[Event] A une botte prêt ! [PV Alaïs]

Les paroles de Loghart résonnèrent dans son esprit alors qu’elle essayait toujours de remettre de l’ordre dans ses idées. Puis elle rougit furieusement, ramenant de la couleur sur son visage blême. Alaïs décida toutefois de prendre la remarque comme un compliment et de ne pas se vexer plus avant, bien qu’une petite moue dubitative marqua un instant ses traits.

Mais alors qu’ils s’avançaient de concert sur le sentier les ramenant à Usson, un détail la frappa. Elle hésita un instant entre plus de gêne ou de l’amusement. Car l’eau qui s’était infiltrée dans leurs bottes pendant leur petite baignade faisait maintenant effet de succion à chaque pas et produisait un produit absolument ridicule.

Couic - Couic - Couic

Alors, quand il lui promit de garder ça pour eux, elle lui sourit, choisissant de laisser la honte de côté pour l’instant et de réagir à sa réflexion sur le plastron avec plus de grâce.

« J’ai bien peur que les apparences ne soient trompeuses, je suis absolument inutile pour ce genre de choses. », expliqua-t-elle, faisant référence à son absence totale d’aptitudes guerrières. Non, vraiment… Même si elle avait voulu lui faire mal en le frappant à l’épaule plus tôt, elle ne serait probablement arrivée à rien. Et…

Couic - Couic - Couic

La porte de la taverne se dessina enfin et l’artisane s’y engouffra sans un regard aux alentours. Deux jours plus tôt, elle était entrée avec un Léon couvert de sang qu’il avait fallu débarrassé de sa chemise… Et elle était maintenant trempée et accompagnée d’un autre homme tout aussi trempé. Parfait.
Elle évita donc le tavernier comme la peste et se précipita vers les escaliers, emmenant directement le milicien à l’étage.

La petite chambre n’avait rien de fameux. Deux couchettes à même le sol, chacune d’un côté de la pièce, un baquet d’eau dans un coin que Paulin allait remplir chaque matin, leurs paquetages, toujours bien rangés comme s’ils étaient prêts à repartir et disposés aux pieds de leurs lits respectifs, et une petite fenêtre, au volet entrouvert, face à la porte.

Alaïs entra donc en premier et fit signe à Loghart de la suivre dans la pièce. Elle saisit l’une des serviettes, plus un chiffon vraiment, qui séchait près du baquet, et la lança au jeune homme, puis elle attrapa l’autre et entreprit de se sécher les cheveux d’une main distraite pendant que, de l’autre, elle fouillait le paquetage de Paulin. Elle y cherchait le strict minimum pour permettre au milicien d’avoir l’air présentable: la tunique de lin et le pantalon de rechange de Paulin, qu’elle déposa sur la couchette.

« Ce sera probablement un peu grand, mais ce sera toujours ça. Je vais sortir pour vous laisser vous changer, mais avant… »
Elle s’approcha de la fenêtre, ouvrit le volet en grand et retira ses bottes qui faisaient toujours un bruit épouvantable.
« Donnez-moi vos bottes. », ajouta—t-elle, en jetant un coup d’oeil en bas de la fenêtre avant de retourner sa chaussure au dehors, vidant le trop plein d’eau qui la faisait couiner.

Elle reproduit ensuite la manoeuvre avec la deuxième chaussure, sauf qu’elle oublia de vérifier que la voie était libre.
« Hé! Mais qu’est-ce que…! »
Alaïs, contrite, adressa une petite grimace à Loghart avant de repasser sa tête par la fenêtre, la voix lui disant bien quelque chose.
« ‘Laïs?! »
L’artisane rentra vivement à l’intérieur, l’air à la fois amusé, mais aussi un peu alarmé.
« Oups… »
Elle pouvait déjà s’imaginer Paulin - parce que oui, c’était bien lui - rentrer dans l’auberge comme une furie.
« Mh… Ne vous inquiétez pas, surtout… Il a peut-être l’air un peu inquiétant mais en réalité, il est adorable… », fit-elle au milicien, comme une excuse en avance.
La porte s’ouvrit alors, un peu brusquement, et Paulin entra dans la pièce, l’air à la fois énervé et surpris. Plus grand et plus large que Loghart, le cheveux blond cendré et l’oeil noisette, il paraissait généralement impressionnant sans pour autant être menaçant.

« Je peux savoir ce que tu fais?! », gronda-t-il, de l’eau dégoulinant sur le côté de son visage et l’une de ses mains la désignant de haut en bas comme pour souligner son propos.

A la bonne heure !
Un peu de couleur sur ce joli minois !
Je ne savais pas trop, cependant, si c’était du soulagement ou une conséquence de mes paroles sur le fait que le plastron lui allait bien… Ou alors était-ce parce que j’avais dis, ou plutôt sous-entendu, qu’elle était agréable à l’oeil ?
Peu importait au final, ce qui comptait c’était bien que les couleurs revenaient en même temps qu’une fine grimace qui était aussi imprécise qu’indéchiffrable.

Sclop - Sclop - Sclop

C’est finalement sa réponse qui me fit définitivement comprendre que l’humeur revenait. Alors, je gloussais naturellement à son explication.

Trompeuse, peut-être, mais moi, je la trouve sympathique cette apparence.

Nous nous engoufrâmes alors dans l’auberge où je dissuadais le tenancier d’un quelconque commentaire. La pauvre ne tenait vraiment pas à trainer dans les parages et elle filait directement dans l’escalier où je la suivais.

Sclop - Sclop - Sclop

Bon sang ! Les bottes ! Elles sont pleines de flotte, évidemment !
J’en étais à me maudire, me disant que j’aurais pu penser à suggérer de les vider avant, mais il était, de fait, trop tard. Aussi, vaille que vaille, je me précipitais derrière la jeune femme qui s’échappait dans sa chambre, dont elle referma la porte après mon entrée.
Nous étions dans une petite chambre d’auberge on ne peu plus classique. Deux paillasses, un baquet et quelques effets personnels proprements rangés. Etait-elle sur le départ ?
Je l’observais fouiller dans un sac pour en sortir une tenue simple mais sèche, précisant que cela risquait d’être grand et qu’elle irait se changer dans le couloir.
Je fronçais les sourcils.

Ah non ! Je ne vais pas vous virer de votre chambre pour mon petit confort personnel ! Alaïs, c’est moi qui nous ai mis dans cet état, c’est moi qui vait sortir !

Une question me taraudait tandis qu’elle vidait sa botte par la fenêtre après s’être assurée qu’il n’y avait personne dessous.
Qui était ce Paulin ? Il partageait sa chambre, était-ce sont…époux ? Ce serait étrange en ce cas qu’elle ai accepté mon invitation…
Je prenais les affaires avant de m’aventurer délicatement, du moins je l’éspérais.

Ce sont les affaires de Paulin donc ? C’est votre… Compagnon ? Demandais-je, en insistant un peu trop sur le dernier mot à mon goût.

Visiblement, je l’avais distraite car, avant de me répondre, elle vida la seconde botte sans vérifier en bas. Une exclamation de protestation s’éleva de la rue et Alaïs eu le réflexe de se cacher dans la chambre, passablement hilare mais également un brin affolée.
Je faisais de mon mieux pour ne pas éclater de rire.

A cause de nous, c’est tout Usson qui va finir trempé à ce rythme !

Aussitôt, les explications qu’elle me donna me permirent de comprendre qu’elle venait d’arroser Paulin avec du jus de bottes. Je dû redoubler d’efforts pour ne pas hurler de rire, agitant la main pour lui dire de ne pas s’inquiéter.
Finalement, la porte s’ouvrie avec fracas, dévoilant un homme blond aux yeux d’un marron très clair. L’artisane n’avait pas mentie, il était plus grand et plus massif que moi, ce qui ne m’effrayais guère…Ni ne m’impressionnait d’ailleurs. J’ai grandis avec un certain Kaël et un Ivaad…
Je servais alors à ce cher Paulin, un grand sourire un peu confus, devançant ma camarade dans les explications.

Bonjour et, désolé pour…Ca ! Dis-je en le désignant des mains. Je me suis vautré dans le ruisseau et votre compagne m’a aidé à me sortir de là…Elle voulait me prêter quelques habits à vous le temps que je sèche les miens, rien de plus ! Je peux comprendre si cela vous ennui et en ce cas, je m’en vais !

Mon hilarité avait rapidement disparue, faisant place au rare mais néanmoins réel sérieux. Il arrivait que je fasse peur en étant sérieux, c’est dire le niveau de rareté !
Cela dit, je ne voulais clairement pas semer le trouble dans ce qui semblait être un couple. Alaïs était bien trop sympathique et agréable pour que je foute le bordel dans sa vie !
Il me fallait bien avouer que j’étais un peu déçu que la jeune femme soit prise. Pour une fois que j’en rencontrais une qui était à la fois amusante, simple, agréable et prête à me suivre dans quelques enfantillages.
Bah !
Je servais toujours un sourire confus au gaillard. Lui et la jeune femme demeuraient silencieux tandis que mon regard allait de l’un à l’autre. Je haussais les épaules.

Ben quoi ? J’ai dis une bêtise ?

Je ne comprennais pas tout visiblement…

L’enchaînement des événements ne lui avait pas laissé le temps de répondre à sa question et elle se trouvait maintenant face à un Paulin contrarié qui se détourna vers Loghart dès que celui prit la parole, ses sourcils broussailleux se haussant dangereusement.

Un silence confus s’installa pendant que les deux potiers essayaient de déchiffrer les paroles du milicien. Puis, ne pouvant plus se retenir, Alaïs éclata de rire. Mais pas juste un rire, non… Un fou-rire. Pliée en deux et s’appuyant sur ses genoux, elle se bidonnait de bon coeur, des larmes lui montant rapidement aux yeux.
Paulin avait quant à lui croisé ses bras sur sa poitrine, un air faussement vexé sur le visage. Il était évident qu’il retenait difficilement son hilarité.

« Il a cru… Ahahahah!…. Il a cru que toi et moi… Ahahahaha! », réussit-elle à prononcer, une main faisant des allers-retours entre Loghart, Paulin et elle.
« Oui, bon, ça va… C’est si difficile à croire!? »
« Aahahahahah! »

Paulin se détourna d’elle pour reporter son attention sur le milicien.
« On travaille ensemble. Enfin, on travaillait ensemble. Mon patron - son ancien patron - et elle sont maintenant associés. », expliqua-t-il enfin à Loghart, l’une de ses énormes mains lui faisant signe de ne pas faire attention à Alaïs qui essayait toujours de reprendre son souffle.
« Et ne vous inquiétez pas pour les vêtements, tant qu’ils s’appellent ‘retour’ », ajouta-t-il de bonne grâce, en attrapant à son tour un chiffon pour se sécher.
« Je vais vous laisser vous changer, du coup. »

Se détournant vers l’artisane qui avait enfin réussi à se calmer, il reprit:
« Ça va, t’es remise? »

Elle acquiesça, la moue encore pincée, comme si elle venait de manger quelque chose de sûr.

« L’un des artisans-commerçants m’a proposé d’aller boire quelques coups de gnôle chez lui ce soir, je venais juste te prévenir. C’est une bonne occasion… Mais je ne sais pas quand je serai de retour. »
« Ne t’inquiète pas, Loghart et moi allons nous débrouiller. Tu me raconteras demain! »

Paulin salua le milicien, le soupesant un bref instant du regard et avec quelque chose qui ressemblait quand même vachement à un avertissement au fond des yeux, puis il partit sur un dernier:
« Fais quand même gaffe à la bière, ce soir. »
Alaïs grimaça à la porte qui s’était refermée dans son dos. Oui, elle allait faire attention. Elle n’avait pas l’intention de terminer dans le même état que deux jours plus tôt.

Elle revint enfin au milicien du coin de l’oeil, tandis qu’elle sortait ses propres affaires sèches de son paquetage. C’était la seule chemise et le seul pantalon qui lui restaient. Et tout au fond du sac se trouvait son unique robe, qu’elle avait emportée au cas où. Elle déposa le tout sur le lit, hésitant encore.

« Désolée. », fit-elle enfin, souriant toujours un peu bêtement des suites de son fou-rire. En réalité, il n’y avait aucun malaise avec Paulin. C’était bien pour cela que c’était lui qui l’avait accompagnée et que c’était Vivien qui gardait son atelier en son absence. « Paulin est vraiment un type décent, je vous assure que je n’aurais pas partagé une chambre avec lui, sinon. Mais on risque d’être là pour un moment et ça permet de partager les coûts. »

Pourquoi se sentait-elle le besoin de se justifier?

Le silence dû s’étirer sur au moins vingt minutes !
En tous cas, c’est l’impression que j’avais.
Il fut brisé par la jeune femme qui se mis à s’étouffer de rire, devant se pencher en avant pour soulager ses abdos, son hilarité débordante résonnait contre les murs de la petite chambre.
Ainsi, il était évident que j’avais mal compris ou mal interprété quelque chose. Alaïs n’étant pas en état de m’apporter une quelconque réponse, je me tournais vers Paulin, dont la posture semblait faite pour contenir sa propre pulsion amusée.
Je lui adressais donc un air interrogateur, même si la crainte que j’avais eu plus tôt commençais inexorablement à s’apaiser.

Le grand gaillard allait ouvrir la bouche mais l’artisane lui coupa la chique, cherchant à dire quelque chose que le bonhomme coupa net.
Alors la lumière se fit sur ce complexe état de fait. Ils étaient donc collègues et non pas amants ou époux, ce qui me soulageait. Je dû d’ailleurs me méfier pour ne pas paraitre trop satisfait d’apprendre cela.

Oh ! Deux potier ? On a du bol !
…Loghart bordel !

Je jetais un oeil à la blonde qui peinait à respirer, ravi de revoir ce minois hilare. Ramenant mon attention sur son collègue, ce dernier assurait me prêter ses habits du moment que je les lui ramenais, ce que je m’engageais bien évidemment à faire.

Et je vous les rendrais propres, évidemment !

Précisais-je tandis qu’il s'essuyait. Alaïs calmée, relativement, il poursuivi en indiquant qu’il serait absent une bonne partie de la soirée, allant boire quelques verres chez un artisan. Il venait d’ailleurs ici pour prévenir sa colocataire avant de se faire arroser. Je ne sus pas trop de quoi la jeune femme voulu parler en arguant que l’on arriverait à se débrouiller. J’échangeais alors une salutation avec Paulin, celui-ci me lançant un regard équivoque.
Je n’avais pas intérêt à ce qu’il arrive une bricole à sa collègue.
Je lui confirmais ma bienveillance par un retour de pupilles avant qu’il ne sorte, non sans une dernière recommandation à l’adresse de la potière.

Un léger flottement passa, ramenant le calme après ce remu ménage. Je me tournais alors vers celle qui m’hébergeait temporairement et qui arborait un sourire encore bien amusé. Elle s’excusa alors et je levais la main pour signaler que ce n’était rien.

Paulin me semble sympathique, un chic type ! Dis-je en brandissant ses vêtement d’un air victorieux !

Elle m’expliqua alors quel genre d’homme était ce grand garçon et pour quelle raison elle partageait sa chambre avec lui puisqu’ils n’étaient que de simples collègues. Je l’observais sortir de son sac une tenue de rechange puis une robe, la voyant visiblement hésiter.
Alors que je commençais à déboutonner ma tunique, je pris la parole à mon tour.

Vous n’avez aucunement besoin de vous justifier ! Moi même, j’ai crain…cru que vous étiez ensemble… Vous ayant invité, je préférais être certain. Je ne voulais pas créer un mal entendu qui aurait été pénible pour tout le monde. Surtout si vous aviez accepté pour être polie…

Avais-je plus besoin qu’elle de me justifier ? Je secouais alors la tête, pour me diriger vers la jeune femme, n’ayant défais que le premier bouton.

Attendez, je vais vous enlever ça ! Dis-je en pointant le plastron.

Couic - Sclop - Couic

Alors que je défaisais les attaches, je jetais machinalement un oeil aux vêtements de la jeune femme. La déléstant alors de l’armure de cuir, je me reculais pour la poser au sol, retirant mes bottes par la même occasion avant de me diriger vers la porte. Je lui lançais un sourire.

C’est une très jolie robe ! Pour les belles occasions j’imagine ! Je vous laisse vous changer ! Dis-je avant de refermer la porte.
Je me déshabillais alors rapidement, me retrouvant nu dans le couloir désert. Tout était trempé, jusqu’à mes sous-vêtements, ce qui est logique lorsque l’on fait un plongeon dans un ruisseau. J’enfilais rapidement la tenue de Paulin, faisant une boule de mes affaires avant d’attendre un peu devant la chambre.

Finalement, je toquais doucement à la porte.

Vous me dites quand je peux rentrer ? Soudainement ravi de la soirée qui se profilait. Alaïs rendait le temps passé avec elle doux comme du miel, c’était rafraichissant, plus même qu’une baignade forcée !

Paulin parti, Loghart avait commencé à déboutonner sa chemise et l’artisane… avait bloqué. Puis il s ‘était tourné vers elle et, l’esprit vide, elle l’avait regardé approcher, immobile. Elle n'avait semblé revenir à elle que lorsqu’il avait manifesté l’envie de la débarrasser du plastron. Tant mieux… Elle n’avait aucune idée de la façon de retirer ce machin.

« Merci… », fit-elle tout bas, avant qu’il ne commente la robe et sorte de la pièce.

Seule dans la petite pièce, Alaïs fit une moue d’hésitation. Puis elle prit la robe entre ses mains et l’amena à hauteur de ses yeux, considérant l’option.

Elle portait toujours des vêtements de travail: des chemises ou tuniques aux manches serrées et des pantalons, bien moins dangereux quand on s’activait autour de fours brûlants. Mais en Boétie, quand la vie était douce et que les commerces de leurs parents fonctionnaient très bien, elle avait pourtant pour habitude de se changer en soirée pour des tenues plus féminines. Elle avait bien emporté tout ce qu’elle pouvait lors de leur fuite mais, peu à peu, elle avait dû troquer chaque habit pour un bout de pain. Elle n’avait plus que des guenilles sur le dos quand Bauduin l’avait trouvée… Alors, dans cet environnement on ne peut plus masculin, elle avait décidé de garder ses vêtements de travail en permanence, pour plus de tranquillité.

L’achat de la robe était donc récent. La rencontre d’un autre milicien, dans d’autres circonstances, avait ravivé son instinct féminin qu’elle avait étouffé depuis la disparition de Ronan. ‘On ne sait jamais’, s’était-elle dit. Sauf qu’aucune belle occasion ne s’était présentée depuis lors et elle n’avait jamais porté la robe.

Allez, c’était décidé…

Se débarrassant de l’entièreté de ses vêtements trempés, la jeune femme se changea complètement, passant une fine chemise longue sous la robe de lin teinte en bleu. Elle étala ensuite ses vêtements mouillés sur le lit, pour leur permettre de sécher un peu plus rapidement, planquant juste les pièces plus intimes.

Elle venait tout juste de se saisir de son peigne quand Loghart toqua à la porte.

« Entrez! », répondit-elle immédiatement, estimant qu’elle était déjà bien plus présentable que dans sa chemise transparente.

« Vous pouvez mettre vos affaires à sécher sur le lit de Paulin, si vous voulez… », lui proposa-t-elle dès qu’il fut entré, flottant un peu dans la tenue de Paulin malgré sa carrure déjà bien bâtie.

Alaïs entreprit alors de remettre de l’ordre dans sa longue chevelure mouillée à l’aide du large peigne, ce qui n’était pas une mince affaire. Un nouveau lien de cuir posé sur le lit, le précédent probablement perdu au fond du ruisseau, elle s’apprêtait à recoiffer son chignon habituel.

« Vous tenez toujours à m’offrir un verre? », demanda-t-elle alors avec un doux sourire, lui donnant une dernière possibilité de se débiner.

Après que j’eus frappé, la jeune femme m’invitait à entrer, ce que je fis donc, vêtu de vêtements un peu trop large pour moi.
A peine avais-je fermé la porte et relevé le nez de la poignée que je marquais un temps d’arrêt franc, le regard rivé sur l’artisane qui commençait à peigner ses longs cheveux en pagaille. Je l’entendais à peine me suggérer de poser mes affaires sur le lit de son comparse tant je semblais absorbé.
Je me remis en ordre de fonctionnement rapidement toutefois, acquiesçant silencieusement. Je me dirigeais vers le baquet dans un silence qui pouvait surprendre et choisi de déposer mes affaires sur ledit baquet. J’avais à l’esprit que détremper le lit de Paulin n’était guère sympathique.

Le baquet sera très bien, je vais éviter d’humidifier le lit de votre collègue ! Dis-je en souriant.

Je souriais à Alaïs d’un sourire…souriant…Peut-être un brin bête mais sincère, admirant ses cheveux brillants. A l’inverse de moi, sa robe bleue lui allait parfaitement bien et tranchait de son apparence précédente. Sa carrure était toujours relativement bien marquée mais cette nouvelle tenue faisait ressortir très flatteusement toute sa féminité, tout son charme et se mariait très bien avec la couleur de sa crinière.
Dans ma tête tournait la phrase que j’avais prononcé un peu plus tôt, « Une très jolie robe pour les belles occasions ! » Loin de moi l’idée de penser que j’étais une « belle occasion », mais je devais admettre que ce choix vestimentaire me ravissait.
Lorsqu’elle me demandait si je tenais toujours à lui offrir un verre, je pris une moue hésitante, me grattant le menton, faisant mine de la juger du regard. Finalement, je choppais son regard au vol, entre deux mèches blondes, dévoilant un grand sourire taquin.

Bien évidemment Alaïs ! Et un dîner !

Durant mon manège espiègle, je m’étais approché, la chambre n’étant pas grande, je n’étais jamais vraiment loin d’elle de toute façon.

Mon plastron vous allait bien, mais je préfère de loin cette robe ! Au risque de vous sembler…grossier ? Impertinent ? Entreprenant ? Vous êtes radieuse !

J’aurais aussi pu me contenter de lui faire mon compliment… Cela m’aurait peut-être évité de le minimiser. Elle n’est pas radieuse, elle est belle !
Je lui souriais toujours, masquant sans doute difficilement que je mesurais mes propos, tandis qu’elle saisissait son lien de cuir.

Et vous avez de très beaux cheveux !...

Non, ça c’est nul Log !
Je me repris alors, me plantant dans ma posture digne et taquine habituelle, exécutant un simulacre de révérence.

Où donc cette belle Dame désire que je la conduise ? Dis-je en lui tendant la main avec une cérémonie on ne peut plus caricaturale.
Pensez-vous que je m’étais souvenue de vider mes bottes ? Imaginez-vous que je n’aurais que serait-ce pensé qu’il me fallait les remettre ?
Vous faites bien de m’imaginer pieds-nus…

Les compliments du milicien lui firent de nouveau monter le rouge aux joues, bien que plus subtilement. Elle n’avait plus l’habitude des vraies flatteries. Ronan était le seul à avoir réussi à lui faire croire que ses éloges étaient sincères et à la faire se sentir… femme. Depuis qu’elle l’avait perdu toutefois, les mots des hommes sonnaient faux, comme des moqueries à ses oreilles. Mais pas ceux de Loghart. Ils étaient peut-être un peu maladroits, mais c’était ce qui faisait leur authenticité et leur charme.

« Que… Mh… Merci… », fut tout ce qu’elle parvint à dire, le lien de cuir oublié sur le lit alors qu’elle terminait de remettre de l’ordre dans sa crinière.

Le simulacre de révérence la fit de nouveau rire et elle n’hésita pas vraiment face à la main tendue, y posant doucement la sienne. Puis elle réfléchit sérieusement à sa question.

« J’ai bien peur qu’il n’y ait pas d’autres endroits dans ce village que cette auberge pour un dîner… », répondit-elle, pensive. Elle n’en avait pas vu d’autres. Peut-être pourraient-ils aller faire un tour dans le village pour vérifier? Il leur faudrait cependant ressortir de l’auberge et elle n’en avait pas très envie après la difficile journée de travail qu’elle avait déjà derrière elle mais…

Elle baissa alors les yeux vers ses bottes qu’il lui faudrait remettre, abandonnées sous la fenêtre là où elle les avait lâchées, puis vers ses pieds déchaussés. Dans le même mouvement, elle remarqua que le milicien aussi… était pieds nus.

Alaïs sourit, un peu timidement.

« Mh… Pensez-vous que… le tavernier accepterait que l’on monte de quoi dîner à l’étage? », avança-t-elle, sans grande conviction et avec un vague geste de sa main libre vers leurs pieds nus.

Elle n’avait aucune envie de remettre ses bottes trempées et… pas vraiment envie non plus de passer une soirée de plus dans la salle principale de la taverne, remplie d’hommes qui allaient s’imbiber de plus en plus de minute en minute alors qu’elle portait une robe pour la première fois depuis… trois ans.

Une légère rougeur empourprait les joues de la jeune femme après que j’eu complimenté son aspect général, d’une façon que je trouvais particulièrement bridée. Je lui souriais alors qu’elle me remerciais en balbutiant un peu.

Je vous en pris ! Dis-je alors qu’elle posait sa main rugueuse d’artisane dans la mienne, pas franchement plus douce. Le contact de sa peau fraîche sur la mienne étirait mon sourire un peu plus encore. Un contact tendre et savoureux que je n’avais pas eu depuis bien longtemps. Elle m’informait alors que, à sa connaissance, il n’y avait qu’une auberge à Usson, celle-là même où nous nous trouvions. Je hochais la tête en l’observant alors qu’elle semblait avoir oublié de terminer sa coiffure.
Cela ne me déplaisait pas, mais alors pas du tout ! Si je comprenais le côté pratique du chignon, Alaïs était tout simplement bien plus jolie avec ses longs cheveux relâchés, même humides.

Je suivais alors son regard sur nos pieds nus et nos bottes. Autant, aller manger en bas pouvait se faire pieds-nus, autant retourner à l’extérieur signifiait remettre des bottes trempées. Ce qui n’était guère une agréable perspective. On passe une bien meilleure soirée les pieds secs, parole de milicien !
C’est alors que la potière me souriait timidement avant de me faire une suggestion on ne peut plus enthousiasmante. Manger ensemble ici, dans la chambre, seules tous les deux, au calme, tout simplement. Je lui faisais un grand sourire, preuve de ma totale adhésion.

Manger ici, avec vous ? Ce serait parfait ! Je vais aller voir pour nous monter à boire et à manger ! Annonçais-je, avant de lâcher sa main. Ne te sauves pas ! Ajoutais-je d’un air taquin avant de refermer la porte, non sans avoir attrapé ma bourse...Ni remarqué que je venais de laisser tomber le "vous".

Elle n’avait pas semblée particulièrement enchantée à l’idée de manger en bas avec tous les badauds, aussi, je préférais me charger de remonter le nécessaire moi-même, d’autant que c’était moi qui payais. L’auberge était bondée et, l’idée d’Alaïs me semblait de plus en plus excellente à mesure que je patientais pour arriver au comptoir. Je remontais une dizaine de minutes plus tard avec un panier contenant une cruche de potage, du pain et du fromage ainsi que deux gobelets et un pichet d’hydromel. Je toquais puis entrait, lançant un regard profondément appréciateur en observant cette belle femme aux longs cheveux. Je déposais le fruit de ma chasse devant sa paillasse.

Voici de quoi honorer mon invitation Alaïs ! Annonçais-je avec une fierté exagérée, avant nous servir deux verres et de lui en tendre un. A ce foutu cheval, sans lequel il ne m’aurait sans doute pas été permis de vous connaître ! Quelle belle rencontre j’aurais manqué ! Trinquais-je avant de boire une gorgée. Je regardais alentour et, hormis les deux paillasses et le baquet, il n’y avait aucun meuble. Ni table, ni chaises.

Comment voulez-vous que l’on s’installe ?

Un soulagement qu’elle n’identifia pas tout de suite l’apaisa lorsque Loghart acquiesça à sa proposition. Puis, elle comprit: de un, il ne l’avait pas rembarrée, ce qui aurait été extrêmement gênant, et de deux, ils pourraient effectivement rester au calme. Pas de poivrots pleins comme des barriques ce soir.
La brève disparition du vouvoiement la surprit plaisamment et elle ne releva pas en le regardant quitter la pièce avec son enthousiasme qui lui était déjà devenu coutumier. C’était si rafraîchissant de passer du temps avec quelqu’un d’ouvertement aimable et communicatif. Une vraie rareté.

Maintenant seule dans la petite chambre d’auberge, Alaïs observa les lieux d’un nouvel oeil, tout en essayant de ne pas trop penser. Elle savait que si elle laissait sa nature timorée prendre le dessus, elle était capable de prendre la poudre d’escampette par la fenêtre… Elle avait décidé, depuis plusieurs mois déjà, d’être plus brave, plus osée. C’est ce qui lui avait permis d’ouvrir son atelier. Et ce qui faisait qu’elle était à Usson, en dehors des murs de Marbrume, à tenter quelque chose pour permettre à son commerce de se développer. Ce n’était pas le moment d’abandonner, au contraire. Il était peut-être même temps d’appliquer ces principes à sa vie personnelle également…

En quelques mouvements rapides, l’artisane débarrassa sa couchette des vêtements en train de sécher, les répartissant sur le rebord de la fenêtre et son épais paquetage. Il n’y avait pas vraiment d’autre endroit où s’asseoir confortablement et elle se voyait difficilement en train de dîner sur la paillasse de Paulin si celui-ci rentrait tôt. Ça aussi, ce serait gênant.

Loghart revint alors, chargé d’un panier bien garni et elle l’accueillit d’un sourire solaire tandis qu’il servait les verres et lui en tendait un. Elle trinqua avec lui et renchérit sur le ton de la plaisanterie:
« J’irai remercier ce cheval, demain… Il était bien inspiré… »

Elle répondit ensuite à sa question d’un signe de la main vers sa couchette et un regard interrogatif.
« Il n’y a pas vraiment d’autre possibilité, j’en ai peur. »
Ils n’allaient pas manger à même le sol et ils étaient de toutes façons pieds nus.

Elle prit donc l’initiative, contournant le panier poser au sol pour s’asseoir sur la paillasse, dos au mur, repliant ses jambes sur le côté et arrangeant les plis de sa robe autour d’elle. Bon sang, qu’est-ce que ça faisait du bien de s’asseoir après une journée pareille! Elle était épuisée, les muscles de ses bras et du haut de son dos surtout tirant sans cesse, et elle s’adossa quelques instants au mur pour souffler.

L’artisane reprit ensuite une gorgée d’hydromel puis posa son verre au sol et entreprit de disposer le pain et le fromage devant eux sur une serviette, tout en demandant :

« Vous avez dit visiter votre famille, à Usson… Vous avez encore vos parents? Des frères et soeurs? »

Le sourire lumineux avec lequel elle accueillait mon retour était absolument délicieux ! Je ne pus ensuite que rire lorsqu’elle annonçait qu’elle irait remercier le cheval, ajoutant une petite précision qui alluma une petite lumière dans mon regard. Je venais de trinquer en admettant trouver cette rencontre belle et elle confirmait que cette pensée était reciproque. Même sur un ton amusé, cela pouvait-être signifier bien des choses. Je hochais la tête, souriant.

Pour être inspiré, il était inspiré…Et j’en suis heureux !...

Je préférais boire une nouvelle gorgée avant de dire une autre bêtise tandis qu’elle répondait à ma question en pointant sa paillasse libérée de la main. Il n’y avait certes que peu de possibilités et, si manger au sol ne me posait pas de problème, je trouvais cela affreusement nul de l’infliger à une Alaïs aussi bien accoutrée. Aussi, je confirmais son choix d’un sign de tête, posant brièvement ma main libre sur son poignet, tendu vers la couche.

Cela me convient parfaitement, nous aurons l’impression d’un pique-nique… J’avais faillis ajouter un mot mais ce dernier n’avait pas souhaité sortir de ma bouche.

Je m’installais donc à sa suite, venant m’assoire à côté d’elle en laissant une distance respectueuse entre nous. Je l’observais s’adosser un instant, gardant le silence tandis qu’elle soupirait. Elle semblait fourbue et, la voir ainsi souffler d’une forme de soulagement en ma présence me faisait drôle. Ma présence ne semblait guère l’incommoder pour se laisser aller à une telle expression de bien être.
En appui contre le mur également, j’étais pour ma part assis en tailleur. Malgré les signes de la fatigue lié au labeur, il émanait d’elle une grâce et une beauté mise en valeur par sa robe et sa chevelure libérée.

Je me tirais de ma contemplation pour l’aider à disposer la nourriture, remplissant deux bols de potage, constatant qu’il n’était pas brûlant. Alors, elle me questionnait sur ma visite à Usson, à quoi je répondis après une nouvelle gorgée.

Ma mère n’est plus depuis vingt-cinq ans, lorsqu’elle à mit au monde ma petite soeur. Mon père et certains de mes frères…Ma foi, les évènements plus récents dirons-nous. Je suis à Usson pour voir ma frangine et les frères qu’il me reste.

Je ne m’attardais pas sur les circonstaces du décès de certains membres de ma famille, c’était une cause commune à bon nombre d’entre nous. Le repas n’était pas extraordinaire, par rapport à ce que j’avais ésperé pouvoir offrir, mais le potage avait un goût de légume et le pain n’était pas trop sec. Le fromage à pâte dure ne craignait lui, pas particulièrement les longs stockages. En somme, c’était convenable pour un pique-nique.

J’ai donc compris que vous étiez ici pour affaires ? C’est bien que le commerce reprenne même hors de Marbrume et entre la cité et les villages ! Il vous reste de la famille à vous ? Parents, enfant ? … Proche ? Demandais-je, hésitant sur le dernier mot, “proche” signifiant bien ici “très proche”... Je préférais toujours que ces questions sensibles sur l’état de la famille des gens soit vite écartée. Bien souvent, elle n’était guère joyeuse.

Par la fenêtre entre-ouverte montait quelques clameurs de la vie extérieure, dont nous semblions bien loin. Bientôt, une légère musique, du pipeau et du luth accompagné d’un tambourin je crois. Aussi, changeais-je de sujet dès sa réponse arrivée. Je ne pris même pas le temps de réfléchir que je posais mon bol à moitié consommé pour me tourner vers elle en souriant.

Voulez-vous danser ?

Euh… Tu es archi nul sur ce terrain Log !
Puis est-ce que cela ce fait d’inviter ainsi ?
Il est probable, possible, envisageable peut-être, qu’en réalisant la question que je venais de poser, une très légère rougeur ait gagné mes joues. Mais ce n’est bien là qu’une probabilité… Non ?

Enfin…C’est sans doute stupide comme proposition ! La musique m’a fait repenser à notre plaisanterie de tout à l’heure… Marmonnais-je en avalant une gorgée d’hydromel, me trouvant particulièrement idiot sur ce coup.

Alaïs goûta au potage tout en écoutant attentivement sa réponse. Il valait parfois mieux être rapidement au courant de ce genre de choses pour s’éviter de dire des bêtises plus tard...

« Les frères? », demanda-t-elle alors, avec curiosité. Les familles nombreuses l’avaient toujours fascinée. Et bien que Loghart ait perdu certains des membres de sa fratrie, au moins lui restait-il des gens sur qui compter.

Elle répondit ensuite à ses questions, tout en grignotant de toutes petites bouchées pour ne pas avoir l’air malpoli.

« Oui, les affaires… Des étales seront disponibles pour les artisans les plus chanceux pendant les jeux. C’est une opportunité en or, au moins pour se faire connaître. Mais il y a peu de places et beaucoup d’intéressés. Nous avons donc décidé de venir aider les locaux pour les préparatifs, en espérant que cela nous mettra en bonne position lorsqu’il s’agira de choisir les heureux élus! »
Si elle pouvait avoir son propre étale, elle serait aux anges. L’idée était même de maximiser leurs chances en regroupant momentanément les activités de Bauduin et d’Alaïs pour présenter un front uni et limiter les coûts.

Et puis, la question de la famille… C'était de bonne guerre, elle avait commencé après tout.

« Je… Mh… Je ne sais pas vraiment en fait… », fit-elle d’abord, un peu défaite. Elle allait s’arrêter là, avant de se dire que ce ne serait pas très juste pour le milicien, de le laisser sur cette note sombre. Mais elle ne parlait de tout ça à personne… C’était tellement plus facile d’essayer d’oublier. Sauf que ce n’était pas très efficace.

« Mon fiancé et moi avons immigré dès que les rumeurs de la Fange sont arrivées en Boétie… Nous avons laissé nos parents, avec lesquels nous ne nous entendions pas très bien, derrière nous. Les Fangeux sont arrivés juste après notre départ donc il y a peu de chances qu’ils aient survécu. Quant à Ronan… », elle prit une inspiration. C’était toujours très difficile, ne serait-ce que d’y penser. Mais elle devait aussi s’avouer que la douleur n’était plus aussi vive que les premiers mois.  « Notre convoi a été attaqué, à quelques jours à peine de la cité. Il m’a dit… de courir, de m’enfuir, ce que j’ai fait. Je suis arrivée ici seule et j’ai attendu… J’ai attendu des semaines devant cette fichue porte. Mais aucun autre membre de la caravane n’est jamais parvenu à Marbrume. J'ai arrêté de surveiller la porte... »

Elle ponctua la fin de son récit d’un petit haussement d’épaule en posant le bol de potage au sol et reprenant une gorgée d’hydromel, un peu surprise d’être moins affligée par la mention de Ronan que d’habitude. La culpabilité, par contre, lui rongeait toujours bien l’estomac.

« J’ai été… recueillie?… par un potier du quartier portuaire, le patron de Paulin. J’imagine qu’ils sont ma famille maintenant. », ajouta-t-elle plus positivement, avec un petit sourire d’excuse.

La proposition de Loghart fut dès lors une diversion bienvenue et elle laissa échapper un petit rire chaleureux. C’était plutôt incongru, de danser à deux dans la petite chambre d’auberge sur les notes qui montaient par la fenêtre mais…

« Allez, venez… »

Cela terminerait de dissiper la morosité qui s’était brièvement emparé de la pièce. Elle attrapa donc sa main en se levant, l’entraînant avec elle, et l’amena au milieu de la petite pièce. Puis elle prit ses deux mains dans les siennes, un sourire un peu farceur sur les lèvres.

« Prêt?… Alors, suivez les temps de la musique et faites comme ceci… Un, deux, trois - Un, deux, trois… »

L’artisane savait danser. Elle avait appris à peu près toutes les dances en cours en Boétie avant la Fange dans ses très jeunes années. Mais elle n’avait jamais été très douée. Ronan était celui qui s'assurait qu'elle n'ait pas l'air totalement ridicule. Elle se sentit toutefois très rassurée sur ses capacités en voyant la posture de Loghart alors qu’elle lui montrait quelques mouvements de pieds qu’il devait effectuer en miroir sur la musique. Elle avait donc prévu de limiter les déplacements au maximum, tournant juste eux-mêmes, mais surtout de ne pas infliger cette expérience trop longtemps au milicien s’il n’était pas à l’aise.

Les deux, oui. Kaël et Ivaad, tous deux mes aînés. Nous étions six frères, dont je suis le petit dernier et, il y a Aeryn, ma petite sœur. Répondais-je en souriant pour combler sa curiosité. Nous grignotions tandis qu’elle m’expliquait plus en détail la raison de sa présence ainsi que l’espoir commercial que faisait naître ces jeux, leur technique pour essayer de se mettre dans les bonnes grâces afin d’obtenir un emplacement. Je nous versais un nouveau gobelet d’hydromel, sans remplir le verre et décidant que je ne la resservirais que sur demande. Je ne voulais surtout pas qu’elle puisse imaginer une quelconque machination de ma part.

Et bien je vous souhaite de tout cœur d’obtenir ce que vous êtes venu chercher Alaïs ! Je vous promets de passer vous voir sur votre étale ! Affirmais-je avec un sourire enjôleur.

Je bus une gorgée en l’écoutant alors me parler de sa famille, lui laissant le temps. Elle hésitait et j’aurais parfaitement compris qu’elle ne souhaite guère en dire plus, mais elle décidait finalement de m’expliquer un peu son histoire. Ainsi, comme pour beaucoup, il y avait derrière elle les ombres des “sans doute”. Les disparus, morts très certainement…Du moins c’était ainsi qu’il fallait les penser.
Je la laissais dérouler son récit, ressentant, avec une certaine honte, un soulagement à l’évocation de la disparition de son fiancé. Malgré tout, j’éprouvais aussi une grande tristesse, qu’une aussi charmante personne n'ai eu tant de malheurs à vivre. Ainsi, je fis une brève prière silencieuse pour la paix de l’âme de ce Ronan et de ses parents, posant brièvement une main compatissante sur son épaule. Je ne disais rien dit, car au fond, il n’y avait rien à dire qu’un autre ne lui ait déjà dit maintes fois. J’espérais mon geste, tendre et amicale, plus efficace. Affirmant une présence bien réelle à l’évocation des disparus.
Fort heureusement, elle relançait sur plus de positivité en parlant du potier qui l’avait prise sous son aile, moment que j'ai choisi pour faire ma proposition saugrenue.

Contre toute attente, elle accepta. Elle semblait même l’accueillir avec joie, se relevant rapidement pour me prendre par la main.

Allons-y alors ! Confirmais-je en pouffant, serrant sa main dans la mienne.
Une fois au centre de la pièce, elle me donnait ses consignes et je hochais de la tête. Je suis le temps, le tambourin donc ?

Nos deux mains étaient jointes tandis que nous étions face à face et relativement proches, de fait. Un petit frisson me traversa la nuque tandis que nous nous mettions en mouvements et que j’essayais de suivre ses pas sans lui écraser les orteils. Finalement, c’était un peu comme si nous faisions une ronde à deux, quelques complexités supplémentaires dans le jeu de jambes. Si je n’étais pas particulièrement en rythme, je gérais plutôt bien mes jambes, bénéfice de mon éducation martiale.
Conscient que je devais malgré tout me tenir étrangement, je me fichais bien de paraître ridicule devant elle. Ce moment était bien trop savoureux et, de toute façon, je n’avais jamais craint le ridicule.

Son visage souriant était lumineux alors que sa robe et ses cheveux ondulaient dans nos mouvements, lui conférant une douceur et une féminité qui prenait sens à mes yeux. Je croisais son regard, affichant un sourire satisfait et enchanté, m’égarant brièvement dans ses pupilles bleues. Son rire déformait tendrement ses lèvres tandis qu’elle me guidait, nos pieds nus caressants le plancher. Nos hanches se frôlaient d’abord avant de se toucher et cela dura un moment, peut-être court, peut-être long.
Un moment suspendu.

Doucement, le mouvement ralentissait alors que ses mains, chaudes, emprisonnaient toujours les miennes et que notre proximité offrait maintenant de sentir son parfum.
Moi, je me perdais dans son regard et sur ses lèvres, dans l’éclat de ses iris et sur son sourire. La danse c’était à présent arrêté depuis quelques secondes avant que je ne retrouve des mots à prononcer.

Merci… ! Murmurais-je sans la quitter des yeux, le souffle court. Tiraillé entre plusieurs idées, je demeurais immobile, gardant ses mains dans les miennes comme si je craignais qu’elle ne s’évapore si je la lâchais.

Allons bon !
On est en train de perdre Log là !

J’approchais de son oreille pour y souffler un secret.

Tu es magnifique Alaïs… !

La musique s’élevait toujours par la fenêtre, entraînante, et Alaïs se prit à considérer la situation dans son ensemble, seule avec Loghart dans une chambre d’auberge.

Que ce soit son sourire enjôleur ou ses regards appuyés, Alaïs n’était pas crédule. Ce n’était bien évidemment pas la première fois qu’un homme montrait de l’intérêt pour elle depuis qu’elle était arrivé à Marbrume. Elle avait toutefois toujours eu des difficultés à y croire. Sa grande taille et sa carrure en dérangeaient plus d’un. Ses mains blessées et brûlées détournaient les regards. Et il n’était pas rare que des hommes auxquels elle n’avait rien demandé se permettent des commentaires sur le fait qu’elle fasse un boulot, et bien… d’hommes, la laissant bien comprendre qu’elle aurait beaucoup de chance de tomber sur quelqu'un qui accepterait son activité et ne l’obligerait pas à la cesser. Elle s’était donc fermée aux situations de ce genre, ne laissant rien ni personne réellement l’approcher. C’était plus simple et cela évitait d’être à nouveau tellement… blessée.

Il y avait toutefois quelque chose dans la franchise de Loghart qui l’empêchait de se braquer quand il initiait un contact ou lui lançait un de ces sourires à tomber.

Elle tenta toutefois de rester concentrée sur la danse, gardant initialement les yeux rivés sur le plancher pour être certaine que le jeune homme ne lui écrase pas les orteils. Elle était certes grande pour une femme mais quand même pas au point de supporter le poids d’un milicien sur ses pieds. Et quand il lui apparut que Loghart avait bien compris le principe, l’artisane releva enfin le regard sur son expression ravie. Elle était enchantée que son idée lui plaise, alors qu’ils tournoyaient dans la petite chambre, la taille réduite de l’espace les amenant régulièrement à se rapprocher bien plus qu’une danse en public ne l’aurait autorisé.

La musique s’arrêta alors et les deux jeunes gens restèrent un moment immobiles, leur mains toujours jointes. Elle ne s’attendait certainement pas à ce qu’il la remercie avec autant de reconnaissance. Ce n’était qu’une danse… Mais la suite l’acheva.

Le souffle chaud sur son oreille lui envoya un frisson le long de l’échine et elle s’agrippa instinctivement un peu plus fort aux mains dans les siennes. Elle ne savait que faire ou que répondre. Elle se sentait extrêmement flattée et gênée à la fois, au point d’en devenir fébrile.

Alaïs s’écarta alors très légèrement. Elle voulait voir son expression alors qu’il venait de la complimenter sans vergogne. Etait-il toujours aussi sincère ou s’était-il transformé en l’un de ses hommes persuadés qu’une flatterie bien placée suffisait à mettre une femme dans son lit?

Ses lèvres entrouvertes sur des mots qui ne venaient pas, elle chercha ses yeux si honnêtes.

« Je… Mh… Merci, c’est… gentil? », fut tout ce qu’elle réussit à prononcer dans un murmure, perdue dans ses iris bleues et la gêne clairement visible sur ses traits. Elle n’avait vraiment pas l’habitude de ce genre de situations, et cela se voyait.

J’avais profondément apprécié qu’elle m’accorde cette danse et, plus largement, qu’elle m’accorde de son temps…Qu’elle m’accorde un peu d'elle-même en fait. C’était la raison première de ce “merci” qui semblait la surprendre au-delà de tout.
Alors, ses mains, c'étaient faites plus pressantes sur les miennes lorsque j’avais murmuré à son oreille. Un peu comme moi plus tôt, comme si elle voulait s’accrocher, renforcer sa prise. Je me taisais alors, la laissant se reculer un peu sans que nos doigts se quittent pour autant. Alors, elle croisait mon regard, semblant y chercher une réponse, une information, un complément, quelque chose que je n’aurais pas dit et dont elle voulait prendre connaissance.
À part l’honnêteté de mes propos et de mes pensées, elle ne verrait que de la joie et, si elle regardait bien, une lueur de désir qu’il me devenait impossible de dissimuler.

Elle voulait réagir, dire quelque chose, mais je voyais bien qu’elle était prise en étau entre ses pensées, qu’elle luttait pour trouver une suite à donner.
Alors, elle murmurait à son tour, me remerciant pour mon compliment, bafouillant presque et sans quitter mes yeux, sans lâcher mes mains.
Sensible, parmi tous les traits que je lui avais déjà trouvés, je n’avais pas encore noté ce point, pas avec une telle précision en tout cas.
Intelligente, persévérante, amusante, joueuse, espiègle, juste ce qu’il fallait, belle et sensible…

Pour beaucoup d’hommes, son métier serait dégradant pour une femme, nombreux sont ceux, même parmi ceux que je connais, à réprouver ses mains abîmées ou même sa carrure. Mais ces ignorants n’avaient pas reçu son aide désintéressée, ils n’avaient pas ris avec elle, pas plus qu’ils n’avaient joués comme deux enfants. Ils n’avaient sans doute pas même dansé ou ne lui avaient pas pris la main pour sentir cette douceur rugueuse. Assurément, ils n’avaient pas pris le temps de nager dans ses yeux ou bien de s’ouvrir à elle. Ils la voyaient comme une femme faisant l’homme.
Moi, j’avais vu l’ensemble dans son entièreté.
Et cet ensemble… Il me plaisait énormément !
Il me plaisait au point que tout le temps de cette réflexion, nous ne nous étions pas quittés du regard, nous ne nous étions pas lâchés et nous n’avions plus rien dit.
Quelques secondes durant lesquelles nous semblions complètement à l’arrêt, tous les deux.

Finalement, je levais l’une de ses mains que j’observais brièvement, distinguant les multiples petites coupures et brûlures qui les décoraient. J’y apposais un baisemain doux, comme pour montrer que, oui, ses mains aussi, je les trouvais bien.
Avec un sourire sincèrement appréciateur, marqué d’une rougeur aux joues, je reportais mon regard brillant sur le sien, lâchant sa main. Avec délicatesse, je repoussais une mèche de cheveux en frôlant sa joue.

Trouverais-tu cela indécent si j’avouais que tu me plais… Beaucoup ?

Les Monclar ! Vous perdez le frangin pour de bon !

Les secondes s’égrenèrent dans un silence délicat et le regard toujours plongé dans celui de Loghart, Alaïs aurait donné n’importe quoi pour savoir ce qui se tramait derrière ses beaux yeux bleus. À quoi pensait-il au juste, en ce moment précis? Car ses propres pensées oscillaient sans cesse entre un vide intersidéral et des appréhensions paralysantes. Rien de très utile donc.

L’artisane fut toutefois sortie de sa crise de tétanie par un mouvement, alors que le milicien emmenait sa main abîmée à ses lèvres rieuses. Le geste, si commun et pourtant tellement intime pour elle fit apparaître une sensation étrange, comme une nuée de papillons dans son ventre. Il entreprit ensuite de remettre une mèche de cheveux en place, frôlant sa joue et Alaïs inclina son visage, comme pour prolonger le contact.

Ainsi, le vouvoiement était définitivement passé par la fenêtre… Tant mieux.

La nouvelle déclaration de Loghart, douce et franche à la fois, remit enfin les rouage de son esprit en marche… Elle lui plaisait…beaucoup. D’accord. Suffisamment en tout cas pour qu’il l’exprime lors de leur première rencontre. Après, il était vrai que celle-ci avait été riche en expériences et émotions…

Était-ce réciproque? Elle ne pouvait pas nier qu’elle n’avait pas encore trouvé de défaut au milicien. Cela viendrait certainement mais pour l’heure, il était indiscutable que c’était un bel homme et elle était persuadée qu’elle aurait pu se noyer dans ses yeux bleus. Mais au delà de l’apparence, qui était certes la première chose à avoir arrêté son regard dans cette rue d’Usson, il y avait très longtemps que personne ne l’avait fait rire aux éclats de cette façon. L’engouement du milicien compensait par ailleurs à merveille sa retenue naturelle et, alors qu’ils avaient quitté les palissades du village pour rejoindre le ruisseau, elle ne s’était jamais sentie en danger à ses côtés, malgré sa peur ravivée du Fléau. Elle ne percevait pas plus de dangers ici et maintenant, seule avec lui dans une chambre d’auberge.

Alors non, sa déclaration n’avait rien d’indécent. Au contraire.

« Non, pas du tout… Trouverais-tu indécent si je te disais que c’est réciproque? », répondit-elle avec un sourire gêné mais sincère, sa main libre venant se poser sur son bras.

Par les Trois, elle avait l’impression d’être de nouveau une adolescente en émoi!

Mais… Et quoi maintenant? Alaïs n’était pas du tout au fait des suites de ce genre de situations. Ça avait été tellement différent avec Ronan.

Puis, soudain, un doute fit son apparition. Loghart avait dit être affecté à une coutellerie de renfort…

« Combien de temps ta coutellerie est-elle censée rester à Usson? », demanda-t-elle, un brin d’inquiétude dans la voix. Et s’il devait partir?