mélisende le fit jurer de ne pas toucher à la marchandise jusqu’à ce qu’elle s’en occupe, et de ne surtout pas la vendre. Jean était plus que vexé, il ne supportait pas d’être mit devant son incompétence de la sorte, jusqu’à ce jour c’était bien la première fois qu’il avait frappé Mélisende avec une violence pareille, avant de sortir pour sûrement finir écroulé, puant la vignasse quelque part en ville.
Elle, elle préféra se réfugier chez Florence, dans un état lamentable et vulnérable qu’elle haïssait profondément. Jean évidemment, de son côté n’écouta pas les conseils de sa femme, profitant de son absence et voulant prouver ses compétences de maître receleur, il mit en vente la quincaillerie qu’il avait acquise.
Les objets avaient été récemment volés, et l’un d’eux portait encore les initiales du gros bourgeois à qui ils appartenaient. Il ne fallut que quelques jours pour que la garde débarque devant l’échoppe avant d’arrêter le marchand véreux.
Jean avait détruit l’héritage de son père, et avec lui sa réputation. Après qu’on lui eut coupé la main, il séjourna plusieurs mois en cellule, ne pouvant en sortir que durant les travaux forcés.
La nouvelle de son arrestation arriva vite aux oreilles de Mélisende, elle joua l’épouse accablée et surprise quand la garde l’interrogea sur les affaires. Heureusement que Jean lui avait mâché le travail en lui refusant officiellement une quelconque importance pour leur commerce, et puis le reste des témoignages suffirent à l’innocenter, Mélisende connaissait bien leurs voisins et aucun d’eux n'étaient prêts à la faire tomber avec Jean.
Un boulet en moins
Il ne lui restait plus que son commerce à elle, sa petite affaire indépendante qu’elle avait nourri toute sa jeunesse, leur ancienne échoppe s’étant faite confisquée avec leur argent et leurs possessions après l’arrestation de Jean. Avec son mari loin d’elle, elle pouvait enfin s’y consacrer pleinement, la vie ne saurait plus aussi aisée qu’avant mais elle s’y habitua de façon surprenante. Elle regretta de ne pas s’être abandonnée pleinement à ce mode de vie plus tôt. Elle s’épanouissait, certes elle y avait perdu la maison et l’échoppe, mais jamais elle ne s’était enfin sentie autant chez elle qu’en partageant une petite chambre dans le Labourg avec Florence.
Leur quotidien était vite devenu rodé, elle n’était pas que partenaires et amies, il y avait quelque chose en plus que Mélisende n’avait jamais trouvé avec Jean. De l’affection peut être, en tout cas ça en faisait partit, il ne fallut plus très longtemps pour que les deux femmes deviennent amantes.
Enfin, Mélisende avait trouvé son quotidien, un peu instable, loin de la grande vie mais elle se sentait vivante. Doucement, elle espérait bien petit à petit construire quelque chose de plus grandiose qui lui permettrait d’offrir une vie riche à Florence.
La fange, bon pour les affaires, moins pour le moral
Les rumeurs, c’était son produit, et en ce moment il était bien pourris. Partout elle n’entendait que ça, des propos aberrants, sans queues ni tête, des monstres, des morts, des créatures qui arrivaient pour les détruire.
Le pire, c’est que tout ça, c’était vrai, la fange existait bel et bien et elle se rapprochait de Marbrume. Dire que Mélisende n’était pas terrifiée serait mentir, Florence était encore une fois le pilier pour elles d’eux, permettant à son amie de continuer sa vie sans se terrer, et il le fallait bien car ce fléau apportait avec lui son lot d'opportunités. Rapidement, alors que la guilde des voleurs faisait surface, Mélisende noua des liens, devenant une chuchoteuse des plus utile, un petit ajout à ses revenus qui la fit obtenir bien plus que ce qu’elle espérait. Sûrement aurait-elle pu en avoir encore plus si elle les avait rejoint pleinement, mais le risque n’en valait pas la chandelle et elle estimait plus que tout son indépendance.
Durant cette période Jean avait été relâché, alors qu’il était à la recherche de sa femme, sachant pertinemment que celle-ci serait un moyen de s’en sortir, Mélisende eut à se faire discrète pour qu’il ne la retrouve pas, heureusement les gens qui la connaissait n’était pas trop du genre à vendre la mèche.
Mélisende et Florence réussissaient donc à subsister, il y avait même quelques fois où elles pouvaient se laisser aller sur quelques dépenses frivoles. Les prix des ressources à Marbrume perdaient leurs sens avec l’arrivée de la fange, heureusement que Méli n’était pas frileuse pour comprendre les choses liées à l’argent.
Jamais rien ne dure, en une journée comme les autres en 1165, Mélisende s’occupait de ses affaires et Florence racollait à la Hanse, elle savait y trouver des plus grosses sommes même s’il y était plus risqué de s’y faire prendre en train de proposer ses services. La pluie qui menaçait le bout de son nez l’avait fait hésiter à rentrer mais Florence était une battante, elle renonçait difficilement, ironiquement c’était ce que Méli trouvait le plus beau chez elle, dommage que c’est ce qui la tua aussi. Quand les fangeux débarquèrent de l’intérieur de la ville… Florence fut l’une des premières victimes, noyée dans la masse.
Mélisende passa des jours à lutter contre l’évidence, échangeant faveur contre service pour retrouver la trace de Florence. Il est inutile de dire que le fait de la perdre brutalisa Mélisende comme jamais. Elle finit par s’en remettre bien sûr, par contre son cœur qui avait déjà du mal à s’ouvrir aux autres, se referma presque complètement, le fait de rencontrer son père pour la première fois cette année n’aida pas.
- La rencontre entre Méli et son père:
Contexte
La scène a été faite à part avec la participation de Margaux de Piana dans le rôle de Philibert de Piana. Elle se place deux jours après la disparition de Florence pendant l'attaque à la Hanse. Mélisende n'est pas encore au courant de la mort de celle-ci. Le chevalier de Piana, lui a rejoint la milice en tant que Sergent et réside désormais à Marbrume. Mélisende avait appris sa présence depuis un moment en ville mais n'avait pas eu besoin de le contacter jusqu'ici.
Mélisende :
Plus de sous pour payer la chambre, deux revenus c'était quand même mieux. J'avais fait les cents pas devant la taverne, je savais qu'il était là, à ne pas se douter de ma présence et de ce qui tourmentait mon esprit. On allait finir par croire que je faisais le tapin si ça continuait. J'avais besoin d'argent mais pas de ce genre là, et il y avait bien quelqu'un qui pouvait m'en donner. Enfin, je m'étais décidé à rentrer, la taverne était bondée, des miliciens en tout genre, parmi eux se cachait mon père. Lequel par contre ? Il fallait que je reste attentive à la mention de son nom, il valait mieux éviter de faire chanter le premier inconnu.
«-De Piana !» Une voix s'éleva plus forte que les autres pendant un instant, c'était pratique les cons de miliciens qui beuglaient à la première occasion de se faire bien voir d'un supérieur.
J'observais du coin de l'œil qui répondait à l'appel tout en récupérant une chopine, j'allais en avoir besoin. Le voilà donc, je m'attendais à autre chose je dois dire, j'avais eu le temps de l'imaginer en long et en large. Ce n'était pas la vision que je m'en faisais, loin du noble bedonnant au regard vicieux, il avait une prestance et surtout, il n'était pas si laid. Un pas après l'autre, j'avais tellement pensé à ce que je dirai en venant, mais là plus rien ne me venait.
J'étais derrière lui maintenant, et si on ne voulait pas me prendre pour la première abrutie venue, il était temps de dire quelque chose: «-D'Piana hein ? C'me dit quelque chose c'nom là.»
Margaux :
Les miliciens autour de leur sergent dévisagèrent la jeune fille, puis, enfin, le seigneur de Piana se retourna lentement pour la regarder de haut en bas.
- «Et on peut savoir qui tu es pour m'interpeller si familièrement ?»
Mélisende :
Le voilà, l'homme auquel je m'attendais. Il n'aimait pas la familiarité alors ? Ça devait lui hérisser les poils que je m'adresse à lui ainsi. Pourtant je pense que j'avais gagné quelques droits en sortant de ses bourses. En tout cas, il ne devait pas si bien se souvenir de ma mère, il avait dû s'en taper des femmes pour ne pas reconnaître que mon visage était proche du sien, ou alors il avait toujours plus regardé le reste, et dans ce cas là, je ne peux pas lui en vouloir. J'avais du le toisé avec un peu trop de mépris sans le vouloir vu la tête de tout le monde, je repris donc avec un sourire.
«-S'cusez moi mon bon monsieur, j'voulais pas vous froisser. C'est que y a une certaine Anne qui m'a dit qu'vous pourriez m'aider.»
Margaux :
L’homme rétrécit légèrement les yeux, puis se redressa, de toute sa stature imposante, avant de s’adresser à ses hommes.
- « C’est ma tournée ! Amusez-vous bien, j’ai une affaire en cours. On se retrouve demain, restez donc gaillards ! »
Il fit un signe aux plaisanteries grivoises des miliciens, avant d’entraîner la jeune fille dans une alcôve de la taverne qui semblait faire office de chambre de passe, après avoir jeté des piécettes à la tenancière.
Il hausse un sourcil, passant sa main dans ses cheveux bruns et gris, qui commencent à se dégarnir lentement.
- « Mélisende, je présume. Que fais-tu ici à une heure pareille ?! »
Mélisende :
J'avais reculé d'un pas naturellement, je n'avais très clairement pas hérité de sa carrure. Il faisait le grand homme à emmener sa fille dans une chambre de passe, ils auraient moins rit les porcs à table s' ils avaient su.
«-C'bien présumé.» Je regardais autour de moi, voilà qui était gênant maintenant que j'y pensais mieux. Il me coupa dans ma réflexion avec une question à laquelle je ne m'attendais pas. Il se permettait donc vraiment de jouer les paternels ? Pauvre papounet, s'il savait dans quel genre d'endroit traînait sa fille d'habitude.
«-C'toi qui voit, la prochaine fois j'devrais peut-être débarquer à la caserne. J'pensais que ce serait peut être plus simple comme ça.» Les bras croisés, je me sentais plus tendue qu'à l'habitude, ça me faisait donc vraiment quelque chose de le rencontrer.
«-J'ai besoin d'argent. Au cas où tu s'rais pas au courant mon mari est un idiot. Mari pour lequel j'suis pas sûre d'avoir à te remercier du coup.» J'eus un soupir, il remontait à bien loin ce mariage.
Margaux :
Il la considéra d’un œil sévère. Non pas tendre, mais pas hostile non plus, comme deux étrangers qui seraient obligés de s’adresser la parole. Puis il éructa un soupir sonore, s’assit sur une chaise, en se passant la main sur sa tempe.
- « Les maris sont souvent idiots, mais il devrait te faire vivre avec son commerce. Enfin, c’est moins facile par les temps qui courent, j’imagine. Je t’aurais trouvé une place de servante, mais mon épouse ne trouve pas cela convenable. Quand ta sœur aura douze ou treize ans, tu pourrais devenir sa dame de compagnie. Cela te ferait un métier honorable. En attendant… je veux que tu me racontes ce qui se passe. Je saurais si tu mens. »
Mélisende :
On parlait donc, rien d'anormal, ça je savais faire. Alors qu'il prenait place sur une chaise, je me posais contre le mur. Il voulait me faire mourir le bougre ou quoi ? Moi ? La dame de compagnie de ma petite demi-sœur ? Il devait avoir déjà trop bu le père De Piana, je ne pu m'empêcher d'écarquiller les yeux à la proposition. Je ne pouvais pas m'empêcher de me dire que le gars s'imaginait déjà ses deux filles en train de se faire des nattes. J'allais éviter une quelconque réflexion, j'étais pas venu pour ça. Il voulait mon histoire, il allait l'avoir, j'avais hâte de voir sa tête, lui qui me prenait pour une menteuse visiblement.
«-Ravie de voir qu'on a l'fruit de ses entrailles en haute estime... M'enfin. J'suis sûre que tu pourras facilement l'vérifier par toi même si t'y tient. Jean s'est fait choppé y a un p'tit temps d'ça... Il refourguait d'la marchandise volée. L'doit être sortit d'puis un temps maintenant... J't'avoue que j'tiens pas vraiment à l'croiser.»
Je resserrais un peu plus mes bras autour de moi, la dernière fois qu'on s'était vu il m'avait filé une vraie raclée. Je savais bien qu'il me cherchait pour me faire payer de ses erreurs. Je n'allais certainement pas lui raconter ça à lui, j'avais mes limites, et il était hors de question de passer à ce point pour une petite fille vulnérable devant lui.
«-Pour t'la faire courte... L'échoppe y en a plus. J'bosse. J'suis pas pute j'te rassure. Mais... La fille avec qui je partageais ma chambre a disparue. 'fin. S'tu veux pas qu'j'dorme dans la rue voilà.» J'avais réussi à éviter que ma voix ne tremble en pensant à Florence, il ne valait mieux pas qu'il ne pose trop de questions là-dessus.
Margaux :
L’homme plissa ses lèvres, tandis qu’il fixait sa fille avec des yeux emplis d’une colère soudaine. Il se redressa, lui tourna le dos, dans le but clair de se calmer.
- « J’ai commis plusieurs erreurs dans ma vie, Mélisende. Évidemment, me rapprocher de ta mère en était une, et ne pas pouvoir m’occuper de ton éducation en a été une autre. Cependant, je ne peux pas revenir sur le passé. Néanmoins, ton mari ne t’approchera plus, et ce n’est pas un problème dont tu devras te soucier dorénavant. Tu auras de quoi payer ta chambre, mais je veux savoir qui est cette femme et quelle est sa profession. Ainsi que la tienne. Ensuite, nous aviserons pour te retrouver un époux digne de ce nom. »
Bien que son parler fut un peu sec, presque aride, il semblait cependant sincère et honnête dans ses propos, le dos droit et l’intonation sûre.
Mélisende :
S'il voulait s'occuper de Jean, grand bien lui fasse. Ses regrets à haute voix me faisait un petit quelque chose que je repoussais bien vite. J'expirais un petit soupir de soulagement à l'idée de ne pas me faire expulser, cette rencontre bancale n'avait pas servit à rien. La sensation disparut bien vite quand il se mit à m'interroger sur ma colocataire, c'était impossible qu'il puisse un seul instant se douter de la nature de notre relation, je l'espérais en tout cas.
«-Ce n'est pas... C'est une amie. J'pense pas que t'ai besoin d'en savoir plus.»
Je pinçais mes lèvres, c'était évident qu'un homme comme lui allait exiger plus de réponses, il se sentait dans son droit d'explorer la vingtaine d'années qu'il avait loupé comme il le voulait. De quoi me rendre malade, il fallait que je serre les dents, l'argent n'était plus très loin.
«-J'travail avec une connaissance du marché. J'l'aide à tenir boutique. Viviane qu'elle s'appelle s'tu m'crois pas. J'fais pas l'tapin encore une fois.» Merde. J'allais lui en devoir une à la vieille Viviane. A peine je me débarrassais de mon mari qu'il voulait m'en refourguer un. «Ouais... On avisera.»
Margaux :
- « Si elle partage une chambre avec toi, elle doit être de bonne réputation. Que fait-elle comme métier ? Elle n’est pas mariée ? »
Mélisende :
«-Non. Elle est pas mariée. Non. ... Une pute. C't'une pute.» Dis-je en massant de mon doigt entre mes deux sourcils pour les défroncer. Je relevais la tête en suite pour voir sa réaction, il n'allait pas aimer c'était certain.
Margaux :
Il se retourna soudain, détachant une petite bourse qu’il avait aux côtés, ainsi qu’une bague en or à son pouce, les logeant tous deux de force dans la paume de sa fille.
- « Tu es pareille que ta mère, à ce que je vois. Garde l’argent et fais ce que tu veux de la bague. Ceci dit, je te confie une mission. Il peut m’arriver n’importe quoi, alors tu devras garder un œil sur tes frères et sœurs, mais si tu t’avises de les approcher avec ton amie, il n’y aura plus d’argent. Jamais. Prête serment et tu pourras t’en aller. »
Mélisende :
Il y avait eu une certaine violence dans sa manière de faire, donc juste fréquenter une pute ça suffisait à ses yeux pour être indigne ? Je n'arrivais pas à détacher mes yeux de lui, sous le choc, pareille que ma mère ? Je devais veiller sur des mômes que je n'avais jamais vu ? Bordel. Il débitait en conneries le père De Piana. Il ne fallait pas que je tremble pas maintenant.
«-Alors, c'comme ça hein ?»
Je refermais doucement ma main sur le paiement, c'était juste une autre affaire, un autre paiement pour service. J'avais donc espéré que ce serait différent ? Faut croire, qu'est ce que j'étais sotte.
«-T'en fais pas. J'partage peut être ma chambre avec une fille de joie, mais j'sais tenir mes promesses. J'm'en occuperai de tes vrais gosses. Mais a ta place j'éviterai d'crever, par c'que ça m'ferait vachement chier.»
Il valait mieux que je parte maintenant, en espérant qu'il en ai fini avec moi. Je devais retrouver Florence, et honnêtement, je crois que j'étais à deux doigts de me mettre à chialer.
Margaux :
L’homme serra ses lèvres, dardant des yeux pensifs sur sa fille, qu’il voyait fluette et mal nourrie.
- « Mélisende. Tu es aussi ma vraie fille. Si tu as besoin d’aide, viens à la maison. Tu ne pourras évidemment pas te présenter comme mon enfant, mais nous prendrons soin de toi. J’ai la charge de chaque réfugié de Piana, et tu pourrais être l’une d’entre eux. Cela sauverait les apparences. Je sais que tu as souffert, et que tu souffriras encore de ce fardeau que nous t’avons légué. Mais … j’aurais une excuse pour prendre soin de toi. »
Il relâcha tout à fait la bourse et la bague dans la paume de la jeune fille, et prit la direction de la porte, d’un pas nerveux de militaire peu habitué aux émotions.
Mélisende :
Non. Non. Non. Pas ça. Tout sauf ça. Je ne pouvais pas supporter ses yeux emplis de pitié, il m'était impossible de le regarder. Qu'il parte, je ne savais pas combien de temps encore j'allais pouvoir garder la face. Ma vie c'était ici, ce que j'avais construit aussi, quel égoïste de croire que j'allais tout plaquer pour suivre son idée stupide de fille rangée. La vie n'était pas facile, mais j'étais heureuse et libre. Même pas un dernier regard pour lui, un dernier mot. Si j'avais su que c'était la première et dernière fois que je voyais mon père... Non. Certainement n'y aurait-il rien eu de plus à ajouter.
Mélisende trouva dans ses nouveaux péchés, un penchant pour les prostituées, là où certaines femmes n’auraient jamais osé demander ce genre de services, elle savait où et à qui proposer.
Un couronnement avantageux
Alors que les puissants mettaient en œuvre leurs jeux de pouvoirs, Mélisende, elle, était entrée dans un quotidien sans Florence. Une vie balancée entre ses affaires, et ses loisirs.
En ce jour sombre du couronnement, elle était encore au lit alors que la journée était bien avancée.
Le chaos s'était propagé à l’intérieur des murs de Marbrume avec violence, de longues heures elle était restée tapie dans un coin de la pièce. Les hurlements et les grands fracas de dehors l'avaient secoué sans pitié, la foule s’était précipitée à l’intérieur des bâtiments pour se barricader.
Elle avait attendu deux jours avant de se décider à ressortir, se nourrissant du peu de pain qu’elle avait chez elle.
Marbrume avait encore changé de visage après cette attaque, la bonne nouvelle c’est que malgré le couvre feu, les affaires n’avaient jamais été aussi bonnes. Partout des gens en recherchaient d’autres, et partout les malfrats souhaitaient profiter du désordre pour trouver les endroits à piller ou voler. Autrement dit, c'était le moment rêvé pour faire fleurir son commerce.
C’est en enquêtant sur une disparition qu’elle apprit pour son père, celui-ci était mort dans l’incendie de sa maison le lendemain du couronnement. La curiosité la poussa plus loin, il lui fallut quelques jours à peine pour apprendre que l'on n'avait pas retrouvé le corps des enfants. Ce satané serment lui était revenu en pleine poire. La voilà maintenant obligée de continuer son enquête.
Deux mois après, elle avait retrouvé la trace de la fillette.
- La rencontre de Mélisende et Margaux:
Contexte
Cette petite scène a été encore une fois faite à part avec la participation de Margaux de Piana dans son propre rôle cette fois-ci. Mélisende à retrouvé la trace de sa demie-soeur après avoir appris pour la mort de son père, Margaux s'est faite enlevée par un gang, les Rabatteurs, pour qui elle se retrouve obligée de travailler.
Margaux :
Comme à l'ordinaire dans la Taverne du Cochon qui Pète, une gargote sordide des bas-fonds du Goulot, l'atmosphère était à la fête. Fumée, vapeur d'alcool et odeurs de pets se mêlaient dans un joyeux désordre au milieu des femmes à moitié dénudées qui embrassaient des hommes ivres en haillons, dûment surveillées par les membres du gang tous disséminés dans la salle, et occupés à dépouiller aux cartes quelques individus trop souls pour comprendre qu'ils se faisaient entuber. Seul le chef manquait à l'appel, manifestement en réunion dans l'arrière salle, tandis qu'une petite fille aux cheveux roux et sales, vêtue d'une robe trop petite pour elle, servait maladroitement qui voulait d'une cruche de mauvaise bière.
Mélisende :
Ce que ce rendez-vous m'avait gonflé, il n'était pas le meilleur payeur, j'aurais pu vendre ces informations à un autre gang qui je sais m'en aurais donné plus, mais je n'étais pas là pour ça. Je cherchais quelqu'un, et elle travaillait pour cette bande ci. Comme d'habitude quand je fais bien mon travail, les gens ont tendance à m'offrir un verre. J'allais pas refuser, j'avais vu taverne plus miteuse, ou peut être pas, c'était pas la question. C'était de quoi traîner un peu plus ici, le temps de chercher ma demi-sœur. Pas difficile de la repérer, y a pas beaucoup de gamine à traîner dans un endroit pareil au milieu de femmes nues, ça nous faisait un point commun. Je prenais une place, un peu à l'écart et lui fit signe pour qu'elle vienne me servir. Je profitais de son approche pour remarquer la jambe qu'elle se trainait difficilement, ce qui me fit hausser un sourcil.
«-Et beh... C'pas courant de voir une gamine traîner dans c'genre d'endroit. C'quoi ton p'tit nom ?»
Margaux :
Au signe de la main, l'enfant de huit ou neuf ans s'approcha laborieusement, lui décochant un vague sourire de circonstance, avant de lui servir à boire avec précaution. Elle se frotta les yeux, serrant ses lèvres dans une moue commune à son père, leva ses yeux clairs sur son interlocutrice.
- «Je suis Margaux. Je travaille ici, c'est pour ça. Et toi ? Qu'est-ce que tu fais là ? Il n'y a pas beaucoup de femmes, en dehors des putes.»
Dans ses yeux, aucune répugnance ne se lisait, seulement de la fatigue et de la curiosité. Elle tritura doucement l'anse de sa cruche, jetant un coup d'oeil rapide derrière elle.
Mélisende :
Margaux. Plus aucun doutes, c'était bien elle. Sa façon de dire "Pute" aussi soudainement me fit rire. Si son père pouvait voir ça. Je tapais doucement la place à côté de moi pour l'y inviter, cette rencontre serait peut être plus sympathique que je l'avais imaginé.
«-J'suis là pour le boulot mais pas pour m'acoquiner effectivement. Pose tes miches. Si y en a un qui a un truc à dire... J'en fais mon affaire.»
Je récupérais la cruche de ses mains, la bière était peut être de la pisse mais pas besoin de la gâcher. Je terminai de m'en servir un bon gobelet à sa place.
«-T'as quoi au genou gamine ?» C'était pas de l'inquiétude voyons, juste de la curiosité.
Margaux :
Elle esquissa une ombre de sourire à l'invitation, tourna la tête dans la direction des hommes du gang, où un bref hochement de tête sembla l'encourager à prendre place à côté de la jeune femme rousse, auprès de qui elle sembla se détendre un peu. L'enfant détailla sa demi-soeur attentivement.
- «Tu travailles pour le gang, toi aussi ? Ils viennent de t'embaucher, c'est ça ? Peut-être qu'on travaillera ensemble. Je fais plein de choses ici. Qu'est-ce que tu sais faire ?»
Elle ne semble pas parler d'une voix très assurée, un peu tremblante, tandis qu'elle triture ses manches nerveusement.
Mélisende :
Je fis un signe en retour aux hommes qui surveillaient la petite, ils allaient nous laisser le temps de parler. Ça passerait juste pour une des mes nouvelles lubies. La voilà qui devenait bien bavarde, un moyen sûrement d'alléger son stress. Je voyais ses petits doigts s'agiter sur son vêtement trop petit. Vraiment les hommes, ils pouvaient pas faire un effort pour l'habiller ?
«-Nah... Enfin pas vraiment. J'suis plutôt indépendante. J'travail pour ceux qui payent de ci de là. La causette... Disons que c'est ça mon talent.» Ses cheveux, c'étaient une pagaille, en même temps les gaillards d'ici n'étaient pas trop du genre à jouer à la poupée. «-T'pas pris d'bain d'puis combien de temps p'tite ?» Je lui fit glisser la bière sous le nez. Ça pouvait pas lui faire de mal. «-T'en veux ?»
Margaux :
L'enfant hocha la tête rapidement, saisissant le verre de bière pour en boire une gorgée rapidement. Bien qu'elle ne put s'empêcher de grimacer, cela sembla lui faire du bien, et elle arrêta de triturer la manche de sa maigre vêture.
- «Depuis que je travaille ici. C'est pour les filles qui travaillent ou les clients, parce qu'il faut pas gâcher de l'eau. Je ne savais pas qu'on pouvait gagner sa vie en parlant. Tu dois bien connaitre le quartier alors. ...Mais... je ne suis pas petite. J'ai eu neuf ans !»
Elle reprit une gorgée de bière, ses joues pâles rosissant tout à coup, tout en continuant de la dévisager avec curiosité, étonnamment droite sur sa chaise et seuls ses poignets convenablement déposés sur la table, comme à la table d'un noble.
- «Comment t'appelles-tu ?»
Mélisende :
Elle avait une sacrée descente la petite, de gorgée en gorgée elle vidait bien la chopine. Ça contrastait avec sa posture, on reconnaissait bien là, l'élégance des nobles. Je ne pu m'empêcher de lui ébouriffer les cheveux pour lui faire perdre de sa prestance. Sale gosse.
«-J'vois. F'drait voir à négocier ça si tu veux pas t'mettre à fouetter comme les crasseux d'ici.» Je m'installais un peu plus sur la chaise, un bras en arrière pour prendre mes aises. «Si t'es pas bête tu peux. Donc ouais... J'connais bien.» Je repris la bière du bout des doigts avant qu'elle me la finisse. «Ah ! Neuf ans hein ? Et beh... Un vrai bout de femme alors...»
C'était un sourire tendre qui se dessinait sur mon visage ? Qu'est ce qui me prenait avec cette gamine ? J'avais rapidement effacé cette expression pour reprendre mon naturel désintéressé.
«-Mélisende, mes amis m'appellent Méli.»
Margaux :
- «Je ne suis pas bête. Mais c'est... un peu compliqué. Tu as toujours habité au Goulot ? Moi aussi. J'y ai toujours habité. C'est pour ça que mes... mes parents m'ont mis en apprentissage ici.»
Elle lui offrit un sourire peu assuré, essaya de s'installer comme son interlocutrice, en l'imitant, sous le regard narquois d'un membre du gang qui s'approchait, reniflant bruyamment en déposant ses coudes sur la table.
-«Alors, on s'amuse bien ?»
Mélisende :
Oh la petite menteuse, c'était donc ça ce qu'on lui faisait raconter. J'eu un petit sourire en coin qui ne trahissait pas grand chose à part mon amusement, qui grandit en la voyant m'imiter. Il disparu aussi vite quand un balourd vint nous interrompre grossièrement, il pouvait pas aller se faire voir celui-là ? C'était pas ce qui manquait autour de nous pourtant.
«-Ouais. L'est marrante la p'tite. J'vais vous la rendre, t'inquiètes pas. J'voulais voir si ça valait l'coup d'vous la louer.» Dis-je en haussant les épaules. Allez, dégage maintenant enfoiré, pensais-je tout en forçant un grand sourire amical.
Margaux :
L'homme dessina un sourire édenté, jouant familièrement avec une mèche rousse de l'enfant, caressa sans douceur sa joue, planta son regard dans celui de la jeune femme.
- «Ouais, c'une bonne idée, qu'ça. Tu m'en donnes vingt pièces de cuivre de la demi-journée, et elle fera tout s'que tu voudras. N'est-ce pas ?» Margaux hocha vivement la tête, alors que le brigand se mettait à rire.
- «Parfait ! Bon, on est pas loin. Mais la retient pas trop dans son boulot, ou tu d'vras payer son boulot aussi ici, compris ?»
Mélisende :
Il eut fallut que je ravale mon dégoût fasse à sa grosse main écœurante qui caressait sans honte la joue de Margaux. Ce n'était qu'une question de temps avant que la gamine se fasse pousser des formes et qu'elle devienne intéressante pour autre chose.
«-Vingt pièces ? Bordel... Vous récurez les pots de chambre 'vec des brosses en or ou quoi ?» Je ris en taisant la moquerie, faisant passer le commentaire pour une sympathique boutade.
«-Nan... T'en fait pas j'te dis. J'du boulot aussi. J'vais faire mes aurevoirs et me tailler.» J'attendis qu'il nous laisse à nouveau tranquille, sans changer de pose, ma voix se fit plus basse pour laisser place aux confidences. «L'laisse pas trop te toucher comme ça. Les hommes c'est des porcs.» Je crachais l'insulte entre mes dents. «Ecoute. Si un jour ils... ils... 'fin, tu comprendras. Tu demandes Méli à n'importe quel marché. Ce s'ra galère mais j'trouverai un truc.»
Je ne peux pas nier que l'idée que l'enfant subisse ce genre de sévices me prenait à la gorge, quoi qu'il en soit ce n'était pas tant de la sympathie pour elle qu'un simple respect envers le serment que j'avais fait à notre père.
Je me levais de la table et pris à nouveau le pichet pour me resservir un godet avec aisance.
«-T'vois. La main comme ça pour soutenir. T'en renversera moins. Allez. P't'être à la prochaine Margaux si les Trois le veulent.»
Je bu la contenance du verre d'une traite avant de laisser une pièce sur la table pour payer le verre qui n'avait pas été offert. Une petite tape sur son épaule et je me cassais d'ici avant que l'envie d'arracher une autre dent au gars déjà bien édenté me prenne.
Margaux :
Margaux la regarda partir, sans pouvoir la quitter des yeux, tandis que la sympathique inconnue disparaissait. Mélisende. Un nom qu'elle tâcherait de ne pas oublier, qu'elle n'avait pas envie d'oublier. Malgré ses manières, elle aimait bien cette femme aux cheveux aussi roux qu'elle et au regard coriace, et se promit d'offrir un verre de bière à la jeune femme, lorsqu'elle reviendrait. En tout cas, elle l'espérait bien…
La rencontre avec sa demi-soeur la marqua profondément. Sachant pertinemment qu’elle ne pouvait rien pour elle pour le moment, Mélisende décida de garder un œil sur elle au loin
Il y avait encore beaucoup à construire, son commerce de rumeurs n’en était qu’à ses balbutiements. Une seule chose était claire dans la tête de Mélisende, que ce soit pour assurer son avenir, tenir sa promesse ou satisfaire sa curiosité, elle allait devoir travailler d’arrache pied et continuer à tisser sa toile de services et d’informations.